Demeurer dans l`amour - Eglise protestante de Bruxelles
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Demeurer dans l`amour - Eglise protestante de Bruxelles
Demeurer dans l'amour 1 Jean 4, 16~21 « Dieu est amour, celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu en lui demeure. » Lorsque j'étais étudiant en théologie, un de nos professeurs d'exégèse nous a enseigné une technique d'analyse des textes tout à fait intéressante et pertinente, non seulement pour étudier la Bible, mais également pour tout autre corpus, y compris pourquoi pas des discours politiques. Sa théorie partait de la constatation que les verbes, parce qu'ils décrivent les actions (à part les verbes d'état), sont les éléments qui font avancer le discours en permettant à la pensée ou à l'action de se développer, d'évoluer. Selon lui, il y a donc trois temps, ou plus exactement trois situations qui se retrouvent pour chaque verbe. Il y a l'avant du verbe, il y a le pendant le verbe, et il y a l'après du verbe. Avant tout verbe, il y a une situation initiale donnée, plus ou moins explicite. Pendant le verbe, il y a une action qui se déroule, et la situation initiale est en voie de transformation. Après le verbe, il y a une situation nouvelle créée par l'action du verbe. Situation finale qui n'est que la situation initiale du verbe suivant. Et ainsi de suite. Prenons par exemple ce culte. Avant le culte, chacun, nous étions chez nous ou ailleurs, mais pas ici. Puis vient le temps du culte où nous sommes ensemble ici. Ensuite viendra l'après-culte. Nous repartirons en un ailleurs, peut-être le même que ce matin. Quel que soit le lieu où nous irons, nous ne serons plus tout à fait les mêmes. La célébration du culte nous aura transformés. Ce que nous y aurons vécu aura changé quelque chose de notre vie. Si nous avions fait autre chose, nous aurions été transformés... autrement. Cette accumulation de changements, d'évolutions fait que nous ne sommes jamais semblables d'un jour à l'autre. Tant qu'il y a de la vie, la permanence n'existe pas. Comme le disait le bouddha, la seule chose qui ne change pas, c'est le changement. Partant de ce postulat, notre professeur nous montra que dans beaucoup de récits ou de discours, il y a un verbe qui revient trois fois, et trois fois seulement. Ce verbe exprime le centre du discours en ce qu'il est son axe d'évolution, la charpente autour de laquelle peut se développer l'avant et l'après. Bien souvent, les spécialistes des discours font des études statistiques quant au vocabulaire utilisé par un orateur ou un rédacteur. Tel mot est revenu tant de fois dans le discours de untel ; ceci est le mot le plus utilisé, c'est donc là qu'est le cœur du message. Tel autre terme était absent ; cette omission est au moins aussi significative que le cas précédent. Et ainsi de suite... Lors des campagnes électorales, ces analyses sont fréquentes. Mais elles ne disent pas tout du discours, car elles font la part belle aux substantifs et laissent de côté les verbes qui semblent moins significatifs, alors qu'ils le sont peut-être davantage, comme je viens d'essayer de le montrer. Demeurer dans l’amour Page 1 Revenons au passage de l'épître de Jean. Le terme qui revient le plus, à première lecture, est l'amour. C'est d'ailleurs le titre de ce paragraphe dans ma traduction : Dieu est amour. Il revient à quatorze reprises : Dieu est amour, celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Celui qui n'a pas d'amour pour son frère ne peut pas aimer Dieu puisqu'il voit l'un et pas l'autre ; celui qui aime Dieu doit aussi avoir de l'amour pour son frère. De très beaux commentaires ont été écrits sur ce thème. De nombreuses et belles prédications ont été données sur l'amour qui vient de Dieu, amour de Dieu pour nous, amour que nous avons les uns pour les autres et qui nous unit. Cependant, il est un verbe qui revient trois fois et trois fois seulement. C'est sur lui que je voudrais que nous nous arrêtions. Peut-être est-il la pointe de ces quelques versets. « Celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu en lui demeure. » Demeurer, verbe d'état qui n'exprime donc ni changement ni évolution ? Pas si sûr ! En grec, il s'agit du verbe menw. Mon dictionnaire m'indique en premier lieu qu'il a pour sens être fixe, être stable. L'amour amène une grande stabilité puisque quiconque aime demeure en Dieu. Or, s'il en est un qui est stable, c'est bien Dieu en son empyrée, son royaume où tout est immuable à son image, notamment son amour éternel. Il n'est pas comme les amours humaines qui varient, fluctuent, qui naissent et parfois meurent, qui s'en viennent et s'en vont. L'amour de Dieu est comme lui : immanent, mais aussi permanent et éternel. C'est à cet amour que nous sommes appelés. « Celui qui est stable dans l'amour est stable en Dieu et Dieu l'emplit de sa stabilité. » À part Dieu, quoi de plus stable qu'une habitation ? Menw, par extension, signifie donc demeurer, habiter. Nous voici dans l'intériorité, intériorité de l'être. Stabilité et intériorité de l'amour. L'amour est stable en ce qu'il est avant tout une relation d'intériorité et ne se laisse pas influencer par les apparences. Dieu connaît le cœur de chacun, c'est pourquoi son amour se déploie infiniment en tout temps. Dieu nous connaît, et dans la Bible connaître c'est aimer, car c'est découvrir l'autre, au-delà des apparences, dans l'intériorité de son être. Lorsque Jésus dit à ses disciples « le Royaume est parmi vous », il dit en vérité que le Royaume de Dieu est en eux. Voici que l'empyrée est en chaque cœur de ceux qui croient et qui aiment. « Celui qui est stable parce qu'il demeure dans l'amour est stable en Dieu, car il habite dans le cœur de Dieu et Dieu emplit son cœur de son amour immuable. » Intériorité, j'allais presque dire enfouissement de l'amour, et stabilité. Demeure et demeurer, substantif et verbe d'un état et d'état. Tout serait-il ainsi définitif ? Non, car menw a un autre sens. Comme pour le français demeurer, ce verbe désigne aussi bien la résidence avec pour synonyme habiter, que rester là... en attente. Demeurer, c'est attendre. Demeurer dans l’amour Page 2 L'attente peut être vécue de deux façons : soit passivement, soit avec espérance. Attente figée lorsque celui ou celle qui attend ne fait rien d'autre qu'attendre. L'immuabilité se transforme alors en immobilité, et la stabilité en rigidité. En ce sens, celui ou celle qui attend est au centre d'un vide qu'en fin de compte rien ne pourra venir combler. Cette attente est vaine et désespérante. Attendre se conjugue également à la forme pronominale et devient alors s'attendre à. Et là, un frémissement de vie se laisse ressentir. S'attendre à, c'est comme devenir acteur de l'attente et ne plus seulement la subir. S'attendre à, c'est presque déjà faire advenir la chose. Voici que le verbe d'état perd cette fonction pour se transformer en verbe d'active. Menw recouvre aussi ce champ lexical puisqu'il signifie s'attendre à, désirer, souhaiter, ou encore espérer. Par la magie d'un seul verbe qui jusque -là semblait simplement décrire un état, voilà que tout bascule en ouvrant sur le désir c'est-à-dire sur la vie en mouvement, en changement, en évolution voire en révolution, et sur l'espérance. « Celui qui s'attend à l'amour – qui désire l'amour s'attend à Dieu – désire Dieu et Dieu s'attend à lui – et Dieu le désire. » Ou dit autrement : « Celui qui espère l'amour espère Dieu et Dieu l'espère. » S'il est bien question de l'amour en ce passage de l'épître de Jean, par la triple répétition du verbe demeurer et la triple signification du verbe grec présent dans le texte originel (stabilité de cet amour à l'image de celui qui vient de Dieu, intériorité de l'amour comme l'est le Royaume de Dieu dans le cœur du croyant, et espérance), c'est du cheminement de la foi en chacun dont il est parlé. Par le baptême d’Agathe, nous n’avons rien fait d’autre que de lui signifier cet état qui n’est pas d’immobilité mais d’espérance, cette voie tout intérieur qui l’appelle de l’extérieur puisque c’est Dieu, à travers ses parents, qui lui a adressé une parole d’amour. Martin Luther disait en son temps que la vie du chrétien n’est rien d’autre qu’un baptême quotidien. Chaque matin, se remettre dans cette position du petit enfant qui ne peut rien faire d’autre qu’espérer l’amour, et ce faisant le recevoir puis à son tour le donner. Et Dieu sait combien l’enfant est prêt à donner de l’amour si tant est qu’il en est reçu… au-delà de toute espérance. C'est par cet amour et dans cette espérance que la foi peut être toujours vivante en chaque croyant. Puisse-t-elle, avec l’amour, le demeurer longtemps, en tous les sens de ce verbe. Bruneau Joussellin Bruxelles-Musée, Le 07 juin 2015 Demeurer dans l’amour Page 3