Copie, plagiat et originalité.

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La notion d'auteur comme objet de l'art
Copie, plagiat et originalité.
Parallèlement à cette évolution de la notion d'auteur, d autres notions qui lui sont indéfectiblement liées ont évolué elles­aussi. Ce sont les notions de plagiat, de copie, de contrefaçon. La conception actuelle, essentiellement péjorative, du plagiat, et surtout sa pénalisation sous le terme de contrefaçon (terme consacré dans le langage juridique) découle assez directement de cette conception moderne du droit d'auteur. Avant l'époque Romantique, en effet, le plagiat n'était pas considéré d'une façon aussi dépréciative qu'aujourd'hui. Les quelques procès pour plagiat connus avant l'époque romantique se soldaient pour la plupart par un jugement clément et leur auteur était finalement davantage admiré pour son habileté que réprouvé pour son acte frauduleux. La copie en elle­même, qui se trouve à la base du plagiat, était même une activité valorisée. Elle était considérée comme nécessaire puisqu'elle satisfaisait à la fois à une fonction de diffusion et à une fonction d'apprentissage. Concernant l'apprentissage, la copie remplissait un rôle d'enseignement essentiel puisqu'elle permettait au jeune peintre de se mesurer aux chefs­d'oeuvres des maîtres du passé. Fidèle ou interprétative, elle a constitué pendant des siècles un élément essentiel de la pédagogie et de la recherche artistique1.
Concernant la diffusion, la copie était le seul moyen de faire connaître une oeuvre sur un vaste territoire. La fonction de copiste avait même un certain prestige puisqu'il était choisi par des commanditaires éclairés et cultivés parmi les peintres jugés les plus dignes de restituer la manière d'un maître. La copie n'était donc pas considérée comme un genre méprisable, elle pouvait même susciter un engouement presque aussi important que pour le tableau dont elle était la réplique. Elles pouvaient atteindre, à la fin du 17è siècle, la moitié du prix de l'original. En consacrant la singularité de l'auteur, l'époque Romantique valorise la subjectivité et la solitude du génie créateur. C'est à ce moment là que se forge la notion moderne d'oeuvre originale et unique, réalisée de la main du maître et à laquelle est attachée la notion d'authenticité alors perçue comme inédite. La pratique de la copie perd de son intérêt artistique et tombe alors peu à peu en désuétude parce que, sous l'influence de cette notion d'originalité, les critères qui valorisent une œuvre d'art et la sanctifient en tant que telle se modifient. Toute la valeur de l'oeuvre est transposée sur son caractère d'originalité, c'est à dire sur ce qui y constitue l'empreinte de la personnalité de l'auteur, et non plus sur son habileté technique. L'originalité est d'ailleurs ce qui constitue la définition d'une oeuvre d'art au regard de la loi. Une oeuvre d'art, d'un point de vue juridique, est "une oeuvre de l'esprit", c'est à dire "toute création qui porte l'empreinte de son auteur".
Aussi longtemps que l'imitation, la valorisation de la tradition, le “canon”, formaient malgré tout l'épine dorsale de l'expression artistique, le plagiat, sauf s'il revêtait des formes trop littérales, n'en était pas moins perçu comme partie intégrante et nécessaire du travail de création. Mais lorsque le processus méthodologique de création qui était basé sur l'appropriation et la recomposition d'éléments considérés comme appartenant à une sorte de “fonds commun” commence à être dévalorisé au profit non plus d'une recomposition d 'éléments déjà existants mais d'une composition originale prétendant faire appel exclusivement à un “fonds propre”, personnel, alors le plagiat et l'appropriation effective commencent à être stigmatisés, invectivés, et dénoncés et deviennent alors des événements exceptionnels. 1. On peut citer par exemple la fondation du musée du Louvre en 1793 qui relève d'une volonté pédagogique centrée autour de la pratique de la copie. Ce document est réalisé avec OpenOffice.org sous Debian Gnu/Linux.
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Pourtant l'emprunt, ou même le plagiat en tant que tel, ne sont pas condamnable juridiquement, même s'ils peuvent l'être d'un point de vue moral. Ce qui est condamnable, c'est la contrefaçon, c'est à dire qu'il faut que cet emprunt subisse l'appéciation d'un juge qui va déterminer s'il s'agit de contrefaçon ou non. Dans le cadre d'un procès, toute la difficulté, pour un juge, consiste donc à déterminer s'il a affaire à un cas de contrefaçon selon des critères d'appréciation prédéfinis tels que la distinction de la forme et du fond, l'importance quantitative de l'emprunt, l'intentionnalité de l'emprunt, l'environnement de l'emprunt. L'emprunt, en tant que tel est légitime. Il est largement revendiqué par de nombreux artistes en tant que procédé de création et même en tant qu'esthétique. Certaines formes clairement définies comme le centon, le pastiche ou la parodie2 reposent entièrement sur le concept de l'emprunt.
Ces remarques nous permettent maintenant de distinguer les deux aspects de la notion d'auteur. Les conditions de la création s'articulent en effet autour de deux logiques : ­ celle de la loi d'une part, qui tend à restreindre la liberté de création en règlementant l'usage de l'emprunt au nom du droit d'auteur.
­ et la logique artistique d'autre part qui n'admet aucune limite, pas même celle du plagiat. Malgré les évolutions de la notion d'auteur et du droit d'auteur, l'appropriation, l'emprunt, sont des éléments qui jalonnent qui déterminent et qui jalonnent une grande part de la création artistique. Pour les artistes, l'emprunt ou l'appropriation font partie de manière évidente de leur propre expérience artistique.
Peut­être est­ce parce qu'il a conscience du pouvoir créateur de l'emprunt, plus que par simple esprit de provocation pure qu'un artiste comme William Burroughs par exemple a pu déclarer dans un ouvrage intitulé “Les voleurs” :
“A bas l'originalité , le stérile et tyrannique ego qui emprisonne comme il crée. Vive le vol ­ pur, sans honte, total. Nous ne sommes pas responsables. Volez tout ce qui est en vue”. Il déclare aussi, à propos de la méthode du fold­in qui est une méthode complémentaire du cut­up : “Que fait un écrivain sinon choisir, annoter et réarranger un matériau mis à sa disposition ? ­ la méthode du fold­in donne littéralement à l'écrivain d'infinies possibilités de choix ­ Prenez par exemple une page de Rimbaud repliée sur une page de saint John Perse (...) De ces deux pages un nombre infini de combinaisons et d'image est rendu possible ­ la méthode pourrait également provoquer une collaboration à une échelle sans précédent entre les écrivains afin de produire des oeuvres qui représenteraient l'effort conjugué d'un grand nombre d'écrivains vivants et morts.”
Ce type d'argument fait ressurgir le deuxième sens étymologique du mot auteur, celui qui s'est effacé derrière la notion d'autorité et qui donne lieu à la conception Romantique de l'auteur source unique de son oeuvre. Ce sens est celui d'»augmentateur», «celui qui accroît», qui ajoute un élément à un édifice déjà existant. Le concept d'originalité, pour ce type de pensée, peut­être considérée comme un 2. Centon : ouvrage fait d'un mélange de morceaux empruntés. Pastiche : toute oeuvre d'imitation où l'on reproduit le style d'un artiste. Parodie : oeuvre d'imitation qui détourne les intentions de l'oeuvre originale dans une intention satirique.
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leurre, une chose impossible à réaliser sachant que originalité fait référence à une création dont l'unique source est son auteur et qu'elle rejette le champ de connaissances, les emprunts conscients ou inconscients dont se nourrit une œuvre. Pour Rosalind Krauss3, le thème de l'originalité constitue ce qu'elle appelle " le point invariant " des mouvements d'avant­garde, qui s'exprime par leur quête incessante du nouveau, qui est ce qui caractérise les mouvements d'avant­garde avec le rejet de la tradition. Pour les avants­garde, selon Rosalind Krauss, l'originalité s'entend dans son premier c'est à dire comme un commencement à partir de rien, une naissance ex­nihilo. Dans ce contexte, le " moi " de l'artiste, c'est à dire son individualité, sa subjectivité, "est préservé de la contamination de la tradition par une sorte de naïveté originaire". La recherche de l'originalité, de création à partir de rien, est censée préserver la subjectivité de l'artiste des influences de la tradition dont il cherche justement à faire table rase. Pour éclairer son propos, Rosalind Krauss prend l'exemple de la figure de la grille dans la pratique avant­gardiste des arts visuels : "Pour ceux qui imaginaient l'art commencer dans une sorte de pureté originaire, la grille était l'emblème du pur désintéressement de l'oeuvre d'art, de son absence totale de finalité, promesse de son autonomie". Elle montre finalement que cette recherche de l'originalité par la grille ne débouche que sur une série de répétitions et de récurrence donc sur quelquechose qui va à l'encontre du résultat escompté qui était la nouveauté. Elle isole deux types de répétitions.
Celui de la méthode d'abord : la grille en tant que surface quadrillée image d'un commencement absolu, fut ainsi entreprise et redécouverte successivement par les artistes de l'avant­garde. Premier type de répétition.
Celui de la forme ensuite : puisque la grille ne s'avère efficace qu'en tant qu'emblème de la liberté. En tant que réalité picturale, elle n'autorise en fait qu'une liberté restreinte, et à partir du moment où les artistes se sont soumis à cette structure, leur travail s'engage dans la voie de la répétition.
Il ne s'agit pas d'un jugement de valeur que porte ici Rosalind Krauss, elle cherche simplement à souligner que l'originalité est un concept fabriqué et non une réalité artistique, et ce qu'elle veut dire c'est qu'on ne peut pas fonder une recherche artistique sur la recherche de l'originalité. Jacques Soullilou4, pour sa part, expose comment la recherche à tout prix de l'originalité pourrait constituer un frein à la création. Il donne deux exemples. Le premier est issu de la postface d'un ouvrage de Marc Petit qui rapporte l'histoire suivante : Un “homme qui, saisi vers sa vingtième année , à la lecture de Faust, d'une intuition géniale, s'interdit de la communiquer par écrit avant de s'être assuré que personne n'a eu la même idée que lui. Il commence sur le champ son enquête et la termine soixante ans plus tard, ayant lu la totalité des douze mille ouvrages consacrés à Goethe. Le jour où il conclut ses recherches est le plus beau de sa vie, car il constate que son idée était absolument originale. Il se met aussitôt à 3 cf. bibliographie
4 cf. bibliographie
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l'oeuvre...et meurt avant d'avoir achevé de rédiger la première page de son mémoire.”
Le deuxième est l'histoire d'un Roman d'Henry Miller, Le tropique du cancer, qui est en fait la même histoire que la précédente, qui emprunte en tout cas la même trame narrative, puisqu'il s'agit de celle d'un écrivain nommé Van Norden qui décide avant de commencer à écrire son livre, de lire “auteur après auteur afin d'être absolument sûr qu'il ne va pas fouler les plates­
bandes.”
De ces petites histoires se dégage la notion de censure, d'autocensure de l'auteur qui cède à la tentation d'atteindre à la véritable originalité, alliée à une peur castratrice dans le cas de Van Norden de rencontrer, dans ses lectures, le livre qu'il aurait voulu écrire. Jacques soulillou décrit avec ces histoires, la situation spécifique dans laquelle se trouve l'artiste dans le monde occidental : L'artiste se trouverait suspendu à un fil tendu dans le vide entre le “déjà­fait” et le “jamais­fait”. Le “jamais­fait” est ce qui fait avancer l'artiste sur ce fil, mais il doit pour cela avoir accepté l'existence de ce qui a été “déjà­fait”. L'expérience du vide qui se situe entre ces deux extrêmes est celle de l'acceptation du risque de ce que redoute Van Norden, de l'acceptation de ce que lui, refuse et qui fait qu'il ne sera jamais un créateur, celui d'être confronté à l'existence de ce que l'on aurait voulu produire. Soulillou souligne que cette tension n'existe pas ailleurs que dans la culture occidentale. Dans d'autre cultures, le “déjà­fait” n'est pas marqué du sceau de l'infamie et le “jamais­fait” est considéré comme un rêve absurde, voir un sacrilège. Dans la société occidentale, on ne pardonne pas au plagiat de dire aussi crûment la vérité et faire apparaître de manière aussi fictive la place de l'auteur puisqu'il exprime avec une violence inouïe ce que toute oeuvre s'efforce de dissimuler, ce réseau par lequel elle est irriguée des apports d'une multitude d'autres oeuvres. Or, être auteur, pour Soulillou, c'est accepter le risque qu'engage tout acte de création de n'être pas unique, mais au contraire, redite ou “remake” d'une chose déjà dite ou déjà faite. Il met donc en avant une contradiction fondamentale qui existe dans le système juridique occidental dans lequel sont adossés le droit de l'art d'une part, le droit à la création qui ouvre le champ des possibles et le droit de l'artiste d'autre part qui le restreint.
Lorsque Jeff Koons, nous dit­il, clame au nom de l'art son droit à disposer de telle photographie à partir de laquelle il fit exécuter “String of Puppies”, il entre en contradiction avec son propre statut d'artiste muni de droits, lui permettant à son tour et le cas échéant, de saisir la justice. (La sculpture de Jeff Koons était directement inspirée d'une photographie d'Art Rogers, qui gagna d'ailleurs le procès).
La situation de l'artiste est donc au centre d'une contradiction : l'artiste qui s'approprie tout ce que lui commande son désir pour servir l'acte de création mais qui se replie derrière l'écran protecteur du droit pour s'approprier tout ou partie de ses productions. Certains artistes, comme Bernard Bazile, ont d'ailleurs perçu cette contradiction, et s'ils font usage de l'emprunt au nom d'une logique créative qui en dépend, ils refusent d'adhérer à une quelconque société de protection des auteurs5. Cette contradiction est insoluble dans la mesure où le droit des artistes à protéger le produit de leur travail n'est pas contestable, mais est antinomique avec la revendication concomitante, qui n'est plus seulement de nature juridique, de la revendication d'autonomie du geste artistique vis à vis de la loi et de son impunité au cas où il attenterait aux droits d'autres artistes. Il est bien sûr impossible de connaître toutes les oeuvres de la création, et pourtant les artistes ne peuvent faire valoir cette impossibilité pour se mettre à l'abri d'un accusation de plagiat. 5 Référence extraite de la contribution de Catherine Millet dans Copyright/Copywrong (cf. bibliographie)
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Or comment l'accusateur peut­il avoir l'assurance d'être l'origine absolue et non dérivée d'une oeuvre antérieure ? Parce que personne ne l'a accusé, mais ce n'est pas une preuve...
Il n'y a donc pas de solution à cette contradiction sauf à imaginer, une fusion de l'artiste au sein de la société, qui abandonne de fait la protection de son oeuvre en tant de production individuelle.
La question essentielle consiste à se demander jusqu'où l'artiste est prêt à sacrifier son propre droit jusqu'au point où celui­ci se retourne contre lui, dans l'incarnation d'un autre artiste qui s'approprie, parodie ou contrefait sa propre oeuvre ? Et l'artiste qui irait jusqu'au bout de cette situation serait­il encore considéré comme un artiste, comme un auteur par la loi ? Ce document est réalisé avec OpenOffice.org sous Debian Gnu/Linux.
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