conclusion - Tom Kyns, Curiosités Critiques.

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conclusion - Tom Kyns, Curiosités Critiques.
 MÉMOIRE En vue de l’obtention du MASTER II MUSEOLOGIE ET NOUVEAUX MEDIAS Délivré par l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris III LE PATRIMOINE OLFACTIF UN EFFET PLACEBO A L’APPREHENSION DE LA PERTE THÈSE PRÉSENTÉE PAR MATHILDE CASTEL SOUS LA DIRECTION DE FRANÇOIS MAIRESSE Année 2014 -­ 2015 1 TABLE DES MATIERES CONCLUSION GENERALE 2 BIBLIOGRAPHIE 6 ANNEXES PARFUMS VINTAGES LES EXPÔTS ANTHROPOLOGIQUES MUSEOGRAPHIE DE L’IDENTITE 14 14 Erreur ! Signet non défini. 22 DISPOSITIFS OLFACTIFS Erreur ! Signet non défini. MEDIATION DU PARCOURS ENFANT Erreur ! Signet non défini. SCHEMA ACTANTIEL DE GREIMAS 23 LA SAGA GUERLAIN 24 EPISODE PILOTE – LE CAS SHALIMAR 24 EPISODE 3 – JICKY A LA BARRE 28 EPISODE 13 – L’AFFAIRE MITSOUKO 33 CONCLUSION GENERALE L’intérêt de la présente recherche pour la notion de patrimoine olfactif tient à la diversification des potentialités sensorielles de la transmission patrimoniale. L’odorat renvoyant à une modalité perceptive se complexifiant dans la fugacité, la conception d’un patrimoine olfactif – principalement pensé relativement à l’intermédiaire du parfum – semble une opportunité d’ouverture du corps patrimonial aux horizons de la multisensorialité. Le fait est qu’au cours d’une première appréhension des typologies du patrimoine culturel, nous avons constaté que l’olfactif pouvait simultanément s’inscrire dans plusieurs d’elles, sans parvenir à pleinement s’accomplir dans une seule. D’où l’idée première de ne pas le concevoir comme intégrant d’une distinction patrimoniale préexistante, mais comme une division à part entière dont il importe de définir les 2 caractères. Nous avons conséquemment concentré nos recherches à l’approfondissement de variations constitutives du patrimoine culturel, notamment les notions de temporalité, d’authenticité, de mémoire, ainsi que les divergences conceptuelles entre les cultures orientales et occidentales. L’aboutissement de ces diverses appréhensions conduit à la réduction de la structure patrimoniale aux caractères relatifs à l’objet, l’identité, la mémoire et la transmission. Si insuffisants à l’estimation intégrale de la dimension du patrimoine, ils en demeurent des piliers sans lesquels aucune conception n’est possible, et suffisaient par conséquent à l’évaluation de la faisabilité théorique du patrimoine olfactif. Au regard des théories de Babelon et Chastel, mais également de Di Méo, Laval, Jeudy, Heinich, Le Goff, Frangne et Schiele, nous avons émis des contenus potentiels et composites à la théorisation du patrimoine olfactif, à savoir : « l’objet personne » et l’identité fantasque prônées par Delbourg-­‐Delphis, la mémoire de répétition émise par Le Goff et la transmission éducative revendiquée par Boell et Sibony. Le second temps de notre recherche consistait à mettre en regard notre conception approximative du patrimoine olfactif avec les transpositions pratiques actuellement observables via l’avènement culturel de la parfumerie. Les sites du Musée International de la Parfumerie à Grasse, du Conservatoire des parfums de l’Osmothèque à Versailles ainsi que les expositions de parfumerie récemment commanditées par les maisons de luxe à Paris, ont fait l’objet d’un protocole de visite et d’étude permettant de canaliser la diversité de leurs activités dans le paradigme de notre recherche. Les repesées de parfums effectuées par la maison Guerlain ont également été appréhendées avec rigueur dans le cadre d’un atelier olfactif individuel, ainsi que par l’étude d’une retranscription écrite de la médiation prodiguée aux amateurs de parfums par Thierry Wasser et Frédéric Sacone, et l’analyse d’une interview de Wasser réalisée à cette occasion et dont Alexis Toublanc a consenti à nous faire partager l’exclusivité. De comparaisons successives, il est apparu que notre conception théorique ne trouvait en rien son plein aboutissement dans les transpositions pratiques du patrimoine olfactif. La confrontation de ces deux dimensions a par ailleurs permis de simultanément mettre en relief les paradoxes propres à chacun, et de fait, d’anticiper une certaine incohérence commune. Il est notamment apparu que le patrimoine olfactif ne pouvait se concevoir indépendamment de la pratique, et que le paradigme strictement philosophique que 3 nous avions premièrement choisi de suivre était entièrement désuet. La transposition des repesées en parfumerie, notamment celles effectuées par la maison Guerlain, s’est alors posée comme le cas le plus recevable de patrimoine olfactif. Cette dernière a successivement permis de mettre au jour l’importance de la dimension économique du patrimoine, dont nous avions également pensé pouvoir nous affranchir lors de cette étude. La résultante strictement pratique d’un patrimoine olfactif renvoie au fait que sa non rentabilité ne rend pas son expansion envisageable dans un contexte européen de crise économique. Au regard de cette restriction concrète, nous avons souhaité apporter une ouverture au problème de l’irréversible perte de l’expérience olfactive qui – qu’importe l’intégrité concrète des repesées de parfum – demeure une lacune à la pleine recevabilité d’un patrimoine dit « olfactif. » Nous nous sommes par conséquent tournés vers les capacités de l’écriture phénoménologique husserlienne à cristalliser une certaine expérience sensorielle, et successivement, à élaborer un patrimoine documentaire-­‐expérientiel de l’olfaction. Les critiques de parfums ont été envisagées comme contenants phénoménologiques potentiels, point que nous avons tenté de démontrer par la mise en regard thématique de divers textes. Les modalités comparatives ayant également été variées pour toucher à un plus haut niveau d’exhaustivité, nous avons également modulé le degré d’expertise et la nationalité des auteurs. De ces confrontations, il est apparu que la critique de parfums n’est pas une pratique absolue en soi, et que l’écriture phénoménologique olfactive au sens husserlien du terme n’y est ni immanquablement présente, ni convenablement exploitée. La mise en regard avec un texte anglophone nous a permis de prendre conscience que l’expérience proprement sensorielle du parfum importe bien d’avantage aux américains qu’à la critique française, laquelle ne s’attarde que de façon approximative et circonscrite à sa retranscription. Il semble par conséquent inconcevable de bâtir un patrimoine documentaire-­‐expérientiel olfactif basé sur les productions de la critique française. De fait, si le patrimoine olfactif ne peut économiquement pérenniser en France, son intégrité expérientielle ne semble également pas à même de s’épanouir en ce pays. Notre recherche – si non aboutissant simplement à la définitive impossibilité d’élaboration d’un patrimoine olfactif en France – pourrait conclure à une nécessaire projection des potentialités exécutoires du patrimoine olfactif au delà des frontières européennes. 4 Quant aux cas actuellement observables de « patrimoine olfactif » à Grasse, Versailles et Paris, il semble nécessaire de dénoncer l’essentielle tendancialité de leur nature, ainsi que leur paradigme adhérant principalement au phénomène occidental du « Tout patrimoine » et non à un quelconque désir intègre de transmission patrimoniale. L’ensemble de notre recherche semble nous mèner au constat que le « patrimoine olfactif » européen n’est intrinsèquement qu’un effet placebo à l’appréhension de la perte. 5 BIBLIOGRAPHIE ALBERT Jean-­‐Pierre, Odeurs et sainteté. La mythologie chrétienne des aromates, éd. École des Hautes études en sciences sociales, Paris, 1990. AMBROSE Timothy, PAINE Crispin, Museum basics, éd. 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On dit souvent que « Les gouts et les couleurs, ça ne se discute pas. » Pourtant, et c’est le cas de la séance d’aujourd’hui, nous allons voir qu’il existe bel et bien une manière d’évaluer et de juger un parfum. Dans son guide, Lucas Turin met en avant le fait que certaines créations avaient subi des modifications olfactives, et que les versions commercialisées n’étaient plus véritablement identiques de celles vendues quelques années plus tôt. Mais à l’époque où il dénonce les reformulations déjà à l’œuvre dans le secteur, peu de personnes s’intéressaient au domaine de la parfumerie. Ce n’est qu’au milieu des années 2000 qu’un premier mouvement apparaît, celui des blogs de critiques de parfum américains, principalement tenus par des amateurs maitrisant la parfumerie française sur le bout des doigts. Fins connaisseurs de l’histoire de la parfumerie et des créations parues au cours du XXe siècle, ils vont entamer de 14 comparer les versions anciennes avec les parfums actuellement commercialisés. Ce n’est qu’en 2006 que ce mouvement s’est propagé en France. Il occupe actuellement une place très importante dans l’évolution de la parfumerie contemporaine. Pourquoi les parfums vintages ? Il est vrai que les formules changent, la majeure partie des marques parvient enfin à l’admettre. Si la question des réglementations liées à l’hygiène en est la principale cause, on peut également évoquer la perte des formules. On est effectivement sur des formules très anciennes qui peuvent être égarées durant le rachat d’une maison par une autre. Il arrive que les détendeurs des formules refusent de les céder au nouvel acquéreur. On est par conséquent obligé de reformuler au hasard. Les matières interdites ne sont également pas à négliger, la date clef remontant à 1979 avec l’interdiction du musc animal en parfumerie. Il peut y avoir des reformulations pour des questions de coûts, car il n’est plus possible d’investir dans un parfum comme on se le permettait à l’époque. Enfin, l’approvisionnement des matières premières peut changer, le galbanum par exemple – qui est une racine – n’est plus importé d’Iran pour des raisons géopolitiques. Un nombre important d’éléments intervient dans le fait que votre parfum va changer. Aujourd’hui nous allons sentir des parfums anciens, dont certains ont près d’un siècle puisque remontent à 1920. Certains peuvent être plus récents, mais l’ensemble des versions que vous allez sentir n’est plus commercialisé. Nous avons fait une sélection de 17 parfums ayant marqué l’histoire de la parfumerie du XXe siècle. Certains ont été précurseurs, d’autres novateurs parce qu’ont introduit de nouvelles tendances, et quelques uns ont été des best sellers de l’époque. Ce qui est intéressant c’est de découvrir les codes olfactifs des décennies précédentes, voir ce que l’on pouvait aimer au début du XXe siècle et ce qui se vendait de manière générale. Nous aurons notamment l’occasion de créer des filiations entre divers parfums car, si l’on reproche au marché actuel de n’être pas suffisamment inspiré et de beaucoup copier la concurrence, il faut savoir que le plagiat est une réalité, mais que cela se faisait déjà bien avant. Une dernière précision, chaque fois que vous sentirez un parfum, nous vous donnerons simultanément sa date de création ainsi que l’année de la version que vous sentez. Par exemple, pour certains parfums des années 20, nous sentirons une version des années 60. Nous vous préciserons également s’il s’agit d’un extrait, d’un parfum de 15 toilette – qui sont les ancêtres des eaux de parfums et dont l’appellation a disparu en 1980 – d’une eau de toilette ou d’une eau de Cologne. Pour certains, nous sentirons successivement la version ancienne puis la version actuelle afin de les comparer. Ceci est avant tout une séance d’échange donc n’hésitez pas à donner votre avis, cela nous intéresse également de connaître les différences que vous percevez entre les versions anciennes et actuelles, ce que vous préférez et si vous trouvez que la reformulation est intègre ou non. L’Origan – Coty Parfum de 1905 senti dans une version Eau de Cologne des années 1940. Coty est un précurseur de la parfumerie moderne. Autodidacte venu d’Ajaccio, il arrive à Paris en 1904 avec le désir de créer sa propre maison de parfumerie. Son souhait s’étant réalisé un an plus tard, l’Origan fut son tout premier parfum. Coty ose pour la première fois l’emploi massif de bases de synthèse. Il se fournit auprès de laboratoires fournisseurs de matières premières et d’accords déjà travaillés. Lorsqu’il crée l’Origan, il innove la famille olfactive des ambrés-­‐fleuris-­‐épicés. C’est un parfum très aromatique et baumé, qui joue sur des accords de fleur d’oranger et d’œillet. Ce dernier, nous le verrons par la suite, était une note extrêmement employée dans la parfumerie de l’époque et jusque dans les années 1940 alors qu’aujourd’hui cela peut paraître complètement désuet. L’Origan se caractérise donc par une signature fleur d’oranger, œillet, violette, vanille, héliotropine – la note amandée – fève tonka en fond et coumarine qui donne cet aspect un peu aqueux. C’est un parfum qui va énormément se vendre, notamment auprès de la petite bourgeoisie que Coty visait particulièrement avec cette création, tandis que des enseignes telles que Guerlain ou Caron ne se concentraient que sur l’aristocratie voire la haute bourgeoisie. On verra par ailleurs que lorsque Coty fait un parfum qui marche, Guerlain reprenait assez couramment la formule afin de la perfectionner pour son compte. 16 Après l’Ondée – Guerlain Parfum de 1906 senti dans une version extrait de 1999. Alors que la plupart des marques s’appliquaient à travailler la retranscription des matières en parfumerie – des cuirs, des lavandes, jasmins et autres soliflores -­‐ Guerlain innove par son traitement de l’abstraction. Dans ce parfum, nous sommes face à une forêt idéalisée après la pluie, un moment très poétique s’affranchissant totalement de la matière. Après l’Ondée fait figure d’un usage des aldéhydes ainsi que de la note de mimosa que l’on retrouvera à plusieurs reprises chez Guerlain. Si l’extrait que vous sentez a été arrêté, c’est principalement à cause de la note d’œillet, qui se compose de clou de girofle et d’eugénol, lequel étant extrêmement réglementé par les normes anti allergisantes. La complexité et la finesse de la composition de ce parfum font qu’il est très délicat de le reformuler sans la note d’œillet, Guerlain a rapidement compris qu’une repesée commercialisable ne serait pas envisageable, et a par conséquent préféré interrompre la production de l’extrait pour une version moins concentrée en eau de toilette. Quoi qu’il en soit, Guerlain va se démarquer par le fait de traiter l’abstraction plus que la matière dans sa parfumerie. D’autres parfums succèderont sur ce point à Après l’Ondée. Narcisse noir – Caron Parfum de 1911 senti dans une version extrait des années 1960. Caron était le concurrent direct de Guerlain. Les produits de la maison vont énormément se vendre aux Etats Unis où l’enseigne sera d’ailleurs plus connue que sa rivale. Crée par Ernest Daltroff, Narcisse noir est un parfum qui ne ressemble en rien à ce que l’on créait dans les années 1910. Il traite en effet la fleur d’oranger mais avec un aspect très animal, fauve et sombre, notamment avec de la civette et des muscs. C’était un parfum très opulent dont on se servait principalement pour parfumer les fourrures lors des sorties à l’Opéra. Dans cette version antérieure qui est presque gothique, il n’aura aucun descendant et demeurera une structure assez unique. Néanmoins lorsque vous sentez la version actuelle, vous vous apercevez que la fleur d’oranger a été traitée avec un côté beaucoup plus pâtisseries orientales, notamment 17 avec des muscs blancs et du sudéral, ce qui donne cet aspect cuir moderne un peu daim. On peut également déceler un coté feutre à colorier et une note de savon de Marseille. Le traitement de la fleur d’oranger est plus consensuel dans la version actuelle, et demeure de fait bien plus beau dans celle antérieure. Quelques fleurs – Houbigant Parfum de 1912 senti dans une version extrait des années 1920. Nous sommes ici sur une très bonne vente du début du XXe siècle. Vous pouvez constater un accord floral assez opulent, presque lourd, riche, un peu solaire avec des notes d’eugénol, d’ylang ylang et une pointe d’aldéhydes. (Les aldéhydes sont une matière qui date du début XXe et dont la plus grande utilisation s’est faite dans le N°5 de Chanel. A l’époque où les maisons de mode se sont intéressées à la création de parfum, l’aldéhyde était en quelques sortes « la matière des couturiers. ») Cette dernière nous fait nous interroger sur la possibilité que Quelques fleurs ait pu influencer la composition du N°5 et plus directement du N°22 avec lequel on retrouve une filiation plus évidente. La version actuelle de ce parfum s’appelle désormais Quelques fleurs l’original. Or si vous sentez bien, vous constatez que cette version est beaucoup plus verte, plus crémeuse, on change pour le coup totalement de famille olfactive. Il y a énormément de notes vertes mais également un côté muguet, des muscs et une impression aqueuse en fond. Le problème que pose ce parfum, c’est celui de l’intégrité. Les reformulations existent, on le sait et il devient dans un tel cas malhonnête de la part des maisons de parfumerie de promouvoir la vente d’un parfum original alors qu’on en a fait quelque chose de totalement autre. C’est un non respect de la trame olfactive mais également de la clientèle. Qui plus est dans d’autres domaines, il serait totalement impossible d’à ce point falsifier un produit. Dès que la formule change, les marques doivent le préciser, que ce soit dans les produits alimentaires ou d’entretien. Or, on constate qu’en parfumerie il est possible d’agir à sa guise. Les maisons n’ont pas conscience de l’importance de préserver leur identité olfactive, et c’est vraiment dommage. 18 L’Heure bleue – Guerlain Parfum de 1912 senti dans une version des années 1980. On revient chez Guerlain avec le paradigme de suggestion d’un moment de la journée plutôt que la retranscription d’une matière. Avec l’Heure bleue, on est dans l’instant de battement entre le jour et la nuit. Si on le sent, on retrouve la structure amandé, poudré et épicé qui reprend la trame olfactive proposée par Coty avec l’Origan. On parlait tout à l’heure des réappropriations de structures de Coty par Guerlain, vous en avez ici un exemple. Cette dernière a rendu la forme du parfum plus ronde et réconfortante. Mais malgré sa structure enveloppante, on retrouve les notes anisées et aromatiques propres à Coty. Ce parfum va s’inscrire dans les mémoires comme une fragrance très parisienne, son succès en province ne sera pas du tout le même qu’en la capitale. On y retrouve également la note d’œillet qui permet de véritablement structurer le parfum, de le corseter, de lui donner du corps et du panache. On en a un bon exemple dans L’Air du temps de Nina Ricci. D’ailleurs, on remarquera que lorsque l’œillet fut interdit et que plusieurs reformulations durent s’en affranchir, les parfums ont eu tendance à s’avachir. Tabac blond – Caron Parfum de 1919 senti dans une version des années 1950. Tabac blond réinvente la famille des cuirs en parfumerie. Cette dernière existait déjà au XIXe siècle avec les déclinaisons des cuirs de Russie, mais ce parfum apporte une structure tabassée très moderne pour l’époque. Il fait allusion aux volutes de tabac blond fumé par les garçonnes des années 20 tandis que le tabac brun était réservé aux hommes. On peut dire que si beaucoup de parfums sont venus alimenter la famille des cuirs, aucun ne sentira jamais comme Tabac blond, du moins pas avant Cuir Mauresque. Il a une structure assez brute avec un fond poudré qui vient l’arrondir sans l’assécher. S’il y a eu plusieurs reformulations de ce parfum tout au long du XXe siècle, vous avez actuellement celle qui est la plus cuirée. Si vous sentez maintenant la version actuelle, vous allez vous rendre compte qu’elle est beaucoup plus grasse et plus lactée. On pourrait presque dire qu’elle joue sur les codes anciens mais de manière très caricaturale, sans percevoir la subtilité des accords 19 d’origine. Par ailleurs, sa tenue s’est considérablement dégradée et se rapproche bien d’avantage de celle d’une eau de toilette. Shalimar – Guerlain Parfum de 1925 senti dans une version extrait des années 1970. Alors celui la, si vous ne le reconnaissez pas, ca va barder. Il s’agit bien évidemment de Shalimar, qui est un des premiers orientaux en son genre. Sa formule reprend de nouveau une structure de Coty, celle de l’Emeraude qui était un oriental vanillé avec très peu de nuance florales. Dans Shalimar on constate une véritable dualité entre les notes hespéridés et vanillées. Le cœur oriental permet d’étendre les notes de rose, de muguet, de lavande et les quelques nuances aromatiques et boisées en fond qui rappellent vaguement Jicky. On a également une note cuirée de bouleau qui vient relever le tout et tenir l’ensemble. La version actuelle de Shalimar est beaucoup plus tarte au citron, principalement à cause de la surdose de bergamote. Thierry Wasser souligne d’ailleurs que les problèmes de la reformulation de Shalimar ne tiennent pas aux épices mais aux muscs et à la bergamote. Cette dernière est actuellement beaucoup plus light que l’antérieure qui était très fruitée avec beaucoup de corps, et qui pouvait suivre l’évolution du parfum sur plusieurs heures. Néanmoins si portée, la version actuelle de Shalimar ne fait pas illusion au regard de l’ancienne, son sillage en revanche demeure le même qu’à l’époque. Et nous nous accordons tous à dire que malgré tout, une femme qui porte Shalimar c’est absolument somptueux. Femme – Rochas Parfum de 1943 paru en 1944 et senti dans une version des années 1970. Marcel Rochas, qui était un grand couturier du XXe siècle, demanda un jour à Edmond Roudnitska un parfum travaillant la note de pruneau confit. Ainsi naquit Femme, un chypré fruité s’inspirant assez ouvertement de Mitsouko de Guerlain avec cette note de prune particulière qui vient de la molécule du prunol. Le parfum se pare d’un cœur 20 classique de rose et jasmin avec un fond boisé, mousse de chêne et cuir. C’est une fragrance assez difficile à porter du fait de son coté très fourrure. Une nouvelle fois, ce n’est pas un parfum de jour mais une parure destinée aux sorties nocturnes. On lui retrouve également un côté très cumin avec quelques teintes de pêche. En 1989, on trouve que le parfum n’est plus assez diffusif, et on demande à Olivier Cresp de le reformuler. Ce dernier s’exécute sans pouvoir bénéficier de la formule d’origine et aboutit à ce que vous sentez, qui est beaucoup plus ambré, plus cumin, moins sombre et moins fruité. Ce qui est à noter c’est que généralement, lorsqu’on demande à un parfumeur quel est le parfum qu’il aurait rêvé de créer, les deux réponses qui reviennent constamment sont : Mitsouko et Femme de Rochas. Plus largement, sachez que la famille des chypres, c’est un peu le fantasme des parfumeurs, car c’est une famille très complexe et sophistiquée avec beaucoup de dualités. C’est un travail de composition olfactive très intellectuel. 21 ANNEXE 3 MUSEOGRAPHIE DE L’IDENTITE MUSEE INTERNATIONAL DE LA PARFUMERIE NECKER Eric, RASSE Paul, Techniques et cultures au musée : Enjeux, ingénierie et communication des musées de société, éd. Presses Universitaires de Lyon, 1997, p. 127. 22 ANNEXE 6 SCHEMA ACTANTIEL DE GREIMAS STRUCTURE NARRATIVE DES CONTES ENCYCLOPEDIE LIBRE SCHEMA ACTANTIEL 23 ANNEXE 7 LA SAGA GUERLAIN AUPARFUM.COM EPISODE PILOTE – LE CAS SHALIMAR Le cas Shalimar s’est déroulé comme un grand procès médiatique. La tension dans la salle était palpable quand défilèrent à la barre des nez de nos juges, trois mouillettes de trois Shalimar différents. Etaient représentés : un extrait de 2014, témoin de l’état actuel du parfum créé par Jacques Guerlain ; un extrait repesé en frais par Frédéric Sacone et Thierry Wasser d’après la formule originelle (et donc sans suivre la législation européenne) et un extrait de 1925, c’est-­‐à-­‐dire un Shalimar ayant passé près de 89 ans dans son flacon Art Déco à voir le monde évoluer, et sa formule par la même occasion. La note fumée de cuir qui donnait du mordant à Shalimar depuis 1925 et lui évitait d’être une simple crème dessert. Ce parfum pose donc un problème majeur. Mais qui n’est pas forcément celui auquel vous pensez... Si on remonte aussi loin dans le passé, bien avant les extraits et parfums de toilette des années 80-­‐90, le souci principal n’est pas seulement cette note cuir (apportée par le bouleau) que beaucoup réclament. Ce n’est pas seulement le final du parfum qui est moins théâtral, mais bel et bien son prologue : la bergamote. Bergamote qui n’est, d’ailleurs, apparemment vraiment pas le seul tracas. Thierry Wasser glisse alors à l’assemblée, avec un sourire en coin : « Il y a des évidences évidentes et des évidences qui le sont un peu moins... ». Sur ces mots, les jurés que nous formions entamèrent l’une des premières délibérations. 24 Matières incriminées Thierry et Frédéric témoignent : ce sont la bergamote donc, mais également les muscs, les notes animales (par le costus et le traitement de la civette) qui auront notamment été les grands récalcitrants de ces reconstitutions ; ainsi que la note de cuir (évidente mais pas seule) dans le cas du mythique parfum de 1925. La touche de la version de Shalimar de 2014 sous le nez, on constate que s’occuper des reformulations et du patrimoine est un défi pour un parfumeur : à lui de savoir quelles matières doivent être conservées et lesquelles peuvent être éliminées. En fonction de la législation, il faut parfois revenir en arrière en "bricolant" selon ce qui est encore disponible, selon comment tel ou tel matériau est produit et où... A défaut, il faut parfois trouver l’effet perdu d’une matière par le traitement d’une autre, quitte à s’éloigner de la formule d’origine. (A la manière dont, à partir d’un point de départ A on peut découvrir des voies qui sont impraticables lorsque l’on chemine qui nous contraignent à modifier notre trajectoire pour parvenir à un lieu d’arrivée B.) Du vieillissement de nos vintages Au tour du Shalimar de 89 ans de passer à la barre. Porté aux nues par les puristes, l’accusé permet subtilement de comprendre une variable souvent mise de côté : les matières changent avec le temps. Comment évaluer un parfum ayant vieilli alors ? A la différence de la science des pigments pour la peinture, nous ne connaissons pas d’études permettant de voir comment les odeurs se dégradent ou s’accentuent avec l’âge. Que certaines notes remontent alors que d’autres perdent en puissance était quelque chose d’évident pour l’assemblée que nous formions. Mais de manière aussi flagrante... La surprise était de taille. Ainsi, si la mousse de chêne, l’opoponax ou le patchouli apparaissent plus amples, la note cuir, elle, semble moins sensible bien que présente, signe d’une perte de puissance dans le temps. En résulte un Shalimar beaucoup plus sec, avec des baumes chauds qui viennent donner plus d’épanouissement aux notes terreuses que dans la version repesée, où les notes aromatiques, hespéridées ainsi que l’animalité apportent beaucoup d’éclat et de montant. A noter aussi que dans la repesée, les notes rosées sont plus scintillantes, rehaussées de vert par la bergamote et plus grasses par l’animalité de la 25 civette et du costus. Le tout forme un ensemble harmonieux de notes complexes qui signeront par la suite, auprès de la fameuse Guerlinade, un fil conducteur formant comme un air de famille entre plusieurs créations, entre autres avec Jicky de manière flagrante. Ce cœur floral n’était que peu perceptible dans l’extrait de 89 ans : il faut, donc, être vigilant avant de tirer certaines conclusions hâtives. Ce que l’on comprend à ce stade de la matinée, c’est la nécessité de bien maîtriser son sujet avant de pointer du doigt tel ou tel problème. La Bergamote au pressoir Est appelée pour le procès une bergamote dite « brute ». Déclinant son identité, on apprend que cette bergamote (témoin inratable avec son jaune vif presque fluorescent) est tout simplement non traitée. Car en nous racontant son histoire, on constate que la bergamote a été essentiellement revue deux fois par la législation : la première dans les années 60 pour des raisons de toxicité et de photosensibilité et la deuxième fois plus récemment, du fait des problèmes d’allergènes, en l’occurrence les furocoumarines présents dans son extraction. En comparant le Shalimar d’aujourd’hui avec la version de 1925 restaurée en frais, les propos de Thierry Wasser deviennent évidents : la bergamote brute change considérablement la donne. S’il faut à nouveau reformuler Shalimar, obtenir une bergamote aux qualités identiques est une priorité, tout en restant dans les clous des réglementations actuelles (produit "non-­‐photosensibilsant", sans bergaptènes et "défurocoumarinisé"). "Comparaison !" Bergamote actuelle de Reggio VS bergamote "brute" « J’accuse ! La bergamote brute de Reggio d’être beaucoup plus orangée, plus amère, très mandarine en fait. D’être beaucoup plus ronde, moins caricaturale, moins pointue, moins verte. Très zeste, je l’accuse d’être un peu confite au point de faire penser à de la confiture d’oranges amères, d’être beaucoup moins "Thé Earl Grey" que ce que nous connaissons aujourd’hui. » 26 Trouver un équivalent aujourd’hui est un vrai défi. En outre, elle se révélerait beaucoup plus enveloppante, plus dense, plus saillante et à la ténacité bien plus importante que la bergamote que nous connaissons aujourd’hui. C’est grâce à elle que les notes animales se fondent et donnent beaucoup de relief et de structure aux parfums de Jacques Guerlain, ce dernier étant un fervent partisan de la bergamote. Pour Frédéric Sacone, aller chercher la vraie matière première (utilisée à l’époque) a été une des nécessités pour ces reconstitutions. Avec cet exemple, on en comprend très vite l’intérêt effectivement. Le costus crache le morceau Le dernier témoin est peut-­‐être le moins médiatisé de l’affaire. Pas étonnant quand on sait que le costus est banni d’Europe depuis un certain nombre d’années. Cela dit, ce n’est pas pour autant qu’il n’existe pas ailleurs. Il a fallu aller en Inde chercher cette plante dont les racines diffusent une odeur animale, proche de celle du sébum de la peau. Cette matière entre dans un certain nombre de formules de Jacques Guerlain, comme le Chypre de Paris ou bien le fameux Shalimar, où il apporte une moiteur aux notes florales. Avec lui, le Shalimar semble frémir, un peu comme notre assemblée alors que, de la touche, surgit une note animale rendue ronronnante par le foisonnement des matières qu’elle réchauffe. 27 EPISODE 3 – JICKY A LA BARRE Attentifs et un poil fayots, les juristes d’un jour que nous étions ressemblaient à de parfaits petits élèves disciplinés : nous avions tout noté, et surtout tout écouté des explications théoriques de Thierry Wasser et Frédéric Sacone. Nous nous sentions fin prêts pour la découverte olfactive non pas juste d’un parfum, mais bien de vingt-­‐quatre références supplémentaires ! Trop facile semblaient presque dire certains de nos visages. Ce n’était pas compter avec la claque qui allait arriver... Souvent, à la lecture d’un livre policier, on peut avoir cette singulière manie de repérer assez vite le suspect principal, celui-­‐qui-­‐ferait-­‐le-­‐coupable-­‐idéal, afin de l’écarter aussitôt ! Pensant l’avoir bien cerné, il nous vient à l’esprit que sa culpabilité serait trop évidente pour être la solution. Or, dans certaines enquêtes, ce suspect trop rapidement mis de côté a plus de choses à nous dire que nous le pensions, nous qui estimions le connaître sur le bout des doigts. Il en fut étrangement de même lorsque nous découvrîmes l’extrait de Jicky d’après la formule d’Aimé Guerlain. Tout bascula rapidement. Des mouillettes trempées dans un flacon. Des yeux brillants dans l’assemblée. Défilement des premières touches. Thierry Wasser souriant, l’air de pas y toucher. Le comité de passionnés se mit à sentir. Et, voici comment ce que nous croyions être un parfum que l’on connaissait par cœur, du haut de nos hypothèses somme toute limitées, brisa tous les préjugés : l’enquête était bouleversée. Tout était à revoir pour nous ! Délibérations préliminaires : du ressenti sur la repesée C’est dans le cas de Jicky que l’importance de la bergamote « brute » vue précédemment joue un rôle sans appel. Là où beaucoup pouvaient supposer à tort que la civette tiendrait le rôle principal, la bergamote lui vole la vedette. En effet, le travail sur l’animalité du Jicky actuel se révèle plutôt proche de ce qui est attendu pour ce parfum ; nous étudierons cette question d’ici peu. Mais, et c’est là que se joue toute la subtilité de cette affaire, c’est bien la bergamote de la version de 1889 (dite « brute » donc) qui permet à cette animalité de se fondre dans la composition de telle sorte qu’elle fasse corps avec tout le reste de l’architecture du parfum. La bergamote enveloppe les notes aromatiques, cet ensemble étant alors réuni au reste de la composition par cette 28 animalité, si typique de Jicky. Le "reste de la composition" ? Mais oui ! cette structure finalement classique de la fougère, avec son cœur floral géranium et rosé auquel succède un fond plus baumé, de vanille et de cette fameuse note de synthèse qu’est la coumarine, un des composants de la fève tonka, à l’odeur de foin et de paille vaguement amandée. Il en ressort un parfum d’une complexité assez rare, parfaitement étudié dans sa structure. Le départ s’avère finalement très vert, presque provençal, avec sa lavande agreste soutenue par la bergamote ainsi que par une note de menthe fraîche et d’absinthe. La civette permet de lier subtilement le caractère épicé boisé du parfum à son cœur floral de rose et de géranium tout en menant avec discrétion à un fond légèrement poudré et surtout plus baumé, où se répondent vanille et coumarine. La bergamote, fil rouge traçant une trajectoire jusqu’au fond, permet un fondu enchaîné des notes. Un brin diva, la civette en teinture voudrait une entrée en scène dès la tête, prétention que calme la bergamote qui fait jouer la matière animale en sourdine mais en continu pour des notes vibrantes, échauffées, comme mises en ébullition. Convocation : reconnaissance des suspects Pour se donner une idée de l’héritage d’un parfum aussi intéressant que Jicky, ainsi que pour essayer de voir des filiations plus étonnantes dans le temps, une discussion fut engagée par le comité de passionnés qui était réuni. Pour certains, à droite de la salle, Jicky rappelle Blenheim Bouquet par la structure aromatique partagée entre eux. Parfum plus inattendu, L’Eau d’Hermès par sa facette cannelle et sa structure d’épicé chaud n’est pas si loin. Pour d’autres jurés du fond de la salle, Jicky se révélerait, au final, plus proche de Musc Ravageur que Shalimar. Shalimar qui, bien évidemment, se devine tout en finesse, mais sans la note cuir ni la dose d’éthylvanilline que l’on connaît. Enfin, théorie émise très intrigante, il y aurait une forte parenté avec Angel dès le cœur du parfum de 1889. Aussitôt, un membre de la Cour se lève : « Approbation avec l’hypothèse émise ! J’ai travaillé à plusieurs reprises sur le cas d’Angel et une théorie sur la structure fougère du parfum de Thierry Mugler est de plus en plus retenue par les spécialistes. La filiation entre Jicky et Angel s’avérera sûrement être un élément essentiel dans son cas ». 29 La cannelle sonnait toujours deux fois Le nombre de matières premières à l’usine Guerlain fait rêver, comme l’a souligné Thierry Wasser. Leur nombre et variété sont tels que, parfois, d’un bidon sans étiquette surgit une surprise... Ainsi, une cannelle essence et une cannelle essence décolorée ont été retrouvées sur les lieux du crime. Quand l’une des personnes travaillant à l’usine l’a interrogé sur la nature de dédoublement, le témoin Thierry Wasser a demandé à sentir ces deux versions. Et son couperet est tombé : les provenances sont différentes ! "J’ai une cannelle de Ceylan et une chinoise. Or, cela ne sent pas pareil ! Et tous les amateurs de terroir que vous êtes le savent !". Clin d’œil de l’intéressé, et hochement de tête dans l’assemblée. Mais pourquoi cette soudaine anecdote de la part du parfumeur ? "Ces deux cannelles sont listées ensemble dans une seule formule : celle de Jicky". Un parfum avec une cannelle à double visage... Jicky n’a pas fini de nous étonner. Puis, finalement, l’une étant plus dense que l’autre, des notes épicées curieuses émergent avec la lavande, effet des deux écorces de cannelles différentes, participant à la complexité indicible de ce parfum et que nous essayons pourtant de décortiquer. De l’autre côté du tiroir Dans la formule recréée, un autre tic de création très fréquent à l’époque est apparent : la déclinaison de la Cologne Impériale selon le principe de ce que l’on appelait les "Formules à tiroirs". Un tiroir tient lieu de base que l’on retrouve en intégralité ou presque dans un parfum ultérieur. Après enquête, Frédéric Sacone découvre que le "tiroir" Eau de Cologne Impériale se retrouve ainsi dans la formule d’origine. Si ce n’est plus le cas actuellement, l’assistant parfumeur de la marque a découvert que cette excentricité d’écriture parcourt d’autres créations (et Jicky de se retrouver pour partie dans un parfum qui lui succédera. Mais cela, nous le verrons dans une semaine...). Connaître la formule permet de voir les tics de composition de chaque parfumeur. En interrogeant ainsi Thierry Wasser et Frédéric Sacone, notre assemblée comprend comment Jacques a appris avec son oncle Aimé, point sur lequel nous reviendrons. Enfin, cette matinée au tribunal permet de régler le compte de certaines légendes... Celle de la surdose (accidentelle) qui aurait abouti à la création de Shalimar par exemple ? "Qu’on 30 se le dise, je n’y crois pas vraiment" assure Thierry Wasser. En effet, si Aimé était un amateur d’expérimentations et d’innovations, ce qui lui permettra d’aboutir à des chefs d’œuvre en rupture comme Jicky, Jacques, plus réfléchi, a souvent démontré, dans son inspiration des formules innovantes (comme celles de Coty par exemple), qu’il savait exactement où il allait. Un "accident" comme la création de Shalimar s’avérerait plus être une anecdote savoureuse qu’un fait attesté. Et la démonstration que la maison maîtrisait d’ores et déjà la composition comme la communication ! Comparutions : Jicky d’aujourd’hui face à sa repesée Notre comité n’ose se regarder, car il faut le dire : la claque a été telle qu’elle a mis sur le parquet plusieurs de nos membres. Là où l’intégrité de Shalimar ne fait finalement peu de doutes, il est vrai que pour Jicky, le jugement final est plus mitigé disons... Lors de cette matinée, les versions 2014 des parfums Guerlain ne se sont pas présentées à la barre, hormis Shalimar. Il fallait donc compter sur les connaissances des jurés, et dans notre cas, sur l’approfondissement a posteriori de ces parfums. Comme l’a éclaircie la délibération sur la repesée, Jicky se révèle être un parfum d’un fondu extraordinaire, où chaque idée, chaque effet un peu excessif sur le papier est contrebalancé par une autre note. La qualité de bergamote étant impossible à reproduire du fait des réglementations actuelles, le fondu n’est plus là. L’accusé frémit, la parole est à la défense : « Chers jurés, je comprends que cette bergamote et ses alliés aromatiques soient problématiques, mais admettez que l’animalité de mon client est toujours d’une qualité rare ! » clame l’avocat de Jicky. Objection entendue. L’animalité si décriée de Jicky est bien là, fidèle à l’esprit de la création de 1889 mais la nuance est de taille : l’animalité a changé de propos. Là où dans la version voulue par Aimé, la civette permet de faire un pont saisissant entre chaque bloc du parfum, de le fondre entièrement ; dans la version actuelle, par l’absence de la bergamote « brute », la civette devient un bloc en soi, indépendant des autres, apportant un conflit supplémentaire mais sans équilibre dans l’accord global du parfum. En ressort un départ beaucoup plus sec, où la cannelle à deux visages apporte une raideur épicée et chaude beaucoup moins verte et aromatique que dans la version d’origine. L’affinité de cette cannelle avec les notes boisées permet de remettre en avant 31 un santal qui se faisait plus subtil. Ce Jicky plus épicé et plus sec se retrouve surtout dans l’eau de toilette actuelle. L’eau de parfum et l’extrait, déjà plus habillés par des notes musquées et poudrées qui arrondissent et réchauffent Jicky, en annoncent de manière plus évidente la filiation avec l’oriental culte de Guerlain qu’est Shalimar. Moins épanoui dans son scintillement hespéridé aromatique et son cœur floral, la version actuelle de Jicky a déplacé son équilibre parfait entre chaud et froid, animalité et verdeur végétale vers une zone plus chaude, épicée boisée et animale du spectre olfactif. Coup de marteau : la séance est levée ! 32 EPISODE 13 – L’AFFAIRE MITSOUKO "Par le caleçon de Jacques !!! Nous l’avions oubliée !" Les mouillettes volèrent par centaines, les feuilles s’éparpillèrent, des jurés se retrouvèrent par terre. Puis une voix puissante gronda dans la pièce et imposa sa présence : "Nan mais, oh, dis ! Mitsouko ! Maintenant tu vas te calmer et tu vas poser ton gros derrière chypré à la barre, comme tous les autres. On réservait une surprise à notre tribunal et toi tu trouves rien d’autre à faire qu’une arrivée en mode Maléfique...". Thierry Wasser se rassit en grommelant "Elle m’exhauste !", néanmoins ravi de son effet. "Ça y est, elle a eu le prix du Patrimoine Olfactif lors de l’Olfactorama 2013 et elle se sent plus vaporiser celle-­là..." ajouta-­‐t-­‐il à notre égard en rigolant, tentant de rattraper la petite déconvenue. Rassurée (et un brin honteuse), Mitsouko se recoiffa l’air de rien et se présenta à la barre. Des fruits, de la mousse, du fun ! La repesée de Mitsouko brille par son éclat fruité immédiat ! C’est que, soutenue par cette bergamote de toujours, la note de pêche resplendit plus que jamais, est entraînée dans ses bras fruités juteux ; et durs, durs pendant une bonne partie de l’évolution. Souriante, le regard teinté de légères notes aromatiques, cette tête nous rappelle qu’avant le maintien plus rigoureux de la structure chypre du fond de Mitsouko, il y a tout un travail sur l’innocence des plaisirs, ce contraste de construction n’étant pas sans rappeler celui du Jicky créé trente ans plus tôt. Mais, Mitsouko va plus loin dans son rapport avec ses "porteurs". Développant encore plus en profondeur l’effet "grain de peau" par les notes fruitées du départ et celles plus poudrées de l’iris, elle amorce ensuite une vibration mouvementée entre deux protagonistes essentiels, le piment et la mousse de chêne. Nous aurons l’occasion d’entendre ces témoins nous livrer de plus amples détails sur l’affaire tout à l’heure. Enfin, le fond est d’une chaleur étonnante. Chatoyants et soyeux, les muscs apportent beaucoup de souplesse, soutenus par un ambre gris à la voix caverneuse et profonde, à la salive pleine d’appétit. 33 Soirée mousse « Pour permettre un meilleur déroulé du procès, nous allons interroger les différentes matières inculpées les unes après les autres. Car, contrairement à ce que certains peuvent croire, les accusés sont nombreux ! » s’exclame Frédéric Sacone avant de faire entrer la mousse de chêne. A l’origine, la mousse utilisée en 1919 était une mousse odorante, spécialité grassoise de Chauvet, Robertet ou encore Charabot, sociétés qui répondaient aux besoins en matières premières des parfumeurs de l’époque. Mousse qu’il a fallu refaire. Car si des mousses certifiées IFRA45 existent bel et bien, « elles sont loin de sentir comme à l’époque ! ». C’est là qu’intervient tout le génie du parfumeur chargé des reformulations... Car il est possible de les retravailler, ces mousses ! « Avec des notes un peu vertes, un poil d’evernyl, des mousses actuelles et en faisant un peu mumuse avec les solvants, on peut faire des miracles ! » souligne Thierry Wasser, pas peu fier. Car l’enjeu est de taille, il faut retrouver toutes les caractéristiques techniques de l’époque, notamment la courbe d’évaporation, identiques à ces mousses d’origines. La mousse IFRA n’a pas la tenue de la mousse de l’époque. Astucieux, le parfumeur de la maison Guerlain révèle qu’il a fallu jouer avec des solvants plus lourds pour augmenter les délais d’évaporation ; tricher en augmentant le poids moléculaire de cette nouvelle mousse pour qu’elle s’évapore de manière identique à celle de 1919 ! « Eh eh ! Pas bête la guê... beille ! L’abeille », finit Wasser en souriant. Il est fait de même avec les autres accusés : civette, muscs, tout est trituré afin de tenter d’obtenir le même profil olfactif. Les mêmes odeurs, donc, mais aussi avec les mêmes caractéristiques techniques ! Courbes d’évaporation, ténacité, fixation des autres matières, la liste des difficultés effraierait quiconque ne serait pas sous anti-­‐dépress’Heure Bleue. Puis, un juré de demander, admiratif : "-­ Mais... mais pourquoi exécuter tout ça ?" -
Parce qu’on est des chieurs !", conclut un Thierry Wasser triomphal. Une reformulation pimentée... "Mais, vous savez, ce n’est pas que la mousse de chêne... qui a eu la peau de Mitsouko. Tout le monde s’est emballé à propos de la mousse de chêne, mais, Mitsouko était en moins bon état depuis bien plus longtemps et pour bien d’autres raisons !" annonce Frédéric Sacone, 34 presque inconscient de la bombe qu’il vient de lâcher. Et le parfumeur junior de faire entrer de nouveaux accusés. Tout d’abord, le piment se présenta à la barre. Le procès-­‐verbal rapporte qu’il a fallu déjouer les mises aux normes de l’eugénol grâce à un subterfuge sur les concentrations pour pouvoir le réintroduire correctement dans la version de 2013. Le but ? Approcher d’un rendu plus épicé, moins caricatural autour de la seule note fruitée de pêche. Similairement, la bergamote, comme nous l’avons déjà vu, fut jugée bien trop mince par notre tribunal intraitable. Ne permettant plus de dessiner ce trait d’union essentiel à l’évolution harmonieuse du parfum, il fut rappelé à quel point elle était utile dans la version d’origine : soutenant avec éclat la pêche en tête, la bergamote est aussi nécessaire pour faire le lien avec toute la structure chyprée. Car, il ne faut pas l’oublier, cette matière est une des clefs de voûte du chypre tel qu’il était conçu à cette époque. Enfin, Frédéric fit entrer les derniers accusés : les muscs. Nous l’avons vu la semaine dernière, Jacques était fada de tous les muscs possibles et imaginables. Alliés à la teinture de civette, ces matières arrivent à se montrer dès la tête, sans pour autant exploser sur le fond, tout en améliorant la fluidité du parfum. Ronronnant tout du long, ils parviennent alors à ne jamais brailler dans un final animalisé caricatural ! Et le musc cétone de plaider non-­‐coupable en prouvant sa bonne foi dans la formule actuelle. Habemus Mitsouko La formule actuelle ! Ah ! Les membres du tribunal retrouvèrent leur sérieux lorsque l’heure de comparer les différentes versions fut venue. Par effet de contraste, l’EDP semble bizarrement beaucoup plus sombre et terreuse, moins musquée et moins chaleureuse. Avec une différence sur l’aspect fruité rieur et ce fond plus souple, le Mitsouko de 1919 paraîtrait presque gourmand ! Malgré tout, il a su retrouver ce fameux effet peau très tactile et granuleux qui faisait tout son charme par rapport au Chypre de Coty. Enfin, il est honnête de constater que toute la profondeur chyprée, apportée par les notes moussues, terreuses, est tout bonnement identique entre les deux versions. La leçon de l’affaire est sans appel... C’est qu’avant d’identifier un coupable, il faut être certain d’avoir tous les éléments entre les mains. La seule mousse de chêne pouvait bien devenir le coupable rêvé et idéal puisqu’elle manquait cruellement à l’appel en 2005. 35 2005, une année importante puisque c’est l’une de celles qui connaîtront l’envol des blogs consacrés aux parfums qui permettront de multiplier les échanges et insatisfactions ayant presque valeur de témoignage. Et, si la moindre mousse de chêne, pourtant essentielle, sera bien un trou béant dans Mitsouko durant des années, la jolie asiatique de 1919 aura connu bien des outrages du temps, chose normale quand on y réfléchit, pour une "femme" de près de 90 ans. Mais, des ornements comme la teinture de civette, de musc, l’eugénol et la bergamote lui faisaient déjà défaut. Et, à l’image du Crime de l’Orient Express, on apprend que le coupable a parfois plusieurs visages... 36 

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