la notion de force majeure
Transcription
la notion de force majeure
LA NOTION DE FORCE MAJEURE : Isabelle de Taddéo Janvier 2005 Règle élémentaire d’équité qui veut qu’en présence de circonstances exceptionnelles, l’application classique de la règle de droit soit modifiée, sous peine de conduire à un résultat inique , la notion de force majeure implique que dans des circonstances exceptionnelles, on écarte la responsabilité qui aurait normalement dû être retenue, vu la règle de droit applicable. La force majeure répond classiquement à trois critères : extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité. Pourtant, depuis quelques années, la jurisprudence retient parfois la force majeure, alors même qu’il n’existe qu’un seul ou deux des trois critères traditionnels. En conséquence, Anton MATTÉI a cherché d’autres critères pour la force majeure. S’agissant du critère de l’extériorité, M. MATTÉI affirme qu’il ne s’agit plus d’un élément substantiel de la qualification de la force majeure, puisqu’il ne permet pas d’apprécier le comportement du sujet face à l’évènement perturbateur. D’ailleurs, la jurisprudence ne cite plus cet élément depuis fort longtemps comme critère inhérent à la force majeure. Concernant le critère d’imprévisibilité, M. MATTÉI indique qu’on ne devrait pas se demander si l’évènement était ou non prévisible mais s’il était inévitable. En effet, retenir l’imprévisibilité revient à écarter la force majeure alors que l’évènement en cause était inévitable (exemple de l’ouragan). Cela n’étant pas souhaitable au regard des objectifs de la force majeure, il convient de retenir l’inévitabilité en lieu et place de l’imprévisibilité. Enfin, l’irrésistibilité doit être ajouté à l’inévitabilité. Le critère d’irrésistibilité requiert pour la partie qui invoque la force majeure de se poser la question de la possibilité d’exécuter son obligation contractuelle. Ce n’est que lorsque l’évènement, inévitable, rend impossible l’exécution qu’il existe selon MATTÉI des circonstances exceptionnelles qui conduisent à modifier l’application de la règle classique pour éviter un résultat inique : la force majeure doit alors être accueillie. L’analyse de MATTÉI se fonde sur la jurisprudence telle qu’elle existe depuis les années 90. Ex1 : Arrêt du 9 mars 1994 (1ère Civ. ; Cass.) : « Si l’irrésistibilité est à seule constitutive de la force majeure, lorsque sa prévision ne saurait permettre d’en empêcher les effets, il n’en n’est plus ainsi, lorsque n’ont pas été prises toutes les précautions possibles, que la prévisibilité de l’évènement rendait nécessaires ». Cet exemple illustre bien l’évolution de la jurisprudence dans sa façon d’appréhender la force majeure ; celle-ci étant dorénavant appréciée au regard du caractère évitable ou non de l’évènement et par rapport à l’impossibilité d’exécution. Ex2 : Arrêt du 1er octobre 1997 (Com. ; Cass.) : Dans une affaire relative à une agression à main armée d’un transporteur, la CA qui n’avait pas retenu la force majeure en l’absence d’imprévisibilité est censurée par la Cour de cassation : « En se déterminant ainsi, sans rechercher si par rapport aux circonstances de l’espèce, le transporteur a mis en oeuvre des mesures pour éviter cet évènement ... » Ainsi, la Cour de cassation reproche à la CA de s’être fondée sur les critères classiques de la force majeure et lui indique qu’il convient de vérifier l’inévitabilité de l’évènement pour caractériser la force majeure. 1 Ex3 : Arrêt du 17 novembre 1999 (1ère Civ. ; Cass.) : dans cet arrêt de rejet, la Cour de cassation affirme que la CA a légalement justifié sa décision, caractérisant l’existence de la force majeure, lorsqu’elle a souverainement retenu que l’évènement était irrésistible. Pour la Cour de cassation, ce seul motif suffit. L’extériorité et l’imprévisibilité sont encore exclues de la caractérisation de la force majeure. Ex4 : Arrêt du 26 juin 2001 (Com . ; Cass.) : Une manifestation d’agriculteurs dégénère en émeute. Selon les juges, cet évènement est irrésistible. Ce seul critère suffit à caractériser la force majeure. Ex5 : Arrêt du 29 mai 2001 (Com. ; Cass.) : Dans une affaire relative à l’agression d’un transporteur de marchandises. La CA avait estimé que, vu les circonstances de fait, l’évènement était irrésistible, puisque pour ne pas s’arrêter ( alors qu’il s’agissait d’un guetapens), le chauffeur aurait dû commettre une non-assistance à personne en danger. L’évènement était donc inévitable. La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu la force majeure. Il ressort de ces exemples que lorsque la jurisprudence retient l’irrésistibilité mais qu’elle estime qu’il n’y a pas inévitabilité, alors elle considère qu’il n’existe pas de force majeure. En revanche, si à l’irrésistibilité est associée l’inévitabilité, alors, la jurisprudence retient la force majeure. On peut synthétiser la position de la jurisprudence comme suit : L’irrésistibilité est le seul critère qui doit être retenu sur les trois critères classiques mais entendue comme inévitabilité. En outre, l’évènement inévitable doit rendre l’exécution du contrat impossible. En 2003, trois arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation (en date du 12 février) sont venus conforter MATTÉI dans son analyse, en reprenant un même attendu de principe, appliqué à des circonstances différentes : -1er arrêt : Dans cette espèce, un cyclone avait touché l’île de St Martin et dévasté un complexe hôtelier dont le responsable avait rompu les contrats de travail en invoquant la force majeure. La CA avait considéré le passage du cyclone irrésistible au sens d’inévitable mais ne rendait pas pour autant impossible l’exécution des contrats en cours puisqu’il ;était possible de reconstruire l’hôtel. La Cour de cassation est d’accord avec les juges du fond :« La force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de toute ou partie des obligations nées de la rupture d’un contrat de travail s’entend de la survenance d’un évènement extérieur et irrésistible ayant pour effet de rendre impossible la poursuite du contrat ». Autrement dit, si le passage d’un cyclone constitue bien un évènement inévitable, il n’existe pas d’impossibilité d’exécution des contrats de travail du fait de cet évènement. -2ème arrêt : S’agissant de l’inaptitude d’un salarié à son emploi. La Cour de cassation estime qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse de force majeure. De sorte que l’employeur ne pourra pas s’exonérer en cas de licenciement en invoquant la force majeure. 3ème arrêt : Le décès de l’acteur principal d’un film ne représente pas un obstacle à la poursuite du tournage avec un autre acteur. Il n’existe pas de force majeure rendant impossible la poursuite de l’exécution des contrats de travail des autres acteurs. 2 Conclusion : L’irrésistibilité seule suffit pour caractériser la force majeure selon la Cour de cassation. Cette irrésistibilité s’apprécie en deux temps : -l’évènement est-il ou non évitable ? S’il est inévitable, il faut alors se demander : -l’inévitabilité rend-elle impossible la poursuite de l’exécution du contrat ? N.B : En matière de transports de voyageurs par la SNCF, la jurisprudence refuse de retenir la force majeure s’agissant des agressions dans les trains, estimant que celles-ci ne sont pas inévitables. En effet, s’il y a eu agression, cela signifie pour la Cour de cassation que la SNCF n’a pas pris toutes les mesures qui s’imposaient pour éviter la survenance d’un tel évènement. -A lire : MATTÉI(A), « Ouragan sur la force majeure », JCP-G, 1 3