Dossier de presse

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Dossier de presse
CONFÉRENCE DE PRESSE
25 mars 2015
PROPOSITION DE LOI SUR LE
DEVOIR DE VIGILANCE
SOMMAIRE
• INTRODUCTION
• PROPOSITION DE LOI
Le devoir de vigilance des sociétés mères et
des entreprises donneuses d’ordre
• DES ÉTAPES À VENIR
Une vigilance accrue de nos organisations
INTRODUCTION
L’examen en session plénière de l’Assemblée Nationale de la proposition de loi sur le
devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre aura lieu le
30 mars prochain.
Nos organisations - Amnesty International France, les Amis de la Terre, le CCFD-Terre
solidaire, la CFE-CGC, la CFDT, la CFTC, la CGT, le collectif Éthique sur l’étiquette, le
Forum citoyen pour la RSE, la Ligue des Droits de l’Homme, Peuples Solidaires–
ActionAid France et l’association Sherpa – mobilisées depuis de nombreuses années sur
ce sujet souhaitent rappeler deux messages essentiels :
 Cette proposition de loi bien qu’incomplète est un rendez-vous historique
pour notre pays et dans l’optique d’une évolution concrète des règles de la
mondialisation. Il serait incompréhensible pour nos organisations que le devoir de
vigilance ne soit pas traduit en droit français.
 Nos organisations resteront mobilisées pour que l’essai soit transformé.
Le 30 mars ne marque pas la fin de la mobilisation mais bien le commencement
d’un long processus. Celui-ci devra conduire à la mise en place effective d’un
devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre sur
leurs activités en France et à l’étranger. Cette première étape française pourrait
constituer parallèlement aux efforts d’autres pays un socle pour construire des
règles européennes et internationales ambitieuses sur le sujet.
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PROPOSITION DE LOI
Le devoir de vigilance des sociétés mères
et des entreprises donneuses d’ordre
LE CONTEXTE
Le 17 juin 2011, le Conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies adoptait des
"principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme ". Cette adoption à
l’unanimité est, à juste titre, considérée comme un évènement majeur pour la protection
des droits de l’Homme et pour l’évolution du concept de Responsabilité sociétale des
entreprises (RSE).
Il a fallu 18 ans pour arriver à ce résultat.
L’idée a été lancée par la conférence mondiale des droits de l’Homme de Vienne, dès
1993. L’enjeu était d’entraîner les entreprises à s’engager au service du respect des droits
de l’Homme.
En juin 2005, le Conseil des droits de l’Homme mandate, le professeur John Ruggie en
tant que "Représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies pour les droits de
l’Homme, les entreprises transnationales et autres entreprises".
En juin 2008, John Ruggie a fait adopter par le Conseil des principes (mise en œuvre du
cadre de référence « protéger, respecter et réparer ») afin d’ancrer le débat sur les
entreprises et les droits de l’Homme :
 Obligation de protéger incombant à l’État, lorsque des tiers, y compris des
sociétés, portent atteinte aux droits de l’Homme ;
 Responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’Homme ;
 Nécessité d’un accès plus effectif à des mesures de réparation pour les
victimes.
Des principes directeurs pour les entreprises et les droits de l’Homme sont adoptés par le
Conseil des droits de l’Homme en juin 2011 autour de trois « piliers » : protéger,
respecter, réparer, avec :
 L’affirmation du rôle central de l’État dans la protection et la promotion des droits
de l’Homme vis-à-vis des entreprises ;
 La priorité donnée à l’approche par les risques ;
 La responsabilité des entreprises étendue à la chaîne de valeur ;
 Le droit international écrit et obligatoire des droits de l’Homme et du droit du
travail pris comme référence.
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Depuis lors, nos organisations militent pour que ces principes soient traduits dans la loi
française, et notamment le devoir de vigilance des multinationales.
Le 30 mars prochain, la France a la possibilité d’inscrire enfin ce devoir de vigilance des
multinationales dans le droit comme les principes le préconisent.
La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises
donneuses d’ordre constitue une avancée historique. La France ne sera d’ailleurs pas le
premier pays à avancer dans cette direction. Des principes analogues ont déjà été
transposés dans des législations nationales en Europe ou à l’international.
À L’INTERNATIONAL
Voici quelques exemples qui prouvent qu’une telle législation n’entrave pas le
dynamisme de l’économie.
L’Espagne a, par exemple, transposé les principes directeurs. D’autres pays ont
également mis en place des dispositions qui recouvrent partiellement le champ de la
responsabilité mère/filiales.
 Espagne
Le plan national d’adaptation des principes directeurs des Nations-Unies est très
ambitieux. Il s’applique à des sociétés domiciliées en Espagne mais ayant des activités en
dehors du territoire. Le plan recommande d’élargir les compétences du procureur s’il
existe suffisamment de preuves que la société mère a été impliquée dans des violations
de droits humains.
 Royaume-Uni
L’adoption du « UK Bribery Act et Foreign Corrupt Practices act » pose le principe
d’infraction quand les personnes morales ne remplissent pas leur obligation de vigilance
en matière de corruption. La société mère n’est donc pas responsable pour l’acte de
corruption en lui-même, mais a la responsabilité de ne pas avoir fait le nécessaire pour
éviter qu’un acte intentionnel de corruption soit commis par une personne physique
agissant en son sein.
 Suisse
Dans l’article 102 du Code Pénal, la responsabilité de l’entreprise peut être engagée « en
raison du manque d’organisation de l’entreprise » et s’il lui est « reproché de ne pas avoir
pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher une
telle infraction ».
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 Italie
Le pays a promulgué, le 8 juin 2001, un décret-loi qui impose aux personnes morales une
responsabilité administrative au titre de l’infraction de corruption transnationale.
 Canada
L’article 217.1 du Code criminel stipule qu’une société a l’obligation légale de faire preuve
de diligence raisonnable, pour protéger ses employés et la population contre le risque de
dommage corpore,l et de prendre des mesures raisonnables, pour assurer leur sécurité.
En cas de blessure grave ou de mort, une société peut être tenue criminellement
responsable si « la haute direction » n’a pas empêché une violation par un de ses
« représentants », ou a incité un de ses « représentants » à commettre un délit, avec ne
serait-ce qu’une intention partielle d’en faire bénéficier l’organisation. Cette définition
étend la responsabilité de la société au-delà de ses propres frontières juridiques, pour
inclure ceux avec qui elle travaille.
 États-Unis
Depuis 1789, l’Alien Tort Claim Act (ATCA) permet la compétence des juridictions
américaines, pour des recours en responsabilité civile engagés par des citoyens nonaméricains victimes de dommages commis à l’étranger, et à l’encontre de personnes
situées sur le sol américain. Cette loi a été utilisée plusieurs fois à l’encontre de filiales et
sous-traitants d’entreprises transnationales domiciliées aux États-Unis, pour des
dommages ou violations ayant eu lieu en dehors du territoire américain.
LE DEVOIR DE VIGILANCE : DANS QUELS CAS ?
Si le devoir de vigilance était déjà inscrit dans les lois des pays d’origine des
multinationales, sa mise en œuvre aurait permis de prévenir des situations très
différentes ou de remédier aux dommages causés : catastrophe écologique, incendie
meurtrier, soutien à des régimes politiques controversés... Voici quelques exemples :
 3 décembre 1984 – Inde - Catastrophe de Bhopal
Explosion d'une usine d'une filiale de la firme américaine Union Carbide produisant
des pesticides, dégageant 40 tonnes d’isocyanate de méthyle dans l'atmosphère. La
pollution engendrée par les produits chimiques encore présents sur le site de l'usine,
aujourd'hui désaffecté, reste une menace sanitaire.
Bilan : 10 000 morts en 3 jours ; des centaines de milliers de personnes intoxiquées.
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 12 décembre 1999 – France - Naufrage de l'Erika
Le pétrolier battant pavillon maltais, affrété par la société Total fait naufrage au large
de la Bretagne, lors d'un transport de 30 884 tonnes de fioul lourd provoquant une
marée noire, véritable catastrophe écologique.
Bilan : 40 km de côtes souillées ; 371,5 millions d'euros de préjudice écologique.
 19 août 2006 – Côte d’Ivoire - Déchargement de déchets toxiques du Probo
Koala
Acheminement par un navire pétrolier, affrété par la société suisso-hollandaise
Trafigura, de déchets en Côte d'Ivoire. Des centaines de tonnes de déchets toxiques
ont été répandus à terre provoquant des émanations de gaz mortels.
Bilan : 17 morts ; plus de 100 000 personnes empoisonnées.
 24 novembre 2012 – Bangladesh - Incendie meurtrier de l’usine Tazreen
L’incendie de l’usine textile a provoqué la mort des ouvrières enfermées dans l’usine
qui produisaient des vêtements pour plusieurs marques internationales (C&A, El Corte
Ingles, Disney...)
Bilan : 112 ouvrières mortes brûlées ou défenestrées ; 120 blessées.
 24 avril 2013 - Bangladesh - Effondrement du Rana Plaza
Effondrement de l’immeuble Rana Plaza à Dacca, qui hébergeait plusieurs usines de
confection textile employant plus de 4000 ouvriers produisant pour des marques
internationales de vêtements telles qu’Auchan, Camaïeu, ou Benetton.
Bilan : 1138 morts ; 2000 blessés.
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DES ÉTAPES À VENIR
Une vigilance accrue de nos organisations
Nos organisations saluent l’étape historique que pourrait constituer l’adoption de la loi sur
le devoir de vigilance. Elles n’en seront pas moins vigilantes sur les prochaines
échéances.
En effet, des progrès restent à accomplir.
En ce sens, nos organisations resteront mobilisées pour faire évoluer les seuils prévus
dans la proposition de loi. En effet, en l’état ils excluent de trop nombreux cas de
violations rencontrés par nos organisations sur le terrain (par exemple, le cas de
Camaïeu concerné par l’effondrement du Rana Plaza ou des sociétés extractives
françaises telles que Perenco).
Par ailleurs, le renvoi à un décret d’application nous conduit à la plus grande vigilance
concernant sa rédaction. Les risques de non-publication ou de dilution de l’obligation
sont réels. Nous devrons donc veiller au bon déroulement de cette étape cruciale vers
l’effectivité du devoir de vigilance des multinationales.
Enfin, nous souhaitons attirer l’attention de tous sur le risque de voir apparaître des
amendements qui affaibliraient considérablement le texte actuel. De plus, le passage
au Sénat sera compliqué eu égard aux positions et votes des députés de l’opposition
dans les commissions des lois et développement durable.
Le 30 mars ne marque pas la fin de la mobilisation mais bien le commencement
d’un long processus. Celui-ci devra conduire à la mise en place effective d’un devoir de
vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Nos préconisations sur la proposition de loi déposée le 11 février 2015 :
 Au-delà du simple établissement du plan, il faut donner le pouvoir au juge
d'exiger la mise en œuvre effective de cette obligation de vigilance. Il doit
pouvoir demander à l'entreprise la preuve qu'elle respecte bien cette obligation.
Pour inclure l’ensemble de la chaine de sous-traitance et pas uniquement les
fournisseurs ou sous-traitants de rang 1 avec lesquels le donneur d’ordre aurait
un contrat établi, il est nécessaire de faire référence aux relations commerciales
qu’elles soient directes ou indirectes.
 Il faut rendre possible l’accès à la justice pour les victimes et ne pas faire mention
des articles 1382 et 1383 du code civil : aujourd’hui, pour avoir accès à la
réparation, les victimes doivent prouver non seulement le manquement de la
multinationale à son obligation de vigilance, mais aussi le lien de causalité avec
le dommage.
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 La plupart des cas de violations rencontrés par nos organisations ne sont pas
couverts par le seuil 5 000 salariés en France / 10 000 salariés dans le monde. Il
semblerait plus juste d’utiliser le seuil de référence, à savoir celui de la directive
européenne sur le reporting extra financier, qui est de 500 salariés, avec un
séquençage progressif (1ère année : 5 000 salariés, 2e année : 2 000 salariés, 3e
année : 500 salariés). Il faudrait notamment que la législation couvre les
entreprises exerçant dans des secteurs à risque, tels que l’extractif, le textile ou
le BTP, par exemple.
 Les syndicats doivent figurer parmi les personnes ayant intérêt à agir dans le
point II de l’article 1er. Actuellement seules les associations sont citées.
 Nos organisations souhaitent à terme une modification de la loi pour que le
devoir de vigilance soit effectif pour tous les types d’entreprise. Il est fort
inquiétant de pouvoir envisager le contournement de ce type de dispositif par
l’intermédiaire d’une modification de statut juridique. Pour le moment, les
sociétés sous statut de SAS (Société par actions simplifiée) ne sont pas
concernées, alors que ces sociétés sont de plus en plus nombreuses.
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