L`analyse des titres financiers Chapitre 1
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L`analyse des titres financiers Chapitre 1
CHAPITRE I : ÉTENDUE ET LIMITATIONS DE L’ANALYSE DES TITRES FINANCIERS. LE CONCEPT DE VALEUR INTRINSEQUE. Le terme analyse est en général entendu comme l’analyse attentive des faits disponibles dans le but d’établir des conclusions définitives ; l’analyse est donc basée sur des principes établis et logiques. Cela fait partie de la méthode scientifique. Mais en appliquant l’analyse au domaine des titres financiers, nous rencontrons un obstacle majeur ; l’investissement n’est pas, par nature, une science exacte. Il en va de même du droit et de la médecine, pour lesquels les dispositions individuelles (art) et la chance sont d’importants facteurs déterminant un succès ou un échec. Malgré tout, dans ces professions, l’analyse n’est pas seulement utile, elle est indispensable, et de la même manière, cela devrait être vrai dans le domaine de l’investissement et même possiblement dans celui de la spéculation. Durant les trois décennies passées, la réputation de l’analyse financière à Wall Street a connu les pires excès, de la gloire à l’infamie, et son histoire est en relation, pas toujours parallèle, avec le parcours du prix des actions. Les avancées de l’analyse financière ont été continues jusqu’en 1927, couvrant une longue période pendant laquelle une attention accrue a été portée à l’analyse des états financiers et à l’analyse statistique. Mais la « nouvelle ère », commençant en 1927, consistait au fond en l’abandon de l’approche analytique ; et alors que l’accent était apparemment porté sur des faits, ceux-ci étaient en fait manipulés par une sorte de pseudo-analyse, qui supportait les idées préconçues du public. L’effondrement des marchés en Octobre 1929 n’était pas une surprise pour les analystes qui avaient su garder la tête froide, mais l’étendue des ravages boursiers sur les entreprises était d’une telle ampleur que leurs résultats en souffrirent, et les calculs des analystes furent balayés avec eux. Par conséquent, le résultat fut un double discrédit de l’analyse financière : le premier, avant le krach, par la justification de valorisations imaginaires, le deuxième, après le krach, à cause de la disparition complète de toute valeur réelle. Les évènements de 1927-1933 étaient si extraordinaires par leur nature qu’ils ne semblent pas pouvoir nous fournir un critère valable d’évaluation de l’utilité des méthodes de l’analyse financière. Quant à la situation depuis 1933, il y a peut-être de l’espoir pour des analyses logiques et assises sur des faits tangibles. Dans le domaine des obligations et des actions préférentielles, nous pensons que des principes solides de sélection ou de rejet se sont révélés efficaces. Dans le domaine des actions ordinaires, les errements du marché ont eu tendance à brouiller le point de vue conservateur, et de nombreuses actions qui apparaissaient sous-valorisées à l’analyse se sont avérées de piètres investissements. D’un autre côté, l’approche analytique nous a donné de bonnes raisons de penser que le prix des actions était trop élevé au début de 1937 et trop bas une année plus tard. Trois fonctions de l’analyse : 1. Fonction descriptive Les fonctions de l’analyse des titres financiers peuvent être classées selon 3 catégories: descriptive, sélective et critique. Dans sa forme la plus évidente, l’analyse descriptive consiste à organiser les faits importants relatifs à un titre et à les présenter de manière cohérente et intelligible. Cette fonction est couverte de façon adéquate par différents manuels comme le Standard Statistics and Fitch services, et bien d’autres. Un autre type d’analyse descriptive plus pénétrante cherche à relever les points faibles et les points forts de la position d’un titre, points qui sont à comparer avec des entreprises similaires, et à évaluer les facteurs qui pourraient influencer sa performance future. Des analyses de ce type ne sont pas applicables qu’aux titres financiers, et peuvent être utilisées non seulement comme aide à l’investissement, mais aussi à la spéculation intelligente, car elles fournissent une base factuelle organisée pour l’application du bon jugement. 2. La fonction sélective de l’analyse Dans sa fonction sélective, l’analyse financière va plus loin et exprime en ellemême des jugements spécifiques. Elle cherche à déterminer si un titre particulier peut être acheté, vendu, gardé ou échangé pour un autre. Quels types de titres ou de situations se prêtent-ils plus volontiers à cette activité possible de l’analyste, et quels en sont les handicaps et les limitations ? Nous ferions aussi bien de commencer en illustrant notre propos par quelques exemples de jugements analytiques qui serviront plus tard de base à une investigation plus poussée. Exemples de jugements analytiques. En 1928, le public s’est vu offrir une large émission d’actions préférentielles non cumulatives à 6% de la St. Louis-San Francisco Railway Company pour un prix de 100. L’historique financier de la société nous montrait que jamais l’entreprise n’avait eu de bénéfices suffisants pour couvrir ne serait-ce que 1,5 fois les charges fixes et les dividendes préférentiels combinés. L’application de principes bien établis de sélection à ce cas précis nous aurait mené au rejet d’un titre insuffisamment protégé. Un exemple contraire : en juin 1932, il était possible d’acheter des obligations d’Owen-Illinois Glass Company, dues en 1939, à 70 et rapportant 11% jusqu’à maturité. Les bénéfices de l’entreprise étaient de plusieurs fois les intérêts, non seulement en moyenne, mais également en temps de récession sévère. Les titres étaient couverts par les actifs courants seuls, et ils étaient suivis par les actions préférentielles et ordinaires à la valeur de marché combinée extrêmement importante cotant à sa plus faible valeur. Ici, l’analyse aurait mené à la recommandation du titre, en tant qu’investissement sûr au prix attractif. Prenons un autre exemple dans les actions ordinaires. En 1922, avant le boom des actions dans le domaine de l’aviation, l’action Wright Aeronautical Corporation se vendait sur le New York Stock Exchange à seulement 8 $, bien qu’elle payait un dividende de 1 $, gagnait depuis quelques années 2 $ par action, et possédait plus de 8 $ par action de trésorerie disponible. Dans ce cas, l’analyse aurait rapidement établi que la valeur intrinsèque de l’action était largement supérieure au prix du marché. Maintenant, considérons le même titre en 1928 quand son prix avait augmenté à 280 $ par action. Les bénéfices étaient de 8 $ par action, contre 3,77 $ en 1927. Le dividende était de 2 $ ; la valeur des actifs nets était de moins de 50 $ par action. L’étude aurait alors révélé que le prix proposé représentait la capitalisation de bénéfices futurs, en d’autres termes, que la valeur intrinsèque était largement inférieure au prix proposé par le marché. Une troisième sorte de conclusion analytique peut être illustrée par la comparaison des premières obligations d’Interborough Rapid Transit à 5% et de celles, avec le même collatéral à 7%, alors que les deux titres s’échangeaient au même prix (disons 62) en 1933. Les obligations à 7% étaient clairement plus attractives que les 5%. Chaque tranche de 1 000 $ d’obligations était sécurisée par 1 736 $ de valeur nominale d’obligations à 5% ; la valeur nominale avait maturé ; elles étaient payables soit au nominal, soit en totalité ou par la vente du collatéral pour engranger un bénéfice. Les intérêts annuels reçus sur le collatéral étaient d’environ 87 $ sur chaque obligation de 7% (montant ensuite distribué aux détenteurs de ces bons), de telle sorte que le revenu réel sur les 7% était considérablement plus important que sur les 5%. Une comparaison plus récente du même type aurait pu être établie entre la première action préférentielle convertible de Paramount Pictures qui se vendait à 113 en Octobre 1936 et l’action ordinaire qui se vendait à 16. L’action préférentielle était convertible à la convenance du détenteur en sept fois son nombre d’actions ordinaires, et comportait environ 11 $ de dividendes à payer par action. De toute évidence, l’action préférentielle était moins chère que l’ordinaire, dans la mesure où elle devait recevoir un dividende substantiel avant que l’action ordinaire n’ait reçu quoi que ce soit, et elle pouvait s’apprécier également par le privilège de conversion des actions ordinaires. Si un actionnaire en titres ordinaires avait accepté cette analyse et échangé ses actions pour l’équivalent en préférentielles, il aurait alors réalisé un gain en dividendes reçus et en appréciation du nominal. Valeur intrinsèque contre prix. Comme dans les exemples précédents, nous verrons que le travail de l’analyste financier n’est pas sans résultat concret, et ce, dans de nombreuses situations. Dans tous ces cas, il s’attardera particulièrement sur la valeur intrinsèque du titre et plus particulièrement sur la découverte de de divergences incohérentes entre la valeur intrinsèque et le prix proposé par le marché. Nous devons reconnaitre néanmoins, que la valeur intrinsèque est un concept fuyant. En termes généraux, on peut la comprendre comme la valeur justifiée par les faits, c’est-à-dire, les actifs, les bénéfices, les dividendes, les perspectives confirmés par opposition avec, disons, les cotations de marché établies par les manipulations ou les distorsions causées par les excès psychologiques. Mais c’est une grosse erreur d’imaginer que la valeur intrinsèque est aussi déterminable et définie que l’est le prix de marché. Il y a quelques temps la valeur intrinsèque (dans le cas des actions) était considérée comme la même chose que la « valeur comptable », c’est-à-dire que c’était égal aux actifs nets de l’entreprise, à leur juste valeur. Cette vue de la valeur intrinsèque était assez arrêtée, et elle s’est avérée presque inutile en pratique parce que ni les bénéfices moyens ni les prix du marché n’ont tendance à être gouvernés par la valeur comptable de l’entreprise. La valeur intrinsèque et la « capacité bénéficiaire ». Par conséquent cette idée a été remplacée par une nouvelle ; l’idée selon laquelle la valeur intrinsèque d’une entreprise est déterminée par sa capacité bénéficiaire. Mais l’expression « capacité bénéficiaire » implique un certain degré de certitude quant aux résultats futurs. Ce n’est plus suffisant de savoir ce que les bénéfices étaient en moyenne par le passé, ou même s’ils ont démontré une croissance ou un déclin. Il nous faut des bases plausibles pour savoir si cette moyenne ou cette tendance est un guide fiable pour le futur. L’expérience nous a montré de façon éclatante que dans de nombreux cas, c’est très loin d’être vrai. Cela veut dire que le concept de « capacité bénéficiaire », exprimé avec un chiffre précis ainsi que le concept de valeur intrinsèque, qui en est dérivé comme quelque chose d’également sûr et affirmable, ne peut être accepté avec assurance comme principe général de l’analyse financière. Exemple : afin de clarifier ce raisonnement, considérons un exemple concret et représentatif. Que voudrions-nous dire par la valeur intrinsèque de l’action J. I. Case Company, comme analysée, disons, début 1933 ? Le prix proposé par le marché était de 30$ ; les actifs par action valaient 176 $ ; aucun dividende n’était payé ; les bénéfices moyens sur dix ans étaient de 9,50 $ par action ; le résultat de 1932 se montait à un déficit de 17 $ par action. Si nous suivions une méthode coutumière d’évaluation, nous prendrions éventuellement les bénéfices moyens par action sur dix ans, pour les multiplier par dix, et arriver à la valeur intrinsèque de 95 $. Mais examinons les données individuelles qui composent la moyenne à dix ans. Elles sont exposées ci-dessous. La moyenne de 9,50 $ n’est de toute évidence rien de plus que la résultante arithmétique de 10 données sans aucune relation. Il est difficile de considérer que cette moyenne représente des conditions normales de ce qu’a été le passé ou de ce que l’on peut attendre du futur. Par conséquent, les chiffres de valeur « réelle » ou intrinsèque dérivés de ces données doivent également être considérés comme accidentels ou artificiels. Année Bénéfice par action 1932 (17,40) $ 1931 (2,90) 1930 11,00 1929 20,40 1928 26,90 1927 26,00 1926 23,30 1925 15,30 1924 (5,90) 1923 (2,10) Moyenne…………… 9,50 Le rôle de la valeur intrinsèque dans le travail de l’analyste. Essayons de formuler une description du rôle de la valeur intrinsèque dans le travail de l’analyste ; description qui s’efforcera de réconcilier les implications conflictuelles relevées dans les exemples précédents. Le point essentiel est que l’analyse des titres financiers ne cherche pas à déterminer exactement quelle est la valeur intrinsèque d’un titre particulier. Elle vise uniquement à établir soit que la valeur est adéquate, c’est-à-dire, de protéger une obligation ou de justifier l’achat d’une action, ou à défaut d’établir que la valeur est considérablement plus haute ou plus basse que le prix proposé par le marché. Avec de tels objectifs, une mesure indéfinie et approximative de la valeur intrinsèque peut être suffisante. Par analogie, il est possible de décider par une observation rapide qu’une femme est assez âgée pour voter sans connaitre son âge, ou, si un homme est en surpoids sans connaitre son poids exact. Cette affirmation peut être clarifiée par un bref coup d’œil à nos exemples précédents. Le rejet de l’action préférentielle de St. Louis-San Francisco ne requérait pas un exact calcul de la valeur intrinsèque de cette compagnie de chemins de fer. Il était suffisant de montrer, très simplement à partir des données disponibles, que la marge de valeur au-dessus des détenteurs d’obligations et des actionnaires était insuffisante pour assurer leur sécurité. L’opposé était vrai pour les obligations d’Owens Illinois Glass. Dans ce cas, il aurait également difficile d’arriver à une valorisation précise de l’entreprise ; mais il était facile de décider que cette valeur était en excès par rapport aux dettes. Dans l’exemple de Wright Aeronautical, la situation initiale présentait un ensemble de données démontrant que l’entreprise valait significativement plus que 8 $ par action, ou 1 800 000 $. En 1928, les faits étaient tout aussi concluants pour établir que l’entreprise n’avait pas une valorisation raisonnable à 280 $ par action, soit 70 000 000 $ au total. Il aurait été difficile pour l’analyste de déterminer si Wright Aeronautical valait 20 $ ou 40 $ par action en 1922 ou 50 $ ou 80 $ en 1929. Fort heureusement, il n’était pas nécessaire de se prononcer sur ces points pour conclure que les actions étaient attractives à 8 $ mais ne l’étaient plus, intrinsèquement, à 280 $. Le cas J. I. Case illustre une situation bien plus commune des actions ordinaires, dans laquelle l’analyste ne peut pas arriver à une conclusion arrêtée quant à la valeur intrinsèque par rapport au prix du titre. Mais même ici, si le prix avait été assez bas ou trop haut, nous aurions pu attendre une conclusion. Pour exprimer l’incertitude de la situation, nous pouvons dire qu’il était difficile d’affirmer qu’en 1933 la valeur intrinsèque de l’entreprise était de 30 $ ou de 130 $. Si, en revanche, l’action s’échangeait à 10 $, l’analyste aurait pu sans aucun doute déclarer qu’elle valait bien plus que ce qu’en proposait le marché. Flexibilité du concept de valeur intrinsèque. Cela indique à quel point le concept de valeur intrinsèque est flexible lorsque appliqué à l’analyse des titres financiers. Notre notion de valeur intrinsèque peut-être plus ou moins distincte, en fonction des particularités du cas étudié. Le degré d’imprécision peut être exprimé par une hypothétique « fourchette de valeurs approximatives », qui s’élargirait en même temps que l’incertitude du cas en question, par exemple, de 20 à 40 $ pour Wright Aeronautical en 1922 contre 30 à 130 $ pour Case en 1933. Il en résulte que même une idée peu précise de la valeur peut justifier une conclusion si le prix tombe loin en dehors des limites minimum et maximum fixées lors de l’évaluation. Concept plus défini dans des cas spéciaux. L’exemple Interborough Rapid Transit nous permet une ligne plus précise de raisonnement que n’importe lequel autre. Ici, la valorisation des obligations à 5% par le marché nous fournit une valorisation précise des obligations à 7%. S’il était certain que le collatéral sécurisant les certificats pouvait être acquis et distribué aux possesseurs des bons, alors la relation mathématique, 1 736 $ de valeur pour les obligations à 7% contre 1 000 $ de valeur pour les obligations à 5, aurait établi un ratio précis. Mais à cause de complications presque politiques, cette procédure normale ne pouvait être attendue avec certitude. D’un point de vue pratique, il n’est pas possible d’affirmer que les obligations à 7% valent 74% de plus que celles à 5%, mais on peut déclarer qu’elles valent définitivement et substantiellement plus, ce qui nous permet d’établir une conclusion fort utile, quand ces deux titres se vendent au même prix. Les émissions Interborough sont un exemple d’un groupe plutôt spécial de situations dans lesquelles l’analyse peut aboutir à des conclusions plus arrêtées quant à la valeur intrinsèque que la normale. Ces situations peuvent impliquer une liquidation, ou des opérations plus techniques d’arbitrage ou de couverture du risque. Bien qu’elles soient en théorie le domaine le plus intéressant pour un analyste, le fait est qu’elles sont spécialisées et assez peu fréquentes, ce qui les rend relativement peu importantes du point de vue d’une théorie et d’une pratique plus générales de l’investissement. Obstacles principaux au succès de l’analyste. a. Données incorrectes ou inadéquates. Cela va s’en dire, l’analyste ne peut pas toujours avoir raison. De plus, une conclusion peut être logiquement valide mais mal tourner dans la pratique. Les obstacles au succès du travail d’analyste sont triples : (1) des données incorrectes ou inadéquates, (2) des incertitudes quant au futur et (3) le comportement irrationnel du marché. Le premier de ces problèmes, quoique sérieux, est le moins important des trois. La falsification volontaire est rare ; la plupart des manipulations résultent d’artifices de comptabilité que l’analyste qualifié sera capable de détecter. La dissimulation et l’omission de faits sont des manipulations beaucoup plus courantes. Mais l’étendue de telles omissions a été grandement réduite par les réglementations, d’abord du New York Stock Exchange d’une part, puis de la S.E.C. d’autre part, qui requièrent des déclarations plus complètes et des clarifications sur les normes comptables utilisées. Là où des informations seront dissimulées, l’expérience et les talents de l’analyste devraient lui permettre de noter ce défaut et de l’incorporer dans son analyse, s’il ne dissimule pas lui-même les faits. Dans certains cas, sans doute, l’omission passera inaperçue et mènera à une conclusion erronée. b. Incertitudes futures. Les incertitudes futures sont quant à elles un problème beaucoup plus important. Une conclusion garantie par des faits et par des prospects apparents peuvent être invalidés par de nouveaux développements. Cela pose la question de savoir jusqu’à quel point l’analyse financière doit se soucier du futur. Nous allons repousser à plus tard l’étude des considérations relatives à ce point précis, lorsque nous discuterons des facteurs constitutifs de l’analyse financière. Il est manifeste cependant que les changements futurs sont en grande partie imprévisibles et que l’analyse doit en général procéder sur l’hypothèse que l’historique de résultats apporte au moins un guide grossier pour le futur. Le plus cette hypothèse est questionnable, le plus l’analyse perdra de sa valeur. Par conséquent, cette technique est bien plus utile quand appliquée aux titres seniors (qui sont mieux protégés contre le changement) qu’aux actions ordinaires ; plus utiles lorsque appliquée à des entreprises stables qu’à des entreprises volatiles ; et finalement, plus utiles lorsque effectuée en temps normaux qu’en temps de grande incertitude et de chamboulements. c. Le comportement irrationnel du marché. Le troisième handicap de l’analyse des titres financiers est à trouver dans le marché en lui-même. En un sens, le marché et le futur présentent les mêmes difficultés. Aucun des deux ne peut être contrôlé ou prédit par l’analyste, et pourtant son succès est largement dépendant des deux. Les activités principales de l’analyste peuvent être conçues comme n’ayant que peu de relations avec les prix du marché. Sa fonction typique est la sélection d’obligations de qualité qui génèrent un coupon, dont il peut juger de la sécurité en termes de paiement du principal et des intérêts. L’acheteur est supposé ne tenir aucune attention à leurs fluctuations ; il est censé s’intéresser à la seule question de savoir si ces obligations continuent d’être des investissements solides. De notre point de vue, cette opinion traditionnelle de l’attitude de l’investisseur est quelque peu fausse et hypocrite. Les possesseurs de titres, quel que soit leur caractère, sont intéressés par la cotation de leurs titres. Ce fait est confirmé par l’intérêt que portent les investisseurs à la liquidité. S’il est important que le titre puisse être échangé rapidement, il est encore plus important que le prix proposé soit satisfaisant. Bien que l’investisseur en obligations de qualité ait moins de raisons de suivre les fluctuations de marché que le spéculateur, ils auront tout de même un effet psychologique, si ce n’est un effet financier. Même dans ce domaine, l’analyste doit prendre en compte les facteurs qui perturbent les prix, tout comme il doit prendre en compte les garanties du titre. Dans la partie de l’analyse qui traite de la découverte de titres sous-évalués ou surévalués, les prix jouent un rôle primordial. Car ici l’analyste exercera son jugement afin de déterminer l’action à mener, et si, oui ou non, le titre doit être acheté ou vendu. Ce domaine d’analyse repose sur une double hypothèse : premièrement, que le prix proposé par le marché est fréquemment éloigné de sa valeur intrinsèque correspondante ; et que deuxièmement, il y a une tendance inhérente du marché à corriger ces disparités. Sur la validité de la première hypothèse, il n’y a que peu de doutes, même si Wall Street parle souvent du « jugement infaillible du marché » et affirme qu’une action vaut ni plus ni moins que le prix auquel vous pouvez la vendre. Les dangers d’un ajustement tardif des prix. La deuxième hypothèse est tout aussi vraie en théorie, mais son application dans la pratique laisse souvent à désirer. Des sous-évaluations causées par négligence ou préjudice peuvent persister pour un temps extrêmement long, et la même observation est valable pour les actions surévaluées par excès d’enthousiasme ou tout autre quelque artifice. Le danger spécifique pour l’analyste est que d’autres facteurs viennent influer sur les prix avant que l’action n’ait rattrapé sa valeur intrinsèque. En d’autres termes, au moment où le prix de l’action reflètera sa valeur, cette valeur aura pu changer considérablement et les faits sur lesquels était basé le raisonnement initial pourraient ne plus être d’actualité. L’analyste doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour se prémunir d’un tel risque ; en partie en choisissant des situations peu susceptibles de changer rapidement ; en partie en favorisant les titres dont les faveurs du public les rendront plus rapides à s’ajuster aux éléments de valorisation ; en partie en adaptant ses activités à la situation financière générale, et en portant son attention sur la découverte de titres sous-valorisés quand les affaires les conditions de marché sont assez stables, il procédera avec plus de prudence en temps d’incertitudes. Relation entre valeur intrinsèque et prix proposé sur le marché. La question générale de la relation de la valeur intrinsèque au prix du marché peut être clarifiée par le tableau ci-dessous. Il retrace les différents facteurs influencent le cours de marché. Il est évident que l’influence de ce que nous appelons les facteurs analytiques sur le prix du marché est à la fois partielle et indirecte, car ils sont en compétition avec des facteurs purement spéculatifs qui influencent le prix dans la direction opposée ; et indirecte, car ils agissent par l’intermédiaire des sentiments et des décisions des gens. En d’autres termes, le marché n’est pas une machine de pesée, sur laquelle la valeur de chaque titre est enregistrée par un mécanisme exact et impersonnel, en accord avec ses qualités spécifiques. Nous devrions plutôt dire que le marché est une machine à voter, où nombres d’individus enregistrent leurs choix, le résultat étant un produit en partie de la raison et en partie de l’émotion. RELATION DE LA VALEUR INTRINSEQUE AUX PRIX PROPOSES PAR LE MARCHE I. Facteurs de marché II. Facteurs individuels Spéculatif Facteurs de marché a. Techniques b. Manipulation c. Psychologiques Valeur future Investissement a. Management et réputation b. Compétition et prospects c. Probables changements en volumes, prix Valeur intrinsèque a. Bénéfices b. Dividendes c. Actifs d. Structure du capital e. Termes du titre f. autres Attitude du public Offres Prix du marché Analyse et spéculation On pourrait penser qu’une analyse solide devrait produire de bons résultats dans tous les types de situation, y compris les spéculatives, c’est-à-dire, celles sujettes à un risque et une incertitude substantielle. Si la sélection de titres spéculatifs est basée sur une étude experte de la position des entreprises, cette approche ne devrait-elle pas donner á l’acheteur un avantage considérable ? En admettant que les évènements futurs sont incertains, les éléments favorables et contraires ne devraient-ils pas s’annuler, plus ou moins, de telle sorte que l’avantage initial de l’analyse sera répercuté pour collecter en moyenne un profit ? C’est un argument plausible mais il est trompeur ; et son acceptation a mené de nombreux analystes à de mauvaises conclusions. Il est donc utile de rappeler quelques arguments contre une trop grande importante utilisation de méthodes analytiques dans des cas spéculatifs. Tout d’abord, ce qui peut être appelé mécanique de spéculation travaille en défaveur du spéculateur, elle efface l’avantage conféré par l’analyse. Ces désavantages mécaniques incluent le paiement de commissions et d’intérêts, l’écart entre le prix de vente et le prix d’achat (le « spread »), et, plus important, une tendance inhérente de la perte moyenne à supplanter le gain moyen, à moins qu’une certaine technique de trading ne soit suivie, ce qui est contraire à l’approche analytique. La deuxième objection est que les facteurs subordonnés à des situations spéculatives sont sujets à de rapides et soudaines révisions. Le danger, auquel nous avons déjà fait allusion, est que la valeur intrinsèque peut changer avant que le marché ne reflète cette valeur, il est donc nettement plus sérieux dans les situations spéculatives que dans les situations d’investissement. Une troisième difficulté provient des circonstances entourant les facteurs non identifiés, qui ne sont par essence pas pris en compte dans l’analyse. Théoriquement, ces facteurs inconnus ont autant de chances d’être favorables ou défavorables, et ils devraient se neutraliser sur le long terme. Par exemple, il est souvent aisé de déterminer par analyse comparative si une entreprise se vend moins cher qu’une autre dans la même industrie, par rapport aux bénéfices, même si les deux semblent avoir des projets similaires. Mais il se peut que le prix apparemment attractif de l’action ne soit que le reflet de facteurs défavorables qui, non déclarés, sont connus des personnes identifiées avec l’entreprise, et vice versa, pour l’action qui semble se vendre au-dessus de sa valeur relative. Dans des situations spéculatives, ceux « à l’intérieur » ont souvent un avantage de ce type qui annule l’hypothèse selon laquelle bons et mauvais changements s’annulent, laissant l’avantage aux mauvais changements et pipant les dés contre l’analyste. La valeur de l’analyse diminue lorsque l’élément de chance augmente. Notre objection finale est basée sur des considérations plus abstraites, mais, néanmoins, leur importance pratique est primordiale. Même si nous accordons à l’analyse la possibilité d’apporter un avantage mathématique au spéculateur, cela ne l’assure pas d’un profit. Ses affaires restent hasardeuses ; pour chaque cas individuel, une perte peut être réalisée ; et après que l’opération soit terminée, il est difficile de déterminer si la contribution de l’analyste a été à son bénéfice ou à son détriment. Par conséquent, la position de ce dernier dans le domaine de la spéculation est au mieux incertaine et elle manquera de toute façon de dignité professionnelle. C’est comme si l’analyste et dame fortune jouaient un duo au piano, avec la déesse de l’indécision choisissant les chansons. Par une autre analogie moins imaginative, nous pouvons prouver de façon plus convaincante pourquoi l’analyse est mieux adaptée aux situations d’investissement que de spéculation. (Par anticipation d’un plus long examen dans un chapitre ultérieur, nous avons accepté tout au long de ce chapitre que l’investissement implique la sécurité et que la spéculation connote un risque accepté.) À Monte Carlo, les chances de gains sont de 19 contre 18 en faveur du propriétaire de la roulette, de telle sorte qu’en moyenne il gagne un dollar pour 37 joués par le public. Cela semble suggérer que les chances sont contre l’investisseur ou le spéculateur. Considérons que, pour les besoins de notre analyse, un joueur de roulette est capable de renverser les chances de gain pour un temps limité ; elles sont maintenant de 18 à 19 en sa faveur. S’il distribue ses paris de façon équitable entre tous les numéros, alors quel que soit le numéro qui tombe, il est certain d’empocher un gain modeste. Cette opération pourrait être assimilée à un programme d’investissement basé sur une analyse solide et mené à bien selon des conditions générales propices. Mais si le joueur met tout son argent sur un seul numéro, son faible avantage de départ devient alors peu important comparé au rôle que la chance joue, c’est elle qui décidera du numéro qui tombera. Son « analyse » lui permettra de gagner un peu plus s’il a de la chance ; ce ne lui sera d’aucun secours si la chance est contre lui. Ceci, il est vrai dans une forme quelque peu exagérée, décrit la position de l’analyste qui a affaire à des opérations spéculatives. Exactement le même avantage qui donne un avantage certain dans le domaine de l’investissement peut s’avérer inefficace si la chance éclipse son influence. Il sembler alors prudent de considérer l’analyse comme un additif ou un auxiliaire plutôt que comme un guide de spéculation. C’est seulement lorsque la chance joue un rôle subordonné que l’analyste peut réellement parler en autorité et accepter la responsabilité pour le résultat de son jugement. 3. La fonction critique de l’analyse des titres Les principes financiers de l’investissement et de la finance d’entreprise sont nécessairement proches de l’analyse des titres financiers. Des jugements analytiques sont atteints par l’application de standards aux faits. L’analyste sera donc particulièrement intéressé avec la validité et la praticabilité de ces standards de sélection. Il sera également de son devoir de s’assurer que les titres, surtout les obligations et les actions préférentielles, sont suffisamment protégées par des provisions adéquates, et, plus important, que les méthodes d’exécution de ces engagements se conforment aux pratiques généralement acceptées dans le monde de la finance. Il est d’une importance primordiale pour l’analyste que les faits soient présentés équitablement, et cela signifie qu’il doit être hautement critique vis-à-vis des méthodes de comptabilité. Finalement, il doit prendre en compte toutes les politiques d’entreprise pouvant affecter le possesseur de titres, car la valeur des titres qu’il analyse peut largement dépendre des faits et gestes du management. Dans cette catégorie, nous inclurons les questions d’injection de capital, de dividende et d’expansion, de compensation du management, et même la continuation ou la liquidation d’une société non profitable. Sur ces sujets de sources variées, l’analyse peut être compétente pour exprimer des jugements critiques, afin d’éviter des erreurs, de corriger des abus, et pour la protection optimale du possesseur de titres.