Les non-dits dans la communication. - Santé

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Les non-dits dans la communication. - Santé
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Journée d'étude MDA 23 « Communication Parents-Adolescents » le 12 juin 2013.
Françoise Gosselin, psychologue clinicienne au CMPP de la Creuse, PEP 23.
Les non-dits dans la communication.
Au fur et à mesure de son développement, l'enfant dispose de plusieurs modes de
communication, notamment le mode silencieux, le mode explicite et source de plaisir, et
un autre
mode qui transite du jeu à la vie culturelle. A côté de ces modes de
communication, le clinicien peut distinguer le signal de détresse de l'adolescent qui ne
peut pas communiquer du « je ne communique pas ». A l'adolescence, la communication
est souvent en lien avec le thème de la solitude. La préservation de soi dans l'isolement
fait partie de la recherche de l'identité et de la protection du pré carré personnel perturbé
par les transformations de l'adolescence. Avec les changements biologiques et pubertaires
l'identité est mise à mal. Ce qui est éprouvé comme vraiment personnel et réel est mis en
avant, sauvegardé afin d'arrimer une certaine assurance de soi-même. Durant cette
période, des réactions de retrait, de protection ou d'opposition sont susceptibles d'ébranler
les compromis avec la vie sociale et scolaire. A l'adolescence, le langage du corps, la mise
en acte mettent en œuvre des moyens de communication qui rappellent les formes préverbales du langage de l'enfant. Ainsi, ces moyens peuvent être compris comme autant de
messages potentiels à déchiffrer. Le non-dit n'a évidemment pas la même valeur selon les
formes de communication.
Le non-dit est un terme récent ; son entrée dans le dictionnaire de la langue française date
de 1980. Il se réfère à ce qui n'est pas dit, à ce qui reste caché dans le discours. Est-ce
qu'il n'aurait pas une connotation morale ? En 1980, on peut se demander si la notion de
non-dit ne vient pas interroger celle de déni, voire de forclusion c'est-à-dire les
discontinuités et chutes du discours, telles que Lacan les a exposées en 1953, 1956 et
1967.
Ces différents termes peuvent prêter à
confusion. La notion de non-dit peut
véhiculer une culture du doute concernant le discours et celui qui le profère. Cette culture
du doute ne doit pas contaminer la relation parents-adolescent où ce dernier serait mis en
demeure de verbaliser.
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L'histoire de la communication parents-adolescent, dont nous avons dit ce matin qu'elle
était celle de la différenciation du politique et de la famille, montre que cette culture du
doute est ancienne, qu'elle émane du principe de méfiance instauré par le premier
législateur du Code civil.
L'adolescent développe une inventivité pour signifier non pas ce qu'il cache mais ce qu'il
ne peut pas dire de son éprouvé. Les mots de la langue de l'enfant entreraient en crise
pour traduire un éprouvé totalement nouveau et bouleversant. Où trouver la langue
appropriée ? Le non-dit peut alors signifier une impossibilité à dire dans une langue qui
brusquement a vieilli.
Dire, cacher ou montrer.
Le non-dit entre parents et adolescent suscite parfois un malentendu, qui sans forcément
être reconnu, laisse place à des réaménagements dans les relations entre parents et
adolescent.
Une mère rapporte que son fils de 17 ans lui a demandé d'accueillir à la maison une fille
de sa classe dont les parents devaient s'absenter ; elle devait donc passer deux jours au
domicile. Bien que surprise par l'arrivée chez elle d'une fille de l'âge de son fils, elle
comprend le désir de son fils qui ne veut pas laisser cette jeune fille seule d'autant plus
qu'il a des copains autour de chez lui auxquels elle pourra s'adjoindre. Plus tard, la mère
rapportera que son fils a bien fait venir cette copine mais elle s'est vite aperçue qu'elle
était devenue sa petite amie, selon ses termes.
La demande du fils témoigne de son désir avec cette jeune fille mais aussi de la difficulté
pour lui-même à en parler avec sa mère, peut-être du fait des incertitudes de la situation
en lien avec la jeune fille, du fait de sa propre difficulté à exprimer son désir et à se
différencier de sa mère, ou encore des craintes vis à vis de sa mère quant à ses réactions.
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Le non-dit permet un consensus entre mère et fils, et évite à l'adolescent de dévoiler
explicitement son désir. A la place de dire, il montre à sa mère, tout en gardant sa
confiance, son intérêt pour une jeune fille et se dégage de l'enfant qu'il était à son égard.Il
perd son identité d'enfant et le signifie. La mère qui fait confiance à son fils est mise
devant le fait accompli. Elle reconnaît que son fils a grandi et lui permet ainsi de
transformer la relation avec sa mère. La délivrance du non-dit chez l'adolescent dans
cette histoire s'effectue moins par la parole que par la signifiance du montré, ce qui rend
possible à l'adolescent de sortir du dilemme cacher ou dire.
Cela n'est possible que par la confiance réciproque. Le mode de communication
s'accomplit davantage sur un mode analogique ou par métaphore agie à la différence de
celui des parents. On peut observer que si la verbalisation existe chez l'adolescent, la voie
non verbale n'en demeure pas moins opérative et peut même devenir prévalente. Ce
changement peut surprendre les parents. Le verbe n'est pas esquivé, mais le langage du
corps, le langage par acte et par analogies sont réactivés à cette période de la vie. Ceci
est important, on le sait, dans l'écoute de l'adolescent selon les différents registres de
communication qu'il pratique, et les trous qu'il constate dans la langue. Sous des
apparences banales, se jouent dans cette histoire le destin de l'adolescent, le devenir de
son désir et l'altérité.
L'adolescent qui se tait avec ses parents.
Le non-dit auprès des parents peut signifier l'impossibilité d'exprimer une plainte, de
dénoncer une situation quand les exigences internes sont trop contradictoires, que le réel
est trop prégnant, ou associé à des questions de violences. Le mal-être se manifeste par
des actions corporelles.
Lorsque par exemple, un adolescent subit des insultes qui le rabaissent, reçoit des coups
donnés par un autre, il peut le taire à sa famille. En même temps, l'entourage, les
professeurs peuvent noter un changement de comportement chez l'adolescent.
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Il saute, s'agite, et les professeurs craignant qu'il ne se fasse mal contactent les parents et
signalent une baisse des résultats scolaires.
Plusieurs points ressortent de ce non-dit :
D'abord, les difficultés à se confier. le non-dit auprès des parents peut témoigner de la
place originale des investissements parentaux dans la dynamique narcissique et objectale.
Ainsi, l'investissement du père comme investissement narcissique du parent de même
sexe que lui et comme support identificatoire des identifications secondaires (il peut lui
procurer des conseils) aurait pu faire de lui un confident possible.
Mais les difficultés à se confier sont également le résultat de la honte éprouvée à se sentir
nul et incapable,blessé dans son amour-propre devant le rire des autres, attaqué dans
son enveloppe corporelle par effraction ou intrusion. Elles sont aussi le produit des
culpabilités liées au fait de n'avoir pas répondu aux coups, ou parfois écouté les conseils
des adultes. Les sentiments de honte en ressortent renforcés.
L'estime de soi, la sécurité apportée par l'affection de ses proches, le sentiment d'être
partie intégrante de la communauté des élèves se trouvent ainsi ébranlés par l'agression
verbale et l'abus de la force subi à l'adolescence.
L'impasse transitoire l'amène à prendre le parti du silence devant ses propres sentiments
mélangés et le poids des exigences contradictoires. A la place, au lieu de dire, il
développe une instabilité défensive contre les angoisses et peut s'adonner à des
conduites à risques physiques. Il éconduit dans la motricité les tensions pulsionnelles. Ce
qui peut être dit, sur le plan conscient, autour de cette situation c'est que l'instabilité
permet de contre-investir, d'éviter toute pensée autour des vécus traumatiques et
d'insécurité, (« pour ne pas penser à ce qui s'est passé »), de se dégager de la peur de
l'autre qui a abusé de sa force et l'a agressé verbalement en public(« pour se libérer de la
peur »).
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L'énergie mobilisée dans les contre investissements psychiques, l'énergie dépensée dans
la motricité manque aux capacités d'attention de l'élève qui voit chuter ses résultats
scolaires.
Cependant, les conduites à l'adolescence voient se conjuguer simultanément mouvement
de maîtrise et mouvement de débordement. Le sujet semble s'imposer lui-même des
freins pour ne pas aller trop loin. Il est donc capable de se faire violence à lui-même. Il
développe ainsi une position dite de masochisme secondaire qui ouvre à la socialisation. Il
est aisé de voir que des idéaux ont un rôle dans l'établissement du masochisme
secondaire. On peut bien sûr penser que l'adolescent cherche aussi avant tout à attirer
l'attention, à effectuer un geste d'appel pour obtenir de l'aide, et les professeurs
remarquent et signalent aux parents le changement de comportement. Mais on peut aussi
y voir la tentative, de se situer, en quelque sorte, «sur la crête des limites» où insiste ce
qui lui a fait le plus mal : l'atteinte quant à l'idéal. Il s'est montré faible et imprévoyant.
En outre, la question du corps apparaît aussi au premier plan pour l' agresseur. Les
enfants en souffrance à l'adolescence projettent littéralement leur corps dans la violence et
l'action afin d'éconduire leurs pulsions et de se libérer de leur tumulte. Leur souffrance est
ce débordement pulsionnel. Des jeunes recherchent quelquefois l'auto-intoxication dans la
fatigue par l'épuisement physique du corps afin de se délivrer du corps pubère.
Les adolescents utilisent aussi leur corps comme vecteur d'action, projeté vers l'extérieur ;
ils frappent l'autre tout en cherchant sans doute confusément dans le choc les limites
internes qui leur manquent, au risque parfois de tuer ou de blesser. Le fait de s'excuser
après-coup en public est un moment important de socialisation et d'intégration d'une règle,
ou de formation d'un idéal psychique. L'excuse est un mouvement vers l'altérité, de
reconnaissance qu'il y a de l'autre et que l 'on peut le blesser. Le débordement pulsionnel
revêt chez certains adolescents un caractère beaucoup plus moteur et projectif puisque
c'est le corps tout entier qui est mis en mouvement dans l'agir, aux dépens de la
mentalisation.
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Dans cette situation de l'adolescent violenté et agressé, la dynamique propre aux relations
familiales est réinvestie grâce à la parole de la mère qui, capable de se représenter le
vécu de son fils, qualifie les actes subis en lien avec les affects.
C'est un début, une source de récit pour l'avenir, une élaboration possible de ce qui est
éprouvé intérieurement et forme une intériorité, c'est aussi un ré-arrimage de l'adolescent
dans la structure familiale associé aux réaménagements des relations aux parents. Il
repend confiance après avoir douté. Et si le doute avait été fondé, le jeune aurait été livré
à l'exil , jeté du navire comme Jonas. Le non-dit aurait pu être déposé près d'un
enseignant ou dans le réseau parental, s'il existe. Oncle, tante ou grands-parents peuvent
en être les dépositaires. Dans le film « Peggy Sue s'est mariée », de Francis Ford
Coppola, la jeune adolescente dans le but de ne pas troubler ses parents s'adresse à ses
grands-parents. L'adolescent a le souci de ne pas inquiéter ses parents et de les protéger
lui-même de son propre tumulte.
Le non-dit ou ce qui n'est pas nommé.
Quand il s'agit d'un acte illicite commis à l'école contre un jeune, le dit entre parents et
adolescent est sous le regard du tiers, de ce qui est codifié dans le texte de la loi ou du
règlement. Ce qui n'est pas qualifié dans les termes de la loi ou du règlement, risque alors
de laisser planer des incertitudes quant au dire entre parents et adolescent, sur la
reconnaissance de l'acte perpétré, voire même de gauchir et d' infléchir le sens de cet
acte. Cette situation est susceptible de favoriser un substitut au non-dit, un remplaçant
peu sécurisant et loin de la réalité mais qui a l'avantage de faire consensus grâce à une
fiction rassemblant la famille autour du vécu traumatique. Toutefois, qu' une saisine pour
des faits d'abus de la force soit portée ou non devant la loi ou le règlement, c'est
essentiellement par un travail d'élaboration psychique que les parents et l'adolescent
pourront reconnaître les actes commis et les intégrer, à condition cependant que les faits
soient clairement qualifiés par l'autorité parentale.
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Lorsque le coup avec blessures porté à l'adolescent est qualifié d'accident par l'autorité
publique, il reçoit une nomination, grâce à une déclaration administrative d'accident, mais
une nomination limitée. Ne pouvant être qualifié comme acte illicite, il est réduit à
l'accident. La banalisation de l'acte qui en découle est souvent réputée amoindrir le
trauma.
La partie de l'acte qui n'est pas nommée équivaut à une chute du discours proche de la
forclusion, au sens de ce qui ne se présentera pas devant une instance, ou sera placée
hors du jugement. Cette chute du discours, du fait du déclarant, entrave la reconnaissance
de l'acte illicite, préalable nécessaire au travail psychique sans restes, des parents et de
l'adolescent. Sans restes, c'est-à-dire sans les ruminations engendrées par la non
qualification de l'acte et des faits.
La nomination du coup avec blessures suppose la prise en compte du fait qu'il s'agit d'un
acte illicite. Il existe une différence entre le réglementaire et la loi qui ouvre à l'autorité
publique un pouvoir discrétionnaire dans l'application de la hiérarchie des normes. Quelle
que soit l'intention de cette autorité, l'intérêt d'établir de prime abord un procès verbal
circonstancié permet justement de verbaliser ce qui est illicite, et de nommer ce qui était
non dit, ou perçu confusément.
Et l'autorité publique comme les parents peuvent en rester là s'ils le jugent nécessaire.
L'intérêt de qualifier une agression ne procède pas seulement d'une intention répressive ;
la qualification dégage un autre horizon pour le récit qui identifie agresseur et victime.
Saisir le pouvoir réglementaire, voire porter plainte auprès du juge ou du procureur permet
de nommer et reconnaître l'agression perpétrée avec exigence de réparation. La scène du
récit est tout à fait différente à partir du moment où l'acte illicite est nommé au regard du
tiers qu'est le représentant de la loi ou du règlement. La qualification de l'acte permet le
récit de l'adolescent où il est identifié en tant que victime d'un acte illicite. Si l'acte illicite
est réduit à l' accident, le récit est mutilé car il doit conjuguer deux contraires : la non
reconnaissance de la qualité de victime au jeune qui se sait victime, et la disqualification
de l'agresseur qui se sait agresseur, en fait.
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Alors le récit prend le risque d'être une imposture non figurable par les acteurs avec un
non-dit qui persiste d'autant plus qu'il est couvert d'une fiction de compromis.
L'autorité publique, si elle choisit de sortir du registre de l'accidentel en qualifiant un acte
d'illicite, assigne la place de l'agresseur et de la victime. Elle ménage, par ce biais, de
nouvelles possibilités de commencement pour le récit présent et à venir.
C'est une sécurité pour tous car peut demeurer le pressentiment que ne se reproduise ce
qui a déjà été commis. La loi protège dans la mesure où elle rend possible l'avènement
dans la parole d'un horizon plus large, où les notions de bien, de mal et de responsabilité
ont leur place. Un tiers la garantit. En dégageant un horizon de parole après l'agression,
elle rend possible un travail de libération d'une langue de l'action de l'agresseur qui l'avait
déchirée par son acte.
La construction d'un récit ancré dans le texte de la loi ou du règlement peut permettre de
créer un nouvel horizon pour l'existence et la responsabilité. En ce qui concerne
l'adolescent qui a vécu une agression avec blessure, cet horizon dégagé par la règle de
droit est essentiel. Des avatars de ce récit qui aura lieu ou n'aura pas lieu au regard du
tiers final qu'est la loi, se joue la place de l'adolescent en tant que sujet de droit et reconnu
dans ses droits à réparation.
Lorsque l'acte n'est pas porté au niveau de la loi ou du règlement, l'autorité parentale et
l'adolescent vont se fendre pour interroger ce qui a été commis, le questionner de façon à
en faire ressortir toutes les âpretés, les abords rugueux.
Dans le cadre thérapeutique, la mise en forme du récit résiste aux forces de l'oubli
stimulées par les effets du refus de la qualification de l'acte violent et des circonstances,
mais sans la ressource du texte légal. Toutefois, les protagonistes ne sont pas pour autant
livrés à eux-mêmes. Si la clarification, l'élucidation de l'expérience traumatique permet sa
réappropriation psychique, rendant inutile des symptômes sur le plan psycho-dynamique,
tout tiers n'en est pas absent en dépit de la minoration de la loi.
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Qui fait alors fonction de tiers ? La langue commune elle-même avec ses ressources
narratives et poétiques. L'espace thérapeutique permet à la faveur de la prise de parole
un processus de retour sur soi avec une possibilité d'intégrer l'acte. Sans cette faculté, il
risquerait d'être forclos, au sens où il demeurerait non advenu, comme acte illicite à
l'encontre du sujet victime. Il est également favorisé par l'appui des parents qui peuvent
exprimer leurs propres sentiments et leur reconnaissance de ce qui est arrivé.
Le mouvement d'intégration psychique de l'expérience traumatique s'accompagne de tous
les vécus douloureux et d'insécurité et peut laisser surgir un mouvement dépressif à la
faveur de la prise de conscience des atteintes dans le corps et des blessures quant à
l'idéal.
La peur de ne pas retrouver son intégrité corporelle, de garder des séquelles, de ne pas
pouvoir guérir déstabilise l'adolescent. En même temps, en construisant un dire,
l'adolescent redevient actif là où il était passif, subissant les conduites d'autrui, reprend
une identité de sujet dans une histoire où il s'est senti objet d'autrui. Dans sa capacité à
élaborer la scène traumatique, les cauchemars ou les rejetons répétitifs au moment de
l'endormissement, il accède à une prise de distance qui lui permet de différencier ce qui
est arrivé et de l'assigner dans le passé pour considérer l'avenir ou le futur.
Le non-dit dans le corps pubertaire.
A l'adolescence, les prises de distance corporelles et verbales qui se manifestent dans les
relations aux parents apparaissent au quotidien ; les câlins et les effusions sont relégués
au passé, l'accompagnement des parents en déplacement se fait loin devant ou loin
derrière,et le mutisme coupe court aux questions sur l'intimité. Tout rapproché peut être
banni dans des attitudes de retrait, de refus, d'évitement, avec par intermittence la quête
de câlins et de tendresse. La fin de l'enfance se dit dans ces éloignements et
rapprochements.
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L'enjeu c'est d'articuler des entre-deux où se jouent les confrontations à l'égard d'autrui et
en même temps les différences à intégrer, pour se définir soi-même, s'identiser dans un
cadre rassurant.
La peau du corps de l'adolescent peut jouer ce rôle en devenant un médiateur sous la
forme d' un espace d'inscription où celui qui trace ou fixe utilise son propre corps. Sa peau
devenue parchemin reçoit des signes et des symboles. Dans ces signes se figurent
différence et appartenance au groupe de pairs (piercing, tatouages). Quand l'adolescent
est en souffrance, la peau parchemin peut être entaillée et coupée. Ils se scarifient au
sens de gratter une surface qui représentait à l'origine l'écriture.
Les scarifications, quand elles sont typiques, sont réalisées lors de la croissance
pubertaire, (l'âge moyen de commencement étant vers 14ans), concernent surtout les
filles, et sont répétées souvent de façon compulsive. Lorsqu'elles sont atypiques, elles
arrivent avant ou après la puberté, elles concernent les garçons et conduisent à penser à
l'existence de troubles identitaires majeurs . Les scarifications sont des signes qui
renvoient à des organisations psychiques différentes.
Les scarifications sont des coupures que se fait l'adolescente en particulier au niveau des
avant-bras, mais qui peuvent parfois atteindre toutes les parties du corps, blessures qui
saignent et laissent des cicatrices plus ou moins longtemps. Les processus
métapsychologiques à l'oeuvre ne peuvent faire autrement qu' entamer la peau au lieu
d'utiliser la verbalisation, l'espace du rêve ou d'autres formes de symbolisation. Cette
expression et sa dissimulation ne manquent pas d'inquiéter les parents. L'attaque de la
peau par l'adolescent peut annoncer une attaque plus générale du corps propre, devenir
une formation de compromis ou une tentative de dégagement d'un processus morbide.
Souvent, l'acte est banalisé par l'adolescent. En revanche, elles peuvent être données à
voir, mais la plupart du temps, elles sont dissimulées sous des manches ou des mitaines
ou des pansements. Ce qui est alors montré, ce n'est pas la scarification, mais ce qui
cache.
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Ce qui en est dit sur le plan conscient : c'est un apaisement, un soulagement avec
l'expulsion au dehors des tensions insupportables ; c'est aussi l'agressivité qui s'exprime
et le retour de l'agressivité destinée à un autre sur le corps propre.
Les scarifications comme exposition des blessures montrées-cachées pour le regard
d'autrui et comme attention sollicitée peuvent témoigner de la quête de contenance ; les
filles sont ainsi plus tournées vers leur espace corporel, sur les agissements dans la
relation entre leur intérieur et l'extérieur, et sur ce qui se joue dans l'absence-présence aux
yeux de l'autre. Le non-dit est ici tordu dans la dialectique du montré-caché.
A l'inverse des garçons en souffrance qui cherchent une contenance, des limites, le corps
projeté en entier dans le heurt avec autrui, les filles en situation de mal-être préservent
l'unité du corps qui est mobilisé en tant que zone d'échanges et de passages entre
l'intérieur et l'extérieur.
Les scarifications concernent l'enveloppe corporelle, limite entre dedans et dehors mais
aussi témoin des investissements précoces.Les scarifications peuvent prendre le sens de
se couper au sens littéral de tout rapproché incestueux, attaquant l'objet primaire dans le
processus individuation-séparation alors que se trouvent remaniés dans le même temps
les investissements d'objet oedipiens. L'entaillage du corps est une tentative pour mettre
une limite à sa souffrance, pour symboliser dans l'espace- temps et dans les relations aux
autres, des frontières. Au-delà de ces attaques violentes,c'est une possible appropriation
du fait pubertaire et reprise du processus perturbé de subjectivation. En revanche, la
violence extrême et le caractère presque ininterrompu de telles pratiques peuvent évoquer
des effondrements narcissiques et des fonctionnements limites.
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Non-dit, création et filiation.
L'interrogation sur la filiation fait partie intégrante du processus d'adolescence au décours
de l'expérience pubertaire. A la faveur d'une expérience amoureuse par exemple,
l'interrogation filiative peut permettre de revenir pour l'adolescent sur ce qui est
énigmatique chez les parents (l'amour qu'ils se sont ou non porté,...).
A la condition de n'être pas bloquée par un secret, une interdiction, l' interrogation sur la
filiation participe au développement de la pensée fantasmatique et du processus de
subjectivation. Elle permet à l'adolescent de désidéaliser l'énigme de ses origines en
questionnant les images réelles et imaginaires des parents.
Le questionnement sur la filiation porte sur l'identité narrative, « qui suis-je dans cette
histoire ? ». Quel récit pourrait la porter ?
Le fondement de l'identité narrative se trouve dans la dialectique de l'idem et de l'ipse , de
ce qui demeure permanent d'un sujet qui se transforme, devient et migre de la rive de
l'enfance à celle l'adolescence qui elle-même est un passage. Etre le même au fil des
transformations de la puberté et du pubertaire qui s'imposent à l'adolescent, tout en
n'étant pas tout à fait le même pour devenir soi-même est un chemin chaotique et venté.
L'identité y est mise à mal et tourmentée.
« Qui sont pour moi mes parents, ces parents qui m'ont mis au monde et qui
m'apparaissent maintenant lointains et changeants ? Puis-je me confier à eux ? Que leur
dire des changements qui m'affectent, me glacent, parfois m'enivrent ? » Le concept
d'histoire non encore racontée, l'histoire inchoative, élaboré par Paul Ricoeur, permet de
réfléchir aux histoires en attente de récit, à ces histoires qui cernent autant de non-dits qui
perturbent la construction des origines, de l'identité et de l'identisation. Il est parfois
difficile, voire impossible de se figurer l'origine dans la filiation, et souvent c'est un
substitut, une création qui en occupe la place.
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L'effort à rechercher l'origine d'une filiation, la question du père par exemple, peut
recouvrir une construction laborieuse qui fait éclater ce que l'adolescent pensait acquis
depuis l'enfance, remet sur l'établi les identités des uns et des autres, les images
parentales, les certitudes de l'enfant.
Le bruit d'un tel tumulte, du souffle de la bourrasque qui fait effraction dans un champ clos
et apparemment protégé transperce le récit de Kleist : La Marquise d' O..., récit que nous
proposons en tant qu'invite à réfléchir l'adolescence et ce qu 'elle représente quand elle
n'est pas escamotée par le souci adaptatif, caractéristique de ces régimes qui nient
l'adolescence-passage ou traversée. Ces régimes enrégimentent les jeunes, détournent
leur agressivité vers des buts guerriers ou politiques. Ainsi, Deligny retrouvera certains des
jeunes qu'il suivait à Armentières dans les Waffen-SS.
On pourra nous objecter que le texte de Kleist ne concerne que des adultes et non les
adolescents. Ce serait oublier que le fait pubertaire, au-delà de la réalité biologique,
imprime sa marque et continue de faire sentir ses effets chez l'adulte. L'adolescence ne
connaît pas la marche du temps calendaire ; elle n'est ni souvenir, ni archive mais
recommencement.
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Lecture de la Marquise d'O...
« A M..., Ville importante de la Haute- Italie, la marquise d' O..., une dame veuve d'excellente
réputation, mère de plusieurs enfants parfaitement élevés, fit connaître par la voie de la gazette que,
sans s'expliquer comment, elle se trouvait enceinte, que le père devait se présenter pour reconnaître
l'enfant qu'elle mettrait au monde et que, pour des considérations de famille, elle était résolue à
l'épouser. La dame qui, dans l'étau d'une situation implacable, faisait avec une telle tranquillité un
geste si étrange en s'attirant la risée du public, était la fille du seigneur de G..., gouverneur de la
citadelle de M... »
Quelques mois auparavant, la contrée qui vivait jusqu'ici en paix avait été ravagée par une guerre et
la citadelle que commandait le père de la jeune marquise fut prise d'assaut par un général de l'armée
russe. Les combats furent violents, un incendie se déclara et la marquise poursuivie par des
soudards dut fuir.
« Eperdue, ne sachant où aller, elle dut reculer dans la maison en flammes. Là, par malheur, en
voulant s'échapper par la porte de derrière, elle tomba sur une bande de tirailleurs ennemis...
Tiraillée de côté et d'autre par cette meute qui se la disputait de haute lutte... On la traîna dans la
cour intérieure du château, et là, elle allait s'effondrer sous les brutalités les plus odieuses lors
qu'apparut un officier russe qui par de furieux coups dispersa ces chiens lubriques... Il apparut à la
marquise tel un ange du ciel. […]
Il la conduisit, muette, après toutes les scène de ce drame, dans l'autre aile du palais... Là, elle perdit
connaissance et s'effondra. C'est alors que... [...] »
Les soudards furent fusillés et le général russe, en présence de la famille, remercia le comte F de
son action.
« La famille se demandait comment elle trouverait dans l'avenir une occasion de donner au comte F
quelque témoignage de sa reconnaissance. Mais quel ne fut pas son émoi d'apprendre que, le jour
même de son départ de la forteresse, l'officier russe, le comte F, avait trouvé la mort dans une
rencontre avec l'ennemi ![...] »
La vie redevenue normale, quelques semaines plus tard la marquise d'O fut prise de nausées, de
vertiges, de défaillances, de malaises intermittents qui inquiétèrent. Elle s'imagina un moment être
enceinte, ce qui donna à rire.
« C'est pour le moins Morphée, ou l'un des Songes de son cortège qui serait le père, répliqua la
marquise en plaisantant sur le même ton que sa mère.
La vie continua ainsi et on ne parla plus de ces aventures. Mais le retour à l'ancien état des choses
fut un matin troublé par une étrange nouvelle : on annonçait l'arrivée d'un mort, le comte F.
« Et dans leur surprise tous restèrent sans voix. Le comte F se présenta. Quand cette scène
d'inconcevable effarement eut pris fin et que le comte eut assuré qu'il était bien vivant aux parents
qui voulaient le convaincre d'être mort, il tourna vers leur fille un visage très ému et, sans attendre,
lui demanda d'abord comment elle allait. »
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Il était venu la demander en mariage.
« La marquise resta interdite devant l'inattendu de ces paroles. »
Mais l'empressement du comte, son comportement étrange, son manque de tact aussi firent que le
père de la marquise posa un délai. Le comte partit donc à Naples effectuer une mission
diplomatique en laissant ses hôtes déconcertés et intrigués. La vie reprit, mais différente.
L'état de santé de la marquise d' O s'aggrava et « elle constata sur sa personne d'incontestables
changements. » On appela un médecin à son chevet qui allégua les craintes imaginaires de la
patiente. Offensée, elle lui demanda comment la chose fut possible au moment où le médecin
ramassait un gant qu'il venait de perdre.
Ce dernier esquiva la réponse tant elle lui semblait évidente. Mais la perte de son gant était
suffisamment explicite.
« La marquise demeura comme frappée de la foudre[ …] Dans une agitation extrême, elle se leva
sur le sofa. Par défiance contre elle-même, elle passa en revue tous les moments de l'année écoulée
et, en pensant à ce qui venait de lui arriver, elle crut avoir perdu l'esprit. » On appela la sage-femme
pour vérifier les dires du médecin. « Quand elle eut achevé, elle déclara avoir vu des cas de ce genre
[…] Au demeurant, elle rassura Mme la marquise et lui affirma que le gaillard corsaire, débarqué
pour la nuit d'amour, finirait bien par se retrouver. A ces mots, la marquise s'évanouit. »
Accablée par son père et son frère, ce dernier tente de la tuer, la marquise quitta la maison familiale
et alla se réfugier sur ses terres dans un lieu retiré avec ses deux enfants. Lieu interdit de toute
visite. L'idée lui vint alors d'utiliser un moyen extravagant pour retrouver le père du jeune être qui
vivait en elle. Une idée si singulière qu'elle en fut épouvantée et que son tricot lui tomba des mains.
Agitation et insomnies hantèrent ses nuits mais elle eut la force d'agir. « … elle réunit un matin tout
son courage […] et elle lança dans les annonces du journal de M... le singulier appel qu'on a lu en
tête de ce récit. »Elle somme donc le non-dit par un appel au public des lecteurs d'un journal, elle le
somme par la liberté de la presse même au risque d'être ridicule.
Dans cette sommation la marquise recherche le sujet d'une action et le récit qui va l'identifier, car
quel récit pourra bien faire l'homme qui osera se présenter, un homme assurément qui sait lire et se
doute qu'il devra rendre compte publiquement d'un crime ?
Pendant ce temps, le comte F, dans l'ignorance totale de ces événements, vint visiter la famille de la
marquise. Au récit des événements le comte tint des propos curieux qui le firent passer pour fou
près de son officier d'ordonnance et il quitta les lieux séance tenante. Il eut l'idée malheureuse de se
rendre à la nouvelle résidence de la marquise d' O... en entrant dans sa maison par une porte de
derrière entrouverte; après avoir acceptée d'être enlacée le temps de quelques paroles, elle l'éconduit
violemment, hors de sa maison dès qu'elle sut que le comte connaissait son état. Dans la soirée, de
retour à son hôtel le comte F tombe sur l'article de la gazette où figurait l'invitation si étrange de la
marquise d' O..., il en boit le texte avec avidité. Il retrouve ses esprits et prend une résolution.
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Quelque temps plus tard, les habitants de la ville de M découvrent un insert dans la même gazette
en forme d'invite avec un délai de forclusion : « Si Madame la marquise d' O... veut bien se trouver
le 3... à onze heures du matin, dans la maison de M le gouverneur, son père, celui qu'elle cherche y
sera pour se jeter à ses pieds. »
Le gouverneur en prenant connaissance de l'insert s'emporte et dit : « Une balle plutôt pour celui
qui, le 3 au matin, osera franchir mon seuil ! »
« Or donc, la veille du 3, dès le matin, se posa la question : qui pourrait bien grand Dieu ! Se
présenter le lendemain à onze heures ? » La famille était décidée à consentir au mariage pour peu
que l'homme fut de condition acceptable ou à adopter l'enfant dans le cas contraire. « Là dessus, on
vit paraître, après une nuit passée dans une fiévreuse attente, l'aube du jour redouté.
Sur le coup de onze heures, la mère et la fille étaient assises dans le grand salon, en toilette de
cérémonie comme pour des fiançailles. Leur cœur leur battait si fort qu'on eût pu l'entendre, si les
bruits du jour s'étaient tus[…] le chasseur annonça la venue du comte F :
« Le comte F ! s'écrièrent-elles... fermez les portes ! S'exclama la marquise. Pour lui nous ne
sommes pas là ! »
Elle se leva pour tirer tout de suite elle même le verrou, quand le comte F entra avec armes et
décorations dans la même tenue qu'il avait lors de l'assaut de la citadelle. Egarée, la marquise crut
que la terre cédait sous elle ; elle prit un châle et voulu s'enfuir...
« Qui attendons-nous donc ? »
La marquise se détourna brusquement et lança :
« Eh bien ! Quoi ! Ce n'est tout de même pas lui ?. Son regard devenant étincelant comme un éclair
d'orage, tandis qu'une pâleur de mort envahissait son visage. » « Qui serait-ce ? » S'écria la
gouverneure[...], « qui serait-ce, insensées que nous sommes, si ce n'est pas lui ? »
« L'officier russe s'était effacé devant la marquise d' O... un genou à terre, la main droite posée sur
le cœur, la tête légèrement inclinée et gardant le silence. »
« Mère, j'en perdrais la raison ! » « Sotte que tu es ! » répliqua la mère »
La mère intercède et murmure une parole à l'oreille de sa fille. Celle-ci refuse d'entendre raison et
d'accréditer le récit de sa mère qui vient de comprendre la situation du comte F. Visiblement sidérée
par l'apparition du comte la marquise d' O le rejette comme un pestiféré :
« Partez ! Partez!Partez ! […] Je m'attendais à voir un être vicieux, mais non un... (hésitation)
démon d'enfer. » Elle disparaît.
Le comte F reste anéanti ne pouvant proférer un seul mot. C'est la mère de la marquise qui délivre
le non dit et le comte du non dit. Elle fait plus car elle lui redonne sa place de sujet de l'action lui
qui est infans : par sa bouche elle le fait parler et exprimer une volonté.
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La mère prit la main du comte et dit : « Point de questions ! » « Ce jeune homme déplore de tout
son cœur ce qui est arrivé. »
Qu'est alors le comte F à ce moment là ? Un être démantibulé, un pantin qu'on anime, un corps
mort ? Le mariage est prévu le lendemain, donc le 4, et la marquise accepte de s'y rendre après avoir
obtenu réparation du comte par un contrat de mariage dans lequel il renonçait à tous les droits de
l'époux.
Mais il y eut des secondes noces plus joyeuses quand la marquise délivra un oui sans équivoque.
« le comte ayant demandé un jour à sa femme, dans un de leurs moments de bonheur, pourquoi, à
cette date fatale du 3, où elle semblait prête à recevoir tel ou tel être vicieux, elle avait fui devant lui
comme devant un démon d'enfer, elle se jeta à son cou et lui répondit qu'il ne lui fût point alors
apparu comme un démon si, lors de sa première apparition devant elle, elle n'avait cru voir en lui un
ange. »
Kleist ne laisse rien au hasard dans son récit. Le gant tombé du médecin venu visiter la
marquise d' O..., ce prolapsus, en dit long sur ce que le médecin n'ose pas dire à sa
patiente mais signifie par un symbole. Entré par une porte de derrière dans la résidence
de la marquise, le comte répète sa sortie par une porte de derrière de l'aile incendiée du
château. Quand il se présente le jour du 3 il porte le même uniforme de campagne que le
premier jour. L'heure du mariage est la même que celle de la présentation la veille du
comte F. Kleist respecte dans son récit un parallélisme des formes.
Le non-dit engendre trouble, inquiétude, étrangeté, actes manqués, bizarreries, prolapsus,
voire même folie. Quand il est signifié par le comte F il n'est pas verbalisé mais montré par
un acte de présentation au jour fixé. Quant il paraît devant la famille le comte F montre
autre chose à la marquise d' O : sa dualité, sa diabolicité, l'écart entre le génital et l'amour,
l'écart entre la génitalité et l'altérité. D'objet d'un viol la marquise passe à celui de la
femme aimée mais sans l'oubli du crime commis sur elle. L'acte illicite est excusé par la
Gouverneure, il n'est pas qualifié mais il est sanctionné par la déchéance des droits du
comte comme époux et père. La délivrance de ce qui est dissimulé car impossible à dire
ou qui équivaut pour le comte F à un lieu de destruction du langage, retour à l'état infans
tempêté par le tumulte des pulsions, décrit un parcours remarquable.
En conclusion. Le non dit, la pulsion du comte F le montre étiré, fendu par elle entre sa
rive tendre et sa rive agressive. En effet, lors de sa convalescence où il imaginait la
marquise d' O... à son chevet, le comte blessé avait vu en rêve un cygne qu'il maculait de
terre puis qui reparaissait en blanc immaculé ; le cygne s'éloignait de lui indifférent à ses
appels. Une voie de passage au non-dit devient possible par le recours à un ordre
symbolique. Ordre symbolique sollicité par l'annonce en retour déposée dans la gazette
locale par l'officier russe et précédée par une tentative d'aveu sous la forme de ce rêve
raconté à la table du gouverneur avant son départ pour Naples. Le non-dit se fait ainsi
représenter. Au jour et heure fixés, le comte F s'efface en s'agenouillant, implore, pleure,
est privé de parole ; un tiers intervient pour rétablir la continuité du discours, un tiers qui
ranime celui qui gît comme mort aux pieds de la Gouverneure.
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Mais ce tiers a recours aussi à des rites (bénédiction, fiançailles, mariage) ainsi qu'au
contrat. Bref, tenu pour mort une seconde fois (il est livide et blanc comme un cadavre) le
comte F redevient homme après avoir repassé de la rive du génital à celle de l'altérité,
après avoir fait naufrage dans le tohu bohu du pubertaire et récupéré une identité. Il
parachève l'adolescence.
Mes remerciements pour sa participation à la lecture de La Marquise d' O. , de Kleist, vont
à Michèle Tudo, assistante sociale, CMPP de la Creuse, PEP23.
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