Il faut arracher les masques et mettre ses culottes
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Il faut arracher les masques et mettre ses culottes
Février 1999 Contes et comptes du prof Lauzon Il faut arracher les masques et mettre ses culottes par Léo-Paul Lauzon Depuis toujours, les chefs ont besoin des sorciers pour se maintenir au pouvoir. Les économistes, les agents de relations publiques et autres «experts» des grandes entreprises et des gouvernements sont les sorciers des temps modernes. Ils ont beau porter la cravate plutôt qu'être en bedaine et avoir remplacé les incantations par les statistiques, ils travaillent, tout comme leurs prédécesseurs, à légitimer et à renforcer le pouvoir des maîtres du monde. Lorsqu'ils s'adressent au monde ordinaire, les sorciers des temps modernes ne parlent pas au nom de ceux qui les emploient (car on pourrait voir la supercherie). Ils parlent au nom du seul mécanisme sensé aboutir à un ordre naturel des choses, la «Grande illusion»: le Marché. Lorsque l'économie ralentit, les sorciers recommandent aux employés de faire des sacrifices rituels et de boire des potions magiques à base de jus de crapaud. S'ils obéissent, leurs emplois seront sauvés, sinon «bye-bye», les entreprises s'envoleront vers des lieux où les travailleurs sont plus «compréhensifs». Mais il y a un hic. Depuis le début des années 1990, les compagnies font des profits records, mais les sorciers demandent quand même des sacrifices aux employés au nom de la «compétitivité» et des nouvelles exigences du dieu Marché mondialisé. En ce début d'année 1999, en l'espace de quelques jours, des compagnies rentables ont traité leurs travailleurs comme des vieilles chaussettes. En voici quelques exemples. Le «tordage de bras» des dirigeants de Molson a forcé les employés à accepter une réduction de salaire de 30% pour 188 employés parmi les plus jeunes. Bell a annoncé son intention de «vendre» 2 400 téléphonistes à une compagnie américaine affiliée pour «diminuer ses coûts» (sans doute parce que son bénéfice net de 1998 ne fut qu'un «maigre» 1,6 milliards $). Les abattoirs Flamingo ont fermé une de leurs deux usines parce que les employés ne voulaient pas accepter une diminution de salaire de 2,50$ l'heure. Les livreurs de pain POM, une division de Multi-Marques, devront devenir des travailleurs autonomes et acheter leur camion et leur route de pain au gros prix s'ils ne veulent pas se retrouver au chômage. L'usine Alcatel de la rue Hochelaga à Montréal va fermer ses portes même si elle est performante et a réalisé un profit de 14 millions $ en 1998. Cela veut dire que même si les compagnies sont rentables, les employés ne récolteront pas nécessairement les fruits de la croissance de la richesse. Et ça, les «experts» se gardent bien de nous le dire. Cette situation s'explique par cinq facteurs pas sorciers du tout. Premièrement, les «politiciens d'affaires», qui sont au service de vous savez qui, déréglementent le marché du travail au profit des entreprises et au détriment des travailleurs. Deuxièmement, l'ouverture des frontières se fait à l'avantage des grandes puissances économiques. L'ALÉNA existe parce que les États-Unis savent qu'ils sont les prédateurs économiques et que le Canada et le Mexique sont leurs proies. Le droit de produire et de commercer a de plus en plus préséance sur les droits humains et environnementaux. Troisièmement, la vague actuelle de fusions et d'acquisitions d'entreprises crée des méga-corporations qui veulent réduire à néant le pouvoir des gouvernements et des travailleurs. Il en résulte des rationalisations et des réorganisations, des termes polis qui signifient «crisser» ben du monde à la porte. Quatrièmement, la chorale des médias a complètement intégré les mythes et les croyances véhiculés par les sorciers et ne remet jamais en cause leur discours amoral. Enfin, les grandes centrales syndicales sont devenues beaucoup trop conciliantes au fil des ans. On ne le dira jamais assez, il faut se donner un rapport de force avec les détenteurs de capitaux, sinon on est faites à l'os. Il n'y a pas mille façons de le faire, il faut mettre ses culottes et se tenir debout face au patronat et aux gouvernements afin d'arracher les masques des sorciers qui travaillent d'abord et avant tout à enrichir leurs dirigeants et leurs actionnaires et ce au détriment de la majorité de la population.