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Introduction
« Big Brother n’existe pas, il est partout » (1)
L’ampleur du phénomène de surveillance avait été sous-évaluée par
George Orwell qui n’avait eu de crainte que vis-à-vis d’un État avide de contrôler ses citoyens. Son refrain, Big Brother is watching you, est obsolète
parce que, tout comme l’entité souveraine, il est dépassé par les évolutions
sociétales et technologiques. La surveillance est désormais globale au
point « qu’il existe de moins en moins de “rupture de faisceau” dans la connaissance des activités et la localisation des individus » (2). Elle se construit
sur un paradoxe dans le comportement des individus. Ceux-ci s’opposent
dans « un sursaut citoyen salutaire » (3) à toute velléité étatique de fichage,
souhaitant enfermer l’État dans une saine ignorance protectrice des droits
et libertés. Dans le même temps, et sur un plan horizontal, les individus
numérisent leur vie, alimentant massivement des sites internet de données
relatives à leurs vies quotidiennes. Ils créent ainsi des bases de données
qui, si elles étaient portées aux mains d’un système de gouvernance non
démocratique, entraîneraient la fin de toute liberté individuelle. La surveillance subie devient une transparence choisie.
Les fossoyeurs potentiels des droits de l’homme ne sont autres que
les instruments numériques, et plus particulièrement ceux issus du web
2.0. Ce web contributif ou communautaire est construit sur les échanges
des internautes qui deviennent acteurs du réseau. Dans un premier temps,
ceux-ci ont pu retranscrire sur des pages personnelles des tranches d’expérience humaine au travers de blogs (4) mais en étant enserrés dans une
(1) D. CASSADA et E. SADIN, « Big Brother n’existe pas, il est partout », Multitudes, 2010/1, p. 78.
(2) Ibid.
(3) V. GAUTRON, « L’opinion publique et le fichier EDVIGE : un sursaut citoyen salutaire », Blog
Dalloz, 10 septembre 2008.
(4) « Site sur la toile, souvent personnel, présentant en ordre chronologique de courts articles
ou notes, généralement accompagnés de liens vers d’autres sites », définition de la Commission
générale de terminologie et de néologie, J.O. du 20 mai 2005, p. 8803.
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Les réseaux sociaux sur internet et le droit au respect de la vie privée
architecture manquant de convivialité et de facilité d’utilisation. D’autres
sites ont mis à disposition des espaces de stockages pour que chacun
puisse y mettre en ligne des vidéos ou des photographies afin que des proches, ou tout le monde, puissent les visionner, comme Youtube (5) ou DailyMotion (6). Cet « ensemble de services permettant de développer des
conversations et des interactions sociales sur internet ou en situation de
mobilité » (7), appelé médias sociaux, était toutefois encore insuffisant car il
ne permettait qu’une retranscription fragmentée du quotidien. Ce défaut a
été comblé par l’apparition des réseaux sociaux. Ces derniers autorisent
enfin une « digitalisation de la vie » (8) en continu, une numérisation intégrale, accessible en ligne, de toute activité d’un individu. Ils combinent
tous les moyens de communication électronique disponibles, y compris les
SMS, ainsi que toutes les fonctionnalités propres à assurer une interaction
sociale et une exposition maximale, comme par exemple la géolocalisation. Ils offrent un Truman show (9) de dimension planétaire dans lequel
tout un chacun peut, tour à tour, être acteur ou spectateur.
Ces services de réseautage social ont été définis par danah boyd (10)
et Nicole Ellison comme « des services de l’internet qui permettent aux
individus de se construire un profil public ou semi-public au moyen d’un
formulaire préétabli, de gérer une liste d’autres utilisateurs avec lesquels ils
partagent une connexion, et de visualiser et naviguer au travers de cette
liste et de celles élaborées par les autres utilisateurs au sein du
système » (11). Cette définition a valeur de référence aux États-Unis d’Amérique du Nord et capture l’essence même de ce que sont les réseaux sociaux.
En Europe, la doctrine se réfère en majorité à la définition livrée par le
(5) www.youtube.com.
(6) www.dailymotion.com.
(7) F. CAVAZZA, « Une définition des médias sociaux », Mediassociaux.fr, http://www.mediassociaux.fr/2009/06/29/une-definition-des-medias-sociaux.
(8) D. CASSADA et E. SADIN, « Big Brother n’existe pas, il est partout », op. cit.
(9) The Truman show, réalisé par Peter WEIR, 1998.
(10) L’absence de majuscule résulte de la volonté de l’auteur, voir son article « What’s in a
name ? », disponible sur http://www.danah.org/name.html.
(11) d. BOYD et N. ELLISON, « Social networks sites : Definition, history, and scolarship », Journal of
Computer Mediated Communication, vol. 13, issue 1, article 11 ; http://jcmc.indiana.edu/vol13/
issue1/boyd.ellison.html.
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groupe de travail de l’« Article 29 » sur la protection des données (12) dans
son avis sur les réseaux sociaux adopté le 12 juin 2009 (13). Celui-ci énonce
que ces « services de réseautage social peuvent être définis comme des plates-formes de communication en ligne permettant à des personnes de
créer des réseaux d’utilisateurs partageant des intérêts communs » (14), et
en identifie trois caractéristiques. La première est la constitution d’un profil par l’utilisateur. La deuxième réside dans l’existence d’outils permettant
l’établissement d’une liste de contacts et l’interaction avec eux. La troisième ajoute à la première définition abordée puisqu’elle s’attache à la
possibilité pour l’internaute de mettre en ligne ses propres contenus (15).
Nombreux sont les services de l’internet qui répondent à ces critères. Ils se
différencient toutefois par la mise en avant plus ou moins prononcée de
l’un d’eux. Twitter (16), par exemple, qui ne compte pas moins de 145 millions d’utilisateurs (17), est essentiellement axé sur le partage de contenus,
plus précisément de textes courts (140 caractères maximum). Tous ces services connaissent un grand succès en France où, selon l’IFOP, 78 % des
internautes français sont inscrits sur un service de réseautage social (SRS)
et sont en moyenne membre de 2,9 réseaux sociaux (18). Cet engouement
est non seulement dû aux possibilités de communication et de partage en
ligne de contenu mais aussi, très certainement, à leur gratuité, spécificité
largement partagée par les services du web social. Malgré leur grand nombre, quelques-uns se détachent par leur succès. Ainsi, le plus fréquenté,
dans le monde et dans l’Hexagone, est américain. Il s’agit de Facebook (19).
(12) Groupe de travail mis en place par l’article 29 de la directive 95/46/CE, du 24 octobre 1995,
relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère
personnel et à la libre circulation des données.
(13) Avis 5/2009 sur les réseaux sociaux en ligne, adopté le 12 juin 2009, WP 163 ; consultable
sur http://ec.europa.eu/justice/policies/privacy/docs/wpdocs/2009/wp163_fr.pdf.
(14) Ibid., p. 4.
(15) Ibid., p. 5.
(16) Twitter.com, créé en mars 2006.
(17) Chiffre délivré le 2 septembre 2010 par Twitter, http://blog.twitter.com/2010/09/evolvingecosystem.html.
(18) Observatoire IFOP des réseaux sociaux – Vague 5, octobre 2010, p. 15, http://www.ifop.com/
media/poll/1279-1-annexe_file.pdf.
(19) www.facebook.com.
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