L`élégance - Fédération Française du prêt à porter féminin
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L`élégance - Fédération Française du prêt à porter féminin
La FRENCH TOUCH Définition de l’élégance à la Française avec la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin ÉdiTO ÉLOGE de la mOdE françaisE Quel regard poser aujourd'hui sur la mode française ? Comment définir sa singularité ? Peut-elle conserver sa suprématie en ce début du XXIème siècle ? Ces questions se doivent d'être posées à l'heure où la mondialisation bouleverse les équilibres et rebat les cartes. Avec, tout d'abord, une bonne nouvelle. S'il se crée désormais de la mode dans tous les pays du monde, la France a su conserver intacte sa première place en matière d’image, de rayonnement, de considération. La mode française reste unique grâce à son histoire (n'oublions pas que c'est à Versailles qu'est née l'idée même du style !), mais également grâce à son dynamisme et à son attractivité. On s’habille partout dans le monde mais c’est à Paris que tout se décide, que tout s'imagine. Aujourd'hui comme hier, les créateurs rejoignent la capitale parce qu'elle est LE lieu de reconnaissance et de validation de la création. Elle l'est aussi parce que les femmes françaises sont nos meilleures ambassadrices, qu'elles possèdent une allure unique... Ce fameux chic, parfait équilibre entre élégance classique et goût de l'avant-garde. Mais si ce leadership est aujourd'hui incontesté, il doit être sans cesse consolidé, réinventé pour perdurer. Dans un monde où l'incertitude est désormais la règle, la France doit plus que jamais se battre pour tenir son rang. Elle en a tous les atouts, encore faut-il qu'elle en saisisse les enjeux économiques et culturels. Comment conserver la première place ? En donnant à la création les moyens de s'exprimer en toute liberté, en faisant de Paris un laboratoire d'idées, une place forte de l'avant-garde. C'est à ce seul prix que la mode française demeurera à la hauteur de son histoire et de son rayonnement. Jean-Pierre MOCHO Président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin sOmmairE Chapitre 1 p. 6 : Modarchie ! par Catherine Örmen Chapitre 2 p. 12 : L’élégance française, ou l’Art de la distinction par Pamela Golbin Chapitre 3 p. 18 : Paris en mode capitale par Serge Carreira p. 26 : La French Touch vue par... Chapitre 4 p. 46 : La mode, des podiums à la rue par Pascal Monfort Chapitre 5 p. 52 : La mode par le prisme de l’histoire par Olivier Saillard .5. Chapitre 1 mOdarCHiE ! C'est au XVIIème siècle qu'est née la mode française, sous l'impulsion de Louis XIV qui a imposé au monde entier l'image d'un roi soleil, paré d'or et de dentelle. Elle continue depuis de jouer les références absolues, arbitre des tendances et du bon goût, comme le raconte Catherine Örmen, historienne. Cocorico ! Ordinairement, les Français ne sont pas très chauvins, sauf lorsqu’il est question de gastronomie, de femmes, d’amour et de mode... Sur ces pointslà, personne n’en doute, nous, Français, sommes les meilleurs du monde ! Une telle assertion, à l’évidence, ne peut être sans fondement. Nous allons tenter d’en comprendre l’origine, en nous cantonnant cependant au seul domaine de la mode. Libre au lecteur, ensuite, d’extrapoler. La réputation est profondément ancrée. Comment ne le serait-elle pas puisqu’elle date du temps de Louis XIV qui a imposé au monde entier – ou plutôt à l’Europe entière – l’image d’un roi Soleil, paré d’or et de dentelle, pour faire oublier qu’il était avant tout un guerrier. Avec Colbert qui, pour lutter contre la concurrence des pays étrangers, a fait venir à grands frais les meilleurs ouvriers de Flandre, de Gênes ou de Venise, pour les installer dans les manufactures françaises, le Roi Soleil a réussi à transformer le chantier boueux de Versailles en un temple de toutes les élégances. L’obligation qu’il y avait de paraître à la cour, les contraintes que cela sous-entendait, avaient un double objectif : museler les velléités belliqueuses des aristocrates tout en faisant de la cour une redoutable arme médiatique : une telle concentration de luxe devait donner une image enviable de la France. L’étiquette avec sa hiérarchie stricte, repérable dans le protocole et les codes vestimentaires, maintenait chacun à sa place. Cimentée par la mode, cette cour édifiante qui se reflétait dans la Galerie des Glaces, a de manière durable, marqué les esprits. Cimentée par la mode, cette cour édifiante qui se reflétait dans la Galerie des Glaces, a de manière durable, marqué les esprits. Le siècle suivant, celui des Lumières, est aussi celui de l’amour et des femmes. Les représentations qu’en donne la peinture des petits-maîtres montrent bien quel rôle tient la mode dans le jeu de la séduction. La notion d’intimité se précise : le costume voile et dévoile, les dessous cachent ou révèlent une chair Par Catherine Örmen .6. .7. Chapitre 1 - Modarchie ! désirable. À égalité pour les deux sexes, vêtements, maquillage, coiffure, parure, témoignent du raffinement inégalé des modes françaises. Et cette légèreté, cette fantaisie que tous nous envient, sont étayées par un savoir-faire artisanal, incomparable. Les frasques vestimentaires de Marie-Antoinette, alimentées par sa marchande de modes, Rose Bertin, n’ont-elles pas fait couler beaucoup d’encre avant de faire couler beaucoup de sang ? Oui, la frivolité, au XVIIIe siècle est une spécialité française et elle le demeurera longtemps après la Révolution. Quel autre pays au monde aurait pu donner naissance aux Merveilleuses et à leurs compagnons, les Incroyables ? Il ne s’agit là que d’une poignée d’individus qui hantaient le Palais Royal, mais leurs extravagances continuent encore d’influencer la mode. Il est vrai que d’un coup, les hommes ont frisé la caricature avec leurs vêtements étriqués et leurs hauts collets, tandis que les femmes, soudain devenues longilignes, ont supprimé tous les attributs de l’Ancien Régime, les corsets constricteurs, les paniers encombrants, les maquillages épais qui camouflaient la crasse et les perruques sous lesquelles proliférait la vermine... La citoyenne révolutionnaire n’a plus rien à cacher. Elle est propre, pure, toute de blanc vêtue, habillée de coton et non plus de soie, parée d’un costume à l’antique qui ne dissimule rien de ses charmes. Sa scandaleuse indécence a fait école. La citoyenne révolutionnaire n’a plus rien à cacher. Sa scandaleuse indécence a fait école. sur le coton importé d’Angleterre. Dès lors, Paris affirme de nouveau haut et clair son leadership avec une mode “ Empire ” qui met toutes les cours européennes au diapason. Et puis, l’Empire s’écroule. Dès 1815, la cour s’embourgeoise. La Restauration rétablit pour les femmes une silhouette plus traditionnelle, pincée au niveau de la taille, façonnée par le corset et par des jupons qui se superposent à l’envi - il est vrai que le tissu, l’un des premiers produits de la révolution industrielle, n’est plus compté. L’homme renonce à la parure. Il adopte le sombre costume moderne, symbole de la bourgeoisie efficace et productive, laissant à sa compagne, épouse ou maîtresse, inactive comme il se doit, le soin de signifier sa réussite sociale par les jeux du paraître. Ce sont les salons qui donnent le ton. Des salons littéraires et cosmopolites, où s’imposent le romantisme et le dandysme venu d’Angleterre. Cette philosophie de l’élégance promue par Balzac, y trouve un terrain fertile chez les hommes, tandis que les femmes, enserrées dans leur corset, se transfigurent en purs esprits, à l’instar de George Sand. La mode est alors éminemment littéraire, chargée de références aux temps sombres du Moyen Age et colportée par autant de troubadours qui la diffusent dans les sphères les plus éthérées du monde. Impérieux, Napoléon quant à lui, reprend la recette de Louis XIV : il exige de sa cour une tenue... impériale. Il met les hommes en uniformes chamarrés et déchire les robes de coton des femmes qui l’entourent. Forcée de donner l’exemple, l’élite relance les industries françaises du luxe sorties exsangues de la Révolution. Ainsi les opulentes soieries lyonnaises reprennent-elles l’ascendant Puis, vient le temps du Second Empire. Un temps glorieux pour la mode française, pardonnez le pléonasme ! Napoléon III a retenu les leçons du passé : pour imposer l’image d’une France prospère et conquérante, il fait de sa cour un instrument de propagande. Multipliant les grands bals qui réunissent jusqu’à 4000 invités, il assigne au paraître la fonction ostentatoire de la réussite. Son épouse, l’impératrice Eugénie, une très belle femme adepte de la simplicité, consent néanmoins à porter des robes “ politiques ” pour mieux promouvoir l’élégance et les productions françaises. Et c’est bien là l’empire de la démesure... Les robes se portent sur des cages métalliques dont l’envergure nécessite des métrages insensés de tissu (et qui imposent le port d’un pantalon de lingerie). Ce sont les crinolines qui se couvrent d’ornements - de dentelles, par exemple, désormais produites mécaniquement - car, dans tous les domaines, l’industrie triomphe. .8. .9. Chapitre 1 - Modarchie ! Bien qu’en chantier, Paris attire le monde entier. Les grands magasins poussent comme des champignons. Temples de la consommation, vitrines de toutes les nouveautés, ils offrent une vision inédite de l’opulence. Ils vendent toujours moins cher tous les produits de l’industrie pour en vendre davantage. La confection rationalise ses méthodes de production, crée des ateliers où la machine à coudre est reine... et les “ petites femmes de Paris ” au chic inimitable, sont toujours plus coquettes – partout on cherche à les imiter. Jamais la demande n’a été aussi forte et les modes de Paris triomphent. Il faut paraître, paraître à la cour, aux spectacles, dans la vie quotidienne, tenir son rang, afficher sa richesse. Cela, Charles Frederick Worth l’a bien compris. Venu d’Angleterre, ce couturier commence par travailler chez Gagelin et Opigez. Il observe que la clientèle se développe, qu’elle est de plus en plus pressée et toujours plus avide de luxe. En 1857, il s’associe au suédois Bobergh, pour créer une maison de couture qu’ils établissent rue de la Paix. Worth comprend qu’il convient de présenter non plus des modèles uniques, mais des collections dont il reproduira les modèles pour ses clientes, en les individualisant. Il comprend surtout que c’est à lui d’imposer son art à la cliente, inversant ainsi définitivement l’ordre des choses. Introduit à la cour par la Princesse de Metternich, égérie des élégantes, il ne tarde pas à voir affluer aristocrates, mondaines, bourgeoises fortunées et cocottes qu’il accueille dans des salons somptueux, éclairés au gaz. Nouveauté : il présente ses modèles sur des mannequins vivants, dans le reflet des miroirs dorés. Il se comporte en artiste capricieux, griffant ses robes comme un peintre signe ses toiles. Attirant la clientèle cosmopolite qui séjourne à Paris, il ne tarde pas à habiller toutes les têtes couronnées d’Europe. Les riches américaines viennent à lui avant qu’il n’aille vers elles en ouvrant des succursales à l’étranger. Dans l’entreprise, les tâches sont dissociées : Worth est à la création, son épouse assume des fonctions de représentation, tandis que l’associé se charge de la gestion. La haute couture est née avec Worth. Elle contribuera durablement au prestige de la France. À la fin du XIXe siècle, la position française est hégémonique en matière de mode. Selon le rapporteur de l’Exposition Universelle de 1889, la France vend cinq fois plus à l’étranger qu’elle n’achète. En 1900, un autre rapporteur constate “ Paris reste le centre du goût et de l’élégance, malgré les efforts faits par nos concurrents étrangers pour nous enlever une suprématie qui est assise sur des bases solides. Nos maisons de couture exportent leurs produits dans le monde entier, urbi et orbi, et les élégantes des classes riches, ou seulement aisées, ne songent pas à demander ailleurs qu’à Paris les dernières créations des rois de la mode. D’autre part, les couturiers étrangers, pour rester dans le mouvement, continuent à venir nous demander des modèles qu’ils copient plus ou moins servilement ”(1). La France est donc à la Belle Epoque, le leader mondial de la mode, le lieu vers lequel convergent tous les regards. Du bout du monde, on traque la nouveauté parisienne. C’est ainsi que les robes de Paul Poiret avec leur ligne “ empire ” qui supprime le corset, bien qu’éphémères et très peu portées en 1906, sont restées célèbres. Elles figurent aujourd’hui dans toutes les encyclopédies du costume. À la belle Époque, la France est le leader mondial de la mode, le lieu vers lequel converge tous les regards. Après la Première Guerre mondiale, Paris est en effervescence. C’est le lieu de tous les plaisirs, une ville créative, bouillonnante et plus que jamais cosmopolite. L’euphorie règne, qui fait oublier les horreurs de la guerre. Les femmes, métamorphosées en garçonnes, s’habillent de robes droites, flottantes et courtes. Elles ont pour guides des couturiers d’avant-garde : Coco Chanel, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet et Jean Patou. La mode qu’ils lancent, parce qu’elle est d’une simplicité révolutionnaire, gagne l’ensemble de la société. À chaque saison, les acheteurs, les clientes et la presse internationale spécialisée, se pressent à Paris. Beaucoup achètent, mais beaucoup aussi copient. La situation empirera lors de la crise de 1929 qui rend impossibles les exportations de produits finis vers les Etats-Unis, principal client. Les maisons françaises 1. Rapports du Jury International, Exposition Universelle de 1900, rapport de Léon Storch, Paris Imprimerie Nationale, p.73 . 10 . . 11 . Chapitre 1 - Modarchie ! exportent donc uniquement des toiles et des patrons, qui contribueront à l’essor du prêt-à-porter américain. Les couturiers français renouvellent totalement l’allure de la femme : la garçonne est oubliée au profit d’une femme sculpturale qui s’habille dans des vêtements ajustés et très sophistiqués. Là encore, pendant toutes les années 1930, le monde entier suit les modes de Paris... Le prestige de la France est si grand et son rayonnement si intense, que les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, tenteront (en vain) de s’approprier ce secteur d’activité. Ils ambitionnaient de transplanter la haute couture française à Berlin ! Oui, mais celle-ci, leur a-t-on répondu, se nourrit exclusivement de l’air de Paris... Les nazis ne réussiront en fait, qu’à isoler Paris de sa clientèle habituelle. L’isolement n’est que temporaire puisqu’en 1947, Christian Dior avec son New Look, fait un coup d’éclat. En plein marasme, alors que la pénurie règne encore, Dior redonne aux femmes des envies de luxe et de féminité. Mais surtout, il fait de nouveau converger vers Paris les acheteurs et la presse internationale. Dans le sillage de Dior, les maisons de couture françaises vont connaître pendant toutes les années 1950, une période faste, un apogée même, et si Paris n’est plus vraiment le centre de gravité des arts, il demeure le point de référence pour la mode. Depuis, le système de la mode a connu de profonds bouleversements. Sa structure de production pyramidale s’est écroulée et avec elle toutes les modes bourgeoises. Dans les années 1960, la jeunesse a pris le pouvoir, façonnant le prêt-à-porter à son image. Puis, la mondialisation et ses mutations ont imposé encore de nouveaux bouleversements... Aujourd’hui, les Fashion Weeks se succèdent, à New York, à Milan et ailleurs, mais c’est toujours à Paris, que couturiers et créateurs souhaitent obtenir leur consécration. Pourquoi ? Sans doute, parce que la mode n’est pas uniquement un commerce, un business. La mode c’est aussi une culture, une histoire, un patrimoine, des traditions, un savoir-faire, dont Paris est garant. Ce terreau fertile nourrit la mode et lui permet de renaître au fil des saisons. Ainsi, le coq français a-t-il les ergots bien ancrés sur un trésor que beaucoup nous envient. . 12 . CaTHErinE örmEn en daTEs et en mOTs Diplômée de l’École du Louvre et de l’École du Patrimoine. Chargée dès 1988 de la création du Musée de la Mode de Marseille, puis responsable de 1995 à 1998 du fond XXe siècle au Musée de la Mode et du Textile – Arts Décoratifs. Commissaire d’expositions et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur l’histoire de la mode. . 13 . Chapitre 2 L'ÉLÉGanCE françaisE ou l'Art de la disTinCTiOn... Obligés de se singulariser pour s'attirer les regards (et les faveurs) du Roi, les courtisanes - et courtisans de la cour ont très vite développé une science du costume qui ne s'est jamais démentie. Aujourd’hui encore, notre élégance est l'objet de toutes les attentions, même si les jeunes générations en renouvellent largement les codes. Le point avec Pamela Golbin, conservateur en chef mode et textile aux Arts Décoratifs. On parle naturellement d'élégance à la française. Comment la définir ? Cette élégance possède une qualité très particulière : elle est intrinsèquement liée la personnalité de la femme. Il ne peut y avoir d'élégance à la française... sans française ! Ce rapport au vêtement est né au XVIIème siècle, avec Louis XIV. Le roi Soleil adorait les femmes et vivait entouré de nombreuses courtisanes. C'est pour se distinguer, pour sortir du lot que chacune d'elles a commencé à cultiver une identité propre qu'elle exprimait par le vêtement. C'est si vrai qu'à l'époque, on ne parlait pas d'un style mais d'une femme : une silhouette à la Maintenon, à la Pompadour... Certes, le vêtement comptait mais c'était la façon de le porter qui était essentielle : avec un bijou, un maquillage particulier. En cela, on peut dire que la cour de Louis XIV a réellement inventé l'élégance française. Toute femme cherchait à se créer une allure singulière en refusant de copier les gravures de mode qui, pourtant, existaient déjà à l'époque. La naissance de la mode en France est donc une histoire de femmes. On ne parlait pas d’un style mais d’une femme : une silhouette à la Maintenon, à la Pompadour... ... Même si les hommes, eux aussi, s'intéressaient au vêtement. Ils vont également se mettre en scène, car Versailles est un théâtre constant à l'intérieur duquel il faut impérativement briller pour exister. On s'exprime à travers une signature personnelle mais en respectant l'étiquette, le bon goût imposé par le Roi. Et comme Versailles est au centre de tous les regards, la mode française va être reprise, copiée dans les autres pays d'Europe. Au XVIIIème siècle, la Cour de France est l'arbitre de toutes les tendances. Et l'on peut tout de suite repérer si un vêtement est français ou pas car les étrangers se perdent parfois dans les multiples règles imposées. En Italie, par exemple, les hommes arboraient des Par Pamela Golbin . 14 . . 15 . Chapitre 2 - L’ élégance française ou l’Art de la distinction... couleurs, le rouge notamment, que les français ne portaient jamais. À Versailles, certaines combinaisons de matières étaient également prohibées. Au fil des siècles, ces codes de bienséance vont s'alléger mais resteront toujours présents. très codifiée avec différentes tenues, selon les moments et les circonstances. Cette mode a immédiatement été appréciée par les américaines, toujours en quête d'un guide. C'est aux Etats-Unis que sont nés les conseillers du style et ce n'est pas un hasard ! C'est avec Charles Frederick Worth que tout change... Il va, en tout cas, faire largement évoluer les choses. Worth est anglais, il se considère comme un artiste et compte bien imposer sa vision de la mode. Quand il arrive à Paris, au milieu du XIX ème siècle, les françaises sont totalement déboussolées par les vêtements qu'il propose et qu’il signe de sa propre griffe. Lorsqu'elles se rendaient chez leur couturier, elles avaient l'habitude de tout choisir : le tissu, la coupe, le coloris... Et elles avaient pour cela un véritable talent, une connaissance intime du vêtement comme de leur propre corps. Elles savaient exactement ce qui leur allait et détestaient que quelqu'un leur impose sa vision du vêtement. Les anglosaxonnes, en revanche, ont accueilli la proposition de Worth avec beaucoup d'enthousiasme, elles ont tout de suite adoré être guidées, conseillées. Quelques années plus tard, Paul Poiret (qui avait travaillé avec Worth), racontera avec humour la visite d'une française dans son atelier. Il explique que lorsqu'il proposait du vert, elle suggérait du bleu. Il voulait un nœud, elle choisissait une fleur. Quoiqu'il décide, elle modifiait toujours le vêtement ! Les américaines, en revanche, s'extasiaient et l'achetaient tel quel. Cette différence culturelle vient tout droit de l'histoire, du mode de vie à Versailles. Pour la française et depuis le XVIIème siècle, le vêtement est instrument de distinction. Elle exprime ses qualités par la façon dont elle se présente. Restriction oblige, la guerre a été un moment de grande création pour les femmes... Durant cette période, extrêmement difficile, l'imagination a pris le pouvoir. Les femmes ont créé des vêtements insensés avec les coupons de tissus qui leur étaient donnés. Elles ont également fait des miracles en récupérant les pyjamas de leurs maris ! En observant ces créations, on se rend compte que les françaises avaient une vraie science du vêtement. Il faut dire aussi qu'il n'y avait pas encore, à l'époque, d'industrie du prêt-àporter. Les femmes avaient alors trois possibilités pour s'habiller. Les plus riches allaient chez un grand couturier, les bourgeoises chez la couturière de leur quartier tandis que les plus pauvres cousaient elles-mêmes leurs garde-robe en achetant des patrons. Toutes avaient une connaissance très fine des coupes, des tissus. Et si elles s'inspiraient des magazines de mode, elles avaient à cœur de créer des vêtements très personnels. Worth transformera tout de même les habitudes... Il connaîtra un certain succès parce qu'il apprendra à jouer avec l'une des composantes-clé de la mode française : le respect de l'étiquette. C'est lui qui va mettre en place les codes de la garde-robe bourgeoise : cinq à six tenues par jour au minimum, sans oublier les chaussures, les gants, la bourse, le chapeau... Après la guerre, Christian Dior reviendra à une mode Une sorte de fierté... Être bien habillée, c'est affirmer que l'on sait se mettre en valeur et tenir son rang. C'est également la recherche d'un plaisir que l'on poursuit à travers la cuisine, l'art de vivre. Le plaisir est une notion extrêmement importante au sein de la société française et elle symbolise un équilibre, une harmonie. L'élégance aussi est une question d'équilibre. De plus, elle . 16 . . 17 . Worth va mettre en place les codes de la garde-robe bourgeoise : cinq à six tenues par jour au minimum. Chapitre 2 - L’ élégance française ou l’Art de la distinction... est intemporelle et ne s'acquiert pas. Il ne suffit pas de s'offrir des vêtements somptueux pour être élégant ! Cela impose une culture, une connaissance intime de son corps et de ses métamorphoses. Une femme élégante ne s'habille pas à trente ans comme à cinquante. Certains couturiers ont-ils plus particulièrement revendiqué cette forme d'élégance ? Après la guerre, Dior va beaucoup théoriser sur cette notion tout en précisant qu'il n'y a pas de formule. C'est un mythe, un mystère. Comme le parfum qui passe, magnifique mais éphémère et impossible à saisir. Christian Dior a aussi parlé de l'élégance française à un moment où nous exportions beaucoup. Il fallait promouvoir notre mode à l'étranger et c'était une belle façon de la définir et de la faire aimer. Même si l'exercice était assez facile. La création française a toujours été enviée, convoitée, et elle le reste d'ailleurs, même si nous n'avons plus le même monopole. Quand la France a-t-elle perdu ce monopole ? Après la guerre, les acheteurs américains qui se rendaient à Paris ont commencé à prolonger leur séjour en Europe en passant par l’Italie. Profitant de l’aubaine, les italiens ont mis sur le marché des vêtements s’inspirant largement des créations françaises, souvent moins chers et livrés plus rapidement. C'est à cette époque qu’est réellement née la mode italienne. Dans le même temps, le prêt-à-porter a commencé à se développer aux États-Unis. Aujourd'hui encore, la mode internationale tourne autour de ces trois planètes, avec une répartition précise des rôles pour chacune. New York est reconnu pour ses produits, l'Italie pour son industrie, la France pour sa créativité. Mais l'élégance française reste l'objectif à atteindre, le Saint Graal. Les anglo-saxons, les asiatiques essaient toujours de la décortiquer, d'identifier les éléments qui la composent, sans jamais y parvenir puisqu'elle est intimement liée à la femme, aux désirs qui l'animent. Notre élégance est une alliance subtile, entre la créativité du couturier et celle de la femme qui porte le vêtement. . 18 . Et pourtant, les couturiers qui ont fait notre mode ne sont pas forcément français... Elsa Schiaparelli était italienne, Cristobal Balenciaga espagnol. Aujourd'hui, il y a Karl Lagerfeld, Alber Elbaz... Ce n'est pas une question nationaliste, cela montre au contraire le côté universel du langage de la mode. Cela n'a rien à voir avec la France comme nation mais avec la France comme culture. Ce qui fait le dynamisme de la mode française, c'est qu'elle n'est pas consanguine. Y a-t-il des pièces emblématiques de l'élégance française ? Ce sont les basiques de la garde robe contemporaine : la petite robe noire de Gabrielle Chanel, le smoking d’Yves Saint Laurent... Mais encore une fois, il ne suffit pas de posséder ces pièces dans sa garde-robe pour être élégant. Comme avec une recette de cuisine, on peut disposer de tous les ingrédients et réaliser un plat sans saveur. Mais il est vrai que toutes ces pièces iconiques ont été créées en France. Le maillot de bain deux pièces, imaginé par Louis Réard en 1946, est également français, même s'il a été lancé à Hollywood. Une seule exception, les vêtements de sport notamment ceux d'équitation qui sont anglais. Chez les jeunes générations, la mode est plus que jamais ! au coeur des préoccupations Et il n’y a pas que les filles, les garçons aussi ! Cette création a-t-elle joué un rôle dans l’art ? Depuis le XIX ème se sont nouées des relations entre les artistes et la mode. Les couturiers habillaient déjà les stars qui, à l'époque, étaient les acteurs de théâtre. Réjane était habillée par Paul Poiret. Sarah Bernhardt par Doucet et Paul Poiret. Chaque couturier avait sa vedette qui jouait un rôle de porteparole. Il y avait aussi les “ jockey ”, des femmes du monde qui faisaient . 19 . Chapitre 2 - L’ élégance française ou l’Art de la distinction... la promotion d'une maison de couture et étaient habillées gratuitement en contrepartie. Tout cela a également participé au rayonnement de la création française. L'élégance est elle toujours une valeur forte ? Chez les jeunes générations, la mode est -plus que jamais !- au cœur des préoccupations. Et le désir reste le même : partir à la recherche de son identité, la sienne et celle de sa tribu. Les filles de 15 ans ont un grand appétit de mode mais aussi un œil très exercé. Elles renouvellent la notion d'élégance en y introduisant de nouveaux codes, de nouvelles inspirations liées à la musique, au cinéma... Et il n'y a pas que les filles, les garçons aussi ! Dans les années 80-90, leur style était très lié à la musique. Aujourd'hui, je suis sidérée devant leur allure ultra-recherchée : le vestiaire mais aussi la coiffure, les accessoires. Les garçons maîtrisent l'art du vêtement et ils ont un réel intérêt pour ce mode d'expression. La mode à petit prix a aussi transformé les choses. Il est plus facile de se chercher, d'expérimenter, quitte à commettre des erreurs. Aujourd'hui, seul le mot a changé. On ne parle plus d'élégance mais de style. L'élégance aujourd'hui, c'est le style. . 20 . pamELa GOLbin en daTEs et en mOTs Conservateur en chef mode et textile aux Arts Décoratifs, Pamela Golbin a été commissaire de nombreuses expositions, dont “ Elsa Schiaparelli ”, “ Balenciaga, Paris ” et “ Madeleine Vionnet, puriste de la mode ”. . 21 . Chapitre 3 paris en mode CapiTaLE C’est à Paris, en 1858, que s'est déroulé le premier défilé au monde. Un siècle et demi plus tard, la ville a gardé intact son pouvoir d’attraction et reste le fief incontesté de la mode. Une place due à son histoire mais aussi à sa capacité à se réinventer sans cesse. Comment a-t-elle gagné ses lettres de noblesse ? Que doit-elle faire pour conserver cette suprématie ? Explications avec Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po Paris, en charge d’un enseignement sur la mode et le luxe. On parle d'une mode française mais ne devrions-nous pas plutôt évoquer une mode parisienne ? Comme le disait Balzac, Paris est “ le foyer même de toutes les élégances ”. L'une des forces de la mode française demeure, en effet, la place très particulière de Paris. Le dynamisme, l'attractivité de la scène parisienne explique qu'aujourd'hui encore, malgré les hauts et les bas de l'industrie française, malgré la montée en puissance d’autres capitales comme Londres, New York ou Milan, Paris demeure la référence, la ville qui impose les tendances, le changement, la modernité. Et ce regard qui va bien au-delà de la mode, englobe aussi la joaillerie ou l’industrie de la beauté. Cette influence s’est établie au XVIIIème siècle, époque durant laquelle l'aristocratie française est devenue une référence et a commencé à dicter sa loi sur les autres cours européennes. La suprématie a perduré au XIXème, et notamment sous le Second Empire. Souvenez-vous. Napoléon III souhaite alors “ faire briller Paris de mille feux ”. Pour cela, il faut donner des bals et, pour ces bals, il faut de belles robes, qui sortent de l'ordinaire et qui éblouissent. Et c’est à ce moment, en 1858 exactement, que Charles Frederick Worth fonde une maison de haute couture. Sur ce modèle et en quelques années seulement, des dizaines de maisons voient le jour. C’est à cette période que sont créées certaines marques comme Goyard ou Vuitton et que d’autres, comme Cartier, Guerlain ou Hermès ont prospéré. L’une des forces de la mode française demeure la place très particulière de Paris. Quelle place occupe désormais la ville, face à Londres ou Milan ? La créativité de ces capitales exerce bien sûr une grande stimulation sur le plan international. Dès les années 80, des créateurs comme Giorgio Armani, Gianni Versace, Franco Moschino, Dolce & Gabbana, et, à partir de 1994, Gucci par Tom Ford, ont permis à Milan d’entrer en compétition avec Paris. Ces maisons ont tiré parti d'un tissu industriel italien extrêmement fort et structuré, ce qui leur a permis de monter en puissance en termes de produits et de s'imposer dans le Par Serge Carreira . 22 . . 23 . Chapitre 3 - Paris en mode capitale monde entier, notamment aux Etats-Unis, premier marché à l'époque. Dans les années 90, Londres, à son tour, a vu l'éclosion d'une nouvelle génération de créateurs issue de la fameuse Central Saint Martins : John Galliano, Stella Mc Cartney, Alexander McQueen... Tous dans le sillage de Vivienne Westwood, l’une des premières grandes anglaises à exister sur la scène internationale de la mode et qui présente ses collections à… Paris ! Face à cette concurrence, la ville a su maintenir son rang en accueillant de nouvelles générations de créateurs qui se démarquaient d'une haute-couture un peu sclérosée, un peu “ vieillote ” et qui offraient une nouvelle façon de penser la mode, plus jeune, plus moderne, plus radicale. Dès les années 60/70, André Courrèges, Sonia Rykiel, Thierry Mugler, Claude Montana, Jean-Paul Gaultier, Jean-Charles de Castelbajac se sont imposés. La décennie suivante fut marquée par Azzedine Alaïa et par “ l'école japonaise ” représentée par Kenzo Takada, Yohji Yamamoto, Issey Miyake et Rei Kawakubo en tête. Ce fut ensuite le tour des créateurs belges comme Dries van Noten, Martin Margiela ou Ann Demeulemeester ainsi que des tenants du minimalisme 90’s comme Helmut Lang. C'est grâce à la vivacité et aux regards nouveaux de ces créateurs que Paris a su conserver sa place. La preuve ? Après s'être construit une notoriété à Londres, Anvers ou New York, les créateurs étrangers continuent de venir à Paris renforcer leur aura et aiguiser leur créativité. Aujourd'hui comme hier, si vous êtes connu à Londres, c'est formidable mais vous resterez connu dans le monde anglo-saxon uniquement. Si vous voulez jouir d’un vrai rayonnement international, d’une vraie légitimité en terme de création, Paris demeure le passage obligé. Seul bémol, la mode masculine pour laquelle Milan a su s’imposer. Néanmoins, les vraies révolutions, comme celle d’Hedi Slimane pour Dior Homme, viennent de Paris. Paris a longtemps été la capitale de l'avant-garde. Est-ce encore vrai ? Donnet-elle toujours le LA ? Paris donne le LA parce qu'elle est avant-gardiste. C'est l'unique scène qui offre une telle créativité, où toutes les choses sont possibles, où tout est pris au sérieux. Prenez le duo de créateurs néerlandais Viktor & Rolf. C'est à Paris qu'ils ont choisi de présenter leurs créations ultra-conceptuelles, leur approche totalement décalée. Leur défilé “ On Strike ” (en mars 1996, ils n'ont pas présenté de collection et ont juste envoyé un poster annonçant qu’ils étaient en grève) n'aurait jamais eu un tel écho à Londres ou à Milan. Paris est la seule ville qui offre une telle liberté, la possibilité d'expérimenter des approches radicales. Même chose avec Hussein Chalayan ou Alexander McQueen, qui sont venus perpétuer ici cette tradition de modernité, d’innovation et de recherches. Paris continue d'être le lieu d'expression de l'avant-garde et c'est le cas, notamment, durant les périodes de défilés. Car la ville offre un nombre incroyable de lieux très différents, du plus confidentiel (comme l’ambassade de Roumanie où Boudicca avait présenté sa collection en 2007 dans une ambiance incroyable, quasi-draculesque) au plus prestigieux (comme Chanel au Grand Palais ou Dior au Musée Rodin). Chaque maison trouve là un écrin unique pour mettre en scène sa création et se faire connaître de la presse et des acheteurs internationaux. Bref, pour transmettre leur message et construire leur identité. . 24 . . 25 . Après s’être construit une notoriété à Londres, Anvers ou New York, les créateurs étrangers continuent de venir à Paris renforcer leur aura et aiguiser leur créativité. Les années 2000 ont tout de même montré une certaine fragilité de la place parisienne... Sa suprématie a, en effet, été contestée, notamment face à New York qui connaissait un nouvel élan avec des créateurs comme Proenza Schouler, Derek Lam, les sœurs Rodarte, Alexander Wang ou Zac Posen qui ont su changer la perception de la mode américaine, sur les traces notamment de Marc Jacobs. Il est vrai que la nouvelle génération de créateurs parisiens ne bénéficiait pas, alors, d'une reconnaissance à la hauteur de leur talent, notamment de la part des acheteurs, des grands magasins et de la presse. De plus, la montée en puissance des grandes maisons parisiennes a pu en lasser certains qui considéraient que Paris devenait trop sage. Face à cette situation, Paris a su regagner le terrain perdu en donnant une plus grande visibilité aux nouveaux acteurs. Cela est passé Chapitre 3 - Paris en mode capitale par des actions très concrètes comme l'intégration de nouveaux créateurs dans les calendriers de la couture. Anne-Valérie Hash, Felipe Oliveira Baptista en sont de parfaits exemples. En présentant leurs collections en dehors du prêt-àporter, ces créateurs ont pu acquérir une visibilité plus importante. Et cela a suscité une prise de conscience internationale : il se passe toujours des choses à Paris ! Une porte ouverte qui a porté ses fruits avec l'éclosion d'une nouvelle génération incarnée par Bouchra Jarrar, Alexandre Vauthier ou Maxime Simoens. Y a-t-il une définition de la mode parisienne ? Sa force, c'est d'être profondément ancrée dans un héritage unique avec un goût, une recherche quasi-obsessionnelle de l'élégance et, en même temps, une volonté de bousculer les choses, de ne pas rester figé dans le passé. De porter l'héritage et d'être tourné vers l'avenir. C'est, je pense, le point commun de tous les créateurs qui travaillent à Paris. Chacun fait avec son style mais tous partagent cette démarche. Tous s’inscrivent dans l'héritage, ce qui est très particulier à la France. Il y a une conscience du passé. Jean-Louis Dumas avait cette très belle phrase “ le passé, c'est ce qui empêche le futur d'être n'importe quoi ”. La couture, l'histoire, peut être écrasante mais elle est aussi extrêmement stimulante. L'idée n'est pas de la reprendre mais de la transfigurer, de la dépasser et de réussir à imaginer une certaine idée de l'élégance aujourd'hui, inscrite dans l'époque. Les créateurs ne pensent pas seulement à ce qui est à la mode, même s'ils souhaitent traduire l'air du temps dans leur silhouette. Ils pensent à ce qui est dans l'air du temps et élégant. Même les créateurs étrangers qui défilent à Paris partagent cet état d’esprit. d'une femme libre et active mais ce n'est pas elle qui a mis les femmes au travail. En les accompagnant, en illustrant leurs désirs, elle leur a mis à disposition des codes pour s'affirmer. La mode peut être révolutionnaire lorsqu'elle joue sur la provocation, sur l'opposition par rapport aux codes et aux normes. En même temps, elle accompagne un mouvement plus qu'elle ne le déclenche. Mais elle l'amplifie si elle tombe juste. Dans ce registre, Paris continue d'être un laboratoire, même si la ville est de plus en plus marquée par des maisons très prestigieuses qui privilégient un travail de stylisme, en puisant sans cesse dans leurs propres codes. Ces maisons cèdent, parfois, à la facilité, surtout dans une période de crise où on veut limiter les risques. Toutefois, certains créateurs choisissent d'aller au-delà. Riccardo Tisci chez Givenchy ou Raf Simons, arrivent, remarquablement, à faire la synthèse de ce qui se passe en intégrant des recherches techniques sur les tissus, en puisant dans cette volonté d'aller à l'essentiel. La mode, c'est aussi l'expression de l'époque. Tombe-t-elle juste à Paris plus qu'ailleurs ? C'est là toute la difficulté ! Il y a beaucoup de gens très talentueux mais qui sentent les choses trop tôt ou trop tard. La mode a ceci d'exigeant que l'on ne peut être reconnu que si l'on s’inscrit dans son époque et que l'on sait, en même temps, la bousculer. C'est toujours un jeu très subtil. La mode amplifie les mouvements sociaux mais elle ne les crée pas. Chanel a imaginé le vestiaire Cette création est aujourd'hui largement enrichie par des étrangers... C'est sans doute lié au syndrome français de regarder toujours ailleurs plutôt que chez soi. Il y a de jeunes créateurs parisiens de grand talent, formés dans des écoles de qualité. L'école de la chambre syndicale demeure une référence en matière de savoir-faire technique. Le Studio Berçot ou l’Atelier Chardon Savard restent des lieux ultra-créatifs. Des étudiants français vont également se former dans des écoles hors de nos frontières : La Cambre, l’Académie d’Anvers, la Central Saint Martins, le FIT ou la Parsons School… Mais il faut aussi rappeler que les écoles parisiennes accueillent aussi de nombreux étudiants étrangers qui viennent là pour capter cette spécificité française, l'esprit français. Dès l'origine de la couture, les créateurs n'étaient pas seulement français et c'est le grand atout de Paris d'avoir toujours été un rendez-vous, une scène, plutôt que l'expression d'une création purement française. Ce qui est spécifiquement français, c'est une obsession du goût, de la beauté, de la culture, et cette façon de savoir marier tous ces éléments pour créer quelque chose de résolument nouveau. La Galerie des Glaces n'aurait jamais existé si des maîtres-verriers vénitiens n'étaient pas venus travailler en France. Et c'est aussi l'héritage français que d'avoir toujours été un creuset d’innovation au service de la créativité. . 26 . . 27 . Chapitre 3 - Paris en mode capitale La mode française est aujourd'hui largement dominée par les grands groupes. Quelle incidence sur la créativité ? Il faut adopter une approche non doctrinaire par rapport à ces groupes. Le développement de ces marques puissantes, que j’appelle “ hyperbrands ”, a fait de l'ombre et réduit le champ d'expression des jeunes créateurs. Ces nouveaux talents ne sont, pour autant, pas moins nombreux, ni moins doués qu’avant. Mais, de fait, ils disposent de moins d'espace pour s'exprimer. En revanche, ces groupes ont fortement contribué, à la fois, au rayonnement de la mode française et à l'attractivité de Paris. De plus, au-delà des démarches commerciales, ces marques ont aussi des démarches créatives et offrent de vraies surprises. On parle des grandes maisons mais il existe aussi de multiples créateurs français qui participent à faire aimer la mode... Les marques de prêt-à-porter sont essentielles pour le rayonnement de la mode française. Baignant dans l'effervescence créative parisienne, elles sont très au fait de l'avant-garde, des tendances du moment et offrent une image de la “ parisienne ” très attirante pour une new yorkaise ou une londonienne. L’image de la parisienne est fortement ancrée dans l’imaginaire des femmes du monde entier. Rousseau n’observait-il pas que “ Les Parisiennes s’habillent si bien, du moins elles en ont tellement la réputation, qu’elles servent, en cela comme en tout, de modèle au reste du monde ”. Deux siècles plus tard, c’est Nancy Mitford qui constatait, dans son recueil “ Une anglaise à Paris ” : “ À Paris, s’habiller ne relève pas de l’artisanat, c’est un art, un art difficile et coûteux ; les Parisiennes ne sont pas des paysannes mais les habitantes de la ville la plus civilisée du monde ”. Si ces affirmations sont, de nos jours, un peu excessives, il n’en demeure pas moins que l'image de l'élégance française reste la référence absolue. Les marques de L’image de l’élégance française reste la référence absolue. Les marques de prêt-à-porter contribuent à la mettre au goût du jour, à l’adapter à l’époque. . 28 . prêt-à-porter contribuent à la mettre au goût du jour, à l’adapter à l'époque. Avec une forme plus décontractée et plus appropriable. La mode française reste donc très vivace. Qu'en est-il de l'artisanat ? Tout dépend de la démarche des maisons. Pour Chanel ou Hermès, l'artisanat français est intrinsèquement lié à leur identité. On imagine mal de la maroquinerie Hermès ou un tailleur Chanel sans le label “ Made in France ” ! Renoncer à cela aurait certainement un impact négatif sur les produits de ces maisons. Pour le reste, le secteur industriel français a toujours été éloigné des créatifs, contrairement à ce qui se passe en Italie. Certains industriels italiens sont même devenus des marques comme Etro ou Missoni. Dans notre pays, on est longtemps resté dans un certain climat de suspicion, avec les créateurs d'un côté et les industriels de l'autre. Il existe, aujourd'hui, une prise de conscience de ce besoin de façon française mais les liens tardent à se mettre en place. La Charte des façonniers signée l'an passé n'a pas vraiment comblé le fossé pour le moment. C'est avant tout une question d'état d'esprit. La mode n'est plus diffusée dans le cercle très restreint de quelques privilégiés qui ont la chance d’assister aux défilés. Que doit faire la France pour rester au premier plan ? Elle doit continuer à être un laboratoire. Elle doit continuer à être ouverte. Pour cela, il faut une mobilisation de tous les acteurs du secteur : la presse, les organisations professionnelles, les grands magasins... Tous doivent s’engager pour promouvoir la relève. On est aujourd'hui dans un monde plus frileux mais il faut sortir de cette opposition commercial / création. Si Vuitton est Vuitton, si Chanel est Chanel, c'est parce que ces marques sont aussi éminemment créatives et c'est cette créativité qui est la clé de leur attrait, de leur succès et de leur prospérité. Christian Dior définissait, d’ailleurs, la mode ainsi : “ Comme sa raison profonde est le désir de plaire et d’attirer, son attrait ne peut . 29 . Chapitre 3 - Paris en mode capitale naître de l’uniformité, mère de l’ennui ”. C'est vrai également pour les enseignes de grande diffusion comme H&M qui ne doit pas son succès à son seul prix. Le talent d'H&M n'est pas de vendre un tee-shirt pas cher mais de vendre un “ beau ” tee-shirt pas cher. Créatif ou commercial, cette contradiction n'a plus de réalité. Aujourd'hui, les consommateurs recherchent une certaine authenticité, une certaine valeur et la créativité est une valeur forte. Vous accordez aussi un grand rôle aux grands magasins parisiens... Nous sommes, désormais, face à un public connaisseur, ultra-informé, au fait de toutes les tendances, de toutes les collections. La mode n'est plus diffusée dans le cercle très restreint de quelques privilégiés qui ont la chance d’assister aux défilés. Tout le monde les voit, les images circulent. Il est impératif de répondre, aujourd'hui, à ce goût pour la créativité et les grands magasins peuvent jouer un rôle essentiel.Une jeune marque n'a pas de grande visibilité et seuls les grands magasins peuvent l'aider à se faire connaître, à Paris comme à l'étranger. Ils ont d'ailleurs tout à y gagner car ils peaufineront ainsi leur identité et cultiveront leur différence. La démarche du Printemps avec son espace Maria Luisa est, à ce titre, intéressante. Ceci est d'autant plus vrai que les investisseurs sont timorés. Ils préfèrent miser sur le patrimoine d'une ancienne maison, même endormie, plutôt que de donner sa chance à un jeune créateur. On parle, par exemple, beaucoup du talent de Guillaume Henry qui a su ressusciter Carven. Guillaume Henry est formidable mais il a été révélé au public par Carven et pas sous son propre nom ! Or, pour garder son rang, la mode française se doit d'être audacieuse et, plus que jamais, revendiquer sa créativité. . 30 . sErGE CarrEira en daTEs et en mOTs Diplômé de Sciences Po Paris, Serge Carreira découvre le monde de la mode lors de stages aux Galeries Lafayette et chez Barney's à New York. Il entre aux Galeries Lafayette en 2001 avant de rejoindre une maison italienne en 2005. Depuis 2004, il est maître de conférences à Sciences Po Paris, en charge d'un enseignement sur la mode et le luxe. . 31 . La frEnCH TOUCH vue par ... . 32 . illustratiOn Guy laroche pour Madame Figaro 1986, René Gruau LA DÉFINITION DE LA FRENCH TOUCH C'EST QUELQUE CHOSE DE RARE, COMME UNE INVISIBLE PERFECTION. UNE RENCONTRE ENTRE DEUX MATIÈRES NOBLES, LA PEAU ET LE TISSU, QUI TEND PLUS VERS LA SÉDUCTION QUE LE PARAÎTRE. UNE ICÔNE : TOUTES CELLES AUXQUELLES JE FAIS RÉFÉRENCE SONT AVANT TOUT DES FEMMES ENGAGÉES DONT LES CODES VESTIMENTAIRES ONT ÉTÉ OU SONT LE REFLET DE LEUR LIBERTÉ D'EXPRESSION. SIMONE SIGNORET, ARLETTY, CATHERINE DENEUVE … maryLinE bELLiEUd-ViGOUrOUx POrtrait de Catherine Deneuve, Queens, NY City 13 décembre 1961, Bruce Hopkins © Bettmann/Corbis “La French Touch n'est pas liée à l'origine, ni à une revendication identitaire, encore moins à un pathétique cocorico, elle trouve sa vérité la plus sensible, du côté de ceux qui n'ont pas grandi dans l'hexagone.” . 36 . La French Touch m'évoque des jeunes filles en fleurs chères à Dior, un soulier de Christian Louboutin, un macaron de Pierre Hermé, les Enfants du Paradis, Arletty dans Fric Frac, Catherine Deneuve et Françoise Dorléac dans “les Demoiselles de Rochefort”, mais également la “Guerre est déclarée” une impertinence qui fait sens, ce mélange de drame et de fantaisie qui a toujours caractérisé l'esprit français, cet art de la pointe, ce cosmopolitisme vif argent que Voltaire, Montesquieu, Maupassant, Proust et Morand ont magnifié à l'extrême. Nous nous posons souvent la question au magazine : Comment être le plus frenchy des magazines internationaux, et le plus international des magazines français? La French Touch, c'est je crois toujours douter, être sur le fil, ne jamais s'endormir. Il reste que l'expression “French Touch”, ainsi exprimée en 2011 révèle sous son côté guilleret, un malaise, car c'est en anglais que cette “touche française” semble trouver sa légitimité, comme si l'adjectif et le mot contenaient les peurs et les doutes que nous vivons au jour le jour, là où “l'identité nationale”, confisquée par l'extrême droite, comme le concept de “France mosaïque” dont se targuent les progressistes bien pensants et hors de la réalité, semblent réduire la “French Touch” à un caprice, une petite cerise posée sur le gâteau introuvable, par une poignée d'esthètes attardés. La French Touch n'est pas liée à l'origine, ni à une revendication identitaire, encore moins à un pathétique cocorico, elle trouve sa vérité la plus sensible, du côté de ceux qui n'ont pas grandi dans l'hexagone. C'est en rêvant de la “French Touch” qu'un Karl Lagerfeld, un Alber Elbaz, un Marc Jacobs ou un Haider Hackerman, subliment à travers leur métier cette “French Touch”, qu'il n'appartient à personne je crois de cloisonner dans un territoire autre que celui de l'imaginaire et de la fantaisie. Si je devais garder une image de la French Touch, ce serait une scène extraite de la “Règle du Jeu”, de Jean Renoir, réalisé à la veille de la seconde guerre mondiale. LaUrEnCE bEnaïm UNE FORME “D’EASY CHIC”, UNE FAÇON UNIQUE DE MÉLANGER LES STYLES POUR COMPOSER LE SIEN ET S’Y SENTIR À L’AISE. C’EST UNE MODE PRAGMATIQUE, SYMBOLE D’ UNE FEMME ACTIVE QUI JONGLE ENTRE PLUSIEURS VIES AVEC SON JOB, SES ENFANTS, SA BANDE D’AMIS. SON VESTIAIRE S’ADAPTE À SON RYTHME, À SON TEMPO MAIS IL NE TRANSIGE PAS SUR UNE CHOSE : LE GOÛT DE L’EXCELLENCE, DES MATIÈRES, DES COUPES, DU STYLE. . 38 . barbara bOCCara & sHarOn KriEf Le chic français, c'est s'habiller sans montrer qu'on a fait un effort. C'est avoir du goût comme malgré soi, comme si on n'y accordait pas une importance extrême. En France, l'intellect prime sur l'apparence. Dans la tenue, il faut que cela se voie. JEan paUL CaUVin PHOtOGraPHiE de audrey Hepburn en Givenchy, April 15, 1963, Bert Stern© Condé Nast Archive/Corbis Elle se remarque dans la rue, La “new French Touch” c'est la nonchalance, et ne pas craindre de laisser une émotion affleurer. JULiEn fOUrniÉ les étrangers nous l’envient, elle est faite de mélanges, ne se soucie pas d’avoir l’air luxueux mais élégant, sans posture elle préfère la désinvolture, la tendance c’est elle qui la lance avec toujours un peu de tradition mais en fuyant la convention : c’est la “ French Touch ” ignorée des françaises elles-mêmes qui semblent toujours à l’aise. PHOtOGraPHiE “Moody silhouetted woman Paris standing in trocadero looking toward Eiffel tower” Paris - 18 mai 1927, H. Armstrong Roberts, © H. Armstrong Roberts/ClassicStock/Corbis inEs dE La frEssanGE . 41 . C'est pour moi une image. J’adore l’esprit de la femme française. Je suis très consciente de la touche parisienne en particulier. C'est une forme de féminité à part la “ French Touch”. Brigitte Bardot, la femme la plus libre au monde, allongée sur le capot d'un coupé, en jupette et ballerines Elle donne la part belle à la liberté, à l’insouciance, à l’impertinence. rouges carmin Repetto (commande C’est une allure et un état d’esprit. La parisienne aime le raffinement. Elle ne suit pas les tendances, elle suit son instinct. Tout est une question de maintient, de sophistication. spéciale faite à Rose). Tout y était. La grâce, la féminité, l'élégance, la liberté ! JEan-marC GaUCHEr C’est l’art de la simplicité apparente, mais aucun détail ne s’improvise. Cet art de la simplicité, c’est la sophistication ultime, la chose au monde la plus difficile à mettre en scène. annE-VaLÉriE HasH visuEl : DéFilé saison P/E 2012, anne valérie Hash, © Dan Lecca La formule est un pléonasme ! La mode est forcément française, tout vient de la France, au moins de Paris. Il y a, dans la capitale, une magie, une euphorie, une ambiance unique et c'est cela que le monde entier vient goûter ici. La preuve ? J'avais ouvert une boutique il y a quelques années chez Saks à New York mais ça n'a pas marché. Mes clientes américaines veulent venir à Paris. Elles ont l'impression de saisir ici une part de l'esprit français. Pour elles, une robe Givenchy n'a pas la même valeur si elle est achetée à New York ou dans les jardins du Palais Royal... didiEr LUdOT "a woman models a black lace evening dress by lanvin", 1946 - Paris, Genevieve Naylor, © Genevieve Naylor/Corbis . 45 . “La French Touch, c'est le parfait équilibre entre élégance classique discrète et goût de l'avant-garde” La recherche de la perfection, le sens du détail juste qui fait de la Parisienne le modèle des femmes élégantes. françOisE mOnTEnay JEan-piErrE mOCHO illustratiOn pour la Maison Chanel 1970, René Gruau . 46 . AUJOURD'HUI, LE VESTIAIRE EST LE MÊME OU PRESQUE PARTOUT DANS LE MONDE MAIS LE VÊTEMENT FRANÇAIS CONSERVE SA SINGULARITÉ. IL RESTE LE PLUS VIBRANT, ON LE RECONNAÎT PARCE QU'IL PIMENTE UNE ALLURE, IL AUTORISE UNE AUTRE FAÇON DE S'HABILLER. IL DONNE DAVANTAGE D'ESPRIT PARCE QU'IL POSSÈDE CE PETIT QUELQUE CHOSE EN PLUS... QU'ON APPELLE LA MODE. JEan-JaCqUEs piCarT illustratiOn Femme rayée “ Couverture d'international textiles 1954 ”, René Gruau La French Touch correspond à cette fantaisie et à cette audace des françaises qui savent toujours oser et doser les mélanges, qui refusent d'adopter les tendances à la lettre en préférant les adapter au gré de leur humeur. Une désinvolture élégante en quelque sorte ! CHanTaL THOmass . 49 . illustratiOn Femme rayée “ Couverture d'international textiles 1954 ”, René Gruau Chapitre 4 La mOdE, des pOdiUms à la rUE L’une des particularités de la mode française est d’avoir toujours su exprimer les désirs et les passions de son temps. De Chanel à Saint Laurent, de Rykiel à Gaultier, focus sur une mode qui a toujours joué les porte-paroles avec Pascal Monfort, enseignant à l'institut supérieur européen de la mode. La mode française a toujours flairé l'air du temps… Absolument. Et cette formule est d'ailleurs utilisée dans le monde entier. L'air du temps... Ca ressemble un peu à la météo. Ce sont tous les ingrédients qui constituent un moment, une société. Des ingrédients qui vont s'entrechoquer, s'auto-influencer pour faire non pas LA mode mais une mode plurielle. Nous ne sommes plus aujourd’hui à l'heure de ce goût unique qui a disparu avec l'aristocratie. Avant la révolution, il n'y avait qu'un style, celui du roi qui imposait son “ bon goût ” et que la bonne société s'empressait de copier (style Louis XV, Louis XVI…). Après la révolution, on observe déjà les prémisses de cet éclatement avec les Incroyables et leurs comparses, les Merveilleuses, cette jeunesse dorée qui joue les trouble-fête au lendemain de la révolution et s'amuse à s'enlaidir pour afficher sa révolte. L'attitude est extrême mais elle illustre un comportement propre aux français qui ont toujours cherché à exprimer leurs sentiments à travers le vêtement. Il y a des pays où le vestiaire reste le même, quelle que soit l'époque. Prenez les espagnols, ils adorent les couleurs fortes et s'habillent de façon très colorée, même au cœur de la crise. Les français ont une sorte de volonté “ caméléonesque ” de montrer tout de suite ce qui va ou ne va pas. Les existentialistes, très tôt, se sont habillés en noir pour souligner leur côté mélancolique. Toutes les “ cultures jeunes ” françaises vont s'exprimer avec un look qui affiche non seulement leurs revendications mais aussi les grandes tendances de l'époque. Il y a des pays où le vestiaire reste le même, quelle que soit l’époque. Cette tradition, purement hexagonale, a connu son heure de gloire avec Chanel… Chanel est formidable. Son style colle à l'air du temps mais elle a toujours eu un coup d'avance, ce qui s’explique en partie par son histoire. Gabrielle Chanel ne vient pas du sérail attendu pour frayer dans le milieu de l’aristocratie. Elle a eu une enfance pauvre mais elle a réussi à se hisser dans la haute société grâce Par Pascal Monfort . 50 . . 51 . Chapitre 4 - La mode, des podiums à la rue à son énergie, son sens de l'observation. À juste distance, elle dissèque tout : les jalousies, les rivalités, le carcan des conventions…. Elle est loin de ces codes mais elle en saisit l’importance, pour mieux en jouer. Quand elle imagine la silhouette d'une femme avec un pantalon, elle a 50 ans d'avance. Quand elle accompagne les femmes riches qui fuient la guerre à Deauville et qu’elle porte un tailleur pantalon, elle bouleverse tout. Avec cette silhouette à jamais intemporelle, elle installe bon nombre des signes iconiques de la mode française. Quand elle ajoute à ses vestes des éléments fonctionnels, de petites poches pour mettre les clés de la voiture, elle donne concrètement les images de l'émancipation. Ajouter une poche à un tailleur jupe est une forme de revendication. Libres de leurs corps, les femmes peuvent plus facilement exercer une activité, et pas seulement le shopping. C'est une révolution par le jupon. Libres de leurs corps, les femmes peuvent plus facilement exercer une activité, et pas seulement le shopping. C’est une révolution par le jupon. La mode française a connu de multiples exemples de cette révolution par le jupon... Au lendemain de la guerre, il y a incontestablement eu une “ vague Dior ” avec le fameux New Look. La mini jupe, ensuite, fut une absolue révolution. Et cette fois, il ne s'agit plus de lutte des classes mais de lutte des âges. Le phénomène est né, en Angleterre comme en France, dans les années 60 avec le baby boom. Avec ces jeunes de 20 ans qui refusent de vivre comme leurs parents, qui veulent du neuf et de la joie de vivre. Ce qui compte désormais, c'est de jouir de l’existence ; de travailler, certes, mais pour partir en vacances. Arrivent également la pilule et la libération sexuelle. La mini jupe sera l'expression, le symbole de tout cela. On est moins pudique, on veut exprimer sa sensualité, sa sexualité, sa beauté aussi avec un nouveau motto : je suis jeune donc je suis beau. Le culte de la jeunesse dans lequel nous baignons . 52 . aujourd'hui encore est né à cette période. Avant, c'était la maturité qui était belle. Mary Quant, en Angleterre, commence à vendre ses mini jupes. Elle fait vraiment partie de cette vague. Elle est jeune, elle va se faire couper les cheveux chez Vidal Sassoon, elle danse le soir, elle adore le swinging London. Au même moment, en France, André Courrèges dessine lui aussi des mini-jupes et surtout, il les fait défiler lors de la semaine de la couture. Il valide, il institutionnalise en disant : “ c'est élégant ”. Et, du coup, les mini jupes apparaissent dans les magazines. Mais encore une fois, tout est venu de la jeunesse. Quand on demande à Mary Quant si c'est elle ou Courrèges qui a inventé la mini jupe, elle répond : “ ce n'est ni lui, ni moi, c'est la rue. Ce sont les filles qui se sont coupé leurs jupes, qui les ont raccourcies. Je n'ai fait que vendre des jupes à des femmes qui ne savaient pas coudre, les autres les avaient déjà faites. ” Depuis, nous sommes dans un perpétuel va-et-vient entre la mode et la rue... Oui. Et c’est sans doute Yves Saint Laurent qui a su le mieux exprimer cette nouvelle donne. Il affirme que la couture est morte et que la notion de bon goût ne sera plus dictée par les seuls couturiers mais par toute personne dotée d’un vrai flair et d’une aura. Il prend acte de cette révolution et invente avec « Saint Laurent Rive Gauche », une mode qui sera le reflet des multiples désirs du moment mais toujours avec cette élégance typiquement française, cette obsession de la pièce parfaite, presque de la haute couture. Mieux encore, ce vestiaire sera accessible, produit et diffusé en série avec des tailles. Le prêt-àporter est né aux USA mais c’est en France et à cette époque qu’il prend ses lettres de noblesse. Grâce à Saint Laurent mais pas seulement. Grâce aussi à des magasins de distribution tels que Monoprix et Prisunic, des enseignes populaires qui vont proposer une mode neuve, conçue via des bureaux de tendances. Quel rôle jouent ces bureaux de tendances ? Nous sommes dans les années 60 et la mode est devenue totalement plurielle. Certains jeunes veulent s'habiller comme Elvis Presley, d’autres comme les Beatles, Sylvie Vartan ou comme les mecs et les filles cool repérés dans “ Salut les copains ”. Devant cette multiplicité des modèles, la couture ne peut plus . 53 . Chapitre 4 - La mode, des podiums à la rue rien faire. La France trouve la solution en inventant ces fameux bureaux de tendances. Mafia, le premier grand bureau français sera fondé en 1968 par Maïmé Arnodin, une ancienne styliste de Prisunic. Ces lieux réunissent différents experts : des stylistes, des coloristes, des spécialistes du tissu, des sociologues, des journalistes. Leur rôle ? Prendre le pouls de l'époque et rendre compte des nouvelles tendances, des nouveaux désirs qui émergent. Les marques vont s'arracher leurs précieuses recommandations. fait défiler ses mannequins Chanel avec des T-shirts taille 12 ans, dans le même esprit. Les ventes de Petit Bateau explosent. La marque a d’ailleurs mis du temps à comprendre que les petites filles n’étaient plus les seules à porter leurs T-shirts. Une fois encore, le créateur valide le phénomène. Mais avant Lagerfeld et H&M, il y a eu la génération Rykiel et Gaultier… Sonia Rykiel a créé sa maison de couture en 1968, Jean Paul Gaultier en 1976. Ils font partie de ces couturiers que l’on appelle pour la première fois des créateurs. Ils imaginent un style à l'image de leur idéal de vie et du groupe social qu'ils représentent. Ce sont des gens de mode mais aussi des leaders d'opinion. Rykiel symbolise l’intellectuelle cool de Saint-Germain-des-Prés. Gaultier revendique son homosexualité et se veut le porte-parole de tous les mouvements d'avant-garde. Il fera ainsi défiler au Palace des hommes en kilt, des mannequins aux cheveux décolorés avec des vêtements aux imprimés tatouages et des Dr Martens, symbole des punks anglais. Là encore, la validation du créateur fait son office. Le créateur est le point de bascule, pourvu qu'il tombe juste. Comme Lagerfeld avec ses T-shirts Petit Bateau. Dans les années 90, les jeunes filles qui vont dans les rave party portent toutes des T-shirts Petit Bateau hyper moulants. Lagerfeld repère le phénomène et C'est très français, cette validation obligatoire... Toute nouvelle tendance doit être estampillée par un créateur mais aussi par les journaux de mode, ce qui est beaucoup moins vrai à l'étranger. Sans doute parce que la France est LE pays de la mode et qu’on ne veut surtout pas se tromper. Londres est le vrai laboratoire mais c'est Paris qui valide les tendances pour qu'elles deviennent internationales. Les anglaises portaient la ballerine, elle a fait le tour du monde après que les françaises l’ont adoptée. Et on a besoin de validation parce qu'on n'a pas le droit à l'erreur. La française et la parisienne, demeurent un mythe pour les femmes du monde entier. Un mythe et une réalité. L'élégance fait partie de l'ADN de la française, c'est une part de sa culture, même si elle n'est pas une fashion victim. Il y a des pays où les femmes se sentent moins concernées par la mode, en Allemagne par exemple. Tout cela tient à l'histoire. Les françaises ont d'ailleurs une responsabilité aux yeux du monde car elles sont un peu nos ambassadrices. Depuis le XVIIIème siècle, le vêtement, l'apparat est l'une des clés de la richesse française. Et l'une des composantes de cette réussite, c'est que la mode est l'expression de l'époque. Le vêtement est intrinsèque à notre culture, à tel point qu’il est devenu un mode d'expression. Les françaises ont une très grande culture de mode. Aux USA, on achète encore du total look. En France, ce sont les femmes qui décident, qui choisissent de porter une veste d’homme sur une robe ultra-sensuelle. La mode est une forme de communication non verbale. En France, il y a aujourd’hui deux formes de communication : la littérature et . 54 . . 55 . Et c’est aussi une nouvelle génération de créateurs qui voit le jour… Karl Lagerfeld en est l’exemple type. Il absorbe tout : l'art, la musique, la rue. Il comprend l'époque comme aucun autre. Il fait des jeans pour la bourgeoise qui n'a jamais porté de jean. Il sait que s'il le labellise Chanel et s'il le présente via une campagne de pub, ça marchera à coup sûr et ça sera moderne. Sa collaboration avec H&M est dans le droit fil de cela. Il a senti une fois encore l’une des grandes révolutions de cette décennie, la volonté de toutes les femmes ou presque de faire partie du jeu de la mode. Du coup, il a accompagné cette nouvelle tendance : le “ masstige ”, l'association d'un créateur au nom très prestigieux avec une chaine de magasins très accessibles. L’élégance fait partie de l’ADN de la française, c’est une part de sa culture, même si elle n’est pas une fashion victim. Chapitre 4 - La mode, des podiums à la rue la mode. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter car la génération des 15/20 ans est très au fait du style. Elle sait aussi ce qu'il induit en matière de représentation sociale. Et comment on peut l'utiliser pour changer d'univers, jouer avec l'ascenseur social. La mode française est à la fois intemporelle et dans son époque. Comment réussit-elle cette alliance ? C'est une question de composition. Une façon unique de faire coexister des pièces iconiques et d'autres totalement dans l'époque. Un jean avec une veste noire, un trench-coat avec des talons de 12 cm. La française, mieux que quiconque, maîtrise cet équilibre. La permanence de la mode, c'est l'association de pièces ancrées dans l'époque et d'autres à forte connotation symbolique, avec une valeur d'héritage, d'icône. Des pièces qui font partie d'une histoire. C'est la Zizi de chez Repetto imaginée pour Zizi Jeanmaire, le trench des soldats anglais. C'est un vestiaire refuge que l'on porte avec des pièces très actuelles. Et là encore, cela différencie une française d'une espagnole ou d'une anglaise qui jouent peut-être moins facilement avec cette mode timeless. L'appropriation du vestiaire masculin par les femmes est également un phénomène très français. Et c'est, là encore, le signe d'une vraie culture de mode. . 56 . pasCaL mOnfOrT en daTEs et en mOTs Responsable des tendances et des analyses de comportement des consommateurs chez Nike depuis 2004, professeur de sociologie de la mode et de l'histoire du costume à l'ISEM (Institut Supérieur Européen de la Mode) depuis 1998 et à l'université de Lyon II. Editeur du magazine Yummy et rédacteur en chef mode de Luxuriant, magazine luxembourgeois. Enfin, chanteur du groupe de rock “ The Shoppings ”. . 57 . Chapitre 5 La mOdE par le prisme de L’HisTOirE Loin du tourbillon actuel de la création, les musées ont une double mission. Présenter des collections qui permettront au public de saisir toute la richesse, artistique et historique d'une œuvre de mode mais aussi accueillir les couturiers eux-mêmes, qui utiliseront leurs fonds comme une immense bibliothèque, un vivier de références et d'inspiration pour nourrir leur propre création. Le point sur ces nouveaux défis qui sont autant de façons de faire rayonner la mode française dans le monde avec Olivier Saillard, directeur de Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris. Quand la mode est-elle entrée au musée ? La France est le pays de la mode mais le vêtement a pourtant connu une longue histoire avant de trouver ses propres murs. Les premières collections du musée Galliera datent des années 20 et c'est à un artiste, Maurice Leloir, que nous les devons. Peintre et encyclopédiste, ce passionné du costume a décidé de donner sa collection à la ville, à condition que celle-ci ouvre un musée de mode. A l'époque, Carnavalet possédait déjà un fond important, notamment d'œuvres du XVIIIème, et il a été décidé que cette collection rejoindrait dans un premier temps ce musée. C'est en 1957 seulement que l’on a officiellement inauguré Galleria, premier lieu entièrement dédié à la mode. Parallèlement à ces collections publiques, il existait évidemment quelques fonds privés, mais assez peu. Les collectionneurs de vêtements étaient essentiellement des peintres figuratifs qui, dans un souci d'exactitude, aimaient aller au plus près de la vérité d’un costume pour le reproduire sur la toile. Ils achetaient des pièces à bas prix, dans des brocantes ou aux Puces, essentiellement dans le but d'enrichir leur iconographie. La France est le pays de la mode mais le vêtement a pourtant connu une longue histoire avant de trouver ses propres murs. Durant longtemps, on a donc accordé peu de valeur à la création de mode ? En tout cas, on ne se préoccupait pas de conserver les œuvres. Ni Jeanne Lanvin, qui travaille depuis la fin du XIXème siècle, ni Mademoiselle Chanel, n'ont gardé des traces de leur travail. Balenciaga a peut-être gardé certaines pièces. Il a sans doute été le premier couturier à avoir le sentiment de créer quelque chose de rare et un fond, comprenant à la fois ses œuvres et ses archives, a été précieusement conservé. J’ai, par exemple, retrouvé à Galliera dans les années 70 tous ses documents d’inspiration, donnés par la famille : des chaussures XVIIIème, un vêtement religieux, une cape XIXème. En tout 100 pièces. Et leur découverte est vraiment riche d'enseignements. Ce sont des vêtements d’époque mais c’est déjà du Balenciaga Par Olivier Saillard . 58 . . 59 . Chapitre 5 - La mode par le prisme de l’histoire parce qu’il avait seulement sélectionné son propre goût, comme des choses déjà signées. Mais à part ces quelques tentatives, rien. Les musées de mode n'ont réellement pris leur envol que dans les années 80 et l'on doit saluer l'action de Jack Lang, le Ministre de la Culture de l'époque, qui a imposé d’ouvrir un second musée de mode aux Arts Décoratifs et a imposé ce message fort : la mode est une discipline artistique à part entière et elle se doit d'avoir une vraie place au musée. Quel rôle doit aujourd’hui se fixer un musée de mode ? Face à l’accroissement des expositions partout dans le monde, un musée doit avant tout se démarquer, se séparer du tourbillon de la mode, dans un moment où elle est devenue permanente, en surproduction, en hystérisation. Un musée de mode porte mal son nom, il ne doit pas être trop à la mode pour faire son travail. A Galliera, nous avons notamment appris beaucoup avec l'exposition de Madame Grès. Le musée étant fermé pour restauration jusqu'au début 2013, nous avons présenté son œuvre au musée Bourdelle. Le travail intemporel de Madame Grès et le fait de le montrer dans un lieu traditionnellement consacré à la sculpture, tout cela a participé à l'intérêt du public. Tout à coup, on a compris que faire une œuvre était plus important que de faire de la mode. Et cela a rassuré. Le musée doit montrer des œuvres et des auteurs de mode. Il doit être un tamis. Il y a beaucoup de choses qui passent. Le musée doit repérer et conserver l’essentiel. Il a un rôle de pérennité, d’historicité. L’exposition est la partie immergée de l’iceberg, la partie souterraine est celle du musée avec également un travail d’archivage et de restauration. Les vêtements sont, par essence, très fragiles et il est essentiel de les maintenir en bon état. Nous avons, à Galliera, environ 200 000 pièces du XVIIIème à nos jours, lesquelles sont montrées tour à tour sous forme d'expositions temporaires. On ne peut pas, en effet, présenter des vêtements longtemps sur un même Le musée doit repérer et conserver l’essentiel. Il a un rôle de pérennité, d’historicité. . 60 . mannequin, sinon ils se détendent, se déforment. Pour éviter cela, les ateliers du musée font un travail formidable qui s'appelle le mannequinage. Sous la robe, ils recréent une structure en toile de coton, comme un socle, qui permet au vêtement de ne pas souffrir. Mais même avec ses précautions, ils ne peuvent être montrés trop longtemps. Vous avez également la mission d'enrichir vos collections ? Bien sûr ! Nous sommes constamment en quête. Les gens vont vers nous, nous allons vers eux. Une donatrice vient, par exemple, de nous donner une collection de robes de Comme des garçons et des “ body tatoo ” d'Issey Miyake. De véritables chefs d'œuvre ! On essaie en ce moment d'acquérir une robe de Jeanne Lanvin de 1935, une pièce en satin noir absolument somptueuse, avec un manteau matelassé. Une autre donatrice va prochainement nous donner une robe de Jacques Fath, ce qui est désormais assez rare. Récemment, nous avons aussi bénéficié d'un don de 400 pièces avec notamment des modèles de chez Worth. Nous ne disposons pas d'un budget énorme. Nous comptons le développer en demandant également l'aide des grandes maisons de mode, lesquelles sont souvent mécènes en matière d'art contemporain mais ne pensent pas à acquérir des pièces de mode. On achète essentiellement en France - le pays où est née la mode ! - Mais il y a parfois des choses intéressantes à l'étranger, notamment à Londres. Les musées français sont-ils parmi les plus riches ? Nous n'avons pas à rougir de nos collections mais d'autres musées sont également bien dotés, notamment le Costume Institute à New York. Les Arts Décoratifs et Galliera sont néanmoins parmi les mieux placés, parce que la France a été (et demeure) la place forte de la mode. Et aussi parce que nos expositions rencontrent de plus en plus de succès et que cela incite les gens à donner des vêtements de valeur, des pièces souvent oubliées depuis longtemps dans leurs armoires ou leurs greniers. . 61 . Chapitre 5 - La mode par le prisme de l’histoire Un musée est traditionnellement un lieu d'histoire tandis que la mode est intrinsèquement liée à l'époque. Comment concilier ces deux temporalités pour imaginer des expositions à la fois modernes, attractives et tournées vers le passé ? C’est à nous, conservateurs, de sélectionner des thèmes historiques en les regardant avec un œil d’aujourd’hui. Nous sommes un musée de mémoire de la mode plus qu’un musée de mode mais il faut que nous présentions des sujets coïncidant avec l’actualité. En ce moment, le XIXème siècle peut se révéler inspirant. Et si l'on est juste, il faut reconnaître que c'était le moment de la vraie haute couture, plus fastueuse encore qu'au XVIIIème siècle. Il faudra donc que nous traitions le XIXème, mais avec un regard contemporain. L’une des façons les plus efficaces de rendre un thème moderne, c’est de montrer l'histoire en relation avec l'intérêt qu'elle suscite aujourd'hui. Une muséographie moderne participe aussi beaucoup à l’attractivité d’une exposition... Bien sûr ! Je me bats, par exemple, pour que l’on ait moins de vitrines car je pense qu’un vêtement est plus proche de la sculpture que de la peinture. C’est une sculpture molle et on a besoin de tourner autour et autour. On n’a pas envie d’avoir des vues frontales dans lesquelles les dos sont supprimés. Il ne faut pas hésiter aussi à présenter des vêtements suspendus. Lorsqu’ils sont dans les grands magasins ou dans notre dressing, on les trouve formidables. Pourquoi nous feraient-ils horreur au musée ? Pourquoi nous feraient-ils penser à des dépouilles ? On peut aussi les montrer à plat. Et ils sont parfois plus beaux que sur un mannequin ! Frédéric Mitterrand, dans un discours pour l’ANDAM, a dit quelque chose de très juste et de très poétique : “ la mode, aussi fugace soit elle, a toute sa place dans les musées. Et elle est tellement fragile qu’il faut la mettre à plat dans des musées, sinon elle disparaît. ” C’est ce qui fait aussi son côté précieux. Il faut montrer au public cette délicatesse. Les vêtements sont de belles endormies. nous avions fait le choix de montrer des défilés. Cela apporte une autre dimension ; comme la photo, le graphisme ou la musique. C’est essentiel. C'est comme si on montrait seulement des vêtements de danse et des décors dans un musée de la danse. Dans la danse comme dans la mode, il y a tout de même les corps ! L'une des prochaines expositions du musée Galliera sera sans doute consacrée à une histoire du corps au XIXème et XXème siècles. Comment il imprime des effets de mode. Les corps sont très différents selon les époques. C'est d'ailleurs très amusant de regarder des mannequins de vitrine nus. En fait, ils sont déjà habillés ! Si on regarde un stockman des années 50, on observe qu'il a la taille très appuyée, comme s'il portait une gaine. Des hanches développées, comme s'il avait un padding. Un mannequin des années 80 a des larges épaules comme s'il portait un manteau de Mugler. Les stockman sont l'histoire du corps. Parler de tout cela est une façon de mettre de la signification dans un musée de mode. Un musée n'a pas à courir après l'actualité, le syndrome de la nouveauté. Chaque fois que les gens me voient, ils me disent : “ tu vas dépoussiérer Galliera ”. Je leur réponds : “ non, je vais garder la poussière et je vais travailler dessus. ” Il peut y avoir de la poussière et que cela soit moderne quand même. Le vêtement crée une forme de gourmandise, d’appétence. Il est à michemin entre la distraction et la culture. Quid de la vidéo ? Le vêtement, c’est aussi un mouvement. Dans les deux expositions récentes sur la mode contemporaine présentées aux Arts Déco (années 70 & 80 et 90 & 2000), Le public semble de plus en plus enthousiasmé par les expositions de mode... Aux yeux des gens, la mode est une discipline accessible. Elle n'est pas snob. Tout le monde est entouré de mode, tout le monde peut s'acheter un petit peu de mode, un sentiment d'allure. Nous avons tous un accès direct à la discipline de la mode. L'art classique fait encore peur, le vêtement crée une forme de gourmandise, d'appétence. Il est à mi-chemin entre la distraction et la culture. C'est un point d'entrée vers l'art. Les expositions connaissent aujourd'hui un grand succès mais il faut aussi se méfier de cet engouement. Aujourd'hui, toutes . 62 . . 63 . Chapitre 5 - La mode par le prisme de l’histoire les maisons de mode veulent une rétrospective qui voyage à travers le monde. Mais elles sont de qualité inégale, notamment parce qu'elles servent parfois et seulement - de promotion pour une marque. Le musée est-il important aussi pour les créateurs ? Il est essentiel et le musée Galliera accueille régulièrement les couturiers. Lorsqu’on plonge dans le passé, on découvre que les vêtements sont d'une virtuosité de plus en plus étonnante, d'une expressivité technique incroyable. Un musée de mode est une bibliothèque. Les écrivains lisent de la littérature, il est normal que les créateurs consultent un musée de la mode. Lorsqu'ils sont en voyage, beaucoup achètent des pièces dans des friperies, aux Puces. Ils les gardent, les décortiquent, observent un détail de bouton, découvrent une couleur qui appartient au passé. Regarder des vêtements entre naturellement dans le processus de création et je crois que c'est plus utile que de regarder des images. Les créateurs qui viennent au musée sont tout simplement des gens cultivés qui n'ont pas peur de se mesurer aux grands talents. La France est le pays où est née la mode. Il est normal - et essentiel - que nos musées soient aujourd'hui un rendez-vous privilégié pour les couturiers du monde entier. C'est une façon de rappeler l'importance de la mode française mais aussi de participer, de façon très active, au rayonnement actuel de la création. . 64 . OLiViEr saiLLard en daTEs et en mOTs Olivier Saillard est historien de la mode. Il a été successivement conservateur au musée de la mode de Marseille (1995) et chargé de la programmation au musée des Arts Décoratifs (2002). Il a publié une “ Histoire idéale de la mode ” en 2009 et a été nommé en 2010 directeur du musée Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris. . 65 . mErCi Directrice éditoriale : Lydia Bacrie Journaliste, rédactrice en chef de l'Express Styles depuis 2003 Nos sincères remerciements s’adressent à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage : Maryline Bellieud-Vigouroux, Barbara Boccara, Serge Carreira, Jean-Paul Cauvin, Julien Fournié, Inès de la Fressange, Jean-Marc Gaucher, Pamela Golbin, Anne-Valérie Hash, Sharon Krief, Didier Ludot, Françoise Montenay, Pascal Monfort, Catherine Örmen, Jean-Jacques Picart, Olivier Saillard, Chantal Thomass. Nous remercions pour leur contribution à l’illustration : Corbis, René Gruau, Anne Valérie Hash (©Dan Lecca), Repetto. Nous remercions également les Administrateurs de la FFPAPF : Didier Parakian (Vice-Président), Daniel Wertel (Vice-Président), Luc Baraness, Serge Bensimon, Jacques Brémaud, Philippe Hache, Frédéric Lener, Michel Natan, Myriam Nublat, Philippe Pianko, Gérard Ravouna, Alain Sarfati, Virginie Weil. Fédération Française du Prêt à Porter Féminin 5, rue de Caumartin - 75009 Paris - Tél. 01 44 94 70 80 - www.pretaporter.com Jean-Pierre Mocho, Président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin, François-Marie Grau, Secrétaire Général, Constance Dubois, Directrice de la Communication. Tous droits réservés Prix de Vente : 15 euros . 66 .