MÉLISANDE films ————–––––––

Transcription

MÉLISANDE films ————–––––––
MÉLISANDE films ————–––––––
HÉLÈNE BERR,
une jeune fille dans Paris occupé
film documentaire de Jérôme Prieur
d’après le Journal d’Hélène Berr (80’)
paru aux éditions Tallandier
une production Mélisande films, Sophie Faudel avec la
participation de France Télévision,
et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah
Le Journal d’Hélène Berr est un grand livre.
Plus qu’un livre.
« Une voix et une présence qui nous accompagneront toute notre vie », dira Patrick
Modiano.
Cette inconnue dont nous entendons la voix, cette jeune femme dont la présence nous
saisit, devient au fil du journal une proche, une personne que nous ne voudrions pas
quitter. (…)
Hélène vient de fêter ses 21 ans quand elle commence à écrire. « J’écris ici parce que
je ne sais pas à qui parler. » (Mercredi 15 avril)
Elle prépare son agrégation d’anglais à la Sorbonne, elle vit chez ses parents, entourée
d’une famille aimante, dans l’insouciance matérielle, elle s’interroge et se révolte, elle
flirte avec un jeune homme de bonne famille, elle tombe amoureuse d’un garçon aux
yeux gris, cultivé et mélomane comme elle, qui la séduit par sa noblesse. C’est le
début d’un grand amour auquel nous assistons. Jean
Morawiecki, qui va partir bientôt pour s’engager dans les Forces
françaises libres, évoquera plus tard « la force radieuse »
d’Hélène.
Hélène découvre la vie, et mieux encore, l’intensité extrême de
chaque minute.
Le récit d’Hélène Berr montre au jour le jour, dans la splendeur
de Paris, une jeune femme brillante, à la sensibilité à vif, qui
décrit sans s’appesantir, en même temps que les joies et les
tourments de sa jeunesse, l’ombre qui gagne, les ténèbres qui
montent…
C’est l’Occupation, nous sommes en 1942.
Après le départ de Jean et le mariage de sa sœur Denise, Hélène
se retrouve seule avec ses parents.
Hélène interrompt son Journal. Elle ne le reprend que dix mois plus tard. Entre temps
la terreur a gagné.
« Horror ! Horror ! Horror ! » (15 février 1944)
Les derniers mots du journal, un an et demi plus tard, sonnent le glas. Arrêtée trois
semaines plus tard, Hélène Berr sera déportée à Auschwitz en même temps que son
père et sa mère. Elle mourra à Bergen-Belsen en avril 1945, quelques jours avant la
libération du camp.
Fille d’Antoinette et de Raymond Berr, vice-PDG des Entreprises Kuhlmann, Hélène
avait en effet le malheur d’être « juive » au sens des lois de Vichy et du Reich. Son
journal raconte l’engrenage de la persécution antisémite, comment elle se traduit
concrètement sous les efforts conjugués des nazis qui occupent la France vaincue et de
l’Etat français qui administre le pays pour défendre sa souveraineté.
La lucidité d’Hélène, malgré son jeune âge, nous frappe. Aucune naïveté chez elle, une
sorte d’extra-lucidité pourrait-on dire.
Son aveuglement nous étreint, puisqu’elle ne peut pas voir ce que nous savons. Mais le
plus fort dans son récit à la première personne, c’est qu’elle comprend très bien ce qui
se passe.
À distance, son Journal évoque aussi d’autres lieux qu’elle nous fait littéralement
apercevoir : le centre d’internement de Drancy, l’antichambre des camps de la mort,
d’où son père réussit à être libéré une première fois, la rafle du Vel d’hiv à la mi-juillet
1942 puis celles qui suivent, et les organismes d’assistance aux juifs qui se révèleront
être des pièges.
En filigrane, apparaissent aussi, car il y a encore pire en effet, toutes les « petites »
mesures de ségrégation et d’exclusion qui se mettent en place dans la capitale occupée,
l’interdiction de fréquenter les cafés, les restaurants, les théâtres, les cinémas, les
musées, les bibliothèques, jusqu’à l’interdiction d’être soigné dans les hôpitaux et les
maternités…
Le dilemme autour du port de l’étoile jaune imposé par l’ordonnance allemande du 8
juillet 1942 aux juifs de zone occupée est particulièrement révélateur de l’attitude
d’Hélène. Ne pas la porter, au-delà du risque de déportation immédiate qui ne semble
pas l’effleurer, signifierait surtout pour elle se désolidariser des siens. Le journal
enregistre ainsi comment la politique antisémite, dans son système vexatoire le plus
quotidien, gagne toute la société. Des juifs étrangers, l’on passe aux juifs français, des
hommes aux femmes, aux vieillards, aux enfants, ces ultimes victimes qu’Hélène
côtoie indéfectiblement, la petite Odette, Doudou, André, et Rachel, l’une des rares à
avoir survécu à la destruction de masse.
Hélène sait l’atrocité nazie, elle sait ce que l’on pouvait savoir à Paris entre 1942 et
1944 : l’extermination en cours à l’est de l’Europe. Elle sait bien, mais elle ne veut pas
y croire. Elle pressent qu’elle est condamnée, et elle ne peut pas s’y résigner. Elle voit
que les proches de sa famille ou que ses amies de l’UGIF sont arrêtés, mais elle ne
peut fuir. C’est impossible, ce serait abdiquer. Est-elle tétanisée ? Elle n’a pas le choix.
Elle rend compte de la tragédie qu’elle observe comme si cela devait réussir à la tenir à
distance. Mais elle devine de plus en plus que ce serait un miracle d’y échapper.
Hélène Berr résiste à sa manière. Elle défie le destin, il lui faut faire acte de présence,
il lui faut écrire pour dire, pour témoigner de ce qui arrive.
L’adaptation
Être au plus près de la voix d’Hélène Berr, de la voix que nous fait entendre son
journal.
De sa voix, de sa main, de ses pas, de ses yeux.
Le Paris de l’Occupation est celui de sa jeunesse, entre avril 1942 et février 1944.
Enchanté, quotidien, tragique comme dans un compte à rebours.
Une jeune femme heureuse vit devant nous, dans le bonheur de ses vingt ans, dans la
joie de son premier amour. Nous la voyons marcher, nous la voyons danser. Mais elle
danse sur un volcan.
Hélène n’ignore rien ou presque. Nous non plus. Inconsciente et très consciente. Grâce
à la précision incroyable de son texte, toujours attaché à dire les états d’âme, à
analyser les situations, toujours concret, nous voyons vivre Hélène, tour à tour si
tranquille, si dangereusement. Hélène veut vivre.
Mais nous savons ce qui l’attend, et nous ne pouvons pas la prévenir.
Il y a dans son Journal, au-delà du témoignage, et - aussi déplacé que cela puisse
paraître de le dire - le rayonnement particulier aux contes. Sauf que la force de
l’innocence ne réussira pas à vaincre le Mal. Le Mal organisé aura raison de la jeune
femme.
Au-delà de la lucidité et du courage d’Hélène, c’est cette ambivalence du regard qui a
inspiré le film.
C’est le pari dramatique du récit.
Passer du paradis, ou presque, à l’enfer. Le voir de nos yeux.
Du soleil à la nuit.
Hélène est prise au piège, mais nous voudrions croire comme elle qu’elle va tout de
même réussir à s’échapper. Elle sera vaincue. Mais elle laisse derrière elle, comme la
lumière d’une étoile, son journal, et ce journal, malgré tout, la laisse en vie, la sauve, la
ressuscite, ce journal qui aurait pu disparaître à son tour…
Le film ne perd jamais la voix et le regard d’Hélène.
Garder l’époque sous le regard d’Hélène. Il n’y a aucun commentaire. Le premier
travail d’adaptation a été d’extraire le noyau dur du récit. Pratiquer des coups de sonde
dans le texte, pour parvenir finalement à une sélection d’une trentaine de feuillets qui
donnent un raccourci du journal, et construisent la chronologie et la dramaturgie du
film selon les deux temps du journal : avril-novembre 1942 ; août 1943-février 1944.
Pas de reconstitution, pas d’incarnation non plus.
Le personnage principal, le seul – même s’il est presque invisible – est Hélène. C’est
la voix off de tout le film. Une voix jeune, vive, presque joyeuse : cela a été le critère
essentiel pour choisir la comédienne, Céline Sallette qui porte le rôle d’Hélène.
Les archives
Des images d’époque, des images du Paris noir et sombre.
Archives d’actualités françaises et allemandes entre 1942 et 1944 utilisées parfois
comme des blocs – avec leur son synchrone, leur ton effrayant, leurs récits des grands
événements de la période, qu’Hélène Berr laisse parfois implicites – , comme le
contrechamp de ce que le Journal suppose connu.
Les images d’archives, sont utilisées le plus souvent comme les rushes d’un film à
monter.
Le but est de les arracher à la propagande, les dénaturer, les décaper, en faire, par
contraste ou par prolongement, l’équivalent cinématographique du journal d’Hélène.
Les photos
Le recours aux images photographiques de l’époque a été essentiel – images de Paris
occupé, albums de soldats allemands comme celui retrouvé il y a quelques années à
Coblence de « l’opération Meubles », ou rares clichés des internée de Drancy.
Le fonds couleur des images prises en Agfacolor par André Zucca durant l’Occupation
est une mine qui montre la « quiétude » parisienne à l’heure allemande.
© André Zucca
Les reliques privées
Les albums et les petites photos où l’on voit Hélène, Jean, Denise et ses frères et
sœurs, ses parents, sa famille, ses proches.
Elles sont rares (une quinzaine seulement) et d’autant plus précieuses.
Elles sont filmées en très gros plan, comme pour entrer à l’intérieur des visages, à
l’intérieur du passé.
Filmer également ce qu’on peut considérer comme des vestiges, des reliques de cette
histoire : et aussi par-dessus tout, la liasse manuscrite des 263 feuillets du Journal, les
mots tracés à l’encre d’une belle écriture ou jetés sur le papier au stylo ou au crayon à
partir d’août 1943.
Les document officiels
De la même manière ont été intégrés des documents officiels, pour montrer comment
l’Occupation a régi la vie quotidienne d’une catégorie de Français, simplement à
travers les traces matérielles qu’elle a laissées : cartes d’identité, cartes d’alimentation,
convocations, articles de presse, lois et textes administratifs, fiches des fichiers juifs de
la Préfecture de Police, dossier des archives parisiennes de l’UGIF…
Le son et une musique originale
Le son recrée également un espace intime, le hors champ privé de l’Histoire : bruits
traités en gros plans sonores, sonneries de téléphone ou de porte d’entrée, grincements
de parquet, rumeurs de la ville ou de la campagne sont très importants et évocateurs.
La musique originale de Marc-Olivier Dupin sert à donner au film son unité
dramatique et sa couleur.
Hélène Berr à Aubergenville
Documents – extraits
Jeudi soir 28 octobre 1943
« J’ai pensé dans le métro aujourd’hui : beaucoup de gens se rendront-ils
compte de ce que cela aura été que d’avoir 20 ans dans cette effroyable
tourmente, l’âge où l’on est prêt à accueillir la beauté de la vie, où l’on est tout
prêt à donner sa confiance aux hommes ? Se rendront-ils compte du mérite ( je
le dis sans honte, parce que j’ai conscience exactement de ce que je suis), du
mérite qu’il y aura eu à conserver un jugement impartial et une douceur de
cœur à travers ce cauchemar ? Je crois que nous sommes un peu plus près de la
vertu que beaucoup d’autres. »
Mardi 5 février 1944
« Treize enfants et parents, que vont-ils faire de ces petits ? S’ils déportent pour
faire travailler, à quoi servent les petits ? Est-ce vrai qu’on les met à
l’assistance publique allemande ? Les autres ouvriers qu’on envoie en
Allemagne, on ne prend pas leurs femmes et leurs enfants. La monstrueuse
incompréhensibilité, l’horrible illogisme de tout cela vous torture l’esprit. Il n’y
a sans doute pas à réfléchir, car les Allemands ne cherchent même pas de
raison, ou d’utilité. Ils ont un but, exterminer.
Pourquoi alors le soldat allemand que je croise dans la rue, ne me gifle-t-il pas,
ne m’injurie-t-il pas ? …
L’autre jour, chez Andrée, j’ai retrouvé tout mon journal, commencé en cette
année qui avait été à la fois si tragique et si exaltante, celle où j’ai connu Jean,
où nous pique-niquions à Aubergenville.
Maintenant, le tragique est devenu uniformément sombre, la tension nerveuse
constante. Tout n’est que grisaille, et incessant souci, d’une monotonie
affreuse, parce que c’est la monotonie de l’angoisse.
C’était il y a deux ans. Avec une sensation de vertige, je réalise que deux ans
ont passé, et que cela dure toujours. Je classe les mois en années, cela devient
du passé ; et alors j’ai la sensation intérieure que mes épaules vont
d’écrouler… »
Dernière page du journal d’Hélène
Jérôme PRIEUR
A réalisé notamment :
La Véritable histoire d'Artaud le Mômo, 1993 (2h50)
Co-réalisé avec Gérard Mordillat.
Léon-Paul Fargue, souvenirs d’un fantôme, 1996 (45')
Série « Un siècle d'écrivains »
Corpus Christi, 1997-1998 (12x52')
Co-réalisé avec Gérard Mordillat
Jean Paulhan, le don d’ubiquité, 1998 (50’)
Série « Un siècle d’écrivains »
Proust vivant, 2000 (23’)
Les Hommes oubliés de la Vallée des Rois, 2002 (52’)
L’Origine du christianisme, 2002-2003 (10x52’)
Co-réalisé avec Gérard Mordillat
Le Réveil d’Apollon, 2004 (90’)
Pasteur, 2005 (26’)
Vercingétorix, 2005 (3x52’)
1. Le roi des guerriers, 2. Le héros national, 3. Le dernier gaulois
Raoul Ruiz, un portrait chilien, 2006 (2x30’)
René Char, nom de guerre Alexandre, 2006 (61’)
L’Apocalypse, 2008 (12X52’)
Co-réalisé avec Gérard Mordillat
Le Mur de l’Atlantique, monument de la collaboration, 2010 (70’)
A propos du procès Barbie, 2011 (2h20)
Vivement le cinéma, 2011 (52’)
Dieppe 19 août 1942, 2012 (52’)
A écrit notamment :
Nuits blanches
Essai sur le cinéma
Gallimard, coll. Le Chemin, 1980.
Séance de lanterne magique
Gallimard, coll. Le Chemin, 1985.
Le Spectateur Nocturne
Une Anthologie : les écrivains au cinéma
Editions des Cahiers du Cinéma, 1993
Jésus contre Jésus
En collaboration avec Gérard Mordillat
Editions du Seuil, 1999 – « Points » n°800, 2000
Proust fantôme
Gallimard / Le Promeneur, 2001
« Folio » n°4412, 2006
Jésus après Jésus
En collaboration avec Gérard Mordillat
Editions du Seuil, 2004, « Points essais » n°533, 2005
Roman noir
Essai sur la littérature gothique
Editions du Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 2006
Jésus sans Jésus
En collaboration avec Gérard Mordillat
Editions du Seuil, 2008
Le Mur de l’Atlantique, monument de la collaboration
Denoël, 2010
Rendez-vous dans une autre vie
Seuil, « La Librairie du XIXe siècle », 2010
Ingres en miroir
Le Passage, 2012
« Le mensuel retrouvé » de Marcel Proust – préface de Jérôme Prieur
Les Busclats, 2012