La révolution des musiciens

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La révolution des musiciens
Musique Liberté Rapport no. 3: Libye • 3 Mars 2012
Un groupe de musique locale a Tripoli, un concert de 2009, Houari, Fouzia
Libye:
La révolution des musiciens
Un an après la révolution du 17 février qui a mis fin à 40 ans du régime totalitaire du
colonel Kadhafi, la Libye se bat encore pour un avenir meilleur, et pour un Etat où la
liberté d’expression musicale devienne un droit constitutionnel.
De Saïd KHATIBI
«La censur» était un mot très fréquent en Libye pré-révolutionnaire. Le pays a, pendant
plus de quatre décennies (1969-2011), souffert des pratiques dictatoriales d’un régime
politique intolérant, qui régnait avec un bras de fer. La liberté d’expression était une
question «indiscutable»; elle était déjà définie par le Livre Vert (en référence au livre
rouge) du colonel Mouammer Kadhafi (1942-2011) où on lit: «Si toute personne a le droit
de s'exprimer il n'en demeure pas moins que son opinion n'est que personnelle. Ainsi la
propriété privée d'un journal est inadmissible car il ne ferait que diffuser l'opinion de ses
propriétaires».
Monopole étatique
Les journaux, radio et télévision ont été monopolisé par l’Etat. La télévision officielle
diffusait, pendant des années, quotidiennement, des fragments des discours et des
déclarations du «Guide» le colonel Kadhafi. Il y était interdit d’utiliser une langue
étrangère. L’arabe était la seule langue dominante. Toutes les langues étrangères étaient
pris pour des langues colonialistes. L’identité berbère fut niée (A savoir que les berbères
représentent 20% de la population, soit 1,4 millions d’habitants).
Pas d’accès aux sites web
Dès fin 2007, le peuple libyen commençait à espérer un changement. L’élite,
généralement expatriée à l’étranger, commençait à parler d’une ouverture du régime
politique sur la démocratie. Faisant confiance aux promesses de Seif El Islam, le fils ainé
de Mouamar Kadhafi, qui a promis une ouverture médiatique, et une démocratisation de la
diversité des expressions culturelles. Des promesses qui n’ont, malheureusement, jamais
eu lieu. C’était de la poudre aux yeux, disait Khaled Sabri, un journaliste libyen freelance.
Les journaux internationaux restaient interdits d’accéder à l’intérieur du pays. Le citoyen
était, de moins en moins, informé par ce qui se passait à l’extérieur.
Vivre sous surveillance
Khaled nous a raconté un fait qui peut tout résumer: «les libyens n’ont appris la mort de
Michael Jackson que deux mois plus tard ». Les sites web étaient contrôlés. Youtube et
Dailymotion étaient interdits. Les sites du piratage et du téléchargement des films
étrangers aussi. Les libyens se déplaçaient, à l’époque, en Egypte et en Algérie (deux
pays limitrophes) pour s’informer.
Chante-moi la rue
Cheb Djilani, l’un des célèbres chanteurs libyens, sa fusion rai et pop lui a accordé un
énorme succès auprès des jeunes. Il a eu la chance de chanter dans les plus grands
festivals musicaux dans le monde arabe, au Liban comme en Algérie. Il déclare: «Le
colonel Kadhafi a rendu le peuple libyen stupide». Le chanteur a eu le courage, en plein
révolution de 17 février, de critiquer le régime et d’assumer ses prises de positon. Lui
aussi a subi la censure. Il était persona no grata sur la télévision et la radio officielles. Il lui
a fallu de se rendre à l’étranger pour imposer sa présence et pouvoir s’adresser à ses
compatriotes.
«Street Beyt» est un groupe de rap libyen, fondé en 2008 à Benghazi. En 2011, il se
rebaptise de «Révolution Street». Islam (22 ans), le fondateur du groupe nous raconte
«Nous voulions, dès le début, chanter le malaise de notre génération et le malheur des
gens libyens. Mais nous avions eu peur. Les hommes du régime nous ont intimidé. Ils
nous ont menacé de prison si nous critiquons le Guide». A l’époque de Kadhafi, tout
chanteur libyen est censé compter dans son répertoire une ou deux chansons flirtant le
pouvoir. Une instruction à laquelle nombreux chanteurs ont cédé.
Musique impériale, dites-vous?
Islam rajouta: «Ils nous interdisaient d’utiliser la guitare, puisqu’elle est considéré comme
un instrument occidental. Ils nous ont proposé de chanter pour le Guide contre quelques
avantages, voyages et argent». Le respect des aspects conservateurs de la société
libyenne était une obligation sur la chanson libyenne. Chanter la femme et l’amour étaient
limité dans un cadre très restreint. Citer le sexe et l’alcool dans une chanson était
strictement interdit. Vu la nature bédouine qui enveloppe de nombreux de villes du pays, le
conservatisme était souvent mêlé à la religion. Chanter avec des instruments était pris
pour certains comme un acte non-autorisé en Islam. Un imam à Tripoli a prononcé en
2008 une fatwa qui incite la population à brûler tous les CD et les cassettes de musiques
arabes ou occidentales où les chanteurs utilisaient des instruments. Ajoutant à cela, une
autre fatwa poncée en 1995 qui prive la femme de son droit de chanter.
Le chemin de l’universel
Mais aujourd’hui, après la fin de l’ancien régime et la chute de la dictature, Islam pense
relancer réellement sa carrière de rappeur. Il commente: «Aujourd’hui, je me sens plus
libre que jamais». Cependant, le mot liberté demeure un concept relatif en Libye. Le
déroulement des événements pousse des musiciens à poser un tas de questions sur
l’avenir du pays. Abdelhakim, un violoniste (41 ans) déclare: «les choses ne sont pas tout
à fait claire. Le pays vit une transition difficile. Les musiciens craignent une montée des
partis islamistes».
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Alors que la Tunisie et l’Egypte se sont, ces dernières semaines, dotés de deux
gouvernements islamistes, qui ont promis un régime politique basé sur la charia, des
musiciens libyens affirment leur volonté de mener une contre-révolution si les islamistes
tentent de limiter leur champs de la liberté d’expression.
Les musiciens et les chanteurs libyens sont encore moins connus. Ils souffrent d’un
manque flagrant des moyens de diffusion. La plupart d’entre eux enregistraient ses
travaux au niveau de la radio. Rares sont les studios d’enregistrement équipé. Certains
profitent aujourd’hui des réseaux sociaux en vue de diffuser leurs derniers
enregistrements filmés avec caméras amateurs. Ibrahim (47 ans), un parolier et
compositeur, résume le horizon d’attente de ses homologue: «nous souhaitons une
ouverture médiatique. Une radio et une chaine de télévision qui peuvent transporter notre
voix à l’étranger».
Festivals policiers
A l’époque du colonel Kadhafi, la Libye organisait des festivals musicaux. Mais souvent
sous contrôle policier. Les autorités imposaient un CV détaillé sur les chanteurs et le texte
complet des paroles qui seraient chanter en public. La liberté d’expression n’avait aucun
sens à cette époque-là. Cependant, les artistes résistaient. Aujourd’hui, les choses
commencent à évoluer, lentement, mais surement. Le chemin est encore long. Le pays est
en encore en reconstruction et la menace islamiste reste très inquiétante. Les artistes et
les musiciens semblent déterminer à mener leur combat jusqu’au bout. La Libye se soigne
de plus de quarante ans de la répression et cherche, petit à petit, à retrouver sa place
dans le monde.
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À propos de l'auteur
Saïd Khatibi est un journaliste algérien et militant pour les Droits de l’Hommes. Spécialiste
des musiques maghrébines et auteur de trois essais, entre autres «Cérémonies du feu»,
qui se considère comme le premier livre documentaire sur la musique rai.
À propos des Musique Liberté Rapports
Ce Musique Liberté Rapports fait partie d'une série d'articles publiés à l'occasion de la
Journée de la Liberté Musique annuelle de 3 Mars 2012. Plus d'informations sur les
rapports et sur la journée d'affranchissement de musique peuvent être trouvés sur:
musicfreedomday.org
Plus d'informations
Pour plus d'information sur la musique et de la censure au Libye, voir:
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