Paris, rue du Bac, aujourd`hui Il est des endroits qui sont simplement

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Paris, rue du Bac, aujourd`hui Il est des endroits qui sont simplement
Paris, rue du Bac, aujourd’hui
Il est des endroits qui sont simplement… Différents. Des endroits où l’on pourrait rester des
heures, qui captivent, fascinent, font rêver. Des endroits où le temps n’existe plus.
Quelque part dans Paris, rue du Bac, enclavé entre une boutique de mode et un café, on peut
observer une petite échoppe qui semble appartenir à une autre époque. Le passant, curieux,
s’approche d’abord doucement de la vitrine, puis va éventuellement jusqu’à pousser,
timidement, la porte. Saisi d’un sentiment de respect et d’admiration, il se rend alors compte
qu’il en oublie de respirer. Il est entré dans le sanctuaire. Il regarde à droite, puis à gauche.
Ne… Ne serait-ce pas une autruche qui le fixe de ses grands yeux figés à jamais ?
Il hésite un instant, puis ose s’approcher de l’escalier. Une marche après l’autre, il s’élève
vers l’étage.
C’est là qu’il découvre réellement toute la magie du lieu.
***
Au premier étage de chez Deyrolles, une boutique de taxidermiste (que les amis des bêtes
quittent le train, je ne veux pas de scandale), entourée de ces dizaines d’animaux empaillés, je
questionne une vendeuse. Je tente de paraître plus vieille, un peu snob, telle une potentielle
cliente s’intéressant particulièrement à « l’oiseau, là-bas, au fond, celui avec un superbe
plumage pourpre et or ». Je dois avoir l’air pathétique. Fort heureusement, trop heureuse de
tromper sa solitude et de pouvoir bavarder, mon interlocutrice se montre fort loquace.
« C’est une vieille, très vieille dame qui nous l’a amené l’autre jour… Elle a dit qu’elle avait
déjà été payée, et qu’elle amenait ce qu’on avait commandé. Quand on lui a répondu qu’on
n’avait rien demandé, elle a dit que c’était le patron qui voulait… Vous savez, nous, on aime
pas se faire disputer, et puis… Il est magnifique, non ?
- Une vieille dame ?
- Oui, très très âgée, on aurait dit une momie ! Avec une chevelure hirsute, et une odeur…
Ah ! Ma parole, on aurait dit qu’elle n’était pas sortie de chez elle depuis des années ! »
***
Paris, rue du Horla, trois jours plus tôt.
« Un phénix chez Deyrolles ? »
C’est la première fois de ma vie entière que je vois Mademoiselle Rose sembler découvrir
quelque chose, première fois également que je la vois surprise. C’est donc possible ? Je peine
à le croire, et pourtant.
« Tu es absolument certaine de ce que tu avances ? »
Je sors mon téléphone et le tend à la secrétaire du bureau parisien de l’Association.
« Je l’ai pris en photo pour que vous puissiez voir ce qu’il en est. »
Un ange passe. Mademoiselle Rose paraît réellement perplexe. J’hésite à lui demander si je
peux la prendre, elle aussi, en photo, mais elle relève les yeux et me fixe d’un air
impénétrable. Je suis certaine qu’elle lit dans mes pensées, définitivement.
« Attends-moi là. »
Comme si j’allais bouger… Elle se lève et disparaît dans le bureau de Walter.
Je crois qu’il est temps que je me présente. Vous l’aurez compris, je suis Agent Stagiaire à
l’Association. Vavi, quinze ans, lycéenne, actuellement en vacances. Pour plus
d’informations, vous n’avez qu’à demander mon CV à Mademoiselle Rose, je suis certaine
qu’elle sera ravie de vous le fournir.
« Tu peux passer voir Walter s’il te plaît ? »
Aller chez Walter ? Ça doit être sérieux alors cette histoire…
Walter, ce n’est pas n’importe qui. En plus d’être le directeur de l’Association à Paris, c’est
également la personne qui a les goûts vestimentaires les plus monstrueux que j’aie jamais
vus, et Dieu sait si mon prof de maths est pourtant expert dans cette catégorie. Il est
également bedonnant, chauve et transpirant. Et adorable. Pour nous, les Agents stagiaires,
c’est un peu un second père, et j’ai personnellement beaucoup moins peur de ses engueulades
que des froids reproche de sa secrétaire.
« Mmm… Ce n’est pas dans nos habitudes de confier une telle mission à un Agent Stagiaire,
surtout que tu es mineure… Mais… Nous sommes le 20 août, tout le monde est en vacances,
et… Nous devons agir vite, tant que ça ne s’est pas remarqué. Tu vas donc enquêter. D’où
vient cet oiseau, pourquoi est-il là… Et avec de la dis-cré-tion ! ajoute-t-il en détachant bien
chaque syllabe. Surtout pas de vague, tu poses quelques questions, tu regardes, mais tu
n’agis pas ! Pas de prise de risque. La moindre information doit nous revenir le plus vite
possible, et s’il se passe quoi que ce soit d’imprévu, tu arrêtes tout. Immédiatement. »
Sa voix est sévère et légèrement tendue, j’acquiesce donc sans répliquer.
***
Paris, rue du Bac, aujourd’hui.
Une idée commence à se former dans mon esprit. Je pose donc une dernière question :
« Et ses pieds ? Vous n’avez pas vu ses pieds ? »
Non, elle n’a pas vu, désolée, mademoiselle, excellente journée à vous aussi.
Pourtant, je suis désormais certaine : une goule a livré un phénix empaillé à un taxidermiste
parisien. Un Anormal et une Créature, impliqués dans la même affaire ? Ça commence à
faire beaucoup pour mon humble personne. Quelle journée…
***
En sortant de la boutique, dans la rue, je téléphone au secrétariat de l’Association, mais
tombe sur le répondeur. J’en suis à mon troisième essai et m’apprête à laisser un message,
quand j’aperçois sur le trottoir d’en face une dame très âgée et terriblement négligée. Mais ce
qui est le plus intéressant, ce sont ces pieds, ou plutôt les horreurs fourchues qui terminent
ses jambes.
Je raccroche sans laisser de message.
« Tu regardes, mais tu n’agis pas ! »
Ne vous inquiétez pas Walter, je vais juste m’adapter à la situation. Et puis, qui mieux que
moi peut comprendre et prévoir le comportement d’une goule ? Zombies et goules sont un
peu cousins, non ?
Oh ! Je ne vous avais pas parlé de ce petit détail ?
Eh bien, chaque Agent a son talent particulier…