20 h 45 Espace Carpeaux de Courbevoie Musiques pour

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20 h 45 Espace Carpeaux de Courbevoie Musiques pour
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Jeudi 15 janvier 2004 - 20 h 45
Espace Carpeaux de Courbevoie
Musiques pour Gaston d’Orléans
Airs de cour d’Étienne Moulinié
Anton Van Dyck, Gaston de France, duc d’Orléans (1634)
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
Le programme de ce concert est
actuellement en négociation avec
Dominique Visse, directeur musical de
l’Ensemble Clément Janequin.
Il sera prochainement à votre
dispositio.
Vous pouvez contacter à ce sujet
soit le Centre de Musique Baroque de
Versailles (01 39 20 78 10) soit l’Espace
Carpeaux de Courbevoie qui accueille
ce concert le jeudi 215 janvier 2004
(01 47 68 51 50)
Musique pour Gaston d’Orléans
Introduction aux airs de cour
d’Étienne Moulinié (1599-1676)
La vie de cour, ses ballets et ses intrigues amoureuses, la guerre
et les intrigues politiques, les jeux de société pratiqués dans les
salons parisiens, tout ce qui fait la vie de ce temps se reflète dans la
musique de celui qui fut « Intendant de la musique de Gaston
d’Orléans, frère du Roi ». Nous sommes sous Louis XIII et la
musique est faite alors de ces airs que l’on appelait « airs de cour »,
« airs à boire », « récits de ballet », selon l’occasion pour laquelle ils
étaient composés. L’œuvre de Moulinié, réduite mais séduisante, est
le reflet cette société, de ses goûts et de ses mœurs. Son premier
livre de musique, intitulé Airs avec la tablature de luth, est publié
en 1624 : il est alors âgé de 25 ans. Ce livre est dédié à Henri de
Montmorency, pair et amiral de France, gouverneur et lieutenant
général pour le Roi en Languedoc (celui-là même qui paiera de sa
vie, en 1632, sa responsabilité dans un complot manigancé par
Gaston d’Orléans) et duquel, visiblement, il espère un emploi. La
deuxième publication du musicien est dédiée au Roi lui-même,
en 1625 : en accord avec la mode du temps comme avec ses
propres espérances, le livre s’intitule Airs de cour et il est composé
à quatre et cinq parties. On y trouve deux airs extraits du Ballet du
Monde renversé, (duquel on ne sait pas grand-chose) ce qui
pourrait signaler une embauche momentanée du musicien, comme
‘extraordinaire’, pour cette participation occasionnelle à la Musique
du Roi. Le contenu de ce livre est publié la même année dans une
version pour une voix et luth : ce faisant, Étienne Moulinié se
montre désireux de s’adapter aux usages éditoriaux de l’imprimeur
du Roi, Pierre Ballard, et de promouvoir au plus tôt sa musique sous
les deux formes dans lesquelles les musiciens du Roi, et notamment
le surintendant de la Musique de la Chambre, Antoine Boesset,
publient leurs airs de cour.
La dédicace à Louis XIII ne débouchera pas sur une charge à la
Cour, mais elle n’est peut-être pas étrangère à l’entrée, peu après
semble-t-il, d’Étienne chez Gaston d’Orléans, « Monsieur, frère du
Roi ». En effet, la troisième publication du compositeur, en 1629,
Airs de cour avec la tablature de luth et de guitarre, porte la
mention : « Étienne Moulinié, Maistre de Musique de Monseigneur
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
le Duc d’Orléans, frère unique du Roy ». La singularité de ce livre
d’airs, avec ses cinq airs espagnols (accompagnés à la guitare, peu
en usage en France à cette époque), six airs italiens, un air gascon,
cinq airs à boire, renvoie à celle de la cour de Gaston : homme
d’une insatiable curiosité intellectuelle, excellent latiniste, grand
amateur de littérature espagnole, parlant couramment cette langue
ainsi que l’italien, ce prince tient une cour très ouverte aux
étrangers - tout particulièrement aux Espagnols - et aime ceux,
quels qu’ils soient, qu’attirent les plaisirs de la table. La dédicace du
recueil à une (mythique ou réelle ?) Uranie évoque l’emprise
culturelle des femmes sur la vie des cours et des salons dans ces
décennies. Après le quatrième livre des Airs de cour avec la
tablature de luth (1633) dédié à Antoine, chanteur de la Chambre
et frère aîné du compositeur, c’est à Gaston d’Orléans que le
musicien offre son Troisième livre d’airs de cour à quatre parties (le
second est perdu), publié en 1635. Son contenu est republié la
même année pour une voix et luth et dédié à Anne-Marie-Louise
d’Orléans, fille aînée du duc d’Orléans et nièce du Roi, dite la
« Grande Mademoiselle ». Suivront, en 1637, le Quatrième livre
d’airs de cour à quatre et cinq parties, dédié au Cardinal de
Richelieu, puis le cinquième, dédié à Monsieur de Toulouse
en 1639.
La production musicale d’Étienne Moulinié a-t-elle souffert des
multiples aléas de la vie à la cour de Gaston (l’énumération en est
longue : conspiration de Chalais en 1626, fuite à Bruxelles auprès
de sa mère Marie de Médicis, mariage secret avec Marguerite de
Lorraine en 1631, retours faussement repentants dans le giron de la
monarchie, projet d’expédition contre Richelieu en 1632 – qui se
solda par l’exécution de Montmorency –, affaire Cinq-Mars
en 1642…) ? Quoi qu’il en soit, son œuvre profane reflète
fidèlement l’esprit baroque et extravagant de la cour de Gaston
d’Orléans et sacrifie en même temps à l’usage de sentimentalité,
apparente mais feinte, qui caractérise la poésie du temps, et
notamment celle des airs de cour. Cette œuvre s’avère conditionnée
par les commandes et les circonstances : on trouve, mêlés dans les
recueils imprimés, des airs de salon destinés au divertissement privé
aristocratique, des airs de ballets et des airs à boire.
Les airs à tendance sentimentale représentent cette poésie
musicale que l’on appréciait tant dans les salons féminins de la
capitale et qui dit les doux tourments de l’amour, l’heureux martyre
d’un amant jouet des caprices de sa cruelle. La musique, très souple
et élégante, s’adapte à la sensibilité poétique et offre au chanteur le
loisir de développer son art de l’ornementation. Un air comme Tout
se peint de verdure illustre parfaitement ce ton élégiaque,
Musique pour Gaston d’Orléans
amoureux et triste qui participe à la variété des airs de cour. Tous les
personnages réunis dans ce poème appartiennent à la tradition
pastorale : Flore et Zéphir, Aurore et Céphale vivent un amour
heureux et sans nuage dont le printemps est la métaphore ; à
l’opposé, la solitude de Damon s’apparente à la froidure de l’hiver.
Sa mélodie, très mouvante, participe de cette esthétique du
changement et de l’illusion qui est le thème du texte. Elle use des
figures traditionnelles d’illustration des mots « froid », « cieux »,
« renouveau », mais prises à contre-pied comme pour se faire
complices de l’art métaphorique du poète.
Les ballets étaient, avec les plaisirs de la table et de l’amour, les
divertissements favoris de Gaston et de sa cour. Le Ballet du monde
renversé évoque un thème baroque s’il en est. Il montrait, entre
autres extravagances, un fou enseignant un philosophe, un écolier
fouettant son maître, une femme battant son mari… Le Ballet du
Mariage de Pierre de Provence avec la belle Maguelonne fut
certainement le spectacle qui eut le plus de succès à la cour de
Gaston. Le duc l’avait fait composer pour l’offrir à une jeune
tourangelle, Louison Roger, dont il était amoureux et il le dansa
deux fois devant elle, à Tours, avec ses compagnons habituels. Le
succès de cette représentation parvint aux oreilles de Richelieu qui
voulut le voir : aussi le ballet fut-il dansé à nouveau, par les mêmes
acteurs, à Saint-Germain.
L’argument reflète bien le goût immodéré pour l’extravagance
qu’éprouvaient les gens de cour au XVIIe siècle. Une « Sérénade
grotesque » accompagnait la première déclaration d’amour de
Pierre de Provence à la belle Maguelonne, tandis que les Vieux
Gaulois constituaient sa suite. Les combats à cheval, avec piques et
rondaches, offerts par Pierre à sa fiancée, s’inscrivent dans la
tradition ancienne des tournois. Le collationnement de diverses
sources permet de reconstituer quelques informations: Son Altesse
Royale dansait ce ballet entouré d’autres gentilshommes. Il y était
tour à tour un Proclameur (première entrée) et un Capitaine des
gardes. Le comte de Brion représentait d’abord un afficheur, puis,
en compagnie du marquis de Maulevrier, deux cuisiniers. On y
voyait la Divine bouteille, des esclaves, deux femmes de chambre,
un fol et une folle, un baladin, deux muletiers ivres, le Gouverneur
des Singes. Parmi ces multiples rôles pittoresques, le Juif errant était
sans doute l’un des plus réussis ; son entrée se faisait sur un récit
dont l’auteur n’était autre que le grand poète Tristan L’Hermite,
heureux, visiblement, de sacrifier à la tradition bouffonne du
galimatias : « Salamalec, ô rocoha Jatau y a Tihilaco amaté lieb its
on bogh gros… ».
L’air à boire est un indispensable ornement de la musique du
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
prince. Mais un air à boire peut avoir une portée inattendue,
lorsqu’il se peuple d’allusions à des événements politiques récents.
Les allusions cachées dans l’air Amis enivrons-nous ne sont pas à
n’importe quels vins, à n’importe quelles chasses. Il est précisé
« pour le retour de Monsieur » : le retour dont il est question était,
en 1634, un véritable acte d’amende honorable devant Louis XIII.
Dès 1629, Gaston s’était réfugié en Lorraine où il avait rencontré
Marguerite qu’il devait épouser secrètement le 3 janvier 1632. Ce
mariage mécontenta profondément le Roi et le cardinal. Lors de son
retour à Paris, Gaston était passé par Bruxelles où il espérait le
soutien de la reine sa mère auprès du Roi. Mais les choses se
passèrent différemment et il dut simuler une chasse au renard pour
quitter Bruxelles discrètement. On comprend ainsi les allusions du
texte : « Il a pris en courant le renard de Bruxelles… » et « Laissons
boire Gaston, il revient de la chasse ».
L’air à boire est un genre dans lequel Étienne Moulinié excelle ;
il ne le traite pas comme une genre musicalement mineur mais au
contraire élabore subtilement mélodies et polyphonie dans une
écriture parfois plus savante que celle de ses airs de cour. La franche
rythmique, le vaste ambitus, le martellement des syllabes illustrent
parfaitement le chant de table qui réunit des voix masculines dont
le timbre est rendu plus brillant par le vin… juste avant les abus.
En composant des airs espagnols, italiens et même gascons,
Étienne Moulinié s’aligne sur le cosmopolitisme de la cour de France
où vécurent plusieurs reines étrangères, que fréquentent les
ambassadeurs européens, des visiteurs de diverses provenances,
des seigneurs des pays d’Oc (dont le parler « qui sentait l’ail » avait
amusé les contemporains de Henri IV). Le contenu du troisième
livre, en 1629 (dix-neuf airs de cour, huit airs à boire, six airs italiens,
cinq airs espagnols et un air gascon), reflète le cosmopolitisme de la
cour de Gaston et la pratique croissante de la guitare comme
instrument d’accompagnement des voix. Tous les airs étrangers
(sauf un air italien) sont composés pour cet instrument. On ignore
encore tout des sources poétiques et mélodiques de ces airs; des
poètes italiens et espagnols fréquentaient les milieux aristocratiques
et la poésie de l’Espagnol Luis de Gongora était bien connue chez
Gaston d’Orléans ; le « gongorisme », synonyme d’imagination
fertile, de subtilité et d’une certaine outrance, s’accorde
parfaitement à la sensibilité baroque. La guitare apporte sa caution
à la couleur locale espagnole, en l’absence de mélodies
franchement caractérisées. Le dialogue d’un Espagnol avec une
Française évoque, au temps de Louis XIII, une situation des plus
piquantes. Malgré les origines espagnoles de la reine de France (et
les origines françaises de la reine d’Espagne..), cette nation est
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considérée comme un ennemi héréditaire ; en outre, elle est,
traditionnellement et surtout dans les ballets de cour, l’objet de tous
les quolibets et plaisanteries malveillantes que peuvent produire des
imaginations excitées par le désir de plaire. Or rien ne plaît
davantage que la médisance, la moquerie, le pointage acerbe des
ridicules d’autrui. Le dialogue Souffrez, beaux yeux pleins de
charmes, campe magnifiquement la morgue quelque peu imbécile
et le manque de raffinement de l’Espagnol, face au langage
métaphorique et chantourné de la coquette que la fréquentation
des salons a rendue maîtresse dans l’art de railler juste. La vanité
stupide et l’odeur d’ail des Espagnols, la cruauté dédaigneuse et
l’esprit de répartie des dames françaises on beau être des lieux
communs, ils inspirent, dans cet air, une saynette pleine de
truculence et de réalisme mondain.
Si les airs espagnols trouvent un miroir assez fidèle dans les
recueils de Moulinié, les airs italiens n’ont, hormis la poésie, rien
d’italien. Parfois, cependant des recherches les apparentent quelque
peu aux rythmes de danses italiennes, comme le saltarello. Que
dire de cet air gascon L’auzel ques sul bouyssou qui contient une
allusion à Marguerite ? S’agit-il de Marguerite de Valois, première
épouse d’Henri IV, qui vécut en Béarn, ce qui justifierait l’emploi du
gascon ? Ou bien de Marguerite de Lorraine, que Gaston a épousée
secrètement, le 3 janvier 1632 ; certes, la Lorraine n’est pas la
Navarre : mais le prince est alors entouré de méridionaux, parmi
lesquels le duc Antoine de Puylaurens a bien pu inspirer et l’allusion
et la langue. La mélodie hésite entre le tour savant et une certaine
simplicité, sans cependant céder à l’allure populaire.
Le talent de Étienne Moulinié s’avère donc multiple, capable de
rendre l’esprit délicat de certaines poésies, aussi bien que la
truculence joviale des airs à boire et la fantaisie joyeusement
absurde des airs de ballet. À l’évidence, la cour de Monsieur n’avait
rien à envier, en matière de maître de sa Musique, à celle de son
royal aîné Louis XIII.
GEORGIE DUROSOIR

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