Le Saint-Joseph historique

Transcription

Le Saint-Joseph historique
Terroirs et vignobles
Le Saint-Joseph historique,
un cru « majuscule »…
Par Nicolas Bon
C
ôte-Rôtie, Hermitage, Condrieu et même Cornas ; ces noms fascinent et captivent l’amateur tant ils représentent dans l’imaginaire collectif le
meilleur des crus de la vallée du Rhône septentrionale. Lorsque l’on observe une carte du vignoble nordrhodanien, on constate que ces crus forment des entités « satellites » dispersées de part et d’autre des rives du fleuve. On constate également qu’un vignoble
bien plus grand, mais surtout bien plus « long » s’étire
et semble relier ces crus entre eux. C’est celui de l’appellation Saint-Joseph, dont les chiffres confirment
cette impression : s’étendant sur 26 communes et
près de 60 kilomètres du nord au sud, cette AOC communale est l’une des plus vastes de France. On comprend alors aisément que les vins qui y sont produits
au nord sont bien différents de ceux produits au sud,
ce qui renforce grandement la sensation d’hétérogénéité – bien légitime – qu’ils suscitent. Et pourtant, au
cœur de cette vaste délimitation subsiste ce que l’on
appelle le « Saint-Joseph historique », un petit vignoble qui constituait le cru à son origine. Un cru majuscule, probablement aussi prestigieux que ses illustres
voisins, mais dont l’histoire quelque peu chaotique du
siècle dernier en a voulu autrement...
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vin-terre-net.com
L’ HISTOIRE
Aux origines…
Les vins du vignoble de la vallée du Rhône prennent leurs
racines loin dans l’histoire ; il faut remonter à la colonisation
grecque en 600 av. J-C., lorsque les phocéens implantent les
premières vignes autour de Massalia (Marseille). Tout d’abord restreintes à une culture proche du littoral, les civilisations méditerranéennes développent la production et l’échange du vin en Gaule le long des grandes routes commerciales.
Le Rhône devient alors un passage privilégié entre la Méditerranée et l’Europe septentrionale : on utilise son cours comme
voie fluviale et on établit le long de ses rives, au pied des collines, de nouvelles voies de communication. L’activité humaine
s’y concentre et les vignobles s’y développent ensuite sous
l’impulsion des Romains, à l’aube de notre ère (IIIe-IIe siècle
av. J-C.). Séduits par les coteaux accidentés de la rive droite,
ils entreprennent d’immenses travaux d’aménagement, plantent des vignes, d’Ampuis à Tournon, et construisent des terrasses soutenues par des murets en pierres sèches (les chaillées ou challeys). Sous le nom « vins de Vienne », les vins sont
renommés pour leurs qualités et s’exportent jusqu’à Rome. A
la chute de l’empire Romain au Ve siècle, l’église prend en
charge la culture et la commercialisation des vins de la région.
Au moyen-âge, les vins de l’arrondissement de Tournon sont
plus connus sous le nom de « vins de Mauves » ou « vins de
l’Ermitage » (il n’y a pas de différentiation entre ceux issus de
la commune de Tain et ceux de Tournon). Au XVIe siècle, sous
l’influence de François de Tournon, les vins de Tournon traversent les Cévennes à dos de mulet et rejoignent Paris où ils
sont servis à la cour des Valois avec les vins blancs de Saint-
Le Saint-Joseph historique
Situation du vignoble
de Saint-Joseph
Naissance d’une AOC
« […] l’on ne peut se défendre d’un sentiment
d’admiration pour les habitants de ce pays qui
ont construit des millions de mètres cubes de
maçonnerie, afin de retenir sur des pentes
abruptes la terre meuble et la disposer en gradins, souvent étagés de la vallée au sommet de
la colline. »
L’agriculture en Vivarais – M. Richard 1927.
Péray. A la même époque, Jean Pelisson, principal du Collège
de Tournon, dit du vin de Mauves qu’il est « si délicat et
friand » et qu’il « se porte à Rome et s’y vend presque autant
qu’on veut…». Le nom « Saint-Joseph » fait son apparition au
XVIIe siècle ; il s’agit d’une parcelle de vignes de dix hectares
appartenant aux pères Jésuites de Tournon. A la fin du XVIIe,
les syrahs nord-rhodaniennes empruntent le tout nouveau
canal du midi et viennent « hermitager » par coupage les clairets Bordelais, pour répondre à la demande de « vins noirs »
émanant de l’aristocratie anglaise. Après la révolution, la parcelle « Saint-Joseph » est confisquée au clergé et mise en vente aux enchères ; elle sera vendue en 1793 au double de son
prix à trois négociants. En 1862, le « vin de Mauves » est cité
dans l’œuvre majeure de Victor Hugo, Les Misérables ; c'est la
boisson que l'évêque de Digne sert à Jean Valjean. Au XIXe
siècle, le vignoble rhodanien est prospère et sa notoriété hisse ses vins parmi les plus grands de France.
Après l’invasion du phylloxera, le vignoble est en partie reconstitué sur porte-greffe américain. Sur le canton de Tournon, outre la syrah, on recense alors des cépages comme le
gamay, le durif, la mondeuse mais également quelques hybrides producteurs comme le seibel et le noah. On constate également que le vignoble a tendance à s’étendre vers les sommets des plateaux ou dans la plaine, l’entretien des coteaux
devenant de plus en plus onéreux. Certainement soucieuse de
préserver l’identité de son cru, la richissime famille Ozier,
soutenue par quelques viticulteurs, demande l’obtention d’une appellation contrôlée « Saint-Joseph » dès 1916, soit trois
ans avant la loi sur la protection des appellations d’origine en
1919. Mais cette demande n’aboutira pas. Après la création
de l’INAO en 1935, les « Côtes-du-Rhône » acquièrent leur
AOC régionale. Celle-ci englobe, entres autres, les communes
du canton de Tournon-sur-Rhône et Mauves, alors que tous
les vignobles limitrophes obtiennent à la même époque une
AOC communale : Saint-Péray en 1936, Hermitage et CrozesHermitage en 1937, et Cornas en 1938. La même année, le
Syndicat de Protection de l’appellation Saint-Joseph est créé,
mais celui-ci reste en léthargie. Il faut attendre la fin de la
seconde guerre mondiale pour que, sous l’impulsion de son
président Fernand Sauzon, le syndicat décide de reprendre
son activité afin d’obtenir l’AOC communale qui lui est due.
Le dossier est présenté à l’INAO en mars 1955 ; il concerne
six communes : Vion, Lemps, Saint Jean de Muzols, Tournonsur-Rhône, Mauves et Glun. Pour motiver sa demande, le syndicat s’appuie sur le fait (non sans un certain parti pris, il faut
le reconnaitre) que ses vins en appellation côtes-du-rhône
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Terroirs et vignobles
septentrionales n’ont rien de comparables à ceux des côtesdu-rhône méridionales (encépagement hétérogène et productif, culture en plaine, etc.) alors que les prix sont basés sur ces
derniers. Il alimente également le dossier d’un ensemble de
faits historiques (dont quelques-uns cités ci-dessus), rétablissant aux vins produits dans l’arrondissement de Tournon
l’aura dont ils bénéficiaient à l’époque. Le syndicat termine sa
demande par ces mots : « En conclusion, nous demandons le
droit à l’appellation St-Joseph pour les vins des Côtes-du-Rhône
qui rempliront les mêmes conditions que celles exigées pour
l’Hermitage, mêmes cépages, même rendement de récolte, même degrés alcoolique.[...] Le vignoble conserverait toute son
importance et l’abandon de certaines parcelles ne serait plus
qu’un souvenir ». Le 15 juin 1956, l’Appellation d’Origine
Contrôlée Saint-Joseph voit officiellement le jour sur ces
bases. La toute jeune AOC couvre alors le périmètre précédemment délimité pour l’appellation Côtes-du-Rhône sur les
six communes concernées, soit 80 hectares pour une production de 3000 hectolitres environ.
Extension puis révision de l’AOC
Seulement treize ans plus tard, en 1969, l’aire d’appellation
est étendue à 20 communes supplémentaires, en grande partie vers le nord, faisant ainsi la jonction entre les appellations
Condrieu et Cornas. Cette extension est principalement motivée par des raisons politiques : récemment créée (1960), la
cave coopérative de Saint-Désirât souhaite développer sa
commercialisation en s’appuyant sur les privilèges d’une AOC
communale. Plus au nord, ce sont des viticulteursembouteilleurs de la commune de Chavanay qui demandent à
être rattachés à l’appellation Saint-Joseph, considérant que
leur terroir constitue le même ensemble géologique que celui
de Tournon-sur-Rhône. Réuni en petit comité le jour du vote,
le syndicat de l’appellation Saint-Joseph approuve cette extension, y voyant pour lui aussi, l’opportunité de valoriser
une AOC confidentielle impactée par un marché en baisse.
Mais pour fixer cette nouvelle délimitation, les experts se
seraient contentés de proposer des tracés sur plans cadastraux, sans tenir compte de particularités techniques précises. Couvrant 6800 hectares, la nouvelle aire s’étend alors
arbitrairement en plaine, sur des replats et plateaux. De plus,
Les jeunes vignes du lieu-dit
« Les Chalaix » appartenant
à Jean-Louis Chave.
la conjoncture économique rend la culture sur coteaux difficile, faute à une main d’œuvre de plus en plus rare ; l’extension
sur des zones mécanisables devient une aubaine pour les
viticulteurs. En quelques années à peine, la production explose et passe de 3672 hectolitres en 1970 à 14764 hectolitres
en 1985 (pour 375 hectares exploités). Les vins perdent en
qualité, l’hétérogénéité se renforce et l’appellation s’enfonce
inexorablement vers une perte de personnalité associée au
déclin d’un patrimoine.
Au milieu des années 80, le syndicat prend conscience de la
perte d’identité de son cru et des dérives liées à l’extension de
l’AOC. Après l’avoir approuvée quelques années plus tôt, il
interpelle de nouveau l’institut national des appellations d’origine pour engager une révision de l’aire d’appellation. Cette
fois, une véritable étude menée par des experts est donc
conduite en 1986 : étude des différences climatiques, lithologiques, géologiques et morphologiques. Lorsque l’INAO rend
son rapport, il propose de « recentrer » l’appellation sur 3400
hectares, toujours sur les 26 communes, mais sur des secteurs ayant montré de réelles capacités à produire des vins de
qualité. Les coupes sont franches : Tournon-sur-Rhône, berceau historique de l’appellation, perd plus de deux tiers de
surfaces classées, tout en restant néanmoins la commune en
comptant le plus. Afin de ne pas léser les viticulteurs exploitant des zones déclassées, l’INAO propose des mesures d’accompagnement : ils pourront ainsi revendiquer en AOC jusqu’en 2021 des vignes exclues de la nouvelle aire ; en cas de
plantations compensatrices, l’arrachage d’anciennes parcelles
n’intervient qu’après l’entrée en production des nouvelles.
Enfin, des « îlots-vitrines » (parcelles en terrasses visibles
depuis les voies principales d’accès au vignoble) sont créés
pour susciter et motiver la reconquête des terrasses abandonnées ou délaissées. Ainsi, en l’espace de trente ans seulement, de sa promotion en 1956 à sa révision en 1986, en passant par son extension en 1969, l’AOC Saint-Joseph a connu
de profonds bouleversements pour finalement étendre ses
3400 hectares de vignobles classés sur près de 60 kilomètres
de long. Malgré le travail effectué lors de sa révision, il en
résulte aujourd’hui un cru particulièrement morcelé et disparate. C’est, à notre connaissance, un fait unique dans l’histoire
des AOC de France.
Sources et références

Histoire sociale et culturelle du vin – Gilbert Cartier – éd. Larousse

Revue « Le rouge & le blanc » n°47 – juin 1996

Grand Atlas des vignoble de France – Benoit France – éd. Solar

The Wines of the Northern Rhône - John LivingstoneLearmonth - University of California Press

Cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée « SAINTJOSEPH » du 25 octobre 2011 - JORF.

José Vouillamoz – Arbre généalogique de la syrah

Revue « Vignerons » n°9 - été 2012

Divers documents historiques et techniques (dont principalement le rapport des experts lors de la révision de l’aire) fournis
par la maison des Vins de Tain l’Hermitage et Inter-Rhône.
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Le Saint-Joseph historique
LE VIGNOBLE
L’AOC en chiffres
L’appellation Saint Joseph s’étend sur une bande de près de
soixante kilomètres de long du nord au sud, pour environ six
kilomètres au plus large. Elle couvre 26 communes, 23 se
trouvant dans le département de l’Ardèche (de Limony à Guilherand-Granges) et trois dans la Loire (Chavanay, Malleval et
Saint-Pierre de Bœuf). Le zonage d’appellation couvre un
potentiel de 3400 hectares classés. En 2011, la surface exploitée représente 1177 hectares, soit la deuxième plus grande
des vignobles nord-rhodaniens après l’AOC Crozes-Hermitage
(mais pour une surface classée moindre). Le volume de production total déclaré en 2011 est de 45’713 hectolitres, soit
un rendement moyen de 38 hl/ha (à noter que 2011 est une
année « généreuse », le volume moyen s’établissant plutôt
autour de 39’500 hectolitres sur les cinq années précédentes). La production de Saint-Joseph rouge représente à elle
seule 40’743 hectolitres, soit 90% du volume total, le restant
étant consacré à la production de blanc. Les études de marché
montrent que le Saint-Joseph est peu représenté à l’export
(12% des volumes seulement, l’un des plus faibles de toute la
vallée du Rhône !) et que sa commercialisation passe par les
circuits de distribution nationaux. Un peu plus de 150 vinificateurs déclarent de l’AOC Saint-Joseph, incluant cinq caves
coopératives et une vingtaine de négociants. A noter que la
cave coopérative de Saint-Désirât vinifie à elle seule pratiquement la moitié du volume total produit !
La réglementation
L’appellation Saint-Joseph est réservée à l’élaboration de vins
tranquilles rouges et blancs. Les cépages autorisés sont la
syrah noire, la marsanne blanche et la roussanne blanche. Les
vignes doivent être plantées avec une densité minimale de
4500 pieds/hectares, la moyenne de l’appellation se situe
plutôt autour de 6 à 7000 pieds/hectares. Trois types de tailles sont autorisés : gobelet, cordon de Royat (avec un ou deux
bras) et Guyot simple. Dans tous les cas, la « charge » ne doit
pas dépasser dix yeux francs par pied. La vendange manuelle
est obligatoire (il est même précisé que les grappes doivent
être transportées entières sur le lieu de vinification), et les
raisins ne peuvent être récoltés qu’avec un degré minimum
naturel de 10.5°. Le rendement maximal est fixé à 40 hl/ha
(rendement butoir de 46 hl/ha). Les jeunes vignes ne peuvent
prétendre à l’appellation qu’à partir de la troisième feuille.
Les vins rouges sont élaborés avec de la syrah à hauteur de
90% minimum à laquelle il peut être adjoint 10% maximum
de cépages blancs. L’assemblage des marsanne et roussanne
pour la production de Saint-Joseph blanc ne fait l’objet d’aucune disposition. Pour l’élevage, l’utilisation de copeaux de
chêne est interdite.
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Les cépages
La syrah est l’unique cépage rouge de l’AOC Saint-Joseph.
D’une manière générale, elle est connue pour produire des
vins colorés, délicatement parfumés, riches et structurés. Elle
apprécie les sols secs, acides, peu calcaires, tout comme un
climat doux et peu contrasté. On peut donc en déduire qu’elle
est très bien adaptée à la situation du vignoble nordrhodanien et particulièrement à tout le secteur Saint-Joseph/
Hermitage/Cornas. Inutile de rappeler que la syrah est un
cépage très qualitatif, mais l’un de ses défauts majeur réside
dans l’utilisation de clones souvent médiocres qui nuisent
fortement à ses vertus naturelles, ce qui est malheureusement le cas sur Saint-Joseph. Il serait donc temps de mieux
valoriser un matériel végétal issu de sélections massales. En
effet, face aux problèmes de dépérissement de la syrah, on ne
propose actuellement que des solutions liées à l’utilisation de
clones (dits « peu dépérissants », mais sur lesquels on manque encore de recul). A l’inverse, précisons que la syrah est
une variété difficile à sélectionner de façon fiable et durable,
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Terroirs et vignobles
Vue plongeante
sur le lieu-dit
« Saint-Joseph »
Petite histoire de la syrah...
On a longtemps prêté à la syrah diverses origines liées à
leurs homonymies avec ce cépage : on l’aurait vu importée
de Syracuse (Sicile) par les Romains au IIIe siècle de notre
ère, après que Probus ait levé l’interdiction de planter de
nouvelles vignes en Gaule. Elle aurait été rapportée de Chiraz (Perse) au XIIIe siècle par le fameux Chevalier de Sterimberg et plantée autour de son « ermitage », sur la colline
de Tain. On parlera également d’une Vitis Syriaca originaire
de Syrie, ou d’une île grecque des Cyclades dénommée Syra.
Mais en 1879, les ampélographes Alphonse Mas et Victor
Pulliat mirent en doute ces hypothèses, en s’appuyant sur le
fait que l’on ne trouve dans ces régions aucune trace de syrah ou de cépage lui ressemblant. Ils évoquèrent alors une
origine indigène locale. En 1955, Louis Levadoux confirme
cette thèse : il établit la filiation de la syrah avec la vitis allobrogica. Vitis allobrogica est un cépage présent dans le pays
des Allobroges, dont la ville de Vienne constitue la partie
sud au IIe avant notre ère. Pline l’ancien décrit cette vigne
comme ayant la particularité de mûrir tard à l’automne et
de bien résister aux hivers rigoureux. Selon toute vraisemblance, des cultivateurs gaulois auraient prélevé des sarments de cette vigne dans les Balmes Dauphinoises pour la
bouturer et la cultiver sur les coteaux de la rive gauche du
Rhône, donnant ainsi naissance à la serine médiévale (serus
signifiant en latin tardif) puis, au fil des générations, à la
syrah. En 1998, des tests ADN ont permis d’établir la parenté de la syrah : elle est la fille d’un croisement naturel entre
la mondeuse blanche et la dureza. La première étant originaire de Savoie et la seconde d’Ardèche, ces résultats confirment ainsi les hypothèses d’une origine autochtone.
tant elle est sensible à de nombreuses viroses ou aux problèmes de compatibilité entre plants et portes-greffes (sur l’appellation, le plus usité est le 3309, mais on trouve encore
quelques ceps greffés sur SO4). Bref, on comprend que le
choix du matériel végétal, pourtant si peu évoqué, reste plus
que jamais complexe et délicat.
Tout comme la syrah, la marsanne et la roussanne sont vraisemblablement originaires de la vallée du Rhône et plus particulièrement du Dauphiné ; ce sont donc des cépages autochtones. La marsanne est largement répandue sur l’appellation,
représentant près de 90% de l’encépagement en blanc. C’est
un cépage rustique, fertile et productif, donnant des vins aromatiques et à l’acidité plutôt faible. La roussanne, dont le nom
viendrait de la couleur de ses grains qui tendent à roussir à
maturité, donne quant à elle des vins expressifs, opulents,
capables de subtilité et de finesse. Historiquement, la marsanne a toujours été cultivée sur l’appellation, alors que la roussanne a une histoire plus récente, les plus vieilles vignes
n’ayant pas cinquante ans d’âge (ce qui n’est pas le cas sur
l’Hermitage). En effet, celle-ci est aussi assez fragile, sensible
aux maladies, moins productive, et donc fatalement moins
appropriée au type de culture pratiqué à l’époque. Sa culture
est en progression ces dernières années. Le principal défaut
de la marsanne sur l’appellation réside, tout comme la syrah,
dans l’utilisation de clones peu qualitatifs entrainant des rendements excessifs. L’assemblage marsanne/roussanne semble être un bon compromis pour obtenir des blancs complets
et bien équilibrés. Si les sols de granites et de gneiss, pauvres
et peu profonds, sont réservés à la culture des syrahs, les
marsanne et roussanne sont plutôt plantées sur les sols plus
riches, plus humides et moins « structurés » des zones sédimentaires type lœss ou terrasses du quaternaire.
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Le Saint-Joseph historique
Carte géologique simplifiée
du Saint-Joseph historique
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Terroirs et vignobles
LES TERROIRS DU SAINT-JOSEPH HISTORIQUE
Géologie et pédologie
Le vignoble du Saint-Joseph est établi sur la bordure orientale
du massif central. Les roches qui composent ses terrains sont
datées de l’ère primaire, au cours de la surrection de la chaine
hercynienne, conséquence de la collision de deux continents
qui formèrent la Pangée. A la fin du primaire, les sols vont
subir d’intenses efforts tectoniques qui génèreront des failles ; celles-ci s’orientent majoritairement du nord-est vers le
sud-ouest. Cet ensemble est constitué de terrains cristallins et
cristallophylliens d’origine éruptive et métamorphique, sans
pratiquement aucune trace de couverture sédimentaire. A
l’aide de la carte géologique simplifiée réalisée pour cet article (voir page 6), voici les différentes formations qui composent les six communes du Saint-Joseph historique.
Formations d’origine magmatique et métamorphique :
- Les roches granitiques (en violet et marron sur la carte),
d’origine magmatique, sont beaucoup représentées sur ce
secteur, ce qui, il faut le préciser, n’est pas le cas de l’ensemble de l’appellation plutôt représentée par des roches de type
métamorphique. Sur cette carte, j’ai voulu distinguer le granite dit « de Tournon » (granite porphyroïde à biotite, en violet)
des autres granites (granite à biotite hétérogène, en marron).
En effet, cette formation qui se prolonge au sud et à l’est du
secteur de Mauves est identique à celle du vignoble de Cornas
ainsi qu’à toute la bande ouest de la colline de l’Hermitage
(lieux-dits les Bessards et la Chapelle entre autres). C’est donc
ici qu’est née l’appellation Saint-Joseph, sur des terrains de
même nature que ceux ayant été auparavant classés dans
deux AOC plus « prestigieuses ».
- Assez largement représentés sur l’ensemble du vignoble,
anatexites (en rouge) et gneiss (en vert) constituent les roches d’origine métamorphique de l’appellation. L’anatexie
est en quelque sorte la formation ultime du métamorphisme
général, à tel point que la fusion partielle des roches peut
conduire à la formation d’un granite d’anatexie. De ce fait la
composition des roches d’anatexie est très proche de celle des
granites. Les gneiss possèdent une composition minéralogique quasi-identique à celle des granites, mais leur structure
est rubanée, voir litée. C’est une roche assez peu présente sur
le zonage d’appellation des six communes historiques, mais il
s’agit là aussi d’un cas particulier car ce sont, avec les micaschistes (non présents sur le secteur de Tournon), les roches
dominantes du Saint-Joseph dans son ensemble.
En pratique, l’altérabilité des roches magmatiques et métamorphiques, et leur impact sur la vigne, est sensiblement
identique. Sous l’effet de l’érosion, les sols superficiels se dégradent et forment, à partir des minéraux de ces roches, des
sables argileux (argilisation des feldspaths) qu’on appelle
localement « gore ». Pour éviter le ravinement des sols ainsi
formés, les vignes sont généralement cultivées en terrasses,
ce qui permet également de maintenir un horizon riche en
matière organique. Généralement fracturée, parfois litée (cas
des roches métamorphiques), la roche plus ou moins altérée
permet à la vigne de développer un système racinaire profond et complexe. Elle bénéficie ainsi de très bonnes réserves
hydriques lui permettant de ne pas souffrir des excès du soleil (sauf en année exceptionnellement sèche).
Formations d’origine sédimentaire :
- Les lœss (en jaune) sont des dépôts éoliens calcaires situés
généralement sur des zones de replat à mi-coteau. Ils sont
assez peu présents sur le secteur de Tournon, la zone la plus
vaste de l’appellation se trouvant plus au nord, autour du
village de Saint-Etienne de Valoux. En raison de leur capacité
à emmagasiner les eaux de pluie tout au long de l’année, les
sols de lœss ne constituent pas le support idéal pour la vigne.
Cependant, les lœss dits « remaniés » (constitués d’un mélange de lœss et de matériaux divers, type fragments de roche)
présentent une perméabilité plus élevée et donc un substrat
plus favorable. On le destine néanmoins à la culture des cépages blancs.
- Les terrasses alluviales (en bleu foncé) se sont formées
lors du retrait de la mer Pliocène et sont constituées de matériaux grossiers fortement décalcifiés. En fonction des situations, elles peuvent être également composées de colluvions
et d’éboulis de bas de pente. Les terrasses alluviales sont bien
plus présentes sur la rive gauche du Rhône que sur sa rive
droite, même si les communes de Mauves et Tournon en sont
dotées d’une assez vaste, au pied des coteaux du vignoble.
- Les alluvions (en bleu clair) sont d’origine fluviale et donc
constitués par le Rhône et ses affluents. Terres riches, peu
promises à une viticulture de qualité, peu de zones sont classées dans l’appellation.
Même si cela ne concerne pas le vignoble du Saint-Joseph
historique, il est intéressant d’évoquer la présence d’une zone
argilo-calcaire datée du jurassique supérieur sur les communes de Chateaubourg et Guilherand-Granges, au sud de l’appellation. C’est d’ailleurs la même formation qui déborde légèrement sur le vignoble de Cornas. Sur le plan géologique, il
s’agit de calcaires purs ou peu argileux, organisés en banc
massif. Les vignes ne reposent pas directement sur ces formations, mais sur un substrat d’éboulis calcaire mêlés à des argiles de décalcification, comme au lieu-dit les Royes à Chateaubourg, revendiqué par le domaine Courbis.
Morphologie
La vallée du Rhône, telle que nous la connaissons aujourd’hui,
a pris naissance il y a environ trois millions d’années, à la fin
du retrait de la mer pliocène. On estime qu’auparavant cette
mer atteignait 400 mètres de hauteur, affleurant ainsi le pied
des massifs montagneux du Pilat et des monts du Vivarais. Le
Rhône, bien plus puissant et large qu’aujourd’hui, a ensuite
tracé son réseau hydrographique dans la vallée, formant de
7
Le Saint-Joseph historique
Vinifications et styles
On peut qualifier les vinifications de « traditionnelles », avec
égrappage (partiel ou total), foulage, macération de deux à
quatre semaines puis élevage en fûts de chêne avec des proportions variables de bois neuf (ce dernier étant généralement réservé aux « grandes cuvées »). Une méthodologie
qui explique le style des Saint-Joseph rouges décrit plus
haut, lorsque j’évoquais des vins « sans excès ». La vendange
entière totale est extrêmement rare (voir Bernard Faurie).
Un fait sans doute lié à la volonté de produire des vins accessibles jeunes, sans raideur ni dureté. Ainsi, dans l’interprétation d’un Saint-Joseph, on peut distinguer deux grandes tendances entre lesquelles se trouvent de nombreuses
situations intermédiaires : d’un coté, le style « classique »,
avec en fer de lance les domaines Gonon et Faurie (travail
des sols, égrappage partiel, peu ou pas de bois neuf, vins
traditionnels, épurés et de bonne garde) et de l’autre, le style moderne, représenté par la méthode Guigal (égrappage
total, pigeages, remontages, élevage en bois neuf, vins modernes, démonstratifs, « élevés »). Enfin on peut prendre en
considération une dernière chose, à savoir faire la distinction entre les vignerons qui ne possèdent dans leur gamme
« que » du Saint-Joseph en cru majeur, et ceux qui exploitent
et vinifient des AOC plus renommées (Hermitage ou Cornas
pas ex.). C’est un avis personnel, mais je suis sûr qu’il existe
ainsi deux façons d’aborder le cru en fonction de ce critère.
Sans jugement de valeur, il est presque légitime pour les
seconds de consacrer « le meilleur » (matériel, techniques,
disponibilité, investissements, etc.) pour le plus prestigieux
de leur cru ; un peu comme une façon de respecter la hiérarchie de sa gamme (Jean-Louis Chave faisant sans doute
exception à la règle).
chacune d’elles, voici ce qu’il faut en retenir :
- Les terrains les plus propices à une viticulture de qualité
sont ceux situés sur les pentes vives et coteaux sur roches
altérées. Ce sont globalement tous les coteaux historiques,
souvent délaissés pour des raisons économiques au milieu du
XXe siècle et sur lesquels des appellations voisines ont bâti
leur réputation (Cornas, Condrieu, Côte-Rôtie). Il faut toutefois en distinguer les parcelles les moins bien exposées ou
celles sur lesquelles l’érosion a décapé les sols et mis la roche
à nue.
- Les terrasses alluviales anciennes constituent grâce à
leurs matériaux grossiers et bien drainants un substrat de
très bonne qualité ; c’est le cas particulier du quartier SaintJoseph à Tournon. Elles sont néanmoins très rares sur l’appellation et ne constituent pas en ce sens un facteur de développement.
- Les cônes de raccordement des affluents du Rhône (et
plus particulièrement pour ce qui nous concerne celui du
Doux, du ruisseau des Roches et des Aurets), ont la particularité d’avoir entaillé le massif de manière à créer de nouveau
coteaux dont l’exposition plein sud et sud-est constituent de
très bonnes situations. Les basses terrasses de ses coteaux,
riches en produits alluviaux sont néanmoins à éviter.
- Les terrasses alluviales récentes, replats lœssiques, et
autres replats d’altitude (plateaux) ne sont généralement
pas considérés comme les supports idéaux à une viticulture
de qualité. Les parcelles intégrant l’AOC ont fait l’objet d’études particulières, ayant permis d’identifier malgré tout de
bonnes aptitudes. On citera pour l’exemple, le cas du secteur
des Oliviers à Tournon (vignes sur lœss remaniés), favorable à
la culture des blancs.
Climatologie
vastes terrasses alluviales particulièrement bien conservées
en rive gauche, mais bien plus rares en rive droite. L’alternance des périodes glaciaires a ensuite creusé le lit du fleuve,
abaissant progressivement sa cote topographique (320 à 300
mètres). Mais c’est au cours de la dernière glaciation (au
Würm, il y a environ 15000 ans) qu’un creusement majeur se
manifeste, formant ainsi les pentes vives des coteaux actuels, aux pieds desquels se trouvent les terrasses alluviales
les plus récentes (130 à 150 mètres). Les affluents du Rhône
ont également entaillé le massif pour former d’autres coteaux
d’orientations différentes et, à leur confluence, des cônes de
déjection. C’est également au cours de cette dernière glaciation qu’ont eu lieu les dépôts éoliens (lorsque des vents très
forts balayaient le massif steppique et glacé) formant des
replats lœssiques à différentes altitudes, en fonction de la
morphologie de l’époque.
Lors de l’étude ayant conduit à la révision de l’aire, en 1986,
l’INAO a distingué sept situations morphologiques distinctes,
permettant de les hiérarchiser vis-à-vis de leur impact et expression sur la vigne et le vin. Sans entrer dans les détails de
S’il existe une large diversité de situations sur le plan géologique au sein de l’appellation, sur le plan climatique, les différences entre le nord et le sud sont encore plus parlantes. C’est
d’ailleurs le point essentiel qui justifie à lui seul un véritable
contraste dans les expressions et le caractère des vins issus
du secteur nord ou du secteur sud. Tandis que les vignobles
de Chavanay sont sous l’influence d’un climat semicontinental dit de type « Lyonnais », ceux de Tournon et Mauves s’inscrivent encore dans les dernières influences méditerranéennes : la pluviométrie moyenne (700 à 800 millimètres)
y est légèrement plus élevée que sur le secteur de Chavanay,
mais sa répartition plus hétérogène, avec souvent l’existence
d’un mois « sec » pendant la période estivale. D’ailleurs la
végétation locale est encore de type méditerranéenne, avec la
présence d’oliviers et de chênes verts sur quelques secteurs
favorables (quartier les Oliviers à Tournon par ex.). La température moyenne annuelle est également légèrement plus élevée sur Tournon que sur Condrieu, même si cette différence
est assez faible (de l’ordre de 0.6°). Toutefois, on note que la
température moyenne baisse assez significativement lorsque
l’on prend de l’altitude en direction du massif central, et donc
8
Terroirs et vignobles
que les parcelles des hauts plateaux présentent un retard de
maturité significatif ; une donnée qui a conduit l’INAO à ne
pas classer les secteurs situés à plus de 350 mètres lors de la
révision de l’aire.
Le mistral est le vent dominant du couloir rhodanien ; froid et
sec, il permet de limiter le développement de maladies mais il
peut aussi être un danger pour la vigne au cœur de l’hiver
(gel) ou bloquer les maturités en période végétative. Par leur
exposition dominante ouverte à l’est/sud-est, les vignes en
sont toutefois relativement préservées, notamment pour celles implantées dans les petites vallées transversales. Toutefois la proximité avec les massifs du Vivarais génère des courants d’airs froids provenant de sommets boisés (600 à 700
mètres) et qui viennent refroidir les terroirs environnants.
Ces courants sont canalisés par les vallées affluentes au Rhône, ils peuvent donc provoquer des déficits thermiques dans
leur partie haute. Néanmoins, l’éloignement de la côte viticole
vis-à-vis de ces massifs permet d’en limiter l’impact. Là encore, la région de Tournon dispose d’une situation privilégiée
avec des premiers sommets situés à plus de quinze kilomètres, ce qui n’est pas le cas plus au nord, avec des sommets
situés à six kilomètres seulement de Serrières, par exemple.
On constate enfin que la position géographique du secteur de
Tournon (ainsi que celles des vignobles environnants : Cornas, Crozes-Hermitage et Hermitage) constitue pour la culture et les exigences de la syrah une excellente situation climatique (plus aléatoire sur la partie nord, où l’on approche de sa
limite septentrionale de culture). Toutes ces données seront
sans doute amenées à évoluer dans les prochaines décennies.
La culture des vignes
Soyons franc, il n’y a pas plus de révolution à Saint-Joseph
que dans d’autres vignobles nord-rhodaniens. Ainsi, l’agriculture biologique ou biodynamique certifiée reste encore
marginale (même si elle est en augmentation) et ne se limite
encore qu’à ceux « qui en ont les moyens » (ou qui se les
donnent). D’un autre coté, nous pouvons parfaitement comprendre les contraintes d’une viticulture sur coteaux
abrupts ou en terrasses, notamment en ce qui concerne le
travail des sols ; ils sont donc encore rares, les vignerons à
le pratiquer sur l’ensemble de leur vignoble. On peut toutefois citer en exemple les domaines Faurie, Gonon et Chave,
qui utilisent cheval et treuil pour ce faire. Mais cela ne veut
pas dire que les autres pratiquent du tout chimique, au
contraire : un bon nombre de vignerons sérieux s’orientent
progressivement vers une viticulture plus soignée avec des
désherbages partiels (sous le rang) et/ou un enherbement
limité et contrôlé. Généralement, les vignes sur terrasses ou
en coteaux sont taillées en gobelet court sur échalas. La taille en cordon de Royat se pratique plutôt sur des secteurs
mécanisables, plateaux et autres replats à faible gradient. De
la même manière, si le rognage constitue la règle, il ne se
pratique plus de façon systématique ; on peut donc observer
de plus en plus de vignes conduites en pont, c'est-à-dire
dont les rameaux qui ne sont plus rognés sont rabattus sur
le cep voisin, au dessus de l’échalas, pour éviter qu’ils ne
retombent dans le rang ou cassent sous l’effet du vent.
De gauche à droite, vues en coupe de roches de granite, gneiss et lœss
9
Le Saint-Joseph historique
Quartiers et lieux-dits :
Comme bon nombre d’AOC communales, le vignoble du SaintJoseph est découpé en un certain nombre de quartiers et lieux
-dits d’origine cadastrale. Appelés « climats » en Bourgogne
où ils constituent un caractère d’identification incontournable, il est plus rare que ceux-ci soient usités dans la vallée du
Rhône, à l’exception sans doute de la colline de l’Hermitage.
Et pourtant, avec une morphologie et une pédo-géologie complexe, on peut parfaitement concevoir que les différences
entre lieux-dits sont ici accentuées par rapport à un ensemble
de climats issu d’un seul et unique coteau au radient faible.
Ainsi et sans chercher l’exhaustivité, j’ai souhaité décrire de
manière sommaire quelques uns des quartiers et lieux-dits
qui composent le Saint-Joseph historique (communes de
Mauves, Tournon-sur-Rhône, Saint-Jean de Muzols et Lemps).
Pour cette partie, j’ai reçu l’aide précieuse d’un amateur et
passionné de la région, David Chapot, qui avait déjà effectué
une large part des repérages et descriptions repris ci-après :
Commune de Mauves :
Les Côtes : ou Côtes Derrière est le premier quartier visible
lorsque l’on arrive au village de Mauves via Glun depuis la
D86. Il est situé sur le flanc sud d’un coteau formé par le ruisseau de Chalaix. On peut y observer un ilot-vitrine. Une gran-
de partie du quartier est restée à l’abandon avant d’être réaménagée ces dernières années par les domaines Coursodon,
Blachon, Gérard Courbis et Voge. Il est essentiellement composé de jeunes vignes. Sol de granite décomposé en surface.
Chalaix : dans le prolongement du quartier Les Côtes en allant
vers l’est, Chalaix se situe plus bas sur le même coteau. Orienté au sud, il bascule vers le sud-est en remontant vers le village de Mauves. Le domaine Chave possède et y exploite un
vignoble réhabilité depuis 2003. Les vignes sont disposées en
terrasses, soutenues par des murets en pierres sèches. Même
type de sol que sur Les Côtes.
Clos de l'Arbalestrier ou Clos Florentin : c’est un véritable
clos, ceint de mur, se trouvant en plaine, pratiquement au
bord du Rhône, dans le village de Mauves. Il est connu depuis
le XVIe siècle et a appartenu, avant la seconde guerre mondiale, à la famille Ozier. Racheté puis revendiqué ensuite par le
domaine Florentin (2006 est le dernier millésime), le Clos de
l’Arbalestrier appartient depuis 2009 au domaine Chave. Il
forme un amphithéâtre regardant vers le sud-ouest. Les vignes reposent sur un substrat sablo-granitique situé dans le
prolongement d’un cône de déjection formé par le ruisseau de
Chalaix. Les vins produits sont plutôt mûrs et solaires, mais
sans verser vers des notes confites, même en année chaude.
Guillamy : un quartier situé à 350 mètres d’altitude, sur un plateau au dessus
du coteau des Côtes. Il s’agit d’un terroir,
frais, tardif et venté. Sol de sable granitique à tendance argileux. Il est revendiqué
par le domaine A La Tache.
Paradis et Montagnon : deux quartiers
situés sur un grand coteau majoritairement orienté à l’est et dominant le village
de Mauves. Sur Paradis, la roche-mère
granitique peu dégradée peut être affleurante par endroit. En revanche, Montagnon se caractérise sur sa partie basse
(en forme de mamelon) par la présence
de lœss sur lesquels les vignes sont directement cultivées. En suivant la petite
route qui contourne ce quartier, on peut
observer un bel affleurement permettant
d’examiner la composition de ces sols.
Les domaines Coursodon, Chapoutier,
Gripa et Jean-Claude Marsanne possèdent des vignes sur ces deux quartiers.
Commune de Tournon-sur-Rhône :
Les Oliviers : après avoir franchi le ruisseau des Aurets, en continuant sur la D86
en direction de Tournon, on voit apparaitre un coteau exposé au sud, tournant
vers l’est, puis basculant au nord, dont les
trois versants sont plantées de vignes :
voici Les Oliviers. Plutôt complexe sur le
10
Terroirs et vignobles
bas du coteau forme un mamelon dont
une petite partie des vignes est exposée
au couchant. Les cuvées « Les Granits » de
Chapoutier, « Le Berceau » du domaine
Gripa, « Lieu-dit Saint-Joseph » de la maison Guigal (anciennes vignes du domaine
Jean-Louis Grippat et De Vallouit) sont
issues de ce quartier. Toute la partie basse du coteau repose sur une ancienne
terrasse alluviale composée d’éléments
grossiers ; un terroir idéal pour les
blancs. Plus haut, place au granite, avec
par endroit des sols de gore caractéristiques. Coursodon et Blachon possèdent
également des vignes dans ce quartier.
plan pédologique, on rencontre ici une large enclave de lœss
remaniés, une ancienne terrasse alluviale et des sols mêlés de
galets roulés d’origine morainiques, le tout reposant sur un
socle granitique. Plusieurs producteurs se partagent ce quartier, tels Chave, Coursodon, Blachon, Marsanne, Ferraton
et Gonon, dont les cuvées de blancs des deux derniers revendiquent ce nom. C’est en effet le terrain de jeu idéal pour la
culture des cépages blancs dont les vins produits ici font partie des meilleurs du secteur. Les rouges sont moins charpentés mais ils sont gras et particulièrement aromatiques.
La Dardouille : ce lieu-dit se prolonge à l’ouest du quartier
les Oliviers, en remontant la combe du ruisseau des Aurets.
Dardouille signifie « touché par les rayons du soleil ». Les sols
sont granitiques, sur substrat de gore et d’argile ; la pente est
assez prononcée. Les vins produits ici sont plus riches et solaires que sur les Oliviers, avec des tanins plus anguleux. Le
Saint-Joseph du domaine Bernard Faurie est exclusivement
issu de ce quartier. Les domaines Chave, Gérard Courbis et
Coursodon y travaillent également des parcelles.
Saint-Joseph : voici le quartier historique de l’appellation,
celui qui lui a donné son nom en 1956. Il est situé sur un
grand coteau formé par le ruisseau de Lay. Majoritairement
exposé au sud, il tourne à l’est en remontant vers Tournon. Le
Rivoire, Peygros, Croix de Peygros et
Javignas : quatre quartiers situés dans le
prolongement du Saint-Joseph, en remontant vers le nord. Croix de Peygros monte
assez haut sur le coteau (plus de 250 mètres), tandis que Javignas est situé dans le
bas. L’ensemble du coteau est majoritairement orienté vers l’est, avec un substrat
plus ou moins profond de sables argileux
reposant sur un socle granitique. Les domaines Gripa, Marsanne, Chapoutier,
Tunnel et Gonon, exploitent plusieurs
parcelles dans ces lieux-dits. Chez ce dernier, la dégustation des vins avant assemblage permet d’en cerner les différents
caractères.
Le Clos : un petit lieu-dit néanmoins assez impressionnant,
constitué de petites terrasses très pentues et très rocailleuses, disséminées sur le dernier coteau surplombant la ville de
Tournon avant de basculer vers Chapon et la vallée du Doux.
On peut admirer ces belles terrasses (assez récentes) lorsque
l’on emprunte la route panoramique, juste après le virage de
l’ancien hospice de Tournon. Les maisons Guigal, Chapoutier
et Jaboulet (cuvée « Croix des Vignes ») y possèdent des parcelles.
Chapon dit « Les Vignes de l’Hospice » : sans doute l’un des
quartiers les plus célèbres de l’appellation. Situé sous le belvédère de la chapelle au lieu-dit Chapon, la pente est ici vertigineuse. Les vignes « observent » avec un point de vue privilégié toute la partie est du coteau de l’Hermitage dont elles
partagent la même formation géologique (granite de Tournon). Principalement orienté au sud, le coteau bascule à l’est
vers la vallée du Doux et monte jusqu’à 280 mètres au point
le plus haut. La maison Guigal possède aujourd’hui en monopole les 2.6 hectares cultivés du lieu-dit ; le vignoble s’est
d’ailleurs étendu après sa reprise. Auparavant, les vignes appartenaient à Jean-Louis Grippat et au domaine de Vallouit
(cuvée « les Anges »). Les plus vieilles d’entre elles datent de
1900.
11
Le Saint-Joseph historique
Communes de Saint-Jean de Muzols et Lemps :
Sainte-Epine : on quitte la ville de Tournon-sur-Rhône pour
rejoindre Saint-Jean de Muzols. Il faut franchir le Doux, qui se
jette dans le Rhône pratiquement face à la colline de l’Hermitage. Changement de formation géologique également, puisque après le granite de Tournon, place aux roches métamorphiques d’anatexie et de gneiss. Le célèbre quartier SainteEpine se trouve sur un coteau orienté au sud-est. Il est revendiqué par la maison Delas et par la famille Desestret
(domaine de la Côte Sainte-Epine). Naissent ici des SaintJoseph bâtis pour la garde.
L’Olivet : un petit lieu-dit enclavé au cœur du quartier de la
Côte Saint-Epine. Ce cru est connu pour avoir été cité en 1655
dans une correspondance où le vin qui y est produit est préféré « à celui de l’Hermitage, n’en déplaise à sa haute réputation ». Exposées au sud, les vignes sont bien protégées des
vents du nord. La cuvée « l’Olivaie » du domaine Coursodon
provient exclusivement de ce lieu-dit. La maison Delas y possède également une parcelle.
Aubert et Pichonnier : à l’est de la Côte Sainte-Epine, en revenant vers le Rhône, on découvre un petit mamelon recouvert de vignes : ce sont les quartiers Aubert et Pichonnier. Ici,
se trouvent des vignes ayant appartenu à Raymond Trollat et
qui sont exploitées aujourd’hui par le domaine Gonon. Les
vins d’Aubert sont assez stricts, avec une grande ampleur
tannique. Le lieu-dit Pichonnier fait la bascule vers le nordest.
Gouye : en remontant vers le nord, on longe le plateau de
Gouye exploité par la famille Desbos (domaine de Gouye). Les
vins de ce terroir situé en altitude et exposé au vent présentent une fraîcheur bienvenue en année chaude mais une ma-
turité tardive, un peu comme ceux du plateau de Guillamy à
Mauves. Le plateau est situé sur une inclusion de granite.
Bachasson : situé sur la commune de Lemps, voici un vignoble de deux hectares entièrement reconstitué et replanté en
1996 par Jean-Louis Chave sur la terre de ses ancêtres (et
non loin du lieu-dit Chave). Après la crise du phylloxéra, ce
vignoble fut abandonné puis replanté de cerisiers. Les vignes
sont exposées plein sud, la pente vertigineuse et les vignes en
terrasses, soutenues par des murets en pierres sèches récemment restaurés, sont d’une grande beauté. Sols de gore.
La commercialisation
Globalement, les vins de Saint-Joseph présentent un assez
bon rapport qualité/prix dans la région, mais leur côte est
progressivement en train de monter sous l’impulsion de
grandes maisons (Chapoutier, Guigal, etc.) produisant des
cuvées parcellaires « haute couture ». C’est évidement bon
signe pour la réputation du cru car, quoi qu’on en pense, le
prix reste un évaluateur du niveau global moyen de qualité
d’une appellation. C’est une moins bonne nouvelle pour l’amateur qui va forcement devoir se couper d’une - petite partie de la production dont les prix dépassent généreusement quelques Cornas, Côte-Rôtie ou Condrieu pourtant
d’un très bon niveau. A chacun son seuil psychologique et
son budget, mais je pense qu’entre 15 et 25 € (départ propriété) pour des Saint-Joseph de Gonon, Faurie, Gripa, Coursodon ou Chave, on peut déjà acquérir d’excellents voire
grands vins.
Vignes en terrasses, au lieu-dit Bachasson
12
Terroirs et vignobles
Les « Vignes de l’Hospice » de
Guigal, surplombant la ville de
Tournon-sur-Rhône
LES VINS
Le Saint-Joseph blanc
Avant tout, il est important de preciser que je ne suis pas, à
titre personnel, particulièrement « amateur » des vins blancs
de la vallée du Rhône ; je ne dispose donc pas de toutes les
qualités pour les appréhender avec une totale objectivité. Il y
a néanmoins un point qui me semble important d’aborder vis
-à-vis des blancs du Saint-Joseph : entre les viogniers aromatiques des coteaux de Condrieu, les blancs discrets du vignoble de Saint-Péray (qui, comme les vins de Tournon, jouissaient pourtant il y a quelques siècles d’une grande réputation !) ou ceux si rares (et si chers !) de la colline de l’Hermitage, ils ont ici une singularité et une personnalité propre à revendiquer. La marsanne, très largement majoritaire sur l’appellation, reste néanmoins un cépage qui réclame un matériel
végétal de qualité, une viticulture soignée et des vinifications/élevages appliqués. Si l’on trouve des blancs 100%
marsanne d’un bon niveau, l’assemblage avec de la roussanne
donne aussi des résultants assez probants. Au niveau des
expressions, elles sont assez variables, avec des bouquets
floraux, noisetés, de miel et de fruits jaunes, évoluant parfois
vers un caractère oxydatif type pommes au four, notamment
sur des millésimes chaud et/ou des vins plus longuement
élevés. Gras, riches, peu acides et parfois opulents, on peut
apprécier les Saint Joseph blancs sur leur jeunesse. Et surtout,
ce sont des vins de gastronomie plus que d’apéritif, accompagnant mieux des plats de table puissants que des mets fins et
délicats.
Le Saint-Joseph rouge
Aujourd’hui, la principale qualité des vins rouges de SaintJoseph est de ne pas trop tendre vers l’excessif : excès de maturité, de vinification, de concentration, d’élevage ou de prix
dont souffrent bon nombre de vins issus de crus mitoyens.
Une qualité qui peut aussi passer pour une faiblesse, car on
vante plus facilement leur souplesse, finesse voire légèreté
que leur profondeur et complexité. La patte du vigneron
ayant une part prépondérante sur la personnalité du produit
final, la véritable question à se poser est la suivante : les terroirs du Saint-Joseph ne sont-ils simplement pas en mesure
de produire des grands vins, ce qui a conduit à un classement
chaotique du cru, ou son histoire récente a t-elle inconsciemment - ou pas - engendré une forme de renonciation à la
conception de grands vins ? En résumé, quid de l’œuf ou de la
poule ? Il est de toute évidence trop tôt pour répondre à cette
question. En effet, il faudra attendre encore quelques années,
a minima au delà de 2021, lorsque tout le vignoble sera rentré
dans le rang, pour mesurer les effets du travail et des investissements mis en œuvre actuellement. Ces investissements
justement, tout comme l’aura des « vieux » millésimes de Jean
-Louis Grippat (Vignes des Hospices) si rares et recherchés,
peuvent déjà conduire à un début de réponse.
Une chose est certaine, ici on ne cherche pas - encore - à en
faire plus que ce que le terroir est capable de produire, permettant aux vins d’être souvent très francs, spontanés et
abordables dans la jeunesse. Ainsi, les Saint-Joseph rouges du
sud présentent de très belles expressions de syrah sur granite
(saveurs poivrées, mentholées, épicées, voir salines), accompagnées de notes florales et fruitées (violette, framboise, cassis) et empyreumatiques (fumé voir toasté en année chaude).
Sans manquer de chair et de structure, il est vrai que les matières sont souvent raffinées, plaisantes, suaves, soutenues
par des tanins fins et croquants, et par une fraîcheur de bon
aloi. Il faut toutefois goûter quelques cuvées parcellaires ambitieuses pour toucher du doigt des crus plus profonds, complexes, terriens et racés (mais parfois plus lourdement boisés), prouvant ainsi la possibilité d’aller plus loin dans les
expressions et dans l’optique de grands vins aptes à la garde.
Enfin, on note qu’au sud, les variations entre millésimes, si
elles ne sont pas inexistantes, sont moins nuancées, un peu
plus lissées que sur les vignobles du nord, grâce à un climat
moins contrasté, comme on peut le constater avec les vins de
Cornas.
13
Le Saint-Joseph historique
DOMAINES & VIGNERONS
Tout comme les quartiers et lieux-dits du Saint-Joseph historique, mon but ici n’est pas de lister l’intégralité des producteurs de l’appellation mais plutôt d’évoquer les quelques producteurs « incontournables » du secteur, ainsi que ceux dont
nous apprécions régulièrement la production.
Producteurs indépendants :
PIERRE GONON : En terme de viticulture, tenue et travail de
la vigne, mais aussi de choix de vinification, de leur conduite
et des vins qui en découlent, cette propriété constitue une
sorte de « mètre étalon » dont les deux cuvées (une dans chaque couleur) représentent la plus pure expression d’un SaintJoseph tel qu’on l’imagine : des vins complets, profonds, racés… des vins qui ont « la gueule de l’endroit ». En clair, parmi
les vignerons et domaines du Saint-Joseph, les frères Gonon
sont en quelque sorte les « locomotives » de l’appellation. A la
vigne, le domaine pratique l’agriculture biologique depuis le
millésime 2004. Les traitements se font au cuivre, soufre et
tisanes, et les amendements au compost. Les sols sont entièrement travaillés au piochon, au treuil et même au cheval
(pour 35 à 40% des surfaces). L’âge moyen du vignoble est de
quarante ans en moyenne, avec quelques vieilles vignes quasi
centenaires. Les travaux en vert (ébourgeonnage et entrecœurs) permettent de contrôler et limiter les rendements. Au
chai, le Saint-Joseph rouge est vinifié en cuves ouvertes (bois
ou béton) avec égrappage partiel en fonction des parcelles et
millésimes (cela représente aujourd’hui en moyenne environ
75% de la vendange). Les vinifications se déroulent via levures indigènes. Les macérations durent environ trois semaines
avec deux pigeages et un remontage en début de fermentation, puis un pigeage doux à la fin. Jus de presse et jus de
goutte sont ensuite assemblés et entonnés en demi-muids
Seguin Moreau de 600 litres non neufs. Les blancs sont pressurés lentement au pneumatique, puis débourbés avant la
mise en pièces où se déroulera la fermentation alcoolique. Les
vins restent sur lies jusqu’au mois de juillet. La fermentation
malo-lactique est recherchée, elle se fait généralement au
printemps. Le Saint-Joseph rouge est principalement issu de
l’assemblage de trois zones reparties entre Tournon et SaintJean de Muzols. La première d’entre-elle est située sur le lieudit « les Oliviers » et cohabite avec les marsanne et roussanne
qui font le blanc du domaine. La deuxième est issue de quatre
lieux-dits : « Côte des Rivoires », « Peygros », « Croix de
Peygros » et « Javignas ». Enfin, le troisième secteur se trouve
un peu plus au nord, sur la commune de Saint-Jean de Muzols.
Elle apporte les plus vieilles vignes du domaine.
DOMAINE JEAN-LOUIS CHAVE : Il est difficile d’évoquer ce
domaine en si peu de mots tant il suscite de superlatifs. A
l’instar d’un Pétrus à Pomerol ou d’un Rousseau en Chambertin, Chave est le symbole des grands vins de l’Hermitage à
travers le monde. Mais au-delà de cette notoriété, le domaine
est aussi une entité à taille humaine, le reflet d’une longue
lignée qui cherche à préserver son esprit paysan et à conserver ainsi une certaine « accessibilité » (certes, elle l’est de
moins en moins…). Originaires d’Ardèche, les Chave vivent de
la vigne depuis 1481 (documents à l’appui !), lorsqu’un seigneur fit don d’un morceau de sa terre à un de leurs aïeuls.
Homme discret et réservé, Jean-Louis Chave représente la
dernière génération à la tête de la propriété. N’ayant plus
grand chose à prouver sur l’Hermitage (quoi que le métier de
vigneron soit une remise en cause perpétuelle), c’est vers le
vignoble de Saint-Joseph que le regard de Jean-Louis s’est
porté ces dernières années. En 1996, il restaure un vignoble
abandonné à Lemps, sur le lieu-dit Bachasson, non loin de la
terre de ses ancêtres. En 2003, il entreprend la restauration
de terrasses sur le lieu-dit Chalaix, à Mauves. Enfin, en 2009,
il acquière le Clos de l’Arbalestrier, situé dans le prolongement
du coteau de Chalaix. Le domaine possède également des vignes dans les lieux-dits Les Oliviers et Dardouille, pour un
total de quinze hectares en exploitation aujourd’hui. Avec la
même vision de complémentarité des terroirs que sur l’Hermitage, il n’y a pour le moment qu’une seule cuvée de SaintJoseph rouge produite. Elle est issue de l’assemblage des différentes parcelles de la propriété (il est probable que le Clos
de l’Arbalestrier fasse exception à cette règle et qu’il soit, dans
le futur, mis en bouteille séparément). Cet assemblage est
réalisé à la fin de l’élevage et après dégustation. Les vinifications sont donc parcellaires et se déroulent après égrappage
total de la vendange. Les élevages se poursuivent en fûts de
chêne d’âge variable pour une durée de 18 à 24 mois en fonction des millésimes. A noter que le domaine pratique également une activité de négoce avec une cuvée de Saint-Joseph
nommée « Offerus ».
PIERRE ET JERÔME COURSODON : Situé en plein cœur du
village de Mauves, ce domaine a été fondé à la fin du XIXe
siècle par Jean-Auguste Coursodon. Dans les années 50, sous
l’impulsion de Gustave Coursodon, la propriété fut l’une des
premières du secteur à distribuer ses vins en bouteilles. Elle a
également toujours œuvré pour la qualité, maintenant et valorisant la culture sur les coteaux les plus qualitatifs de l’AOC
au moment de l’extension en 1970. En 1998, Jérôme Coursodon, la cinquième génération, rejoint le domaine qui compte
aujourd’hui 15 hectares en production. La gamme se compose
de plusieurs cuvées : « Silice » et « Paradis Saint-Pierre » déclinés en rouge et en blanc ; et « l’Olivaie » et « Sensonne »
produits uniquement en rouge. Elles sont issues de plusieurs
lieux-dits répartis sur l’ensemble du secteur, tels Paradis,
Montagnon, Dardouille, Saint-Joseph, l’Olivet et plus récemment les Côtes. Ici, le style est assez moderne, avec des couleurs intenses, des matières relativement concentrées
(éraflage à 100%), des boisés recherchés et présents en jeunesse (mais rarement débordants) et donc des vins qui demandent un peu de garde, notamment pour les grandes
cuvées. Néanmoins, sur les derniers millésimes, la tendance
est à une recherche accrue de finesse.
DOMAINE DE LA CÔTE SAINTE-EPINE : Ce discret domaine
de Saint-Jean de Muzols porte le nom d’un des quartiers les
plus célèbres de l’AOC Saint-Joseph, dont il possède sept hectares intégralement sis sur le cru. Exploité par la même famil-
14
Terroirs et vignobles
Dégustation (et apprentissage !)
avec Jean Gonon, à gauche
le depuis cinq générations, c’est à Mickaël
Desestret que revient la charge de la propriété aujourd’hui. Il s’appuie sur un formidable
patrimoine de vieilles vignes (140 ans pour
la syrah et près de 100 ans la marsanne)
pour élaborer une seule et unique cuvée
dans les deux couleurs. Le domaine exploite,
également en métayage, une partie des vignes appartenant à Raymond Trollat, dont
les deux familles sont liées par un cousinage
éloigné. A la vigne, l’agriculture se pratique
en lutte raisonnée et tend vers une approche
biologique. Côté vins, les vinifications se veulent douces, en partie en vendange entière (en fonction des
millésimes) et les élevages durent un an en moyenne, en barriques non neuves. Les vins sont assez francs, complets, denses et peuvent se garder quelques années. En outre, les prix
sont relativement sages. Une propriété à découvrir !
BERNARD FAURIE : Agé de 63 ans aujourd’hui, Bernard Faurie est en train de tourner la page, même si rien n’a véritablement été décidé pour l’heure concernant l’avenir de la propriété. Toujours est-il qu’une grande partie du vignoble de
Saint-Joseph a été rachetée par son gendre Emmanuel Darnaud, si bien que les Faurie ne possèdent plus aujourd’hui
que quelques ares sur l’appellation. Ces quelques vignes comme toutes celles qui constituaient les trois cuvées de
Saint-Joseph du domaine auparavant - sont intégralement
sises dans le lieu-dit Dardouille. La viticulture a toujours été
très proche de l’agriculture biologique sans jamais être revendiquée, principalement en raison des « lourdeurs administratives » qu’elle réclame. A la vigne, les traitements sont ainsi
limités au strict nécessaire et le travail des sols se pratique au
piochon ou au tracteur. Au chai, la vinification se fait intégralement en vendange entière, en cuve ouverte, après un léger
foulage. Les vinifications durent deux à trois semaines, puis
l’élevage se déroule en grand contenant, demi-muids et foudres, pour une durée de 12 à 18 mois en fonction des millésimes. Deux cuvées de rouge étaient auparavant produites,
simplement différenciées par l’âge des vignes qui les constituent : « les jeunes vignes » plantées en 1986 et « les vieilles
vignes » plantées dans les années 50/60. Un rare blanc issu à
100% de marsanne, complète la gamme. Les vins ont beaucoup de caractère, une assise tannique importante et ont besoin de temps pour pleinement s’exprimer.
BERNARD GRIPA : Depuis plusieurs générations, ce domaine
de Mauves est toujours resté une petite exploitation familiale.
Bernard Gripa et son fils Fabrice cultivent aujourd’hui dix
hectares sur Saint-Joseph et quatre en Saint-Péray. Ils pratiquent une agriculture raisonnée, avec traitements localisés et
favorisent un maximum de travaux manuellement. Ils produisent ainsi deux cuvées de Saint-Joseph, déclinées en blanc et
en rouge. « Le Berceau » est la cuvée parcellaire du domaine
dont les vignes sont intégralement sises sur le lieu-dit SaintJoseph. En blanc, elle est uniquement composée de vieilles
vignes de marsanne (75 ans environ) vinifiées et élevées en
fût de chêne. En rouge, les fermentations se font pour moitié
en raisins entiers dans des cuves en bois ouvertes, suivies
d’un élevage d’un an en fûts de chêne. Ce domaine est une
valeur sûre de l’appellation, avec des vins réguliers et d’une
belle expressivité.
Grandes maisons :
MAISON M. CHAPOUTIER : La Maison Chapoutier est plus
qu’un domaine viticole, c’est une véritable entreprise, forte de
130 salariés, 22 millions d’euros de chiffre d’affaires et qui
étend ses ramifications bien au delà de la Vallée du Rhône.
Mais il n’en fut pas toujours ainsi car lorsque Michel Chapoutier rachète la propriété de son grand-père en 1990, celle-ci
est en grande difficulté. On mesure depuis le parcours d’un
homme dynamique, devenu en peu de temps une figure de la
viticulture rhodanienne. Un parcours qui ne se limite pas seulement au travail de la vigne et à la production de vins, mais
aussi à l’apprentissage (école de sommellerie) et à l’associatif.
Dans la gamme, il faut distinguer les vins issus du négoce de
ceux provenant des sélections parcellaires du domaine, toutes cultivées en biodynamie certifiée. En Saint-Joseph, la
cuvée « Les Granits » (déclinée en blanc et en rouge) en est la
seule représentante. En rouge, les vignes sont issues du lieudit Saint-Joseph. Après égrappage total, les raisins sont vinifiés en cuve béton pour une durée d’un mois environ. S’ensuit
un élevage en fûts (en partie neuf) d’une durée de 16 à 18
mois. « Les Granits » blanc est élevé sur lie pendant huit à dix
mois. Certes vineux, profonds, complexes, construits pour la
garde, le prix de ces cuvées peut toutefois tempérer les ardeurs.
MAISON DELAS FRÈRES : La Maison Delas Frères fut fondée
en 1835 sur la base d’une société de négoce. Elle prit son essor après la seconde guerre mondiale, lorsque ses ventes se
développèrent sur le marché international. Le succès fut
15
Le Saint-Joseph historique
croissant, il lui permit d’acquérir ses premières vignes en
propriété. En 1977, l’entreprise est rachetée par la Maison
Deutz qui relocalise le site de production à Saint-Jean de Muzols. A la fin des années 90, Delas prend un nouvel essor :
sous la houlette de l’œnologue Jacques Granges, la cave et les
chais sont rénovés et modernisés et de nombreux investissement sont réalisés dans l’entretien et la restauration des vignobles. Parmi la très large gamme de vins que commercialise la maison aujourd’hui, on trouve cinq cuvées de SaintJoseph, dont la fameuse sélection parcellaire « Sainte-Epine »,
issue du lieu-dit éponyme et sur lequel elle exploite deux hectares. La vinification se déroule en cuves béton ouvertes
après trois jours de macération pré-fermentaire à froid suivie
de vingt jours à température contrôlée. Le « Sainte-Epine »
est élevé en fûts de chêne neuf pendant 14 à 16 mois. Dans
l’ensemble, les vins sont bons, complets, réguliers, mais manquent parfois un peu de personnalité. Un constat que l’on
retrouve dans beaucoup de maisons dont la production est
inhérente au négoce. Les prix restent néanmoins abordables
exceptés pour les cuvées parcellaires.
Grippat sont de très beaux vins, encore fringants et particulièrement racés. Mais il faut le dire, l’esprit des vins n’est plus
vraiment le même entre les mains des Guigal.
MAISON E. GUIGAL : Pour aborder la philosophie de la Maison Guigal, on pourrait paraphraser Oscar Wilde : « Nos choix
sont simples, on se contente du meilleur ». Fondée en 1946 par
Etienne Guigal à Ampuis, l’entreprise n’a jamais cessé de progresser et de se développer pour posséder aujourd’hui plus
de soixante hectares en exploitation propre sur l’ensemble du
vignoble rhodanien (mais elle est aussi connue pour sa très
large activité de négoce). On peut dire que l’ambition n’a jamais été le moindre de ses moteurs, car une partie de son
essor s’est surtout réalisé autour du rachat de vignes situées
dans les parcelles les plus prestigieuses des différentes AOC
du Rhône, de manière à élaborer des cuvées parcellaires
« haute couture ». En Saint-Joseph, c’est sur les deux plus célèbres quartiers de l’appellation, Saint-Joseph et Chapon
(Vignes de l’Hospice), que la Maison Guigal a pu acquérir en
2001 des vignes ayant appartenu aux ex-domaines Jean-Louis
Grippat et De Vallouit. Cette approche ambitieuse, on la retrouve également dans les deux cuvées issues de ces lieuxdits, avec des vins résolument stylés, modernes et luxueusement élevés sous bois. Une signature qui peut particulièrement marquer les vins dans leur jeunesse et quelque peu dénaturer, à notre goût, le fruit naturel du raisin ; mais des vins
qui appellent aussi à la garde et qui trouvent leurs aficionados. Dans tous les cas, une bouteille de Guigal sur une table
ou en dégustation ne laisse jamais indifférent !
DOMAINE FLORENTIN : jusqu’en 2006, le domaine appartenait aux deux filles du Docteur Emile Florentin et possédait,
sur les cinq hectares de la propriété, le clos de l’Arbalestrier.
Les vignes étaient conduites en agriculture biologique avec
un travail des sols au cheval. Les vinifications « à l’ancienne »
se déroulaient avec le moins d’intrants possible (peu ou pas
de SO2, ni collage, ni filtration) et les élevages en très vieux
futs avaient lieu dans un chai un peu désuet. On évoque souvent des vins rustiques, d’un ancien temps et d’une certaine
irrégularité. Les vignes, les chais et les stocks ont été rachetés
en 2009 par Jean-Louis Chave.
Anciens domaines :
JEAN-LOUIS GRIPPAT : c’est un peu le mythe de l’appellation, largement dû d’ailleurs à une cuvée sans doute plus
connue pour son seul nom que pour le vignoble dont elle est
originaire : « Les Vignes de l’Hospice ». Un petit « Hermitage »
pour certains, issu du même coteau que ce dernier mais que
le Rhône a entaillé, il y a bien longtemps, pour tracer son
cours. Une cuvée devenue très rare, qu’on s’arrache aujourd’hui à prix d’or et qui a peut-être encore gagné en notoriété
après le rachat des vignes par la Maison Guigal. Les vieux
RAYMOND TROLLAT : Raymond Trollat est une figure du
vignoble local, un personnage peu médiatique, mais qui revient souvent dans la discussion lorsqu’on évoque l’histoire
des vins de Saint-Joseph, à l’image d’un Robert Michel à Cornas. Le domaine était situé à Saint-Jean de Muzols, près de la
côte Sainte-Epine où il possédait l’essentiel de ses parcelles
(sur les lieux-dits Aubert et Pichonnier). Les vignes étaient
cultivées à « l’ancienne », en agriculture biologique non revendiquée. Même méthodologie côté chai, avec des vins vinifiés sans soufre et élevés en très vieilles barriques dans une
vieille cave peu entretenue. Il mit fin à sa production au milieu des années 2000 et les vignes furent revendues ou
confiées en métayage aux domaines Gonon et Desestret.
Quand on évoque ses vins, on parle souvent de franchise,
d’ampleur et de richesse, mais également d’expressions pas
toujours très nettes et d’une grande irrégularité liée à leur
vinification « nature » ou à des mises aléatoires.
MAISON OZIER : la très influente et richissime famille Ozier
posséda et exploitât, pendant plusieurs décennies, de nombreuses parcelles dans les vignobles de Mauves et Tournonsur-Rhône, dont le Clos de l’Arbaslestrier et une grande partie
du coteau de Saint-Joseph. Le domaine a périclité après la
seconde guerre mondiale et les vignes furent vendues à plusieurs producteurs. Aujourd’hui, la rue principale du village
de Mauves porte le nom de cette famille.
Note
Je souhaiterais remercier la Maison des Vins de Tain l’Hermitage et InterRhône, pour tous les documents qu’ils ont pu me fournir. Je remercie les vignerons qui ont bien voulu nous consacrer un peu de leur temps pour parler avec
passion de leur cru et terroirs, en particulier Jean Gonon, Jean-Louis Chave et
Jérôme Coursodon. Je tiens à vivement remercier David Chapot, amateur et
passionné des vins de la région, pour son investissement et sa participation
active à un des chapitres de cet article. Enfin, je tiens à remercier tous ceux qui,
de près ou loin, ont collaboré à ce travail, et en premier lieu l’équipe Vin-terrenet.
Les différents avis émis dans cet article, concernant les vins, les domaines, ou
autres prises de position et réflexions, sont le reflet d’un travail individuel. Ils
n’engagent que son rédacteur et ne sont donc pas à considérer comme des vérités absolues. Dans tous les cas, il convient à chacun de faire son propre parcours
initiatique à la découverte des vins de Saint-Joseph.
Dans le chapitre « Quartiers et Lieux-dits », la liste des noms des producteurs
possédants des vignes dans les différents quartiers décrits n’est pas exhaustive.
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Terroirs et vignobles
RÉFLEXIONS
L’idée de cet article est née en avril 2010, lors d’une journée
de visites sur le village de Mauves. Notre premier rendezvous nous conduisit chez Jean-Louis Chave, vigneron emblématique, mondialement connu pour son cru majeur sur la
colline de l’Hermitage. D’Hermitage, il n’en fut point question
ce jour là, car à peine arrivé au domaine, Jean-Louis nous emmena dans le vignoble de Saint-Joseph, au lieu-dit Les Chalaix.
Sur place, nous ne nous trouvions pas devant une morne plaine fertile, un champ à « patates » ou un ancien marais asséché, mais face à de superbes coteaux viticoles en pleine réhabilitation, que l’amateur peu averti pourrait facilement
confondre avec ceux de Cornas, Chavanay ou d’Ampuis. En sa
compagnie, nous (re-)découvrions une appellation que nous
croyions connaitre, ou pour laquelle nous avions un bon nombre d’idées reçues (comme beaucoup je pense). Le second
rendez-vous de la journée fut une visite au domaine Gonon,
avec Jean, l’un des deux frères dirigeant le domaine. Autre
personnalité, autre vision, autre style, mais la même conviction dans les mots lorsqu’il s’agissait d’évoquer « leur » SaintJoseph. Il ne nous en fallut pas davantage pour poser un nouveau regard sur cette appellation et surtout éveiller en nous
de la curiosité.
Alors, le Saint-Joseph historique mérite t-il le statut de cru
« majuscule » ? De toute évidence, oui. Et il faut souligner que
le travail effectué par les meilleurs vignerons du sud depuis
une quinzaine d’années n’est qu’un commencement. Néanmoins, loin de moi l’idée de penser que les vingt autres communes incluses aujourd’hui dans l’appellation communale
Saint-Joseph ne méritent pas le statut d’AOC - au contraire
même, mais quand on regarde l’histoire des « vins de Tournon », on comprend une chose : la renommée d’un vignoble
ne se forge pas uniquement sur une histoire multiséculaire,
mais aussi sur l’opportunité qu’il a eu, à un moment donné, de
se démarquer des autres, ou tout du moins de ne pas faire
« d’erreur ». Force est de constater que depuis l’extension de
l’aire en 1969, et pour pratiquement le demi-siècle qui a suivi
(jusqu’en 2021), l’AOC Saint-Joseph s’est un peu perdue dans
un développement productiviste qui n’aurait jamais dû être le
sien. Cette extension n’étant sans doute pas empreinte de
mauvaises intentions (il faut la remettre dans le contexte de
l’époque), mais elle pèse lourd dans la notoriété du cru aujourd’hui ; et ses vins en pâtissent toujours, ne faisant pas
l’objet des mêmes considérations que les autres crus prestigieux de la vallée du Rhône. N’oublions pas non plus que, hormis les quelques vignerons qui tirent l’appellation vers le
haut, le cru est encore dominé par de nombreux petits producteurs, des caves coopératives et un marché de négoce qui,
à défaut de produire bon à moyen, tendent parfois vers le
médiocre (là encore, le « sud » tire son épingle du jeu, car le
nombre de coopérateurs sur le secteur - cave de Tain l’Hermitage - reste très limité).
Ainsi, en discutant avec quelques « autochtones », beaucoup
s’accordent à dire que l’allongement du cru sur une si grande
distance fut effectivement une erreur. Si l’on devait reconsidérer les choses aujourd’hui, ou du moins, si l’on devait dis-
tinguer les différents Saint(s)-Joseph(s), il serait plus « juste »
de découper l’appellation en trois secteurs :
- Toute la partie sud, représentée par le Saint-Joseph de
1956, que l’on pourrait étendre à la commune de Chateaubourg (non abordée dans cet article), mais dont les formations calcaires constituent en outre une intéressante singularité.
- Le secteur nord, incluant les communes de Chavanay, Malleval, Limony et Saint-Pierre de Bœuf entre autres, offre manifestement les qualités nécessaires pour la revendication
d’un cru communal, mais un cru distinctif, ayant sa propre
dénomination et qui n’aurait jamais du être rattaché au SaintJoseph originel, dont il partage finalement peu de points communs.
- Enfin, la partie centre de l’appellation (globalement de
Serrières à Sarras), dominée par la puissante cave coopérative de Saint-Désirat. Dans ce secteur, il y a peut-être trop peu
de bons producteurs pour se faire une idée sérieuse de son
véritable potentiel.
Cependant, sur l’argumentation d’une différence stylistique
entre les différents secteurs, on me rétorqua parfois qu’il
souffrirait sans doute de l’exercice de la dégustation à l’aveugle. Certes, mais serions-nous tous capable de faire à coup sûr
la distinction à l’aveugle entre un Margaux et un Saint Julien,
ou entre un Meursault et un Puligny-Montrachet ? Bien sûr
que non. Et pourtant, ces crus bien plus proches géographiquement bénéficient pourtant de deux appellations distinctes.
De même, dans le cadre de l’obtention d’une AOC, la dégustation à l’aveugle n’a jamais été une finalité. Tout aussi intéressant qu’il soit, nous connaissons tous trop bien la versatilité
de l’exercice pour lui accorder seul la crédibilité ou la légitimité de l’existence d’un cru ; fort heureusement d’ailleurs.
Je n’entends pas révolutionner les mentalités par ce long exposé. Preuve a déjà été faite par les professionnels ou la presse spécialisée (dans le cadre de dégustations, par ex.) du véritable potentiel des vins du Saint-Joseph historique. Cet article
n’a d’ailleurs pour seule ambition que de présenter sous un
même format un certain nombre d’éléments permettant de
mieux comprendre l’histoire et les particularités pas toujours
connues de ce vignoble. Il n’est donc pas question de réécrire
l’histoire, chose toujours plus facile lorsque l’on dispose de
tous les éléments a posteriori ; mais il est toujours utile de
rappeler, encore et encore que, malgré son histoire chaotique
récente, le Saint-Joseph n’a certainement pas à rougir face à la
réputation de ses « grands » voisins. Par la volonté des hommes qui œuvrent à sa (re)-reconstruction, nul doute qu’il
constitue aujourd’hui bien plus qu’une simple introduction à
la découverte des meilleurs crus de la vallée du Rhône. Encore faut-il faire la distinction entre les différents producteurs,
ceux qui esquissent, millésime après millésime, l’image d’un
cru de grande valeur d’où naissent des vins de caractère. Et
puis savoir aussi faire la distinction entre les différents Saint
(s)-Joseph(s), comme évoqué ci-dessus. Gageons qu’à ce jeu
là, le vignoble du Saint-Joseph historique constitue pour luimême un cru majuscule…
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