Sakountala de Marie-Claude Pietragalla
Transcription
Sakountala de Marie-Claude Pietragalla
Sakountala de Marie-Claude Pietragalla Sakountala premier grand spectacle en deux actes et douze tableaux de Marie-Claude Pietragalla, a été créé le 18 octobre 2000 au Dôme de Marseille. Après sa première chorégraphie Corsica qui l’avait rendu célèbre du jour au lendemain, et Vita également sur des musiques du chanteur corse Petru Guelfucci, la danseuse étoile s’attaquait à une création d’une toute autre envergure, par son thème et ses dimensions. Sakountala évoque le pathétique internement de Camille Claudel pendant trente ans dans un hôpital psychiatrique, où elle évoque son passé entre tourments et lucidité. Aucune danseuse ne pouvait mieux que Pietragalla incarner cette artiste dont on redécouvre aujourd’hui le génie à travers ses sculptures, éclipsées de son vivant par l’écrasante personnalité de Gustave Rodin. Le rôle était fait pour elle, et le spectacle s’est construit autour d’elle avec les conseils d une solide équipe, principalement composée de Jeanne Fayard, spécialiste de Camille Claudel, Michel Archaimbaud pour la dramaturgie, Philippe Plancoulaine auteur de la monumentale scénographie et Pierre-Alexandre Mati qui a composé la musique originale du ballet. Marie-Claude Pietragalla Au Dôme de Marseille Sakountala nous avait étonnés par les audaces et la maîtrise de Marie-Claude Pietragalla, par la puissance de sa vision des Portes de l’Enfer et des monstres qui viennent hanter Camille dans son enfermement. L’idée de mêler des acrobates aux danseurs était remarquable, et si certains passages semblaient inégaux par manque de temps ou d expérience, le spectacle -coproduit par Les Gémeaux de Sceaux et La Coursive de La Rochelle- s’avérait des plus prometteurs. Depuis la création, Marie-Claude Pietragalla a retravaillé son ballet, gommé certaines erreurs et mieux équilibré la structure générale de l’œuvre. Sakountala a gagné en qualité, mais la chorégraphe est en partie trahie à Paris par les vastes dimensions du Palais des Congrès. La scène est trop large et le rapport avec le public froid et distant. Les scènes d’intimité du premier acte se perdent dans l’espace, le mouvement traîne en lenteur (les distances étant peut-être plus longues à parcourir !), et les scènes de foules qui s’agitent en tous sens dispersent l’attention, ou semblent se répéter comme si on en avait rajouté pour remplir l’immense plateau. Et pourtant Sakountala possède d indéniables qualités, des effets spectaculaires, et une invention qui dépasse bien des créations vues à Paris ces derniers temps ! Après un prologue représentant l’enfance insouciante de Camille et Paul son frère adoré, des damnés à demi-nus, escaladent tortueusement la haute paroi qui ferme le fond de la scène pour composer Les Portes de l’Enfer, une scène inoubliable et l’un des moments les plus forts du spectacle. Au sommet, Julien Derouault, crane rasé, torse nu et longue robe-pantalon noire incarne une Mort diabolique qui s’impose par sa carrure et sa puissance. Du centre du mur, des portes s avancent et s écartent pour révéler la cellule capitonnée de Camille la folle. On ne peut imaginer plus belle et plus pathétique héroïne que Marie-Claude Pietragalla. La scène est d’une grande intensité dramatique et la danseuse interprète un solo remarquable par son originalité et son caractère totalement en situation. Suit un très lyrique duo avec son frère Paul, Julien Lestel excellent danseur et partenaire dont on admire l élégance dans un solo qui déjà se perd dans l immensité du sombre plateau. Axelle Trinchero campe avec autorité une mère terrifiante qui prend des dimensions gigantesques dans l’esprit de Camille, rôle plus mimé que dansé, tandis que Thierry Hauswald parvient difficilement à s’imposer dans le rôle ingrat du père. Les scènes de folies sont excellentes avec ces monstres qui jaillissent de partout, tombant des cintres ou rampant à terre, crevant la cellule de Camille terrifiée par ses visions et l’image de la Mort. Les acrobates composent également des tableaux impressionnants, suspendus dans les cintres comme de gros cocons, ou drapés dans de longs voiles, à la Nikolaïs, symbolisant des sculptures en devenir, marbres à l’état d’ébauche, que caresse Camille amoureuse de son travail. Si Pietragalla incarne une malade agitée et tourmentée au premier acte, elle a l’intelligence de composer une Camille différente au second acte, prostrée, perdue dans ses rêves, modelant un tas de glaise, cherchant à créer, avec patience d’abord puis avec rage, détruisant tout ce qui ne lui donne pas satisfaction. Tandis qu elle s’obstine et cherche, ses plus belles créations s’animent derrière elle : Sakountala doublement représenté par un harmonieux couple de danseurs enlacés (Delphine Boutet et Fabio Grossi) au centre du plateau, et par deux trapézistes encastrés dans le mur comme des bas reliefs (Katrin Wolf et Romulo Gonzales). Puis les intarissables Causeuses assises prennent vie ainsi que La Valse et La Clotho. Marie-Claude Pietragalla D.R Tout s’agite et se brouille ensuite: les Bourgeois de Calais, les fous de l’asile psychiatrique, la trépidante bande à Rodin et les infirmiers qui dans l’esprit déréglé de l’héroïne prennent des allures de derviches à longues robes blanches. Et toujours la Mort omniprésente qui la hante, son cher Paul qui revient, la mère qui passe et le père qui trépasse. Des trapézistes se balancent dans les cintres, des danseurs s’éparpillent dans la salle et rampent sur les bords du plateau. Tout s agite fébrilement autour de Camille épuisée, qui agonise sur un fauteuil roulant et se traîne à genoux vers la mort dans la pause pathétique de L’Implorante. On aimerait finir sur cette belle et émouvante image, mais grand spectacle oblige, une valse finale réunit tous les danseurs et acrobates qui portent l héroïne à bout de bras, tandis que son âme monte vers les portes du Paradis cette fois ! Le Palais des Congrès n est pas le lieu idéal pour découvrir la création de Pietragalla. Sakountala n’y a pas trouvé son équilibre et son rythme. La musique -le violoncelle tout particulièrement- y prend une ampleur démesurée, mais pluie, orages, décor et ciel y sont magistralement mis en valeur. Le public peut surtout admirer une magnifique Pietragalla, totalement identifiée à son personnage, et de spectaculaires scènes de monstres grouillant de haut en bas et de long en large, sans oublier la bouleversante voix de Suzanne Flon, citant Camille Claudel, et deux excellents danseurs; le romantique Julien Lestel et l’athlétique Julien Derouault. René Sirvin 11 Avril 2002