8. Brain drain, brain gain - Institut des Hautes Etudes pour la

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8. Brain drain, brain gain - Institut des Hautes Etudes pour la
Carnets du voyage d’études à Pékin, Wuhan et Shanghai Cycle national 2011-2012
8. Brain drain, brain gain
Par Jérôme COPPALLE, Hubert DUAULT, Olivier FOHANNO, Nathaly MERMET
Contexte historique
relancer les traditions anciennes de liens et d’échanges avec
La Chine a développé depuis près de deux siècles une tra-
Etats-Unis. Les objectifs d’une telle politique sont clairement
dition d’expatriation de ses étudiants à l’étranger. Les destinations ont évolué au gré des évolutions politiques intérieures
et des relations diplomatiques. Ainsi à la fin du 19eme siècle
ce sont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et
l’Allemagne qui ont été privilégiés. Rappelons notamment
que Zhou Enlai et Deng Xiaoping ont fait partie du programme
des ouvriers-étudiants partis en France en 1920. Bien entendu durant les années 50 et 60, le flux s’est orienté vers
les pays du bloc soviétique.
A la fin de l’ère Mao, l’un des résultats des effets combinés de
l’isolement progressif de la Chine et des excès de la Révolution Culturelle est que les systèmes éducatif et universitaire se
sont fortement détériorés. Les critères de sélection et d’évaluation des étudiants ne sont plus adaptés, les élites universitaires ont été déportées dans les campagnes ou décimées
et le Parti Communiste chinois (PCC) réalise pleinement la
nécessité d’une remise à niveau rapide du système. Notamment pour répondre aux besoins en main d’œuvre qualifiée
et en compétences technologiques nécessaires à la mise en
œuvre du programme des quatre modernisations : Agricul-
les universités occidentales, et en tout premier lieu avec les
définis :
• Avoir accès aux meilleurs instituts des pays développés et
former ses futures élites au contact des champs les plus
avancés du savoir et des technologies occidentales, en
vue de réussir la modernisation du pays
• Acquérir les profils qui permettront à la Chine d’assurer son
statut au sein de la communauté scientifique, technologique et universitaire internationale
• Former les cerveaux qui favoriseront l’acquisition et le développement des compétences technologiques et permettront de réduire la dépendance de la Chine à l’égard des
technologies importées.
Dès 1978, des accords diplomatiques ont autorisé la mobilité de 500 étudiants, strictement sélectionnés, vers des
universités américaines, puis britanniques, canadiennes et
australiennes. En 1980, seuls quelques uns étaient revenus en Chine, provoquant des interrogations sur cette politique. Celle-ci a néanmoins été entérinée de nouveau par
le Premier ministre (1980-1987) puis Premier secrétaire
du Parti (1987-1989), Zhao Ziyang, qui la qualifiait de «storing
ture, Industrie, Défense Nationale, Sciences et Technologies.
of brain power overseas» : la République populaire de Chine
Une stratégie « Brain drain, brain
gain » reposant sur 3 piliers
dans l’attente sur le long terme d’un retour sur investissent
décidait d’assumer une courte séquence de brain drain,
par le biais du brain gain.
Cette stratégie d’envoi d’étudiants, de chercheurs et d’ensei-
Alors que la mobilité sortante des étudiants et des scienti-
gnants à l’étranger sera renforcée à partir des années 1990
fiques chinois a été interprétée comme un effet de l’ouver-
avec la décentralisation de la gouvernance de l’enseignement
ture de l’Empire du milieu, il s’agit en réalité d’une stratégie
supérieur chinois, mais avec le maintien d’un pilotage stra-
construite au plus haut-niveau, partie intégrante de la straté-
tégique central du niveau des étudiants sélectionnés et des
gie de développement économique du PCC afin de renforcer
disciplines scientifiques et techniques concernées. En 2004,
le potentiel intellectuel du pays (Brain gain).
343 126 Chinois étudient à l’étranger (25% aux USA, 22%
Malgré les risques tout à fait assumés de ne voir revenir
au Japon, 23% au Royaume Uni).
qu’une minorité des étudiants (Brain drain), Deng Xiaoping
Le second pilier de cette stratégie a été l’évolution du marché
accepte en 1978 la proposition de l’université de Tsinghua de
du travail aujourd’hui favorable au retour de la diaspora.
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En effet, les opportunités d’emplois dans les entreprises
Néanmoins, le milieu chinois de la recherche reste dominé
d’État chinoises correspondant peu aux compétences ac-
par des logiques de pouvoir, de séniorité et de guanxi (au
quises à l’étranger, le gouvernement a incité la diaspora à
sens de cloisonnement, piston et copinage) ce système,
la création d’entreprises innovantes de hautes technologies
doublé du poids de la tradition confucéenne du respect des
selon les standards occidentaux (huiguo chuangye). Citons la
coutumes et de la hiérarchie, empêche les jeunes et les retur-
création, à partir de 1995, de zones de développement exclu-
nees de développer une pensée originale, non-conformiste.
sives, situées à proximité des grandes universités (exemple
Les haigui sont perçus par leurs collègues restés en Chine
Pékin, Tsinghua et Jiatong universités) et bénéficiant de prêts
comme des concurrents dangereux menaçant de leur faire
à taux préférentiels ou de mesures fiscales incitatives. 150
perdre la face en publiant des recherches de meilleure qualité
zones de ce type étaient recensées en 2009, abritant plus de
et surtout en critiquant leurs travaux dans le cadre du débat
8 000 entreprises, et rassemblant quelques 20 000 Chinois
d’idées, encore mal accepté dans l’Université chinoise.
de retour de l’étranger (returnees ou haigui : tortues de mer,
signifiant tortues nées sur terre, qui ont grandi dans la mer et
sont rentrées sur leur plage natale pour pondre leurs œufs).
Ces entreprises favorisent le transfert des compétences et
des technologies de haut niveau acquises à l’étranger vers
l’économie domestique. Leur rôle dans la politique industrielle
chinoise est de favoriser la montée en gamme de l’économie chinoise. Ce programme est à l’origine de nombreuses
success stories d’entreprises chinoises, aujourd’hui cotées
au NASDAQ telles que sohu.com et baidu.com, moteurs de
recherche chinois, par exemple.
Au-delà : une démarche
d’attractivité pour les entreprises
innovantes à travers différents
dispositifs
Exemple : l’incubateur Advance
BioChina (ABC) de l’Institut Pasteur
de Shanghaï
Au début du XXIeme siècle, la priorité a été portée sur le retour
Conçu pour améliorer la santé publique chinoise, l’incuba-
d’universitaires et chercheurs de haut niveau dans la com-
teur Advance BioChina à Shanghai s’ouvre aux sociétés
munauté universitaire chinoise, afin d’améliorer le rang des
de biotechnologies de tous les pays, dans l’objectif d’attirer
universités chinoises au niveau international.
les compétences et savoir-faire du monde entier.
En 2008, le gouvernement a lancé le Plan des 1 000 Talents
Fondé en mars 2011 par l’Institut Pasteur de Shanghai (IPS),
(qianren jihua) pour faire revenir les cerveaux chinois de l’étran-
institut de recherche à but non lucratif créé en 2004 par
ger. En 2010, 1 143 scientifiques ont bénéficié de ce plan très
l’Académie des Sciences de Chine, l’Institut Pasteur et
exigeant. Les moyens mis en œuvre sont importants : salaire
le Gouvernement Municipal de Shanghai, l’incubateur-
égal à celui versé à l’étranger, poste de direction dans un ins-
accélérateur biotech «Advance BioChina» a vocation à être
titut de recherche, fond de recherche alloué de 1,5 millions
le partenaire chinois des meilleures entreprises internatio-
de dollars, incitations fiscales, logement, visas sans équiva-
nales du secteur biotechnologique (d’Europe et des Etats-
lent pour les Chinois de nationalité étrangère. Le Plan des
unis essentiellement, et, plus proches, de Singapour et Hong
100 Talents de l’Académie chinoise des sciences est encore
Kong) en leur favorisant l’accès à la Chine et à ses marchés.
plus sélectif et généreux. De nombreux programmes homo-
Il s’agit donc là d’offrir un terrain propice à l’innovation afin
logues ont été développés au niveau régional.
d’attirer sur place les idées nouvelles, les envies de créer
Ces programmes, mais aussi le différentiel de croissance
et d’innover…et pour ce faire « les cerveaux » (brain drain).
entre la Chine et l’Occident, sont à l’origine du retournement de tendance en faveur de l’attractivité des universités
« Le type de sociétés qui nous intéressent sont des socié-
chinoises, le nombre annuel des returnees qui s’établissait
tés déjà matures qui ont à la fois un ou plusieurs produits en
à moins de 10 000 en 2 000, s’établissait à 42 000 en 2006
phase clinique - ou proche - et qui ont une pensée straté-
et 108 000 en 2009. Ces scientifiques ont vocation à occu-
gique pour la Chine » précise Ralf Altmeyer, Directeur Général
per des positions de dirigeants dans les universités chinoises
de l’IPS et co-fondateur de l’incubateur Advance BioChina.
pour introduire de nouvelles méthodes d’enseignement,
En effet, le secteur des biotechnologies est actuellement en
rénover les curriculas et encourager la publication dans
pleine transformation en Chine et s’avère très stratégique,
des revues de standards internationaux.
avec la présence d’investisseurs locaux en capital risque très
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actifs à l’échelle internationale. Aussi les sociétés disposant
cela peut permettre d’améliorer rapidement et efficacement
d’un portefeuille de produits sélectifs dans le domaine des
la qualité de la recherche, les problèmes ne manquent pas :
maladies infectieuses, sur le volet diagnostic ou thérapeu-
la plupart ont déjà été mentionnés, mais il faut y ajouter le très
tique, seront-elles accueillies à bras ouverts par ABC. Le
important différentiel salarial qui accentue les tensions.
développement de la fabrication de vaccins est, notamment,
Au delà de leur savoir-faire, de leur connaissance d’un mode
très attendu.
de fonctionnement et de méthodes de travail différents, une
part importante de la valeur ajoutée des returnees est liée
Un modèle de joint ventures
aux réseaux qu’ils amènent avec eux. Dans une période
L’objectif affiché par Advance BioChina est d’accueillir et dé-
des perspectives de coopération immédiate avec un large
velopper jusqu’à 25 entreprises d’ici 5 ans sous forme de joint
ventures localisées à Shanghai. Très concrètement, les entreprises pourront disposer d’environ 5 000 m2 alloués à l’incubateur au sein d’un nouveau bâtiment de 16 000 m2 de l’Institut Pasteur de Shanghaï situé en plein centre de la ville tout
en étant pourvu de tous les équipements et plates-formes
nécessaires. Les laboratoires P3 sont installés nécessairement en banlieue, mais toutes les infrastructures d’accueil
et d’hébergement ainsi que les laboratoires P2 se trouvent
au cœur de Shanghai. Le budget alloué au développement
de chaque entreprise sera de l’ordre de 1,5 à 3 millions
d’euros afin de les amener à l’étape ultérieure de développe-
où la coopération scientifique est indispensable, ils offrent
spectre d’équipes scientifiques étrangères. Cela permet
également de mettre plus facilement en place des échanges
d’étudiants avec les universités ou centres de recherche dont
les returnees sont issus. De plus, lorsque les liens qu’ils entretenaient avec les entreprises internationales demeurent, le
centre de gravité de la recherche partenariale bascule alors
vers la Chine. Tout ceci concourt à améliorer non seulement la
quantité mais également la qualité de la propriété intellectuelle
chinoise. Il en résulte également la création de start-ups issus
de travaux de recherche et d’innovation dont une partie a été
menée à l’étranger avant le retour en Chine. Ceci est d’autant
plus vrai que de nombreux returnees ont étudié puis enseigné
ment de leurs produits.
dans un environnement anglo-saxon où la création de start-
Une dizaine d’entreprises sont d’ores et déjà sur les rangs.
Depuis plus de 30 ans, la Chine a mis en place une politique
Les critères de l’incubateur-accélérateur pour leur intégration
sont, d’une part, d’avoir un programme de recherche lié à
l’amélioration de la santé publique en Chine, et, d’autre part,
d’avoir la volonté de loger les droits de propriété industrielle
dans la joint-venture. Ces deux critères sont fondamentaux,
puisqu’il s’agit pour Advance BioChina, et donc l’Institut Pasteur de Shanghai, d’être co-titulaire des droits d’exploitation
avec la société incubée, afin de partager les royalties au sein
de la joint venture. S’ajoutent aussi des critères sur l’intérêt
scientifique du projet pour la santé publique, l’acceptation de
localiser la propriété intellectuelle en Chine et l’intérêt du marché, des critères de qualité habituels passés au crible d’un
conseil d’investissement, constitué conjointement par ABC et
ups est la norme.
volontariste pour tirer profit du flux d’étudiants poursuivant
leurs études à l’étranger. Cette politique a parfois été fortement remise en cause en interne en raison du taux de retour
très faible des étudiants les premières années. Pourtant, les
difficultés rencontrées par de nombreux pays, l’importante
croissance économique que connait la Chine et les efforts
consentis en faveur de la recherche et de l’innovation, apparaissent comme autant de facteurs permettant d’attirer les
talents, qu’ils soient d’origine chinoise ou étrangère. On peut
cependant s’interroger sur les effets à long terme de cette
politique dans un pays non-démocratique. En effet, faciliter
les études d’une partie de son élite intellectuelle dans des
pays aux systèmes politiques très différents de celui de la
ses investisseurs.
Chine, constitue une vraie prise de risque. Ceci est d’autant
Notre perception
et nos questionnements
tie importante de leur carrière à l’étranger en adoptant parfois
plus vrai lorsqu’il s’agit de scientifiques qui ont passé une parla nationalité de leur pays d’accueil. Lorsqu’ils reviennent en
Chine, ils n’abandonnent évidemment pas la liberté, y compris politique à laquelle ils sont habitués et qui font désormais
La liberté offerte aux scientifiques pour monter leur propre la-
partie intégrante de leur mode de pensée et d’action.
boratoire avec des moyens importants est certainement une
des fortes motivations de leur retour en Chine. Pour autant, si
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