baroque n` roll

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baroque n` roll
BAROQUE N’ ROLL
L E C É L È B R E P H O T O G R A P H E B R I TA N N I Q U E D U X X E S I È C L E C E C I L B E AT O N A U N J O U R
DÉCLARÉ : « FAITES PREUVE D'AUDACE, SOYEZ DIFFÉRENT, FAITES TOUT CE QUI VOUS PERMETTRA D'AFFIRMER VOTRE INTÉGRITÉ, VOTRE INTENTION, VOTRE VISION ET VOTRE IMAGINATION, FACE À CEUX QUI TENTERONT DE VOUS DÉCOURAGER. » CETTE CITATION POURRAIT
TRÈS BIEN S'APPLIQUER AU STYLE DE LA DÉCORATRICE DANIELLE MOUDABER DONT LE STYLE
ORIGINAL DE L'APPARTEMENT DE LONDRES PEUT ÊTRE ÉGALEMENT DÉCRIT COMME BRANCHÉ, BAROQUE MODERNE OU « NÉO-ROMANTIQUE » AVEC UN SOUPÇON D'EXCENTRICITÉ.
Ci-dessus à gauche : la décoratrice Danielle Moudaber consulte un ouvrage de référence dans son immense salon. Ci-dessus à droite : dans le salon
principal, le bureau de dame datant des années 30 en bois noirci aux tiroirs gainés de parchemin, sur lequel on découvre une paire de lampes des
années 40 et un miroir, est signé du designer français Jacques Adnet. Les deux gravures originales en noir et blanc sont l'œuvre du photographe en vogue
Bob Carlos Clarke. La main posée sur le manteau de cheminée provient d'une ganterie des années 20 tandis que l'applique a été dessinée par Danielle.
La photographie en noir et blanc d'une jeune fille tirant la langue est l'œuvre de Bob Carlos Clarke. Page de droite : l'arche de style néoclassique du salon
principal a été dessinée par Danielle afin d'apporter une dimension théâtrale à l'espace.
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eu importe la définition que l'on peut
donner à cet espace fantastique, il
s'agit d'abord d'une forme d'évasion
flagrante qui s'inscrit dans un monde
de caprice, de fantaisie et d'esprit dont
les frontières entre l'art et le design
sont souvent gommées. Danielle, qui se décrit ellemême comme une incurable romantique pleine de
paradoxes, reconnaît puiser son inspiration auprès de
designers de légende du début du XX e siècle comme
Va l e r i a n R y b a r. « M a i s m a p r i n c i p a l e i n f l u e n c e ,
explique-t-elle, a été la Compagnie des Arts français
fondée par Louis Süe et André Mare qui se sont attaqués à différents arts décoratifs, du papier peint au
mobilier. Ils avaient un style tellement unique ! » On
retrouve quelques-unes de ces sources d'inspiration
dans son appartement de Londres qui a évolué au
cours des années. Acquis en 2004 et ne comptant au
départ qu'une seule chambre au rez-de-chaussée,
P
L'imposante et sculpturale table à manger anguiforme montée
sur roues a été dessinée par Danielle, en collaboration avec
l'artisan londonien Ciprian Zama. La table peut également servir
de comptoir, de bureau et de bar et s'associe parfaitement
avec l'escalier en plâtre tout en courbes qui mène à la chambre.
Il est aussi l'œuvre de Danielle et Ciprian Zama. Le sol est un
enchaînement de lignes noires graphiques qui émanent du
labyrinthe du salon alors que le tapis bleu poudré de l'escalier
provient de PWC International à Londres. L'espace perdu situé
sous l'escalier sert de bar.
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À gauche : les petits canapés bleu clair matelassés, entourent une table « lune » en verre trempé et en métal sculpté dessinée par le designer français
Jean-François Buisson. La lanterne « Sera » posée sur la table est signée Mark Brazier-Jones alors que l'objet d’art sur la table provient de Samir Hadchiti.
Les fauteuils en métal sont également une création. Le labyrinthe graphique dessiné au sol a été créé par Danielle et peint à la main sur le plancher blanc.
Ci-dessus : dans le salon, la méridienne démesurée à l'habillage bleu poudré entièrement boutonné s'accorde parfaitement avec la rangée d'appliques des
années 40 qui proviennent d'une banque privée française. Danielle a changé les abat-jour et opté pour une couleur terre cuite corail. La chaise noire des
années 50 provient de Paul Smith Antiques à Londres. Elle est recouverte d'un satin de crêpe noir. La table ancienne en cuivre est dessinée par Danielle et
Ciprian Zama et s'éclaire à la tombée de la nuit.
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une minuscule cuisine et une salle de bains vétuste, il
présentait clairement de nombreuses contraintes au
design et au style de vie exubérants de Danielle.
Cependant, en 2009, elle eut la possibilité d'acheter
l'appartement du dessus et Danielle sauta sur
l'occasion. « Dès le début j'ai eu une vision très nette
de la manière dont j'allais réunir les deux étages et
créer mon propre mini-palace privé, explique
Danielle. Je voulais lui conférer une impression de
légèreté et d'espace qui me rappelle mes instants de
détente sur une terrasse ensoleillée de Méditerranée.
C'est pour cette raison que j'ai utilisé un bleu clair
poudré pratiquement dans toutes les pièces.
L'appartement nécessitait bien entendu un réaménagement total et l'ajout d'un “escalier-couloir” ouvert
car j'ai toujours détesté les escaliers raides et cloisonnés. » Le résultat : un vaste espace empli
d'éléments architecturaux originaux et un escalier
démesuré en plâtre moulé qui, sans aucun doute, se
démarque des autres. D'un simple regard, il est évident que Danielle, qui est un personnage atypique,
adore les objets disproportionnés – elle a délibérément faussé la perception visuelle de l'espace de
manière à accroître l'effet théâtral. La vedette incontestée de l'appartement reste la méridienne démesurée à l'habillage velours bleu poudré entièrement
boutonné dessinée par Danielle qui semble sortir
tout droit d'un plateau de cinéma. Elle occupe toute
la longueur du mur sur lequel sont fixées des
appliques datant des années 40 provenant d'une
banque privée française, qui complètent cette mise
en scène théâtrale hors norme. Mais ce n'est pas tout
: Danielle, en collaboration avec l'artisan londonien
Ciprian Zama, a également conçu une immense table
mobile à la forme sinueuse et délirante qui peut également servir de comptoir, de bureau et de bar. « Je
voulais un objet flexible qui pourrait remplir plusieurs
fonctions et qui était facile à déplacer dans tout
l'appartement » explique-t-elle. L'autre aspect étonnant de cet appartement est le labyrinthe graphique
noir qui se trouve au centre du salon principal que
Danielle a peint à la main sur le plancher blanc immaculé et qui court tout le long du rez-de-chaussée. Du
centre du labyrinthe, les lignes noires disparaissent
dans l'infini à l'autre bout de la pièce. « Il s’agit d'un
hommage aux choses perdues » précise Danielle sur
le ton de la plaisanterie. Pour contraster cet effet
visuel saisissant, Danielle a choisi un mobilier plus
féminin et plus classique du milieu du XX e siècle qui
adoucit l'ensemble et nous donne un aperçu de ses
inspirations héritées du passé. La chambre est le lieu
où Danielle laisse s'exprimer son côté féminin. Les
corniches et les moulures ornementales en plâtre
habillent le plafond et les arches. Le style vintage «
vieilli » des miroirs associé au bleu poudré des pans
de mur ornés de volutes et moulures en plâtre semble tout droit sorti d'un célèbre salon de thé parisien. « L'espace dans son ensemble évoque un
magnifique wedding cake, plaisante Danielle. La
chambre est romantique et fantaisiste mais elle est
également très pratique car elle dissimule de nombreux espaces de rangement et de placards dans les
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En haut à gauche : l'espace de travail de Danielle situé dans
la chambre est pratique et simple. Le bureau rouge est signé
Ronan et Erwan Bouroullec et provient de Conran Shop à Londres.
Il est couplé avec une chaise Arne Jacobsen que Danielle
a acquise à Copenhague. Le lustre français en céramique
noire acheté à Paris date des années 1919.
En haut à droite : la chambre à l'ambiance apaisante a été
imaginée comme un sanctuaire paisible où Danielle peut s'évader
de son style de vie londonien trépidant. Les panneaux bleu poudré
évoquant un « wedding cake » de par ses moulures décoratives
dissimulent des espaces de rangement alors que les deux tables
de chevet proviennent de Mint à Londres, que Danielle a
recouvertes d'un tissu en taffetas de type vinylique. Le dessus
de lit au large imprimé floral provient d'Alton Brooke à Londres.
En bas à gauche : une alcôve intime sert de salon de télévision
et de salle de lecture. Le canapé a été dessiné par Danielle
qui s'est inspirée d'une robe de John Galliano coupée en biais.
Les rideaux bleu martin-pêcheur ont également été dessinés
par Danielle et confèrent à la pièce une sensation de calme
et de luxe. Les coussins arborant une tête d'homme et de femme
sont signés du designer belge Bernard Willhelm.
En bas à droite : arche néobaroque ornementale reliant la chambre
au grand dressing. Le vitrage des portes de placard confère aux
lieux une atmosphère de jardin d'hiver alors que les miroirs
ont été délibérément vieillis pour leur donner un aspect « ancien ».
Danielle a conçu les poignées de porte « vintage » en laiton
pour s'intégrer harmonieusement au style du dressing.
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p a n n e a u x e t l e s m i ro i r s . » M a l g r é l a d é c o r a t i o n
d'inspiration néobaroque et quelques meubles exubérants, Danielle a délibérément réduit cet espace à
l'essentiel et l'a voulu dépouillé de manière à souligner sa beauté. Pour plus de confort au sol, elle a
également opté pour un plancher de bois et une surface vinyle utilisée par les studios de danse professionnels. Toujours dans un souci de confort, elle a
créé ce dont toutes les femmes rêvent : un immense
dressing aux nombreux rangements et un miroir tridimensionnel. La chambre mène vers une opulente
salle de bains habillée de mosaïque noire et blanche.
Elle est équipée du nec plus ultra en termes
d'accessoires de salle de bains : Czech and Speake et
Drummonds. Elle semblerait tout droit sortie d'un
hôtel de luxe ! Tout l'appartement est une sorte de
dialogue paradoxal entre la légèreté et la gravité, le
baroque et la simplicité, le Yin et le Yang – un dialogue entre les côtés masculins et féminins de
Danielle. Et avec des meubles surdimensionnés et
une association controversée du grand et du petit,
cet appartement est un clin d'œil à Alice aux pays
des merveilles. Les bleus clairs poudrés, les meubles
boutonnés et ce décor de dentelle interagissent avec
la force et la vigueur du mobilier en métal contemporain et flamboyant ainsi que les éléments architecturaux audacieux. Mais il s'agit surtout du témoignage
d'une décoratrice résolument originale qui n'a jamais
perdu de vue que pour émerger dans ce monde, il
fallait être audacieux et différent. Texte et photos : Michael Paul
Ci-dessus et page de droite : la salle de bains luxueuse des invités,
recouverte de mosaïques blanches et noires, est inspirée d'une
station de métro parisien. La large pomme de douche provient de
Drummond’s Bathrooms à Londres alors que la paroi de douche
a été réalisée sur mesure en raison de l'imposante baignoire.
Ci-contre : la chaise « Princess » chromée à trois pieds de
Mark Brazier-Jones est habillée d'une peau de mouton.
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