Urbanisation et construction nationale en Jordanie

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Urbanisation et construction nationale en Jordanie
Urbanisation et construction nationale en Jordanie
Marc LAVERGNE
L'urbanisation en Jordanie présente des caractéristiques tout à fait particulières,
en ce qu'elle s'est effectuée en parallèle avec la construction de l'Etat. Lorsque l'émir
Abdallah se présente aux portes de ce qui va devenir son royaume, en mars 1921, le
pays est tout juste pourvu d'une demi-douzaine de bourgades, modestes reliques des
temps où la civilisation avait fleuri sur les terres d'Outre-Jourdain, sur les collines qui
précèdent la steppe1. A Amman dont il décide de faire sa capitale, il doit dans les
premiers temps planter sa tente, même si l'administration ottomane avait installé dès
1909 un Conseil Municipal dans ce village desservi par la voie ferrée.
Aujourd'hui, ces temps pas si reculés semblent remonter à la préhistoire, tant les
changements ont été rapides. Le résultat est qu’aujourd’hui la grande majorité de la
population peut être considérée comme urbaine : 72 % en 1990 (contre 44 % en 1961),
dont les 4/5 dans l'ensemble constitué par Amman, Zarqa, Rousseifeh et Salt. Dans
l'ensemble des évolutions économiques et sociales, politiques et culturelles qu'a connues
la Jordanie, isoler ce qui est dû au passage du rural à l'urbain semble une tâche de prime
abord inextricable2 (voir carte 1). Pourtant, les questions posées par la généralisation du
fait urbain en Jordanie ont déjà été abordées et les lacunes de la recherche identifiées
(Hannoyer 1996 ; Shami 1996). En particulier, l’intérêt porté à Amman a relégué au
second rang l’étude des villes petites et moyennes, tandis que la croissance de la capitale
a constitué un frein à leur développement (Lavergne 1993a, 1994).
Cet article se propose de rendre à chacune des formes de la croissance urbaine la
place qui lui revient dans l'armature urbaine de la Jordanie. Tout d'abord, on définira le
rôle de la capitale et sa composition socio-spatiale, de façon à savoir si l'on assiste à un
phénomène de métropolisation d'une part, de fragmentation socio-spatiale de l'autre.
Ensuite, on dressera un état du réseau urbain jordanien, en appréciant le rôle de la
capitale, avant d’évoquer les nouvelles formes d’urbanisation, où la concentration
spatiale fait place à la diffusion de modes de vie urbains à la campagne. On pourra se
demander, in fine, si l’urbanisation a été un facteur d'unification nationale, par la
production d'une identité jordanienne qui serait étroitement liée à ce mouvement général
d'urbanisation.
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Sur cette période de l’histoire jordanienne, voir Salibi (1993) et Dann (1984).
Les recensements successifs ne permettent pas d’isoler le fait urbain, car ils sont fondés sur le
découpage administratif du pays en mohafazats, liwas et cazas, et non pas sur les limites urbaines.
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2
I. A la recherche de la « métropole »
a) Une métropolisation tronquée
Le réseau urbain jordanien est nettement dominé par une capitale qui rassemble
une part considérable de la population urbaine. Si l'on s’en tient aux chiffres officiels
qui prennent pour cadre les limites de la « Municipalité du Grand Amman »3, au milieu
des années 1980 le taux de primatialité d'Amman (rapport entre la population de la
capitale et la population urbaine du pays) était de 50 %, à comparer avec les taux de 59
% pour Beyrouth, 37 % pour Damas, 43 % pour Bagdad et 49 % pour Le Caire
(Escallier 1986).
Beyrouth rassemble certes plus de la moitié de la population urbaine du Liban,
mais elle est suivie par des villes comme Tripoli, Saïda ou Sour qui, bien que de taille
modeste, défendent farouchement leur identité et leurs fonctions propres à l’échelle de
leur région. En revanche, Damas n'a que difficilement distancé Alep et chaque région de
Syrie compte un pôle, souvent ancien, qui ne laisse pas volontiers à Damas la primauté
sur son aire d'influence. Il en va de même dans la péninsule Arabique, où existent des
doublons comme Riyadh et Jeddah, sans même évoquer la conurbation al-KhobarDamman-Dhahran-al-Qatif sur le golfe Persique, ou les bipôles Sana’a-Ta’iz, et Abu
Dhabi-Dubaï. Mais, si l'on englobe dans ces chiffres la population de l'ensemble d'une
aire métropolitaine qui incluerait Zarqa, Salt et Madaba, comme on pourrait le faire pour
Beyrouth avec sa région métropolitaine (Lavergne 1999), on arrive à des taux nettement
supérieurs.
La domination démographique de cette région-capitale est donc incontestable. A
l'échelle du monde arabe, il ne s'agit pourtant que d'une capitale de taille moyenne,
derrière les vastes ensembles urbains constitués par Le Caire, Bagdad, Alger ou Tunis.
Ces capitales sont couramment qualifiées de "métropoles", titre que certaines
revendiquent depuis une lointaine antiquité. Le terme est également utilisé de manière
banalisée dans la littérature anglo-saxonne, à travers des expressions telles que
"Metropolitan Area", qui évoquent de nouvelles formes d'urbanisation de l'espace rural
entourant les grandes villes. Mais si l'on veut revenir à une acception plus précise de ce
terme et vérifier s'il peut être utilisé de façon pertinente dans le cas d'Amman, il paraît
nécessaire de le relier au phénomène de mondialisation, qui entraîne de profonds
changements socio-spatiaux et porte en lui ses propres modes de croissance urbaine.
3
Outre leur prééminence et leur pouvoir sur un territoire national, les métropoles
se caractérisent par un accès à un réseau mondial, celui de la "ville globale" décrite par
Sassen (1996). Amman n'est pas une métropole au sens de "ville globale" . Du reste,
aucune ville arabe ne peut actuellement prétendre à ce titre : il n'existe dans cette région
aucun centre actif et autonome de production et d'échanges de biens matériels et
immatériels qui entrerait en synergie, sur un pied d'égalité, avec les grands centres
d'affaires d’Occident et du Japon ou avec des places comme Hong-Kong, Singapour ou
Sao Paulo.
En revanche, plus modestement, il est indéniable que les fonctions d'Amman
dépassent les frontières nationales. Amman est un centre financier pour la diaspora
palestinienne ou pour des placements transnationaux ayant pour origine la Cisjordanie,
où le dinar jordanien continue de jouer un rôle à côté du shekel israélien. Son influence
sur la Palestine occupée demeure forte : elle en reçoit les étudiants dans ses Universités,
les malades dans ses hôpitaux et les échanges humains, commerciaux, culturels et
politiques demeurent intenses entre les deux rives du Jourdain, quelles que puissent être
les perspectives de règlement du conflit israélo-arabe. La capitale jordanienne est
également liée, par des liens culturels, historiques, affectifs et humains, à Beyrouth et
Damas, capitales voisines de la Syrie historique dont elle fit partie jusqu'en 1918. Par
l'émigration d’une part importante de sa main d’oeuvre (Findlay & Samha 1985) comme
par sa composante bédouine, elle est également proche culturellement et
économiquement des pays du Golfe. Elle est aussi très liée à Bagdad, capitale d'un Irak
pour lequel elle a joué le rôle de base arrière et d'atelier de 1980 à 1988 et qu'elle
continue à ravitailler dans les limites imparties par l'embargo de l'ONU. Accueillant une
diaspora irakienne nombreuse, elle est la fenêtre de ce pays sur le monde extérieur.
Enfin, Amman est le siège d'une bourgeoisie étroitement liée au monde occidental, où
elle a investi ses capitaux, où elle fait ses études et où, souvent, elle se marie.
Cette interaction forte de la Jordanie avec les pays voisins ou avec l'Occident ne
suffit cependant pas à donner à sa capitale un rôle polariseur à l'échelle régionale. Celleci a même des difficultés à intégrer ces différents apports et à les utiliser de manière à
enclencher une dynamique autonome, dans les domaines économique ou culturel. Ils
constituent seulement les différents éléments de la mosaïque jordanienne, une société
constituée de groupes qui tendent à fonctionner de manière de plus en plus indépendante
les uns des autres.
3
Sur la définition de celle-ci, et les étapes de la croissance urbaine, se reporter à « Greater Amman.
Urban Development », in : Cities, février 1993, pp. 37-49.
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On pourrait néanmoins se demander si Amman ne connaît pas un processus de
métropolisation. Si le terme de métropole évoque un rôle transnational impliquant un
bouleversement de l'ensemble de la dynamique urbaine, la métropolisation est le
processus correspondant, où la ville devient un organisme complexe, polycentré, qui
évolue en grappes ou en archipels interconnectés, dans une forte consommation d'espace
et une apparente anarchie, s'adaptant avec souplesse aux nécessités économiques nées de
la mondialisation.
Certes, Amman, dont la croissance a toujours été exceptionnellement rapide, du
fait d’apports extérieurs brutaux et massifs, fait aujourd'hui sentir son emprise sur toute
la Jordanie centrale, entre le wadi Zarqa au Nord, le rebord de la vallée du Jourdain à
l'Ouest, et la région de Madaba et de l'aéroport international au Sud. On pourrait parler à
propos de cet espace de «région ammanienne» au même titre que l'on parle de «région
parisienne» (Kliot & Soffer 1986): il ne s'agit pas d'un cadre administratif, mais plutôt
de l'aire d'où émane un rayonnement qui agit sur l'ensemble de la Jordanie (cartes 2 et
3). Les points de repère précités délimitent un ensemble disparate, au sein duquel se
lisent de forts différentiels de croissance qui ne recouvrent pas les divisions classiques
de l'espace urbain. Cet ensemble, qui rassemble plus de la moitié de la population
jordanienne, est marqué par la densité de son urbanisation et les signes de vie rurale y
paraissent résiduels. Il est également identifiable par l'importance des mouvements
pendulaires en tous sens.
b) Un ensemble disparate
Le noyau initial d’Amman est le balad, d'où la ville a progressivement conquis
les flancs escarpés du site, dans les années 1940, pour s'étendre ensuite sur les plateaux
et les collines environnants. Si l’habitat est resté très concentré à l'Est, où se sont
installés les immigrants pauvres, il s'est en revanche étendu démesurément, en un large
éventail, en direction de l'Ouest. Cette agglomération s'est connectée à la grande ville de
Zarqa, 25 km au nord-est, par un étroit corridor, où s'échelonnent, au-delà des faubourgs
de Marka, la ville phosphatière de Rousseifeh et les camps et quartiers palestiniens de
Schneller, Moushairifeh, etc. A cet ensemble urbain continu ont progressivement été
intégrés des villages comme Wadi Sir à l'ouest, Sahab au sud, Sweileh au nord-ouest,
qui gardent leur identité propre, leur centralité secondaire avec des marchés colorés, un
noyau urbain ancien, parfois une population d'origine différente.
Au-delà de ces banlieues, la région ammanienne comprend enfin des
agglomérations plus ou moins discontinues d'Amman proprement dit (parfois à cause de
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leur éloignement, parfois d'accidents du relief). Il s'agit de villes ou de villages dont la
dynamique est influencée par la proximité de la capitale, et qui abritent un nombre
croissant de résidents travaillant à la ville, tandis que s'y installent des activités de type
urbain, directement liées aux fonctions de la capitale (voir carte 4).
Les centres éclatés de la citadinité orientale
Le balad a été le berceau de la ville et en demeure le coeur mythique. A l'origine
centre politique, religieux (avec la mosquée al-Hussein construite en 1924) et
économique de la ville, il est aujourd'hui voué pour l'essentiel au petit commerce et à un
moindre degré au tourisme et aux activités récréatives. Il est le pendant jordanien du
souk Hamidiyé à Damas, ou celui des anciens souks du centre-ville de Beyrouth, coeur
d'une citadinité cherchant ses racines dans une histoire pourtant brève et dans un
environnement rural composé de toute la diversité des provinces de Jordanie. Mais le
balad a échoué à cimenter les différentes parties de la ville, qui vivent à des rythmes et
selon des modes de plus en plus éloignés les uns des autres. Lieu de la mémoire et d'un
Orient recréé, il n'est plus un lieu de rencontre et d'échanges entre les cultures des
parties orientale et occidentale de la ville qui s'opposent, malgré les efforts des autorités
pour en faire un lieu de promenade (Amireh 1996).
Le balad n'en est pas moins le principal lieu de rencontre de la ville, pour les
habitants de quartiers éloignés et pour les provinciaux qui se rendent à Amman pour
faire des achats ou rendre visite à leur famille. Les magasins y sont en effet bien
achalandés, bon marché, et surtout il y règne une atmosphère détendue, où se déploie
encore l'art du marchandage, des plaisanteries, et où les ruelles du quartier Shabsough
appartiennent encore aux piétons. D'autres endroits de la ville servent également de
centres secondaires de l'espace urbain, sur le même mode que le balad ; mais leur
attraction s'exerce seulement sur les quartiers avoisinants ou sur certains groupes de la
population.
Les artères commerçantes à l'intérieur et à la périphérie des deux camps
palestiniens du jebel Hussein et de Wihdat attirent toujours les Palestiniens qui y sont
nés et qui y gardent des attaches, même s'ils se sont installés ailleurs dans la ville, à la
faveur de leur ascension sociale (Destremau 1994, 1996). Là aussi, les achats sont moins
coûteux, et les produits y détiennent une saveur ou une qualité particulières ou
supposées telles, liés à leur « essence palestinienne ». Ce sont aussi des lieux de l'entresoi, où l'on retrouve les amis d'enfance, les parents éloignés, les originaires du même
village, et où l'on se retrempe dans l'atmosphère du camp.
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Le « marché irakien » qui s'est développé dans le quartier de Mahatta, à Marka,
participe du même registre. C'est le lieu de rassemblement des nombreux Irakiens qui
ont fui leur pays et cherchent à survivre, dans des conditions très difficiles, dans la
capitale jordanienne.
Les centres anciens des bourgades d'origine tcherkesse (aujourd'hui rejointes par
la ville), que sont Sweileh au nord-ouest ou Wadi Sir au sud-ouest, ont conservé une
animation quasi-villageoise dans les rues du marché, où les piétons gardent droit de cité
devant le flot des voitures. Le cadre architectural, ancien, ainsi que le relief escarpé
contribuent à donner à ces espaces une tonalité plus conviviale que le reste de la ville.
Amman-Ouest, la capitale en ses quartiers
Les fonctions de commandement de la ville ont essaimé de telle manière qu'elles
sont totalement déconnectées des centres de la vie populaire. La fonction politique la
plus éminente est concentrée sur le Jabal Qsour, où se trouve le palais royal de
Raghadan, même si une partie de la famille royale réside dans les nouveaux palais à
l'ouest de la capitale. D'une manière emblématique, cette fonction est désignée par son
lieu virtuel d'exercice : c'est « le Palais ». Mais cette fonction exerce peu d'attraction
spatiale, si ce n'est dans la mince strate dirigeante. Pour le reste de la population, il s'agit
plutôt d'espaces mystérieux, mythiques et inaccessibles.
La fonction parlementaire est exercée à la Chambre des Députés, à Abdali, dont
la relance des activités ne remonte qu'aux élections pluralistes de 1989 et ne soulève
que peu d'intérêt dans la population au quotidien. En revanche, les administrations,
ministères, autorités spécialisées et quartiers généraux d’organes militaires implantés sur
cette même colline sont des centres de vie et de pouvoir qui exercent une forte attraction
par le nombre important de fonctionnaires et d'agents de différents services qui viennent
y travailler chaque jour ; mais aussi par le flot des plaideurs, citoyens ou contribuables,
qui s'y rendent de tout le pays pour défendre leur cause, et avancer leurs affaires dans les
multiples bureaux. Ce quartier est donc aussi celui des tribunaux, des avocats et des
centres de décision qui régissent la marche des affaires du pays. C'est aussi
l'emplacement de la gare routière centrale, d'où taxis collectifs et autocars emmènent les
voyageurs vers Damas ou Jérusalem, et c'est encore le terminus de nombreux minibus
qui desservent la région ammanienne.
Abdali est dominé par les hauts immeubles modernes du quartier de Shmeissani,
qui s'est développé durant les années 1980 : c'est le « Central Business District »
d'Amman, avec ses hôtels internationaux, ses banques et compagnies d'assurance, et ses
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agences de voyages. Ce quartier aurait dû devenir le coeur d'une place boursière et
financière d'envergure régionale, grâce aux fonds déposés par la diaspora palestinienne
et le transfert de sièges bancaires de la place de Beyrouth touchée par la guerre civile et
l'occupation israélienne en 1982. Mais le retour de la paix au Liban, ainsi que le manque
d'expérience et de dispositions juridiques appropriées, ont limité ces espoirs. Les
services financiers de la place d'Amman ne concernent plus que la Jordanie, dont la
situation économique interne souffre d'un marasme persistant (Biegel 1996).
Les autres quartiers d'Amman-Ouest mêlent à la fonction résidentielle
dominante, des fonctions diverses : quartier diplomatique du Jabal Amman, à proximité
du ministère des Affaires étrangères; fonction touristique avec les hôtels de luxe le long
de la « route des cercles », et les restaurants huppés disséminés dans les quartiers
résidentiels ; fonctions commerçantes avec des concentrations spécialisées comme
l'ameublement sur la route de la Mecque, et quelques supermarchés où s'approvisionne
une clientèle aisée ; fonctions de loisirs avec le parc d'attraction des Jardins du roi
Abdallah, les cinémas, cafés et boîtes de nuit d'Abdoun ; fonctions éducatives de
l'Université de Jordanie ou de la Société Scientifique Royale à Jubeiha ; cité sportive sur
la route de l'Université ; fonctions médicales dans le quartier des cliniques privées du
3ème cercle et de la Cité médicale Roi Hussein (Curmi 1994).
Ces activités de tertiaire supérieur ne sont pas toutes inscrites dans
l'agglomération d'Amman elle-même : pour des raisons liées à un environnement agreste
ou à une desserte plus aisée, certaines fonctions ont essaimé dans la campagne proche,
avec une prédilection pour l'axe autoroutier qui relie la capitale à l'aéroport international
: on y trouve des universités privées, des restaurants, clubs ou parcs d'attraction, un hôtel
dans l'enceinte de l'aéroport, le site de la Foire internationale à Merj al-Hammam.
Mais la dissémination de ces fonctions qui donnent pour certaines à Amman un
rôle international de centre touristique, de centre de soins et de centre d'enseignement
supérieur, attirant une clientèle venue des pays voisins et du Golfe, ne suffit pas à
identifier une métropolisation. Certes, la vie sociale, professionnelle ou scolaire des
habitants de cette partie de la ville est éclatée entre de multiples lieux, selon les jours de
la semaine, les heures de la journée, l'âge et les activités des habitants, mais l'usage
généralisé de la voiture ou de transports collectifs (taxis-services) rend cette contrainte
secondaire et intégrée au mode de vie. On ne peut pas parler de multipolarité, dans la
mesure où ces différents lieux sont pratiqués par les mêmes catégories sociales aisées,
au mode de vie similaire. Il y a donc complémentarité plus que dissociation entre les
lieux et les quartiers concernés par les fonctions de capitale.
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L'espace occupé par ces différentes fonctions ne couvre pas, loin s'en faut,
l'ensemble de l'agglomération d'Amman, ni, a fortiori, l'ensemble de la région
ammanienne, marquée par l'existence d'un doublon avec la ville industrielle et populaire
de Zarqa. Bien plus, on peut se demander si les écarts grandissants, non plus seulement
économiques et sociaux, mais de plus en plus culturels, qui séparent une Amman-Ouest
extravertie et dynamique d'une Amman-Est prolongée par Zarqa, ne dessinent pas les
clivages d'une fragmentation urbaine exacerbée.
Entre Ouest et Est, mythes et réalité d'une ligne de fracture emblématique
L'opposition entre Amman-Ouest et Amman-Est paraît de prime abord très
tranchée, et marquée dans le paysage par le fossé du seil Amman où s'est développée la
ville primitive. On distingue ainsi communément la ville riche et la ville pauvre,
chacune s’étant affirmée en se tournant le dos, selon des logiques qui doivent beaucoup
aux différences climatiques et de modelé du relief. En fait, la réalité est un peu plus
nuancée. Les pentes qui donnent sur le seil Amman se sont toutes peuplées à partir de
1948 de cahutes, et plus tard d'immeubles collectifs hébergeant les réfugiés palestiniens.
La frontière séparant l'est et l'ouest ne passe donc pas au fond du balad, mais sur les
hauts versants des premières collines d'Amman-Ouest : les quartiers de Muhajirin, par
exemple, sur le Jabal Amman, ou de Nuzha, sur le versant sud du Jabal Qsour,
appartiennent encore, socialement et économiquement, avec leurs petites échoppes et
ateliers, au monde populaire de l'est. Il en va de même pour le camp palestinien du Jabal
Hussein, aujourd'hui enclavé au nord d'Abdali.
Les quartiers du Jabal Lweibdeh et du Jabal Amman datent des années 1940 et
abritent aujourd'hui une classe moyenne implantée depuis plusieurs générations dans des
immeubles de pierre de taille, tandis que subsistent de belles villas entourées de jardins
discrets. Ces quartiers aujourd’hui en déclin portent encore les traces d'une urbanité
aboutie, avec des restaurants, des cinémas, quelques ambassades qui leur sont restées
fidèles. Ils sont le siège d'un regain d'attrait de la part d’une minorité intellectuelle et
artistique, qui y a implanté des galeries d'art, des magasins d'antiquités, et qui se
retrouve dans quelques cafés en vogue.
Mais la bourgeoisie aisée préfère désormais les quartiers plus modernes, aérés,
de Sweifieh ou d'Abdoun, en construction sur les grands plateaux de l'ouest. L'afflux de
pétrodollars envoyés par les émigrés dans le Golfe a provoqué à partir des années 1970
un boom immobilier sur cette vaste étendue de prairies et de champs labourés (Findlay
1986). De nouveaux quartiers sont apparus, de Tabarbour au Nord à la route de
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l'aéroport au Sud. Cette urbanisation récente est constituée de petits immeubles de 3-4
niveaux, ou de villas indépendantes. De multiples espaces intercalaires subsistent dans
ce front d'urbanisation, structuré par quelques radiales et pénétrantes. Les commerces et
les services s'y concentrent le long des grands axes, selon un modèle de suburbanisation
à l'américaine : ici, point de passants, mais des déplacements contraints à l'usage
systématique de l'automobile, en l'absence de transports en commun.
Cette urbanisation, composée d'immeubles de taille réduite ou de villas en belle
pierre calcaire blanche, desservie par de grandes artères rectilignes, offre un contraste
saisissant avec le paysage d'Amman-Est, fait de maisons et d'immeubles de parpaings
aux tons gris et de ruelles en pente.
Amman-Est, la capitale en négatif ?
Amman-Est se distingue par la densité de son bâti : aucune place n'est négligée
et les immeubles qui ont souvent remplacé les masures des premiers temps s'accrochent
aux pentes les plus raides. La population, constituée à l'origine des réfugiés les plus
pauvres, a en effet dû s'entasser sur les terrains les moins onéreux. La densité urbaine ne
diminue pas sur le plateau qui s'abaisse en pente douce vers l'Est. C'est là qu'a été
installé le camp palestinien de Wihdat, dont la population a débordé sur les quartiers
environnants (Destremau 1995 ; Jaber 1997). Le paysage urbain, est à l'opposé de celui
d'Amman-ouest. Les principales activités sont le petit commerce, l'artisanat et, à la
périphérie méridionale de la ville, l'industrie de transformation hébergée dans les zones
industrielles de Ras al-‘Ain et de Qweismeh. Les matériaux de construction, polluants et
poussiéreux, sont produits près des carrières du Jabal Nadhif. D'autres zones
industrielles plus éloignées (Abou Alanda, Al-Joumrok, Sahab) fabriquent des produits
alimentaires, des ustensiles ménagers, des matériaux de construction expédiés pour
l’exportation.
Il serait cependant réducteur de ne voir dans Amman-Est qu'un conglomérat de
camps de réfugiés et de quartiers populaires souvent misérables, voués uniformément à
l'industrie la moins sophistiquée et souvent la plus polluante. La ville a en effet
engendré au fil des années sa propre diversité sociale et une classe moyenne de
fonctionnaires et de professions libérales est issue de la première génération des camps.
Elle se regroupe dans certains quartiers du plateau comme Qweismeh où ont pousssé
des lotissements qui sont le pendant de certains quartiers d'Amman-Ouest. L'Etat a
favorisé cette diversification urbaine dans des quartiers dénommés « du prince Hassan »,
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« de la princesse Alia », pour donner à son intervention un caractère paternaliste
générateur de loyauté à l’égard de la monarchie.
Cependant, l'atmosphère de la rue est nettement différente de part et d'autre de la
ligne qui sépare les deux Amman : rareté de la circulation piétonnière à l'ouest, plus
dense à l'est, surtout autour des marchés et le long des artères commerçantes ;
opposition des styles vestimentaires masculins et féminins, plus sensible dans ce dernier
cas ( les femmes sont souvent vêtues à l'occidentale à l'ouest, avec lunettes de soleil,
maquillage et cheveux au vent, tandis que le code vestimentaire « islamique », fichu
blanc et manteau gris clair, s'impose à l'est) ; différences enfin dans la circulation
automobile, dans le type et l'âge des véhicules.
Même s'il faut se garder de faire de ces différences une règle absolue, il est
incontestable qu'Amman-Est dégage une atmosphère d'austérité due à la fois à la
pauvreté de l'habitat, à la modestie du cadre urbain et à une prégnance de l'Islam et du
culte de la patrie perdue. La population y est en effet constituée à la fois de réfugiés
palestiniens et d'immigrants pauvres venus des régions reculées de Jordanie, qui tous
entretiennent leur différence et cherchent à préserver leur identité dans les mondes de
l'exil ou de la grande ville.
Les fonctions assurées par Amman-Est ne lui permettent pas de contribuer au
rôle de capitale imparti à cet ensemble urbain : elle n'exerce pas de rayonnement sur la
province jordanienne, même si elle constitue un réceptacle de l'exode rural, dans des
quartiers souvent illégaux et dépourvus d'équipements collectifs, et elle ne dispose
d'aucune fonction qui la mette en contact avec l'étranger : ni grands hôtels, ni cliniques
réputées (même si l'hôpital al-Bashir est le plus grand et l’un des plus anciens du pays),
ni universités ou centres d'enseignement supérieur.
C'est une véritable frontière culturelle et mentale que traversent chaque jour les
employés et les fonctionnaires qui se rendent à leur travail dans les bureaux d'AmmanOuest. Si leurs migrations pendulaires intra-urbaines manifestent une certaine
complémentarité fonctionnelle de la ville, elles ne suffisent pas à réduire la fracture qui
fait des deux parties d'Amman deux organismes qui s'ignorent et tendent de plus en plus
à vivre selon des modes divergents : américanisation/occidentalisation, avec ce que cela
implique d'adhésion à des signes, à des symboles immatériels et à une économie de
consommation d'un côté ; fidélité aux traditions orientales et au monde de la production
de marchandises de l'autre.
S'il apparaît logique que les habitants d'Amman-Ouest ignorent Amman-Est, il
n'est pas sûr que les habitants d'Amman-Est éprouvent de l'envie vis-à-vis d'Amman-
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Ouest , tant elle s'affirme indépendante des valeurs véhiculées à l'Est. Cela dit, par delà
ces clivages patents et quoiqu'elle soit déclinée différemment selon les possibilités
financières, l'austérité est un trait commun à la fois au cadre urbain de l'ensemble
d'Amman et aux mentalités de l'ensemble de sa population. Cette austérité palpable est
due à la fois à un milieu déjà éloigné de la douceur méditerranéenne, marqué par
l'aridité et la proximité du désert, à l'usage de la pierre calcaire dont la blancheur
immaculée, qui se patine avec les ans, donne une uniformité au paysage et dont le poids
ne permet pas de fantaisies architecturales, et enfin au comportement d'une population
soit issue de ce milieu et marquée par la rigueur des coutumes bédouines, soit réfugiée
de Palestine et qui porte au quotidien le poids de l'exil et d'une situation précaire. On est
loin ici de l'exubérance cairote, de la fluidité beyrouthine ou de la bonhomie placide des
antiques citadinités de Damas ou d'Alep.
Amman et Zarqa, conurbation ou doublon urbain ?
L'étude de l'urbanisation de la région-capitale de la Jordanie ne serait pas
complète si elle ne prenait pas en compte le corridor qui conduit des faubourgs de
Marka jusqu'à la grande ville de Zarqa, 25 km au nord-est. Or, bien que cet ensemble
soit démographiquement loin d'être négligeable et qu'il soit rattaché sans solution de
continuité à l'agglomération d'Amman, il n'a pas été inclus dans les limites municipales
du Grand Amman et Zarqa est à la tête d'un gouvernorat à part.
A la fracture entre Amman-Ouest et Amman-Est vient donc se superposer le
hiatus persistant entre Amman et Zarqa, hiatus entretenu par l'organisation
administrative qui n'a jamais pensé la gestion de cet ensemble sous forme d'une
"communauté urbaine". Par la nature de leur urbanisation et de leur composition sociale,
Zarqa et les localités qui l'entourent sont très proches d'Amman-Est, et le véritable
hiatus socio-spatial ne correspond pas aux limites administratives : il suit plutôt la
frontière entre Amman-Ouest et Amman-Est, opposant donc l'extension en éventail de
l'agglomération vers l'ouest d'un côté, et l'étirement des quartiers populaires du sud-est
au nord-est de l'autre.
Zarqa est née, au début du siècle, de la gare de chemin de fer du Hedjaz, de
l'implantation d'une poignée de familles tchétchènes et de cantonnements militaires
britanniques. Mais toute la succession de camps, de lotissements spontanés ou officiels,
de villes qui s'étirent depuis Marka jusqu'à Zarqa, forment aujourd'hui la plus grande
concentration de réfugiés palestiniens de Jordanie : le camp Schneller, appelé aussi
Hattin et son voisin spontané de Moushairifeh, précèdent la grande ville industrielle de
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Rousseifeh, où débuta l'extraction des phosphates de Jordanie en 1932. Le long du seil
Amman, devenu ici wadi Zarqa, se dressent de nombreuses usines qui fournissent la
Jordanie en produits de consommation courante et des ateliers créés dans les années
1980 pour satisfaire les besoins de l'Irak en guerre.
A l'est, le long de l'autoroute qui relie Amman à la Syrie et à l'Irak, se dressent en
bordure de désert le collège militaire royal, des casernes, des usines et des entrepôts
modernes. Cet ensemble urbain étiré en longueur, avec à l'ouest les quartiers
d’habitation, tantôt pauvres, voire misérables, tantôt abritant dans des immeubles sans
grâce les classes moyennes, et à l'est l'alignement des usines et des casernes, semble
dépourvu de centre bien affirmé.
Certes, les marchés jouent un rôle polariseur, en particulier celui de la gare
routière de Zarqa et, comme à Amman, les artères les plus passantes attirent les
commerces de biens plus durables (ameublement, voitures...) et les restaurants. Mais
l'identité de l'agglomération de Zarqa-Rousseifeh est beaucoup plus sociale que
spatiale ; elle ne repose pas tant sur l'attachement à une ville, à un quartier, que sur une
conscience d'appartenance commune à des milieux sociaux pauvres ou modestes,
ouvriers pour une large part, et à une origine palestinienne. Cette double identité est
aujourd'hui englobée dans une adhésion majoritaire à un islam politique intégriste qui
sert de ciment intégrateur et mobilisateur à une population qui se sent négligée.
Ce défaut apparent de territorialisation, qui se traduit par l'absence de discours
populaire, de contes, d'histoire savante, consacrés à Zarqa et à son agglomération, ne
doit pas cependant conduire à oublier certaines évolutions. Zarqa abrite une population
active dont une partie se rend quotidiennement à Amman pour y travailler et qui a réussi
ces dernières années à améliorer son cadre de vie (rues asphaltées, maisons rénovées).
D'autre part, l'uniformité socioculturelle est de moins en moins absolue : l'agglomération
de Zarqa a attiré de nombreux ruraux de Transjordanie, grâce à ses possibilités d'accès à
un foncier moins onéreux qu'à Amman. Les villages de tout le pays y sont désormais
représentés à travers leurs clubs et leurs associations de solidarité, à côté de la majorité
palestinienne.
Clivages socio-ethniques et limites administratives
Au total, Amman apparaît comme une capitale profondément divisée de
l'intérieur, en deux parties relativement homogènes qui se tournent le dos, à la fois
spatialement et socialement. C'est également, de par la volonté de l'Etat, une capitale,
13
Amman, qui refuse de faire place au sein d'une communauté urbaine à l'ensemble de la
conurbation qu'elle forme, nolens volens, avec Zarqa et Rousseifeh.
Il y a à ce refus des causes similaires à celles de la fragmentation entre AmmanOuest et Amman-Est : des différences sociales qui vont s’aggravant, certes, mais qui
reflètent surtout la fracture toujours non résolue entre les deux composantes majeures de
la société jordanienne, palestinienne et transjordanienne. On peut en effet penser que
cette volonté de laisser Zarqa dans l'ombre et de lui dénier l'accès à des fonctions
éminentes, que justifieraient sa démographie et l'activité déployée par ses habitants, est
due à l'obsession du maintien d'un déséquilibre politique entre Transjordaniens et
Palestiniens de souche.
Certes, Amman-Ouest est également à majorité palestinienne, alors que, on l'a
vu, une immigration de Transjordaniens pauvres s'est installée à Amman-Est et à Zarqa ;
mais l'identité prend en réalité une tournure sociale et, derrière la crainte de voir les
Palestiniens s'emparer des leviers de la ville, c'est en réalité de la préservation d'un ordre
social très inégalitaire qu'il s'agit. Le maintien de la séparation administrative entre les
deux entités d'Amman et de Zarqa va pourtant à l'encontre du fonctionnement réel de la
conurbation : les migrations pendulaires s'intensifient entre Zarqa, où réside une
population active éduquée, et Amman-Ouest où sont situés les emplois qui lui
correspondent. Ces migrations sont facilitées par la construction, depuis plus d'une
décennie, de plusieurs voies rapides qui relient les deux pôles du doublon urbain.
L'urbanisation engendrée par la croissance de l'agglomération d'Amman n'est pas
limitée au périmètre de celle-ci, et le fait urbain se diffuse à travers les campagnes
environnantes, à cheval sur les gouvernorats d'Amman, de Zarqa et de la Balqa. La
séparation administrative des deux gouvernorats voisins, inégalement dotés par l'Etat et
dont l'un seul inclut la "Amanet Amman el-Koubra"4, peut être mise en regard d'autres
choix. A Damas, la séparation de l'agglomération en deux entités concentriques, Damasville entourée de Damas-campagne (qui rassemble les localités de la ceinture agricole de
la ville, la ghouta), nie toutes les dynamiques de la croissance urbaine et les relations
étroites qui lient Damas et son agglomération. Le corset étroit dans lequel est maintenue
la ville est la marque d'une vision à la fois passéiste et sécuritaire, qui dénie toute
autonomie aux organismes chargés de la gestion urbaine. A Beyrouth, le municipe
constitue une enclave dans le gouvernorat du Mont-Liban, dont le chef-lieu est la
localité de Baabda, dans la banlieue de la capitale. Cette situation héritée du XIXe siècle
4
« Municipalité du Grand Amman» qui réunit à Amman-ville 14 communes et 11 Conseils villageois
14
a été en partie dépassée par l'intégration de l'agglomération dans la Région
Métropolitaine de Beyrouth, qui fournit le cadre d'une planification globale, même si
les autorités chargées de l'aménagement urbain ont du mal à mettre en oeuvre une vision
dépassant les problématiques et les intérêts locaux, voire privés, au sein de
l'agglomération.
Cependant, à Amman, le problème du cadre de gestion de la croissance urbaine
ne se limite pas aux relations entre Amman et Zarqa : c'est toute une "région
métropolitaine", au sens anglo-saxon du terme, qui émerge et polarise l'ensemble du
territoire national. Plusieurs cadres administratifs se superposent à celui du Grand
Amman pour englober tout ou partie de la région ammanienne ; le plus vaste est celui de
la « Amman-Balqa Region Boundary », définie par un groupe d'experts au sein du
Ministère des affaires municipales et rurales et de l’environnement en 1980. Mais cette
région n'a aucune existence juridique et aucune incidence sur la gestion de cet ensemble
(Malkawi 1996 ).
Celui-ci a pourtant bien une existence inscrite dans la pratique de ses habitants,
et dans leurs représentations de la région-capitale. C'est l'espace dans lequel se tissent
les échanges, les migrations pendulaires de travail et où se déroule l'essentiel de la vie
sociale, des loisirs, de l'éducation de ses habitants. Les frontières internes tendent à
s'estomper au sein de cet espace entre l'agglomération d'Amman-Rousseifeh-Zarqa et les
bourgades et villages encore inscrits dans un espace rural. L'ensemble de la région est en
effet le théâtre d'une urbanisation diffuse qui densifie l'occupation de l’espace, tandis
que les modes de vie urbains sont adoptés par la population rurale. Toute la région est
parsemée d'usines, d'entrepôts, de quartiers résidentiels qui se sont implantés soit autour
des noyaux villageois ou urbains préexistants, soit de façon autonome, au milieu des
collines de l'ouest ou du plateau de l'est. L'agriculture subsiste et occupe même par
endroits de vastes étendues ; mais il s'agit d'une agriculture marchande péri-urbaine
(serres en plastique, élevage avicole hors-sol, légumes de plein champ, pépinières de
plantes d'ornement). On n'a donc pas instauré d'autorité permettant de gérer de façon
appropriée la croissance urbaine de cette région. Dans la mesure où il s'agit d'un espace
en voie d’urbanisation, mais encore rural, où la protection de l'environnement est élevée
au rang de priorité dans le discours officiel, il semble paradoxal que cet espace précieux
et convoité ne fasse l'objet d'aucune réglementation d'ensemble. L'activité de
construction, qu'il s'agisse d'implantations industrielles, d'habitat ou de services, semble
livrée au libre-jeu des acteurs, propriétaires fonciers engagés dans un processus
15
spéculatif et promoteurs s'arrachant les endroits les plus attrayants, sous l' oeil
impassible d'un Etat souvent impliqué dans ces enjeux à travers ses responsables.
La région ammanienne est donc tout entière entraînée dans une dynamique à
laquelle les autres villes du pays sont étrangères. Ces dernières ne peuvent en effet situer
leur devenir que dans une complémentarité par rapport à l'espace métropolitain.
II. L'urbanisation provinciale entre vocation identitaire et fonctions
déléguées
La Jordanie possède une cinquantaine de centres urbains, de taille très variable
(Bocco 1986 ; Findlay & Seccombe 1986). Mais si ces centres sont dans l'ensemble
prospères et bien équipés, aucun d'eux n'échappe à l'influence qu'exerce la capitale,
détentrice exclusive des fonctions éminentes. Dans cette armature urbaine dépendante,
on peut esquisser une hiérarchie selon la taille démographique, le degré d'urbanité et de
citadinité conféré aux villes par leur histoire et leur peuplement. Deux villes sortent du
lot : Irbid et Aqaba, à la fois par leur taille, leurs fonctions économiques et leur
personnalité. Parmi les autres, on peut distinguer des centres anciens, sièges d'une
identité locale forte, mais en déclin économique, et des créations plus récentes, à la
personnalité moins affirmée, mais dont la croissance repose sur une activité dominante.
a) Aqaba et Irbid, deux centres urbains actifs mais dépendants
Irbid et Aqaba sont les deux principaux centres urbains extérieurs à la région
métropolitaine d'Amman. On peut difficilement parler à leur égard de villes secondes,
dans la mesure où leur rôle est sans commune mesure avec celui de la capitale
(Lavergne 1995). Elles doivent leur situation à des facteurs qui leur ont permis de
maintenir une certaine autonomie fonctionnelle : ce sont tout d'abord les villes les plus
éloignées ou presque, en direction du nord et du sud (mais cette distance doit être
relativisée, puisqu'elle n'est aujourd'hui que de 80 km pour Irbid et de 350 pour Aqaba,
par l’autoroute). Ce sont par conséquent des villes en contact direct avec les pays voisins
(pour Aqaba avec le Sinaï, l'Arabie et, depuis 1994, sa voisine israélienne Eilat, mais
aussi avec le reste du monde de par son activité maritime; pour Irbid avec la Syrie et,
depuis 1994, avec Haïfa en Israël, à laquelle elle avait servi jusqu'en 1948 de relais vers
Bagdad).
Cette situation y a attiré, à la différence des autres villes de province, une
population d'origine diverse (Egyptiens, Palestiniens, Bédouins à Aqaba ; Syriens,
Palestiniens à Irbid) : ce sont donc des villes qui échappent en partie à l'emprise du
16
système tribal qui règne sur les autres cités jordaniennes, et aussi aux logiques de
pouvoir qui émanent de l'Etat. Ce sont enfin des villes dont l'histoire et la géographie ne
se confondent pas tout à fait avec celles du reste du pays : Aqaba n'a été rattaché qu'en
1925 à l'émirat de Transjordanie et elle apparaît isolée au fond de son golfe, accessible
par l'étroit défilé du wadi Yutum. Quant à Irbid, elle est historiquement dans l'orbite de
Damas, distante de 120 km, et appartient géographiquement au sud de la plaine du
Hauran.
La fortune de ces villes est cependant récente et liée à la création de la Jordanie :
Aqaba est l'unique débouché maritime du pays et a de ce fait reçu une attention
particulière de l'Etat. Elle combine une fonction balnéaire, une fonction industrielle
(usine de traitement des phosphates et usine d'engrais) et une fonction portuaire (port
d'exportation des phosphates, du ciment et de la potasse ; port de transit pour l'Irak ; port
de voyageurs).
Le rôle d’Irbid, ville à laquelle le soutien de l’Etat a été chichement mesuré, est
plus complexe. Coupée de la Palestine et de son débouché maritime en 1948, et de la
Syrie dont le système économique ne favorisait pas les échanges commerciaux, Irbid a
développé une fonction commerciale et industrielle couvrant modestement le nord du
royaume. Mais la richesse du terroir agricole environnant, ainsi que le dynamisme de ses
habitants, ont permis la création d'industries de transformation destinées au marché
national (agro-alimentaire, meubles), voire, un temps, au marché irakien. Avec
l'ouverture des frontières, ces activités sont encouragées dans le cadre d'une zone
franche destinée à accueillir des entreprises conjointes. En outre, la renommée de la ville
provient de ses deux universités, celle du Yarmouk et la Jordan University of Sciences
and Technology située hors de la ville sur un immense campus. Ces universités
modernes attirent des étudiants de tout le pays et de bien au-delà des frontières (Syrie,
pays du Golfe...).
Les deux villes détiennent des fonctions administratives en tant que sièges de
gouvernorat. Mais les histoires sont là divergentes : si Aqaba a été élevée au rang de
chef-lieu en 1987, par amputation du vaste gouvernorat de Ma’an, la superficie de celui
d'Irbid a au contraire été amputée simultanément, pour créer les gouvernorats d'Ajloun5
et de Jérash. Dans les deux cas, il s'agit pour le pouvoir central de tenir compte de la
croissance démographique, mais surtout de faire droit aux demandes de communautés
locales plus territorialisées, possédant, du fait de leur ancrage tribal, un poids politique
5
Retour de l’Histoire, puisque le gouvernorat d’Ajloun existait jusqu’en 1961, date à laquelle il avait été
remplacé par celui d’Irbid.
17
supérieur à celles qui peuplent ces grandes villes, et de réduire l'influence de villes
comme Irbid ou Ma’an, considérées comme rétives à l'autorité de l'Etat.
b) Les villes petites et moyennes, conservatoires de la « jordanité »
Les autres villes, petites et moyennes par leur population qui n'excède pas 50
000 habitants, sont le produit de l'urbanisation sur place de la population d'origine
transjordanienne. Certaines d’entre elles préexistaient à la fondation de la Jordanie,
d'autres sont le résultat du mouvement général d'urbanisation qu'a connu celle-ci depuis
le milieu du XXe siècle, d'autres enfin doivent leur existence à une fonction principale :
villes-marchés, villes minières, villes de garnison, etc.
Les premières sont le siège d'une urbanité marquée par leur origine ottomane et
par une citadinité jalousement affirmée ; les deuxièmes doivent leur aspect et leur
croissance à l'action de l'Etat et aux mutations socio-spatiales ayant affecté la population
des campagnes jordaniennes du fait de la rente indirecte déversée sur le pays depuis les
années 1970, tandis que les troisièmes abritent pour l'essentiel une population
transplantée pour des raisons professionnelles. Les premières sont encore enracinées
dans leur terroir rural, qu’elles structurent, tandis que la dernière catégorie apparaît
comme constituée d’îlots de fixation dépendant directement de la capitale.
Les cités "historiques", hauts-lieux de la citadinité transjordanienne
Les cités «historiques», c'est-à-dire le chapelet de bourgades qui furent les
premiers points d'ancrage de l'autorité ottomane lorsqu'elle chercha à se rétablir en
Jordanie à partir de 1850, sont du nord au sud Ajloun, Salt et Kérak, auxquelles on
pourrait ajouter Madaba et Tafileh ainsi que les villes fondées par les immigrants
caucasiens entre 1878 et 1932, comme Jérash, Na’ur ou Azraq6.
Les premières sont situées pour la plupart dans des vallées nichées dans les
replis du plateau transjordanien, à proximité du surplomb de la vallée du Jourdain. Elles
ont une origine souvent antique et ont réussi à survivre au fil des siècles grâce à leur
situation,
protégée des razzias bédouines et des invasions, et à leurs relations
commerciales avec les villes de Palestine. Quant aux fondations circasiennes, elles ont
repris des sites habités dans l'Antiquité qui doivent leur renaissance aux sources
jaillissant du revers du plateau transjordanien (Jérash) ou des épandages basaltiques du
Jabal Druze (Azraq). Toutes ces villes ont réussi à préserver une urbanité qui se marque
6
Sur l’implantation humaine en Transjordanie jusqu’au XXe siècle et l’urbanisation antérieure à la
période actuelle, voir Rogan et Tell (1994), Abujaber (1989) et Lewis (1987).
18
dans le paysage : ruelles serrées le long des pentes escarpées, débouchant sur une place
centrale où se dressent mosquées et églises et où se tient le marché, maisons
mitoyennes, à plusieurs étages, ne laissant pas le passage aux animaux de bât7.
La vie sociale, intense et complexe, traduit une citadinité partagée entre les
modes de la coexistence, de la diversité et de la complémentarité communautaire,
économique et religieuse d’un côté, et l'attachement à la structure tribale qui intègre la
ville à son terroir, de l’autre. C'est le domaine de la 'achairiyeh, le tribalisme, avec ses
codes et ses lois encore prééminentes sur celles de l'Etat, ce qui donne à ces villes et
aux tribus qui les utilisent comme support un poids politique sans rival au sein de l'Etat
jordanien (Gubser 1973 ; Navel 1995).
Des villes comme Salt et Kérak sont les berceaux d'une bourgeoisie active,
ouverte, qui s'est imposée dans tous les secteurs d'activité du royaume et a transféré sa
puissance au niveau de l'Etat et ses activités économiques au niveau national et
international, le marché intérieur n'étant
plus suffisant pour l'échelle de ses
investissements. La situation de ces villes, à l'écart des grands axes de communication et
souvent dans des régions montagneuses, ne favorise pas les implantations d'usines ni le
développement de projets agricoles. Les rares investissements privés se sont faits hors
des limites urbaines (huileries, usine pharmaceutique à Salt ) et c'est surtout l'Etat, sous
l'impulsion des élites originaires de ces villes et dans un souci d'aménagement du
territoire, qui a procédé à quelques tentatives de redynamisation, comme à Kérak, avec
l'université de Mu’tah (Navel 1995).
Ces villes se replient sur leur rôle administratif, qui repose sur la légitimité
historique qui leur est reconnue et sur le niveau d'instruction de leur population. Elles
ont parfois été érigées en chefs-lieux de gouvernorat, ce qui leur restitue les fonctions
administratives qu'elles détenaient dans l'empire ottoman, mais sont aussi les sièges de
l’administration cadastrale, des tribunaux civils, des évêchés et d'écoles coraniques de
niveau secondaire, d'écoles confessionnelles (c'est à Salt que fut ouverte la première
mission étrangère, américaine, de Jordanie en 1860) et de lycées publics ou privés. On y
trouve de grands garages automobiles, des boutiques de mode, des halls d'exposition de
meubles, des librairies... Professions libérales (médecins spécialistes, avocats...),
fonctionnaires affairés, adolescents en uniforme s'égaillant dans les rues, les animent
aux heures de sortie des bureaux et des établissements scolaires. Les commerces
traditionnels ne sont pas encore concurrencés par les supérettes des commerçants
7
Sur Salt, considérée comme l’archétype de ces cités, lire la History of Salt du Holy Land Institute for the
Deaf de Salt ; « Salt : The Modern Era », in The Jerusalem Star, Amman, 21-27.5.1987 ; Wahlin (1988).
19
d'origine palestinienne ou d'anciens émigrés : l'échoppe du coiffeur côtoie le four du
boulanger et chacun vaque à ses occupations, dans la bonne humeur et les conversations
des groupes qui se forment sur les trottoirs et la chaussée, et devant lesquels la
circulation automobile doit s'incliner.
Ces villes acquièrent aujourd'hui une nouvelle valeur, comme lieux de la
mémoire et du patrimoine, réel ou réinventé (ouverture de musées, restauration de
vieilles demeures, création d'associations pour la défense du patrimoine...). Des hôtels,
restaurants ou guinguettes y accueillent le touriste qui s'aventure hors des parcours
imposés de Pétra et de Jérash, ainsi que les Jordaniens aisés en quête d’ « authenticité ».
Elles sont en effet pour eux l'archétype de la ville, avec leurs belles façades ottomanes
patinées par le temps, des maisons patriciennes aux étroites fenêtres gémellaires en
ogives et aux balcons suspendus d'où l'on peut contempler le spectacle de la rue.
Mais les forces vives émigrent à Amman... Les grandes familles de ces
bourgades ont conquis le pouvoir dans la capitale, à l'ombre de la dynastie hachémite à
laquelle elles servent de relais locaux et à qui elles transmettent une part de leur
légitimité. Mais ces villes sont également le berceau des organisations nationalistes
arabes, communistes ou baathistes, souvent sous l'impulsion de dirigeants chrétiens.
L'urbanisation récente, entre mainmise tribale et subventions de l'Etat
Depuis le milieu des années 1970, les mutations socio-spatiales de la Jordanie se
sont traduites par un mouvement général d'urbanisation sur place des villages et ont
rendu obsolètes les définitions officielles ou communément admises de la ville. Le fait
urbain s'est diffusé partout, à la fois par le changement du bâti, les usages de l'espace et
les modes d'habiter et de consommer. Il est difficile aujourd'hui d'identifier ce qui est
proprement urbain ou rural en Jordanie, tant les effets de l'émigration, ceux de la rente
indirecte qui a permis la naissance d'un Etat-providence et ceux de la pénétration du
modèle occidental ont bouleversé les comportements, les valeurs et les exigences de la
population.
Certes, les dizaines de petites villes qui parsèment la Jordanie de l’ouest ne
présentent pas une urbanité ni une citadinité aussi achevée que les cités plus anciennes.
En effet, ces villages qui s'urbanisent le font en bouleversant leur aspect : les antiques
maisons de pierre sont détruites ou abandonnées (sauf dans des cas où, comme à Dana
ou à Taybet Zaman, elles sont restaurées dans un but touristique) et leurs occupants
construisent des maisons en parpaing et en ciment, sur place ou à distance de leur
habitat antérieur. L'habitat se desserre, marquant ainsi un désir d’isolement rendu
20
possible par l'usage généralisé de l'automobile. En même temps, la fonction agricole se
réduit ; les animaux de bât ont disparu ainsi que les aires de battage ou de stockage. Les
emplacements réservés à l'activité agricole sont rejetés hors de la ville, près des
exploitations, qui se sont elles-mêmes transformées.
Les bourgades modernes (Bocco 1986) sont donc des agglomérations sans
structure apparente, au tissu assez lâche, où ni la mosquée ni le marché ne jouent le rôle
polariseur d'antan. La mosquée, dont le minaret s'élève haut dans le ciel n'est pas
construite en un site précis, mais souvent un peu à l'écart, tout comme les bâtiments bas
et allongés de l'école ; quant au marché, il n'existe pas dans tous les bourgs récents,
souvent remplacé par des commerces fixes.
Si les petites villes de Jordanie ne semblent pas exercer une fonction
économique déterminée, c'est qu'elles sont le résultat d'une modernisation villageoise
due à la fois aux envois des émigrés et aux interventions de l'Etat. Les émigrés ont
transformé l'habitat, en faisant construire des maisons en matériaux nouveaux
(parpaings, fer à béton et ciment, portes et fenêtres aux cadrages d'aluminium), ce qui a
permis une évolution de l'architecture : constructions à étages, multiplication des
ouvertures sur l'extérieur, différenciation des plans selon les goûts et les moyens
individuels... L'Etat a déversé sa manne sur les campagnes, pour s'assurer la loyauté de
la population d'origine transjordanienne : cela s'est traduit à la fois par des travaux
édilitaires (routes goudronnées, trottoirs, desserte en eau et en électricité, tout-à-l'égout)
et par l'implantation de services socio-éducatifs (hôpitaux et dispensaires, écoles de
différents niveaux, tribunaux, postes de police, services techniques). Ces équipements
ne suffisent évidemment pas à créer la ville ; mais, en mêlant à la population résidente
les employés et les fonctionnaires venus d'autres régions, ils introduisent de nouvelles
attitudes, des effets de mode ou d'imitation, tandis que la présence de ceux-ci a
contribué à élargir l'aire d'attraction du village, à inciter à l'ouverture de magasins plus
sophistiqués, etc. A rebours de l'émigration vers la capitale, ce brassage de populations a
ouvert le village sur le monde extérieur et a contribué à lui donner un caractère urbain,
d'autant que la croissance démographique est demeurée rapide et que les va-et-vient des
fonctionnaires, des employés et des émigrés entre la capitale, l'étranger et le village sont
demeurés intenses.
Ces villes ont été dotées des emblèmes de la modernité officielle, censée
cimenter l'unité nationale : bâtiments publics en belle pierre calcaire, arc de triomphe en
l'honneur du Roi, de Dieu et de la Patrie, artères centrales dûment pavées et
goudronnées, ronds-points et alignements de lauriers-roses, ornent les espaces publics
21
de ces villes et sont censés signifier à la fois les attentions de l'Etat et une
monumentalité exaltant la fierté d'appartenir à un pays prospère et ouvert. En revanche,
dès que l'on s'éloigne du centre, on traverse des quartiers inachevés, mal viabilisés,
formés à la fois de maisons d'émigrés de retour, plus ou moins ostentatoires, vastes et
d'architecture baroque, jouxtant des quartiers populaires constitués de maisons en
parpaing, avec le linge qui sèche dans la cour, des enfants qui jouent dans la rue, où
stagnent les eaux usées. Ce sont là des villes dont les différents groupes sociaux se
connaissent mal et sont encore peu enracinés. En effet, ces villes petites et moyennes
manquent toujours de l'activité qui permettrait à leurs habitants de faire évoluer leurs
relations du mode du tribalisme à celui d'une citadinité où les liens de voisinage et les
intérêts de l'enracinement urbain viendraient contrebalancer les pesanteurs des
allégeances héritées. Jusqu'à présent, les automatismes tribaux jouent à plein, dans une
société provinciale qui ne vit que des redistributions de l'Etat et des envois des émigrés
ou des fonctionnaires installés à la capitale. Mais les difficultés économiques conduisent
l'Etat à restreindre ses dépenses et les premières victimes sont les habitants de ces villes
petites et moyennes, d'origine transjordanienne, dépourvus d’initiatives et de capitaux.
La crise sociale est là, ce qui ne contribue pas à rapprocher ces villes de la capitale et de
sa population en majorité palestinienne qui détient les leviers de l'économie.
Les villes monofonctionnelles, créations de l'Etat
La Jordanie est un pays jeune et aussi un pays de "frontière", au sens américain
du terme : l'Etat y a lui-même créé des villes pour asseoir son emprise sur le territoire.
Dans les régions peu peuplées de la steppe et du désert ont été implantées des villes de
sédentarisation (Hussainiyah, Jafr...), des villes de garnison, héritières des forts
ottomans qui gardaient la route du Pèlerinage, des villes-carrefour ou des haltes
ferroviaires ou routières (Jiza, Qatrana, Qwira), ou encore des villes minières (Hasa, ElAbyad, Shidiya pour les phosphates, Ghor Safi pour la potasse), (Bocco 1990, 1993).
Ces villes ont pour caractère commun d'être habitées par une population
exogène, soit destinée à s'enraciner de manière permanente, comme c’est le cas dans les
petites villes de sédentarisation bédouine, soit destinées à accueillir des travailleurs de
passage, le temps d'un contrat, et dont la résidence principale et familiale demeure à
l'extérieur. Elles ne possèdent donc pas de structure sociale ni de citadinité endogènes.
Ce sont des îlots de modernité sans rapport direct avec leur environnement rural, même
si cet isolement est parfois relatif : dans le cas de Rashadiya, qui abrite le personnel de
la cimenterie du même nom, une part importante des habitants est originaire des villages
22
de Dana et Qadisiyah, en contrebas. Cette urbanisation représente le cas extrême de
l'intervention de l'Etat dans le processus d'urbanisation de la Jordanie.
Conclusion : l'urbanisation, vecteur d'une identité nationale ?
La Jordanie, Etat né des hasards de l'Histoire aux lendemains de la Première
guerre mondiale, est composée d'une population d'origine diverse. L'effort de ses
gouvernants, eux-mêmes « importés », a consisté tout au long du siècle à construire un
Etat reconnu sur la scène internationale, à l'égard duquel ses habitants éprouvent des
formes et des degrés divers de loyauté, qui vont de pair avec d'autres allégeances,
tribales, ethniques ou nationales. Au-delà de cette forme de citoyenneté qui assure
stabilité et légitimité à l'Etat, on peut se demander dans quelle mesure la Jordanie est
parvenue à se forger une identité nationale
Dès sa création, l'Etat jordanien a cherché à développer un sentiment
d'appartenance à la « famille jordanienne », à travers l'allégeance au trône hachémite,
héritier de la Maison du Prophète, censé incarner une vision tolérante et moderne de
l'Islam, et être le dépositaire des espérances du nationalisme arabe8. C’est en combinant
cette légitimité historique arabe, traduite dans le mythe fondateur de la "Grande Révolte
arabe", et l'incontestable source islamique, que la monarchie peut concilier la
souveraineté qu’elle exerce sur les Transjordaniens, bédouins ou sédentaires de souche,
Chrétiens ou Musulmans, et celle qu’elle exerce sur les Palestiniens, avec l'affirmation
de droits de regard sur la Palestine et les Lieux Saints de Jérusalem. Elle réussit même le
tour de force d'apparaître comme le successeur à la fois de l'Empire ottoman et du
califat, pour avoir été durant des siècles la famille des émirs de la Mecque, province
ottomane, qu'elle représenta au XIXe siècle au Parlement d’Istanbul. Cette légitimité
plurielle est revendiquée explicitement et imprimée dans la conscience des Jordaniens à
travers un appareillage classique de mise en scène urbaine : les portraits du Roi ,
présence tutélaire, bonhomme et paternelle, plus rarement héroïque, ornent tous les
établissements publics, les rues et les places. Les centres-villes sont le lieu privilégié de
cette mise en scène : ronds-points entourés de plates-bandes, fontaines jaillissantes, arcs
de triomphe forment ici comme ailleurs dans la région le cadre facile à apprêter des
cérémonies publiques célébrant l'unité nationale autour du slogan : "Dieu, la Patrie, le
Roi". L'Islam, bien qu'il exclue la minorité chrétienne, est également mis à contribution
23
pour forger une unité nationale : les mosquées principales d’Amman portent toutes le
nom d'un monarque, tout comme les rues, les quartiers, les institutions publiques, sont
souvent dédiés aux différents membres de la famille royale. L'urbanisation se traduit
aussi à travers tout le pays par l'érection de mosquées rutilantes, dont les minarets aux
formes et aux couleurs variées s'élancent haut vers le ciel. Mais, surtout, la monarchie et
la classe dirigeante occidentalisée du pays ont imprimé leur marque à l'urbanisation par
des choix urbanistiques et architecturaux qui tournent radicalement le dos à toute
connotation "orientale". Certes, cela est dû à la quasi-absence de références
architecturales antérieures et à l'urgence de la construction dans un premier temps et,
dans un second, à la domination d'impératifs de fonctionnalité et de modernité, dénués
d'attaches sentimentales à ce pays d'exil, pour les Palestiniens qui forment la majeure
partie des architectes d'une part et des propriétaires immobiliers de l'autre.
Dans l'architecture, les influences américaines reçues par l'intermédiaire de leurs
avatars dans la péninsule Arabique, sont évidentes et la fantaisie n'est pas exclue, en
fonction des moyens financiers des bâtisseurs. Elle manifeste d'ailleurs par là l'absence
de références héritées en matière d’architecture domestique (Fethi & Mahadin 1996).
Dans l'urbanisme, le primat accordé aux nécessités de la circulation automobile sur la
déambulation piétonnière et ce que ce choix implique en termes de pratiques urbaines,
semblent également d’inspiration nord-américaine. Cette marginalisation des piétons est
l'une des différences majeures qu'offre l'urbanisation en Jordanie avec celle de pays
voisins où la ville a préexisté à l'automobile. Même si, au Liban, l'automobile est plus
encore qu'en Jordanie l'objet d'un culte, elle n'a pas réussi à anéantir la déambulation
dans les espaces commerciaux ou de loisir, ni au sein des quartiers résidentiels. En
Syrie, la possession d'un véhicule privé est encore le fait d'une minorité et, dans bien des
quartiers anciens, la voiture n'a pas encore conquis droit de cité. Le cadre urbain
jordanien montre ainsi une grande ouverture aux influences extérieures, ouverture qui
traduit celle de toute une société. La Jordanie présente cette caractéristique par rapport
au Liban ou à la Palestine, deux pays également très ouverts sur l'extérieur par leurs
diasporas , de ne pas connaître, ou alors de façon très atténuée, d'attachement à la terre
ou à la ville.
Derrière les apparences et le discours officiel inscrits dans la pierre, derrière les
proclamations de foi appelant à la victoire d'un Islam-panacée, les modèles sont ici
exclusivement exogènes et la modernité revendiquée a accentué, sans doute, le
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Référence implicite aux "échanges de correspondance Hussein-MacMahon" en 1915, qui avaient laissé
croire au Chérif Hussein de La Mecque que les Britanniques reconnaissaient la validité de ses prétentions
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sentiment d’attrait pour l'extérieur. Les mêmes rêves de partir, pour gagner sa vie et
pour échapper à un système social ou tribal contraignant, animent la jeunesse, qu'elle
soit jordanienne de souche ou palestinienne. En cela, comme dans tout ce qui touche
aux aspects matériels de l'urbanisation, on ne distingue aucune ligne de fracture
communautaire. Il n'y a pas de quartier ostensiblement palestinien – à l’exception des
camps officiels ou spontanés - ou transjordanien, chrétien ou tcherkesse, même si la
tendance naturelle est pour les uns et les autres de s'agréger lors de l'arrivée en ville à un
noyau préexistant d'habitants du même village ou de la même région. Mais ni dans
l'architecture ni dans les façons de vivre ou d'habiter, on ne peut distinguer un quartier
ou une maison selon qu’elle est habitée par des Palestiniens ou par des Transjordaniens.
L'identité nationale, certes, s'est consolidée au fil des décennies pour faire
apparaître un paysage urbain propre à la Jordanie, fait de modernité, d'ordre et de
rigueur un peu austère, que l'on retrouve un peu partout, et qui tient tout à la fois à cet
esprit du lieu, produit d'une géographie qui passe rapidement de la vivacité des couleurs
méditerranéennes à la monochromie du désert, et à une histoire suspendue. Les villes
jordaniennes donnent ainsi, pour la plupart, le sentiment de flotter dans un vêtement trop
grand et de manquer de l'animation des villes méditerranéennes. Amman, quel que soit
le quartier considéré, n'offre qu'un bien pâle reflet de l'urbanité de Beyrouth, faite de
vieille citadinité et d'emprunts, sans complexes et aussitôt acclimatés, à l'Occident ; elle
est aussi dépourvue de la longue histoire et de la bonhomie tranquille de Damas,
capitale assurée d'un pays redouté. C'est donc dans la différence avec le fait urbain des
pays voisins que les villes de Jordanie manifestent leur unité. Mais cette unité trouve
vite ses limites et ne vaut pas unité nationale : celle-ci ne peut en effet se satisfaire de
l'existence d'une identité ; il lui faut un ciment plus fort, culturel, fait d'épreuves
partagées et d'un accord minimal sur une communauté de destin, que les écarts sociaux,
plus encore que les différences communautaires, semblent remettre en cause
aujourd'hui.
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