le mystère - Perray-en

Transcription

le mystère - Perray-en
H M P Y *
Dans la droite ligne de l’article de décembre, je vous propose, cette fois, tous les ingrédients pour faire un polar historique
ou solliciter l’intervention de Lilly Rush, la blonde héroïne de Cold case. Point de départ : la transcription, à la fin de l’année
1806, sur le registre d’état-civil des Bréviaires, domicile du défunt, de l’acte de décès, dressé au Perray le 21 décembre
1805, de Jean-Louis DESRUES, dont les nombreux extraits, bistres, composent la base de cet article…
LE MYSTÈRE
de la Croix Verte
D
F
*Histoire et Mémoire du Perray-en-Yvelines
imanche 24 frimaire de l’an quatorze de la
République », soit le 15 décembre 1805,
quelques jours après la bataille d’Austerlitz,
dans l’après-midi, un habitant des Bréviaires, cultivateur de son état, est victime d’une tempête de
neige sur le chemin du Perray au Roseau, alors
qu’il s’apprêtait probablement à rejoindre le
chemin des Bréviaires. Que fait-il là à un moment
aussi peu propice à une promenade dominicale,
d’autant que, deux jours auparavant, deux loups
ont été aperçus aux abords du village ? Sans doute
revient-il d’un rendez-vous, puisqu’il a sur lui dans
un sac de toile, 116 livres et 8 sols, une somme qu’il
a dû toucher le jour-même, car on ne se promène
pas avec une telle somme sur soi. Une somme considérable, car si son équivalent-or ne représente
qu’environ 250 euros, il faut savoir qu’à l’époque,
on pouvait, avec cette somme, acheter, par
exemple, une vache et son veau (45 livres),
5 brebis avec leurs agneaux (25 livres), 2 lits et
chevets (20 livres), un vaisselier et un buffet avec
tiroirs et serrure (15 livres), et il vous restait
encore vingt jours de pain pour une famille…
L’équivalent de quatre mois de plein travail pour
un laboureur payé, à peu près, une livre par
hectare labouré.
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Jean-Louis Desrues a 47 ans, c’est un laboureur
réputé, installé cultivateur aux Bréviaires. C’est
un homme dur à la peine, sans nul doute habitué
au chemin du Perray aux Bréviaires. Il est le fils
de Simon Desrues, garde-vente1 à Saint-Léger,
marié à Françoise Milbeau, il est le père de deux
filles. Son aîné, un fils prometteur est, hélas, mort
cinq ans auparavant, presque jour pour jour (14
décembre 1800), à l’âge de treize ans. Fait notable,
il s’est endimanché : il porte un habit et une culotte
en drap bleu, deux gilets de velours de différentes
couleurs, une chemise de toile de ménage, une
paire de bas de coton bleu, un mouchoir d’indienne
autour du cou et un chapeau rond. Cette tenue
festive atteste bien l’idée d’un rendez-vous.
Il a quitté le bourg, dépassé la Croix Verte2 et
s’engage sur un chemin qui mène vers le hameau
du Roseau dont il aperçoit les toits. Soit il tournera
à droite, direction son foyer des Bréviaires, soit il
prendra à gauche le Vieux chemin d’Epernon pour
aller voir son frère au hameau voisin de la
Renardière. Même si les dernières chaumières
de la Rue Verte sont à moins d’une portée de fusil,
la tempête de neige l’égare et il finit par tomber
dans un fossé. Le froid l’ayant saisi au point de ne
luy pas laisser la faculté de s’en tirer, il ne
parvient pas à se relever et meurt.
Place au texte extrait des NMD3 de la commune des
Bréviaires, daté du trente frimaire an quatorze
de la République […] ledit Jean Bunel – Maire du
Perray de 1800 à 1809 – nous a dit qu’hier soir,
vers les trois heures et demie du soir, la fille du
nommé Dubois, maçon au Perray, s’est présentée
chez lui et lui a dit qu’elle venait d’apercevoir
dans le chemin du Perray au Roseau une manche
d’habit bleu, qu’on n’apercevait que la manche, le
reste tout entièrement couvert de neige, qu’elle
croyait bien que c’était le Sieur Desrues qu’on
cherchait depuis lundi dernier, mais qu’elle
n’avait osé y toucher, qu’il s’était aussitôt transporté sur ledit Chemin du Perray au Roseau avec
une foule de monde du Perray et avait aperçu à
environ une portée de fusil des dernières maisons
de la Rue Verte, hameau du Perray, en direction
du Roseau, une manche bleue d’un habit, qu’ayant
1. Le Garde-vente était préposé à la garde et à l’exploitation d’une surface forestière dont il s’était rendu adjudicataire, ou au service du bénéficiaire de
cette adjudication.
2. La Croix Verte se dressait au carrefour de la Petite Rue Verte, de la rue du Pont Marquant et de celle du Roseau. Son histoire est racontée par Alphonse
Marest, Perray et Perrotins, 1993, pp. 416-417.
3. Les NMD (naissances/mariages/décès) de l’état-civil ont succédé aux BMS (baptêmes/mariages/sépultures) paroissiaux.
H M P Y
Plan d'intendance de la Paroisse de Le Perray
réalisé par Claude Charles Socquart (1785)
Le carré bleu correspond à la Croix Verte
Le cercle à l’emplacement possible du corps
l’examen légal du cadavre : aucune marque de
mort violente, ils présument donc que
ledit
Desrues était tombé dans un fossé et que le froid
l’avait saisi au point de ne pas lui laisser la faculté
de s’en retirer et l’y avoir fait périr. Comme il est
d’usage, la veuve éplorée viendra reconnaître son
défunt et se verra remettre la somme trouvée,
diminuée des frais de visite…
Là s’arrête l’acte de décès et commencent les questions.
fait écarter la neige, il a reconnu, ainsi qu’un
grand nombre d’assistants, le cadavre de JeanLouis Desrues, cultivateur en la commune des
Bréviaires, qu’ayant su auparavant que ledit
Desrues devait avoir touché de l’argent dans
l’après-midi dudit jour, vingt-quatre de ce mois, il
a fait fouiller tout autour du cadavre et il y fut
trouvé cent seize livres et huit sols dans un petit
sac de toile, laquelle somme il a compté en présence
des Sieurs Robinet et Desfourneaux, tous deux
demeurant au Perray…
Contact pris avec Nicolas André Guillemin, Maire
des Bréviaires, Jean-Laurent Maillet, suppléant du
juge de paix du canton de Rambouillet et
le Docteur Besnard procèdent à la visite et à
La première, bien sûr, qui reste un vrai mystère :
d’où venait la somme d’argent considérable que
transportait Jean-Louis Desrues ? Le remboursement d’une dette ? Le versement d’un loyer
(payable entre Toussaint et Noël) ? La seconde :
pourquoi un paysan aussi avisé que lui s’est-il,
muni de ladite somme, engagé sur la route, dans
des conditions climatiques aussi périlleuses ?
Pourquoi n’a-t-il reçu aucun secours des hameaux
les plus proches ? Personne ne l’aurait vu ? Une
dernière, peut-être, le témoin essentiel, la jeune
Louise Elisabeth Dubois, n’a pas signé l’acte de
décès, mais, sans doute, ne savait-elle ni lire, ni
écrire et ne pouvait-elle donc relire ledit acte…
Que le maire du Perray sût et déclarât que JeanLouis Desrues avait, le jour-même, touché de l’argent
est plutôt de nature à rassurer : de l’argent mal
acquis n’aurait pas eu autant de notoriété…
Le mystère demeure…
Commentaire
Que le cadavre de Jean-Louis Desrues soit resté enfoui sous la neige pendant près d’une semaine peut se concevoir
aisément quand on repense au mois de décembre que nous venons de connaître…
Cet article est à rapprocher de celui concernant Marie Richehomme publié en décembre 2010. Ce rapprochement est
intéressant au-delà de la fin commune des deux personnes, le premier fait date de décembre 1771 et concerne une pauvre
femme. La préoccupation du curé, chargé de l’acte de décès (BMS) puisque nous sommes avant la Révolution, est de
s’enquérir de la catholicité de la défunte pour pouvoir lui donner une sépulture. Le fait présent date de décembre 1805, la
Révolution est passée, le défunt, Jean-Louis Desrues est un honorable laboureur réputé et installé. La préoccupation du
maire, chargé dudit acte (NMD), semble bien être l’origine et l’acheminement de la somme d’argent que transportait le
défunt… O tempora ! O mores ! (Cicéron).
Article de P. Béguin, à partir des recherches de M. Mazet
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