éloge des richesses vivantes

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éloge des richesses vivantes
MAN 12 - Conflits Sans Violence – lu pour vous 23 - juin 09
Eloge des « richesses vivantes » - Reconsidérer
la richesse (3/3) – Majid
Rahnema
Dans le cadre de son Forum annuel à Aix-les-Bains, le 8 novembre
2008, l’Université Terre du Ciel organisait une table ronde
consacrée au thème de la richesse. Plusieurs personnalités furent
invitées à faire part de leurs réflexions sur la financiarisation du
monde et à témoigner de la possibilité de mettre en place une
économie au service des forces de la vie et de la création de
richesses vivantes.
Majid Rahnema y intervenait au côté de Bernard Ginisty et de
Pierre Rabhi Il est l'auteur de « Quand la misère chasse la
pauvreté » (Fayard/ Actes Sud) et avec Jean Robert : « La
puissance des pauvres » (Actes sud),
« Je crois être parmi vous, à cette table ronde, le plus âgé. Si je vous dis cela, c’est pour vous
parler d’histoire… Ma mère était soufie ; pour elle, et c’était là un enseignement qu’elle m’avait
transmis, il était clair que la plus grande richesse était … la pauvreté. Lorsque, à l’âge adulte, j’ai
étudié l’histoire de l’humanité et de la pauvreté, j’ai pu constater que ce que ma mère me disait
correspondait tout à fait à la réalité. Nous avons tendance à croire que l’humanité a démarrée à
partir de la révolution industrielle. On oublie de demander : « Comment donc vivaient les gens
avant cette révolution, il y a 1000 ans ou même 10 000 ans ? ». Si nous avons une approche
historique, nous pouvons comprendre que les concepts de pauvreté et de richesse ont été
colonisés par une certaine façon de voir qui n’est pas en phase avec la réalité. Les « experts » ont
défiguré la « pauvreté » et l’ont réduite à l’état de misère. Pour comprendre ces mots, il faut
donc commencer par les décoloniser. Nous apprendrons ainsi que la pauvreté fut un mode de vie
partagé par la majorité des êtres humains, et cela tout au long de l’histoire. Ce mode de vie
permettait aux gens de vivre avec peu, dans la dignité ! Je ne veux pas du tout dire que ces
pauvres vivaient dans des conditions extraordinaires, mais ils jouissaient malgré tout d’un
confort matériel qui suffisait à leurs besoins. Aujourd’hui, la situation a considérablement
changé. Même si nous avons considérablement augmenté les moyens pour produire de la richesse,
les pauvres sont de plus en plus acculés à la misère. Celle-ci est une situation que l’on impose à
d’autres. Dans mon livre Quand la misère chasse la pauvreté j’ai essayé de montrer que la misère
atteignait de telles proportions que nous n’avons même plus la possibilité de choisir la pauvreté.
La richesse est un concept qu’il faut aussi décoloniser. Nous pourrions nous poser la question de
savoir ce qu’elle signifie pour chacun d’entre nous. Qu’est-ce que la richesse si nous ne possédons
pas de biens matériels ? Le grand mystique musulman Rûmi distinguait les « richesses mortes »
des « richesses vivantes ». L’argent se situe très clairement dans la catégorie des richesses
mortes. Rûmi nous dit que « les richesses vivantes » proviennent essentiellement de nous en tant
qu’être humain. J’ai introduit mon dernier livre, La puissance des pauvres, par une phrase de Lao
Tseu: « Mes haillons cachent la plus grande des richesses ». Les haillons sont les biens qui
viennent de l’extérieur…
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Mouvement pour une Alternative Non-violente Aveyron
Il est intéressant, dans l’histoire de la pauvreté et de la richesse, de remarquer que les êtres
humains ont toujours vécu à partir de ce que j’appelle « la puissance des pauvres ». J’utilise ce
concept de puissance, en grec potentia, dans une perspective proche de celle de Spinoza. La
potentia s’oppose au pouvoir. Elle est la potentialité de cette force de vie présente partout, dans
chaque être humain, dans chaque animal, dans chaque arbre, dans tous les êtres vivants. Tant que
cette puissance grandit en nous, nous sommes riches. C’est cette puissance vitale qui permet la
création de ces « richesses vivantes » évoquées par Rûmi. Mais aujourd’hui, toutes ces richesses
sont devenues des « richesses mortes ». Si nous parvenons à décoloniser ces concepts de
« richesse » et de « pauvreté », nous parviendrons peut-être à comprendre que les crises
financières, comme celles qui se manifestent actuellement, n’affectent que les
« richesses mortes». Je suis certain que les pauvres ne vivent pas moins bien depuis cette crise.
Je pense que leur espoir est plus solide que celui des riches, car ils ne subissent plus les
conséquences des « richesses mortes ».
Une fois que l’on a donné à la pauvreté et à la richesse leur véritable signification, on peut
commencer à les utiliser pour forger des alternatives. Quelques fois, au cours des débats que j’ai
avec des gens, ceux-ci me demandent ce que je propose. Ces cinq dernières années, j’ai eu
beaucoup de difficultés à répondre à cette question. Parfois même, je l’évitais. Mes premières
réponses furent, en général, négatives, c’est-à-dire que je disais que je n’étais pas en mesure de
dire comment les pauvres pouvaient s’aider eux-mêmes pour sortir de leur situation de misère. Je
voudrais insister sur ceci : nous ne devons pas parler à la place des pauvres. Dans une
manifestation comme celle de ce forum organisé par Terre du Ciel, nous devons être très
prudents. Si nous y parlons de spiritualité, nous ne devons pas croire que nous sommes supérieurs
à ceux que nous souhaitons conscientiser, afin qu’ils rejoignent notre confrérie spirituelle. Je
considère même cette approche comme un danger que nous devons éviter à tout prix. Je
rappellerai ici cette parole de Gandhi : « Laissez les pauvres tranquilles ». Il nous faut enlever la
pression qui s’exerce sur les pauvres et ne pas jouer, du haut de notre prétendue supériorité, les
donneurs de leçons. On nous accusera, bien sûr, de les abandonner et de ne rien faire pour eux,
mais, dans l’esprit de Gandhi et dans ma propre philosophie, cette parole a une conséquence
évidente : nous ne devons pas laisser les riches tranquilles !
Je parlerai, en conclusion, de l’éthique que j’ai tendance à opposer à la morale. La morale consiste
à dire : « Je sais ce qui est bien, et je vais vous apprendre à vivre ». Pour moi, l’éthique est plutôt
de l’ordre du partage et du travail en commun, sans imposition. C’est pourquoi prendre une
position éthique suppose que l’on parte de l’idée selon laquelle tout le monde veut la liberté. La
liberté dont je parle est celle qui crée, grâce à la potentia, les « richesses vivantes » de Rûmi. »
Article paru dans la revue
Alliance pour une Europe des Consciences
Février/Mars/Avril 2009
N° 20
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