L`Évangile de la famille
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L`Évangile de la famille
L’Évangile de la famille Références bibliques et pastorale familiale L’expression "Évangile de la famille" suggère tout à la fois que l’on trouve dans l’Évangile de quoi inspirer la manière de vivre en famille, et que la famille est un lieu d’Évangile, d’heureuse annonce. Nous relisons ici quelques textes bibliques cités dans le rapport final du synode et tentons d’en tirer quelques réflexions pastorales. Homme et femme il les créa Dès le commencement, dans la Bible l’œuvre de création en général et celle de l’humain en particulier procède par succession d'opérations de séparation, qui vont en définitive concourir à une unité. Ainsi l'humain, le glébeux (Adam) tiré de la glèbe (adama), est encore soumis à deux autres opérations qui se suivent. D’abord la différentiation sexuelle (homme et femme il les créa) puis la séparation des générations (l’homme quittera son père et sa mère). Au prix de l’altérité ainsi posée peut se construire entre homme et femme une unité nouvelle, dégagée de la confusion: Ils ne feront qu'un. Ce dispositif ébauché dès les premières pages de la Bible (Gn 2, 18-24) va se retrouver, repris et enrichi par Jésus dans les évangiles (Mt 19, 4-6) et Mc 10, 6-9), puis par Paul dans la lettre aux Éphésiens (Eph 5, 31). L’observation de cette progression telle qu’elle se donne à lire dans les textes cités suggère plusieurs remarques dont l’enjeu pour la pastorale familiale est important. Dès le départ l’unité homme-femme annoncée est tout sauf une fusion. La traduction courante du texte de la Genèse : ils ne feront qu’un (Gn2, 24) est approximative et risque d’encourager une représentation imaginaire de l’unité du couple1. Le texte original mérite une traduction plus précise : ils iront vers une seule chair. L'unité en question n’est pas acquise à l’issue des premières séparations et de la première rencontre. Elle commence au contraire à se construire. Elle est dynamique. Une seule chair est le terme vers lequel ´ils iront´. Quelle est cette une seule chair qui s’annonce ? L’unité annoncée est énigmatique. En effet les deux représentations concrètes que nous pouvons avoir de cette seule chair : l'union charnelle de l'homme et de la femme et l'avènement d'un enfant, sont des moments d'une histoire et non un aboutissement. De quoi s’agit-il donc ? Les textes du nouveau testament vont-ils répondre à la question ? Quand Jésus reprend ce dispositif initial, selon les évangiles de Matthieu et de Marc, il confirme l’œuvre de Dieu au commencement, ainsi que l’unité de la relation homme-femme qui s’ensuit, puis il ouvre la perspective en introduisant l’œuvre de Dieu qui se poursuit. Voici la traduction la plus répandue : "ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas". Cela peut s’interpréter comme une œuvre d’unité déjà réalisée à maintenir. Or là encore préciser la traduction au plus près du texte grec est capital : "ce que Dieu a conjugué (mis sous le même joug), que l’homme ne le sépare pas". La figure du joug, de la conjugalité (devenue familière dans le langage matrimonial) implique deux conséquences d’importance. D’une part elle évoque un attelage : donc une action dynamique. On n’attèle pas des animaux sans qu’ils aient un parcours à faire ensemble, une tâche à accomplir. D’autre part ce parcours et cette tâche ne sauraient s’accomplir sans la conduite d’un tiers. L’unité conjugale annoncée est en devenir et suppose Celui qui est à l’œuvre et qui parle aux conjoints. L’unité en question n’est pas binaire, mais ternaire ; elle est comme une image des relations trinitaires. L’œuvre de création n’est pas achevée dans les conjoints. Elle se poursuit dans leur histoire commune à l’écoute de Dieu. Dès lors ce n’est pas seulement l’unité de la relation homme-femme qu’il ne faut pas séparer, mais c’est l’ensemble des liens qui concourent à cette œuvre, y compris la relation de chacun à Dieu. Enrichissement progressif du dispositif initial et soumission à l’œuvre d’amour. Il est intéressant d’observer que le dispositif de départ de la Genèse qui concerne l’homme et la femme et la nécessité de quitter père et mère s’enrichit dans le nouveau testament de l’évocation des enfants, avant de s’élargir plus encore. Ce n’est pas un hasard si les enfants apparaissent immédiatement après l’épisode concernant le couple homme-femme, dans les évangiles de Mt et de Mc. L’élargissement se poursuit dans la lettre de Paul aux Éphésiens. En effet elle évoque non seulement le couple parents/enfants mais aussi le couple maître/serviteur. C’est dans ce texte que le dispositif se précise le plus. Le principe de soumission à l’œuvre du Père, qui se réalise dans et par le Christ va englober le couple homme-femme, puis la relation parents-enfants, et encore la relation maître-serviteurs. L’énigme se précise Paul ajoute : "ce mystère est grand, je veux dire par rapport au Christ et à l’Église". Le mystère est celui du corps du Christ, comme la suite en témoigne. "Le mari doit aimer sa femme comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. Jamais personne n’a pris sa propre chair en aversion ; au contraire on la nourrit, on l’entoure d’affection comme le Christ a fait pour l’Église. Nous sommes les membres de son corps". Dans le corps du Christ des liens se tissent qui procèdent de l’amour source du Seigneur auquel chacun est appelé à se soumettre par l’intermédiaire de l’autre. "Soyez soumis les uns aux autres". Chacun est appelé à la soumission à l’amour du Seigneur ; à se laisser travailler par cet amour. Et cela se fait par l’intermédiaire de l’autre dans chaque couple : homme/femme, parents/enfants, maîtres/serviteurs dans une réciprocité qui n’est pas symétrie. Le couple homme-femme est au cœur de ce mystère comme signifiant privilégié de l’alliance, et les relations familiales (parents/enfants) vont s’étendre aux relations sociales (maître/serviteurs). Là s’éclaire l’énigme posée au livre de la Genèse : "ils iront vers une seule chair". Toute la création tend vers cette unité des membres du corps du Christ ressuscité. Et cela se joue dans tous les couples régissant les rapports sociaux. Il ne s’agit pas d’un idéal à viser. Car l’idéal est de l’ordre de l’imaginaire et l’expérience montre que l’homme échoue à l’atteindre. Penser ces relations en termes d’idéal, expose à sacraliser des soi-disant héros et à stigmatiser des soi-disant lâches. Il est préférable de présenter la chose comme une orientation décisive de la création, qui procède non par la force de l’homme mais par l’attraction qu’exerce le Seigneur sur l’humain et à laquelle il est invité à consentir. Les humains ne sont pas sommés de faire la preuve qu’ils sont arrivés, mais il est capital pour eux de rester en chemin et de demander la grâce d’être attirés. De fait si les péripéties de l'histoire des hommes et femmes de la Bible témoignent de relations familiales les plus diverses et parfois scabreuses : meurtres, polygamie, adultère, inceste, etc… la stabilité d'une union entre homme et femme, d’une alliance qui a quelque chose à voir avec celle de Dieu avec son peuple, court d’un bout à l’autre de la Bible comme un fil conducteur. Dès le premier testament la perspective d’une stabilité du couple dans la fidélité se présente comme porteuse de promesse. Mais les manquements des hommes ne brisent pas la fidélité de Dieu dans son alliance et Jésus va accomplir ce qui est impossible à l’homme par ses propres forces. Et par son pardon, il ne cesse d’ouvrir à nouveau la voie au pécheur. Le même Jésus a donc deux attitudes qu’il s’agit de ne pas opposer mais au contraire d’articuler. L’une confirme et précise l’orientation de la création vers une unité et une fidélité d’une solidité à toute épreuve, d’où personne n’est exclu. L’autre manifeste sa constante attention au pécheur dans ses errements. N’est-il pas venu chercher la brebis perdue, sauver ce qui était perdu, libérer la femme adultère de la lapidation et lui ouvrir le chemin de l’amour (va et ne pèche plus) ? C’est fort du pardon du Seigneur que l’humain peut envisager de se laisser attirer par la force de l’Esprit à une fidélité dont il est incapable par ses propres forces. C’est pourquoi la pastorale se doit d’éviter ce qui pourrait faire penser au pécheur qu’il est exclu de la communion. Au contraire, elle se doit d’être à la recherche de la brebis perdue. Elle doit lui faire connaître que le Seigneur est mort précisément pour libérer l’humain de son péché et qu’il ne cesse de lui ouvrir à nouveau la voie de la fidélité dans son amour. La pastorale n’est pas écartelée entre la doctrine et la miséricorde. Elle demande une écoute attentive de chacun dans sa propre histoire, la reconnaissance de la conscience de chaque être comme lieu de discernement, la proposition d’un accompagnement qui contribue à l’éclairage qu’apporte tout l’Évangile sur toute situation de tout humain.