ThèseLAB – CoopérationsEIT

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ThèseLAB – CoopérationsEIT
Initier des coopérations inter-organisationnelles
dans les démarches d’Ecologie Industrielle et Territoriale:
une relecture en termes de sociologie de la traduction
et de la théorie des objets-frontières
Thèse pour l’obtention du Doctorat en Sciences de Gestion
Présentée et soutenue publiquement, à l‟Université Jean Moulin Lyon 3, par :
Leïa ABITBOL
1° Mars 2012
Co-Directeurs de Recherche
M. Christophe BARET
Professeur des Universités, Aix Marseille Université
Mme Françoise DANY
Professeur HDR, EMLyon Business School
Rapporteurs
M. Christian DEFELIX
Professeur des Universités, Université Pierre-Mendes-France Grenoble 2
M. François PICHAULT
Professeur, HEC- Ecole de Gestion, Université de Liège
Suffragants
M. David COURPASSON
Professeur HDR, EMLyon Business School
M. Christophe EVERAERE
Professeur des Universités, Université Jean Moulin Lyon 3
2
L‟Université n‟entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises
dans cette thèse.
Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
3
4
A Patricia et Hector, pour avoir rendu cela possible
A Jean-Sébastien, pour tous les possibles à venir
« Il y a des moments dans la vie où la question de savoir si on peut penser autrement qu‟on ne
pense et percevoir autrement qu‟on ne voit est indispensable pour continuer à regarder et à
réfléchir. »
Michel Foucault, 1997
5
Remerciements
A la fin du voyage, les mots d‟Epicure sonnent justes à mon oreille : « Ce n‟est pas tant
l‟aide de nos amis qui nous aide que notre confiance dans cette aide ». Aussi personnel que
soit l‟exercice de recherche et d‟écriture de la thèse, je n‟aurais pu le mener à bien sans
l‟appui, solide et inconditionnel, de mon entourage.
Mes premières pensées vont à Cyrille Harpet : « pèlerin » infatigable sans qui je n‟aurais
jamais fait ce premier stage, décisif, en écologie industrielle et territoriale. Sans qui, je
n‟aurais peut-être pas saisi toute l‟importance du relationnel dans ces démarches et sans qui,
sans doute, je n‟aurais pas non plus eu l‟élan d‟entamer l‟aventure doctorale.
Christophe, comment vous dire à quel point je vous remercie ? Merci de m‟avoir fait
confiance dès le début, de m‟avoir intégrée à votre équipe au sein d‟Ecologie Industrielle
Conseil, d‟avoir cru en ce projet sans presque hésiter, d‟avoir nourri mes réflexions et de
m‟avoir encouragée à l‟action. Merci d‟avoir compris l‟intérêt et les exigences de ce travail,
quel confort! J‟en profite pour remercier toutes les personnes de cet entourage professionnel
qui m‟ont aussi alimentée en matériaux et en soutien précieux: Sabrina, Grégory, Peggy,
Paul, Emmanuel, Sylvie, le réseau de l’APPEL, Laurent, Amandine, Marco et Alice.
Vous mes directeurs de recherche, comment trouver les mots justes? Françoise, tu ne
sauras évaluer à quel point j‟ai apprécié pouvoir m‟appuyer sur ton écoute attentive,
compréhensive et critique. A quel point elle m‟a donné l‟envie d‟approfondir et m‟a
encouragée à avancer, toujours. Merci Françoise. Christophe, je tiens à vous remercier pour
votre disponibilité, vos interrogations et doutes aussi parfois, mais invariablement imprégnés
d‟enthousiasme et d‟encouragements : notables alliés pour progresser. Merci à tous les deux,
cela a été un réel plaisir de travailler et d‟apprendre à vos côtés. Je souhaite également
remercier les membres de mon Comité de Suivi, David et Frank en particulier : vos avis,
commentaires et conseils ont été l‟aide exigeante et inestimable qui fait la différence. Je
n‟oublie pas les membres d’OCE dont le regard, peu familier sur mon sujet, m‟a permis de
clarifier le propos et de le rendre, j‟espère, chaque fois plus intelligible.
6
Je ne peux que remercier toutes les personnes qui ont donné corps à mes questionnements.
Toutes ces personnes qui – et elles sont nombreuses – ont accepté de me recevoir ou de me
répondre, en tout cas de m‟offrir de leur temps pour me faire partager leur vision de la chose
coopérative : représentants du monde de l‟entreprise, des collectivités et institutions,
professionnels et novices de l‟écologie industrielle et territoriale, acteurs de la Vallée de la
Chimie, de Lille, Dunkerque et Troyes, à tous, un grand merci. La compréhension des
phénomènes émergents progresse, et ici, c‟est grâce à vous.
Je tiens aussi à remercier celles et ceux qui ont activement participé à la faisabilité de cette
thèse : Bernard Forgues, Laurie, Khatira, Patricia, Fred, Clément, Greg, Franck
Aymeric le gaffeur et Josiane ainsi que Sandrine Brunet ; qu‟aurais-je fait sans vous ? Dans
la série « heureusement que vous étiez là », un remerciement joyeux aux amis de la Black
Box et plus largement de l‟EMLyon, qui ont enduré le crunshi du fenouil entre autres soupirs
et sauts de joie… J‟ai nommé : Salma, Narjisse, Nathalie, Janice, Asma, Christelle,
Sophie, Hélène (la petite), Imène, Amira, Laurent et Rasmi, mais aussi Hélène (la
Grande !), Emma œil de lynx, Christophe l‟intuitif et François le globe trotter.
Un remerciement chaleureux et reconnaissant à mes parents, à mes proches, à mes amis et
à la brigade des relecteurs de ce manuscrit : Anaïs (merci pour Rabelais !), So’, Charles,
Julie, Laurence, Alexandra, Chloé, Séverine mais aussi, Karine, Mél, Hugo, Vincent,
Pierre-Yves, Bruno et Maureen ainsi que tous les autres satellites du 123. Je n‟oublie pas
non plus Chloë, Lise, Isa et Nico, Jelena et Aurel’, Anne-Lise et Cédric, Max et Charlotte.
Merci pour votre soutien, votre énergie et vos réconfortantes attentions tout au long de ce
parcours.
Un remerciement infini et tout particulier à « mon petit compagnon de jeu ». Merci pour
ta patience : belle et prometteuse performance que d‟avoir su me supporter et de m‟avoir tant
supportée. Ca y est, le point final est frappé et à n‟en pas douter, c‟est grâce à toi.
Enfin, que tous ceux qui n‟ont pas été nommés ici mais se sentent coopérateurs de ce
travail, soient sincèrement et profondément remerciés.
Réaliser un doctorat n‟est décidément pas une traversée en solitaire, merci à tous !
7
Sommaire
REMERCIEMENTS .......................................................................................................................................................... 6
SOMMAIRE ....................................................................................................................................................................... 8
NAISSANCE ET VIE DE LA THESE .......................................................................................................................... 10
ORIGINES ET DEPLOIEMENT.......................................................................................................................................................... 10
ENJEUX ET OBJECTIFS ..................................................................................................................................................................... 14
CORPS ET CŒUR .............................................................................................................................................................................. 19
PARTIE 1 PROBLEMATIQUE & PROTOCOLE DE RECHERCHE ................................................................... 27
CHAPITRE 1 .................................................................................................................................................................. 29
L’ECOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE : UN SUJET POUR LES ORGANISATIONS ................ 29
1.1.
DU DEVELOPPEMENT DURABLE A L’EIT .................................................................................................................... 29
1.2.
LES SCIENCES HUMAINES, GRAND ABSENT DE L’EIT ................................................................................................ 40
CHAPITRE 2 .................................................................................................................................................................. 62
L’ENROLEMENT DES ACTEURS DANS LES DEMARCHES D’EIT ................................................................... 62
2.1.
LA COOPERATION DANS LA LITTERATURE EN SCIENCES DE GESTION .................................................................... 62
2.2.
L’APPORT DE LA SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION ET DE LA THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES ................... 73
CHAPITRE 3 .................................................................................................................................................................. 96
DESIGN DE LA RECHERCHE .................................................................................................................................... 96
3.1.
POSTURE DE RECHERCHE.............................................................................................................................................. 96
3.2.
DISPOSITIF DE RECHERCHE ....................................................................................................................................... 105
CONCLUSION DE LA PARTIE 1 ............................................................................................................................ 124
PARTIE 2 PRESENTATION & DISCUSSION DES RESULTATS .................................................................. 125
CHAPITRE 4 ............................................................................................................................................................... 127
LA VALLEE DE LA CHIMIE : PROMESSES ET IMPASSES ............................................................................. 127
4.1.
UNE ETUDE D’ENVERGURE ........................................................................................................................................ 127
4.2.
PROBLEMATISATION .................................................................................................................................................. 132
4.3.
INTERESSEMENT ......................................................................................................................................................... 137
4.4.
ENROLEMENT ET THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES ........................................................................................ 149
CHAPITRE 5 ............................................................................................................................................................... 167
LILLE, DUNKERQUE, TROYES : NUANCES ET RECURRENCES ................................................................... 167
8
5.1.
DES FLUX ET DES HOMMES ....................................................................................................................................... 167
5.2.
PROBLEMATISATION .................................................................................................................................................. 180
5.3.
INTERESSEMENT ......................................................................................................................................................... 185
5.4.
ENROLEMENT ET THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES ......................................................................................... 196
CHAPITRE 6 ............................................................................................................................................................... 212
DISCUSSION DU PROPOS ...................................................................................................................................... 212
6.1.
FAVORISER LE DEVELOPPEMENT DES DEMARCHES D’EIT .................................................................................... 212
6.2.
INITIER DES COOPERATIONS INTER-ORGANISATIONNELLES DANS LES DEMARCHES D’EIT ............................ 221
CONCLUSION DE LA PARTIE 2 ............................................................................................................................ 243
LA THESE, CE VOYAGE ........................................................................................................................................... 244
VUE D’ENSEMBLE DU PROPOS .................................................................................................................................................... 244
CONTRIBUTIONS THEORIQUES ET MANAGERIALES ................................................................................................................ 248
PERSPECTIVES DE RECHERCHE .................................................................................................................................................. 252
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................................... 256
LISTE DES TABLEAUX ............................................................................................................................................ 280
LISTE DES FIGURES ................................................................................................................................................ 281
ANNEXES .................................................................................................................................................................... 282
TABLE DES MATIERES ........................................................................................................................................... 293
9
NAISSANCE ET VIE DE LA THESE
« L‟homme civilisé qui dévaste, avec un vandalisme aveugle, la nature vivante qui l‟entoure et
dont il tire sa subsistance, attire sur lui-même la menace d‟une ruine écologique. Lorsque les
conséquences économiques de ce vandalisme commenceront à se faire sentir, l‟homme reconnaîtra
peut-être son erreur, mais il est à craindre qu‟il soit alors trop tard. »
Konrad Lorenz, 1973 (p.40)
ORIGINES ET DEPLOIEMENT
La source du questionnement
Des interrogations anciennes
On trouvera à l‟origine de cette thèse l‟intention de contribuer aux débats liés à un
développement durable de notre société. Dans ces réflexions, ce qui nous a plus
particulièrement intéressé est la façon d‟accompagner le développement des démarches
d‟écologie industrielle et territoriale et plus précisément, l‟initialisation des coopérations
inter-organisationnelles qu‟elles requièrent.
Notre intérêt pour ces questions est étroitement lié à notre parcours académique et
professionnel. Pour en rendre compte, il nous faut remonter dans le temps et suivre notre
formation académique à partir du Master 1 de philosophie : alors que de premiers écrits sur le
développement durable voient le jour en France (Smouts, 2005), notre mémoire de recherche
s‟intitule « L‟intelligence, l‟intuition et la vie chez Henri Bergson ». Le ton est donné et, pour
continuer sur cette lancée, nous poursuivons avec un Master 2 d‟ « Ethique et Développement
Durable ». Sans doute parce que les enseignements reçus au cours de cette formation sont un
véritable électrochoc, notre mémoire, pose alors la question provocatrice : « L‟humanité en
péril : l‟homme, parasite de la nature ? ». Nous réalisons en effet que les sociétés occidentales
se sont développées sur de mauvaises convictions. Si nous ne changeons pas nos modes de
vie, un jour nous n‟aurons plus toujours de ressources disponibles et en quantités suffisantes,
la planète ne pourra plus supporter les niveaux de pollutions que nous lui infligeons. Nous
risquons des bouleversements majeurs et graves.
Cette prise de conscience, d‟abord effrayante, est devenue stimulante lorsque nous avons
découvert les démarches d‟EIT qui se sont imposées comme la discipline où nous souhaitions
10
acquérir compétences et expertises, ce qui nous amène directement à notre parcours
professionnel. Pour confronter la théorie à la pratique nous avons choisi de participer à une
mission de neuf mois à l‟INSA de Lyon, précisément sur une démarche d‟écologie
industrielle et territoriale. C‟est lors de cette mission qu‟a émergé notre questionnement
général sur les dynamiques humaines dans ces démarches spécifiques. Relativement isolée
dans une équipe composée principalement d‟ingénieurs, nous nous sommes aperçue que, telle
qu‟elle était menée, la démarche d‟EIT sur laquelle nous avions à intervenir tenait assez peu
compte de la volonté des acteurs sollicités. Nous ressentions de profonds décalages entre la
méthodologie adoptée par l‟équipe projet et l‟attitude de ces acteurs, sans pourtant que nous
puissions en déterminer les raisons. Un premier regard sur la littérature dédiée à l‟EIT a
permis de remarquer que la question des dynamiques humaines était la grande oubliée dans
ces travaux. Il n‟en a pas fallu davantage pour piquer notre curiosité et susciter en nous
l‟envie de pousser l‟investigation plus loin.
Ce tableau rapide de notre parcours et de la façon dont est née la question générale du
travail, sur la place des acteurs dans les démarches d‟EIT, doit rendre davantage
compréhensible le choix que nous avons fait, ensuite, d‟un doctorat en convention CIFRE 1.
Articuler pratiques et réflexions de fond, faire remonter les difficultés du terrain pour les
éclairer des apports de la théorie, nourrir la recherche par des expériences et une connaissance
du vécu des acteurs, voilà qui nous semblait être une judicieuse configuration de recherche
pour conduire ce travail. En pratique, cela signifie que pendant trois années, notre recherche a
été réalisé en parallèle de missions de conseil, suivies au sein d‟un cabinet spécialisé dans les
démarches d‟écologie industrielle et territoriale2. Les missions réalisées visaient à
accompagner entreprises et collectivités territoriales dans la mise en œuvre de ce type de
démarche : réaliser des bilans de flux de matières et d‟énergies, identifier des pistes d‟actions
collectives, travailler à la mise en relation et à la constitution de réseaux d‟acteurs
environnementalement, socialement et économiquement performants.
Le choix d’une thèse en convention CIFRE
Dire que ce travail de recherche a été conduit en convention CIFRE c‟est souligner les
relations à la fois enrichissantes et ambigües qui se sont établies entre nos fonctions de
consultant et celles de chercheur. Enrichissantes d‟abord, puisque ces missions de conseil
1
2
http://www.anrt.asso.fr/fr/espace_cifre/accueil.jsp
Ce cabinet est Ecologie Industrielle Conseil : http://www.ecologie-industrielle.com/
11
nous ont permise de nous confronter à la durée et au quotidien des missions ainsi qu‟aux
enjeux et difficultés de la mise en œuvre de ces démarches. Cela a également favorisé un
grand nombre de rencontres avec des acteurs de terrain qui pensent et font de l‟écologie
industrielle et territoriale : en premier lieu d‟autres consultants en EIT, mais aussi des
entreprises et collectivités, des associations, des clubs d‟entreprises, des professeurs et
chercheurs qui travaillent sur le sujet et en collaboration régulière avec le cabinet dans lequel
nous avons évolué. Incontestablement, l‟ensemble de ces missions et des échanges créés a
contribué à nourrir notre réflexion et à repérer les questions sensibles. Mais cette « casquette »
de consultant a pu aussi être source d‟ambigüité notamment dans nos échanges avec les
personnes que nous avons sollicitées en interview, avec cette fois notre « casquette » de
chercheur. Premièrement parce qu‟une part importante des personnes rencontrées dans le
cadre de la recherche sont des personnes qui nous connaissaient dans le cadre des missions
professionnelles3 et pour qui notre double statut n‟était pas toujours très clair. Pour illustrer
cela, nous pouvons mentionner une question, explicite ou implicite, mais qui nous a
régulièrement été posée au moment des entretiens et qui concernait l‟usage que nous allions
faire des informations recueillies. Ce double statut a donc très probablement eu un fort impact
sur notre travail de recherche. Positif en tant qu‟il l‟a incontestablement enrichi ; plus
équivoque concernant la liberté des répondants dans leurs propos. Considérés ensemble, ces
impacts nous semblent pouvoir s‟équilibrer dans le rendu des résultats du travail et ne nous
paraissent pas remettre en cause le choix de ce mode de recherche. Ces éléments font aussi
partie de la « réalité » du chercheur dont il ne peut de toute façon se départir, notamment dans
des travaux en sciences humaines (Devereux, 1980) comme c‟est le cas ici.
« Avis au lecteur »
Revenons sur le travail de thèse lui-même et précisons qu‟il porte 1/ sur les démarches
spécifiques d‟écologie industrielle et territoriale ; 2/ sur la façon dont les promoteurs de projet
qui ont à les conduire peuvent les encourager et les développer ; 3/ avec une attention
particulière aux coopérations inter-organisationnelles que ces démarches appellent et
nécessitent.
On s‟aperçoit que le sujet touche à différentes disciplines. Cette transdisciplinarité se
retrouvera dans la recherche où nous ne nous revendiquons pas d‟une appartenance à une
3
Le CHAPITRE 3 de méthodologie précise comment s‟est fait le choix des terrains d‟analyse d‟une part et des
répondants d‟autre part.
12
stricte discipline. Dans cette recherche en sciences de gestion, nous serons amenée à mobiliser
des champs théoriques en sociologie et ne nous interdirons pas non plus d‟évoquer des
éléments de biologie4 par exemple. Egalement et en fin de parcours, le lecteur découvrira
plutôt des points de vigilance généralisables que des Vérités Universelles. Nous espérons
qu‟il trouvera, dans l‟ensemble de ce travail, clarté et rigueur du propos. Nous souhaitons,
enfin, qu‟il y trouve ce qu‟il s‟attend à y trouver ou soit positivement surpris !
Pour nous, pas de doute : notre intention est double. Elle est autant de contribuer à la
théorie que d‟éclairer les pratiques. Le public visé est donc large. Ce travail pourra en effet
éveiller la curiosité de tous ceux qui, chercheurs ou praticiens, s‟intéressent aux dimensions
rassemblées à la Figure 1 ci-après :
Développement
durable
Théorie
des
objets-frontière
Ecologie
industrielle et
territoriale
Initier des coopérations
inter-organisationnelles
dans les démarches d'EIT:
une relecture en termes de
sociologie de la traduction
et de la théorie des objetsfrontière
Initialisation de
coopérations
interorganisationnelles
Sociologie
de la
traduction
Gestion des
démarches
émergentes,
innovantes
Figure 1 Ŕ Thématiques qui pourront intéresser le lecteur dans ce travail
Par ailleurs et à titre d‟avertissement, nous n‟entrerons pas dans les débats éthiques et
moraux concernant la place de l‟homme sur la planète : le mot environnement qui s‟est
substitué au mot nature, montre bien l‟anthropocentrisme caractéristique des sociétés
4
Notamment dans le Chapitre de présentation de l‟EIT.
13
occidentales mais ce n‟est pas notre objet. D‟autres auteurs (Ferry, 1992 ; Serres, 1990 ;
Serres, 2008) s‟intéressent à la relation contractuelle morale que peut/doit passer l‟homme
avec la nature au motif qu‟elle pourrait aussi avoir des droits qu‟il nous faudrait respecter.
Notre propos se positionne sur un autre plan : celui d‟un réalisme presque obsessionnel qui
nous fait considérer que la façon actuelle dont l‟homme évolue dans son milieu, le seul qu‟il
ait, est une aberration vouée à l‟échec. Qu‟est-il alors possible d‟envisager et comment le
mettre en œuvre ? C‟est cette approche pragmatique qui a guidé notre travail.
ENJEUX ET OBJECTIFS
Un sujet à enjeux forts
L’incontournable développement durable
« Initier des coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟écologie
industrielle et territoriale »… L‟intérêt personnel que nous avons pour ces questions et la
curiosité possible du lecteur, ne suffisent pas à justifier que nous y ayons consacré ce travail.
D‟autres éléments légitiment ce choix, que les constats ci-après pourront illustrer :
« La tendance actuelle du réchauffement prévoit des extinctions d‟espèces (…) Les êtres humains,
(…) vont probablement faire face à des difficultés de plus en plus grandes. Les récentes tempêtes,
inondations et sécheresses, par exemple, ont tendance à démontrer ce que les modèles
d‟ordinateurs estiment de plus en plus fréquemment comme des évènements météorologiques
extrêmes (…) Le réchauffement global est un problème moderne, compliqué, touchant le monde
entier et de plus lié à d‟autres problématiques comme la pauvreté, le développement économique et
la croissance de la population. Le traiter ne sera pas facile. L‟ignorer serait pire. » (Site internet
de la UNFCCC5).
« Ni l‟adaptation ni l‟atténuation ne permettront, à elles seules, de prévenir totalement les effets
des changements climatiques. Les deux démarches peuvent toutefois se compléter et réduire
sensiblement les risques encourus. » (GIEC6, 2007).
« Si rien n‟est fait pour « découpler » le taux de croissance économique du taux de consommation
des ressources naturelles, le volume de minéraux, minerais, combustibles fossiles et biomasse
consommés chaque année par l‟humanité pourrait atteindre, d‟après les estimations, 140 milliards
de tonnes (soit trois fois les niveaux actuels), d‟ici à 2050. » (PNUE, 2011).
« La division par quatre des émissions dans les pays développés d‟ici à 2050, sans laquelle nous
risquons d‟atteindre un point de non retour en ce qui concerne le dérèglement climatique, implique
une profonde remise en cause des modes de production et de consommation. » (Les Echos, 2008,
p.3).
5
UNFCCC : United Nations Framework Convention on Climate Change. Texte complet disponible ici :
http://unfccc.int/portal_francophone/essential_background/items/3310.php.
6
GIEC : Groupe d‟experts intergouvernemental sur l‟évolution du climat.
14
L‟ampleur et la rapidité des changements envisagés dans les travaux nous montrent que le
choix d‟un développement durable de nos sociétés est la seule voie pérenne ; la seule qui soit
viable pour les sociétés humaines non seulement de demain, mais d‟aujourd‟hui également. Il
n‟est plus possible de faire abstraction des limites que nous imposent notre planète sans
s‟exposer à de désagréables surprises (King, 1995) : dans un monde fini les ressources le sont
également et il faudra s‟y faire ou disparaître. La prise de conscience est en marche et les
initiatives, en France notamment, se multiplient: organisation d‟évènements d‟ampleur pour
rendre visibles ces problématiques tels que le Grenelle de l‟Environnement7 ou les Assises
Nationales du Développement Durable8, modification de la réglementation (sur l‟utilisation
des substances chimiques avec la directive REACH ou sur les consommations énergétiques
des bâtiments par exemple), évolution des conduites avec des consommateurs qui deviennent
des « consom‟acteurs », etc. Des voix de plus en plus nombreuses s‟élèvent pour en appeler à
davantage d‟esprit critique et de responsabilité (Jonas, 1999). Dans ce cadre, les politiques
publiques et les appels d‟offres se déploient pour soutenir, par exemple, les « démarches écoresponsables9 », les « chantiers verts10 » et, ce qui nous intéresse tout particulièrement, pour
encourager la mise en place de démarches d‟écologie industrielle et territoriale.
La voie de l’écologie industrielle et territoriale
Mais que sont précisément les démarches d‟écologie industrielle et territoriale, et pourquoi
s‟intéresser plus spécifiquement à la question des coopérations inter-organisationnelles ?
L‟écologie industrielle, comme elle était initialement nommée11 est née à la fin des années
1980 dans un contexte international où des questions importantes émergent concernant les
modes de production et de consommation des sociétés industrialisées. Il apparaît de plus en
plus évident que ces sociétés ne peuvent continuer de se développer comme elles l‟ont fait
jusqu‟alors : dans une totale insouciance, irresponsables tant du point de vue de l‟équité
7
http://www.legrenelle-environnement.fr/.
http://www.andd.fr/.
9
http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow?catid=13351.
10
http://www.cg59.fr/hebergement-touristique-durable/charte-chantier-vert.html.
11 Les littératures francophone et anglophone parlent encore surtout d‟écologie industrielle ou industrial
ecology. Cependant les praticiens parlent eux de plus en plus d‟écologie territoriale ou d‟écologie industrielle et
territoriale. Ceci pour deux raisons principales : la première pour éviter la fréquente confusion qui amène à
penser que l‟écologie industrielle ne s‟intéresse qu‟aux activités industrielles au sens étroit du terme c‟est-à-dire
à l‟activité des entreprises. La seconde est donc de mettre en évidence que l‟écologie industrielle s‟intéresse
finalement à l‟ensemble des activités humaines (industries, commerces, agricultures, etc.) qui se déploient sur un
territoire et utilisent, produisent ou consomment des matières et énergies. Dans ce travail, pour rester au plus
près de l‟évolution du terme et des pratiques, nous faisons le choix d‟utiliser cette terminologie d‟écologie
industrielle et territoriale (EIT).
8
15
sociale que des équilibres écologiques. Le Rapport Meadows du Club de Rome en 1970
« Halte à la croissance ! » puis le Rapport Brundtland de 1987, clouent chaque fois au pilori
la fringale énergétique et les gaspillages inconsidérés de nos sociétés de consommation.
L‟écologie industrielle se développe à cette période et sur l‟idée, toute simple, que nos façons
de produire et consommer seront pérennes à partir du moment où elles s‟inspireront du
fonctionnement cyclique des écosystèmes naturels et prendront « la nature pour patron »
(Joignot, 2008). Cela signifie que toutes les matières et énergies doivent être utilisées dans la
limite des besoins et que ce qui n‟est plus utile quelque part peut le devenir ailleurs, pour
d‟autres : tout est sans cesse réutilisé. C‟est de cette règle économe et apparemment optimale,
si l‟on en juge par les plus de 500 millions d‟années d‟existence et d‟évolution des
écosystèmes terrestres, que peuvent être tirées des stratégies de développement pour les
sociétés durables à bâtir.
Malgré l‟engouement conceptuel que suscitent ces approches d‟EIT (Harper et Graedel,
2004), il est étonnant de constater que les mises en œuvres restent peu nombreuses (Gibbs et
Deutz, 2007). Ce qui nous surprend d‟autant plus que d‟une part, ces démarches se
revendiquent des principes de développement durable, qui lui est de plus en plus présent dans
la vie des organisations, et que d‟autre part, elles sont même considérées par certains comme
étant la « science de la durabilité » (Allenby, 1999), permettant d‟opérationnaliser les
principes du développement durable. On s‟aperçoit que le concept s‟est largement développé
autour de recherches permettant de comprendre ce qu‟il était techniquement, physiquement,
chimiquement, biologiquement possible de faire en termes d‟échanges de flux et de synergies
également (Cohen-Rosenthal, 2000). Un autre constat important pour nous est que si les
ingénieurs se sont effectivement saisis des questions techniques de l‟EIT, peu de choses sont
dites sur les acteurs individuels ou collectifs cachés derrière ces flux : les organisations qui les
produisent ou les consomment et les individus qui décident de les utiliser (Vermeulen, 2006).
Ce constat nous interpelle d‟autant plus c‟est, au fond, de coopérations dont il est
véritablement question (Strebel et Posch, 2004). L‟EIT nous encourage effectivement à sortir
des fonctionnements traditionnels du « chacun chez soi » pour parvenir à mettre en place des
échanges et des synergies. A ce sujet, Boiral (2007, p.305) souligne d‟ailleurs : « Les effets
pervers d‟une trop grande confiance dans des solutions technologiques qui ne tiennent pas
suffisamment compte des aspects socio-organisationnels qui sous-tendent le changement ».
Les coopérations évoquées sont d‟autant plus délicates à engendrer et à mettre en œuvre qu‟il
16
s‟agit en principe de coopérations inter-organisationnelles mobilisant une diversité d‟acteurs
qu‟il s‟agit de mettre en relation. Plusieurs questions s‟en suivent: Comment donner envie aux
acteurs de faire des choses ensemble ? Comment les encourager à partager de l‟information
parfois sensible ? Comment créer les liens entre acteurs – individus et organisations nécessaires à ces démarches coopératives d‟EIT ? Répondre à ces questions est devenu
essentiel pour assurer le déploiement des démarches d‟EIT.
Intérêts et objectifs de la recherche
L’EIT, une mise en œuvre difficile
La question de la coopération inter-organisationnelle est d‟autant plus critique quand on
s‟intéresse aux démarches d‟EIT, que l‟on se situe dans un cas de figure où la pression
règlementaire est encore faible et l‟incitation économique pas toujours très claire. Concernant
la règlementation, il n‟y a pour l‟instant aucun texte contraignant véritablement les
organisations à systématiquement chercher la réutilisation, la revalorisation, la ré-exploitation
de leurs flux de matières et d‟énergies. On est aussi en dehors des systèmes
financiers incitatifs comme peut l‟être le marché des Gaz à Effet de Serre (GES) par exemple.
Il n‟existe aucun motif économique – en dehors de coûts conjoncturellement élevés des
matières premières ou de ceux des traitements de déchets – qui encourage les acteurs à se
poser la question de l‟EIT. Qui plus est, même si sur le principe tout le monde pourrait
s‟accorder à voir l‟avantage de mettre en œuvre des démarches d‟EIT, dans les faits, « ce que
les acteurs ont à gagner » est beaucoup moins évident. En effet, il convient de garder en tête
que l‟EIT en est encore à ces balbutiements et que les techniques d‟optimisation des flux
comme les coûts et retours sur investissement liés à ces démarches sont encore mal connus.
Certains pourraient se servir de ces incertitudes pour refuser de s‟engager dans ces
démarches. Pour nous cependant, comme pour Boiral (2007), bien souvent l‟argument
économique est mobilisé comme une excuse:
« L‟argument qui consiste à dire que l‟environnement n‟est intéressant que s‟il permet de faire des
économies ou au contraire, qu‟il n‟est pas intéressant parce qu‟il coûte trop cher, n‟est peut-être
en fait qu‟un leurre. Ce n‟est peut-être qu‟une façon de botter en touche et de ne surtout pas se
poser la question d‟un fonctionnement différent. » (Boiral, 2007).
Partant du constat (tiré de notre expérience de terrain) que même des synergies
potentiellement rentables ne sont pas nécessairement mises en place, nous conviendrons ici
avec d‟autres que « Parfois, il existe d‟autres barrières et motivations qui ne sont pas
17
directement reliées à la question de savoir si l‟investissement sera rentable ou non12. » (Wolf
et al., 2005, p.197). Selon nous, autre chose est en jeu et à un autre niveau. La lecture de
l‟article de La Ville (2011) nous incite d‟ailleurs à poursuivre dans cette voie alternative qui
refuse de mettre l‟argument économique au centre de ce qui fait ou défait, l‟acceptation et la
volonté d‟évoluer vers un développement durable: « Il n‟est de développement durable dans
les entreprises que d‟hommes. Certes, les processus et les systèmes de management comptent,
mais ce qui fait avancer le sujet, au fond, c‟est l‟énergie de ceux qui mettent à son service
leurs convictions et leur folle ambition. ».
Dans ce travail, nous nous intéressons alors à la façon dont il est possible de mobiliser
les acteurs dans les démarches d’EIT, en dehors de ces incitations externes qui pourraient
les faciliter ; sachant que par ailleurs, la perception de l’acuité des questions liées au
développement durable reste très subjective et varie d’un acteur à l’autre.
La dimension humaine sous-estimée
Ainsi et alors que le principe des démarches d‟EIT est simple dans sa formulation –
s‟inspirer du fonctionnement des écosystèmes naturels pour nos propres fonctionnements – on
a pu constater que la mise en œuvre l‟est beaucoup moins, soulignant des difficultés sousestimées dans la littérature comme dans les pratiques. Puisqu‟il s‟agit d‟accepter de réfléchir
différemment sans y être contraint ni encouragé, embarquer les individus et organisations à
participer à ce type de démarche n‟est pas évident. Cela d‟autant plus que le manque
d‟expériences réussies (Ehrenfeld, 2004) ne permet pas toujours de savoir quel langage
adopter et quels outils mobiliser pour accompagner la conduite de ces démarches. Le projet de
cette thèse est alors d‟apporter de nouveaux éléments pour comprendre comment les
démarches d‟EIT peuvent être encouragées, en s‟intéressant à l‟initialisation des coopérations
inter-organisationnelles qu‟elles requièrent.
Se dégage alors le double objectif que nous assignons à ce travail puisque nous tenons à
son encrage à la fois théorique et pratique. En même temps qu‟il vise à alimenter les
réflexions théoriques sur le sujet, notre travail de recherche doit être « susceptible d‟éclairer
la pratique » (Giroux, 2003, p.45) de mise en œuvre des démarches d‟EIT. La dimension
théorique nous paraît effectivement essentielle lorsque l‟on conduit un travail de recherche
académique comme c‟est le cas ici. Elle est même centrale. Dans le même temps, le fait de
12
« Sometimes, other barriers and incentives exist which are not directly linked to whether the investment is
profitable or not. »
18
conduire ce travail dans le champ des sciences de gestion d‟une part, et dans le cadre d‟une
thèse en convention CIFRE d‟autre part, nous fait apprécier l‟importance des enseignements
pratiques que notre recherche peut apporter. Voici donc les deux lignes directrices qui
motivent le travail présenté :
1. Concernant les objectifs théoriques, nous attacherons une attention particulière
aux travaux existants dans le domaine spécifique de l‟EIT et plus largement des
sciences de gestion sur la question des coopérations inter-organisationnelles. Cela
nous permettra d‟identifier les manques éventuels et la façon dont les analyses
conduites dans ce travail peuvent diversifier et compléter ces littératures ;
2. Concernant les objectifs managériaux, notons que ce travail s‟adresse en premier
lieu aux promoteurs de projets des démarches d‟EIT, et plus largement, aux
promoteurs de projets inter-organisationnels. Nous souhaitons effectivement
pouvoir les éclairer sur le « comment construire » des coopérations interorganisationnelles requises dans les dynamiques qu‟ils mettent en œuvre. Il s‟agira
donc d‟apporter un certain nombre d‟éclairages sur ce qui encourage ou freine
l‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles.
CORPS ET CŒUR
La recherche, un parcours d’obstacles
La nécessaire adaptation du chercheur
Les questionnements qui vont nous occuper dans ce travail, et que nous venons d‟évoquer,
n‟ont pas été formulés tels quels au démarrage de la recherche sans plus évoluer par la suite.
C‟est par un processus de maturation, lié aux résultats d‟un premier terrain couplés à l‟analyse
de la littérature, qu‟ils ont pris la forme présentée ici. Nous souhaitons nous arrêter un instant
sur la façon dont s‟est construite, non plus la thématique générale de la recherche (à savoir
porter attention aux acteurs qui se meuvent et meuvent les démarches d‟EIT), mais l‟objet
précis de l‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles. Mentionner les difficultés
rencontrées et la manière dont elles ont impacté le travail de recherche nous semble faire
partie de l‟honnêteté intellectuelle attendue du chercheur. Il nous paraît intéressant de rompre
avec la tendance que l‟on rencontre parfois dans la recherche qui est de ne présenter que les
« choses qui fonctionnent » : l‟inattendu, le déconcertant et parfois même le décourageant, il
faut bien le reconnaître, font partie intégrante de l‟effort de recherche et apportent leurs
19
enseignements. Vermeulen (2006, p.593) souligne d‟ailleurs que : « les succès comme les
échecs dans les processus de changement social offrent aux sociologues un terrain fertile
pour analyser le changement social en pratique. C‟est de cette façon que l‟on peut aller plus
loin que les théories prescriptives et normatives qui sont souvent basées sur la notion
d‟acteur économique individuel et rationnel13. ».
Suite à notre mission avec l‟INSA de Lyon sur le territoire de la Vallée de la Chimie, nous
souhaitions, dans un premier temps, travailler sur l‟institutionnalisation des démarches d‟EIT
et nous poser la question des mécanismes d‟incitations, voire de pouvoir, dans ces
dynamiques (Orssatto et Clegg, 1999; Crossan et al. 1999 ; Lawrence et al., 2005 ). Le
questionnement pratique était de savoir comment faire perdurer les relations entre acteurs
quand il n‟y aurait plus le regard et la présence des autorités publiques ; quelles étaient
finalement les conditions de pérennisation des démarches d‟EIT ? Le questionnement était
d‟autant plus fort que qu‟à l‟issue de l‟analyse de flux réalisée sur la Vallée de la Chimie,
nous avons été confrontée au désengagement des industriels. Pour nous, il était difficile de
comprendre qu‟ayant participé pendant deux ans à une dynamique relativement lourde en
termes de personnes impliquées, de moyens mobilisés et de résultats produits, ils ne restent
pas mobilisés au terme de cette expérience.
L‟analyse approfondie du terrain de la Vallée de la Chimie, cas de la première année de
cette thèse, nous a cependant conduit à repositionner, réorienter notre question de recherche :
les acteurs dont nous nous demandions pourquoi ils n‟étaient pas restés mobilisés à l‟issue de
l‟étude conduite, se sont révélés, en définitive, très peu mobilisés pendant l‟étude elle-même.
Les premiers entretiens réalisés nous ont appris qu‟ils croyaient peu en la démarche. Même au
terme du processus, ils ne comprenaient pas tous, ni l‟intérêt ni la méthodologie employée.
Dit autrement, cela signifie que le problème n‟était plus tant de comprendre comment
institutionnaliser des coopérations existantes, mais comment les initier. Notre première
intuition que la dimension humaine était sous estimée dans les démarches d‟EIT s‟est alors
trouvée non seulement confortée mais incroyablement renforcée. Plus précisément,
l‟évolution de notre problématique, passée de la question de l‟institutionnalisation des
coopérations, à leur initialisation, nous conduisait à revenir sur des préoccupation centrales
13
« The successes and failures in these processes of societal change offer social scientists fertile ground to
analyse societal change in practice. In this way they can go beyond prescriptive and normative theories, often
based upon the notion of economically and rational individual actors. »
20
dans l‟étude des dynamiques humaines, telles que celles des conditions de la construction
d‟un collectif.
Une recherche en deux temps
La réorientation du projet de recherche impliquait en même temps que nous ne pourrions
faire l‟économie d‟une empirie complémentaire. Puisque notre nouvelle question était
désormais de comprendre comment initier des coopérations inter-organisationnelles et que
notre terrain, précisément, ne permettait pas d‟y répondre, il nous fallait aller voir de plus près
comment les choses s‟étaient déroulées dans le cadre d‟autres démarches d‟EIT et sur d‟autres
territoires. Est-ce que ce qui c‟était passé sur la Vallée de la Chimie était un cas isolé ou les
mêmes phénomènes s‟observaient-ils ailleurs ? Surtout, ce qui nous intéressait était l‟étude de
cas plus « réussis », pour comprendre ce qui avait permis d‟aboutir à des réalisations
différentes et à la mise en œuvre de coopérations inter-organisationnelles. Plutôt que de parler
de succès ou d‟échec des démarches d‟EIT, dans la suite de ce travail nous parlerons
d‟initialisation ou non initialisation de coopérations inter-organisationnelles effectives. Cette
distinction vise à souligner que ce n‟est pas parce qu‟à un moment donné, une démarche
d‟EIT n‟aboutit pas sur des coopérations inter-organisationnelles, qu‟elle doit être considérée
comme un échec. Le terrain de la Vallée de la Chimie, comme les autres terrains étudiés nous
montrent en effet que différentes choses peuvent être produites. Même lorsqu‟il n‟y a pas
initialisation de coopérations à proprement parler, des productions sont réalisées qui sont
utiles aux acteurs comme par exemple l‟identification de pistes de progrès d‟un premier
niveau, la production de nouvelles connaissances, la visibilité du territoire pour la démarche
engagée, etc. A partir d‟un certain nombre de critères14 et pour répondre à nos nouvelles
interrogations, nous avons sélectionné trois autres démarches d‟EIT en France dont nous nous
apercevrons que deux d‟entre-elles ont eu des résultats intéressants en termes de coopérations
inter-organisationnelles.
On voit ici l‟intérêt de présenter comment a évolué notre question de recherche et les deux
moments distincts que cela a imprimé à notre travail. Les déceptions liées au premier
questionnement sont des résultats en tant que tels. Ils appuient la pertinence de ce travail en
nous montrant à quel point la dimension humaine dans les démarches d‟EIT est essentielle, et
au-delà même de ce que nous pensions au départ. Ces démarches d‟EIT sont à ce point
nouvelles, qu‟elles semblent également nécessiter de nouvelles approches, de nouvelles
14
Précisés au CHAPITRE 3 de méthodologie.
21
façons de conduire et d‟animer des dynamiques d‟acteurs afin de les embarquer dans le
processus. Ainsi, comment susciter l‟envie de faire des choses ensemble ?
Organisation de la recherche
Posture constructiviste et approche qualitative
Puisque, d‟une part, nous considérons que la relation entre le chercheur et son objet de
recherche est complexe : le premier pouvant revêtir différentes casquettes15 et le second,
différentes facettes (Denzin et Lincoln, 1998) ; puisque, d‟autre part, nous acceptons d‟être
influencée dans notre approche par cet objet de recherche et de l‟impacter en retour (GavardPerret et al., 2008), il nous faut en conclure que notre posture est résolument constructiviste.
Notre façon, subjective, de percevoir et d‟analyser les phénomènes étudiés nous fait
reconnaître notre travail comme « une image ou une représentation » du « monde réel »
(Glasersfeld, 1988, p.20). Nous partageons tout à fait cette idée que la réalité que nous
formulons n‟est que le regard que nous posons sur elle.
Par ailleurs et puisqu‟il s‟intéresse aux conditions facilitant l‟initialisation de coopérations
inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT, notre travail a pour objet la compréhension
d‟une phénomène émergent. Ceci nous place également dans un processus d‟exploration.
« Exploration hybride » même (Charreire-Petit et Durieux, 2007, p.71) puisque notre travail
n‟a eu de cesse de faire des allers et retours entre les apports de la littérature et ceux des
terrains. Ce sont par ailleurs ces éléments, d‟exploration et de compréhension d‟un processus,
qui ont dicté le choix d‟une méthodologie qualitative (Baumard et Ibert, 2007). En plus d‟une
analyse documentaire, c‟est par le biais d‟entretiens semi-directifs que nous comprendrons ce
qui précisément peut encourager ou freiner la construction de coopérations interorganisationnelles.
Le manuscrit, deux parties et six chapitres
Pour présenter notre travail de la façon la plus adaptée et lisible possible, nous avons choisi
de scinder le manuscrit en deux parties, chacune distribuée en trois chapitres, pour un total de
six chapitres en tout. La première partie, qui s‟intitule « Problématique et Protocole de
Recherche » pose les différents cadres du travail : le cadre conceptuel d‟abord puis le cadre
théorique et enfin le cadre méthodologique. La seconde partie, intitulée « Présentation et
15
Ce qui est d‟autant plus notre cas avec le choix d‟une thèse en convention CIFRE.
22
Discussion des Résultats » intègre l‟analyse des quatre démarches d‟EIT ainsi que la
discussion que nous proposons de faire autour de nos résultats.
Le CHAPITRE 1 permet de poser le cadre thématique et conceptuel de notre travail qui,
on l‟aura compris, s‟articule autour des questions de développement durable et des approches
d‟EIT. Nous les présenterons dans ce chapitre et ferons notamment le point sur ce que les
travaux existants nous permettent de comprendre de ces démarches et sur ce qui, à l‟inverse,
reste à explorer. Cette première investigation nous incitera à énoncer notre question générale
de recherche : « Quelles sont les conditions de développement de l’EIT et plus précisément
celles qui favorisent les coopérations inter-organisationnelles requises dans ces
démarches ? ».
Le CHAPITRE 2 sera consacré à l‟élaboration du cadre théorique et à cette question de la
coopération inter-organisationnelle. Nous y découvrirons notamment que le traitement de ce
sujet dans les sciences de gestion, bien qu‟il soit conséquemment développé, est insuffisant
pour répondre à notre question de recherche et qu‟il faudra aller chercher ailleurs de quoi
l‟appréhender. Nous montrerons en quoi la sociologie de la traduction et la théorie des objetsfrontières nous paraissent, ensemble, pouvoir répondre à cette attente. Elles nous apporteront,
par ailleurs, le concept central d‟ « enrôlement » nous conduisant à formuler notre
problématique de recherche comme suit: « Comment construire l’enrôlement des acteurs
dans les démarches inter-organisationnelles d’EIT ? ».
Le CHAPITRE 3 est celui qui présente le design de notre recherche c‟est-à-dire la posture
épistémologique adoptée et les choix méthodologiques que nous avons faits pour mener à
bien notre travail. Nous y exposerons en particulier la méthode qualitative adoptée, la façon
dont nous avons conduit les entretiens semi-directifs et une présentation générale des terrains
d‟analyse sélectionnés.
Le CHAPITRE 4 est dédié à notre terrain d‟analyse central, celui de la Vallée de la
Chimie. Comme indiqué plus haut, nous avons fait le choix de distinguer ce premier terrain
des trois autres afin 1/de mettre à profit la quantité importante de données dont nous
disposions; 2/ de mettre en lumière les résultats inattendus qu‟il a fait ressortir et 3/ de
marquer, dans l‟organisation du manuscrit lui-même, les deux moments de notre réflexion. A
l‟issue de cette première analyse, nous serons en capacité de formuler une intuition de réponse
23
possible à notre problématique. Les terrains complémentaires auront donc aussi pour objectif
de la valider, de l‟infirmer ou de la nuancer.
Le CHAPITRE 5 présente les trois terrains complémentaires choisis, celui de Lille, celui
de Dunkerque et celui de Troyes. Ce travail de recherche en deux temps n‟a pas été conduit
pour réaliser une comparaison point par point entre les quatre démarches. Ces autres terrains
nous permettent davantage d‟apporter des compléments, d‟affiner ce qui est ressorti de
l‟analyse du premier terrain, de tester l‟intuition qui en a émergé, et de mettre l‟ensemble en
perspective afin d‟identifier des récurrences ou des contradictions, sources d‟enseignements
pour notre problématique de recherche.
Le CHAPITRE 6 vise à prendre de la hauteur sur notre travail afin de voir ce que les
résultats des deux chapitres précédents peuvent apporter aux littératures mobilisées et aux
pratiques de terrain. En dernière instance, nous chercherons à défendre que dans les cas
d‟incertitude forte – comme le démarrage d‟une démarche d‟EIT en est une illustration – où
les incitations à s‟engager ne sont pas claires, il ne peut y avoir initialisation de coopérations
inter-organisationnelles, sans une fine attention aux acteurs et une grande souplesse, une
grande ouverture, dans les traductions et moyens mobilisés.
Le Tableau 1, ci-après, présente une vue d‟ensemble des étapes de la recherche :
24
INTRODUCTION GENERALE
Naissance et vie de la thèse
PARTIE 1
Problématique et Protocole de Recherche
CHAPITRE 1
L‟écologie industrielle et
territoriale, un sujet pour
les organisations
 La dimension humaine de l‟EIT est sous-estimée
 La question de la coopération inter-organisationnelle est
centrale dans ces démarches
CHAPITRE 2
L‟enrôlement des acteurs
dans les démarches
d‟écologie industrielle et
territoriale
 La phase d‟initialisation des coopérations interorganisationnelles n‟est pas traitée dans les sciences de
gestion
 La sociologie de la traduction et la théorie des objetsfrontières proposent des éléments pertinents pour
comprendre la construction des processus collectifs
CHAPITRE 3
Design de la recherche
 Une posture constructiviste d‟ « exploration hybride »
 Une approche qualitative avec des entretiens semidirectifs sur 4 terrains d‟analyse
PARTIE 2
Présentation et Discussion des Résultats
CHAPITRE 4
La Vallée de la Chimie :
promesses et impasses
 Malgré des investissements en hommes et moyens
techniques, il n‟y a pas eu d‟enrôlement des acteurs dans
la démarche
 Les traductions ont été limitées car difficiles à construire
pour les promoteurs de projet
CHAPITRE 5
Lille, Dunkerque, Troyes :
nuances et récurrences
 En fonction des approches, on observe des résultats
contrastés
 Plus la traduction est ouverte, plus les coopérations
semblent facilitées
Discussion du propos
 L‟utilité de la sociologie de la traduction et de la théorie
des objets-frontières pour les sciences de gestion ressort
fortement
 Les résultats complètent la littérature existante et offrent
des pistes d‟action pour les futurs promoteurs de projet
CHAPITRE 6
CONCLUSION GENERALE
La thèse, ce voyage
Tableau 1 Ŕ Vue d'ensemble des étapes de la recherche
25
26
PARTIE 1
PROBLEMATIQUE & PROTOCOLE
DE RECHERCHE
Chapitre 1,
Littérature
•Rappeler pourquoi le DD est un sujet incontournable pour les organisations
•Présenter l'EIT comme une réponse à ces enjeux
•Souligner qu'elle sous-estime la dimension humaine dans ses approches
•Mettre en relief les coopérations interorganisationnelles, au coeur de ces processus
p. 29-61
Chapitre 2,
Théorie
•Tirer les enseignements des travaux de gestion qui évoquent les coopérations interorganisationnelles
•Souligner les manques de cette littérature pour appréhender la question de l'émergence de
ces coopérations
•Expliciter l'intérêt de la Sociologie de la Traduction et de la Théorie des Objets-Frontière
pour cette question de recherche
p.62-95
Chapitre 3,
Méthodologie
•Justifier notre posture de recherche constructiviste
•Expliquer le choix d'une méthode qualitative
•Introduire les cas qui porteront et illustreront notre analyse
p. 96-123
27
28
CHAPITRE 1
L’ECOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE :
UN SUJET POUR LES ORGANISATIONS
« Après un temps très long, un ordre s‟était établi et il y eut comme un pacte entre la terre, les
végétaux et les animaux à jamais inséparables les uns des autres, car ils constituaient des maillons
d‟une même chaîne : pas d‟animaux sans végétaux, pas de végétaux sans terre. Tous les trois étaient
également l‟œuvre de l‟eau, de la chaleur, de la lumière et du souffle. »
Pierre Rabhi, 1996 (p.122)
L‟objectif de cette thèse est de s‟appuyer sur la sociologie de la traduction et la théorie des
objets-frontières, pour proposer une nouvelle approche des conditions de développement de
l‟écologie industrielle et territoriale (EIT), centrée sur l‟initialisation des coopérations interorganisationnelles requises.
Pour cela et pour commencer, nous montrerons dans ce CHAPITRE 1 les limites de la
littérature traitant de l‟EIT. En effet, bien que le développement durable et avec, les
démarches d‟EIT s‟imposent peu à peu aux entreprises, on s‟aperçoit que les enjeux liés à la
mobilisation et à la participation des organisations impliquées restent sous-estimés.
1.1.
DU DEVELOPPEMENT DURABLE A L’EIT
1.1.1. L’impasse du modèle existant
Pourquoi en appeler à un développement durable ?
Nos modes de vie depuis le début de l‟ère thermo industrielle16 ont changé la donne sur les
équilibres des écosystèmes. Bourg et al. (2006) soulignent que la planète n‟est plus en
capacité, ni de fournir toutes les ressources nécessaires au fonctionnement des sociétés
occidentales, ni de supporter la quantité et la diversité des pollutions que ce fonctionnement
engendre. 60% des services rendus par les écosystèmes (régulation, fourniture de ressources
primaires, etc.) sont dégradés ou surexploités. Il y a maintenant consensus pour dire que
l‟impact des sociétés occidentales en termes de prélèvement de ressources et de production de
16
Entre le début du 18° siècle pour l‟Angleterre, le début du 19° siècle pour la France et du 20° siècle pour les
Etats-Unis et le Canada.
29
déchets est tel, qu‟il faudrait trois planètes à l‟humanité pour que tous ses occupants puissent
vivre de cette façon. Dans son ouvrage référence consacré à l‟Ecologie Générale, Barbault
(2000) insiste sur ce point : « Cette amplification accélérée de la demande humaine en
ressources naturelles se traduit par une pression accrue sur les systèmes naturels » (Barbault,
2000, p.236). La définition qu‟il donne de la biosphère et donc de l‟environnement naturel de
l‟homme est éclairante. Elle nous permet de comprendre à quel point la dépendance est étroite
entre les activités humaines et cet environnement naturel :
« Pour s‟en tenir à l‟essentiel, du point de vue écologique, la biosphère est pour l‟homme, à la fois
cadre de vie, source de nourriture, réservoir d‟agents pathogènes, banque de matières premières et
d‟énergie. » (Barbault, 2000, p.235).
Ce n‟est plus une éventualité : la dégradation des milieux s‟accompagne d‟une dégradation
des conditions de vie de l‟homme sur terre. Ces mises en garde interpellent les entreprises car
elles rappellent que l’environnement n’est pas simplement un stock de capitaux
physiques, humains et organisationnels comme le propose par exemple la théorie des
ressources (Barney, 1991). Il n‟est pas seulement ce qui permet d‟accroitre la compétitivité
des entreprises, mais devient aussi ce qui pose les conditions de leur déploiement et donc de
leur existence comme des activités humaines dans leur ensemble.
La prise de conscience que l‟activité économique des sociétés est liée aux ressources
naturelles de la planète n‟est pourtant pas totalement nouvelle. Cloud (1977) le soulignait déjà
en mettant en évidence le fonctionnement problématique des « nations riches et surindustrialisées17» qui, parce qu‟elles ne font que consommer de plus en plus de matières et
d‟énergies, qui sont en même temps de moins en moins disponibles, doivent mettre au point
de nouvelles normes sociales, économiques et écologiques pour perdurer. Comme le souligne
l‟article de Stead et Stead (1994), le système économique doit donc se mouvoir à l‟intérieur
des limites physiques de la planète :
« Pour que le mythe de la santé économique reste viable au regard des défis écologiques qu‟il
rencontre, les entreprises vont devoir faire l‟expérience d‟un changement de paradigme qui les
encourage à se voir comme appartenant à un réseau social et écologique plus large et
interconnecté, gouverné par des processus biologiques et physiques18. » (Stead et Stead, 1994,
p.15).
17
« Rich and over-industrialized nations »
« If the myth of economic wealth is to remain viable in the face of the ecological challenges it faces, business
organizations will have to experience paradigm shifts which encourage them to view themselves as part of a
larger, interconnected, social and ecological network governed by biological and physical processes. »
18
30
Il importe maintenant de se poser comme cadre ce que la nature peut offrir et
supporter (Shrivastava, 2008). Alors que l‟environnement ne se restreint plus à une variable
socio-économique et que l‟on sait que les organisations font partie intégrante de
l‟environnement (Astley, 1984), Shrivastava (1994) regrette que les sciences de gestion se
soient trop peu emparées de ce constat:
« Les chercheurs en management stratégique évolue dans le paradigme de l‟économie néoclassique. Leur premier centre d‟attention concerne la compétitivité des entreprises au sein d‟une
économie de marché. L‟environnement naturel est resté en dehors de leurs préoccupations. Ils
considèrent que la dégradation de l‟environnement est un à côte de la production, un sujet qui
relève des politiques publiques19.» (Shrivastava, 1994, p.710).
Il insiste d‟ailleurs, « aux vues des sérieux dommages que les activités organisées infligent
à la nature, il nous faut corriger cette lacune des théories organisationnelles20. »
(Shrivastava, 1994, p.722).
Le capital naturel, c‟est-à-dire les ressources renouvelables comme les ressources non
renouvelables ainsi que les services rendus par les écosystèmes naturels sont en effet des
facteurs limitatifs au développement économique et dont il faut tenir compte (Hart, 1995 ;
Korhonen, 2004 ; Cohen-Rosenthal, 2004). Le principe est trivial mais il faut le rappeler
encore : les organisations industrielles et humaines ne peuvent évoluer hors sol, coupées des
ressources naturelles qui les alimentent. A titre d‟illustration, rappelons qu‟en raison d‟un
problème d‟approvisionnement en acier, l‟entreprise Nissan s‟est vue contrainte de mettre à
l‟arrêt ses chaînes de production pendant plusieurs jours. Les recherches et pratiques
organisationnelles doivent sans délai intégrer ces impérieux paramètres à leurs travaux.
Or la littérature se focalise sur la recherche de performance ou d‟optimisation économique,
de compétitivité, de rentabilité en laissant l‟environnement naturel relativement à la marge des
préoccupations. Il n‟imprègne véritablement les réflexions que dans des revues dédiées
comme Business Strategy and the Environment par exemple et nous constatons que pour
l‟instant, il apparait surtout de façon ponctuelle dans la littérature en gestion (Hart, 1997 ;
Lewis et Havey, 2001 ; Bansal, 2005 ; Murillo-Luna et al., 2008). S‟il nous faut donc nuancer
les propos de Shrivastava (1994) ci-dessus et remarquer que les entreprises n’ont pas été
19
« Strategic Management researchers work within the neoclassical paradigm. Their primary concern is with
firm competitiveness in free market economies. The natural environmental has remained outside their domain of
concerns. They regard environmental degradation as an externality of production, a subject for the field of
public policy. »
20
« Considering the serious damage the organizational activities inflict on nature, we need to rectify this lacuna
in OS. »
31
insensibles à ces préoccupations et y portent de plus en plus attention, pour la plupart
cependant, ces considérations ne sont encore ni une priorité, ni un facteur effectivement
limitant.
Le développement durable, un enjeu pour demain
La question d‟un développement durable concerne pourtant bien les entreprises (Bansal,
2005) puisque elles sont à la fois parties prenantes du problème et de ses solutions
(Howard et Bansal, 1997). Des voix s‟élèvent notamment pour dire que les organisations et
les entreprises en particulier ont un rôle à jouer dans les problématiques d’un
développement durable (Shrivastava, 1995). Elles ont en effet des ressources financières,
des savoirs technologiques et les capacités institutionnelles de mettre en œuvre des solutions
écologiques, elles sont donc un niveau clé pour avancer sur ces sujets. Elles doivent intégrer à
leurs différentes stratégies la notion de durabilité écologique, ce que même la presse
économique souligne:
« La responsabilité des états et des citoyens fait aujourd‟hui l‟unanimité ; le rôle des entreprises
est majeur et reconnu comme tel. Face à de tels défis, beaucoup d‟entreprises ont mis en place un
certain nombre d‟actions voire des stratégies complètes ; les entreprises les plus importantes ont
créé depuis plusieurs années une fonction formellement en charge du développement durable, elles
rédigent et diffusent un rapport de développement durable, elles labellisent certains de leurs
produits en fonction de caractéristiques environnementales ou sociales et travaillent à réduire
leurs consommations d‟énergie,… » (Les Echos, 2008, p.4).
Hart (1995) a d‟ailleurs proposé d‟enrichir la théorie des ressources de Barney (1991) en y
intégrant l‟environnement au sens biologique du terme. L‟auteur considère que pour durer et
conserver un avantage compétitif, les entreprises vont devoir intégrer les ressources naturelles
aux ressources matérielles, humaines et organisationnelles avec lesquelles elles composent
traditionnellement :
« Une vue limitée de ce qui constitue l‟ « environnement » d‟une entreprise rend la théorie des
ressources inadéquate pour identifier les futures sources d‟avantage compétitif. C‟est pourquoi cet
article propose une théorie des ressources naturelles de l‟entreprise basée sur les relations de
l‟entreprise à son environnement naturel21.» (Hart, 1995, p.1008).
Malgré tout, le développement durable est d’autant moins une priorité pour les
entreprises que les dirigeants ont des difficultés à en tenir compte dans leur prise de
décision. On s‟aperçoit que, malgré l‟influence certaine que peuvent jouer les actionnaires sur
21
« A limited view of what constitutes a firm‟s “environment” renders the resource-based view inadequate as a
basis for identifying important future sources of competitive advantage. Accordingly, this article proposed a
natural-resource-based view of the firm, based upon the firm‟s relationship to the natural environment.»
32
ces sujets (Murillo-Luna et al., 2008), les questions environnementales n‟intègrent pas, peu ou
mal les stratégies des entreprises (Hart, 1997). Pour Lewis et Harvey (2001), l‟environnement
naturel d‟une organisation ou d‟une entreprise est effectivement tellement complexe à
appréhender et incertain dans ses évolutions, qu‟il rend presque impossible la mission du
dirigeant de l‟intégrer dans ses prises de décisions. Comment prendre en compte par exemple
l‟usage de ressources naturelles dans des décisions économiques ? Certaines d‟entre elles
appartenant à tout le monde n‟appartiennent finalement à personne et n‟ont pas pour l‟instant,
de valeur économique attribuée22. Alors que l‟on sait maintenant qu‟un management
environnemental peut avoir des répercussions positives sur la performance de l‟entreprise
(Klassen et McLaughlin, 1996), comment prendre en compte par exemple dans la stratégie et
les prises de décision, l‟air extérieur que nous respirons tous ? D‟autres travaux ont étudié
comment la notion de développement durable pouvait imprégner les stratégies des décideurs.
Banerjee (2001) a montré que le développement durable intégrait plus facilement les
stratégies des dirigeants d‟entreprise par le biais de démarches normalisées type ISO 14 000.
Les gains en visibilité et l‟apprentissage organisationnel (Bernd et Marlen, 2007) sont plus
évidents dans ces processus encadrés même si les progrès restent limités23.
On s‟aperçoit alors que dans la littérature existante, une question centrale liée au
développement durable reste de savoir comment les organisations peuvent s’emparer de
ces sujets. Comment les acteurs d‟une organisation passent de la formulation d‟un problème à
l‟action (Bansal, 2003) ; quels sont les déterminants organisationnels qui permettent aux
entreprises de s‟emparer de la question du développement durable (Bansal, 2005), etc. Ces
réflexions permettent de distinguer différentes stratégies de développement durable des
entreprises que Durif et al. (2009) relaient dans leur papier et que nous rapportons au Tableau
2:
22
Nous disons « pour l‟instant » car l‟on assiste à des évolutions dans ce domaine. Prenons l‟exemple des
émissions de carbone en Europe. Jusqu‟à tout récemment, le carbone n‟avait pas de valeur marchande en tant
que telle. La pression environnementale et les accords internationaux, pris dans le sens d‟un souci croissant des
impacts des activités humaines sur l‟environnement (notamment le Protocole de Kyoto), ont donné naissance aux
bourses du carbone. Ce marché du carbone est un mécanisme qui permet d‟échanger des droits d‟émissions de
Gaz à Effet de Serre (GES) et en Europe, chaque pays en fixe des quotas d‟émission pour ses entreprises.
Lorsque certaines entreprises sont en dessous des quotas autorisés, elles peuvent revendre leurs droits à polluer
sur le marché du carbone. A titre indicatif, notons que le prix moyen de la tonne de carbone tourne autour de 20
euros avec des chutes à moins de 10 euros et des pics à presque 40 euros selon les contextes économiques. Le
marché du carbone qui s‟est développé ces cinq dernières années, illustre l‟idée que ce qui n‟a pas de valeur
économique, de prix ou de coût aujourd‟hui, pourrait en avoir demain.
23
Les normalisations environnementales ne sont pas très contraignantes. Elles sont les premiers pas d‟une
démarche à construire et alimenter. Elles permettent de poser les intentions de progrès des entreprises et de
donner les grandes lignes des améliorations à apporter, mais ne sont pas de fortes remises en question des modes
de produire et consommer des entreprises qui s‟y engagent.
33
Stratégies
Définition de la stratégie
Les stratèges
Soumises à une pression forte, ces entreprises font du développement durable une
opportunité intégrée dans la stratégie globale de l‟entreprise.
Les engagés
Face à une pression externe modérée, l‟adéquation du développement durable
avec leurs valeurs, leur permet de construire une politique globale de
responsabilité sociétale, inscrite dans leur stratégie.
Les concernés
En réaction aux pressions de l‟environnement, le développement durable est vu
d‟abord à travers les opportunités de marché qu‟il offre, autour de grandes
priorités.
Les proactives
L‟anticipation des attentes des clients oriente une partie de l‟activité autour d‟un
positionnement développement durable.
Les cibles idéales
Une pression très forte les conduit à réagir par des programmes d‟actions
cherchant à éviter les risques de mise en cause.
Les entrants
Face à une pression encore limitée, ces entreprises ont mis en œuvre des
démarches d‟adaptation aux nouvelles normes implicites de responsabilité sociale
et environnementale.
Tableau 2 Ŕ Stratégie de développement durable des entreprises, d’après Durif et al. (2009)
Le développement durable est donc un sujet qui interroge souvent la performance interne
des organisations (Post et Altman, 1994). Un certain nombre de travaux s‟intéressent
effectivement à la manière dont ces stratégies peuvent être délinées au sein d‟entreprises
spécifiques. On notera par exemple « le cas de Mountain Equipment Co-op » (Durif et al.,
2009), de « la compagnie STmicroelectronics » et « du groupe Lafarge » (Wolff, 2007) ou
encore « Le cas Lafarge » (Grandval et Soparnot, 2004). Mais n‟y a-t-il pas une autre façon
d‟appréhender les questions liées au développement durable ? Ne serait-il pas possible, voire
préférable, de penser l‟ensemble des acteurs économiques d‟un territoire plutôt que de se
focaliser sur les entreprises une par une ? (Boons et Howard-Grenville, 2009)
1.1.2. L’EIT, une alternative au modèle actuel
Pour répondre aux exigences du développement durable, des efforts inter-organisationnels
doivent effectivement être menés (Sinding, 2000) et c‟est en cela que l‟EIT nous intéresse.
Concernant la littérature académique qui traite du sujet, Boons et Howard-Grenville (2009),
qui ont par ailleurs beaucoup travaillé sur l‟EIT, précisent qu‟il existe à ce jour quatre revues
principales : Business Strategy and the Environment, le Journal of Cleaner Production, le
Journal of Industrial Ecology et Progress in Industrial Ecology qui peuvent être considérées
comme des références sur le sujet. Notre analyse de l‟EIT se fera donc principalement à partir
de ces revues.
34
L’EIT ou l’opérationnalisation du développement durable
Il ne suffit pas de vouloir mettre en place une stratégie de développement durable pour
savoir comment s‟y prendre (Durif et al., 2009). Le sujet se prête d‟ailleurs à différentes
interprétations et pratiques qui ne permettent pas nécessairement d‟atteindre les objectifs de
durabilité qu‟il ambitionne (Ashton, 2009). Parce que le développement durable est un
« concept macro » (Auberger, 2006, p.223) qui a une « approche globale » (Charles, 2006,
p.235), il appelle des précisions opérationnelles et des boîtes à outils dédiées pour se traduire
en actions.
L‟EIT a sur ce point des réponses à apporter (Cosgriff Dunn et Steinemann, 1998) parce
que précisément elle apparaît comme une stratégie d‟opérationnalisation du développement
durable (Boons et Berends, 2001 ; Baas et Boons, 2004 ; Hess, 2010). Elle a même été
présentée comme la « science de la durabilité » (Allenby, 1999). Pour Gibbs et Deutz (2007),
elle permet en effet de répondre aux différents impératifs sociaux, économiques et
environnementaux posés par le développement durable (Boiral et Croteau, 2001). L’EIT
permettrait de faire le pas nécessaire dans la recherche de durabilité que les sociétés et
organisations doivent initier (Heeres et al., 2004), ce que nous allons expliciter en la
présentant tout de suite.
La conceptualisation de l‟EIT est née sous la plume de Frosch et Gallopoulos (1989) de la
direction de la recherche de General Motors qui ont proposé l‟article reconnu comme
fondateur du champ. Erkman (2001), l‟un des chercheurs francophones le plus reconnu sur
cette question, rappelle cependant que l‟expression apparaît sporadiquement dans la littérature
dès les années 1970, et commence à imprégner les esprits au démarrage du Programme des
Nations Unies pour l‟Environnement, au milieu de cette même période. Dans la lignée de la
Conférence de Stockholm et du rapport du Club de Rome « Halte à la Croissance », elle
réapparaît donc à la fin des années 1990 dans une édition du Scientific American. Ce numéro
spécial consacré à la « Gestion de la Planète Terre » permet à Frosch et Gallopoulos
d‟expliciter la spécificité de l‟EIT, c‟est-à-dire l‟analogie qu‟ils proposent d‟établir entre les
écosystèmes naturels et les systèmes industrialisés. Le premier titre de l‟article, que la revue a
refusé à l‟époque, « Towards an Industrial Ecosystem », donne le ton. Rebaptisé « Strategies
for Manufacturing », il a permis de disséminer le concept et notamment dans les sphères
économiques (Erkman, 1997). Au regard des problématiques environnementales qui se
posaient déjà avec acuité, il a été comme un catalyseur pour les intuitions latentes qu’il
35
fallait aux systèmes industriels de nouvelles stratégies. Cette dissémination du concept se
renforce par la diversité des définitions de l‟EIT que l‟on peut trouver dans la littérature et
dont nous proposons un échantillon au Tableau 3 ci-dessous :
Auteurs
Définitions
Frosch
et
Gallopoulos,
1989,
p.95
« Le modèle traditionnel de l‟activité industrielle – dans lequel tous les procédés de
fabrication utilisent des matières premières, créent des produits qu‟il faut vendre et des
déchets dont il faut se débarrasser – doit être transformé en un modèle plus intégré: un
écosystème industriel. L‟écosystème industriel fonctionnerait par analogies avec les
écosystèmes biologiques24.»
White,
1994,
p.V
« L‟écologie industrielle est l‟étude des flux de matières et d‟énergie dans les activités
industrielles et de consommation, des effets de ces flux sur l‟environnement, de l‟influence
des facteurs économiques, politiques, réglementaires et sociaux sur les flux, l‟utilisation et
la transformation des ressources. L‟objectif de l‟écologie industrielle est de mieux
comprendre comment nous pouvons intégrer les préoccupations environnementales dans
nos activités économiques25. »
Ayres
et
Ayres,
1996,
p.278-279
« L‟écologie industrielle est un néologisme qui vise à attirer l‟attention sur une analogie
avec la nature : le fait qu‟un écosystème tende à recycler la plupart des composants
essentiels en utilisant seulement l‟énergie solaire. (…) Toutes les autres matières sont
recyclées de façon biologique, au sens où tous les déchets d‟une espèce sont les
« aliments » d‟autres espèces. (…) L‟analogie industrielle d‟un écosystème est un parc
industriel (ou une région plus large) qui récupère et recycle tous les flux physiques internes
en n‟utilisant que l‟énergie extérieure au système et ne produisant pour la vente au
consommateur que des services non matériels26. »
Korhonen,
2000,
p.19
« L‟écologie industrielle est comprise pour les entreprises industrielles comme un
concept de management des flux de matières. Il se focalise sur les flux physiques de
matière et d‟énergie qu‟une entreprise prélève dans son environnement naturel et sur les
coopérations avec des partenaires. Il se concentre sur les flux de déchets et d‟émissions
qu‟une entreprise produira et rejettera dans la nature 27. »
Tableau 3 Ŕ Définitions de l'EIT, d’après Seuring (2004)
24
« The traditional model of industrial activity Ŕ in which individual manufacturing processes take in raw
materials and generate products to be sold, plus waste to be disposed of Ŕ should be transformed into a more
integrated model: an industrial ecosystem. The industrial ecosystem would function as an analogue of biological
ecosystems. »
25
« Industrial ecology is the study of flows of materials and energy in industrial and consumer activities, of the
effects of these flows on the environment, of the influences of economic, political, regulatory, and social factors
on the flow, use and transformation of resources. The objective of industrial ecology is to understand better how
we can integrate environmental concerns into our economic activities. »
26
« Industrial ecology is a neologism intended to call attention to a biological analogy: the fact that an
ecosystem tends to recycle most essential nutrients, using only energy from the sun to « drive » the system. (…)
In a “perfect” ecosystem the only input is energy from the sun. All other materials are recycled biologically, in
the sense that each species‟ waste are products are the “food” of another species. (…) The industrial analogy of
an ecosystem is an industrial park (or some larger region) which captures and recycles all physical materials
internally, consuming only energy from outside the system, and producing only non-material services for sale to
consumers. »
27
« Industrial ecology has been understood as a material flow management concept for industrial companies. It
will focus on the physical material and energy flows that a company uses from its natural environment as well as
from its co-operation partners. It will focus on the flows that a company will produce as its waste and on
emission outputs dumped back to nature. »
36
Si l‟EIT se nourrit de cette diversité des définitions, elle en souffre aussi et perd la lisibilité
qu‟il lui faudrait pour se déployer davantage (Diemer et Labrune, 2007 ; Hess, 2010). Ces
nuances ne masquent cependant pas le fond du propos : l’EIT a trait au fonctionnement des
sociétés industrialisées et s’attache spécifiquement aux modes de production et de
consommation : en ce sens, elle s’inscrit précisément dans le champ du développement
durable.
De l’intra à l’inter-organisationnel
Il est donc difficile de donner une définition uniforme de l‟EIT mais nous verrons ici que
certains éléments font malgré tout consensus. Ils nous permettront de distinguer pourquoi
l‟EIT s‟inscrit pleinement dans le champ du développement durable et pourquoi, en même
temps, elle s‟en distingue.
Au fondement de l‟EIT se trouve bien le constat que les systèmes industrialisés ne sont pas
pérennes. D‟une part parce qu‟ils sont linéaires (extraction de matières ; production et
consommation ; rejet) et d‟autre part, parce qu‟ils s‟appuient sur ce postulat, intenable, des
capacités illimitées de la planète à fournir des ressources et à supporter les déchets et
pollutions (Allenby, 1999). L‟ambition ultime est ainsi de rendre ces systèmes compatibles
avec le fonctionnement circulaire de la biosphère (Harper et Graedel, 2004 ; Hermansen,
2006). Une phrase clé de l‟article de Frosch et Gallopoulos de 1989 : « L‟écosystème
industriel devrait fonctionner comme l‟écosystème biologique28. » (Frosch et Gallopoulos,
1989, p.144), met en relief le rattachement fort qui est fait dans le champ de l‟EIT, et dès son
développement initial, entre les systèmes humains et les systèmes naturels. L‟EIT cherche
ainsi à réconcilier ce que des siècles de réflexions philosophiques29 et économiques mêlées
aux progrès industriels étaient parvenu à distinguer et que nous déplorions plus haut, à savoir
l‟homme et son environnement naturel. Les hommes doivent s’inspirer du fonctionnement
des écosystèmes naturels et cette analogie s’impose comme le fil rouge du champ.
Erkman (2004) renforcera davantage ce principe dans son ouvrage qui fait date, paru en 1998
et réédité en 2004. Dès le début, l’EIT est donc rattachée à une discipline spécifique :
l’écologie scientifique. Un détour par cette discipline va nous permettre de comprendre la
spécificité et les difficultés de l‟EIT.
28
« The industrial ecosystem would function as an analogue of biological ecosystems. »
A titre d‟illustration, il pourrait suffire de rappeler les propos de Descartes dans son Discours de la Méthode
(1637) sous-titré alors « Pour bien conduire la raison et chercher la vérité dans les sciences ». Il enjoignait en
effet les hommes à développer des sciences physiques qui leur « soient fort utiles » et leur permettraient
notamment de se rendre « comme maître et possesseur de la nature. »
29
37
Les écosystèmes naturels fonctionnent uniquement par l‟apport en énergie produite par le
soleil. Ils ne produisent pas de déchets au sens traditionnel du terme: ce qui est rejeté d‟une
part est réutilisé par ailleurs, ce qui est décomposé ici est recomposé là-bas. Il y a très peu de
pertes puisque l‟ensemble des matières produites est utilisé dans un système complexe et
équilibré, où tous les éléments sont en interrelations les uns avec les autres. Matières et
énergies circulent ainsi avec performance30 comme l‟illustre la Figure 2 ci-après :
Energie
Lumineuse
Producteurs
Primaires
Matières
Organiques
Végétaux divers :
mousses, plantes,
etc.
Consommateurs
Primaires
Matières
Organiques
Insectes, rongeurs,
herbivores
Consommateurs
Secondaires
Oiseaux, mammifères,
carnivores
Déchets organiques
Décomposeurs
Déchets organiques
Champignons,
micro-organismes,
invertébrés
Déchets organiques
CO2 + Matières minérales
Figure 2 Ŕ Cycle de la matière et des énergies dans un écosystème terrestre
30
Une analyse fine du fonctionnement des écosystèmes naturels nous conduirait à entrer dans le détail de leur
structure trophique, ce que nous ne ferons pas ici puisque ce n‟est pas notre objet. Nous pouvons tout de même
noter que malgré la performance des systèmes dits « naturels », des pertes existent : « A chaque étape, à chaque
transfert d‟énergie, il y a des pertes importantes, de sorte qu‟à partir des consommateurs de troisième ordre, la
quantité de matière exploitable devient rare, dispersée et difficilement utilisable, sauf pour quelques super
prédateurs surtout parasites. » (Barbault, 2000, p.177). Cela étant et conformément au Principe de conservation
des lois générales de la thermodynamique, l‟énergie présente dans le système (issue exclusivement de l‟énergie
solaire) est toujours constante ; qu‟elle traverse les organismes, qu‟elle prenne différentes formes (énergie
lumineuse, énergie chimique, travail, etc.), « elle n‟est jamais ni créée ni détruite » (idem, p.183). Ainsi, ce que
nous retiendrons et qui nous intéresse dans le cadre des démarches d‟EIT, c‟est de considérer qu‟il y a toujours
réemploi de la matière et de l‟énergie, d‟une manière ou d‟une autre, par un acteur ou par un autre.
38
Ce schéma donne le cadre de l‟EIT et propose un modèle vers lequel les systèmes
industrialisés devraient tendre afin d‟utiliser de façon performante les matières et énergies.
C’est dans l’analogie avec les écosystèmes naturels que réside l’enjeu principal des
démarches d’EIT. En ce sens, elle « transcende l‟entreprise individuelle » (Bey, 2008,
p.109) et se différencie par là de l‟objet particulier du développement durable. Sa proposition
pour sortir de la non durabilité du fonctionnement de nos organisations est que leurs flux
puissent être valorisés: les systèmes industrialisés doivent pouvoir tendre vers un
développement durable en faisant davantage circuler d’une organisation à une autre Ŕ
par échange, mutualisation ou substitution Ŕ les flux de matières et d’énergie qu’ils
utilisent ou rejettent.
Mais dire qu‟il faut s‟inspirer des écosystèmes naturels n‟est pas neutre. Puisque d‟une part
la nature apparaît comme un ensemble de relations et que d‟autre part, l‟EIT appelle à
s‟inspirer de cette nature comme « modèle » (Isenman, 2003), on voit clairement qu‟elle
encourage alors à penser et organiser les activités de l‟homme non plus de façon isolée mais
en relation les unes avec les autres comme le matérialisent les flèches de la Figure 2 :
« Selon l‟écologie industrielle, les acteurs devraient s‟organiser en réseaux avec des flux de
matières et d‟énergies intégrés, ce qui rendrait le système plus efficient et réduirait l‟utilisation de
ressources limitées et le rejet de polluants31. » ( Wolf et al., 2005, p.186).
La transformation de la société que cela implique est profonde puisqu‟avec l‟EIT, les
progrès à réaliser ne peuvent plus être faits par chaque organisation, chacune de son côté. En
plaçant les écosystèmes naturels comme modèles, l‟EIT appelle à la constitution de chaînes
d‟organisations:
« La maturation du système industriel ne peut avoir lieu sans une transformation des modes de
production et de consommation des entreprises. Une mutation dans les relations entre entreprises
doit également s‟opérer car, par définition, le bouclage des flux de matières et d‟énergie, à l‟image
des chaînes alimentaires des écosystèmes naturels, implique la mise en réseau des entreprises.
Ainsi, la recherche de compétitivité, jusqu‟alors conditionnée par une démarche individuelle où la
culture du secret et le refus de toute collaboration avec quelque partie prenante que ce soit étaient
de mise, doit prendre en compte de nouveaux paramètres. (…) Cependant, cette mise en réseau ne
peut voir le jour et demeurer pérenne que si les acteurs communiquent entre eux, coopèrent et
parviennent à créer une relation de confiance. » (Brullot-Dermine et Bergossi, 2006, p. 203).
Les dernières décennies ont vu s‟imposer le développement durable comme un sujet de
taille pour les organisations. Bien qu‟à l‟écoute de ces nouvelles préoccupations, les
31
« According to industrial ecology, actors could be organised into networks with integrated material and
energy flows, which will render the systems more effective and decrease the use of limited resources and the
discharge of pollutants. »
39
entreprises ne se sont pourtant pas emparées du sujet avec force. Cela d‟autant plus que les
questions environnementales, pour ne souligner qu‟elles, sont difficiles à prendre en compte
dans les stratégies et prises de décision. Dans ce cadre et en proposant d‟appréhender la
société comme un cas particulier d‟écosystème, les démarches d‟EIT apparaissent comme une
voie privilégiée d‟opérationnalisation des principes du développement durable. Cependant,
les transformations profondes Ŕ puisque non seulement intra mais aussi interorganisationnelles Ŕ qu‟elles proposent d‟initier nous font sentir que les enjeux liés à leur
déploiement touchent à la volonté qu‟ont les acteurs de participer à des démarches
collectives, qui supposent de nouvelles coopérations inter-organisationnelles.
1.2.
LES SCIENCES HUMAINES, GRAND ABSENT DE L’EIT
Par les échanges qu‟elles invitent à mettre en place et les gains environnementaux et
économiques qu‟elles défendent, les démarches d‟EIT sont fréquemment présentées comme
des processus gagnant-gagnant permettant à tous les acteurs d‟y trouver intérêts et avantages.
Les difficultés qu‟elles rencontrent à se développer nous incitent cependant à penser que
certaines dimensions n‟ont pas été suffisamment prises en compte.
1.2.1. Des thèmes dominants dans la littérature
Des analyses de flux
L‟EIT est un champ de recherches et de pratiques véritablement dominé par les sciences de
l‟ingénieur. L‟ensemble des travaux scientifiques concernant l‟EIT se retrouve en effet dans
quatre revues précédemment citées et présentées au Tableau 4 suivant :
Nom de la revue
Business
Strategy and the
Environment
Naissance
de la
revue
1992
Publication
du premier
article sur
l’EIT
1997
Objet de la revue et
Nombre d’articles qui ont les termes « écologie
industrielle » dans leur titre ou résumé
Articule les questions de compétitivité des entreprises, de
stratégies managériales avec les questions de la
performance environnementale. Il s‟agit d‟une revue de
gestion qui intègre les problématiques environnementales.
Nombre d‟articles > 130
Journal of
Cleaner
Production
1993
1994
Se penche sur différentes thématiques, toutes en lien avec
ce qui concoure à construire une société durable. Il peut
s‟agir de recherches sur les procédés industriels, comme
de recherches sur l‟évolution de la réglementation ou sur
l‟éducation à l‟environnement.
Nombre d‟articles > 790
40
Journal of
Industrial
Ecology
1997
1997
S‟intéresse à tout ce qui a trait à l‟EIT : procédés
industriels, gestion des déchets, performance énergétique
ou analyse de cycles de vie, etc. C‟est le journal attitré de
l‟International Society of Industrial Ecology, communauté
d‟experts en EIT.
Nombre d‟articles > 1000
Progress in
Industrial
Ecology
2004
2004
Ambitionne de relier les recherches focalisées sur les
analyses de flux de matières et d‟énergies avec celles
consacrées au management environnemental ou à la
stratégie d‟entreprise pour permettre à l‟EIT de passer de
la théorie à la pratique. En pratique, ces papiers abordent
plus largement des questions de développement durable.
Nombre d‟articles > 160
Tableau 4 Ŕ Principales revues sur l'EIT
Si les trois autres revues peuvent aborder des thématiques plus larges ou transverses (sur la
question de la sécurité, des conséquences du changement climatique sur les organisations ou
encore sur la façon dont la notion de développement durable peut impacter les décisions des
actionnaires d‟une entreprise, etc.), le Journal of Industrial Ecology est en revanche très
technique. Dans un volume récent choisi au hasard – le volume 14 de 2010 – on y trouve des
recherches spécialisées à l‟image de ce que la revue propose dans son ensemble32. Vermeulen
(2006) constate qu‟une large part des travaux en EIT s‟articule effectivement autour de
questions techniques :
« La majeure partie de la littérature s‟intéresse au développement et à l‟application de différentes
méthodes permettant de mesurer l‟impact environnemental des productions et consommations
humaines (comme les applications des Analyses de Cycle de vie (ACV) et les Analyses de Flux de
Matières (AFM) (…) et à la description de cas pratiques concernant des produits, des matériaux et
des régions éco-industrielles33. » (Vermeulen, 2006, p.580).
L‟utilisation des AFM, des ACV et des métabolismes industriels relatés dans la littérature
contraint l‟EIT à prendre corps dans des outils construits sur la base de réflexions des sciences
naturelles (physique, chimie, biologie, etc.). Aux questions de flux, s‟ajoutent des réflexions
par secteurs d‟activités ou sur des problématiques précises. La question de la productivité
dans les technologies de l‟information et le secteur des semi-conducteurs (Laitner, 2010), la
valorisation des sables de fonderies pour la fabrication de briques en argile (Alonso-Santurde
32
On identifie par exemple des papiers concernant la comptabilité du carbone (Marland, 2010), des outils de
décision permettant le management du phosphore (Brunner, 2010), ce qui peut être envisagé pour les batteries
usagées (Lindhquist, 2010), la gestion du cuivre pendant la seconde guerre mondiale (Klinglmair et Fellner,
2010) ou encore l‟analyse de cycle de vie des filets de Tilapia surgelés provenant des élevages d‟aquaculture
intensifs d‟Indonésie (Pelletier et Tyedmers, 2010).
33
« By far the largest part of industrial ecology literature deals with the development and application of various
methods for measuring environmental impacts of human production and consumption (such as applications of
Life Cycle Assessment (LCA) and Substance Flow Analysis (SFA) (…) and describing practical cases products,
materials, and eco-industrial regions. »
41
et al., 2010), la diminution de l‟impact environnemental du recyclage des déchets électriques
et électroniques (Johansson et Björklund, 2010) sont autant de sujets qui illustrent le type de
thématiques abordées :
« L‟écologie industrielle se focalise sur la définition des éléments du système, les boîtes ou les
catégories (elles-mêmes créées par nos taxonomies rationnelles) qui définissent les frontières d‟un
« système durable » et sur l‟identification et l‟énumération des flux (les flèches) entre les boîtes. Ici
la quantification est ce qui permet la vérité scientifique. La plupart des travaux en écologie
industrielle s‟intéressent aux méthodologies qui permettent de modéliser les systèmes avec plus de
précision et à l‟acquisition de données pour alimenter les calculs34. » (Wells, 2006, p. 117).
Les travaux sur l‟EIT permettent de décrire comment les systèmes fonctionnent tout en
prescrivant ainsi comment ils devraient fonctionner (Korhonen et al., 2004). Les quatre axes
stratégiques d‟action de l‟EIT développés par Erkman (2004) et que nous rapportons au
Tableau 5 ci-dessous renforcent ce constat :
Axes stratégiques, p.100
Implications opérationnelles
« Valoriser les déchets comme des ressources »
Rechercher de nouveaux usages pour des produits ou
matériaux qui ne sont plus utiles ou utilisables dans
leur circuit initial.
« Boucler les cycles de matière et minimiser les
émissions dissipatives »
Penser les deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes vies
des produits dès leur conception afin de limiter les
pertes de matières et d‟énergie.
« Dématérialiser les produits et les activités
économiques »
Rendre plus performant les
matériaux/produits/services avec moins de matières et
d‟énergies.
« Décarboniser l’énergie »
Remplacer les énergies non renouvelables, riches en
carbone fossile, par des énergies renouvelables.
Tableau 5 Ŕ Les 4 axes stratégiques de l'EIT, d'après Erkman (2004)
Apparemment, la « maturation du système industriel » (Erkman, 2004, p.100) se fera grâce
aux sciences de l‟ingénieur.
Des analyses de cas
Les analyses de cas et méthodologies développées illustrent à quel point ce champ
scientifique en construction (Harper et Graedel, 2004) est véritablement dominé par l‟intérêt
pour les flux physiques. Lorsque les chercheurs présentent l‟EIT, et les praticiens font de
34
« The focus of industrial ecology is on defining the elements of the system, the boxes or categories (…) that
define sustainable-system boundaries, and then on the identification and enumeration of the flows (the arrows)
between the boxes. Quantification provides fundamental scientific truth here. Much of industrial ecology is
concerned with methodologies to more accurately model the systems, and with data acquisition to feed into the
calculations. »
42
même (Chertow, 2000 ; Erkman, 2004, Doménech et Davies, 2012), ils utilisent fréquemment
la symbiose industrielle de Kalundborg comme illustration. Nous souhaitons également
relater cette expérience qui nous semble pertinente à la fois pour expliciter ce que peut être
une démarche d‟EIT, mais aussi pour en souligner davantage les enjeux spécifiques.
Petite ville danoise d‟environ 20 000 habitants, Kalundborg se situe à une centaine de
kilomètres à l‟Ouest de Copenhague. Adossée à un fjord, sa situation géographique
particulière en a fait l‟un des seuls ports encore praticables pendant l‟hiver dans l‟hémisphère
nord. Cette localisation privilégiée a favorisé son développement industriel dans les années
1950 avec l‟implantation notamment d‟une centrale électrique et d‟une raffinerie de pétrole.
Avec l‟arrivée de nouvelles industries et dès les années 1960, des relations commerciales
d‟échange de flux ont commencé à se mettre en place localement. En 2007, on dénombrait
plus de 25 projets de synergies inter-entreprises sur la zone autour notamment de fourniture
de vapeur, d‟eau (sous forme liquide ou gazeuse) et de sous-produits. Six acteurs principaux
sont au cœur de ces échanges : La municipalité de Kalundborg, DONG Energy Asnaes Power
Station, la centrale électrique, Statoil, la raffinerie de pétrole, Novo Nordisk qui fabrique des
produits pharmaceutiques, Novozyme qui produits des enzymes, Gyproc qui fabrique des
panneaux de construction en gypse.
Initialement animés par un souci de performance économique, les dirigeants locaux se sont
aperçus dans les années 1980 qu‟ils avaient construit un système complexe qu‟ils ont alors
baptisé « symbiose industrielle ». Ces relations se sont institutionnalisées avec la création en
1998 du Center for Industrial Ecology à la Yale School of Forestry and Environment Studies
qui rassemble des chercheurs, étudiants et entreprises sur ces questions. Certains auteurs que
nous citons dans ce travail, Thomas Graedel et Marian Chertow font partie de ce centre.
De ces synergies résultent des gains environnementaux et économiques qui ont pu être
mesurés. La réutilisation de certains flux de matières et d‟énergie a, en effet, permis de
diminuer l‟apport nécessaire en matières premières et les coûts de traitements de certains
déchets. On considère (Brullot, 2009) que chaque année, 200 000 tonnes de pétrole sont
économisées diminuant ainsi d‟environ 380 tonnes les émissions de dioxyde de souffre dans
l‟atmosphère. Globalement, la consommation d‟eau (eau de surface et eau souterraine) a été
réduite de 25% et une quantité non négligeable de sous-produits est valorisée : 80 000 tonnes
de cendres, 200 000 tonnes de gypse, 4 000 tonnes de ferrailles, etc. Alors que l‟on estime à
environ 75 millions de dollars les investissements qui ont été nécessaires à la mise en place de
43
ces synergies, en parallèle, ce sont près de 15 millions de dollars qui sont économisés par
l‟ensemble de ces acteurs économiques chaque année avec globalement des retours sur
investissements ne dépassant pas cinq ans.
L‟exemple de la symbiose de Kalundborg est riche d‟enseignements. Il montre que des
échanges de flux inter-entreprises sont non seulement possibles mais qu‟ils peuvent s‟avérer
performants d‟un point de vue économique et environnemental. Il illustre parfaitement le
discours
gagnant-gagnant
évoqué
en
renforçant
l‟idée
que
les
synergies
inter-
organisationnelles sont pertinentes. Grâce aussi à l‟analyse d‟autres démarches de ce type,
cette expérience a naturellement conduit à la construction d‟une méthodologie.
Pour décrire et promouvoir les démarches d‟EIT, l‟association Orée propose dans un guide
méthodologique à destination des praticiens le « Cheminement d‟une démarche d‟écologie
industrielle » en trois étapes principales : la phase préliminaire ; les études et la conception et
enfin la mise en œuvre (Orée, 2009, p.58). La littérature propose le déroulement type d‟une
démarche d‟EIT selon des grandes phases chronologiques. Au travers d‟une revue de
littérature illustrée, Sabrina Brullot (Brullot, 2009), chercheuse française en EIT, a réalisé
dans ses travaux de thèse une description de ces grandes phases dont nous reprenons cidessous au Tableau 6 les principaux éléments :
Etapes, p.112-121
Objectifs
« Phase préparatoire »
-
Constituer une équipe projet
Mener une revue du contexte territorial
Définir le périmètre de l‟étude
Sensibiliser les parties prenantes
« Phase de collecte des données »
-
Réaliser le métabolisme industriel
« Phase d’analyse des données »
-
Identifier les synergies potentielles
Etudier leurs faisabilités technique, économique et
réglementaire
« Phase de mise en œuvre des synergies »
-
Accompagner les acteurs économiques
« Phase d’évaluation »
-
Mesurer la performance des synergies mise en place.
Tableau 6 Ŕ Principales étapes d'une démarche d'EIT, d’après Brullot (2009)
Ces cinq étapes clés nous montrent le déroulement théorique et idéal assigné aux
démarches d‟EIT : la mise en œuvre des synergies devrait découler de façon mécanique des
études et analyses de flux.
44
1.2.2. Une approche gagnant-gagnant insuffisante
Les différents retours d‟expérience (Korhonen, 2004) montrent cependant que les
démarches d‟EIT ne se déroulent pas de façon linéaire. Un certain nombre d‟éléments sont
occultés dans ces approches idéales comme par exemple le facteur temps.
Des freins sous-estimés
Qu‟elle soit perçue comme un atout ou une contrainte, la dimension temporelle des
démarches d‟EIT est incontournable. La symbiose emblématique de Kalundborg a mis plus de
trente ans à se développer et atteindre le niveau de maturité qu‟elle a aujourd‟hui (Chertow,
2000). Rappelons que la première synergie de la zone s‟est mise en place en 1961 ; qu‟en
1979, soit dix huit ans après, on comptait quatre synergies supplémentaires ; qu‟il a fallu
attendre quatorze ans pour que s‟en développent onze de plus jusqu‟à ce que quatorze années
après de nouveau, en 2007, on en dénombre plus d‟une vingtaine. Ce nombre n‟a pas
beaucoup évolué depuis. On s‟aperçoit ici que la mise en œuvre de synergies interorganisationnelles est un processus qui prend du temps.
Ce temps long peut d‟ailleurs poser problème. Certains auteurs soulignent qu‟il n‟est pas
toujours possible d‟attendre plusieurs décennies pour voir des synergies se développer
(Paquin et Howard-Grenville, 2009) car tous les acteurs n‟inscrivent pas leurs activités dans
les mêmes échelles de temps (Wolf et al., 2005). La diversité des acteurs impliqués induit en
effet une diversité des besoins donc une diversité des priorités. Ainsi, plus les actions
possibles s’inscrivent dans un temps long et plus la diversité des agendas en complexifie
la mise en œuvre. Au premier abord, le temps apparaît, en effet, comme une contrainte.
Gibbs (2003) fait remarquer que les retours positifs de court terme sont facilement visibles et
attractifs mais qu‟il faut que les acteurs aient une confiance élevée dans la démarche pour se
projeter dans le long terme ce qui n‟est pas facile à obtenir. L‟auteur met aussi en relief les
difficultés qui peuvent apparaître avec le temps : alors que certaines entreprises –
conformément à leur stratégie de développement durable – vont sans doute chercher à
diminuer leur quantité de déchets par exemple, celles qui, dans une approche d‟EIT, s‟en
servent pour leur propre fonctionnement pourraient se trouver en difficulté.
Sur d‟autres aspects, le temps peut aussi être un atout. Les modifications exigées par les
démarches d‟EIT ne sont pas évidentes à mettre en œuvre et nécessitent souvent un processus
de maturation (Korhonen, 2001). Alors que la précipitation reste peu constructive, laisser
45
du temps aux acteurs permet d’initier des évolutions graduelles dans les pratiques des
entreprises. Baas et Boons (2004), insistent aussi sur le fait que la performance d‟une
démarche de développement durable ou d‟EIT se gagne avec le temps. Au démarrage on peut
mettre en place des choses locales, faciles et peu contraignantes et c‟est peu à peu que l‟on
pourra voir apparaître de nouveaux projets, plus ambitieux. D‟autant que, si le concept semble
intéresser les acteurs au démarrage d‟une démarche, il n‟en reste pas mois difficile de les
mobiliser dans le temps (Gibbs, 2003) et de créer un climat favorable et de confiance entre
eux (Boons et Janssen, 2004). Qu‟elle soit perçue comme un atout ou une contrainte, la
dimension temporelle des démarches d‟EIT se révèle donc incontournable.
Cohen-Rosenthal (2000) fait le constat par ailleurs que l‟EIT change l‟angle de vue que
l‟on porte sur son environnement et son activité économique. Frosch et Gallopoulos
l‟indiquaient déjà en 1989 en précisant que l‟EIT allait impliquer des changements à la fois
mineurs et majeurs dans les pratiques des nations industrialisées. La notion de changement est
de toute façon inhérente aux approches d‟EIT puisqu‟elles s‟inspirent du fonctionnement des
écosystèmes naturels qui sont eux-mêmes en perpétuelle évolution (Baas et Boons, 2004).
Boiral et Kabongo sont les principaux auteurs francophones en science de gestion à s‟être
intéressés aux démarches d‟EIT. Ils soulignent qu‟elles ne supposent pas que des
réajustements techniques mais impliquent aussi des changements importants dans
l‟organisation, mobilisant de nombreux savoirs : non seulement techniques, mais aussi
opérationnels, juridiques ou marketing (Boiral et Kabongo, 2004a). Ces savoirs sont tout
autant de l‟ordre des connaissances que des savoir-faire organisationnels. « L‟EIT appelle des
changements profonds dans les modes de productions industrielles » (Boiral et Kabongo,
2004a, p.177) et la principale difficulté liée à la question des savoirs qu‟il faut ou non acquérir
pour mener à bien une démarche d‟EIT est qu‟ils sont difficiles à mettre en lumière :
« En raison de leur spécificité, de leur collégialité et de leur caractère très opérationnel, ces
savoirs sont souvent de nature tacite et donc plus ou moins « invisible » pour un observateur
externe. » (Boiral et Kabongo, 2004a, p.183).
Korhonen et al. (2004) insistent sur un point précis en notifiant que ces démarches
nécessitent des capacités intra-organisationnelles spécifiques. Il s‟agit ici de « l‟apprentissage
de nouvelles pratiques auxquelles les organisations sont souvent mal préparées » (Boiral et
Kabongo, 2004b, p.4), qui « redéfinissent les compétences clés de l‟entreprise » puisque « les
pratiques d‟écologie industrielle tendent en effet à rendre plus complexes ou plus intenses les
46
problèmes administratifs, techniques et sociétaux associés au mangement environnemental. »
(Boiral et Kabongo, 2004b, p.18).
Les relations synergiques sont effectivement décrites comme si elles se mettaient en place
naturellement. Cohen-Rosenthal (2000) souligne à quel point les chercheurs semblent
confiants sur l‟idée que, s‟il est possible de démontrer qu‟il y a intérêt à échanger des flux, la
mise en œuvre de ces échanges et synergies devrait découler d‟elle-même : « Les théories
d‟économie classique comme celle de l‟écologie industrielle affirment qu‟une meilleure
information conduira à de l‟optimisation : aussi sûrement que le soleil se lève chaque
matin35. » (Cohen-Rosenthal, 2000, p.246). Dans le même temps, d‟autres chercheurs
regrettent pourtant qu‟il y ait si peu d‟expériences convaincantes et abouties (Korhonen,
2004 ; Gibbs et Deutz, 2007, Tudor et al., 2007). Alors que la littérature dédiée à l’EIT
passe sous silence un pan essentiel de la question à savoir le choix des acteurs de
participer ou non à la mise en œuvre d’une démarche d’EIT, ce décalage entre ce qui
devrait en théorie se passer et ce qui se passe effectivement conforte notre idée que les
démarches d‟EIT ne vont pas de soi, comme, d‟une manière générale, l‟adoption
d‟innovations techniques ou managériales.
Dans un article qui s‟intéresse à la dimension sociale de l‟EIT, Vermeulen (2006) insiste
sur ce point. L’idée que des mutualisations de flux sont possibles, que des
interconnexions avec d’autres entreprises ou organisations permettent des gains
économiques et environnementaux est séduisante, mais ne suffit pas. Elle peut susciter un
intérêt au lancement d‟une démarche, mais ne peut pas, à elle seule, mobiliser les acteurs
durablement. Il faut sortir de la conception simpliste d‟un acteur économiquement
rationnel car d‟autres dimensions doivent également être considérées :
« Après avoir fourni des méthodes et des modèles pour une « prise de décision rationnelle », nous
devons nous focaliser sur la prise de décision en pratique en tirant les enseignements des
différences entre la théorie prescriptive et normative et le monde pratique36. » (Vermeulen, 2006,
p.593).
En pratique, en effet, les entreprises luttent pour conserver ou gagner en avantages
compétitifs. C‟est la course aux ressources que Barney (1991) nous invite à constater : les
35
« Classical economic and industrial ecology theory also asserts that better information will lead to
optimisation; as sure as the sun rises in the morning. »
36
« After having provided methods and models for „rational decision making‟, we have to focus on the decision
making in practice, learning from the differences between the prescriptive, normative theory and the world in
practice. »
47
entreprises doivent acquérir et contrôler des techniques, des informations, des savoirs, des
compétences, des relations, du matériel, etc. Tout un ensemble de ressources stratégiques pour
son déploiement. Or le discours gagnant-gagnant diffusé dans les démarches d‟EIT, fait
passer le message que ce fonctionnement n‟est peut-être pas le bon et qu‟une autre façon de
faire est possible, voire plus avantageuse. Mais comment en être sûr ? Comment ne pas
craindre de perdre les avantages déjà acquis ? Comment ne pas redouter de voir mon
concurrent s‟emparer des ressources que je convoitais et auxquelles j‟aurais peut-être à
renoncer si je participe à cette démarche ? Sans compter que participer à une démarche
d’EIT nécessite d’y attribuer des ressources ; ressources en temps et ressources en
hommes au moins, ce que tous les acteurs ne peuvent ou ne veulent pas faire.
Boons et Janssen (2004) soulignent notamment deux freins supplémentaires aux échanges
et aux relations appelées par les démarches d‟EIT. D‟une part, ils font le constat que même si
les entreprises ont des implantations voisines et sont géographiquement proches, elles ne se
connaissent pas nécessairement. Même dans le cas où elles se connaissent, cela semble
souvent insuffisant pour les encourager à échanger des flux. D‟autre part et sur une zone
d‟activités, les sites sont souvent des sites de production dont les centres de décision sont
situés hors de la zone. On s‟aperçoit alors que la proximité géographique n‟est pas d‟emblée
source de socialisation : cela implique du temps, de l’énergie et une forte conviction de la
part des manageurs locaux pour faire valider la démarche aux niveaux décisionnaires
concernés, ce que, de nouveau, ils ne peuvent ou ne veulent pas toujours faire.
En plus des réticences des organisations à participer à une démarche d‟EIT, il faut aussi
tenir compte des réticences des individus au sein de ces organisations. Nous n‟avons pas
choisi de focaliser notre travail sur la question du pouvoir donc nous n‟entrerons pas dans le
détail, mais les travaux qui s‟attachent aux marges de manœuvre des individus et à leur
pouvoir d‟agir sont ici utiles pour illustrer notre argument.
Selznick (1949) l‟a montré dans son étude de la naissance et de l‟évolution et de la
Tennessee Valley Authority (TVA) : « Les individus à l‟intérieur du système ont tendance à
résister au fait d‟être traités comme des moyens. Ils interagissent comme des ensembles ce
qui les amènent à supporter leurs problèmes et objectifs spécifiques37. » (Selznick, 1949,
p.251). Dans un cadre défini, l‟organisation peut choisir sinon des objectifs à atteindre du
37
« The individuals within the system tend to resist being treated as means. They interact as wholes, bringing to
bear their own special problems and purposes. »
48
moins les façons d‟y parvenir et les moyens à mobiliser. Les salariés ou individus travaillant
dans l‟organisation seraient alors comme des outils que l‟organisation a à sa disposition pour
atteindre ses buts. La limite soulevée par l‟auteur ici est que les individus ne veulent pas
simplement servir les objectifs de l‟organisation dans laquelle ils évoluent. On s‟aperçoit que
ce décalage possible ou probable entre organisation et individu est essentiel puisque l‟action
sociale est toujours médiatisée par de l‟humain. Cela signifie qu‟il peut donc toujours y avoir
des interférences entre les objectifs poursuivis par l‟organisation et la réalisation de ces
objectifs par les individus qui en ont la charge. Ramené à notre sujet, ce constat dit la chose
suivante : ce n‟est pas parce qu‟une organisation fera le choix de participer à une démarche
d‟EIT que les individus au sein de cette organisation, c‟est-à-dire ceux qui auront la charge
d‟appliquer cette décision et partageront la volonté de s‟y impliquer. La volonté de faire
d’une organisation ne se décline pas nécessairement par l’acceptation de faire des
individus qui la composent.
Ainsi, l‟émergence et la vie des organisations n‟est pas linéaire, n‟est pas un processus
écrit d‟avance et stable. Il est au contraire mouvant, évolutif et multiforme. On ne peut pas
dire a priori si cela va fonctionner ou ne pas fonctionner. Les conditions de réussite sont liées
au contexte mais aux acteurs aussi et sont donc chaque fois différentes. Les réticences à la
mise en œuvre des démarches d’EIT Ŕ et a fortiori, à l’initiation de coopérations interorganisationnelles Ŕ peuvent aussi naître de ce non alignement entre les objectifs
organisationnels et les objectifs individuels. Donc prendre a priori pour acquis un
alignement des deux et une adhésion de l‟ensemble des acteurs – comme les littératures et
pratiques en EIT le font fréquemment – c‟est prendre le risque d‟un échec de la démarche
engagée.
A la suite des travaux de Selznick, L‟acteur et le système de Crozier et Friedberg (1977)
renforce encore cette idée. Lorsqu‟ils s‟interrogent sur les possibilités d‟une action humaine
collective, les auteurs distinguent d‟un côté les acteurs et de l‟autre le système organisationnel
dans lequel ils sont impliqués. Leur remarque préliminaire en début d‟introduction n‟est pas
sans rappeler notre argument sur les démarches d‟EIT :
« Si l‟action collective constitue un problème si décisif pour nos sociétés, c‟est d‟abord et avant
tout parce que ce n‟est pas un phénomène naturel. C‟est un construit social dont l‟existence pose
problème et dont il reste à expliquer les conditions d‟émergence et de maintien. » (Crozier et
Friedberg, 1977, p.15).
49
A la différence des plantes et des animaux, l‟homme dispose dans son agir d‟une marge de
manœuvre incompressible qui rend les résultats de son action incertains pour les autres
acteurs. Cette autonomie rend son comportement imprévisible. Le fait qu‟il y ait des zones
grises dans les rapports humains crée des plages d‟incertitudes sur lesquelles chacun peut
jouer son influence afin d‟orienter le choix des autres, dans un sens ou dans un autre. En plus
du découplage qu’il faut effectuer entre les objectifs de l’organisation et ceux des
individus qui la composent, il faut également découpler les objectifs des individus entre
eux. Tous ne sont pas animés des mêmes attentes, ni des mêmes désirs (Girin, 1990) : « Il
faut donc affirmer avec force que la conduite humaine ne saurait être assimilée en aucun cas
au produit mécanique de l‟obéissance ou de la pression des données structurelles. Elle est
toujours l‟expression et la mise en œuvre d‟une liberté, si minime soit-elle. » (Crozier et
Friedberg, 1977, p.45).
Ces travaux renforcent notre argument : aux intérêts des structures viennent donc s‟ajouter
et parfois se confronter les intérêts particuliers. Ces derniers peuvent être tout aussi importants
dans la prise de décision et dans l‟action. En plus des logiques de structures, il y a les logiques
des individus qui constituent et construisent cette structure. Il est d‟ailleurs difficile de
présager des comportements de ces acteurs. Les approches théoriques ne sont pas le fidèle
reflet de ce qui pourrait se passer en pratique. P.C. Stern – membre du Conseil National de la
Recherche aux Etats-Unis à la Commission sur le comportement, les sciences sociales et
l‟éducation – le souligne dans un article paru dans la revue Science en 1993 :
« Il nous faut plus que des scénarios plausibles concernant le comportement humain. Les
règlementations échouent de façon répétée parce que nous faisons confiance aux idées que nous
nous faisons du comportement et qui si elles sont intuitivement séduisantes, n‟en restent pas moins
fausses: l‟idée que les gens vont strictement accepter les analyses de risque des experts ; l‟idée que
les entreprises vont accepter et tout à fait appliquer les règlementations, l‟idée que les
consommateurs vont agir en fonction d‟informations pertinentes et que les incitations du marché
libre ou du presque-marché fonctionneront en pratique comme ils fonctionnent en théorie. Il nous
faut une seconde science de l‟environnement. Une science dédiée aux interactions entre l‟homme et
l‟environnement pour compléter la science des processus environnementaux et qui traite de
questions clés comme : quelles sont les forces à l‟œuvre dans les activités humaines ? (…) Quelles
interventions sont les plus efficaces ? (…)38. » (Stern, 1993, p.1897).
38
« We need more than plausible scenarios of human behavior. Policy failures repeatedly result from faith in
intuitively attractive but mistaken ideas about behavior: That people will accept experts‟ risk analyses at face
value; that firms will accept and fully implement regulations; that consumers will act on relevant information;
and that the free market or quasi-market incentives will work in practice as they do in theory. We need a second
environmental science Ŕ one focused on human-environmental interactions Ŕ to complement the science of
environmental processes by analyzing key questions such as these: What forces drive the human activities (…)
Which interventions are most effective? (…). »
50
On peut, malgré tout, identifier des régularités sur ce qui encourage les acteurs à agir. Dans
une analyse sur les débats politiques et la régulation des mainmises et compensations de
salaires excessives aux Etats-Unis, Davis et Thompson (1994) identifient trois éléments qui
déterminent la capacité d‟un ensemble d‟acteurs à passer à l‟action. Nous en donnons cidessous au Tableau 7 une définition ainsi que la façon dont ils impactent le passage à
l‟action :
Les éléments
Leur définition
Leur impact sur l’action
Intérêts du groupe
Ils sont définis en fonction des
gains et pertes qui résultent de
l‟interaction avec les autres
groupes.
« C‟est le fait qu‟il y ait un petit nombre
d‟intérêts en jeu qui soient partagés et
facilement identifiables qui déterminerait la
capacité d‟un groupe à se former autour de
ces intérêts. »39 (p. 160)
Infrastructure sociale
Elle concerne le degré de proximité
et de liens sociaux entre les
individus ou entre les groupes qui
affectent leur capacité à agir en
fonction de leurs intérêts.
« Le fait qu‟il y ait une identité partagée
avec des relations sociales préexistantes
accroît considérablement la capacité du
groupe à traduire les intérêts communs en
mobilisation pour atteindre un objectif
partagé. »40 (p.163)
Mobilisation
Il s‟agit du processus par lequel un
groupe acquiert du contrôle,
collectivement, sur les ressources
dont il a besoin pour conduire son
action.
« Pour accroître la capacité d‟un groupe à
mobiliser les ressources dont il a besoin
pour atteindre son objectif, il faut des
intérêts homogènes et un réseau social
dense. »41 (p.164)
Tableau 7 Ŕ Le passage à l'action d'un groupe d'acteurs, d'après Davis et Thompson (1994)
Pour rattacher ces éléments aux démarches d‟EIT, nous pouvons retenir deux choses :
1. d‟une part, il semble essentiel pour qu’un groupe se constitue que les acteurs de
ce groupe partagent des intérêts, peu nombreux et facilement identifiables ;
2. d‟autre part, la densité des relations sociales entre les membres du groupe à
constituer semble déterminante ; plus les acteurs se connaissent et ont déjà un
vécu partagé et plus ils seront enclins à se mobiliser collectivement autour
d’une action.
39
« The degree to which the interests of a set of actors are small in number, shared, and readily recognized
determines the likelihood of a group forming around those interests. »
40
« The recognition of a shared identity, coupled with previously existing social ties, greatly increases the ability
of a group to translate common interests in to mobilization toward a common objective. »
41
« Homogeneous interests and dense social networks increase a group‟s capacity to mobilize its resources. »
51
Des sujets restent à approfondir
La littérature nous présente d‟autres éléments pour comprendre, cette fois, comment
favoriser le développement d‟une démarche d‟EIT. Nous verrons cependant que ces éléments
sont plus évoqués qu‟approfondis et exploités.
Alors qu‟on les observe dans les écosystèmes naturels, les habitudes dans le monde des
entreprises ne sont pas à la diffusion des informations ni aux relations spontanées. Au
contraire, et comme le souligne Korhonen (2004), les attitudes se tournent plutôt dans le sens
de la compétition. Les institutions locales ou nationales ont alors un rôle à jouer pour
donner un cadre réglementaire à ces démarches et encourager à davantage d’échanges
entre les acteurs. Le programme national NISP42 de recherche de synergies interorganisationnelles, lancé dans les douze régions d‟Angleterre, du Pays de Galles et d‟Ecosse,
peut en être une illustration :
« En rassemblant des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, NISP permet à des centaines
d‟activités de changer leur façon de faire et de devenir plus performantes dans l‟utilisation
qu‟elles font des ressources43. »
Dans son analyse du programme NISP, Mirata (2004) met en exergue l‟importance d‟un
coordinateur pour faciliter les relations inter-entreprises. Il précise que plus la
communication est limitée entre les parties prenantes, plus les opérations à mener sont
diverses et plus ce travail de coordination est pertinent. Paquin et Howard-Grenville
(2009) analysent aussi ce programme mais en utilisant la théorie des réseaux sociaux et font le
constat similaire de l‟importance des équipes de coordination/animation de la démarche. Elles
font le lien entre les différents acteurs et peuvent ainsi accélérer leur mise en confiance
lorsque des relations n‟existaient pas encore entre elles.
Les institutions seules ne sont pas suffisantes mais sont essentielles pour créer le
contexte favorable Ŕ en posant des objectifs et des incitations Ŕ au déploiement de ces
démarches. Elles semblent avoir pour Baas et Boons (2004) l‟autorité qu‟il faut pour
développer ces systèmes et les coordonner. Plus les acteurs vont être diverses et plus leurs
intérêts particuliers risquent d‟être différents, voire divergents. C‟est alors qu‟apparaît, en
42
National Industrial Symbiosis Program, http://www.nisp.org.uk/.
« By bringing together companies of all sizes from all business sectors, NISP enables thousands of businesses
to
change
how
they
practice
and
become
more
resource
efficient. »,
source:
http://www.nisp.org.uk/about_us_more.aspx.
43
52
effet, la nécessité d‟un « agent extérieur » pour coordonner l‟ensemble (Cosgriff Dunn et
Steinemann, 1998 ; Korhonen, 2001).
Les gouvernements centraux peuvent donc proposer des services adaptés (Cosgriff Dunn et
Steinemann, 1998 ; Gibbs, 2003). Ils ont un rôle à jouer également dans la communication qui
peut être faite sur ces démarches, dans la vulgarisation du concept et pour appuyer l‟idée
auprès des acteurs qu‟il faut davantage développer l‟EIT (Chiu et Yong, 2004). Burström et
Korhonen (2001) notent que parce qu‟elles sont implantées localement, qu‟elles consomment
des matières et énergies et qu‟elles s‟occupent également de question d‟éducation, de
formation, d‟infrastructures etc., les municipalités ont un rôle clé à jouer dans la mise en
œuvre de ces démarches.
On peut maintenant affirmer que les démarches d’EIT ne se limitent pas à des
questions de compatibilité de flux de matières et d’énergie. Pour être mises en œuvre, elles
nécessitent aussi des contextes adaptés. Ce d‟autant plus que la question du territoire et de
l‟échelle géographique à adopter dans une démarche d‟EIT est importante. S‟il est clair que ce
qui ne fonctionne pas à une échelle peut fonctionner à une autre (Salmi, 2007), il reste
difficile de savoir laquelle est la plus pertinente pour obtenir un ensemble d‟acteurs
performant (Sterr et Ott, 2004 ; Doménech et Davies, 2010). La seule certitude, triviale, à ce
sujet est que plus l‟échelle choisie est large, plus la complexité l‟est également (Gallopoulos,
2006).
L‟étude attentive de la symbiose industrielle de Kalundborg souligne en effet des
particularités territoriales de la démarche (Ehrenfeld et Gertler, 1997) : la réussite des
synergies dans la ville portuaire de Kalundborg semble tenir au contexte à la fois
législatif et culturel dans lesquels s’enracinent ces entreprises. Les stratégies
institutionnelles en même temps que les habitudes et modes de vie, ont rendu possible
l‟échange des informations nécessaires et la volonté de faire évoluer le fonctionnement des
organisations locales. Les auteurs soulignent que ces conditions ne sont, par exemple, pas
réunies aux Etats-Unis rendant plus difficile l‟émergence de ce type de pratiques. Salmi
(2007) insiste en effet sur la culture de l‟échange spécifique aux pays nordiques et Heeres et
al. (2004) constatent aussi des résultats sensiblement différents selon qu‟ils étudient les
démarches mises en œuvre en Allemagne ou aux Etats-Unis. Costa et Ferrao, (2010) mettent
en relief des éléments qui nous semblent importants: 1/ les décideurs et autorités locales
entretiennent un réseau de relations à la fois formelles et informelles qui facilitent l‟échange ;
53
2/ la législation danoise, qui s‟applique donc au niveau de la municipalité de Kalundborg est
davantage axée sur la négociation que sur l‟application de standards ; 3/ dès les années 1970,
le gouvernement danois a mis en place des instruments réglementaires et économiques
permettant le contrôle des pollutions et l‟utilisation efficiente des ressources, encourageant
ainsi la recherche d‟alternatives au fonctionnement traditionnel. Le système de contrôle
danois est également davantage consultatif donnant ainsi la possibilité aux entreprises de
proposer de nouvelles voies et de conserver une réelle marge de manœuvre (Baas, 2008).
Brullot (2009) insiste également sur le fait que Kalundborg est une petite ville où tout le
monde se connaît, où les dirigeants d‟entreprises se côtoient en dehors des relations de travail
et où les échanges inter-organisationnels sont ainsi grandement facilités. On s‟aperçoit que
même s‟il est souvent donné en exemple, le cas de la symbiose de Kalundborg reste très
spécifique et difficilement reproductible. Ce qu‟il nous enseigne malgré tout, c‟est que les
contextes locaux sont déterminants pour l’initialisation et le développement des
démarches d’EIT.
Dans le champ de l‟EIT, on reconnaît d‟ailleurs maintenant l‟importance des « conditions
sociales », à savoir notamment historiques, culturelles et politiques dans lesquelles les
démarches peuvent émerger (Paquin et Howard-Grenville, 2009). La volonté initiale et
partagée de rechercher des synergies pertinentes apparaît comme un facteur à prendre en
compte44. Malgré un rôle d‟incitation, que peuvent jouer les institutions, les retours
d‟expériences internationaux sur les démarches d‟EIT initiées montrent que les approches
dites « top down » sont les plus difficiles à mettre en œuvre (Boons et Janssen, 2004 ; Gibbs,
2009). Il semblerait, en effet, que ces démarches émergent d‟autant plus facilement qu‟elles
sont le fruit de la volonté directe des entreprises ; notamment dans des lieux où elles sont déjà
en relation (Chertow, 2007) et sans intervention nécessaire des institutions. Ehrenfeld et
Gertler, (1997) proposent de trouver un juste milieu entre une approche résolument bottom up
et une approche franchement top down : « Une approche entre-deux, à mi-chemin entre un
pur laisser-faire et une intervention de politiques publiques ferme semble offrir aux
développeurs institutionnels les meilleurs chances de succès45 » (Ehrenfeld et Gertler, 1997,
p.78). Il pourrait donc être plus efficace de partir des initiatives et réseaux existants
plutôt que d’essayer de construire quelque chose de neuf (Gibbs, 2003 ; Baas et Boons,
44
Même si le souci de diminuer l‟impact environnemental des activités de la zone n‟était pas le motif initial de la
démarche comme ce peut être le cas aujourd‟hui et ailleurs (Gallopoulos, 2006).
45
« Such a middle-ground approach between pure laissez-faire and heavy-handed policy intervention would
seem to offer the best chance of success to institutional developers. »
54
2004). Puisque les synergies qui peuvent voir le jour n‟émergent pas sur du vide, il faudrait
donc s‟attacher à l‟existant (Baas, 2008).
Les dynamiques sociales au cœur des démarches d’EIT
Ces questions sociales liées aux démarches d‟EIT restent cependant peu investiguées et
nous laissent démunis sur la question de « comment faire pour mettre en œuvre une démarche
d‟EIT ». Dire, avec l‟EIT, qu‟il faut sortit d‟un fonctionnement individualiste, c‟est dire qu‟il
faut effectivement parvenir à mettre en œuvre des synergies et c‟est finalement de
coopérations interacteurs dont il s‟agit (Vermeulen, 2006 ; Doménech et Davies, 2010) :
« Nous ne devrions pas concevoir la mise en œuvre de l‟écologie industrielle comme résultant de
l‟activité d‟un seul acteur, mais plutôt comme des formes de coopération entre plusieurs acteurs. »
(Vermeulen, 2006, p.587).
Les pratiques que préconise l‟EIT sont fortement empreintes de cette nécessité de lier les
acteurs (Boons et Baas, 1997) : mettre en place des boucles de recyclages, réutiliser les
déchets des uns comme matières premières pour les autres, mutualiser l‟utilisation de
certaines matières, certains produits et certaines énergies, etc.
« La coopération entre les êtres et organisations sociaux n‟a bien sur rien de nouveau ou de
particulier. Mais il nous faut comprendre quels sont les facteurs qui permettent d‟expliquer les
progrès dans la création de nouvelles formes de coopération. » (Vermeulen, 2006, p.587).
Au fond, c‟est de la volonté des hommes à mettre en œuvre une démarche d‟EIT dont il va
être question. Cohen-Rosenthal (2000) souligne d‟ailleurs que le focus en EIT, jusqu‟à
maintenant très technique, n‟est pas positionné sur la bonne question. Il ne s‟agit pas, ou
plutôt il ne s‟agit pas seulement, de s‟intéresser aux problèmes de chaleur ou de déchets46,
mais plutôt de coopération entre des entreprises permettant les symbioses au sein de leur
propre organisation et avec d‟autres. Les écosystèmes naturels et les écosystèmes industriels
comme celui de Kalundborg, ont de vrais points communs. On peut observer dans les deux
cas une diversité d‟acteurs, un nombre significatif de synergies et une performance réelle dans
l‟utilisation des ressources. Il existe pourtant une distinction essentielle qu‟il nous faut
appuyer : alors que les écosystèmes naturels sont le fruit d‟une évolution naturelle et de
processus spontanés, les écosystèmes industriels sont des construits : ils résultent d‟intentions,
de choix et nécessitent une prise de conscience et une volonté des acteurs (Chertow, 2000).
46
Nous reprenons ici les termes de l‟auteur.
55
Ces sujets n‟ont reçu jusqu‟à maintenant que trop peu d‟attention (Boons et HowardGrenville, 2009 ; Chertow et Ashton, 2009) et le constat que faisaient Crozier et Friedberg en
1977 reste d‟actualité :
« On investit des sommes considérables d‟énergie, et aussi d‟argent, à étudier, analyser
décomposer, les aspects techniques et économiques des problèmes. Mais on oublie que ces
problèmes n‟existent qu‟à travers les systèmes d‟action qui les résolvent, et que ces systèmes ne se
réduisent pas à des problèmes matériels, mais constituent des construits humains n‟obéissant
jamais mécaniquement aux injonctions ou décisions d‟un sommet ou d‟un régulateur central. »
(Crozier et Friedberg, 1977, p.409).
Cela d‟autant plus que les démarches d‟EIT font appel à différents types d‟acteurs. Duret
(2007) en fait une liste reprise à la Figure 3 ci-dessous :
Collectivités
territoriales
Entreprises
(Grands
Comptes et
PME)
Organismes
consulaires
Universités et
Instituts de
recherche
Démarches
d'EIT
Structures de
conseil
Agences de
développement
économique
Société civile
Agences d'Etat
et Services
déconcentrés
Figure 3 Ŕ Acteurs impliqués dans une démarche d'EIT, d'après Duret (2007)
La diversité des acteurs impliqués, de leurs profils, de leurs agendas, de leurs priorités, de
leur langage aussi est incontournable dans les démarches d‟EIT. C‟est d‟ailleurs, pour Boons
et Berends (2001), la spécificité des démarches d‟EIT qui supposent des réseaux interorganisationnels par opposition aux réseaux intra-organisationnels. Les démarches d’EIT,
parce qu’elles mobilisent des relations inter-organisationnelles mobilisent des acteurs
d’horizons a priori divers et hétérogènes.
Dans ce travail, nous avons fait le choix de parler d‟hétérogénéité d‟acteurs plutôt que de
divergences. Nous souhaitons insister davantage sur l‟aspect de la diversité plutôt que sur
celui d‟une opposition entre acteurs. Sans qu‟il s‟agisse d‟une liste exhaustive, notons que
56
cette hétérogénéité peut être illustrée par des différences d‟intérêts, de représentations, de
priorités, de contraintes, d‟objectifs, de savoirs, de compétences, d‟agenda finalement.
La difficulté de ces démarches est donc, précisément, de parvenir à articuler et ces
différences, de ces spécificités d’acteurs afin de créer un quelque chose de partagé.
Quand il parle de la difficulté d‟arriver à un consensus dans les négociations internationales
sur le développement durable et la question des ressources, Sauquet (2007), insiste également
sur ce point de la différence des acteurs impliqués: « En faisant de la différence un simple
obstacle dont il faut venir à bout, on se condamne à des logiques d‟affrontements qui
compromettent l‟efficacité collective. » (Sauquet, 2007, p.12). Le message est clair : pour
construire du collectif, gommer les divergences n’est pas la solution. Il faut parvenir à les
identifier, à en tenir compte et à les articuler. Nous serons amenée à revenir sur ce point dans
notre présentation théorique plus bas.
Un article récent sur la dimension sociale des démarches d‟EIT est à ce titre éclairant.
Doménech et Davies (2010) insistent sur l‟importance de l‟encastrement social d‟une
démarche d‟EIT et proposent trois étapes principales de son développement: 1/ l‟émergence ;
2/ la mise à l‟épreuve et 3/ le développement et l‟expansion de la démarche.
Figure 4 Ŕ Développement d'une démarche d'EIT, d'après Doménech et Davies (2010)
57
La Figure 4 ci-dessus nous montre comment s‟articulent ces trois phases entre elles et
quels peuvent être les facteurs impactant principaux. Ce qui retient ici notre attention est la
case, dont nous avons reproduit le fond grisé, qui s‟intitule « Conditions d‟émergence ». Dans
leur étude de trois démarches d‟EIT, les auteurs vont inscrire dans cette case des facteurs tels
que l‟état de la réglementation, la facilité à coopérer, la taille des réseaux existants, la place
d‟un coordinateur, les activités présentes, etc. Les auteurs ne nous disent toutefois pas
comment faire lorsqu‟on ne peut compter sur ces éléments de contexte (Tudor et al., 2007)
favorables. A quoi tient par exemple, la « facilité à coopérer ».
Reste donc en suspend la question de savoir comment développer les démarches d‟EIT qui
ont à mobiliser des acteurs, même dans des contextes parfois peu favorables. S‟intéresser à
cela suppose de passer de la question de l‟identification de facteurs externes, de contexte, liés
à l‟environnement dans lequel s‟inscrivent les organisations, à la question des acteurs euxmêmes et à celle des dynamiques, pouvant les encourager à participer à ce type de démarche.
Ici encore, et malgré la reconnaissance qu‟il faut porter une attention fine à la dimension
sociale, les auteurs semblent présupposer que la relation est simple, linéaire, entre des
conditions favorables d’initialisation et l’initialisation effective d’une démarche d’EIT.
Ces démarches impliquent pourtant que les organisations qui y participent acceptent un
certain nombre de choses qui ne sont pas a priori évidentes et qui avec Vermeulen (2006)
entrainent des modifications sociales:

voir leurs procédés de production/consommation remis en cause ;

modifier éventuellement leur processus de production afin d‟intégrer d‟autres
types de sous-produits issus des synergies inter-organisationnelles ;

consacrer un certain nombre de ressources – financières, humaines et de
compétences – à ces synergies inter-organisationnelles alors que ce n‟est pas leur
cœur de métier et ouvrir l‟éventail des objectifs qu‟elles doivent atteindre ;
Mais aussi :

faire circuler de l’information concernant ce qu‟elles produisent, ce qu‟elles
consomment et ce qu‟elles rejettent ;

être dépendant d’autres organisations avec le risque de voir leur production mise
à mal par des problèmes d‟approvisionnement liés aux synergies interorganisationnelles :
58

prendre des décisions communes, au moins en partie, puisque dans le cadre de ces
synergies inter-organisationnelles, ce que fait l‟une impacte l‟autre, les autres.
La relation à l‟autre, aux autres, apparaît centrale et pourtant, dans les travaux consacrés à
l‟EIT, l‟ « intra » prévaut encore largement sur l‟ « inter » organisationnel47 (Chiu et Yong,
2004). Ces lacunes managériales sont effectivement relayées dans la littérature où Korhonen
et al. (2004) s‟interrogent sur les façons de rapprocher l‟EIT du management. Le
management inter-organisationnel, le développement et la gestion des écosystèmes
industriels, le fait que l’EIT pourrait être une vision pour un management stratégique
des organisations, sont des thèmes qui pourraient être davantage abordés.
Les articles qui approchent l‟EIT par le biais d‟analyses de cas ou de retours d‟expérience,
même lorsqu‟ils ambitionnent de poser les facteurs de succès ou d‟échecs de ces démarches –
en indiquant la coopération inter-organisationnelle dans la top list des premiers – ont du mal à
sortir du constat pour proposer des façons de faire. Ces travaux vont faire la liste des
ingrédients qu‟il faut réunir pour que cela fonctionne, mais ne disent rien sur la façon de les
obtenir. Nous en proposons quelques exemples au Tableau 8 ci-dessous:
47
Certaines entreprises indiquent qu‟elles font de l‟EIT lorsque, par exemple, elles réutilisent des matières en
interne ou procèdent à des synergies entre leurs filiales et/ou avec leurs sous-traitants. Nous ne statuerons pas ici
pour dire s‟il s‟agit ou non d‟EIT, mais précisons que ce ne sont pas les expériences qui nous intéressent dans ce
travail. Nous nous focalisons en effet, sur les approches qui, en illustration directe aux principes de l‟EIT,
pensent les différentes organisations d‟un territoire comme les différents maillons d‟une même chaine, les
différents éléments d‟un même écosystème. Dit autrement, c‟est bien d‟« inter » et non d‟ « intra »
organisationnel dont nous traiterons ici.
59
Points clés pour la réussite d’une démarche d’EIT
Auteurs
Pellenbarg, 2002,
p.15
-
« Créer de la confiance parmi les participants48. »
« Créer une association avec les entreprises engagées dans le projet 49. »
Heeres et al, 2004,
p.993
-
« La participation active des entreprises dans le projet est l‟élément le plus
important pour sa réussite50. »
Tudor et al., 2007,
p. 205
-
« Il faudrait déjà qu‟il y ait les ingrédients de base, à savoir la volonté des
entreprises à coopérer activement51. »
-
« Sans communication, il ne peut y avoir de flux d‟information. Le manque
d‟interactions répétées et de construction de la confiance engendre une motivation
faible des entreprises pour s‟engager dans l‟action collective 52. »
Chertow et Ashton,
2009, p.149
Tableau 8 Ŕ La coopération, élément clés de la réussite des démarches d'EIT
Sauf que la coopération ne se décrète pas. Selon Strebel et Posch (2004), elle doit être
encouragée et accompagnée. Les réseaux, qui sont à construire pour une durabilité
effective de nos sociétés, nécessitent un encadrement stratégique et managérial :
« La correspondance entre les objectifs des individus et les objectifs du réseau est essentielle parce
qu‟elle donne les pré-requis de base à la coopération. Il faut donc un management de la durabilité
du réseau adéquat pour initier ce type de coopération (…) et promouvoir des activités coopératives
dans le temps53. » (Strebel et Posch, 2004, p.355).
Il faut construire des visions partagées, réussir à se fixer collectivement des objectifs
stratégiques, des cibles à atteindre, des indicateurs de mesure de performance, etc. Tout ce
travail ne peut être fait par les entreprises qui sont en relation et coopèrent. Il exige un effort
managérial spécifique. Les sciences de gestion ont donc bien leur mot à dire dans la
conduite des démarches d’EIT même si, pour l’instant, nous n’en savons pas beaucoup
sur les façons d’initier les coopérations attendues et nécessaires.
Dans une démarche d‟EIT, on ne peut se contenter de dire que des synergies sont possibles
et qu‟elles pourraient avoir un intérêt. Il faut aussi tenir compte du temps qu‟il faut pour les
mettre en place et des changements qu‟elles impliquent. Pour des questions de conflits
d‟intérêts (concurrence, confidentialité) ou par souci d‟économie de ressources (temps et/ou
48
« Creation of trust among all participants. »
« Creation of an association of firms engaged in the project. »
50
« Active company participation in the project is the most important element for success because ultimately
companies themselves need to implement the EIP plans made. »
51
« There should first be the basic « ingredients » in place, namely the willingness of firms to actively
cooperate .»
52
« Without communication, there can be no information flows, and without repeated interaction and the buildup of trust, there is little motivation for firms to engage in collective action. »
53
« Correspondence between individual and network objectives is essential, since in provides a basic
prerequisite for cooperation. Hence, an adequate management of the sustainability network is needed in order to
initiate such cooperation (…) and to promote cooperative activity over time. »
49
60
compétences disponibles), les entreprises peuvent ne pas être a priori enthousiastes et il faut
aussi en tenir compte. Les individus au sein de ces entreprises enfin peuvent ne pas vouloir
suivre la direction donnée par l‟entreprise. Plus que des arguments rationnels, les relations
inter-organisationnelles et le vécu partagé semblent donc jouer un rôle important dans le
développement d‟une démarche d‟EIT. Quelques éléments sont apportés dans la littérature
sur ce qui favorise ce développement, mais des questions essentielles restent peu investies.
Comment par exemple peut-on faire vivre ces démarches ? Comment inciter les entreprises à
y participer ? Comment encourager les individus à se mobiliser ? Il nous semble finalement
que la question centrale liée à la mise en œuvre et au développement de l’EIT soit celle de
la coopération inter-organisationnelle.
A ce stade du travail, voici en Figure 5 l‟avancée de notre réflexion :
Chapitre 1 - Contexte de la réflexion
Question de
recherche
Quelles sont les conditions de développement de l'EIT et plus
précisément celles qui favorisent les coopérations interorganisationnelles requises dans ces démarches?
Chapitre 2 - Choix du cadre théorique de l'ANT et présentation de la TOF
Problématique
de recherche
A suivre
Chapitre 4 - Analyse du terrain de la Vallée de la Chimie et TOF
Intuition de
recherche
A suivre
Figure 5 Ŕ Progression de la réflexion, point d'étape 1
61
CHAPITRE 2
L’ENROLEMENT DES ACTEURS
DANS LES DEMARCHES D’EIT
« Le droit de chacun à sa culture et le droit qu‟elle soit considérée par les autres comme une
réalité à respecter, c‟est ce qui permet à la coexistence des cultures de créer autre chose que la
confrontation »
Hessel, 2011, (p.47)
Le CHAPITRE 1 a montré les limites de la littérature lorsqu‟il s‟agissait de comprendre
comment développer les démarches d‟EIT. Nous nous sommes effectivement aperçu que ces
approches ne sont pas encore suffisamment mâtures et qu‟elles requièrent de nouveaux
développements. Ces développements concernent notamment les coopérations interorganisationnelles qui leur sont nécessaires mais restent peu évidentes à mettre en œuvre.
Ainsi, une question clé mise en avant par ce premier travail est : qu‟est-ce qui fait que les
acteurs vont accepter de participer à ces démarches coopératives d‟EIT ?
Dans ce CHAPITRE 2, nous étudierons la littérature en gestion consacrée à la coopération
pour comprendre ce qu‟elle peut apporter à notre réflexion. Nous montrerons que bien
qu‟abondante, cette littérature peut être encore complétée puisqu‟elle peine à tenir compte des
différents enjeux et perspectives des acteurs impliqués dans une démarche d‟EIT et de la
façon de les articuler. La sociologie de la traduction (ST) nous semble proposer une
perspective utile pour traiter de ces enjeux et préciser notre problématique. Relativement à ces
travaux sur les façons d‟articuler divers acteurs autour d‟un objet commun, la théorie des
objets-frontières (TOF) nous paraît également intéressante à mobiliser et nous en présenterons
ici les principaux éléments de compréhension.
2.1.
LA COOPERATION DANS LA LITTERATURE EN SCIENCES DE GESTION
Nous verrons que ce sujet des coopérations inter-organisationnelles est traité en science de
gestion mais principalement au regard des alliances stratégiques et des coopérations
existantes.
62
2.1.1. Les alliances stratégiques
Alliances et performance
La littérature des sciences de gestion qui traite le plus de la question de la coopération
inter-organisationnelle est celle sur les alliances stratégiques. Cette littérature se caractérise
notamment par des thèmes de prédilection comme d‟abord le lien entre les alliances créées et
la performance des organisations.
Très souvent lorsque la question de la coopération est évoquée, elle semble accompagnée
de celle sur l‟intérêt et notamment de l‟intérêt économique que présente la coopération (Koza
et Lewin, 1999) : les alliances sont perçues comme l‟outil permettant d‟accroître la
performance économique des organisations qui s‟y impliquent. Comme le soulignent Di
Domenico et al. (2009), qu‟elle soit abordée par la théorie des réseaux, par celle des
ressources ou par des auteurs néo-institutionnels, la question de la collaboration interorganisationnelle est principalement axée sur la recherche d’une position compétitive
accrue. La relation semble forte entre les collaborations inter-entreprises d‟une part et la
performance économique des entreprises concernées d‟autre part. Pour Singh et Mitchell en
particulier (2005), coopération et performance tendent à se renforcer mutuellement. Des
travaux sur les économies des pays industrialisés montrent par ailleurs qu‟il y a un lien fort
entre leurs habitudes de coopération et leur développement économique (Kenworthy, 1997).
Parce que les entreprises ne disposent pas nécessairement de toutes les ressources dont
elles ont besoin, les relations inter-entreprises peuvent être considérées comme des ressources
en tant que telles et être un sérieux atout pour leur compétitivité :
« Un couple ou un réseau d‟entreprises peuvent développer des relations se traduisant par un
avantage concurrentiel durable54. » (Dyer et Singh, 1998, p.675).
On comprend alors que ces alliances permettent aux entreprises qui en font le choix
d‟acquérir différents types de bénéfices (Stuart, 1998). L‟un d‟entre eux concerne les savoirs
ou compétences qu‟elles n‟ont pas déjà en interne. Considérant que le savoir est essentiel pour
la compétitivité de l‟entreprise, Reid et al. (2001) montrent que des alliances inter-entreprises
peuvent se former autour de cet objectif principal :
54
« A pair or network of firms can develop relationships that result in sustained competitive advantage. »
63
« Les alliances rendent possible la conduite d‟activité coopérative inter-entreprise et créent des
opportunités pour les entreprises qui participent de s‟approprier les bénéfices de leur engagement
dans l‟alliance55. » (Reid et al., 2001, p.81).
Plus généralement, l‟étude quantitative d‟Ahuja (2000) montre que la recherche
d’alliances est principalement liée soit à des incitations, soit à des opportunités.
Lorsqu‟une entreprise développe une innovation importante par exemple, cela incite les
entreprises qui n‟ont pas les ressources nécessaires pour porter de nouvelles innovations à
créer des liens. Il apparaît alors que le fait de posséder un capital technique, commercial et
social augmente les probabilités pour l‟entreprise de rencontrer des incitations et des
opportunités à former des alliances :
« Les études montrent que les relations inter-entreprises aident les entreprises à développer et
absorber des technologies, à résister aux chocs de leur environnement et à améliorer leur chance
de survie et leur performance financière56. » (Ahuja, 2000, p.318).
Ce constat s‟accompagne de celui de Stuart (2000) qui indique que dans le domaine des
entreprises de haute technologie, la plus-value à retirer d’une coopération sera d’autant
plus intéressante si l’entreprise qui en bénéficie est jeune et de petite taille. Plus elle est
importante en effet, et moins elle aura besoin de coopérer avec d‟autres pour profiter de
ressources qu‟elle n‟aurait pas en interne (Das et al., 1998 ; Stuart et al., 1999).
Avec les enjeux sur le développement durable des organisations, de nouveaux types
d‟alliances voient le jour : les alliances vertes ou « green alliances ». Il s‟agit des relations
que des entreprises vont établir avec des organisations non gouvernementales (ONG) par
exemple pour se donner de la crédibilité environnementale, sorte de caution morale (Shah,
2011) : l‟entreprise bénéficie de l‟aura positive qu‟a l‟ONG pendant que l‟ONG assoit
davantage sa légitimité à évoluer dans son domaine. On peut penser aux ONG qui travaillent
pour la protection des droits de l‟homme, à celles qui œuvrent pour la protection de
l‟environnement, etc. Les deux parties ont ici un intérêt évident à collaborer.
Les alliances comme processus
Encouragées par les performances qu‟elles laissent entrevoir, les alliances sont aussi
souvent appréhendées comme des processus qui évoluent. Cette dimension temporelle
nous semble importante à souligner parce qu‟elle était aussi ressortie de la littérature dédiée à
55
« Alliances make possible de conduct of cooperative activity between firms and create opportunities for
participating companies to appropriate benefits from their involvement in alliance. »
56
« Studies indicate that interfirm linkages help firms to develop and absorb technology, withstand
environmental shocks and improve survival prospects and financial performances. »
64
l‟EIT. Les alliances ne sont pas données, à un moment identifié et une fois pour toute. Elles
évoluent et sont des processus dynamiques. Il est d‟ailleurs possible d‟établir les grandes
phases qui scandent la vie de ces relations. Différents auteurs proposent des cycles de vie des
alliances dont nous rapportons des exemples au Tableau 9 ci-après :
Auteurs
Reid et al.,
2001
Assens,
2003
Cycle de vie des alliances stratégiques
1.
La pré-formation : est le point de départ de l‟alliance. C‟est le moment où une entreprise
identifie une motivation spécifique à se mettre en relation avec une ou plusieurs
entreprises ;
2.
La formation : est l‟étape où se décident à la fois les partenaires à associer, les règles et
normes qui vont encadrer la relation et le choix de la structuration de cette relation ;
3.
L’évaluation : permet de savoir si la relation a véritablement apporté une plus value. Elle
n‟implique pas nécessairement la fin de la relation mais en constitue une étape clé.
1.
La formation : elle se fait à partir des membres fondateurs. Un noyau dur
d‟entreprises légitimes sur un territoire ou dans un secteur défini permettra à d‟autres
d‟avoir suffisamment confiance pour se rallier à elles et participer à la constitution d‟un
réseau coopératif ;
2.
L’élargissement des frontières : correspond à la phase où de nouveaux membres
intègrent le réseau en renforçant la légitimité du groupe. L‟augmentation du nombre de
participants contraint à une formalisation des positions de chacun ;
3.
La maturité et le déclin : il s‟agit de la phase où les formalisations sont suffisamment
stabilisées et encrées pour être soit acceptées soit rejetées par les membres déjà intégrés ou
par les nouveaux arrivants. Le risque ici est double : le refus de ces règles et positions peut
entraîner la sortie d‟un certain nombre de participants et remettre alors en cause la
pérennité de l‟ensemble ; ou alors et à l‟inverse, l‟acceptation de ces règles peut entraîner
une solidification des relations en rapport avec un code établi limitant ainsi les possibilités
de coopération. Dans les deux cas, cette phase de maturité et donc de fonctionnement au
quotidien apparaît critique.
Tableau 9 Ŕ Cycle de vie des alliances stratégiques
Tel qu‟il est ici présenté, le processus d„évolution des alliances stratégiques semble aller de
soi, ne posant aucune difficultés particulières. Les travaux sur l‟EIT et les expériences de
terrain nous ont pourtant montré que ce n‟était pas le cas et que les processus de
coopérations inter-organisationnelles ne sont pas linéaires. L‟un des défis par ailleurs
souligné dans la littérature (Forgues et al., 2006) est donc la nécessité pour les acteurs
d‟aménager les tensions qui émergent au fil de ces relations :
« Dans les alliances, les partenaires sont soumis à des tensions entre les besoins d‟autonomie et de
contrôle du partenaire, de souplesse et de planification, de coopération et de compétition, de
créativité et de stabilité, etc. » (Forgues et al., 2006, p.23).
65
Les processus d‟alliances s‟apparentent davantage à un ensemble de cycles (apprentissage,
évaluation, etc.) qui interagissent (Doz, 1996). Les alliances qui fonctionnent sont celles qui
sont capables d‟évoluer et de s‟adapter alors que les projets qui échouent sont au contraire
ceux qui, linéaires, n‟induisent que peu d‟apprentissage ou restent sur des apprentissages
divergents entre les parties prenantes. En d‟autres termes, les ingrédients qui font le succès
des démarches coopératives ne semblent pas être déjà présents au démarrage mais sont
à construire avec le temps :
« Le niveau de coopération nécessaire au succès de l‟alliance ne serait probablement pas accepté
dès le début ; les partenaires seraient surement trop timides pour une telle intensité dans la
coopération. Pour être couronnées de succès, les alliances doivent donc traverser une série de
transitions en passant d‟un cycle d‟apprentissage, de réévaluation et de réajustement à un
autre57. » (Doz, 1996, p.78).
On retrouve ces éléments chez Rond et Bouchikhi (2004) pour qui les alliances sont des
constructions sociales qui évoluent de façon dialectique. Elles ne sont en effet ni simples,
ni linéaires mais doivent au contraire tenir ensemble différentes contradictions qui peuvent les
mettre en danger. Elles sont des phénomènes complexes et hétérogènes où s‟entremêlent
différentes tensions, comme le montre la Figure 6 ci-dessous :
57
« The level of cooperation needed to succeed would probably not be acceptable at the start; partners would
shy away from such intense cooperation. To succeed, alliances thus have to go through a series of transitions as
they move from one learning, reevaluation and readjustment cycle to the next. »
66
Figure 6 Ŕ Tensions dialectiques dans les alliances, d'après Rond et Bouchikhi (2004)
Das et Teng (2000) identifient dans le même esprit trois forces internes en compétition et à
l‟œuvre
dans
les
coopérations.
Il
s‟agit
des
couples
coopération/compétition,
rigidité/flexibilité, court terme/long terme. Comme pour les dialectiques représentées cidessus, ces tensions rendent les alliances vulnérables et peuvent expliquer que parfois elles
échouent.
2.1.2. Une littérature de l’existant
Freins et facilitateurs des alliances
La littérature nous montre que 1/ il est illusoire de rechercher une coopération parfaite et
absolue (Fulconis et Paché, 2008) et 2/ il n‟existe pas de modèle unique de coopération
(Calmé et Chabault, 2007). Néanmoins, la littérature a souligné des éléments récurrents qui
mettent en relief ce qui freine ou encourage les démarches coopératives et qui, à ce titre,
intéressent notre question de recherche en définissant plus avant ce que coopérer signifie.
Qu‟il s‟agisse de la culture nationale dans laquelle sont implantées les entreprises
(Steensma et al., 2000) ou de l‟environnement local, la littérature nous indique ici que le
contexte dans lequel sont enracinées les entreprises joue un rôle essentiel dans la
constitution et la compréhension des alliances. De la même manière que nous indiquions au
67
CHAPITRE 1 que « plus les acteurs se connaissent (…) et plus ils seront enclins à se
mobiliser collectivement autour d‟une action », Gulati (1998), en étudiant la formation et les
performances des alliances, fait le constat que le milieu social des entreprises considérées a un
impact essentiel sur les alliances. Nous résumons son propos, Figure 7 ci-dessous :
Les points de contrôle analysés par l‟auteur :
Le réseau social :
= le contexte large
dans lequel les entreprises
sont enracinées et partant,
les relations qu‟elles ont
déjà.
Indiquent que

 La formation des alliances
 Le choix de la structure de gouvernance
 L’évolution des dynamiques des alliances
 La performance des alliances
Les conséquences de cette performance pour les entreprises qui sont impliquées
Influence
Les alliances stratégiques :
= la constitution ou non d‟alliances, la
forme qu‟elles peuvent prendre et les
résultats produits, concernant :
- La création de nouveaux liens
- Leur forme
- Leur mode d‟évolution
- Leur succès
Figure 7 Ŕ Eléments clés des alliances stratégiques, d'après Gulati (1998)
Par suite, des retours d‟expérience indiquent qu‟un changement de contexte peut
permettre de mettre en place des relations inter-entreprises a priori improbables.
Hannachi et al. (2010) montrent par exemple qu‟un contexte de crise économique incite les
entreprises à réfléchir à de nouvelles pistes de développement qu‟elles n‟avaient pas
envisagées auparavant, et la coopération en est une. On sait aussi, et ce constat était déjà
dressé pour les démarches d‟EIT, que les réseaux existants impactent fortement la création
de nouvelles coopérations (Gulati et Gargiulo, 1999 ; Gulati, 1999) :
« Lorsqu‟elles construisent de nouvelles alliances, les organisations contribuent aussi à la
formation d‟une structure de réseau qui donnera un cadre aux futurs partenariats58. » (Gulati et
Gargiulo, 1999, p.1449-1450).
58
« In building new alliances, organizations also contribute to the formation of network structure that shapes
future partnerships. »
68
Le fait que d‟autres entreprises, du même secteur d‟activité ou plus spécifiquement de la
même niche d‟activités soient impliquées dans des alliances, est un facteur à prendre en
compte. Garcia-Pont et Nohria (2002) l‟ont constaté dans le secteur de l‟automobile
notamment : ce qu‟ils appellent mimétisme local est plus fort que le mimétisme global. Ces
termes de local et global évoquent davantage le degré de ressemblance qu‟une dimension
géographique. On s‟aperçoit alors que les entreprises ont tendance à imiter les entreprises
qui leur ressemblent le plus, celles qui leur sont le plus proches.
Ce qui était vrai dans le cas des démarches spécifiques d‟EIT le reste pour les démarches
coopératives au sens large : la notion de confiance est déterminante dans les relations interentreprises (Ring et Van de Ven, 1992 ; Zaheer et al., 1998). La littérature nous donne
différents éléments de compréhension sur ce qu‟elle apporte, ce qui l‟impacte et les limites
qu‟elle introduit dans les relations inter-organisationnelles. Ce n‟est pas notre objet donc nous
ne ferons pas de revue exhaustive des travaux, prolifiques, qui traitent de la confiance59 dans
les relations inter-organisationnelles. Nous retiendrons ici les éléments qui nous paraissent
importants.
Grâce aux relations passées et à des attentes potentiellement partagées sur le futur (Poppo
et al., 2008), la confiance entre partenaires permet en effet de contrebalancer les
déséquilibres potentiels entre organisations. Elle réduit les incertitudes liées à l‟avenir et
autorise à s‟appuyer sur un réseau de relations fiables tant pour la formation, la mise en place
et l‟évolution des relations inter-organisationnelles (Nielsen, 2004). Par les bénéfices qu‟elle
permet de retirer de la relation, elle semble également pouvoir impacter le développement
économique d‟une organisation (Donada et Nogatchewsky, 2007).
Mais de quoi parle-t-on quand on parle de confiance inter-organisationnelle ? Notons
d‟abord qu‟elle a un caractère dynamique et évolue avec le temps (Delerue et Bérard, 2007).
Pour certains auteurs, cette confiance n‟est pas une confiance aveugle et nécessite pour se
mettre en place, que les acteurs maintiennent un certain contrôle sur la relation (Das et Teng,
1998). C‟est l‟équilibre entre le contrôle exercé et le laisser faire accordé qui rend la
confiance en l‟autre possible (Jones et George, 1998). La confiance entre organisations ou
individus se construit au fil du temps et des expériences vécues entre les partenaires.
D‟une part elle n’est pas donnée au démarrage de la relation et d‟autre part elle ne va pas
de soi.
59
Pour une revue de cette notion, consulter par exemple Bidault et al. (1995).
69
Même en situation de coopération, il semble que l’intérêt particulier prime encore
souvent sur le collectif, ce qui constitue la principale cause d’échec des alliances. La
littérature nous a montré que la motivation majeure à la création des alliances est la recherche
de performance et l‟intérêt que les organisations vont avoir à coopérer ; on s‟aperçoit (Park et
Ungson, 2001) que c‟est aussi ce qui peut en limiter le développement voire faire échouer le
processus coopératif. C‟est peut-être ce qui explique que la probabilité de survie d‟une
alliance s‟accroit grandement lorsque les acteurs sont déjà, auparavant, en relation (Meschi,
2006).
Gouvernance et coordination
La question de la gouvernance et de la coordination des alliances stratégiques est un sujet
important de cette littérature. Cela étant, nous passerons rapidement car ces propos relèvent
davantage de ce que nous avons appelé en introduction de ce travail, l‟institutionnalisation
des processus coopératifs que de notre question de l‟initialisation des coopérations interorganisationnelles.
Le fonctionnement des réseaux coopératifs est en effet un sujet qui intéresse beaucoup la
littérature en gestion et qui nous semblait pouvoir alimenter notre question de recherche. Les
modes de gouvernance et de coordination de ces réseaux impactent en effet non seulement
leur performance mais aussi leur devenir (Ehlinger et al., 2007). Dans le contexte français, la
gouvernance des pôles de compétitivité (PDC) en est un exemple. Mendez et Bardet (2009),
se demandent notamment quel peut être l‟impact de la structure de gouvernance du PDC sur
les « capacités de coopération » (Mendez et Bardet, 2009, p.123) de ces membres ? En quoi
cette structure contribue-t-elle ou non aux « dynamiques coopératives » (Mendez et Bardet,
2009, p.124) ? Comment peut-elle à la fois intégrer et tenir compte des différences ? Autant
de questions auxquelles les chercheurs n‟ont pour l‟instant pas de réponse établie :
« Une des problématiques majeures des pôles de compétitivité et de leurs structures de
gouvernance, en particulier pour ceux qui ne s‟appuient pas sur une tradition de partenariats, est
de construire cette vision commune, préalable à l‟élaboration et à la diffusion des connaissances
scientifiques et technologiques. » ( Mendez et Bardet, 2009, p.128).
L‟article de Bocquet et Mothe (2009) s‟inscrit aussi dans cette mouvance et cherche à
identifier le type de structure de gouvernance le mieux adapté aux PDC constitués de PME.
Caractérisés par une forte hétérogénéité des parties prenantes, les PDC de PME fonctionnent
pour l‟instant de manière très diverse. Dans un souci de pérennité des relations, les auteurs
préconisent malgré tout de formaliser les liens qui peuvent exister entre les acteurs en
70
créant une structure de gouvernance60. Dans leur article, Colle et al. (2009) montrent,
grâce à l‟étude de différents PDC que si les contextes sont différents, « secteur d‟activité »,
« tradition de coopération », « taille des entreprises adhérentes » et « gouvernance des
pôles » (Colle et al., 2009, p. 155-156), des problématiques communes se retrouvent et
notamment en termes de gestion des ressources humaines (GRH). Il faut certes renforcer ce
qui existe déjà mais également imaginer de nouvelles formes de GRH adaptées aux
configurations spécifiques des PDC. Des questions liées à la propriété intellectuelle sont
également évoquées dans la littérature. Gomez (2009) mentionne les difficultés d‟établir les
droits de propriétés pour les découvertes réalisées au sein des PDC et des productions puisque
en suivant la logique de ces organisations, les efforts doivent être collectifs et partagés. On
s’aperçoit ici de la difficulté qu’il y a à établir des règles de travail en commun, de
coopération entre des organisations et individus qui n’ont pas l’habitude de le faire.
Cette réflexion sur les modes de gouvernance ne se limite pas aux PDC. D‟autres travaux
s‟intéressent aux liens qui existent entre les compétences et spécificités des entreprises et les
choix qu‟elles font dans leur mode de gouvernance (Colombo, 2003) ou sur l‟impact des
modes de gouvernance et des plus-value de l‟alliance (Reid et al., 2001). La coopération
inter-organisationnelle est une tâche bien plus complexe à mettre en œuvre que les
théories économiques semblent le suggérer puisqu‟elle nécessite la synthèse entre
différentes organisations (Pitsis et al., 2004).
La littérature en gestion nous apporte donc différents enseignements que nous synthétisons
au Tableau 10 suivant :
Apprentissages sur les coopérations inter-organisationnelles dans la littérature en gestion
60
La question de la coopération inter-organisationnelle est principalement pensée par rapport à la
recherche de performance (Ahuja, 2000) ;
Les alliances permettent aux entreprises qui en font le choix d‟acquérir différents types de
bénéfices (Reid et al., 2001) ;
Le fait de rechercher des alliances est lié soit à des incitations, soit à des opportunités (Hannachi et
al., 2010) ;
Certains auteurs indiquent que les ingrédients qui font le succès des démarches coopératives ne
semblent pas être déjà présents au démarrage mais sont à construire avec le temps (Doz, 1996) ;
Le contexte dans lequel sont enracinées les entreprises joue un rôle essentiel dans la constitution et la
compréhension des alliances (Gulati, 1998) ;
Les relations existantes impactent fortement la création ou non de nouvelles coopérations (Gulati et
Gargiulo, 1999) ;
Les entreprises ont tendance à imiter celles qui leur ressemblent le plus (Garcia-Pont et Nohria,
2002) ;
La confiance entre partenaires permet de contrebalancer les déséquilibres potentiels entre
Pour une présentation de cette notion, consulter Lamy (2005).
71
-
organisations (Poppo et al., 2008) ;
Pour la pérennité des alliances, il est préférable de formaliser les relations inter-organisationnelles
(Bocquet et Mothe, 2009) ;
La coopération inter-organisationnelle est une tâche bien plus complexe à mettre en œuvre que les
théories économiques le suggèrent (Pitsis et al., 2004).
Ce qui sert
notre question de recherche
-
-
-
-
On s‟aperçoit que les coopérations interorganisationnelles restent des sujets
complexes dont la littérature n‟a pas encore
épuisé toutes les interrogations;
On ne peut édicter de règles générales : les
facteurs qui impactent la formation et
l‟évolution des alliances diffèrent d‟un
contexte à un autre ;
Avec l‟intérêt porté à la confiance, on saisit
l‟importance des relations inter-individuelles
dans la mise en œuvre des coopérations interorganisationnelles.
On saisit également l‟importance du temps et
l‟idée qu‟il faut procéder par étape dans la
mise en œuvre et l‟accompagnement des
coopérations.
Ce qui manque
pour notre question de recherche
-
-
La littérature traite principalement de
coopérations pour lesquelles l‟intérêt
(économique, technique ou d‟image) est
évident pour les protagonistes;
La littérature s‟intéresse principalement aux
coopérations existantes et déjà formées.
Tableau 10 Ŕ Apprentissages et Insuffisances dans les travaux de gestion
Les éléments de compréhension que la littérature en gestion propose ne nous
paraissent pas suffisants pour traiter le cas spécifique des démarches d’EIT.
La question générale de la coopération inter-organisationnelle est adressée dans les
sciences de gestion et selon deux axes principaux. Le premier est celui des alliances
stratégiques et le second s‟intéresse aux modes de gouvernance des coopérations. On se rend
compte ici que ces travaux sont insuffisants puisque précisément, les démarches d‟EIT ne se
situent ni dans le premier cadre ni dans le second : on ne sait pas a priori quel est l‟intérêt à
coopérer et par définition, ces coopérations n‟existent pas puisqu‟elles sont à construire. On
se situe bien plus en amont que les situations décrites dans la littérature puisque l‟on
s‟intéresse 1/ à l‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles et 2/ lorsque les
acteurs n‟ont pas au départ d‟intérêt fort à cette coopération. Ainsi et pour traiter notre
question de recherche, sur la construction des coopérations inter-organisationnelles dans les
démarches spécifiques d‟EIT, il nous faut aller chercher ailleurs des éléments de
compréhension. Nous mobiliserons la sociologie de la traduction (ST) d‟une part et la théorie
des objets-frontières (TOF) d‟autre part et expliquons tout de suite pourquoi.
72
L’APPORT DE LA SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION ET DE LA THEORIE
DES OBJETS-FRONTIERES
2.2.
Une question clé pour nous et qui n‟a pour l‟instant pas trouvé de réponse dans la
littérature est : comment faire émerger la volonté de coopérer auprès d‟acteurs qui n‟en
avaient a priori pas le souhait ? La ST s‟intéresse précisément à cette question et nous en
expliciterons les concepts centraux afin de justifier plus précisément pourquoi nous la
mobilisons. Parce qu‟elle interroge à la façon dont il est possible d‟articuler des
hétérogénéités pour créer quelque chose de commun, la TOF nous semble pertinente et nous
la présenterons à la suite et en complément de la ST.
2.2.1. Sociologie de la Traduction et problématique
Des travaux intéressés par l’hétérogénéité
La première caractéristique de la ST et qui nous intéresse pour notre question de recherche
est qu‟elle traite de l’hétérogénéité et en fait l‟un des piliers de ses réflexions. Pour celui qui
veut la comprendre, la société doit être appréhendée au travers de la diversité des éléments qui
la constitue. La ST pense le divers, le distinct, le différent et veut comprendre la cohabitation
de ces éléments. Hommes, objets, lieux, toutes les composantes de notre quotidien, tout ce qui
fait notre activité doit être appréhendé si l‟on veut respecter et s‟approcher d‟une réalité de ce
que peut être la société (Latour, 2007). C‟est précisément ce que Latour et Woolgar (1988)
proposent lorsqu‟ils décrivent La vie de laboratoire où l‟ensemble de ce qui est utilisé par les
chercheurs est étudié. Les photographies présentes au milieu de l‟ouvrage en sont une
illustration puisqu‟elles montrent successivement61: le « réfrigérateur contenant des râteliers
d‟échantillons », les « colonnes de fractionnement », « Le spectromètre à résonance
magnétique », « La salle informatique », etc. Dans cette optique, les acteurs humains et
acteurs non humains sont pensés avec une égale attention puisqu‟ils interagissent et
constituent ce que les auteurs appellent des réseaux socio-techniques.
Ce n‟est pas tant la nature des choses qui est intéressante que ce qu‟elles font ou ne font
pas ; si elles font quelque chose, elles doivent être prises en considération et peu importe qu‟il
s‟agisse d‟objets ou d‟individus. Le récit que fait Latour (1992) du développement
d‟« Aramis » souligne davantage le propos. Pour comprendre pourquoi ce projet n‟a pas
abouti, l‟auteur étudie en effet non seulement ce que lui disent les personnes qui ont travaillé
dessus, mais aussi les spécificités techniques du projet : le tracé du réseau rail qu‟il
61
Nous ne citons ici que 4 des 15 photographies proposées par les auteurs.
73
impliquerait, les innovations technologiques qu‟il aurait mobilisées, les plans utilisés par les
ingénieurs qui y réfléchissent, etc.
Lorsqu‟ils évoquent les tentatives de sauvegarde de la coquille Saint Jacques dans la Baie
de Saint-Brieuc, Callon et Law (1988) montrent en effet qu‟il n‟y a pas d‟un côté les
dynamiques économiques ou politiques et de l‟autre les productions scientifiques. Ces
différents mots sont en fait des éléments d‟une même « chaîne d‟associations » (Callon et
Law, 1988, p.113), d‟un même ensemble : « La distinction entre la société d‟un côté et les
contenus scientifiques ou techniques de l‟autre est une division arbitraire » (Latour et al.,
1990, p.63). Tout est imbriqué et tous les éléments fonctionnent les uns par rapport aux
autres. C‟est de cette façon que de nouvelles constructions scientifiques sont possibles, que de
nouvelles technologies peuvent émerger, que les contextes socio-économiques et politiques
vont évoluer, modifiant du même coup les connaissances, compétences et perceptions des
acteurs ; ce qui impactera le type d‟outils utilisé, les progressions de la science et ainsi de
suite. On voit en effet que tous ces éléments ne fonctionnent pas de façon isolée mais qu‟au
contraire ils s‟influencent les uns les autres. La ST s’attache donc à penser les hommes
mais aussi ce qu’ils ont sous la main et mobilisent pour parvenir à leurs fins. Cet élément
est clé, tant pour l‟utilisation que nous ferons de cette théorie que pour les rapprochements
que l‟on établira entre la ST et la TOF.
A travers la notion de réseaux socio-techniques, la ST fait plus que de penser la diversité
des éléments. Elle pense les relations qu’il y a entre les éléments et l’on voit alors poindre
davantage ce qui justifie la mobilisation de cette théorie pour traiter notre question de
recherche. Les travaux étudient en effet comment ces éléments sont organisés et c‟est ici
qu‟il nous faut introduire le concept, central, de traduction. La traduction est ce qui fait
entrer dans mon monde quelque chose qui auparavant n‟y était pas, quelque chose qui avant
cet effort était étranger. Elle « lie des énoncés et des enjeux a priori incommensurables et
sans communes mesures » (Callon et Latour, 1990, p.32). C‟est un ensemble de méthodes
(Callon et al., 1986) qui me permet donc d‟allier l‟autre à moi (Akrich et al., 1988a ; Akrich
et al., 1988b). C‟est la façon que j‟ai de traduire c‟est-à-dire de rendre compréhensible un
objet pour un acteur ; c‟est donc ce qui permet de relier deux choses qui ne l‟étaient pas avant
(Law, 1999). Avec la ST, c’est la traduction de leurs intérêts et objectifs qui permet la
mobilisation des acteurs, comme l‟illustre la Figure 8 ci-dessous :
74
Intérêts et
objectifs
de l‟acteur A
La traduction relie et rend compatible
Intérêts et
objectifs
de l‟acteur B
Figure 8 Ŕ La "traduction" relie des éléments distincts
La traduction est un pont entre plusieurs choses qu‟elle relie mais introduit donc une
différence. Il y a un avant et un après puisque sans elle ni la compréhension ni la mobilisation
de l‟acteur n‟auraient été possibles :
« Toute nouvelle traduction peut contribuer à modifier, à transformer, à contredire ou au contraire
à renforcer les traductions antérieures c‟est-à-dire à modifier ou à stabiliser l‟univers des actants.
Traduire c‟est décrire, organiser tout un monde peuplé d‟entités (actants) dont les identités et les
interactions sont par là même définies ainsi que la nature de leurs interactions. Dans ce modèle, la
notion d‟action disparaît au profit de celle de traduction. » (Callon, 2006, p.243).
Avec la ST, il faut donc passer d’un modèle où des acteurs réalisent des actions à un
modèle où des actants (c‟est-à-dire des acteurs humains et des acteurs non humains) opèrent
des traductions (Callon et al., 2006). La traduction peut ainsi être considérée à la fois comme
une méthode et comme un résultat d‟une certaine façon. La traduction chercher à relier des
éléments hétérogènes et en même temps, le constat d‟une liaison accomplie, est le signe d‟une
procédure de traduction réussie. Tout ce qui concourt à faire entrer des acteurs dans un réseau
ou à les en faire sortir, tout ce qui fait le substrat des relations entre acteurs et les matérialise,
sont des éléments de traduction. Il peut donc s‟agir d‟actions, d‟évènements, d‟objets, de
techniques, etc. Le support matériel des relations inter-organisationnelles apparaît ici
fortement. On comprend l‟importance des objets que nous avons évoquée et que Vinck (1999)
souligne également. Considérer que la traduction est une méthode c‟est accepter qu‟elle fasse
quelque chose et nous avons vu qu‟elle permettait effectivement de relier la diversité des
éléments qui constituent notre société, d‟appréhender l‟hétérogénéité. Mais en disant que la
ST étudie la traduction qui relie du divers, nous disons donc que la ST Ŕ à travers le
concept de traduction Ŕ étudie ce qui réunit l’éparse, rassemble le différent et c‟est
précisément ce qui va nous intéresser pour traiter de la question de l‟initialisation des
coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT.
Des concepts développés pour comprendre les processus d’agrégation
La ST a été mise au point dans les années 1980 pour comprendre la formation du savoir
scientifique et l‟émergence des nouvelles technologies. Elle s‟intéressait au départ à
75
« l‟histoire de la construction de la connaissance » (Callon et Latour, 1990, p.25). Il y a ici un
élément supplémentaire qui va servir notre question de recherche. En plus donc de
s’intéresser aux divers et aux relations entre ces divers, nous découvrons que la ST
analyse la façon dont ces relations se construisent et le développement de la théorie
renforce ce constat : elle va en effet de plus en plus s‟intéresser à la manière dont les
innovations, non plus seulement technologiques mais au sens large de démarches innovantes,
sont ou non adoptées et se mettent en place. Plus précisément, elle va regarder comment des
chercheurs ou promoteurs de projets vont réussir à faire adopter et implanter leurs
découvertes, leurs démarches innovantes. La traduction prend toute sa place ici puisque seule
une traduction réussie permettra la construction de ces relations. Pour comprendre ce
processus de traduction, il nous faut maintenant préciser les concepts développés par la ST de
problématisation, dispositif d‟intéressement et enrôlement, qui l‟opérationnalisent et au
travers desquels elle se meut.
Dans l‟entrelacs des acteurs, des contextes, des objets, des outils, et des relations entre tous
ces éléments, les promoteurs de projet doivent problématiser leur action et délimiter un espace
d‟expression pour cette action. La problématisation est cet effort, fourni par les promoteurs
de projet ou chefs de file de la démarche et qui consiste à déterminer, au regard du projet que
l‟on se fixe, les acteurs à solliciter et embarquer et la configuration de l‟ensemble (Callon,
1986). Elle permet de savoir ce qui entre dans le champ des considérations à avoir et ce qui
n‟y entre pas (Callon, 1980). Une fois ce travail effectué, il leur faut déterminer des « espaces
de négociations » (Callon et Law, 1988, p.83). Ces espaces sont indispensables pour que les
acteurs puissent déployer leur marge de manœuvre. Ils leur permettent d‟échanger, de
confronter leurs points de vue et d‟essayer de se convaincre mutuellement. Ils sont le territoire
à l‟intérieur duquel les acteurs vont pouvoir déployer leurs efforts pour rallier d‟autres
acteurs, convaincre et avancer dans l‟action qu‟ils souhaitent faire progresser. Ils sont le lieu
privilégié de la traduction, là où peut prendre forme la démarche innovante. Les auteurs
parlent ailleurs de « centres de traduction » (Callon et Law, 1988, p.102). Les centres de
traduction sont des espaces formalisés – ce peut être la création d‟un laboratoire de recherche,
d‟une association, etc. – et qui favorisent la pérennité de la démarche initiée. Ils permettent de
collecter et conserver des informations, de les mettre en forme et de les traduire pour qu‟elles
soient utilisables par d‟autres, en même temps qu‟ils font un travail de mobilisation d‟autres
acteurs et réseaux importants ou utiles pour cette démarche. Ces centres de traduction ont
donc une fonction essentielle, celle de rendre visible le réseau existant et de le renforcer :
76
« L‟innovation c‟est l‟art d‟intéresser un nombre croissant d‟alliés qui vous rendent de plus
en plus fort » (Akrich et al., 1988a, p.17) ; d‟autant que « La seule chose absolument
impossible est de vouloir diminuer le nombre d‟acteurs associés et de prétendre en même
temps à la continuation d‟une existence plus « réelle » » (Latour et al., 1990, p.72). Selon
nous, ces deux concepts se recoupent et vont de pair. A la différence peut-être que les seconds
évoquent sans doute davantage des espaces physiques, de « vrais » lieux, ce que ne proposent
pas les premiers. Cette distinction ne change pas grand-chose à l‟argument général : pour
construire l’inter-organisationnel dont il est question, un espace réservé d’échanges et de
négociations est nécessaire pour permettre non seulement la problématisation, mais
aussi la tangibilisation, la matérialisation de la traduction, grâce à ce que la ST nomme
dispositifs d’intéressement.
Ces « dispositifs d’intéressement » sont précisément ce qui, dans la pratique, permet de
faire la traduction. Ils sont l‟outil de l‟effort d‟intéressement des acteurs (Callon et Law, 1988,
p. 87). Ils représentent les dispositifs mis en place à l‟intérieur de l‟espace de négociations et
qui servent la progression de l‟action. Il peut s‟agir de la mise au point d‟indicateurs ou de
variables pour simplifier une configuration d‟acteurs trop complexe mais aussi d‟évènements
organisés pour provoquer les échanges, confronter les points de vue, expliciter une
innovation, une démarche, etc. Dit autrement, tous les efforts que les acteurs vont faire pour
s‟entourer d‟alliés et implanter la démarche ou l‟innovation qu‟ils portent, peuvent être
considérés comme des dispositifs d‟intéressement. Ils sont tout ce qui participe à la
progression et au déploiement d’un processus, tout ce que les promoteurs de projets
vont mettre en place et mobiliser pour faire adopter leur démarche. L‟intéressement des
acteurs (Akrich et al., 1988a et 1988b), peut ainsi être compris à la fois comme un effort
mobilisant un certain nombre d‟outils et de méthodes, et comme un étape du processus
général de mobilisation des acteurs. Après la problématisation, l‟intéressement est donc cette
phase incontournable du processus permettant de rassembler d‟autres acteurs. Lorsque
l‟intéressement est réussi, lorsque les acteurs trouvent intérêt à la démarche, alors
l‟enrôlement, leur participation active et leur volonté « d‟en être » devient possible.
Lorsque nous parlons de mobilisation d‟acteurs dans un processus, nous parlons donc en
fait, dans les termes de la ST, d‟intéressement puis d‟enrôlement. L‟enrôlement apparaît
alors comme un concept clé pour notre question de recherche puisqu‟il décrit la mobilisation
effective des acteurs dans le réseau (Callon et Law, 1988). Les porteurs peuvent enrôler, c‟est77
à-dire embarquer d‟autres acteurs mais aussi des alliances, des amitiés et tout type de relations
(Callon et al., 2006). La notion d‟enrôlement contient le principe central pour la ST,
d‟interactions entre acteurs humains et non humains mais aussi l‟idée qu‟il faut, au démarrage
d‟un processus de co-construction, agréger des entités, des alliés, des outils, des techniques,
des dispositifs, etc. Il est donc indispensable au succès de l‟ensemble de la démarche : une
innovation et plus généralement une nouvelle démarche n‟a pas d‟intérêt en soi ; elle n‟en a
que si elle est adaptée, comprise, traduite et adoptée par cet ensemble d‟acteurs. De acteurs
enrôlés sont des acteurs qui non seulement font partie du tour de table de la démarche, mais n
plus, sont motivés par cette démarche : ce sont des acteurs engagés, impliqués parce qu‟ils ont
des motifs à participer à la dynamique. Ils sont convaincus de son utilité et peuvent en parler
avec intérêts. L’enrôlement, via d’abord l’intéressement, constituent ainsi la phase
essentielle du processus d’adoption d’une démarche et d’agrégation des acteurs autour
de cette démarche.
« Que le sort d‟un projet dépende des alliances qu‟il permet et des intérêts qu‟il mobilise, explique
pourquoi aucun algorithme ne permet d‟assurer a priori le succès. Plutôt que de rationalité des
décisions, il faut parler de l‟agrégation d‟intérêts qu‟elles sont ou non capables de produire. »
(Akrich et al., 1988a, p.17).
Les auteurs s‟accordent ici avec le constat établi dans les sciences de gestion que pour qu‟il
y ait alliance, il doit y avoir des intérêts à s‟allier. Ce que nous apprenons en revanche, c‟est
d‟une part qu‟il y a une diversité d‟intérêts à agréger et d‟autre part que c‟est la démarche
elle-même qui doit susciter ces intérêts. L’innovation n’a pas d’intérêt intrinsèque mais
doit, par le biais de la traduction et dans un mouvement d’enrôlement, se faire des alliés,
mobiliser et ramener des acteurs auprès d’elle, les rallier à sa cause en quelques sortes.
Le travail de protection des coquilles saint jacques dans la Baie de Saint Brieuc (Callon et
Law, 1988) l‟illustre justement. L‟échec de la mise en circulation du véhicule « Aramis »
rapporté par Latour (1992) en est un exemple complémentaire. Ce projet de métro
automatique n‟a pas abouti malgré les dix sept années de financement et d‟études techniques
qu‟il a nécessitées. Latour nous montre que ce qui a fait défaut, principalement, c‟est le
manque de considération de l‟environnement social de ce projet. Des premiers dessins à son
enterrement définitif, il n‟a pas bougé, n‟a pas évolué, n‟a pas été modifié. Comme si de luimême, par la force de sa portée innovante et de son intérêt technologique il aurait pu
s‟imposer aux acteurs financeurs, politiques, ingénieurs, usagers qui l‟entourent. En presque
vingt années, il n‟a jamais été retravaillé ou discuté ; tout semble s‟être passé comme si le
technique pouvait vivre indépendamment du social. Or on s‟aperçoit que ce n‟est pas le cas.
78
Le succès ou l‟échec d‟un projet, d‟une démarche innovante dépend de cette traduction, de cet
enrôlement réussi ou non, le social a avoir avec le technique. L’enrôlement est donc l’étape
du processus de construction qui permet de faire exister et de rassembler des intérêts
différents autour d’un projet ou d’une démarche innovante.
Nous n‟insisterons pas sur ce point puisque c‟est moins notre sujet mais il est intéressant
de noter que la ST va au-delà de la question de l‟initialisation des coopérations en
s‟intéressant également à la façon dont ces coopérations se stabilisent, se solidifient et
deviennent, pour un temps et jusqu‟à ce qu‟elles soient remplacées, irréversibles.
Effectivement, aux côtés des recherches sur le processus de construction du savoir
scientifique (Callon et Latour, 1990) et de l‟adoption des innovations notamment
technologiques (Akrich et al., 1988a et 1988b), les concepts de la ST sont mobilisés par
Michel Callon dans le domaine de l‟économie pour y développer à la suite du processus
d‟enrôlement des acteurs, celui de convergence et de l‟irréversibilisation des réseaux (Callon,
1991).
La ST s’intéresse donc bien à la façon dont les choses se construisent, se disposent les
unes par rapport aux autres, à la façon dont elles s’articulent et en fin de compte, aux
processus d’agencements: « La ST concentre son attention sur du mouvement62. » (Latour,
1999, p.17). Elle pose les relations entre acteurs comme fondamentales et les objets par
lesquels vivent et dans lesquels s‟incarnent ces relations, comme constitutifs de ces relations
et donc à étudier (Law, 1999). Notre projet s’inscrit dans la même dynamique puisque
nous cherchons à comprendre comment peut émerger un certain type d’assemblage :
celui des coopérations inter-organisationnelles. Pour analyser ce processus d‟initialisation
des coopérations, nous emprunterons donc les concepts développés par la ST et que nous
regroupons au Tableau 11 suivant:
Concepts
Problématisation
(Callon, 1980)
Dispositifs d’intéressement
Définition
La problématisation est la première étape incontournable qui permet de
délimiter le problème posé, d‟identifier les ressources (humaines,
techniques, etc.) à mobiliser pour le traiter et de distribuer les rôles de
chacun.
Les dispositifs d‟intéressement sont les moyens, outils et actions qui
participent à l‟intéressement puis à l‟enrôlement des acteurs. Ils
62
« ANT concentrates attention on a movement. ». Comme c‟est souvent le cas dans la littérature, le passage de
l‟anglais au français nous fait traduire ANT par ST. Se référer à la note de bas de page n°161, p.222 pour en
savoir plus.
79
(Callon et Law, 1988)
matérialisent les efforts de traduction.
Intéressement
L‟intéressement est l‟effort indispensable à fournir et la phase à réaliser
pour mettre les acteurs autour de la table, pour qu‟ils participent à la
dynamique. Sans intéressement réussi, pas d‟enrôlement possible.
(Akrich et al., 1988a et 1988b)
Enrôlement
(Akrich et al., 1988a et 1988b)
(Callon et Law, 1988)
Traduction
(Callon et al., 1986)
(Callon et al., 2006)
Une démarche, une innovation, n‟a pas d‟intérêt en soi. Elle ne vit que si
elle est comprise et adoptée par un ensemble d‟acteurs. Il est donc
essentiel de créer un contexte favorable pour que cette adoption soit
possible, que des alliés y soit intéressés : l‟enrôlement des acteurs est
l‟étape clé du processus d‟adoption d‟une innovation.
La traduction est la méthode générale qui permet aux acteurs
d‟intéresser et d‟enrôler d‟autres acteurs. Elle regroupe l‟ensemble des
efforts qui permettent de créer ces interactions et se distille donc, dans
toutes les étapes du processus.
 Ces concepts sont mobilisés par la ST pour l‟étude de processus de CONSTRUCTION de réseau
 Ils permettent de comprendre comment se font ou non les AGENCEMENTS INTERORGANISATIONNELS, les ASSEMBLAGES.
Application de la ST à l’étude des démarches d’EIT
Nous observerons comment les démarches d‟EIT choisies ont été conduites sur nos terrains d‟analyse pour
comprendre notamment :
-
-
comment se sont faites les étapes de problématisation, intéressement, enrôlement
quels ont été les dispositifs d‟intéressement mis en œuvre et si l‟intéressement des acteurs a réussi,
si donc l‟enrôlement des acteurs a eu lieu,
si finalement les efforts de traduction ont produit les effets souhaités.
Tableau 11 Ŕ Intérêts et utilisation des concepts de la ST pour notre recherche
La ST nous paraît adaptée pour comprendre le processus d’interactions qui permet
d’initialiser et de construire la coopération inter-organisationnelle. Elle nous permettra
ainsi d’analyser nos terrains et de comprendre, après coup, ce qui a ou non fonctionné.
Dervaux et al., (2011) le soulignent :
« La sociologie de la traduction est avant tout une théorie analytique, utile pour le décodage a
posteriori d‟un processus d‟innovation : on s‟intéresse alors, de manière rétrospective, aux
diverses actions qui ont conduit ce processus à la réussite ou à l‟échec. » (Dervaux et al., 2011,
p.65).
D‟autre part, le primat qui est donné aux phénomènes63 ainsi qu‟à la construction
d‟interactions entre des éléments d‟un même système, le système « société », toujours en
évolution, correspond à notre propre vision des relations sociales. Avec Latour (2007), la
société n‟est pas une réalité en soi, un donné qu‟il faudrait simplement déchiffrer et décrypter.
63
Penser le monde social comme un ensemble de phénomènes, c‟est considérer qu‟on ne peut étudier que ce qui
apparaît et se laisse saisir. Il n‟est pas du rôle du sociologue de présager des assemblages avant qu‟ils ne se
montrent. Il n‟est pas non plus en son pouvoir d‟interpréter l‟invisible, l‟implicite et les non dits. Le social est un
ensemble d‟associations ; le sociologue étudie les relations entre les hommes et les outils ou objets utilisés dans
ces relations et qui les matérialisent.
80
Le monde social est compris comme un ensemble de relations, sans cesse mouvantes, et dont
la stabilité n‟est qu‟éphémère, au profit d‟une construction toujours renouvelée. Ce qui est
objet d‟études ce sont les interactions entre des contextes, des outils et des acteurs (Latour,
1999). L‟approche constructiviste de ces auteurs est aussi la nôtre comme nous l‟expliciterons
davantage au CHAPITRE 3 dédié à notre méthodologie. Ainsi, en plus des concepts qui
nous paraissent opérants pour notre question de recherche, la posture des chercheurs de
la ST fait écho avec la nôtre.
La notion d‟enrôlement développée par la ST nous paraît tout à fait adaptée pour poser les
termes de notre problématique de recherche et y apporter des éléments de réponse. De la
même manière que nous avons décidé de ne plus traiter de la pérennisation des démarches
d‟EIT mais de leur initialisation, nous avons choisi de nous focaliser non pas sur la notion
d‟irréversibilisation du processus mais sur celle d‟enrôlement des acteurs. Ce qu‟il nous faut
comprendre c‟est précisément ce qui encourage les acteurs à s‟agréger, à se rassembler, à
coopérer dans une démarche collective innovante. Le croisement de notre question de
recherche sur les conditions favorisant les coopérations inter-organisationnelles dans les
démarches d‟EIT et du cadre théorique de la ST que nous venons de présenter, nous conduit à
formuler notre problématique de travail comme suit :
Comment construire l’enrôlement des acteurs dans les démarches
inter-organisationnelles d’EIT ?
2.2.2. La Théorie des Objets-Frontières
Ce que sont les objets-frontières
Notre sujet s‟articulant autour de la question des processus d‟agrégation d‟acteurs dans des
démarches innovantes d‟EIT, il nous paraît pertinent de mentionner la théorie des objetsfrontières (TOF). Ses questionnements sont proches de ceux de la ST sans en être
identiques et nous semblent pouvoir dialoguer puisqu’elle cherche à comprendre
comment articuler et faire travailler ensemble de l’hétérogène 64 et « porte sur la fabrique
des associations » (Trompette et Vinck, 2009, p.9). Nous mobilisons donc également la TOF
afin de déterminer si sur notre sujet, l‟approche et les concepts qu‟elle propose peuvent
s‟avérer utiles en complétant ceux de la ST.
64
Pour une revue des différents champs disciplinaires qui ont mobilisé cette théorie des objets-frontières
(sociologie, sciences de l‟éducation, ingénierie de conception, etc.), se référer à Trompette et Vinck (2009).
81
La TOF s‟inscrit dans la lignée des premiers travaux de la ST. Elle s‟est en effet interrogée
sur ce qui rendait possible la production d‟un savoir scientifique commun et partagé à partir
de différentes expertises et compétences. Star et Griesemer (1989) sont à l‟origine de cette
théorie: « La construction des théories scientifiques est un travail profondément hétérogène :
on ajoute et réconcilie sans cesse différents points de vue65. » (Star, 1989, p.45). Notons tout
de suite que l‟on retrouve ici les deux éléments principaux que nous avions distingués pour la
ST à savoir, la focale que la théorie fait sur l‟hétérogénéité d‟une part et sur les processus
d‟autre part. Nous pourrions d‟ailleurs formuler la question au cœur de leur travail de la façon
suivante : qu‟est-ce qui permet de dépasser les contradictions apparentes entre les différents
acteurs pour initialiser la coopération nécessaire à la production du savoir?
On voit donc à quel point le questionnement initial de la TOF s‟apparente à la fois à celui
de la ST et au nôtre : le rapprochement entre les deux théories est d‟ailleurs fait dans la
littérature : Star et Griesemer mentionnent la ST dans leur article de 1989, Fujimura les met
en parallèle en 1992 tout comme Peters et al. en 2010. Les points communs entre la ST et la
TOF ne doivent cependant pas en masquer les différences et ainsi l’intérêt qu’il peut y
avoir à les penser ensemble. Nous rassemblons les principaux éléments au Tableau 12
suivant :
65
« Scientific theory-building is deeply heterogeneous: different viewpoints are constantly being adduced and
reconciled. »
82
ST et TOF : des points communs
-
-
Les deux traitent de comment faire travailler
ensemble des acteurs hétérogènes (Star et
Griesemer, 1989) et s‟intéressent au management
de la diversité (Star, 1989);
-
Alors que la ST propose d‟établir des points de
passage obligés uniques, la TOF a une
approche « écologiste » au sens où tous les
éléments ont leur importance et peuvent défendre
leurs intérêts comme points de passage obligés
(Star et Griesemer, 1989, p.389) ;
-
Alors que dans la ST, la traduction est conduite
par les promoteurs de projets, dans la TOF, la
traduction est laissée ouverte, indéterminée et
est réalisée par les acteurs eux-mêmes (Star et
Griesemer, 1989);
Les deux s‟intéressent aux processus de
construction du collectif (Star et Griesemer,
1989);
-
ST et TOF : des différences
-
La ST s’intéresse davantage à ce qui permet la
stabilisation des processus alors que la TOF
travaille surtout sur la possibilité d’un processus
collectif, coopératif (Fujimura, 1992).
-
La ST « s’intéresse au travail de traduction d’un
acteur principal » (Peters et al., 2010, p.67) alors
que la TOF mobilise de « multiples
traductions » (Peters et al., 2010, p.67)
ST et TOF accordent une place importante aux
objets utilisés (Star et Griesemer, 1989).
Tableau 12 Ŕ Complémentarité de la ST et de la TOF
A ce stade de la présentation théorique des concepts, la TOF se positionne donc à la
fois dans la lignée et en complément des travaux de la ST. Dans la lignée parce qu‟elle
s‟intéresse aux processus qui permettent aux collectifs de se constituer et parce qu‟elle étudie
pour cela les actants humains et non humains qui interviennent dans ces processus. Elle s‟en
distingue cependant, par son approche écologique des processus de traduction considérant
qu‟ils peuvent ne pas être conduits par un traducteur/innovateur unique mais par l‟ensemble et
la diversité des acteurs sollicités. Elle présente ainsi un réel intérêt pour notre question de
recherche et nous allons tout de suite expliciter davantage, en quoi elle consiste et comment il
nous sera possible de la mobiliser, en la combinant à la ST, dans l‟analyse des démarches
d‟EIT aux CHAPITRE 4 et CHAPITRE 5.
Reprenons l‟origine du questionnement. Conserver les différences, spécificités et
autonomies de chacun tout en construisant ensemble quelque chose de collectif et de partagé :
voilà le défi du travail scientifique. Pour répondre à cette exigence, il faut trouver un moyen –
Star (1989) parle de « méthode » (Star, 1989, p.46) – permettant de concilier les divergences
avec ce qui est à construire et doit faire consensus. Les auteurs mentionnent d‟ailleurs une
tension entre les contributions de différents acteurs d‟un côté et le besoin de coopération de
l‟autre. Les nouveaux objets scientifiques et les nouvelles méthodes de travail créées peuvent
83
avoir des significations différentes pour les acteurs impliqués. Donc, pour qu’il puisse y
avoir construction partagée il faut réconcilier ces différentes significations et
représentations (Trompette et Vinck, 2009). Cette problématique est adressée à travers
l‟histoire (1907-1939) du Musée d‟histoire naturelle des vertébrés de Berkeley. Là où la ST
évoquerait la nécessité d‟un effort de traduction pour une convergence des intérêts et des
points de vue, en des points de passage obligés, les résultats de leur étude montrent que deux
autres voies permettent de rassembler le multiple pour créer du commun : les méthodes
standardisées d‟une part et la construction de ce qu‟ils nomment des objets-frontières66
d‟autre part.
La mise en place de méthodes standardisées induit une « discipline » de la part des
différents acteurs: parce qu‟ils doivent se conformer à certaines façons de faire, créant ainsi
des productions uniformes. Cette rigueur dans le mode opératoire est ainsi la première voie
qui a permis, sur leur territoire d‟étude, de créer du commun à partir du multiple. Nous
souhaitons faire deux remarques à ce sujet, corrélant les méthodes standardisées de la TOF et
les démarches d‟EIT :
1. D‟un point de vue général d‟abord, les démarches d‟EIT elles-mêmes pourraient être
considérées comme des méthodes standardisées si l‟on considère que toutes visent un
objectif unique. Toutes les approches d‟EIT, quelque soit leurs particularités, doivent
en effet aboutir à un résultat unique, la mise en place d‟un écosystème industriel ;
2. Par ailleurs et dans la pratique même des démarches d‟EIT, il existe comme nous
l‟avons vu au CHAPITRE 1 ce que l‟on pourrait également considérer comme des
méthodes standardisées qui évoquent un protocole type, un processus idéal de
déploiement d‟une démarche d‟EIT (Brullot, 2009 ; Orée, 2009).
Cela étant et contrairement aux méthodes standardisées présentées par Star et Griesemer
(1989), les deux rapprochements que nous avons esquissés n‟ont pas de validité dans les faits.
D‟une part, toutes les démarches d‟EIT ne produisent pas systématiquement d‟écosystème
industriel et d‟autre part, toutes les démarches d‟EIT ne se déroulent pas selon le processus
linéaire développé dans la littérature. Les démarches d‟EIT restent trop hétérogènes,
innovantes, particulières d‟un contexte à l‟autre pour s‟appréhender au travers de ce concept
des méthodes standardisées. Nous nous arrêtons donc davantage sur la deuxième voie que
les auteurs développent: la construction d’objets-frontières.
66
« Boundary objects ».
84
L‟analyse de la construction du savoir scientifique par l‟histoire du musée de Berkeley
permet aux auteurs de repérer ces objets-frontières. La spécificité de ces objets est de
pouvoir conserver les différences entre acteurs tout en créant du lien entre eux ; ils
conservent et rendent possibles, à la fois la diversité et le besoin de coopération :
« Générer des séries d‟objets-frontières qui pourront maximiser autant l‟autonomie que la
communication entre les mondes67 » (Star et Griesemer, 1989, p.404). Ils permettent donc de
résoudre et dépasser la tension apparente que nous évoquions et que la littérature mentionne
(Rond et Bouchikhi, 2004), entre la diversité des profils et intérêts et la nécessité de faire
quelque chose ensemble, d‟aboutir à quelque chose de commun.
Si ces objets-frontières parviennent à rendre cette tension productive, c‟est qu‟ils sont euxmêmes contradictoires d‟une certaine façon. Ils sont en effet suffisamment souples pour
s‟adapter et correspondre aux différents acteurs, tout en étant suffisamment solides pour tenir
ces différences entre elles et permettre les coopérations. Ils réalisent ainsi le difficile
équilibre entre adaptabilité et résistance seul garant de la création d’un contexte partagé
et d’un socle commun (Bechky, 2003), lui-même producteur du collectif à construire. Trop
souples, ils correspondraient à tous les acteurs mais n‟auraient pas la force nécessaire pour
sortir de ces différences et produire quelque chose ; trop solides au contraire, ils permettraient
bien de cimenter quelque chose mais seraient trop rigides pour tenir ensemble et intégrer les
différences :
« Les objets-frontières sont à la fois suffisamment modelables pour s‟adapter aux besoins locaux et
aux contraintes des différentes parties qui les utilisent, mais ils sont aussi suffisamment solides
pour maintenir une identité commune entre les différents lieux en présence68. » (Star et Griesemer,
1989, p.393).
Tout en précisant qu‟« il ne s‟agit pas d‟une liste exhaustive » (Star, 1989, p.410), les
auteurs ont identifié quatre catégories de ces objets, rapportées au Tableau 13, qui ont permis
le travail scientifique des acteurs qu‟ils ont observés :
Catégories
Définitions
Traduction par Trompette et Vinck, 2009 (p.8)
« Le répertoire »69
« Ensemble d‟objets classés et indexés de façon standardisée qui permet de
67
« Generating a series of boundary objects which would maximize both the autonomy and communication
between worlds. »
68
« Boundary objects are objects which are both plastic enough to adapt to local needs and the constraints of
the several parties employing them, yet robust enough to maintain a common identity across sites. »
69
« Repositories ».
85
gérer l‟hétérogénéité de façon modulaire. »
Exemple des auteurs: la bibliothèque du musée de Berkeley
Il s‟agit de tout type d‟objet/lieu qui permet de juxtaposer de la diversité, selon
des règles, ici de référencement, communes. Pour se rapprocher d‟objets que
nous connaissons, nous pouvons penser à des lieux de collection d‟information
comme des bases de données par exemple.
=> Le contenu est le même pour tous les acteurs mais on peut y mettre des
choses différentes et qui correspondent à chacun. Il suffit pour ce la de les
mettre dans une certaine forme que l‟objet en question reconnaît et supporte.
« Modèle général délaissant les spécificités locales ou singulières et susceptible
d‟être adapté et complété par les différents participants à l‟espace d‟action
collective. »
Exemple des auteurs : la notion d‟espèces
70
« L’idéal-type »
Nous pourrions ici penser à des termes génériques comme « pierre »,
« véhicule » ou « habitat » par exemple : ces termes regroupent une importante
variété d‟objets et permettent de rassembler sous une même enseigne des
hétérogénéités importantes. La yourte et la maison pavillonnaire sont toutes
deux des formes d‟habitat, mais elles n‟en restent pas moins différentes.
=> Il s‟agit ici de quelque chose qui n‟a pas de réalité concrète et qui est
partagé par un ensemble d‟acteurs, auquel ils peuvent tous se référer, mais qui
ne signifie pas la même chose pour chacun.
« Ensemble de frontières conventionnelles désignant des objets qui partagent
les mêmes frontières avec des formes internes différentes. »
Exemple des auteurs : l‟Etat de Californie
« L’enveloppe »
Une salle d‟exposition pourrait en être un autre exemple. Ces délimitations
physiques sont établies, mais elle peut accueillir une diversité de contenus, de
formes, etc.
=> Là aussi, le contenant est le même pour tous les acteurs mais le contenus
ET la forme du contenu peuvent varier en fonction des acteurs.
« Facilite la communication et le rapprochement de contenu divers. »72
« Le format standard »71
Les tickets de caisse pourraient en être un exemple aisément compréhensible :
dans un même magasin, ils ont tous la même forme mais permettent de rendre
compte d‟une hétérogénéité importante, d‟une grande diversité. Parce qu‟ils
sont tous au même format, leurs contenus peuvent être lus et comparés.
Tableau 13 Ŕ Nature des "objets-frontières", d'après Star et Griesemer (1989) et Star (1989)
C‟est donc à travers ces différents moyens, nous y reviendrons plus bas, que les acteurs
dans leur diversité sont parvenus à créer quelque chose de collectif. Ici, on se rend compte que
les objets-frontières ne sont pas des objets au sens strict du terme. Dans les différentes
catégories décrites ci-dessus, les objets-frontières ont une certaine forme physique mais ils
n’ont pas nécessairement de réalité matérielle, concrète (Briers et Chua, 2001). Les
70
« Ideal type ».
« Standardized forms ».
72
Ce type d‟objet-frontière ressemble beaucoup aux méthodes standardisées décrites plus haut. Ils sont plus
localisés que ces dernières, plus ponctuels, moins systématiques aussi mais relèvent de la même dynamique :
inscrire son action dans un cadre ou via un objet aux contours bien définis qu‟il n‟y a plus à discuter.
71
86
« répertoires » ou les « enveloppes » peuvent en avoir une, ce qui n‟est pas le cas des
« idéaux-types » ou des objets aux « formats standards» décrits par les auteurs. Ce constat fait
partie de la définition des objets-frontières et de leur capacité d‟adaptation dont nous avons
parlée plus haut :
« Leur nature d‟objet-frontière est reflétée par le fait qu‟ils sont en même temps concrets et
abstraits, spécifiques et généraux, conventionnels et personnalisés. Ils sont souvent
intrinsèquement hétérogènes73. » (Star et Griesemer, 1989, p.408).
Dans leur étude sur le changement du système de comptabilité informatique d‟une
organisation, Briers et Chua (2001) proposent une cinquième catégorie d‟objets-frontières qui
le souligne. Les objets « qui proposent une vision ». Ce sont des objets conceptuels qui ont
une force importante et une légitimité spécifique au sein d‟une même communauté. Benn et
Martin (2010) indiquent qu‟ils sont comme sacrés, qu‟on ne peut y toucher comme c‟est le
cas par exemple de ce que l‟on appelle parfois les « meilleures pratiques du monde» (Benn et
Martin, 2010, p. 400). Ils réunissent malgré les différences qui peuvent exister au sein de cette
communauté en mettant tout le monde d‟accord pourrait-on dire : ils provoquent la même
émotion ou la même réaction chez les différents acteurs. L‟illustration qu‟ils en donnent c‟est
par exemple la volonté, plutôt partagée par l‟ensemble de la communauté des manageurs,
d‟avoir des pratiques de travail efficientes. Cette volonté d‟avoir des pratiques de travail
efficientes est un objet-frontière : elle tient ensemble les différences tout en créant du partagé.
Ce que font les objets-frontières
Carlile (2002) va apporter une nuance à la définition générale. A la suite de Star et
Griesemer qui avaient étudié la construction du savoir scientifique, il va étudier les objetsfrontières dans le cadre de la mobilisation de savoirs pour le développement de nouveaux
produits. La préoccupation est la même : comment articuler et conserver les différences (les
différents savoirs) pour créer du partagé (le nouveau produit). En utilisant et en renforçant la
définition des objets-frontières identifiés par ses prédécesseurs, Carlile pose une nouvelle
question qui est celle de la différence entre les bons et les mauvais objets-frontières. Si l‟on
admet qu‟un objet-frontière puisse être efficace dans un contexte et ne pas l‟être dans un
autre, il faut effectivement en conclure qu‟il y a ceux qui sont adaptés et ceux qui ne le sont
pas. La question est de savoir comment les identifier. Pour y répondre l‟auteur propose trois
caractéristiques d‟objets-frontières : La caractéristique syntaxique, la caractéristique
73
« Their boundary nature is reflected by the fact that they are simultaneously concrete and abstract, specific
and general, conventionalized and customized. They are often internally heterogeneous. »
87
sémantique et la caractéristique pragmatique. Nous n‟entrerons pas ici dans le détail de ce que
recouvrent ces différentes caractéristiques mais en retiendront les éléments principaux. Ainsi,
les objets-frontières mobilisés dans une démarche doivent permettre à la fois:

que les différents acteurs se reconnaissent dans ces objets et soient représentés au
travers d‟eux ;

que les différents acteurs apprennent à partir de ces objets c‟est-à-dire qu‟ils
puissent s‟enrichir des autres acteurs grâce et par ces objets-frontières qui les
représentent ;

que les différents acteurs évoluent grâce à cet apprentissage c‟est-à-dire que tout en
conservant leurs spécificités, ils puissent se transformer légèrement pour ainsi se
rapprocher des autres.
Les approches de Star et Griesemer et de Carlile nous permettent de comprendre peu à peu
ce que sont et ce que font ces objets-frontières. La Figure 9 nous montre la place qu‟occupent
les objets-frontières et la façon dont ils peuvent articuler les hétérogénéités en se situant,
notamment, à « l‟intersection (…) des besoins et contraintes spécifiques de chacun. »
(Trompette et Vinck, 2009, p.8):
Les différents acteurs
Les objets-frontières,
interface et lieu de
rencontre des
différences
Figure 9 Ŕ Les objets-frontières, lieux de rencontre d’acteurs hétérogènes
Alors que les premiers auteurs nous on surtout dépeint leur nature diverse, le dernier a
davantage insisté sur leurs fonctions. Nous avançons encore d‟un pas : comme nous
amorcions l‟idée plus haut, les objets-frontières sont des moyens, la ST parlerait d‟artefacts.
88
Ce sont des outils qui n‟ont d‟utilité que s‟ils remplissent une fonction. Dans le cadre de la
production de nouveaux produits, ils sont utiles parce qu‟ils donnent un cadre, une structure
aux savoirs mobilisés et qu‟ils permettent d‟en développer de nouveaux, « qu‟ils doivent
faciliter un processus de transformation du savoir74. » (Carlile, 2002, p.453). Latour (2007)
dirait que ce ne sont pas des intermédiaires mais des médiateurs, des traducteurs. Fujimura
(1992) remarquait que dans le processus de construction du savoir par les différentes
communautés qu‟il a étudiées, l‟utilisation des objets-frontières fait que chaque communauté
a changé : « D‟une façon ou d‟une autre, chaque monde est modifié même si en même temps
chacun conserve sa spécificité et son intégrité75. » (Fujimura, 1992, p.203). Sinon, ils ne
créeraient pas de ponts entre les mondes, ils ne seraient pas des objets-frontières, ils seraient
des objets tout court. Ainsi, les objets-frontières changent le cours des choses et sont des
actants, dans les termes de la ST, qui en même temps qu’ils résultent de la coopération, la
rendent possible.
En conclusion de leur travail, les auteurs se résument: « Comment hétérogénéité et
coopération peuvent coexister ? 76.» (Star et Griesemer, 1989, p.414). La question telle
qu‟elle est ici posée nous renvoie de nouveau aux travaux de la ST et l‟on constate à quel
point les deux théories peuvent dialoguer. L‟étude de Carlile (2002) va en ce sens aussi et
finalement les deux recherches répondent à une question, voisine de la nôtre : comment
faire travailler ensemble des mondes différents ? Comment unir du différent? Des
travaux sur les communautés de pratique se sont d‟ailleurs emparés des objets-frontières pour
réfléchir à la façon dont ils permettent la diffusion des informations, la construction de savoirs
partagés et les connexions entre communautés (Wenger, 1998). Articuler le divers sans le
gommer est le nœud central des travaux sur les objets-frontières, leur fonction et leur
principal intérêt pour notre travail. Star (1989, p.52) le souligne : « La construction des
objets-frontières est un phénomène collectif, communautaire qui requiert au moins deux
groupes d‟acteurs de points de vue différents77. ». Le recours aux objets-frontières n’est
donc pertinent que dans un contexte d’acteurs multiples et c’est précisément ce qui nous
intéresse.
74
« Must facilitate a process of transforming current knowledge. »
« Each world is changed in some manner, yet each also maintains its uniqueness and integrity. »
76
« How do heterogeneity and cooperation coexist? »
77
« The construction of such objects is a community phenomenon, requiring at least two sets of actors with
different view points. »
75
89
En combinant les hétérogénéités, c‟est-à-dire en les articulant et en les conservant, les
objets-frontières impactent donc les relations sociales. C‟est d‟ailleurs pour cette raison que
McGivern et Dopson (2010) s‟y intéressent dans leur étude sur le processus de transformation
des objets de savoir au sein des communautés d‟experts, à la fois théoriciens et praticiens. Les
articles cités plus haut s‟intéressent d‟abord à ce que sont les objets-frontières, à leur nature,
mais aussi à ce qu‟ils font et permettent dans le cadre spécifique des contextes où ils se
déploient. Ici les auteurs nous apportent une dimension complémentaire. L‟identification des
objets-frontières dans une situation particulière nous informe sur cette situation. Pour
McGivern et Dopson (2010), les relations qu‟ont les acteurs aux objets reflètent et affectent
les relations sociales de ces acteurs. S‟intéresser aux objets c‟est donc en même temps
s‟intéresser aux acteurs qui les mobilisent. La compréhension des objets-frontières
participe à la compréhension des processus sociaux. Pour comprendre les processus qui se
déploient au sein des réseaux qu‟ils étudient, les auteurs vont identifier et analyser les
différents objets qui sont mobilisés par les acteurs de ces réseaux. Vinck (1999) fait le même
travail considérant que « les dispositifs physiques méritent d‟être pris en compte dans
l‟analyse parce qu‟ils prennent part aux actions finalisées et aux mécanismes de
coordination. » (Vinck, 1999, p.388) et que « les objets physiques sont des composantes de la
dynamique coopérative. Ils participent à la constitution des interactions locales et de la
dynamique collective. » (Vinck, 1999, p.407). Là encore, la TOF est en ligne avec la ST : elle
considère effectivement que ces objets – même s‟ils ne sont pas nécessairement matériels –
ont une importance dans l‟étude et la compréhension des faits sociaux. Dit autrement, cela a
du sens de s‟intéresser aux objets lorsque l‟on étudie les processus sociaux et c‟est d‟ailleurs
aussi ce que la ST nous encourage à faire à travers la notion de dispositifs d‟intéressement.
Puisque l‟on sait d‟une part que ce sont des outils et que l‟on souligne à l‟instant qu‟ils
participent aux dynamiques sociales, les objets-frontières semblent être utiles au
management : « La création et le management des objets-frontières est un processus clé dans
le développement et le maintien d‟une cohérence entre des mondes sociaux qui
s‟entrecroisent78. » (Star et Griesemer, 1989, p.395). Pour initialiser des coopérations interorganisationnelles, les manageurs ne peuvent donc se contenter de laisser-faire. Le caractère
hétérogène des acteurs mobilisés dans une démarche d’EIT, couplé au besoin de
coopération entre ces acteurs exige un effort spécifique. En rendant possibles (Star et
78
« The creation and management of boundary objects is a key process in developing and maintaining
coherence across intersecting social worlds. »
90
Griesemer, 1989 ; Carlile, 2002) et visibles (Vinck, 1999 ; McGivern et Dopson, 2010) les
coopérations, les objets-frontières se présentent aussi comme de précieux outils de
gestion.
Le Tableau 14 ci-dessous synthétise les enseignements tirés de la littérature sur les objetsfrontières et précise la façon dont nous allons les mobiliser :
Propriétés
Intérêts pour notre question de recherche :
des objets-frontières
« Quelles sont les conditions de développement de l‟EIT et plus
précisément, celles qui favorisent les coopérations interorganisationnelles requises dans ces démarches ? »
Intérêts pratiques
Intérêts théoriques
-
-
Abstraits et concrets
(Star et Griesemer, 1989)
-
Souples et rigides
(Star et Griesemer, 1989 :
Fujimura, 1992)
(Star et Griesemer, 1989 ; Carlile,
2002)
-
Matériels, techniques ou
conceptuels
(Star et Griesemer, 1989 ; Carlile,
2002 ;
Vinck, 1999)
Ils permettent de
combiner les
hétérogénéités TOUT EN
les conservant pour créer
du commun
Ils sont des outils à
disposition des manageurs
pour la gestion des
coopérations, des projets
collectifs
(Star et Griesemer, 1989)
Ils sont des marqueurs de
la temporalité des
coopérations et
s‟inscrivent ainsi dans une
perspective dynamique
des relations interorganisationnelles
(Vinck, 1999)
-
Ils renseignent sur les
processus sociaux et
permettent d‟observer si il
y a ou non des relations,
des coopérations à
l‟œuvre
(Vinck, 1999 ;
McGivern et Dopson, 2010)
 Ils ont des CARACTERISTIQUES SPECIFIQUES que nous n‟avons pas trouvées avec d‟autres types
d‟objets ou d‟outils.
 Ils rendent POSSIBLES et VISIBLES LES COOPERATIONS dans des configurations d‟acteurs où cela
semblerait difficile, voire impossible.
 Ils correspondent à notre volonté d‟une APPROCHE DYNAMIQUE DES RELATIONS interorganisationnelles.
 Ils nous apparaissent comme de VERITABLES OUTILS DE GESTION.
Application de la TOF à l’étude des démarches d’EIT
Nous observerons comment les démarches d‟EIT choisies ont été conduites sur nos terrains d‟analyse pour
comprendre notamment :
-
si des objets-frontières ont été créés, lesquels et comment,
si des objets-frontières ont été utilisés, lesquels et comment,
si l‟on identifie d’autres propriétés des objets-frontières que celles décrites dans la littérature,
si l‟on identifie d’autres types d‟objets-frontières que ceux décrits dans la littérature.
Tableau 14 Ŕ Propriétés, intérêts et utilisation des objets-frontières dans notre recherche
91
Nous l‟avons vu, la TOF s‟intéresse à des problématiques tout à fait voisines de celles de la
ST puisque dans les deux cas, la question de fond est de savoir comment réunir le divers,
comment créer du commun à partir d‟hétérogénéités. Alors que la ST mobilise les concepts
centraux de traduction, intéressement et enrôlement, la TOF développe celui d‟objetsfrontières. A ce stade de l‟analyse, il nous semble que les deux approches peuvent se
combiner comme le propose la Figure 10 ci-après :
Le processus de TRADUCTION de la ST
Problématisation
Intéressement
Enrôlement
Le processus de traduction se matérialise au travers des :
Dispositifs d’intéressement (DI) comme décrits par la ST
Les efforts investis (outils mobilisés, techniques employées, évènements organisés)
pour mobiliser les acteurs.
Ces dispositifs d’intéressement pourraient être des :
OBJETS-FRONTIERES comme décrits par la TOF
Les objets, matériels ou non, qui permettent d‟articuler les différences
TOUT EN les conservant.
Figure 10 Ŕ L'articulation de la ST et de la TOF
Pour expliciter ce schéma, précisons comment dans l‟analyse de nos terrains aux
CHAPITRES 4 et 5, nous articulerons ANT et TOF :
-
La structuration de l‟analyse se fera selon les concepts de la ST présentés à savoir la
problématisation, l‟intéressement et l‟enrôlement79 ;
79
Leca et al. (2006) ont procédé à un phasage de la démarche d‟institutionnalisation qu‟ils étudiaient grâce aux
concepts de la ST également. Ils en avaient retenu six, ensuite réutilisés par Xhauflair et Pichault (2009) :
décontextualisation, problématisation, construction d‟un système d‟intéressement, enrôlement, recherche du
92
-
Cette analyse nous permettra d‟identifier au fur et à mesure les dispositifs
d‟intéressement mis en œuvre et de voir ainsi s‟ils ont ou non permis l‟enrôlement des
acteurs ;
-
Au regard de notre dernier développement théorique et considérant avec Trompette et
Vinck (2009) que les objets-frontières sont des objets intermédiaires « dont ils forment
un sous-ensemble 80» (Trompette et Vinck, 2009, p.11), nous verrons si ces dispositifs
d‟intéressement mis en œuvre sont des objets-frontières et ainsi quelle relation il est
possible d‟établir entre:
o Les objets-frontières et l‟enrôlement des acteurs et partant,
o La souplesse des traductions que la littérature attribue aux objets-frontières et
l‟enrôlement effectif des acteurs.
Notre connaissance des travaux de la littérature et des pratiques de terrain 81 nous conduit à
énoncer un certain nombre d‟objectifs, notamment théoriques, que nous assignons à ce
travail :
1. D‟abord et dans le champ spécifique de l’EIT, nous voulons diversifier les
connaissances actuelles en complétant les éléments d‟ingénierie dominants, par des
éléments de gestion sur les modalités d‟initialisation des coopérations interorganisationnelles dans ces démarches spécifiques ;
2. Du point de vue de la littérature en gestion, nous souhaitons également apporter
des compléments aux travaux qui abordent le sujet des coopérations interorganisationnelles sous l‟angle des alliances stratégiques ou des relations
existantes, par des éléments sur la façon dont, en amont, ces coopérations interorganisationnelles peuvent se construire ;
3. Nous souhaitons aussi apporter des éclairages à la littérature dédiée à la ST en la
mobilisant pour l‟analyse des démarches nouvelles d‟EIT afin de repérer ce qu‟elle
soutien des alliés et stabilisation du réseau. Dans ce travail et pour nous adapter au mieux aux spécificités de nos
terrains d‟analyse, nous n‟en n‟utiliserons que trois : problématisation, intéressement et enrôlement.
80
Si les objets-frontières sont des objets intermédiaires parce qu‟ils font le lien entre des acteurs, tous les objets
intermédiaires en revanche ne sont pas des objets-frontières. Ils peuvent le devenir ou non. Lorsqu‟ils le
deviennent, c‟est parce que les acteurs les « équipent » de métadonnées supplémentaires qui en font des
infrastructures intégrant des repères transférables d‟un monde sociale à l‟autre, reliant ces mondes, ce que font
précisément les objets-frontières. Pour une distinction fine entre objets intermédiaires et objets-frontières, voir
Vinck (2009).
81
Rappelons ici que nous avons conduit ce travail de recherche dans le cadre d‟une convention CIFRE avec
donc en parallèle de ce travail, des missions de conseil centrée sur les démarches d‟EIT.
93
peut apporter à la compréhension de ces processus innovants et les configurations
dans lesquelles elle apparaît la plus adaptée ;
4. Enfin, l‟utilisation de la TOF nous permettra de la challenger afin de voir d‟une
part dans quelle mesure elle se distingue et complète effectivement la ST et d‟autre
part, quelles sont les contributions éventuelles que nous pouvons lui apporter.
A la question de savoir comment peut se faire l‟initialisation des coopérations interorganisationnelles dans les démarches d‟EIT, nous avons trouvé que le cadre théorique de la
ST pouvait apporter des éléments de réponse. L‟analyse de la littérature nous conduit
également à considérer la récente TOF, pour ce qu‟elle partage avec la ST et ce qui l‟en
distingue. S‟attachant à la même question de fond qui est d‟identifier ce qui rend possible les
processus collectifs, elle propose une traduction plus ouverte que la ST (Peters et al., 2010).
Alors que cette dernière ambitionne la convergence des intérêts pour la production d‟un objet
commun, la TOF propose le concept d‟objets-frontières produisant un objet commun, TOUT
EN Ŕ et c‟est là sa grande singularité Ŕ conservant les particularismes des différents acteurs.
Ainsi, la TOF semble spécifier le type de dispositifs d‟intéressement à mobiliser : il s‟agirait
d‟objets-frontières permettant de mener à bien le processus de traduction et ainsi d‟enrôler
les acteurs dans une démarches d‟EIT mais Ŕ et l‟on retrouve la distinction essentielle Ŕ sans
les contraindre et en préservant leur marge de manœuvre (Garrety et Badham, 2000). Aux
CHAPITRE 4 et CHAPITRE 5, nous étudierons des démarches spécifiques d‟EIT 1/ sous le
prisme des concepts de la ST et 2/ pour voir si des objets-frontières ont été produits et de
quelle manière cela a impacté le processus coopératif.
A ce stade du travail, voici en Figure 11 l‟avancée de notre réflexion :
94
Chapitre 1 - Contexte de la réflexion
Question de
recherche
Quelles sont les conditions de développement de l'EIT et plus
précisément celles qui favorisent les coopérations interorganisationnelles requises dans ces démarches?
Chapitre 2 - Choix du cadre théorique de l'ANT et présentation
de la TOF
Problématique
de recherche
Comment construire l'enrôlement des acteurs dans les
démarches inter-organisationnelles d'EIT?
Chapitre 4 - Analyse du terrain de la Vallée de la Chimie et TOF
Intuition de
recherche
A suivre
Figure 11 Ŕ Progression de la réflexion, point d'étape 2
95
CHAPITRE 3
DESIGN DE LA RECHERCHE
« Et quoiqu‟on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d‟eux-mêmes. C‟est
précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique… Rien ne va de
soi. Rien n‟est donné. Tout est construit. »
Gaston Bachelard, 1938 (p.14)
Au CHAPITRE 2, nous avons présenté les cadres théoriques de la ST et de la TOF sur
lesquels nous nous appuyons pour à la fois parer aux limites de la littérature et nous aider à
répondre à notre question de recherche sur l‟initialisation des coopérations interorganisationnelles.
Ainsi, l‟objectif de ce CHAPITRE 3 est de présenter le design de recherche mis en place
pour guider notre progression. Nous expliciterons les raisons qui expliquent notre posture
constructiviste et notre choix d‟une une méthode qualitative appliquée à quatre terrains
d‟analyse.
3.1.
POSTURE DE RECHERCHE
Puisque la posture de recherche diffère entre chercheurs et questions de recherche, nous
préciserons ici la relation que ce dernier entretient avec la première ainsi que la manière dont
l‟ensemble du processus évolue et se construit dans ce travail, en gardant présent à l‟esprit
comme le rappelle Homans (1949), que « Les personnes qui écrivent sur la méthodologie
oublient souvent qu‟il s‟agit d‟une question stratégique et non morale. Il n‟y a pas de bonnes
ou de mauvaises méthodes ; il n‟y a que des méthodes plus ou moins efficaces dans des
circonstances particulières et pour atteindre les objectifs qui jalonnent le chemin d‟un but
éloigné82. » (Homans, 1949, p.330).
82
« People who write about methodology often forget that it is matter of strategy not of morals. There are
neither good nor bad methods but only methods that are more or less effective under particular circumstances in
reaching objectives on the way to a distant goal. »
96
3.1.1. Un chercheur et une question de recherche ?
La position du chercheur
Notre expérience de la recherche nous a appris qu‟il n‟y a pas un chercheur unique
confronté à une question de recherche qui serait unique elle aussi. La relation est plus
complexe car le chercheur a de multiples casquettes et la question de recherche différentes
facettes (Denzin et Lincoln, 1998). Les deux évoluent au cours du processus de recherche, se
construisent et se stabilisent dans un équilibre toujours dynamique.
La juste position du chercheur n‟est pas facile à trouver. Comment peut-il être
suffisamment extérieur pour ne pas trop impacter les résultats de sa recherche ? Comment
peut-il être, en même temps et c‟est en cela que l‟exercice est périlleux, suffisamment à
l‟intérieur pour s‟assurer une participation active des répondants qu‟il sollicite et une fine
compréhension des situations qu‟il analyse ? (Garsten, 2011). D‟autant que dans notre cas, la
question de recherche est d‟abord née d‟une interrogation issue de notre expérience du terrain
sur laquelle nous reviendrons. Dit autrement, nous connaissions le territoire et les acteurs
impliqués qui en retour nous connaissaient également. Cette connaissance nous a
probablement facilité l‟accès au terrain mais elle a sans doute aussi impacté notre analyse.
Bien qu‟il nous soit difficile de dire comment avec précision, il nous semble important de le
mentionner ; nous ne prétendons pas dire le tout et le vrai des situations que nous étudions.
Nous en proposerons une analyse crédible, défendable mais incontestablement personnelle
(Ayache et Dumez, 2011).
De notre point de vue, il est impossible de distinguer parfaitement le chercheur et son objet
de recherche (Gavard-Perret et al., 2008) ; le premier oriente le second et ce dernier influence
à son tour les réflexions du premier. Les deux fonctionnent ensemble puisqu‟il n‟y a pas de
chercheur sans objet de recherche ni inversement d‟objet de recherche sans chercheur. Le
matériau recueilli est de toute façon objet à interprétation de la part du chercheur. Kaufmann
(2007) précise que c‟est d‟ailleurs bien cela qui est recherché :
« L‟interprétation du matériau n‟est pas évitée mais constitue au contraire l‟élément décisif. »
(Kaufmann, 2007, p.19).
Pour l‟auteur et nous partageons son avis, l‟analyse d‟un terrain est d‟ailleurs plus une
interprétation qu‟une restitution. D‟un chercheur à l‟autre en effet, le même matériau pourrait
être lu différemment en fonction notamment de la question de recherche posée, du vécu du
chercheur et du cadre d‟analyse choisi pour l‟étudier. Perret et Séville (2007) soulignent
97
d‟ailleurs que « La réalité n‟est jamais indépendante de l‟esprit, de la conscience de celui qui
l‟observe ou l‟expérimente. » (Perret et Séville, 2007, p.19). Objectivité et subjectivité
s‟entremêlent donc et Morin (2008) nous indique que c‟est là le moyen de construire de la
connaissance :
« Je voudrais qu‟il comprenne (le lecteur83) que la problématique singulière du sujet vivant
domine, mine, contamine tout sujet pensant, et singulièrement tout sujet pensant le problème du
sujet vivant… Je voudrais qu‟il comprenne que le pire c‟est toujours de croire soustraire le sujet
connaissant de la connaissance, et que le meilleur ne peut venir qu‟en l‟y reconnaissant en pleine
conscience. L‟occultation de notre subjectivité est le comble de la subjectivité. Inversement la
recherche d‟objectivité comporte, non l‟annulation, mais le plein emploi de la subjectivité. (…) Ce
n‟est pas l‟objectivité qui s‟enfuit lorsque le sujet revient, c‟est l‟objectivité qui s‟approfondit dans
sa racine subjective/objective. » (Morin, 2008, p.929-930).
Nous postulons donc que les interactions entre le sujet qui étudie et l’objet de son
étude sont non seulement inévitables mais souhaitables puisque c’est en partie grâce à
elles que la connaissance est possible (Giordano, 2003). Le propos s‟applique d‟autant plus
dans notre cas de dispositif de recherche CIFRE84 permettant de tenir ensemble le monde des
chercheurs et celui des praticiens comme les distingue Thiétart (2007). Notre travail de
recherche permettait d‟apporter la profondeur et la distance nécessaires à la compréhension
des phénomènes pendant que nos missions professionnelles apportaient le lien direct avec les
difficultés et enjeux du quotidien des acteurs sur le terrain. Dans notre recherche, les
interactions ont été permanentes entre d‟une part la littérature et le terrain et d‟autre part, entre
l‟avancée de nos réflexions et les échanges avec les autres chercheurs de notre environnement
de travail. Régulièrement, nous avons pu présenter notre progression aux professeurs
membres de notre comité de suivi85 et aux réunions de notre centre de recherche OCE86 ce qui
nous a été très précieux pour réajuster, repréciser et affiner tant nos objectifs de recherche que
les moyens d‟y parvenir. Ces allers et retours fréquents (Allard-Poési, 2003) ont permis un
enrichissement de notre objet de recherche dont les résultats bénéficient, assurant ainsi
une plus grande validité et une plus grande convenance au terrain (Glasersfeld, 1988).
83
Nous précisons.
Cf. L‟INTRODUCTION pour une présentation de l‟intérêt et des difficultés de ce dispositif.
85
Le comité de suivi est le dispositif mis en place au début du travail de thèse au sein du centre de recherche
OCE d‟EMLyon et qui nous aura permis de présenter l‟avancée de nos travaux à des chercheurs dont les centres
d‟intérêt font échos au nôtre, et dont l‟expérience de la recherche a été profitable à notre progression. Les
membres de ce comité de suivi sont principalement Françoise Dany (Co-directrice de la recherche), Frank
Azimont et David Courpasson.
86
Organisations, Carrières et nouvelles Elites , http://events.em-lyon.com/oce/accueil/index.aspx.
84
98
Les orientations données à la recherche
D‟après Allard-Poési et Maréchal (2007), un projet de recherche peut naître d‟une
expérience de terrain, d‟une situation vécue :
« Les difficultés des entreprises et les questions des manageurs peuvent être des points de départ
privilégiés pour la recherche en sciences de gestion. Une problématique construite sur cette base
permet d‟avoir un ancrage managérial intéressant. » (Allard-Poési et Maréchal, 2007, p.48).
Nous sommes précisément dans ce cas puisque nous avons participé pendant plusieurs
mois à une démarche d‟écologie industrielle au sud de la ville de Lyon87 qui nous a
interpellée. L‟expérience de ses difficultés inattendues et de ses enjeux implicites ont d‟abord
suscité chez nous la surprise puis la volonté de comprendre plus finement ce qui c‟était passé.
Alors que les résultats du travail semblaient convaincants pour l‟équipe de réalisation dont
nous faisions partie, les autres acteurs qui participaient à la démarche ne sont pas restés
mobilisés et n‟ont pas donné suite à la dynamique initiée une fois que le mandat officiel était
terminé. Dans un premier temps, c‟est donc la connaissance de cette expérience particulière,
de cette réalité spécifique que nous souhaitions acquérir (Giordano, 2003). Notre objectif
central était ainsi de comprendre et d’expliquer ce qui avait fonctionné, ce qui avait
moins bien fonctionné et pourquoi. L‟éclaircissement de ces éléments devait venir de la
rencontre avec les acteurs de terrains qui avaient participé à la démarche.
Les résultats obtenus à l‟issue de cette première analyse88 nous ont cependant conduite à
revoir notre question de recherche puisqu‟ils ne correspondaient pas au questionnement que
nous nous posions, l‟enjeu était ailleurs. En effet, alors que nous nous demandions au départ
ce qui pouvait encourager les acteurs impliqués à rester dans la démarche, à se mobiliser
durablement et finalement quelles étaient les conditions de pérennisation des démarches
d‟EIT, nous nous sommes aperçue à travers différents échanges au sein notamment de
l‟équipe de recherche et via des allers et retours avec la littérature, que les acteurs que nous
pensions mobilisés ne l‟étaient pas autant qu‟escompté. Alors que pendant l‟étude en effet –
durant laquelle nous avions effectivement constaté et ressenti des difficultés – nous pensions
œuvrer avec des acteurs impliqués, nous nous sommes rendu compte avec l‟analyse que ce
n‟était pas le cas. La question initiale de la pérennité des relations interorganisationnelles devenait alors difficile à traiter. Ainsi, avec d‟une part l‟analyse de
terrain qui a mis en évidence qu‟il y avait d‟autres enjeux forts que celui de la pérennité des
87
Il s‟agit du terrain de la Vallée de la Chimie qui sera notre terrain principal et que nous présentons en détail au
CHAPITRE 4.
88
Cf. CHAPITRE 4.
99
démarches d‟EIT et d‟autre part, la littérature qui nous en dit peu, précisément, sur la façon
dont il est possible d‟encourager ces coopérations inter-organisationnelles, nous avons été
amenés à revoir notre question de recherche autour de la question de l’initialisation des
coopérations inter-organisationnelles et partant, la littérature théorique à mobiliser. La
Figure 12 ci-après synthétise ces évolutions :
100
QUESTION DE RECHERCHE INITIALE :
«Comment institutionnaliser les relations inter-acteurs dans les démarches
d’EIT ? »
Etude des dynamiques de pouvoir (Clegg, 1989)
et
des différentes formes de pouvoir (Lawrence et al., 2005)
PROBLEMATIQUE 1
« Comment passer d’un pouvoir épisodique à un pouvoir systémique dans
les démarches d’EIT ? »
Littérature sur l’EIT :
Terrain de la
Vallée de la Chimie :
Dimension humaine sous-estimée
(Baas, 2008)
Pas de mobilisation
des acteurs
Littérature en gestion :
Pas de convergence
des intérêts
Quid de la construction des coopérations
(Gulati, 1998)
QUESTION DE RECHERCHE REVISITEE :
«Quelles sont les conditions de développement de l’EIT et plus précisément,
celles qui favorisent les coopérations inter-organisationnelles requises dans ces
démarches ? »
Etude des processus de traduction et d’enrôlement (Callon, 1986 et 1991)
et
des objets-frontières (Star et Griesemer, 1989)
PROBLEMATIQUE 2
« Comment construire l’enrôlement des acteurs dans les démarches interorganisationnelles d’EIT ? »
Figure 12 Ŕ Construction de la question de recherche
101
On se rend compte ici à quel point la recherche est un processus non linéaire, qui se
construit au fur et à mesure, qui change puis se solidifie, évoluant sans cesse (Deslauriers,
1991). Avec le recul que nous avons maintenant et au moment de l‟écriture de ce manuscrit,
nous nous apercevons que nous n‟aurions pu écrire d‟avance comment allait se dérouler ce
travail. On s‟aperçoit en effet que la recherche impacte la recherche puisque les résultats
obtenus au fur et à mesure ainsi que les enseignements tirés de la littérature ont modifié
l‟orientation de la recherche. Pour Royer et Zarlowski (2007), ces mouvements et évolutions
ne sont pas le signe d‟un dysfonctionnement dans le processus de recherche mais en font
intégralement partie. Ces auteurs soulignent en effet que :
« Le design de la recherche élaboré initialement peut subir d‟importantes modifications en
fonction des difficultés rencontrées ou des opportunités saisies. » (Royer et Zarlowski, 2007,
p.171).
Il faut accepter dans ce type de travail que tout ne soit pas donné d‟avance. Ces analyses
requièrent à la fois modestie et souplesse, assurance et perméabilité (Eisenhardt, 1989).
3.1.2. La construction de la connaissance
Le choix d’une posture constructiviste
La posture constructiviste nous semble à la fois légitime et opérante. Légitime d‟abord au
regard de notre conception de qu‟est la réalité et des moyens de l‟appréhender mais opérante
également pour traiter notre question de recherche.
Ce qui nous intéresse c‟est la façon dont les démarches d‟EIT sont perçues par les acteurs
qui soit en ont la charge, soit sont appelés à y participer. Le cœur de notre travail n‟est donc
pas de découvrir une réalité qui pourrait exister en soi concernant la mise en œuvre des
démarches d‟EIT mais plutôt de comprendre comment elles sont appréhendées par les
individus que nous avons rencontrés. C‟est le ressenti et le vécu des acteurs eux-mêmes qui va
nous mobiliser pour comprendre « Quelles sont les conditions de développement de l‟EIT et
plus précisément celles qui favorisent les coopérations inter-organisationnelles requises dans
ces démarches. ». C’est à partir de l’expérience personnelle
des acteurs que nous
pensons pouvoir dégager des éléments de compréhension, alimenter les théories et faire
progresser les pratiques.
La façon dont Le Moigne (1990) propose d‟appréhender les sciences de gestion fait échos
avec notre propre conception du champ. Il nous semble en effet essentiel que les gestionnaires
102
puissent non seulement appliquer les principes de l‟économie et de la sociologie
fondamentale comme le recommande l‟auteur, mais qu‟ils puissent également concevoir « des
stratégies d‟actions organisationnelles possibles » (Le Moigne, 1990, p.130). Toujours
rigoureuse, la discipline est à la fois organisée et organisante, établie et en évolution continue.
Elle est en construction permanente et nous nous positionnons précisément dans cet élan. Par
un échange entre les apprentissages de terrain et les propos de la littérature, nous pensons
pouvoir faire progresser, modestement, les connaissances sur le sujet de l‟initialisation des
coopérations inter-organisationnelles.
Nous considérons donc qu’il n’y a pas de vérité à révéler mais plutôt un repérage à
faire sur des points de vigilance possibles et des éléments qui semblent pertinents à
relever. Glasersfeld (1988) appuie cette idée en indiquant qu‟ « on ne peut jamais considérer
notre connaissance comme une image ou une représentation de ce monde réel, mais
seulement comme une clé qui nous ouvre des voies possibles. » (Glasersfeld, 1988, p.20).
Regard a posteriori sur un processus
Telle que nous l‟avons souhaitée et présentée, notre recherche s‟intéresse à un processus, à
un « se faisant », à un « verbe » plutôt qu‟à un « nom » comme dirait Langley (2007). Notre
analyse s‟interroge en effet sur la façon dont des acteurs organisationnels et individuels
peuvent être enrôlés – ou s‟enrôler ? – dans des démarches d‟EIT. C‟est précisément la
construction de cet enrôlement qui nous intéresse, la façon dont les promoteurs de projets qui
ont la charge de ces démarches parviennent – et donc aussi pourraient parvenir à l‟avenir – à
mobiliser, impliquer, créer un quelque chose de collectif que nous avons vu être au
CHAPITRE 1 indispensable à ces démarches. Notre travail est motivé, au sens de Grenier et
Josserand (2007), par la compréhension de ce qui fait que les acteurs vont ou non s‟impliquer
dans une démarche d‟EIT. En ce sens, le choix d‟utiliser les concepts de la ST présentés au
CHAPITRE 2 et notamment les phases clés du processus de traduction proposées par cette
littérature – problématisation, intéressement et enrôlement – nous paraît opportun. A ce stade
nous souhaitons préciser deux choses concernant l‟articulation entre le cadre de la ST et
l‟utilisation que nous prévoyons d‟en faire :
1. Dans la littérature sur la ST, ce découpage en trois phases (problématisation,
intéressement et enrôlement) n‟est pas aussi explicite. Il s‟agit de l‟articulation que
nous en proposons. Cette chronologie est en effet le résultat de nos lectures (Leca et
al., 2006 et Xhauflair et Pichault, 2009), de notre compréhension des concepts et
103
enfin, de la façon dont nous pensons pouvoir nous les approprier pour l‟analyse de
nos terrains d‟autre part ;
2. Egalement et si l‟on s‟en tient à la stricte définition des dispositifs d‟intéressement,
ils œuvrent partout, tout au long du processus. Nous faisons le choix de les
distinguer notamment dans la phase d‟intéressement puisqu‟elle est déterminante
pour l‟enrôlement des acteurs. Dit autrement, si l‟on veut comprendre –
conformément à notre problématique de travail – comment se construit
l‟enrôlement des acteurs, il faut être au clair sur les dispositifs d‟intéressement
mobilisés car en effet, sans intéressement, pas d‟enrôlement possible.
Reformulons. Pour une question de recherche qui s’intéresse à un processus (celui de
l’initialisation des coopérations dans les démarches d’EIT), nous mobilisons et adaptons
des concepts développés pour penser les processus (ceux de la ST) qui s’attachent aux
traductions à l’œuvre dans des démarches collectives et innovantes.
Avec Charreire-Petit et Durieux (2007), cette analyse du processus nous positionne dans
une recherche qui explore plus qu‟elle ne teste une théorie. Nous ne cherchons pas à valider
quoique ce soit, nous cherchons à comprendre un phénomène. Nous ne partons pas d‟une
vérité ou d‟un principe général à vérifier mais d‟une réalité spécifique, d‟un problème
particulier et identifié. Notre question de recherche en tête nous démarrons donc sans a priori
spécifique autre que l‟idée – appuyée par les travaux de recherche existants – selon laquelle
l‟« approche ingénieure » des démarches d‟EIT n‟est pas suffisante. Nous sommes prête à
proposer des façons nouvelles d‟appréhender ces démarches et à découvrir, par l‟analyse
étroite de ce que les acteurs de terrain et la littérature nous en disent, de nouvelles façons de
faire pour mettre en œuvre ces approches. Selon ces auteurs, ces éléments nous placent même
dans une voie d‟« exploration hybride » (Charreire-Petit et Durieux, 2007, p.71), à
l‟intersection entre analyse de terrains et littérature par des allers et retours entre observations
et connaissances théoriques. C’est cette voie de l’exploration, cette volonté de
compréhension des processus de mise en œuvre des démarches d’EIT, qui a dicté le
choix d’une méthodologie qualitative (Baumard et Ibert, 2007).
Nous partageons l‟idée que la vérité, la réalité des choses est celle que nous voyons, celle
que nous vivons, celle dont nous faisons l‟expérience. Dans notre travail de recherche, nous
avons accepté de procéder avec souplesse et donc de non pas nous focaliser sur ce que nous
pensions être LA vraie question de recherche, mais de progresser aussi et surtout en fonction
104
du vécu des acteurs. C‟est la combinaison et la rencontre des enseignements du terrain et de
la littérature, qui nous semble convenable et pertinente. C‟est de cette manière que nous
avons fait le choix de travailler et c‟est ainsi que nous pensons pouvoir apporter des éléments
de compréhension légitimes, pour la théorie comme pour la pratique.
3.2.
DISPOSITIF DE RECHERCHE
Notre posture de recherche explicitée, nous pouvons descendre dans le détail des moyens
mis en œuvre pour mener à bien notre analyse. Nous expliquerons notamment pourquoi nous
avons choisi une approche qualitative des données et présenterons les quatre terrains que nous
avons retenus – celui de la Vallée de la Chimie, ceux de Lille, Dunkerque et Troyes – pour
traiter notre question de recherche et sur lesquels appliquer notre problématique.
3.2.1. Une recherche qualitative
Collecte des données
Miles et Huberman (2003, p.11) soulignent que : « Les données qualitatives sont
séduisantes. Elles permettent des descriptions et des explications riches et solidement fondées
de processus ancrés dans un contexte local. ». Il nous faut cependant nuancer le propos et
reconnaître qu‟elles sont aussi complexes à manier ; à la différence des approches
quantitatives, « il nous manque encore une banque de méthodes explicites à laquelle nous
pourrions nous référer. » (Miles et Huberman, 2003, p.13). Dans ce cadre, il nous faut
préciser ici les arbitrages que nous avons faits et les raisons qui ont motivé ces choix.
Pour apporter des éléments de réponse à notre question de recherche, nous avons procédé à
31 entretiens individuels dans les lieux choisis par les répondants. Pour une très large
majorité, les rencontres se sont faites sur leurs lieux de travail, pour deux d‟entre eux
l‟échange s‟est tenu dans un café et pour cinq autres, en raison surtout d‟incompatibilités
d‟agenda et d‟impératifs de planning, la discussion s‟est faite par téléphone. Nous avons fait
le choix de conduire des entretiens individuels pour nous donner toutes les chances
d’obtenir les sentiments profonds des répondants. Puisque nous cherchons à savoir
comment peut se faire l‟enrôlement des acteurs dans les démarches d‟EIT, il importe d‟avoir
une compréhension étroite du ressenti des différents acteurs qui ont participé ou participent à
ce type de démarche. Il nous semblait important que chaque acteur sollicité puisse d‟une part
s‟exprimer avec la plus grande liberté possible et puisse d‟autre part s‟exprimer tout court.
105
Des entretiens collectifs ne nous auraient sans doute pas permis d‟obtenir toutes les
impressions personnelles et critiques peu évidentes à formuler que nous avons ici pu récolter.
Enfin, un autre intérêt de procéder par entretiens individuels est de pouvoir faire ressortir les
ressemblances et différences de points de vue entre les répondants.
Une fois la décision prise de rencontrer individuellement les acteurs – et nous explicitons
plus bas comment nous avons identifié ceux avec lesquels nous souhaitions échanger – nous
avons fait le choix d‟utiliser la méthode des entretiens semi-directifs. De nouveau, ce choix se
justifie par notre question de recherche et les objectifs que nous lui assignons (Gavard-Perret
et al., 2008). Effectivement, ces entretiens devaient nous permettre de comprendre ce qui,
pour chaque acteur sollicité, l‟encourageait ou non à participer à la démarche d‟EIT à laquelle
il était rattaché. Nous avions donc en même temps des attendus assez précis sur le type
d‟information qu‟il nous fallait sans en connaître l‟exact contenu. Nous savions notamment
sur quels grands thèmes nous souhaitions que les répondants s‟expriment sans connaître à
l‟avance les différentes réponses qu‟ils pouvaient formuler. Il était alors important que les
répondants puissent s‟exprimer à leur aise dans un cadre que nous leur proposions et qui nous
permettait de traiter notre question de recherche. Ainsi, nous étions entre l’entretien directif
qui aurait laissé trop peu de place au libre enchaînement des idées et ressentis des
acteurs, et l’entretien non directif qui auraient pu faire dériver les réponses sur des
sujets trop éloignés du nôtre. Allard-Poési et al. (2007) précisent d‟ailleurs que « ces
méthodes génèrent des données qui sont beaucoup plus riches que les méthodes structurées. »
(Allard-Poési et al., 2007, p.497).
Si la même méthode a été utilisée pour les deux salves d‟entretiens – c‟est-à-dire à la fois
pour les entretiens sur la Vallée de la Chimie et pour les trois autres terrains – les grilles
d‟entretien étaient différentes89. Deux raisons principales expliquent ces différences liées à la
question de recherche d‟une part et à la fonction des entretiens eux-mêmes d‟autre part.
D‟abord en effet, les entretiens des acteurs de la Vallée de la Chimie s‟inscrivaient dans le
cadre de notre première question de recherche ; comme explicité plus haut, la question de
recherche a évolué et ce qui était donc recherché au moment de cette première série
d‟entretiens, était différent que ce que nous avons recherché par la suite. On comprend alors
que la seconde série d‟entretiens n‟avait pas la même fonction que la première : dans un cas,
pour le terrain de la Vallée de la Chimie, il s‟agissait de façon relativement exploratoire
89
Le détail des guides d‟entretien se trouve en Annexe 4 et Annexe 7.
106
d‟identifier les raisons qui expliquaient la non poursuite de la démarche d‟EIT initiée ; dans
l‟autre cas, pour les trois terrains complémentaires, il s‟agissait de tester l‟intuition de
recherche issue de l‟analyse des entretiens du premier terrain. Moins exploratoires dans leurs
thématiques puisque nous savions davantage ce que nous cherchions en quelque sorte, la
seconde grille d‟entretien visait principalement à interroger les répondants sur ce qui les avait
encouragés à participer à la démarche à laquelle ils étaient rattachés, sur le processus de
traduction, sur l‟enrôlement finalement.
Appartenir au réseau des praticiens de l’EIT, travailler au quotidien sur des projets avec
une partie des personnes sollicitées en entretiens, aura eu le mérite de faciliter l’accès aux
différents terrains que nous avons ciblés, même si nous n‟étions donc pas l‟« enquêteur
idéal » dont parle Kaufmann (2007) :
« Pour l‟informateur, l‟enquêteur idéal est un personnage étonnant. Il doit être un étranger, un
anonyme, à qui on peut tout dire puisqu‟on ne le reverra plus, qu‟il n‟existe pas en tant que
personne jouant un rôle dans son réseau de relations. » (Kaufmann, 2007, p.53).
Cet accès privilégié au terrain a eu aussi, comme contrepartie, de créer de la
« proximité » avec une partie des répondants rencontrés et dont nous avons constaté
l‟impact lors de notre premier entretien : ce répondant ponctuait son propos de « tu sais
bien », « c‟était quoi déjà le nom de ce type ? », « tu te rappelles si… ? », etc. Pour pallier ce
qui nous a semblé être un biais dans la suite des rencontres, nous avons forcé la
formalisation de la rencontre : nous réservions les 5-10 premières minutes de la rencontre
pour discuter de choses et d‟autres afin que cela n‟intervienne pas dans le courant de
l‟entretien en tant que tel. A l‟issue de ce délai, nous demandions au répondant si nous
pouvions démarrer l‟entretien, positionnions le dictaphone devant eux, rapprochions notre
chaise de la table, nous redressions et éclaircissions la voix afin de manifester, physiquement,
que « les choses sérieuses » commençaient. Nous avons pu constater que cette rupture dans
notre attitude permettait une entrée en matière efficace et qu‟elle nous préservait des
désagréments observés lors du premier entretien.
Nous avons généralisé ce fonctionnement à l‟ensemble des entretiens que nous avons
conduits, sur le terrain de la Vallée de la Chimie et sur les trois terrains complémentaires.
Chaque fois, la rencontre était scindée en trois moments distincts ponctués par la mise
sous tension puis hors tension du dictaphone. La Figure 13 ci-dessous illustre le découpage
du temps que nous avons adopté, pour des entretiens moyens de 120 minutes :
107
Phase I
Phase II
Phase III
5 minutes
110 minutes
5 minutes
- Echanges informels
Mise sous
- Présentation de la
démarche et de ses
objectifs
tension du
dictaphone
Mise hors
Conduite de
l’entretien
semi-directif
tension du
- Retour sur la
conduite de
l‟entretien
dictaphone
- Réponses aux
questions
éventuelles
- Explicitation des
suites du travail
- Remerciements
Figure 13 Ŕ Des entretiens conduits selon trois phases distinctes
On le voit, pour chaque entretien, l‟objet de la recherche était au moins explicité voire
davantage précisé si les répondants en faisaient la demande. Pour la Phase II de conduite de
l‟entretien, nous commencions systématiquement par des questions d‟ordre général ou
factuelles et conservions les questions les plus délicates ou celles impliquant que les
répondant se livrent pour la suite. La littérature le fait remarquer et nous l‟avons également
constaté, il faut aux répondants un temps d‟adaptation. Deslauriers (1991) distingue par
exemple 4 étapes successives dans les entretiens qui décrivent le type de relation que peut
avoir le répondant vis-à-vis du chercheur : 1/ la méfiance ; 2/ l‟exploration ; 3/ la
coopération ; 4/ la participation. Une adaptation à notre présence, une adaptation à l‟exercice,
un temps pour se mettre dans le bain de l‟entretien pourrions-nous dire était en effet chaque
fois nécessaires.
Dans tous les cas, nous nous sommes attachée à ne poser que des questions ouvertes
afin que les répondants ne se sentent pas bridés et puissent librement exprimer leurs
ressentis, pour ne pas orienter leurs réponses et pour, éventuellement, se laisser la
possibilité de recueillir des informations auxquelles nous n’avions pas pensé au
préalable et ainsi diversifier notre matériau. Au fil de l‟entretien, nous avons utilisé
différentes techniques pour libérer la parole des répondants : l‟humour quand nous sentions
l‟interlocuteur tendu, les relances et reformulations de questions quand nous pensions que
l‟interlocuteur n‟avait pas saisi le sens de l‟interrogation, la reformulation de leurs réponses
pour à la fois nous assurer d‟avoir bien compris mais aussi parfois pour les faire s‟exprimer
davantage sur le sujet, etc. Nous avons également pris soin de ne pas avoir l‟obsession du
108
remplissage dans nos échanges afin de laisser aux silences la possibilité d‟être productifs, et
de ne pas brusquer nos répondants. Nous nous sommes aperçue qu‟il n‟était pas possible
d‟avoir la même attitude ni la même façon de poser nos questions d‟un répondant à un autre.
Si les thèmes à aborder étaient les mêmes pour tous, la façon de les aborder différait chaque
fois.
La neutralité est de mise dans la conduite des entretiens et Kaufmann (2007) nous y invite
en indiquant que :
« S‟il veut vraiment comprendre, l‟enquêteur doit parvenir à se dépouiller de toute morale ; il
reprendra ses idées une fois l‟entretien terminé. » (Kaufmann, 2007, p.52).
Cela étant, nous avons fait l‟expérience que certains répondants attendaient notre
approbation à certains de leurs propos, sinon de vive voix au moins en acquiesçant de la tête.
Les méthodes de conduite d‟entretien ne recommandent pas toujours d‟aller en ce sens
(Gavard-Perret et al., 2008) mais nous nous sommes aperçu que c‟était parfois nécessaire au
bon déroulé de l‟échange. Ce que dit Kaufmann reste juste puisque nous nous sommes
retrouvés à acquiescer à certaines choses qui peuvent nous faire réagir par ailleurs,
simplement pour que le répondant se sente à l‟aise et en confiance et afin de ne pas entraver la
conduite de l‟entretien. Ces entretiens ne sont pas un lieu pour donner son avis personnel sur
la marche du monde mais ils doivent permettre de récolter de l‟information. Kaufmann ne
parle d‟ailleurs pas de répondants comme nous le faisons mais d‟« informateurs » (Kaufmann,
2007, p.44). Nos approbations étaient donc plus des « moyens de faire parler » (Kaufmann,
2007, p.68) que de véritables avis donnés. Nous nous sommes efforcée de tenir cette ligne de
conduite et de ne pas donner notre avis : l‟approbation comme technique fonctionnelle
d‟accord, mais pas le plaidoyer.
Au total pour l‟ensemble des 4 terrains d‟analyse et comme l‟explicite la Figure 14 cidessous, nous avons donc réalisé 31 entretiens semi-directifs :
109
La Vallée de la Chimie:
- 19 entretiens
+ documents
Terrrains complémentaires d'analyse pour
répondre à la question de recherche
Lille:
Dunkerque:
Troyes:
-3 entretiens
+ documents
- 4 entretiens
+ documents
- 5 entretiens
+ documents
Figure 14 Ŕ Répartition des entretiens par terrain d'analyse
Une fois l‟ensemble des entretiens terminé90 et afin de manipuler le matériau recueilli, de
le travailler, de le triturer et finalement de le comprendre, nous avons retranscrit l‟ensemble
des entretiens. 7 entretiens sur 24 n‟ont pas de bande son, soit parce que les répondants ont
refusé l‟enregistrement, soit parce que la qualité de l‟enregistrement n‟était pas bonne et
rendait l‟enregistrement inexploitable. Même dans ces cas là cependant et puisque soit nous
savions que le répondait refusait l‟enregistrement soit nous nous rendions compte que
l‟enregistrement ne serait pas bon, nous avons procédé à une prise de note la plus exhaustive
possible qui nous a permis par la suite de retaper, retranscrire les propos en version
informatique exploitable, comme les autres. Au final, tous les entretiens réalisés et qu’ils
aient ou non une bande son, ont donc été retranscrits. Bien que longue et fastidieuse, la
retranscription des entretiens présente un double avantage. Le premier est qu‟elle nous a
permis de nous imprégner des propos des répondants et d‟en avoir ainsi une vue d‟ensemble ;
le second est qu‟elle nous a permis d‟identifier de premières récurrences et contradictions
présentes dans le matériau.
Analyse des données
Par la suite, le codage des données s‟est fait en deux étapes. La première a concerné le
codage des données de notre terrain principal et la seconde le codage des trois terrains
complémentaires (nous présentons ces terrains en détail ci-dessous). Dans un souci de laisser
90
Pour rappel, nous avons donc procédé en deux temps : nous avons d‟abord réalisé les entretiens concernant le
terrain de la Vallée de la Chimie, puis, après une première analyse de ce terrain, nous avons réalisé des entretiens
complémentaires sur les trois autres terrains.
110
parler le terrain, nous avons commencé par lire plusieurs fois l‟intégralité de nos
retranscriptions d‟entretien, concernant le terrain de la Vallée de la Chimie, afin de faire
ressortir leurs spécificités. Ayache et Dumez (2011) soulignent l‟intérêt de cette méthode :
« Il faut lire plusieurs fois l‟ensemble de son matériau de recherche, de la première à la dernière
page (comptes rendus d‟entretiens, documents, etc.) en s‟interdisant de « stabilobosser » quoi que
ce soit ou de prendre des notes, pour s‟imprégner de l‟ensemble du matériau en tant que totalité.
C‟est en procédant ainsi que l‟attention flottante peut conduire au repérage de thèmes
récurrents. » (Ayache et Dumez, 2011, p.35).
Après la première vision apportée par la retranscription, ces lectures répétées ont en
effet permis de faire davantage ressortir des similitudes mais aussi des différences dans
les propos des répondants. Ces éléments se sont avérés utiles tant pour l‟analyse du terrain
que pour alimenter notre question de recherche.
Pour travailler sur les données récoltées et retranscrites, nous avons utilisé un logiciel
spécialisé : le logiciel ATLAS/ti. Dans la deuxième édition de leur ouvrage, Miles et
Huberman (2003) accordent davantage d‟importance au traitement informatique des données
qualitatives. Les tâches que ces logiciels permettent d‟accomplir et que les auteurs rapportent
correspondent presque toutes à celles qui ont motivé notre choix d‟utiliser le logiciel
informatique. Dans le Tableau 15 ci-dessous, nous reprenons les 14 tâches proposées par ces
auteurs et spécifions, pour celles qui correspondent à notre travail, avec quel outil nous les
avons réalisées :
Tâches à réaliser
Outils utilisés
1
Produire des notes dans le terrain de recherche
Microsoft Word
2
Ecrire et retranscrire des notes de terrain
Microsoft Word
3
Editer : corriger, étendre ou réviser des notes du terrain
Microsoft Word
4
Codifier : attacher des mots clés ou des étiquettes à des segments de texte pour
permettre une recherche a posteriori
5
Stocker : Sauvegarder le texte dans une base de données organisée
6
7
8
9
10
11
Chercher et extraire : localiser les segments de textes révélateurs/pertinentes pour un
examen approfondi
«Relier » des données : connecter des segments de données pertinentes, former des
catégories, des groupes ou des réseaux d‟information
Constituer un mémo : écrire des commentaires et des réflexions sur certains aspects
des données, en tant que base pour une analyse plus approfondie
Analyse de contenu : compter des fréquences, des séquences ou des localisations de
mots ou de phrases
Présenter les données : placer des données sélectionnées ou réduites dans un format
organisé, condensé, telle une matrice ou un diagramme causal, pour les examiner
Elaborer des résultats et les vérifier : aider l‟analyste à interpréter les données
présentées et à tester ou à confirmer les découvertes
ATLAS/ti
Microsoft Word
ATLAS/ti
ATLAS/ti
ATLAS/ti
ATLAS/ti
ATLAS/ti
ATLAS/ti
111
13
Générer une théorie : développer des explications des résultats obtenus qui soient
systématiques, conceptuellement cohérentes ; tester des hypothèses
Réaliser des représentations graphiques : créer des diagrammes qui dépeignent les
résultats ou les théories générées
Microsoft Word
ATLAS/ti
14
Préparer les rapports d‟étapes ou les rapports finaux
Microsoft Word
12
ATLAS/ti
Tableau 15 Ŕ Tâches et logiciels informatiques utilisés, d'après Miles et Huberman (2003)
Nous n‟indiquons pas la réalisation de la tâche 9 car elle n‟entre pas dans la méthodologie
que nous avons employée. Nous n‟avons pas procédé à une analyse de contenu en tant que
telle et ne nous sommes donc pas attachés à effectuer des comptages précis de mots ou
phrases qui pouvaient se répéter dans les propos des répondants. Nous avons choisi l‟analyse
par codages de thèmes comme explicités ci-dessous.
Après nous être nourrie de discussions entre collègues chercheurs (Miles et Huberman,
2003) et nous être renseignée sur les différences entre logiciels, nous avons en effet choisi de
recourir au logiciel ATLAS/ti pour le traitement de nos données. Ce logiciel présentait pour
nous différents avantages (Muhr, 1991): il nous permettait de traiter la grande quantité de
texte que nous avions, d‟annoter ces textes, de faire des mémos (pour les premières idées
d‟analyse que nous avions « en chemin »), d‟établir des relations entre les codes créés pour
matérialiser de premiers éléments d‟analyse et de lister les codes par le biais d‟un comptage
d‟occurrence qui permet de voir, notamment, ceux qui se répètent le plus souvent. Ce
comptage ne doit pas être confondu avec celui de l‟analyse de contenu évoquée en tâche 9 au
tableau ci-dessus. Nous ne parlons pas ici d‟un comptage des mots par exemple dans les
propos des répondants, mais d‟un comptage des codes et thèmes que nous avons attribués aux
propos des répondants. Cette liste n‟est pas exhaustive mais retrace les fonctions principales
de l‟outil que nous avons utilisées91. Plus largement et du point de vue de l‟usage, ATLAS/ti
présentait pour nous un double intérêt. D‟abord, il propose une interface intuitive qui rend
possible une prise en main rapide mais surtout il permet de faire en faisant. Il est souple et
n‟exige pas que les codes soient définis à l‟avance : il laisse véritablement place à la
« créativité » du chercheur et facilite les approches sans a priori qui partent du terrain. Il était
en cela tout indiqué pour notre méthodologie de recherche.
La méthode employée pour le codage du matériau a été sensiblement différente entre
l‟analyse du terrain de la Vallée de la Chimie et les trois autres terrains. Pour la Vallée de la
Chimie, nous avons fait deux codages. Par codage, nous entendons des regroupements sous la
même « étiquette », sous le même nom, d‟éléments allant du groupe de mots, à la phrase ou
91
Des copies-écran de l‟interface du logiciel, en Annexe 8, permettent d‟illustrer comment nous l‟avons utilisé.
112
au groupe de phrases. Allard-Poési et al. (2007) qualifieraient cette approche d‟analyse
thématique. Ces codes ont été choisis au regard de ce qui faisait sens (Allard-Poési, 2003)
avec un premier travail qui nous a permis de trier les informations afin d‟écrire l‟histoire de ce
terrain en fonction de grands thèmes : comment la démarche s‟est déroulée, ce que les acteurs
interviewés en ont pensé, ce qui les encouragerait à rester dans la dynamique, etc. Dans un
premier temps donc, nous avons codé l‟ensemble du matériau, exhaustivement, afin de
pouvoir raconter l‟histoire de la démarche en tenant compte du plus d‟éléments possible.
A l‟issue de ce premier travail de codage puis de rédaction, nous nous sommes donc aperçu
que les résultats ne correspondaient pas à notre question de recherche sur la pérennité des
démarches d‟EIT. Rappelons-le, ce qui était en jeu ne semblait plus être la question d‟un
engagement durable des acteurs dans la démarche mais celle d‟un engagement tout court.
Nous avons donc retravaillé le matériau, recodé les données en portant une attention
particulière sur les questions de traduction92 et plus précisément au regard des concepts
décrits dans la littérature sur la ST. Les terrains complémentaires ont ensuite été traités
différemment puisque ils ont directement été analysés avec cette focale sur la traduction et
selon le prisme de ces trois phases. C’est le croisement de ces récurrences/contradictions
d’une part avec les concepts clés du cadre théorique choisi d’autre part qui nous a
permis l’analyse des terrains et la présentation que nous en proposons aux CHAPITRE 4 et
5 suivants.
3.2.2. Un dispositif constitué de quatre cas
Choix des cas
Rappelons que notre question de recherche s‟intéresse aux « conditions de développement
de l‟EIT et plus précisément celles qui favorisent les coopérations inter-organisationnelles
requises dans ces démarches ». Il s‟agit donc de comprendre « comment initier les
coopérations inter-organisationnelles ». De manière finalement classique en sciences sociales
(Ragin et Becker, 1992), nous avons choisi pour y répondre la méthode de l‟étude de cas.
Nous cherchons en effet à comprendre comment cela s‟est passé pour les terrains d‟analyse
que nous avons retenus et pour quelles raisons afin d‟en extraire des enseignements pour
l‟avenir. Nos cas étant pour nous des terrains de recherche, nous emploierons ci-après
indifféremment l‟un ou l‟autre terme.
92
Cf. la Figure 12 pour un rappel de cette distinction.
113
Les réajustements de notre question de recherche nous ont amenés à travailler sur une
hétérogénéité de cas (Ritchie et Lewis, 2008). C‟est effectivement dans la diversité des
expériences que nous avons pensé pourvoir éclairer notre problématique de l‟enrôlement des
acteurs dans les démarches d‟EIT. Les quatre cas qui constituent nos terrains d‟analyse se
distinguent de la façon suivante : le cas de la Vallée de la chimie est le cas principal – nous
expliquons tout de suite pourquoi – et est analysé dans la CHAPITRE 4 suivant ; les cas de
Lille, Dunkerque et Troyes sont les trois cas que nous avons choisi d‟explorer en
complément. Ils devront nous permettre d‟« approfondir la compréhension et l‟explication »
(Miles et Huberman, 2003, p.308), et d‟éprouver la solidité de l‟intuition de recherche
formulée en conclusions de l‟analyse du premier terrain. Ils seront eux présentés au
CHAPITRE 5.
Le choix de faire de la Vallée de la Chimie le terrain principal de notre travail se justifie
par trois raisons principales :
1. La première raison relève du bon sens. C‟est sur ce terrain que nous avons fait
l‟expérience de dysfonctionnements. C‟est là, et nous empruntons ici l‟argument à
Walton (1992), qu‟il s‟est passé des choses inattendues et qu‟est née notre question
de recherche initiale. En effet, et nous souhaitons le rappeler au lecteur, alors que
l‟ensemble de l‟équipe d‟animation qui était en charge de conduire la démarche
s‟attendait à ce que les autres acteurs impliqués soient dynamiques, intéressés et
durablement mobilisés, ce n‟est pas ce que nous avons observé. C‟est donc
rapidement et naturellement que ce terrain est devenu notre terrain central : il nous
fallait y retourner et rencontrer le plus d‟acteurs possible93 ayant participé à la
démarche, pour comprendre ce qui avait fonctionné et ce qui avait, a contrario,
moins bien fonctionné voire dysfonctionné ;
2. La deuxième raison est d’ordre pratique. Le matériau recueilli sur le terrain de
la Vallée de la Chimie est sans commune mesure avec les trois autres terrains.
Ayant participé à la démarche pendant plusieurs mois, nous avons une
connaissance assez fine de ce qui s‟est passé et un stock documentaire conséquent,
comprenant tous les courriers électroniques échangés avant et pendant la
démarche, les comptes-rendus de réunion, les rapports rédigés, etc. Egalement et
parce que c‟était à l‟origine le seul terrain envisagé, il a été investigué en
93
En Annexe 3, se trouve le courrier qui leur a été adressé.
114
profondeur avec une vingtaine d‟entretiens semi-directifs soit la quasi totalité des
acteurs qui avaient participé à la démarche. Il nous semblait donc difficile de
pouvoir restituer la richesse de ce terrain sans lui consacrer un chapitre à part
entière ;
3. La troisième raison est davantage d’ordre méthodologique. Ce premier terrain
correspond à une première étape décisive de notre processus de recherche puisque
c‟est son analyse qui nous a poussée à revoir et la question de recherche et la
problématique assignées à ce travail. Il nous a semblé important de mettre en
exergue, et distinctement dans le manuscrit même de la présente thèse, les deux
moments de la réflexion.
Ainsi, nous pensons que les résultats, pour nous inattendus et surprenants, de la Vallée de
la Chimie doivent être mis en lumière indépendamment ET complétés avec d‟autres. D‟abord,
ils doivent être traités de façon séparée parce qu‟ils sont des résultats en tant que tels. Le
terrain de la Vallée de la Chimie nous montre en effet que si le sujet de l‟initialisation des
coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT est pour l‟instant sous estimé
par la littérature, il ne peut pourtant pas être ignoré. Ces résultats doivent cependant être
complétés parce qu‟ils ne permettent pas à eux seuls de répondre à notre problématique
reformulée. Cela étant, les démarches d‟EIT étant émergentes, il nous a fallu établir un certain
nombre de critères pour savoir comment identifier les terrains d‟analyse qui allaient compléter
celui de la Vallée de la Chimie. Voici ceux que nous avons retenus.
Avant tout, les terrains devaient se situer en France. Comme la littérature le souligne
(Salmi, 2007 ; Costa et Ferrao, 2010), il est important de tenir compte des contextes culturels,
réglementaires et économiques pour l‟étude, la mise en œuvre et la compréhension des
démarches d‟EIT. Il nous a donc semblé important de rester dans une aire géographique qui a
une cohérence du point de vue de ces éléments de contexte. Pour être en droite ligne avec le
terrain de la Vallée de la Chimie, l‟échelle de la région aurait de ce point de vue été idéale,
mais nous n‟y avons pas trouvé d‟autres démarches d‟EIT correspondant à l‟ensemble des
critères établis. L‟échelle nationale s‟est donc imposée et si nous n‟ignorons pas – sans les
étudier ici puisque ce n‟est pas notre objet – les spécificités régionales voire départementales
des démarches, ces dernières s‟inscrivent malgré tout dans le cadre partagé des réalités et
contraintes françaises. C‟est donc à l‟échelle de la France que nous avons recherché ces autres
terrains d‟investigation.
115
Egalement, les terrains devaient être labellisés EIT. Même si à la façon de Monsieur
Jourdan, entreprises et territoires entreprennent des démarches d‟EIT sans les appeler ainsi, il
nous a également semblé judicieux de nous concentrer sur celles qui, comme pour la Vallée
de la Chimie, se revendiquent des principes de l‟EIT. Ni chercheurs ni praticiens ne sont
encore tout à fait au clair ni tout à fait d‟accord, sur ce qui relève ou non de l‟EIT. Nous avons
donc fait le choix de ne pas avoir à arbitrer sur ce qui en était effectivement et ce qui n‟en
n‟était pas. Le critère le plus générique que nous avons choisi pour valider tout de même que
ces démarches pouvaient entrer dans le champ de notre étude a été celui des objectifs
poursuivis. Dit autrement, cela signifie qu‟à partir du moment où une démarche était
labellisée EIT et qu‟elle visait à optimiser l‟utilisation des flux de matières et d‟énergies par la
coopération et les synergies inter-organisationnelles, elle était alors susceptible de nous
intéresser. Il faut donc noter que si une démarche a très bien fonctionné et a eu de bons
résultats (une étude de flux réussie avec des synergies inter-organisationnelles efficientes,
etc.) mais que les acteurs en ont très peu parlé et que la communication a été limitée, il est
possible qu‟elle nous ait échappé. En dehors de cette exception, nos relations professionnelles
avec les experts du milieu de l‟EIT et les recherches documentaires réalisées devraient nous
avoir permis de balayer l‟ensemble des démarches d‟EIT nationales.
Enfin, les terrains devaient être des réussites en termes de coopérations interorganisationnelles et avoir un certain historique. Nous avons effectivement voulu retenir
des cas présentés comme des démarches réussies. Ce critère est important pour nous : il avait
pour objectif de chercher à voir ce qui pouvait différencier les cas qui étaient parvenu à initier
des coopérations inter-organisationnelles du cas de la Vallée de la Chimie où cela ne c‟était
pas produit. Dans ce souci de pouvoir analyser des expériences de terrain, il nous a semblé
nécessaire de choisir des terrains avec un passé et donc une histoire qui puisse se raconter. Se
raconter dans les dires des personnes rencontrées mais aussi au travers de documentations
rédigées. Notre souci ici était double : nous voulions pouvoir bénéficier à la fois d‟un certain
recul sur la démarche lors des entretiens et d‟un « stock » documentaire dans lequel puiser
pour notre analyse. Notre propos étant de comprendre comment il est possible d‟initier les
coopérations inter-organisationnelles, il fallait que nos interviewés soient en mesure d‟avoir
un regard dessus, une certaine réflexivité. Nos missions professionnelles nous ont en effet
montré que ces regards réflexifs sont difficiles à obtenir dans des démarches naissantes.
116
Les documents disponibles en ligne et les informations diffusées dans la presse nous ont
également aidée dans le travail d‟identification des terrains complémentaires 94. Ces critères
nous ont conduits à retenir trois démarches d’EIT : celle conduite à Lille et celles,
toujours en cours, de Dunkerque et de Troyes.
Ne nous méprenons pas. Ces différents terrains n‟ont pas été mobilisés afin de décerner le
prix de la meilleure démarche. Notre ambition n‟est pas non plus de les comparer point par
point puisqu‟elles ne sont pas comparables : elles ne s‟inscrivent pas dans les mêmes échelles
de temps, elles ne se déploient pas aux mêmes échelles territoriales et elles ne mobilisent pas
exactement les mêmes profils d‟acteurs. Notre propos n‟est pas de mettre en place des
indicateurs de performance par exemple et d‟attribuer des notes. Notre propos est de
pouvoir apporter, grâce à l’étude de trois terrains complémentaires à celui de la Vallée
de la Chimie, des éléments d’analyse sur les intuitions de recherche qui émergent de l‟étude
du premier terrain et notamment, sur la question de savoir ce qui permet d’enrôler les
acteurs dans les démarches d’EIT.
Par ailleurs, les terrains choisis nous semblent pertinents à étudier parce qu‟ils se
présentent comme des situations de gestion. Telles que Girin (1990) les décrit, les situations
de gestion se définissent « lorsque des participants sont réunis et doivent accomplir, dans un
temps déterminé, une action collective conduisant à un résultat soumis à un jugement
externe. » (Girin, 1990, p.142). Le Tableau 16 ci-après reprécise les éléments qu‟il faut, selon
l‟auteur, prendre en compte dans une situation de gestion et fait le lien avec les quatre cas
d‟analyse que nous avons choisis :
Eléments
de la situation
de gestion
Les participants
La réunion
Le temps
94
Définition
des éléments
« Sont tous les agents qui se
trouvent engagés dans la
production de résultat et qui sont
directement affectés par l‟énoncé
du jugement. » p.142
« Peut être réalisée matériellement
par une co-présence physique dans
un lieu déterminé, mais aussi par
d‟autres moyens, tels que le
courrier, le téléphone, ou des
réseaux informatiques. » p.143
« Peut être une échéance fixée à
l‟avance, un agenda comportant
Correspondances
sur les cas d’analyse
Dans les quatre cas sélectionnés, on pourra
énumérer les différents acteurs qui ont participé à
la démarche étudiée.
Dans les quatre cas sélectionnés, l‟ensemble des
participants a été rassemblé lors de réunions
formelles (comités de pilotage et autres) et grâce à
des échanges par courriels et téléphone
notamment.
Dans les quatre cas sélectionnés, les démarches
s‟inscrivent dans le temps. Soit parce qu‟elles ont
Un aperçu de ces éléments est disponible en Annexe 2.
117
des étapes intermédiaires, ou un
cycle. » p.143
eu un début et une fin que l‟on peut repérer sur un
calendrier (Lyon et Lille), soit parce qu‟elles
évoluent toujours mais ont été marquées par des
étapes intermédiaires, des moments clés qui ont
façonné leur déroulement (Dunkerque et Troyes).
Le résultat
« Est constitué par une partie des
produits de l‟activité des
participants : celui qui fait l‟objet
du jugement formulé à
l‟échéance. » p.143
Dans les quatre cas sélectionnés, il est possible
d‟indiquer les résultats obtenus ; au regard non
seulement des objectifs fixés au départ mais aussi
des lectures proposées par les communications
(articles de presse, experts non participants, etc.)
qui ont été faites sur les démarches étudiées.
Le jugement
« Formulé sur le résultat est le fait
d‟une instance extérieure aux
participants. » p.144
Dans les quatre cas sélectionnés, on trouve des
avis et documentations qui rapportent les succès
ou limites des démarches étudiées.
Tableau 16 Ŕ Les cas d'analyse comme situations de gestion, d'après Girin (1990).
Avant même l‟analyse, ces éléments nous confortent sur le fait que les terrains choisis
présentent un intérêt justifié dans notre cadre d’une recherche en sciences de gestion.
Comme le précise l‟auteur, ce ne sont pas toutes les dimensions de ces situations de gestion
que nous allons étudier. La tâche semblerait paralysante, aussi peu réaliste que réalisable tant
les cas sont hétérogènes et complexes. Conformément d‟une part à notre objet de recherche
qui est rappelons-le l‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles et d‟autre part
aux recommandations de l‟auteur, nous allons en revanche focaliser notre attention ce qui
met les acteurs en mouvement : Quels sont les moteurs qui les poussent ou non à agir ?
Qu‟est-ce qui permet d‟initier ou au contraire empêche une dynamique d‟action collective ?
Quelques remarques supplémentaires. Alors que Yin (2009) considère qu‟une analyse avec
des cas multiples comprend de 3 à 10 cas, nous souhaitons justifier le faible nombre de cas
retenus. D‟abord, nous avons fait le choix de conduire une étude exploratoire : exploratoire
puisqu‟il s‟agit du domaine émergent des démarches d‟EIT et exploratoire par rapport à la
question de recherche posée, celle des conditions de développement de l‟EIT au regard des
coopérations inter-organisationnelles. Dans ce cadre et conformément aux critères de choix
établis et décrits plus haut, il n‟aurait pas été scientifiquement rigoureux d‟en sélectionner
d‟autres et nous reconnaissons volontiers que ce travail n‟a pas le poids de l‟exhaustivité ; la
posture de recherche comme la méthode choisies ne permettraient d‟ailleurs pas d‟atteindre
cet objectif. Nous lui préférons l‟ambition de la pertinence. A ce sujet, Thomas (2011) a
récemment posé avec force que les études de cas s‟intéressaient à du particulier et que de ce
fait, elles n‟avaient pas vocation à dégager des vérités généralisables. A un problème de
gestion relativement nouveau dans son contexte mais identifié, nous souhaitons par
118
l’analyse de cas eux aussi clairement identifiés apporter des éléments de réponses. Nous
pensons que le dispositif mis en place peut nous permettre d‟atteindre cet objectif.
Présentation des cas
Chacun des quatre cas sera présenté dans les chapitres correspondant : le CHAPITRE 4
sera dédié à la présentation et à l‟étude du cas, central dans notre travail, de la Vallée de la
Chimie. Le CHAPITRE 5 présentera et analysera les trois terrains complémentaires
sélectionnés à savoir, les terrains de Lille, Dunkerque et Troyes.
Puisque nous consacrons l‟intégralité du CHAPITRE 4 au terrain de la Vallée de la Chimie
que nous avons par ailleurs déjà évoqué à divers endroits de ce manuscrit, nous ne l‟intégrons
pas au tableau ci-après. A ce stade de notre travail, le Tableau 17 proposé est volontairement
elliptique. Il vise à donner au lecteur, une photographie d‟ensemble des terrains
complémentaires sélectionnés : quels acteurs ont participé à ces démarches, quels objectifs
leur ont été assignés et quels résultats principaux ont été produits.
Lieu
Acteurs pilotes
Objectifs formulés
Acteurs
mobilisés
Résultats
(autres que les
acteurs pilotes)
La mairie
Lille
Une entreprise
locale
Une association
d’experts en EIT
Tester une
méthodologie d‟analyse
de flux de matières et
d‟énergies dans le cadre
d‟une démarche d‟EIT
Développer un outil
d’aide à la décision
Institutions
locales (Chambres
consulaires,
Agence de l‟eau,
Services des
douanes, etc.)
Entreprises
locales
Développement d’outils
informatiques
Production de
connaissances sur le
fonctionnement physique
du territoire
Rédaction de rapports
et de posters de
présentation de la
démarche
Création d’une
association de loi 1901
La mairie
Une entreprise
Dunkerque locale
Un expert en EIT
Se servir de l‟EIT pour
recréer du lien entre les
entreprises de la zone et
entre les entreprises et
les institutions locales
Institutions (CCI
principalement)
Entreprises
locales
Mise en œuvre de
coopérations interorganisationnelles
Site internet,
newsletters, organisation
d’évènements
Production de
connaissances sur le
fonctionnement physique
du territoire
119
Institutions
(Chambres
consulaires,
communauté
d‟agglomération,
syndicat, etc.)
Troyes
Le Conseil Général Se servir de l‟EIT pour
identifier des pistes
Une entreprise
locales et concrètes de
locale
progrès économique et
environnemental
L‟UTT95
Entreprises
locales
Instituts
universitaires et
d’enseignement
(université des
métiers et du
patrimoine, lycées,
etc.)
Création d’une
association de loi 1901
Mise en œuvre de
coopérations interorganisationnelles
Site internet,
organisation
d’évènements
Production de
connaissances sur le
fonctionnement physique
du territoire
Tableau 17 Ŕ Vue d’ensemble des terrains complémentaires
Ce premier descriptif nous permet de faire une remarque préliminaire. Il semble en effet
que la démarche suivie à Lille s‟apparente davantage à celle initiée sur la Vallée de la Chimie
et que les démarches de Dunkerque et Troyes se ressemblent aussi, de leur côté. Cette
distinction, qui reste à confirmer par l‟analyse des processus aux chapitres suivants, nous
interpelle: l‟analyse de terrains avec un enrôlement limité et celle de terrains avec
un enrôlement observable, devrait nous permettre de répondre à notre problématique de
recherche.
Revenons à la méthodologie. Une fois les terrains sélectionnés, il nous fallait identifier les
répondants. Pour cela nous avons procédé de la même manière qu‟il s‟agisse de Lille,
Dunkerque ou Troyes. Comme nous avons déjà eu l‟occasion de le mentionner, notre
immersion professionnelle dans le secteur de l‟écologie industrielle nous permettait de
connaître à l‟avance un certain nombre d‟acteurs. Ce réseau de contacts nous a été utile pour
identifier les répondants. Pour chaque terrain, nous sommes passés par l‟intermédiaire d‟une
personne que nous connaissions et dont nous savions qu‟elle avait participé à la démarche.
Ces personnes relai nous ont non seulement été des informateurs précieux – puisqu‟ils ont
eux-mêmes été des répondants – mais nous ont également aidé a minima dans le repérage
d‟autres personnes intéressantes à contacter, voire, ont directement organisé nos rendez-vous
auprès d‟elles.
Pour identifier les autres répondants, nous leur avons indiqué nos « exigences » : nous
souhaitions disposer d‟un panel de 5 personnes maximum96, donc 4 personnes en plus d‟elles,
95
UTT : Université Technologique de Troyes.
120
avec des profils variés (représentant d‟entreprises, de collectivités, etc.). Pour Troyes, nous
avons obtenu les 5 entretiens et pour Dunkerque nous sommes parvenus à échanger avec 4
répondants ciblés. Pour Lille, l‟échantillon ne s‟est élevé qu‟à 3 répondants. Cela étant, leurs
positions à la fois différentes sur la conduite de la démarche ainsi que la richesse de leurs
propos nous ont encouragée à garder le terrain de Lille dans nos trois terrains
complémentaires. Avec le recul que nous avons au moment de la rédaction de ce manuscrit,
nous pouvons effectivement affirmer qu‟il aurait été dommageable à notre analyse et à ses
résultats de ne pas les conserver.
Voici au Tableau 18 ci-après les répondants que nous avons rencontrés sur les quatre
terrains d‟analyse et dont nous utiliserons les verbatim aux chapitres suivants:
Terrain d’analyse
Répondants
Financeurs
-
Financeur 1, Chargée de mission
Financeur 2, Chargée de mission
Réalisateurs
-
Réalisateur 1, Chef de projet 1
Réalisateur 1, Chef de Projet 2
Réalisateur 2, Expert
Industriels
Vallée de la Chimie
-
Industriel 1, Cadre institutionnel
Industriel 3, Cadre institutionnel
Industriel 3, Responsable communication
Industriel 3, Responsable logistique
Industriel 4, Responsable HSE 1
Industriel 4, Responsable HSE 2
Industriel 5, Direction de site
Industriel 5, Responsable communication
Industriel 6, Direction de site
Industriel 7, Direction de site
Industriel 8, Direction de site
Lille
-
Chef de projet municipal
Chargé de mission municipal
Expert
Dunkerque
-
Coordinateur
96
En lien avec notre direction de recherche, nous avons considéré que 5 entretiens diversifiés par terrain
complémentaire devraient nous permettre d‟atteindre nos objectifs d‟analyse. Ces terrains étaient moins
exploratoires que celui de la Vallée de la Chimie, nous savions ici ce que nous cherchions et il semblait
raisonnable d‟échanger avec un panel de 5 personnes soigneusement choisies. Aux entretiens qui ont été menés,
il faut ajouter les ressources documentaires disponibles (c‟est la raison pour laquelle c‟était aussi l‟un des critères
de choix des terrains) et qui ont contribué à alimenter notre analyse.
121
Troyes
-
Industriel 1
Industriel 2
Elu local
-
Coordinateur
Industriel 1
Industriel 2 et élu local
Agriculteur et élu local
Tableau 18 Ŕ Liste des répondants par terrain d'analyse
Nous souhaitons faire un certain nombre de remarques concernant ce tableau de
répondants :
-
Comme nous l‟avons mentionné, le terrain de la Vallée de la Chimie a été
investigué bien plus en profondeur ce qui explique le plus grand nombre de
répondants répertoriés ;
-
Par ailleurs et sur ce terrain, ils sont distingués en fonction – financeurs, réalisateurs
et industriels – pour être conforme à la manière dont ils étaient identifiés pendant
la démarche d‟EIT ce qui ne signifie pas que chacun de ces groupes soit homogène :
les financeurs représentent l‟Etat ou la Région, les réalisateurs sont des universitaires
ou des consultants et les industriels sont de diverses tailles et de divers métiers (chimie
de base, chimie de spécialité, etc.), pour ne citer que ces éléments principaux car
d‟autres différences, d‟autres aspects d‟hétérogénéités pourraient encore être
identifiés ;
-
Nous avons uniquement rapporté ici les répondants dont nous utiliserons les
verbatim. Cela signifie que ce tableau ne mentionne pas les rencontres que nous
avons faites mais dont le matériau ne nous a pas servi pour la présente recherche. Ceci
explique pourquoi le nombre de répondants ici mentionnés ne correspond pas
précisément au nombre de rencontres que nous avons indiquées plus haut et pourquoi
il « manque » dans la liste des Industriels de la Vallée de la Chimie, l‟Industriel 2 ;
-
Les chiffres sont utilisés pour identifier les entités. Ils ne correspondent pas à
l‟ordre des rencontres effectuées ou à une hiérarchie quelconque mais permettent de
voir que pour l‟Industriel 3 de la Vallée de la Chimie par exemple – c‟est-à-dire pour
l‟organisation industrielle 3 – il y a eu deux répondants dont nous utiliserons les
122
propos. Ils laissent voir également que pour une même organisation, il y a parfois eu
deux répondants distincts, à un même poste97 ;
Certains répondants citent les noms d‟autres acteurs dans leur propos. Afin de préserver la
confidentialité que nous avons assurée à nos répondants, ces prénoms seront changés dans les
verbatim que nous rapporterons.
Pour répondre à notre question de recherche sur les conditions de développement des
démarches d‟EIT, nous avons fait le choix d‟étudier des démarches d‟EIT existantes. Le
terrain principal ainsi que les trois terrains complémentaires sélectionnés devront nous
permettre d‟identifier ce qui favorise ou au contraire freine l‟initialisation des coopérations
inter-organisationnelles requises, et de tester le cadre théorique de la ST choisi ainsi que les
apports possibles de la TOF. Enfin, nous attendons d‟eux qu‟ils nous apportent des
éclairages sur notre problématique de l‟enrôlement des acteurs dans les démarches d‟EIT.
97
Ici l‟explication est que ces deux répondants ont le même poste et dans la même organisation mais sur deux
sites de production différents. Nous avons fait le choix de ne pas distinguer les sites industriels pour ne pas
complexifier la lecture du tableau, cette information ne nous paraissant pas nécessaire à la compréhension de la
démarche.
123
CONCLUSION DE LA PARTIE 1
Nous savons que les enjeux liés à un développement durable de nos sociétés sont
incontournables pour les organisations mais les sciences de gestion ne se sont pas encore
pleinement emparées du sujet. En tant qu‟approches permettant l‟opérationnalisation des
principes de développement durable les démarches d‟EIT en sont une illustration flagrante.
L‟analyse de la littérature comme des constats issus du terrain convergent : on voit que des
interrogations fortes demeurent quant à la manière d‟implanter et de développer ces
démarches. Plus précisément, le facteur humain et les dynamiques sociales semblent décisifs
puisqu‟au fond, c‟est de coopération inter-organisationnelle dont il est finalement question.
On s‟étonne alors que ces démarches d‟EIT soient à peine objet d‟étude pour les sciences
humaines en général et pour les sciences de gestion en particulier. (CHAPITRE 1)
Par l‟entrée des alliances stratégiques, la question de la coopération inter-organisationnelle
est abordée dans la littérature en gestion mais l‟on s‟est aperçu que peu de choses étaient dites
sur les coopérations qui n‟étaient encouragées ni par un intérêt économique évident ni par une
contrainte tiers. Ainsi, on en sait encore trop peu sur la manière dont peuvent émerger ces
coopérations et à plus forte raison, dans le cadre des démarches d‟EIT. Notre question de
recherche se formule alors ainsi : « Quelles sont les conditions de développement de l‟EIT et
plus précisément celles qui favorisent les coopérations inter-organisationnelles requises dans
ces démarches ? ». Pour y apporter des éléments de réponse, nous avons choisi la théorie de
la ST – complétée par la TOF – et dont les concepts ont permis de préciser notre
problématique : « Comment construire l‟enrôlement des acteurs dans les démarches interorganisationnelles d‟EIT ?». (CHAPITRE 2)
Conformément à la posture constructiviste adoptée, à l‟approche exploratoire suivie et aux
critères de sélection établis, quatre terrains d‟analyse ont été investigués pour comprendre ce
processus d‟enrôlement : le terrain principal de la Vallée de la Chimie et les terrains de Lille,
Dunkerque et Troyes. Pour chacun, des analyses documentaires ont été réalisées, des
entretiens semi-directifs conduits ainsi qu‟une analyse thématique des propos de répondants.
(CHAPITRE 3)
Les CHAPITRE 4 et CHAPITRE 5 nous permettrons de présenter les résultats de cette
analyse ; le CHAPITRE 6 sera réservé au retour critique et aux discussions liées à notre
travail.
124
PARTIE 2
PRESENTATION & DISCUSSION
DES RESULTATS
Chapitre 4,
Terrain principal
• Présenter les succès et les limites du terrain de la
Vallée de la Chimie
• Dégager une intuition de recherche
p. 127-166
Chapitre 5,
Terrains
complémentaires
• Présenter les territoires de Lille, Dunkerque et Troyes
• Proposer des résultats et éléments de réponse à notre
problématique
p.167-211
Chapitre 6,
Discussion
• Effectuer un retour sur la littérature afin de mettre en
perspective les résultats obtenus
p. 212-242
125
126
CHAPITRE 4
LA VALLEE DE LA CHIMIE :
PROMESSES ET IMPASSES
« La limite c‟est que c‟est une méthode qui est un peu idéaliste. Le côté gagnant-gagnant n‟est pas
évident. Moi j‟y crois mais c‟est vrai qu‟il faut passer énormément de temps et d‟énergie pour
convaincre. Je pense qu‟au fond l‟humain il est quand même bien tranquille tout seul. Je pense aussi
qu‟on se heurte à un problème de culture. C‟est-à-dire qu‟on est quand même dans un monde où je
trouve qu‟on est très individualiste. »
Financeur, dans la démarche de la Vallée de la Chimie
Dans les trois premiers chapitres, nous avons développé les cadres théorique et
méthodologique qui allaient nous permettre de comprendre l‟initialisation possible des
coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT. Notre approche, basée sur la
ST et la TOF, devra nous permettre de jeter une lumière nouvelle sur les démarches d‟EIT
choisies, qu‟elles apparaissent limitées en termes de coopérations inter-organisationnelles ou
qu‟elles soient au contraire parvenues à initier différentes synergies.
Pour commencer l‟analyse, nous allons décrire dans ce CHAPITRE 4 la démarche d‟EIT
entreprise sur la Vallée de la Chimie au sud de Lyon, afin d‟identifier ce qui a facilité ou
freiné l‟enrôlement des acteurs dans le processus. Après une présentation d‟ensemble de la
démarche,
nous
passerons
ce
matériau
au
crible
des
concepts
de
problématisation/intéressement/enrôlement proposés par la ST pour dégager la lecture que la
TOF nous invite à faire de cette démarche.
4.1.
UNE ETUDE D’ENVERGURE
La démarche d‟EIT entreprise sur la Vallée de la Chimie est une étude de flux de matières
et de flux d‟énergies dont l‟objectif était d‟apporter aux décideurs politiques et économiques
locaux une vision physique des activités industrielles locales. Le postulat était que cette
photographie du fonctionnement du territoire permettrait d‟identifier des pistes de progrès
notamment environnemental ensuite matérialisées par la mise en œuvre de synergies entre
entreprises. Cette idée a été portée par un individu, convaincu de l‟intérêt qu‟une approche
127
d‟EIT pouvait avoir sur un territoire fortement industrialisé mais dont la pérennité de
l‟activité, chimique et parfois dangereuse est interrogée98.
Grâce à des échanges avec des experts en EIT qu‟il connaissait, cet acteur a finalement
configuré la démarche comme suit : il devait y avoir des financeurs qui soutiendraient le
processus ; une équipe de réalisation de l‟étude constituée d‟experts et chercheurs en EIT dont
il ferait partie; des industriels de la chimie intéressés par la démarche, qui accepteraient de
passer du temps et de fournir leurs données à l‟équipe de réalisation. Tel qu‟il était envisagé à
l‟époque, le produit fini de ce travail devait être une analyse de flux rigoureuse mettant en
lumière les perfectionnements possibles du système industriel local et qui susciterait la
motivation des participants industriels, à mettre en œuvre les synergies requises. Muni de son
« bâton de pèlerin » comme il se décrit lui-même, notre promoteur de projets – est allé à la
rencontre de différentes organisations pour obtenir d‟une part l‟appui financier recherché et
d‟autre part le concours de différents experts et chercheurs dont les compétences en EIT
étaient également nécessaires. En octobre 2006, l‟INSA de Lyon (organisation d‟appartenance
du promoteur) a trouvé ses différents partenaires. Au titre des actions collectives que les deux
institutions veulent promouvoir, l‟INSA signe une convention, avec d‟une part la Région
Rhône-Alpes et d‟autre part la DRIRE Rhône-Alpes, pour le financement d‟une étude
intitulée : « Intelligence territoriale et métabolisme industriel sur la Vallée de la Chimie entre
Lyon et Roussillon ». L‟équipe de réalisation est elle aussi constituée et rassemble deux
laboratoires de l‟INSA de Lyon (dont les représentants – le promoteur de projets étant l‟un
des deux – sont les deux chefs de projet de la démarche), un laboratoire de l‟Université
Technologique de Troyes et trois cabinets d‟expertise spécialisés en EIT.
Le périmètre de l‟action est posé, les financeurs sont trouvés et les membres de l‟équipe de
réalisation rassemblés. Pour que l‟étude puisse véritablement démarrer il reste encore à
identifier et mobiliser le troisième groupe encore manquant des parties prenantes, celui des
industriels. Selon l‟idée que les plus gros producteurs et émetteurs de produits seraient les
meilleurs « sujets » d‟étude, l‟équipe de réalisation va s‟appuyer sur une base de données en
ligne qui répertorie les industries polluantes, contraintes de faire des déclarations d‟émissions.
Quatre-vingt entreprises sont alors pressenties pour participer à la démarche. Mais ce chiffre
apparaît trop ambitieux : les ressources disponibles ne permettraient pas de traiter les données
de flux d‟autant d‟entités et le directeur de la DRIRE n‟envisage pas de signer autant de
98
La proximité des habitations d‟une part et les contraintes/opportunités apportées par la mondialisation d‟autre
part fragilisent les implantations et sites de production locaux.
128
courriers. Pour manifester son soutien à la démarche et encourager les industriels ciblés à
participer, la DRIRE accepte effectivement, sur demande des chefs de projet, d‟adresser en
avril 2007 un courrier postal signé de la main de son Directeur, aux vingt-cinq dirigeants99 des
entreprises retenues. Ces vingt-cinq finalistes sont celles qui sont apparues incontournables au
chargé de mission de la DRIRE et à l‟équipe de réalisation, comme dans le paysage industriel
local du fait notamment de leur taille, du nombre de sites qu‟elles déploient sur le territoire,
du nombre d‟employés qu‟elles comptabilisent ou de l‟intérêt que leur activité peut
représenter pour cette étude. A ce stade, deux stagiaires sont recrutés au sein de l‟équipe de
réalisation : le premier de profil ingénieur dans l‟un des cabinets d‟expert pour assurer le suivi
technique, collecter, trier et analyser les données de flux ; et la seconde – nous-mêmes – au
sein d‟un des deux laboratoires de l‟INSA impliqués dans la démarche, plus spécialement en
charge des relations entre les parties prenantes, de l‟organisation des rencontres, de la
rédaction des rapports, etc. A leur arrivée, ces stagiaires ont comme première tâche de
relancer les industriels destinataires du courrier de la DRIRE pour obtenir leur accord à
participer. Ces relances, effectuées par téléphone principalement, permettent de mobiliser
onze industriels représentant localement seize sites. A la fin du mois de mai, un premier
rapport d‟avancement destiné à la DRIRE fait état de ces mobilisations ; le nombre
d‟entreprises participantes est alors perçu comme très satisfaisant puisque l‟exigence était
d‟en réunir au moins cinq. Pour matérialiser leur engagement, ces onze industriels signent
chacun une convention bipartite avec l‟INSA de Lyon.
Le 27 juin 2007, le premier comité de pilotage de l‟étude a lieu. L‟équipe de réalisation
prend la main et propose de l‟organiser dans les locaux de l‟INSA de Lyon où la « salle de
réunion du LGCIE100 », comme l‟appellent les membres de l‟équipe de réalisation, est
réservée pour l‟occasion. Des invitations papier, signées par les deux chefs de projet de
l‟INSA, sont adressées à l‟ensemble des parties prenantes. Les chargés de mission des
financeurs et la Directrice du Département Environnement de la Région sont présents, les
signataires industriels de la convention également ainsi que l‟équipe de réalisation. Le
moment est important puisque c‟est la première fois que tous les interlocuteurs qui ont été
mobilisés sur cette démarche se réunissent. La grande table ovale permet à chacun d‟observer
les autres. Certains se connaissent, d‟autres se reconnaissent, tout le monde se jauge. C‟est le
lancement officiel de l‟étude et la présence des financeurs institutionnels en fait un moment
99
Précisons que les courriers n‟ont pas été adressés nominativement mais qu‟ils portaient la mention : « A
l‟attention du Directeur de site ».
100
Laboratoire de Génie Civil et d‟Ingénierie Environnementale.
129
solennel. L‟ambiance est pesante, suspendue aux mots de ceux qui prennent la parole et aux
diapositives présentées par l‟équipe. Mot d‟accueil des chefs de projet, tour de table, prise de
parole des financeurs, présentation du déroulé et des objectifs et attendus de la démarche par
l‟équipe (stagiaires compris) : tout se déroule comme l‟équipe de réalisation l‟avait prévu.
Après ces présentations et après avoir indiqué qu‟un questionnaire de collecte de données
allait être adressé aux industriels par mail, tout le monde se quitte en se donnant rendez-vous,
au plus tard, au prochain comité de pilotage dont la date est alors fixée.
C‟est acté, le marathon de la collecte des données peut commencer : les stagiaires sont
mobilisés à plein pour ce travail. Les seize pages du questionnaire de collecte sont adressées
par mail aux industriels. Ils y trouveront des lignes en pointillées et des cases à remplir pour
disséquer leurs activités dans les plus petits détails: tous les flux de matières et énergies des
entreprises concernées peuvent et doivent y être répertoriés. Une fois que tous les
questionnaires sont envoyés, des rencontres sont organisées sur les sites des entreprises pour
aider les interlocuteurs industriels à les compléter. L‟objectif est clair : parvenir à collecter
toutes les données de flux des industriels participants. Tout ce qui entre sur leurs sites, tout ce
qui en sort, tout ce qui y est stocké. Bref, tout ce qui est nécessaire à leur fonctionnement doit
être inventorié afin d‟être ensuite analysé. Le travail est long, laborieux, les relances par mail
et par téléphone sont aussi indispensables que fréquentes. Peu à peu, l‟équipe se constitue une
base de données sous feuille Excel pour engranger toutes ces informations et elles sont
nombreuses : à la fin de l‟étude en septembre 2008, plus de 700 lignes de flux auront été
enregistrées.
Ce travail sur les données est au cœur de la démarche. Les deux comités de pilotage qui
suivent la première rencontre, en septembre 2007 puis en janvier 2008, ont pour principal
ordre du jour de valider l‟avancée de l‟étude, c‟est-à-dire de montrer les progressions de la
collecte d‟informations et de discuter des moyens de consolider ces informations. En pratique,
cela signifie que lors de ces réunions collectives organisées au même endroit que la première
fois et où l‟ensemble des acteurs est convié, les réalisateurs prennent soin d‟expliciter, via des
présentations Power Point, où en est la collecte de données : les moyens humains et
techniques déployés pour la conduire sont mis en lumière et l‟on utilise un logiciel
informatique spécialisé dont on a extrait des copies-écran, pour donner à voir la quantité des
informations déjà collectées et souligner les manques. L‟ambiance attentive de la première
rencontre se mue en une attitude presque passive, comme attentiste. Si les financeurs sont
130
chaque fois présents, le nombre de participants industriels décroit d‟une rencontre à l‟autre.
Assis au fond de leurs chaises pour la plupart, aucun ne semble prendre de notes et tous
regardent le chef de projet ou l‟expert de l‟équipe de réalisation s‟animer, debout, devant les
diapositives qu‟il présente : ces rencontres suscitent peu d‟échanges, peu de questions, peu de
discussions. Les industriels qui semblent vraiment intéressés par le travail parce qu‟ils sont
présents à chaque fois et réagissent rapidement aux relances se comptent sur les doigts d‟une
demie main ; les financeurs, eux, sont silencieux.
Au quatrième et dernier comité de pilotage, organisé en juin 2008 sur le même format que
les trois précédents, les résultats de l‟étude sont présentés par l‟équipe aux financeurs et aux
industriels. La quasi-totalité des personnes invitées est présente pour l‟occasion. Aux vues de
la quantité et de la diversité des informations recueillies, la collecte de données est considérée
par l‟équipe de réalisation comme satisfaisante : des pistes d‟amélioration du système
industriel dans son ensemble sont d‟ailleurs proposées. Lorsque l‟équipe indique en fin de
réunion que le mandat touchant à sa fin, elle ne tiendra plus le rôle d‟animateur sur ces
questions et qu‟il faut que les industriels envisagent par eux-mêmes une structuration leur
permettant de continuer à réfléchir à ces sujets, le propos ne reçoit pas l‟accueil attendu. Les
financeurs ne réagissent pas et les industriels, si l‟on se fie à leur posture et aux coups d‟œil
qu‟ils s‟adressent entre eux, ne comprennent apparemment pas l‟intérêt de la proposition.
D‟ailleurs, il nous faut constater qu‟ils ne s‟en sont pas emparés et qu‟à la fin du mandat, la
dynamique s‟est effectivement essoufflée.
En termes de productions écrites, ce travail a donné lieu à un rapport final d‟une centaine
de pages reprenant la méthodologie employée pour la sollicitation des entreprises, la collecte
de données, les catégorisations employées pour regrouper et travailler sur ces données ainsi
que les résultats obtenus en termes de pistes d‟actions collectives. Transmis en version papier
aux financeurs et en version informatique aux industriels, il n‟a pas suscité de remarques ou
enclenché d‟actions spécifiques. Une soirée publique de restitution des résultats a été
organisée à l‟INSA où l‟ensemble des acteurs était convié. Des chercheurs d‟autres
laboratoires ont également été sollicités pour l‟évènement afin d‟apporter leur regard, sous la
forme d‟une table ronde, sur l‟étude réalisée. Les échanges n‟en n‟étaient finalement pas. Sur
les questions de progrès environnemental notamment, industriels et institutionnels se
renvoyaient la balle arguant que c‟était à l‟autre de faire le premier pas. Cette soirée de clôture
de la démarche n‟a apporté ni idées ni impulsions nouvelles.
131
4.2.
PROBLEMATISATION
En suivant les concepts de la ST, nous allons maintenant entrer dans plus de détail sur ce
qui s‟est passé. Effectivement, alors que cette étude était conséquente en termes de temps
consacré et d‟informations récoltées, elle n‟a suscité ni adhésion ni participation active des
acteurs. Ainsi, nous souhaitons comprendre pourquoi elle n‟a pas permis d‟initier les
synergies et les coopérations inter-organisationnelles attendues par les financeurs d‟une part
et envisagées par les réalisateurs d‟autre part. Les premiers éléments de la dynamique qu‟il
nous faut mettre au clair concernent le périmètre du problème posé dans cette démarche d‟EIT
sur la Vallée de la Chimie ainsi que la façon dont la configuration des acteurs a été pensée et
distribuée.
4.1.1. Un porteur, une idée, un mandat
Il est difficile de savoir où faire commencer et où arrêter la narration d‟un cas (Abbott,
1992). Cette démarche s‟est cousue, peu à peu, autour de l‟idée d‟un individu que nous
appelons le « promoteur » et qui est parvenu à la traduire autour de lui pour qu‟elle se
transforme en projet101. Nous partirons donc des actions menées par ce promoteur afin de
décrire ce que cela a permis de produire.
En 1998, le promoteur est « Chargé de Mission Environnement » dans une filiale de
l‟Union des Industries Chimiques à Paris et assiste à une conférence où sont présentées les
démarches d‟EIT. A son retour à Lyon en 2002, il intègre l‟association Economie et
Humanisme en tant que « Chargé de Mission Environnement et Développement Durable ».
En lien avec les objectifs de l‟association, il doit produire de la connaissance sur la
thématique dont il a la charge102. C‟est dans ce cadre qu‟il a l‟idée de mener une rechercheaction sur le sujet de l‟EIT : effectuer, localement, une étude de terrain alliant le secteur
industriel de la chimie et l‟EIT. La course aux rencontres et aux traductions commence
alors pour identifier les acteurs mobilisables dans cette démarche et distribuer les rôles de
chacun.
101
Le détail de ces évolutions avec les propos du promoteur qui s‟y rapportent se trouve en Annexe 5 et 6.
Cette association, qui n‟existe plus aujourd‟hui, s‟intéressait à la question de développement humain et de
solidarité. Sa mission était de conduire des études, de produire et éditer des rapports sur différents sujets de
société.
102
132
Dans sa quête, il rencontre en 2004 le Responsable du Développement Industriel de la
DRIRE103 Rhône-Alpes, pour des questions de concertation d‟acteurs. Son idée présente à
l‟esprit, il profite de l‟échange pour proposer à son interlocuteur une démarche élargie de
concertation et d‟ingénierie des activités : pourquoi ne pas aller au-delà de la question de la
concertation pour interroger, conjointement avec les acteurs locaux concernés, le
fonctionnement de leurs activités ? Pourquoi d‟ailleurs ne pas se concentrer sur les industries
de la chimie puisqu‟elles représentent une activité conséquente sur le territoire104 ? Puisque le
sujet déborde le strict cadre de la concertation, le promoteur rencontre la personne qui
s‟occupe effectivement du secteur de la chimie. La proposition n‟est pas étrangère à ce que
fait déjà la DRIRE et convainc. En effet, l‟idée d‟une démarche d‟EIT sur la Vallée de la
Chimie se fait l‟écho d‟une étude conduite par la DRIRE qui visait à qualifier et quantifier les
flux échangés entre des entreprises d‟une même plateforme industrielle. L‟objectif était de
connaître les interrelations entres entités industrielles afin de pouvoir anticiper les
conséquences de dysfonctionnements éventuels ; que se passerait-il si un site était amené à
fermer ? Comment appréhender l‟évolution des activités de ce secteur clé du territoire ?
L’exercice de traduction est réussi : l’acteur DRIRE a senti que les démarches d’EIT
s’inscrivaient dans cette logique de connaissance d’un système, a été intéressé par cette
approche et a souhaité aller plus loin. La course aux traductions avance jusqu‟aux
prochaines étapes : l‟interlocuteur DRIRE encourage le promoteur à rencontrer la Direction
de l‟Energie et de l‟Environnement du Conseil Régional. De nouveau, l‟échange est un succès
et le second appui institutionnel est assuré. La DRIRE Rhône-Alpes et le Conseil Régional
Rhône-Alpes acceptent le principe de co-financer la démarche. En parallèle de la recherche de
financeurs, le promoteur contacte d‟autres acteurs de l‟écologie industrielle, experts et
laboratoires de recherche qui pourraient l‟accompagner.
Fin 2005, le promoteur a maintenant une équipe à ses côtés pour travailler avec lui sur ce
projet et des institutions pour soutenir financièrement la démarche. Mais la configuration des
acteurs va se modifier quand en avril 2006, le promoteur quitte Economie et Humanisme pour
devenir professeur associé à l‟INSA de Lyon. Cette modification de l‟échiquier des acteurs est
importante : l‟organisation d‟appartenance du porteur, l‟organisation porteuse du projet, n‟est
plus une association mais une école d‟ingénieurs, ce qui donne une impulsion supplémentaire
103
Aujourd‟hui intégrée à la DREAL, la DRIRE est à l‟époque l‟institution étatique en région, chargée
d‟accompagner les entreprises locales et de surveiller le respect de la réglementation pour les sites classés
dangereux.
104
Pour 2003, l‟Union des Industries Chimiques (UIC) recense en Rhône-Alpes plus de 200 établissements (sur
850 en France) employant 27 000 personnes pour un chiffre d‟affaires de 8 milliards d‟euros.
133
à la mise en œuvre de l‟étude et sans doute aussi a la tonalité scientifique qui lui a été donnée.
La suite des évènements va s‟enchaîner plus vite puisque les acteurs principaux sont identifiés
et d‟accord pour participer. A ce stade, l‟ensemble des acteurs que le promoteur est parvenu à
rassembler a un rôle défini : la problématisation du processus est en bonne voie. Deux
institutions sont là pour soutenir financièrement la démarche, des chercheurs et experts sont
également impliqués pour réaliser l‟étude.
Après différents échanges entre le promoteur et les financeurs notamment, les ambitions de
la démarche intitulée « Intelligence territoriale et métabolisme industriel sur la Vallée de la
Chimie entre Lyon et Roussillon » se stabilisent autour d‟un double objectif :
1. Fournir aux financeurs une cartographie précise et synthétique des flux et stocks
de matière et d’énergie sur le territoire de la Vallée de la Chimie au sud de Lyon ;
2. Proposer les premières pistes pour une utilisation plus rationnelle des
ressources de ce territoire et la création de nouvelles activités.
La démarche d’EIT sur la Vallée de la Chimie sera donc une étude d’EIT et dans la
suite de ce chapitre, nous utiliserons indifféremment l‟un ou l‟autre terme. Cette convergence
d‟intérêts pour la mise en place d‟une étude d‟EIT se concrétise autour d‟une convention
signée entre l‟INSA de Lyon et la DRIRE Rhône-Alpes d‟un côté puis la Région RhôneAlpes de l‟autre.
Il est intéressant de noter que dans le montage de la démarche à conduire, les financeurs
acceptent de suivre et d‟accompagner le processus si au moins 5 industriels acceptent de
participer et de fournir leurs données de flux. Puisqu‟il faut réaliser une cartographie des flux,
il est en effet nécessaire que des industriels acceptent d‟être des informateurs. Se dessine donc
ici le rôle qui est d‟emblée attribué au troisième groupe des acteurs à mobiliser : les
industriels. Reformulons. Pour que l‟équipe de réalisation puisse mener à bien le métabolisme
industriel promis aux financeurs, il va effectivement falloir que des industriels acceptent de se
mettre autour de la table. Cela étant il nous faut ici préciser, et la suite du récit nous le fera
constater avec force, que l‟acceptation de faire partie du tour de table ne constitue pas la
garantie que s‟initialiseront des coopérations inter-organisationnelles.
134
4.1.2. Une hétérogénéité d’acteurs
La convention signée entre réalisateurs et financeurs permet à l‟étude de démarrer
officiellement en octobre 2006. Pour faciliter la compréhension de la distribution des rôles et
de la configuration des acteurs dans cette démarche, nous distinguons trois catégories105 :
1. Les financeurs : il s‟agit de la DRIRE Rhône-Alpes et de la Région Rhône-Alpes
qui ont soutenu financièrement cette démarche. Pendant l‟étude ils ont été présentés
comme les mandants de la démarche alors que dans le processus de construction de
cette démarche, on s‟aperçoit que ce ne sont pas eux qui ont été demandeurs mais
plutôt qu‟ils ont accepté de participer à son financement;
2. Les réalisateurs, ou équipe de réalisation : il s‟agit des chefs de projets de l‟INSA
de Lyon, des experts et laboratoires de recherche qui se sont mobilisés autour du
promoteur pour conduire cette étude et proposer des pistes de progrès à la fois aux
financeurs et aux industriels ;
3. Les industriels : il s‟agit des 11 entreprises, représentant 16 sites industriels, qui
ont accepté de participer à la démarche, ont signé une convention de confidentialité
avec l‟INSA et ont remis leurs données de flux.
Les acteurs mobilisés sont 1/ nombreux et 2/ très différents les uns des autres. L‟étude
a en effet mobilisé plus de 15 organisations et 50 personnes aux profils variés. Etaient
présents à la fois une collectivité, un service déconcentré de l‟Etat, deux organismes de
formation, deux cabinets d‟expertise privés et des industriels de la chimie d‟activités et de
tailles diverses. Mais cette diversité des profils d‟organisation doit être complétée de la
diversité des profils des individus : chargés de mission, ingénieurs-experts, directeurs de site,
responsables Qualité Hygiène Sécurité Environnement, responsables de la communication,
responsable logistique, directeur des relations institutionnelles, etc. Nous regroupons
l‟ensemble des acteurs participant à la démarche d‟EIT sur la Vallée de la Chimie, au Tableau
19 suivant :
Acteurs
Type d’acteurs
Type d’activité
Profil des interlocuteurs
105
Cette distinction n‟est pas le reflet d‟une réalité uniforme ; comme le soulignent Callon et Law (1988), il faut
se méfier des catégories que l‟on établit pour la commodité d‟une étude et qui ne correspondent pas à des
ensembles à ce point immobiles et figés. D‟autre part, cette distinction reste un choix ; d‟autres pourraient être
faits : distinguer les hommes des femmes, ceux qui ont suivi tel type de formation, ceux qui sont
personnellement sensibles aux questions environnementales, etc. Les catégories sont choisies ici 1/ en fonction
des catégories qui étaient faites pendant l‟étude elle-même et 2/ dans un souci de lisibilité du récit que nous en
faisons.
135
Financeurs
-
Conseil Régional
Service déconcentré
de l‟Etat
Réalisateurs
-
Ecole d‟ingénieurs
Université
Technologique
Cabinet de conseil
-
Industriels
-
Industries de la
chimie, de 4 à plus
de 250 000 salariés
-
-
Accompagnement de
projets
Contrôle des
installations classées
-
Directeur Environnement
Directeur
Chargés de mission
Formation
Recherche
Etudes et conseils
-
Enseignants/chercheurs
Experts/consultants
Ingénieurs
Stagiaires
-
Directeur des relations
institutionnelles
Responsable communication
Responsable logistique
Responsable HSE
Directeur de site
Responsable environnement
groupe
Directeur du pôle lyonnais
Responsable de l‟animation
technique
Chimie de base
Chimie fine ou de
spécialité
Activité de services
aux industriels de la
chimie
-
Tableau 19 Ŕ Diversité des profils mobilisés dans la démarche de la Vallée de la Chimie
Précisons que dans ce tableau il n‟y a volontairement pas de correspondance entre les
lignes mais qu‟il s‟agit d‟énumérations qui se lisent colonne par colonne. Nous ne souhaitons
pas perdre notre lecteur ou le tromper sur nos intentions. Il ne s‟agit ni d‟amorcer une
explication implicite des difficultés à la coopération et qui serait liée aux fonctions des
acteurs, ni de décrire précisément qui est qui dans le processus que nous étudions. L‟objectif,
ici, est de donner à voir la grande hétérogénéité des profils d‟acteurs impliqués dans la
démarche. C‟est ce point en particulier qui nous intéresse.
Du fait du nombre et de la diversité des acteurs, il n‟est pas difficile de postuler les
différences de contextes, d‟objectifs, de temporalité en un mot, d‟agenda. Thornton et Ocasio
(1999), parlent de logiques institutionnelles différentes. Les membres de l‟équipe de
réalisation, les industriels et les institutionnels financeurs auraient ainsi chacun un ensemble
de représentations, de valeurs et de règles auxquelles se rattacher. Ces logiques, construites et
identifiables dans chaque groupement d‟acteurs leur apportent une grille de lecture
particulière des situations, enjeux et objectifs à atteindre et organisent leurs activités
respectives en proposant des modes d‟actions spécifiques. Voici au Tableau 20 comment nous
proposons de présenter les différentes logiques réunies dans la démarche de la Vallée de la
Chimie :
Caractéristiques
Système
économique
136
Logique
Financeurs
« Argent de l‟Etat » et
revenus de la Région
Logique
Industriels
Le marché
Logique
Equipe de Réalisation
Les subventions
Légitimité
De fait
Positionnement et
compétitivité
Expertise et compétences
Mission
Soutenir des projets
Maintenir/accroître le CA
et développer l‟activité
Accroître la connaissance
et les expertises
Focale
Administrative
Economique
Accompagnateur
« Pragmatique» : au fur et
à mesure
Scientifique: rigueur et
exhaustivité
Modalités d’action
Spectateur
Technique
Environnementale
Visions
A l‟échelle des missions
administratives menées
Court et Moyen Terme
Long Terme
Gouvernance
Hiérarchies
Influences
Répartition flottante des
rôles
Tableau 20 Ŕ Logiques d'action dans la Vallée de la Chimie, inspiré de Thornton (2002)
Ces points communs entre les types d‟acteurs que nous avons proposés ici n‟excluent pas
cependant qu‟il puisse y avoir des différences entre eux. La diversité des acteurs, des profils et
des logiques rend complexe, de fait, l‟articulation et la combinaison des hétérogénéités qu‟il
va falloir mettre en place pour mener à bien cette étude.
L‟effort de traduction qui visait 1/ à préciser la question à laquelle la démarche doit
répondre, 2/ à préciser son périmètre géographique et 3/ à identifier les acteurs à mobiliser
et leur rôle dans ce processus pour répondre à cette question a été menée à terme. Le
promoteur d‟une idée est ainsi devenu chef de projet pour une démarche qui a trouvé ses
financeurs, ses réalisateurs et sa cible industrielle. Ainsi, telle qu‟elle a été configurée, nous
voyons se dessiner le profil de la démarche d‟EIT. Grâce au soutien de deux acteurs
financeurs, une équipe constituée de chercheurs et experts va pouvoir réaliser localement une
étude de métabolisme industriel. Qui dit métabolisme industriel dit en même temps, aux vues
de la spécificité du territoire de la Vallée de la Chimie, la mise à contribution d‟industriels
pour alimenter cette étude et en garantir précision et scientificité.
4.3.
INTERESSEMENT
Maintenant que nous voyons plus clairement quel était le problème à résoudre et le rôle de
chacun des acteurs impliqués dans cette dynamique, il nous faut préciser comment cela a été
fait, comment les acteurs ont été mis autour de la table et intéressés.
137
4.3.1. Un rôle central donné aux acteurs non humains
Des outils dédiés
En s‟inspirant des travaux de la ST (Callon et Law, 1988 ; Latour, 2007) et afin de
proposer une description à la fois fine et complète de la démarche, il nous faut décrire les
outils utilisés. Le fait d‟avoir participé à cette étude nous donne un accès privilégié aux
documents qui ont été utilisés. Nous les listons en respectant la chronologie de leur apparition
et utilisation dans la démarche au Tableau 21 suivant :
Nature
Vocation
du document
du document
Convention
INSA/Financeurs
Lettre de la DRIRE
Conventions
INSA/Industriels
Pour formaliser l‟engagement des financeurs, le détail de leur soutien financier et
les conditions et ambitions de la démarche, une convention – confidentielle – a été
signée entre d‟une part l‟INSA et la DRIRE et d‟autre part l‟INSA et la Région
Rhône-Alpes.
Une fois les 25 entreprises prioritaires identifiées conjointement par l‟INSA et la
DRIRE, cette dernière a adressé à leurs dirigeants locaux un courrier présentant la
démarche et les invitant à y participer.
Après envoi du courrier et relances téléphoniques et par mails, une convention
bipartite a été signée entre l‟INSA et chacune des entreprises acceptant de
participer. Ce document rappelle les objectifs de la démarches et engage d‟une
part les entreprises à fournir à l‟équipe de réalisation les données nécessaires à
l‟étude et d‟autre part, engage l‟INSA à ne divulguer aucune de ces données 1/ qui
ne soient pas présentées de façon agrégée avec les autres et 2/ sans l‟autorisation
de l‟entreprise concernée.
Questionnaire
Pour recueillir l‟ensemble des données nécessaires à l‟étude, l‟équipe de
réalisation a mis au point un questionnaire écrit et adressé par mail à ses
interlocuteurs au sein des entreprises participantes. Il s‟agissait de récupérer la
nature et la quantité des flux de matières et des flux d‟énergies utilisés ou émis par
les industries participantes sur leurs trois dernières années d‟activité.
Rapport
d’avancement
Rédigé par l‟équipe de réalisation, il a permis de fournir aux financeurs un point
d‟étape sur l‟engagement des entreprises : où en était les signatures de convention,
quelles entreprises avaient choisi de participer, lesquelles non, lesquelles étaient
en attente, etc.
Comptes-rendus
Après chaque Comité de Pilotage (COPIL), un compte-rendu rédigé par l‟équipe
était adressé par mail aux participants financeurs et industriels. Après les réunions
de l‟équipe de réalisation et les rencontres sur site, des comptes-rendus étaient
également rédigés qui restaient en interne à l‟équipe.
Rapport final
Rédigé par l‟équipe de réalisation, il a été remis à la fin du mandat de la démarche
pour regrouper les éléments de méthodologie de l‟étude, les connaissances
acquises et les résultats obtenus.
Tableau 21 Ŕ Documents structurants utilisés pendant l'étude de la Vallée de la Chimie
138
Cette énumération nous permet de faire un constat intéressant : pour une étude de deux ans
mobilisant près d‟une trentaine de personnes, cela représente finalement peu de documents
échangés.
Dans l‟optique d‟une collecte exhaustive et d‟un traitement performant des données,
l‟équipe de réalisation de l‟étude s‟appuie également sur trois outils informatiques
principaux. La base de données IREP d‟abord. Accessible à tous et en ligne, elle s‟est
avérée utile pour donner des ordres de grandeurs et faire une première sélection d‟entreprises,
sans qu‟il y ait besoin de les solliciter pour obtenir des informations. C‟est elle qui a permis
d‟établir une première liste de 80 entreprises potentiellement pertinentes à mobiliser au sein
de laquelle, les 25 prioritaires ont pu être identifiées et sollicitées.
Elle est malgré tout insuffisante pour conduire l‟étude dans son ensemble. D‟abord, elle ne
recense que les industries qui font l‟objet d‟une réglementation et qui doivent obtenir une
autorisation d‟exploiter de la Préfecture, ce qui ne sera pas le cas de toutes les entreprises
engagées dans la démarche. Egalement, l‟équipe fait le constat que les informations
communiquées par les entreprises dans le cadre de l‟étude ne correspondent pas
systématiquement avec celles recensées dans cette base106. Enfin, seules les informations
concernant les rejets dans l‟air ou dans l‟eau et les quantités de déchets, autrement dit dans le
langage de l‟EIT, les produits sortants, y sont disponibles. Or dans une approche d‟EIT
comme celle initiée sur la Vallée de la Chimie les produits entrants sont également essentiels.
Il s‟agit des consommations des entreprises en termes de matières premières par exemple
ainsi que les énergies produites et/ou utilisées par ces entreprises. Cette première source
d‟informations est donc complétée grâce au questionnaire mentionné au Tableau 21 cidessus.
Toutes les données ainsi collectées, celles provenant de la base IREP et celles provenant
directement des industriels sont ensuite regroupées dans un même document, un tableur
Excel, dont un extrait est donné à la Figure 15 ci-dessous :
106
Le choix sera fait d‟utiliser les données fournies par les entreprises.
139
Figure 15 Ŕ Extrait de la base de données constituée par l'équipe sur la Vallée de la Chimie
Cette base de données, élaborée au fur et à mesure et construite en parfaite adéquation avec
les besoins de l‟équipe, est l‟outil principal de réalisation de l‟étude. La quantité de données à
traiter est très importante et cet outil permet de les manier avec beaucoup de souplesse et de
fluidité. Elle permet en effet de classer les informations par entreprise, année, type de flux
entrant ou sortant et volumes notamment. Elle rend aussi des extractions possibles: quelles
sont les informations manquantes ? Quels sont les flux les plus importants ? Quels
regroupements ou synergies peuvent être envisagés, etc.
Avec ses 750 lignes, la base de données permet en effet de regrouper l‟ensemble des
informations récoltées mais n‟est ni lisible, ni tout à fait opérationnelle telle qu‟elle. Ces
lignes sont alors rangées selon 20 catégories génériques de produits ou substances (acides,
bases, alcools, composés fluorés, composés azotés, etc.). L‟objectif est double : parce qu‟elles
les synthétisent, elles permettent d‟abord de rendre utilisables les informations récupérées ;
pour les réalisateurs elles encouragent également la construction d‟un langage partagé entre
les acteurs. Elles peuvent faciliter les actions collectives puisqu‟elles permettent à la fois
d‟éviter les termes spécifiques utilisés par chaque entreprise et de mettre l‟ensemble des
acteurs au même niveau d‟information. Sur la base de la classification européenne des déchets
et aux vues des flux entrant, l‟équipe de réalisation soumet une première classification aux
entreprises qui est réajustée ensuite. Trop générale pour servir directement une étude de
140
faisabilité par exemple, cette catégorisation est suffisamment précise en revanche pour
dessiner les grandes lignes de ce qui peut être envisagé collectivement, et qui est repris dans
le Tableau 23.
En complément et pour concourir à la visibilité des données, l‟équipe a utilisé un logiciel
de cartographie des flux, développé spécialement pour les démarches d‟EIT. Il consiste à
représenter sur un même schéma ce qui entre dans le système considéré (ici les entreprises) et
ce qui en sort ; au niveau des émissions dans l‟air, des déchets, des produits commercialisés,
etc. Il s‟agit de représenter en une fois l‟ensemble des flux qui fait fonctionner une
organisation. Les représentations devaient permettre de faire ressortir les flux principaux et les
manques ou incohérence. Ce travail de cartographie a été fait pour chacun des 16 sites
industriels engagés dans la démarche et par zone géographique également. La représentation
pour un site est donnée en exemple, à la Figure 16 ci-dessous107 :
Figure 16 Ŕ Représentation graphique des flux sur la Vallée de la Chimie
Cet outil a surtout une visée pédagogique : les schémas de flux sont principalement
utilisés, lors des comités de pilotage de manière agrégée, pour mettre en relief les flux les plus
importants et/ou les plus utilisés. Ils sont également remis individuellement aux sites
industriels pour souligner les informations manquantes et leur fournir une vision d‟ensemble
de leurs flux, ce dont ils reconnaîtront ne pas toujours disposer en interne.
Des évènements
Les documents écrits et les outils utilisés permettent donc d‟alimenter l‟étude et apportent
du contenu aux différentes rencontres qui ponctuent la démarche.
107
Le détail n‟est pas visible mais 1/ la confidentialité qui entoure ces flux nous interdit de les diffuser de façon
lisible et 2/ l‟intérêt de ce schéma n‟est pas son contenu ici mais sa forme.
141
En complément de l‟envoi du questionnaire, des rendez-vous sur site sont organisés avec
la plupart des entreprises participantes, tout au long de la phase de collecte et de traitement
des données. Deux rendez-vous par industriel et de multiples relances téléphoniques et par
mail sont nécessaires à la collecte d‟une quantité de données jugée satisfaisante par l‟équipe
de réalisation. La première visite permet de présenter une nouvelle fois la démarche et ses
objectifs. Elle vise également à reprendre avec l‟interlocuteur le questionnaire de données
fourni pour examiner les manques et soulever les difficultés éventuelles. Une première série
de données est ainsi collectée, qu‟il faut compléter grâce à un deuxième échange sur site. Il
faut ici noter que les rencontres sur site résultent d’une demande de l’équipe de
réalisation, liée aux besoins de l’étude et à la nécessaire collecte des données de flux. Les
entreprises participantes ne le proposent spontanément. Les rencontres sur site ne sont pas
toujours simples à planifier. L‟emploi du temps chargé des interlocuteurs industriels est
souvent une difficulté. A cela, s‟ajoute aussi les autorisations hiérarchiques qu‟il faut à
certains pour recevoir les réalisateurs, le fait qu‟ils ont parfois du mal à rassembler les
informations demandées ou qu‟ils souhaitent attendre de l‟avoir fait pour planifier la
rencontre.
Des comités de pilotage (COPIL), réunissant l‟ensemble des acteurs, sont donc organisés
tous les quatre à cinq mois pour faire un point sur l‟avancée des travaux. Un temps de
présentation du travail et un temps de débat sont chaque fois aménagés. En fin de rencontre,
date est prise pour la prochaine. Si un temps pour l‟échange est systématiquement prévu dans
l‟organisation de la réunion, il nous faut souligner que peu d’acteurs non réalisateurs
prennent la parole lors de ces rencontres. Quand c‟est le cas, c‟est principalement pour
faire état d‟interrogations et principalement sur les débouchés du travail. Nous avons
également constaté un nombre décroissant de participants industriels à ces comités de
pilotage; peu sont venus du début à la fin de la démarche. Au premier et au dernier COPIL
cependant, presque tous les représentants d‟entreprise sont présents. Notons que pour une
même organisation, ce n‟est pas toujours le même représentant qui assiste aux COPIL.
A la fin de l‟étude, une fois le rapport final remis, une soirée de restitution publique est
organisée à l‟INSA à destination de toute personne intéressée par le sujet. Des invitations sont
adressées à l‟ensemble du réseau des différents participants à l‟étude et une journaliste
professionnelle est mobilisée pour animer les échanges de la soirée. Cette rencontre a un
double objectif matérialisé par deux moments distincts : 1/Présenter le travail réalisé et 2/
142
Echanger et proposer des pistes d‟avenir. Différentes questions sont abordées sous la forme
d‟une table ronde réunissant un représentant de la Région Rhône-Alpes, un représentant de la
DRIRE Rhône-Alpes, la responsable communication de l‟Union des Industrie Chimique108, le
Directeur du Mouvement Qualité Rhône-Alpes109, un enseignant-chercheur de l‟Institut
Français d‟Urbanisme et un chargé de recherche au Ministère de l‟Equipement.
Les échanges tournent principalement autour de la question de la prise en charge des
évolutions nécessaires : est-ce aux industriels d‟initier des projets avec un soutien éventuel
des institutions publiques ou au contraire, est-ce la mission des institutions de lancer et
d‟accompagner les initiatives innovantes ? La problématique de l‟échelle pertinente pour une
démarche d‟écologie industrielle est également soulevée. Sans doute utile parce qu‟elle
permet de rassembler différents acteurs et de donner à voir le travail qui a été réalisé, cette
soirée est cependant apparue à l’un de nos répondants industriels comme une « parfaite
partie de mistigri », chacun des acteurs restant sur ses positions avec une difficile
rencontre des logiques, des intérêts et des enjeux.
4.3.2. Les acteurs humains délaissés
Une traduction infructueuse : quel concept pour quels objectifs ?
Le récit de l‟étude conduite sur la Vallée de la Chimie nous dévoile peu à peu une
démarche qui s‟est concentrée sur l‟utilisation d‟outils techniques pour collecter des données
de flux. L‟apparente rigueur des outils utilisés contraste avec le flou qui semble entourer, pour
les acteurs non réalisateurs, le concept de l‟EIT et les objectifs de l‟étude. L‟une des
premières difficultés concerne le concept lui-même. On se rend compte que certains acteurs
ont compris ce qu‟était l‟EIT et que d‟autres non. Avec leurs mots, les premiers expriment
assez précisément les enjeux d‟une démarche d‟EIT:
« Moi je pense que l‟écologie industrielle consiste à rationnaliser et mutualiser des flux dans
l‟objectif de minimiser l‟impact environnemental tout en tenant compte des différentes contraintes,
ça va être économiques, géographiques, politiques, etc. » (Industriel 3, Responsable
communication).
« Si je cherche à la redéfinir en fonction de ce que j‟ai appris à travers cette étude, je peux vous
dire que l‟écologie industrielle c‟est l‟optimisation de tous les flux industriels pour minimiser les
impacts environnementaux et puis pour faire des économies sur tous les plans. Oui finalement c‟est
ça, trouver des synergies, minimiser les impacts et faire des économies. » (Industriel 4,
Responsable HSE 1).
108
109
Cette personne était également l‟un des interlocuteurs de l‟équipe pendant l‟étude.
Idem.
143
D‟autres, en revanche, ne semblent pas avoir compris ce qu‟était l‟EIT et ce décalage est
intéressant à souligner :
« On peut comprendre le concept écologique et encore que c‟est une définition assez vague,
industrielle oui, mais écologie industrielle ce n‟était pas forcément d‟une grande clarté. Ca ne l‟est
pas tellement plus maintenant. » (Industriel 4, Responsable HSE 2).
« Quand le concept, cette démarche va s‟étendre, si elle s‟étend, il faudra bien préciser qu‟est-ce
que c‟est que l‟écologie industrielle. Moi ça je ne l‟ai pas senti. Alors après on peut analyser
« écologie » qu‟est-ce que ça veut dire, « industriel » qu‟est-ce que ça veut dire, et quand on
associe les deux, qu‟est ce que ça veut dire, mais je pense qu‟il y a un travail à faire là-dessus.
Simplement en expliquant en deux ou trois phrases très simples mais que le concept soit clarifié. »
(Industriel 8, Direction de site).
Le fait qu‟un directeur de site, présent à chaque rencontre, n‟ait pas compris non plus les
enjeux de la démarche, est un signe important. Puisque nous ne pouvons trancher pour dire
s‟il est de bonne ou mauvaise foi dans ce propos, il nous faut considérer que c‟est le signe
manifeste d‟une difficulté dans l‟explication du concept, d‟une lacune dans l‟exercice de
traduction : le message n‟est pas passé et tous les industriels n‟ont donc pas compris quel
pouvait être l‟intérêt de la démarche.
Au-delà de la question du concept, ce sont les objectifs de la démarche qui n’étaient
semble-t-il pas clairs. Cette étude a été conduite comme une analyse de la situation
industrielle du territoire de la Vallée de la Chimie ; sa dimension essentiellement descriptive a
dérouté les partenaires à la fois industriels et institutionnels :
« La vision somme toute c‟est que cette étude a laissé un sentiment d‟inachevé. C‟est à dire qu‟elle
n‟a pas réussi à réduire la complexité. La complexité au sens de maillage, la complexité de la
réalité industrielle et territoriale. C'est-à-dire qu‟il y a des industriels qui sont certes dans la
chimie mais il y a tout de même des activités assez différentes, qui ont des connectiques assez
variables. Donc l‟étude finalement a rendu compte de cette complexité mais je ne suis pas sûr
qu‟elle ait contribué à la réduire. » (Industriel 3, Cadre institutionnel).
Le sentiment de déception que l‟on retrouve dans certains propos concernant les résultats
de l‟étude en est une illustration complémentaire. Ce d‟autant plus qu‟ils sont presque
contradictoires :
« Les résultats, y‟en a des résultats mais je trouve qu‟ils sont très généraux : avoir fait une étude
de flux sur je ne sais pas combien de flux et arriver à la conclusion qu‟il faut que les entreprises
fassent des audits énergétiques et leur bilan carbone… Je me dis tout ça pour ça. Alors après
quand on creuse, on voit qu‟il y a quand même des gens qui se sont rendu compte qu‟ils pouvaient
mutualiser. Voilà, donc là c‟est vrai qu‟il y a quand même eu des choses intéressantes qui ont
émergé. Mais moi ce n‟est pas une étude que je citerais en exemple. » (Financeur 1, Chargée de
mission).
144
« Les résultats ne correspondaient pas tout à fait à ce qu‟on attendait. Alors moi je suis, après ça
dépend de la personne je pense, mais moi je m‟attendais à avoir plein de chiffres. J‟aime bien les
chiffres (rires) et donc du coup je m‟attendais à avoir alors pas par entreprise les résultats des flux
parce que ça on est d‟accord c‟est du confidentiel, mais par contre sur le territoire, vraiment avoir
une synthèse, en gros une synthèse où tu as tous les flux entrants et tous les flux sortants. Parce que
du coup ça fait partie des chiffres dont on a besoin pour expliquer ou pour extrapoler derrière sur
la totalité de la Vallée de la Chimie sur d‟autres études. Ce sont des choses dont on peut se
resservir après. » (Financeur 2, Chargée de mission).
Peut-être alors est-ce justement du côté des attendus de l‟étude qu‟il y a eu
incompréhension. Peut-être qu‟au départ, il n‟a pas été décidé suffisamment clairement ce à
quoi devait aboutir cette étude et le niveau de « concrétude » que les acteurs pouvaient en
attendre :
« Il aurait peut-être davantage fallu trancher sur le statut que l‟on souhaitait donner à ce travail :
est-ce que c‟était un préliminaire à un travail très opérationnel qui aurait peut-être requis de
mobiliser d‟autres moyens de compétences sur un certain nombre de sujets plus spécifiques. Peutêtre une petite insuffisance sur la réflexion amont sur la définition exacte du cahier des charges et
sur la portée. Les présupposés quoi. Les attendus. Est-ce que ça a été suffisamment discuté avec les
donneurs d‟ordre, qu‟est-ce qu‟en attendait la DRIRE précisément, je ne sais pas. » (Industriel 3,
Cadre institutionnel).
On s‟aperçoit d‟ailleurs que les industriels n‟étaient pas les seuls à ne pas savoir de quel
type d‟étude il était question et quel statut lui donner, malgré des ambitions apparemment
stabilisées comme nous l‟évoquions plus haut. Les documents à notre disposition nous
permettent de constater, au Tableau 22 ci-dessous, que pour les réalisateurs comme pour les
financeurs qui soutenaient la démarche, les attendus et ambitions de cette étude n‟avaient en
fait pas de contours bien définis :
Présentation des objectifs de la démarche 110
Sources
« La finalité du projet est d‟engager un ensemble
d’acteurs sur le Sud de Lyon (publics, privés et
institutionnels) dans une démarche d’écologie
industrielle et territoriale concourant à appréhender
collectivement le devenir du territoire entre Lyon et
Roussillon. »
Cadrage de la mission de l‟INSA de Lyon, telle que
supportée par les administrations, 2006
« INSA Lyon travaille à la mise en place d’une
réflexion exploratoire sur la notion d’Ecologie
Industrielle. »
Courrier de la DRIRE Rhône-Alpes aux différentes
entreprises, 2007
« L‟objectif est d‟établir un bilan des flux issus des
principales activités de la Vallée de la Chimie en vue
de dégager des synergies possibles entre les acteurs
économiques présents. »
Document de présentation de la démarche rédigé par
l‟équipe de réalisation, 2007
« Elaborer une méthodologie d’analyse des flux
Note de synthèse pour le laboratoire STOICA de
110
Nous soulignons.
145
matières et énergie transitant sur un périmètre étendu
de manière à en établir la cartographie, l‟analyse puis
la préconisation de scénarios d‟optimisation. »
l‟INSA de Lyon, 2008
Tableau 22 Ŕ Objectifs flottants de l’étude de la Vallée de la Chimie
Au moment des entretiens donc après la fin de l‟étude, il y a en effet eu une prise de
conscience marquée des imprécisions latentes dans le montage du projet.
« Est-ce qu‟il y avait vraiment chez les porteurs de projet la conviction que ça pouvait aboutir à
une espèce de plateforme d‟échanges ? Si ça a été le cas, c‟était peut-être un peu illusoire : dire
qu‟ils allaient révéler des opportunités de business qui ne se seraient pas révéler par ailleurs. (…)
Mais quand même, il y a une réflexion importante à mener sur les attendus, les objectifs de la
mission, quelle est la valeur ajoutée qu‟elle va pouvoir apporter ? » (Industriel 3, Cadre
institutionnel).
« Déjà je pense que dès le montage du projet on n‟a pas été clair sur ce qu‟on voulait. On a dit on
y va pour voir. Quand je relis la convention qu‟on a passée avec l‟INSA, elle n‟était pas très claire.
C‟était d‟arriver à un schéma global de flux de la vallée de la chimie. On a une patatoïde et un
fichier avec je ne sais pas combien de flux. C‟est un exercice qui intellectuellement est intéressant,
mais moi, qu‟est-ce que je vais en faire maintenant ? Et les industriels ils vont en faire quoi ? »
(Financeur 1, Chargée de mission).
Le discours sur les enjeux et attendus de l‟étude ne pouvait pas être cohérent puisque le
travail préalable de définition des ambitions de cette étude semble avoir été inachevé. Dans ce
contexte, il n‟est pas étonnant que les différents acteurs aient eu leur propre interprétation des
intérêts de cette étude et qu‟ils aient ainsi été déçus, en fin de parcours, lorsque les résultats se
sont révélés en décalage avec l‟image qu‟ils s‟en étaient faits. Si un certain « flou » au
démarrage de la démarche a sans doute permis de mettre les acteurs autour de la table
en permettant à chacun de se faire sa propre idée, cela s’est avéré gênant pour la suite
de la dynamique.
Qui fait quoi et pourquoi ?
Dans la droite ligne du constat précédent, les répondants mentionnent qu‟il a manqué
d‟explicitations générales tant dans les documents écrits qu‟au moment des rencontres et des
échanges directs. Visiblement, le courrier qui a été adressé aux entreprises par la DRIRE ne
brossait d‟ailleurs pas suffisamment le contexte de l‟étude :
«Le problème c‟est que la lettre était assez laconique. Par rapport à l‟objectif et puis au descriptif.
C‟était une demi page (…) On ne brossait pas du tout le contexte. Donc on ne savait pas à qui
c‟était envoyé. On aurait eu la liste des destinataires, ce n‟était pas plus mal. Alors je me suis bien
douté que je n‟étais pas le seul, mais je veux dire je pense que c‟était mal introduit. » (Industriel 6,
Direction de site).
146
L‟extrait de cette lettre rapporté dans le Tableau 22 précédent le souligne. On peut y lire
par ailleurs que les « synergies recherchées » le sont dans l‟ « intérêt de tous » mais il n‟est
jamais précisé ce qu‟est une démarche d‟EIT, quels sont les autres acteurs du territoire
sollicités ni dans quel but. Ces éléments semblent pourtant être essentiels :
« On me demande de me livrer un peu quoi, de me mettre à nu sur des choses bon. Les flux de
matières on doit en être fier mais peut-être qu‟on n‟a pas envie de les dire à tout le monde quoi.
Donc on est un peu dans le très personnel quand on demande aux gens « donnez-moi vos flux ».
Donc je pense que, si on perçoit ce qu‟on touche quand on demande ça à un industriel, comme à
une personne, si on lui demande de donner des choses très personnelles Ŕ sa température de le
matin Ŕ il faut vraiment expliquer pourquoi. Et comment dans le processus, cette recherche
d‟information se situe. » (Industriel 1, Cadre institutionnel).
Si donc le courrier adressé par la DRIRE a eu l‟effet d‟entraînement attendu par les
réalisateurs qui l‟avaient explicitement demandé, parce que précisément il était envoyé par la
DRIRE, il a brouillé les pistes en quelque sorte et n‟a pas convaincu de l‟intérêt de la
démarche et du « pourquoi la mettre en œuvre ». L‟étude a souffert d‟un manque de
contextualisation. Les acteurs ayant participé à la démarche n‟ont pas su comment « classer »
l‟étude réalisée ni à quoi la rattacher ; pourquoi et par qui elle avait été mise en œuvre ni ce
qu‟elle devait produire et cela semble avoir fait naître de l‟inquiétude :
« Ce qui était moins clair c‟était les attendus de l‟étude. Dans la mesure où c‟était mandaté par la
DRIRE, qu‟est-ce que eux allaient en faire. Voilà. On a bien compris que c‟était une étude globale
qui était demandée par la DRIRE, ce qu‟on a peut-être moins compris c‟est de savoir ce qu‟ils en
feraient quoi. » (Industriel 4, Responsable HSE 1).
Pour simplifier et puisqu‟il leur était demandé d‟accepter de fournir les données liées à
leurs activités, certains ont rapproché la démarche des rapports mensuels ou annuels qu‟ils ont
à produire perdant du même coup la vue générale et les enjeux de cette démarche d‟EIT:
« C‟est vrai que nous on n‟avait pas eu énormément d‟explication par rapport à votre mission. Ce
qu‟on avait compris c‟est que c‟était récupérer un certain nombre de données en termes
environnemental principalement sur le site c‟est-à-dire les rejets, il y avait aussi les déchets, donc
voilà. Et comme c‟était dans une période où nous aussi on faisait pas mal de reporting on se disait
bon, c‟est un reporting de plus quoi. » (Industriel 4, Responsable HSE 2).
On s‟aperçoit ici qu‟il n‟est donc pas si simple de parler d‟une approche gagnant-gagnant:
alors que pour les réalisateurs qui sont parvenus à mobiliser des financeurs, l‟intérêt de
conduire une démarche d‟EIT sur la Vallée de la Chimie n‟est plus à prouver, pour les
industriels à qui l‟on demande de rendre le fonctionnement de leur activité transparent, ce
n‟est pas aussi évident. La signature qu‟ils ont apposée au bas de la convention conclue avec
147
l‟INSA de Lyon n‟est pas le signe d‟une compréhension fine ni d‟une adhésion forte à la
démarche, comme on pourrait le penser dans un premier temps.
Le regard sur l’étape d’intéressement doit donc être plus nuancé. A ne regarder que le
nombre d‟organisations et d‟individus impliqués, l‟énergie investie dans le déploiement et
l‟utilisation d‟outil ou objets dédiés et la quantité d‟informations récoltées, on serait tenté de
croire que la démarche a réellement suscité de l‟intérêt et que les différents acteurs y ont
activement participé. Or les verbatim que nous avons rapportés nous indiquent que ce n‟est
pas le cas. Malgré un tour de table en apparence fourni, on ne peut pas, dans les termes de la
ST, parler d‟un intéressement des acteurs réussi, on ne peut pas dire que la démarche ait
trouvé des alliés dans son environnement, capables de la porter, de l‟encourager et de la
défendre. Le travail de traduction qui aurait dû permettre de relier ce qui auparavant ne
l‟était pas, c‟est-à-dire ici les industriels avec les réalisateurs, les industriels avec les
financeurs et ultimement, les industriels entre eux pour des échanges de flux n’a semble-t-il
pas fonctionné : l‟intérêt de la démarche n‟a pas été perçu collectivement.
Nous progressons dans la compréhension du processus de la démarche d‟EIT sur la Vallée
de la Chimie. La section précédente semblait indiquer que l‟exercice de problématisation était
réussi parce que les promoteurs de projets – c‟est-à-dire l‟équipe de réalisation – était parvenu
à stabiliser des ambitions à l‟étude, mobiliser des financeurs et des industriels, soit délimiter
un problème posé et distribuer les rôles aux différents acteurs pour atteindre les résultats
attendus. On s‟aperçoit cependant qu‟après avoir donné un accord de principe en signant la
convention, les industriels ne se sont pas emparé de l‟étude et ne se la sont pas appropriée.
Puisque les différentes phases du processus décrit par la ST sont liées, le constat de
l‟intéressement limité des acteurs dans cette démarche pourrait s‟expliquer par le fait que le
travail de problématisation n‟a pas été un processus collectif. La délimitation du problème
posé, du projet d‟étude, ainsi que la distribution des rôles n‟ont pas fait l‟objet
de « controverses ». Elles ne résultent pas de discussions entre les différents acteurs et ne
sont pas le produit de la confrontation des intérêts de chacun puis de leur stabilisation.
Amenées de l‟extérieur par les réalisateurs elles ont été suffisantes pour intéresser les
financeur et constituer un tour de table, mais pas pour que les industriels s‟y reconnaissent et
y trouvent leur juste place. Dit autrement, si pour l‟obtention de financements et de données
de flux, la description des intérêts et potentiels de la démarche ont apparemment suffi, pour
l‟intéressement effectif des industriels, pour une participation active de ces derniers, ce n‟est
148
clairement
pas
le
cas.
Où
se
trouve
le
nœud
des
difficultés ?
Qu‟est-ce qui a empêché l‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles ?
4.4.
ENROLEMENT
ET THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES
C‟est en avançant dans le processus et en y pénétrant avec davantage de profondeur que
nous pensons pouvoir comprendre, à la fois pourquoi certaines choses ont été produites et
pourquoi d‟autres non.
4.4.1. Une production réussie : l’étude de flux de matières et de flux d’énergies
Un contexte initial partagé
Sans doute l‟un des premiers éléments à mentionner ici est le constat que finalement, la
démarche d‟EIT s‟inscrit en droite ligne de ce que font déjà les entreprises. Alors que les
financeurs s‟inquiétaient de la volonté qu‟auraient les industriels à participer à une telle
approche111, on voit que dans les faits, certains principes prônés par l‟EIT ne sont pas des
découvertes pour ces industriels. La question de l‟optimisation en est un exemple : souvent
pensée dans un souci de performance environnementale pour les praticiens de l‟EIT, elle est
aussi liée à la compétitivité des activités et fait partie du quotidien du monde industriel :
« Aujourd‟hui, l‟organisation est basée sur des grands processus transversaux qui sont pris en
compte par des organisations qui existent au moins au niveau national. (…) Justement parce qu‟il
y a déjà eu ce souci de mutualisation au niveau du groupe pour économiser ses ressources au sens
large (…) Moi j‟ai un animateur environnement qui gère les déchets du site, il a ce souci
permanent. » (Industriel 4, Responsable HSE 2).
« On n‟en parle pas mais il y a des choses qui se font naturellement. L‟écologie industrielle, on en
fait déjà. Moi je crois que c‟est ça qui est important, on ne faisait pas à l‟échelle que vous avez
déterminée dans votre étude mais il y a déjà des actions qui se font, il y a d‟autres actions qui se
font en parallèle. Donc votre étude elle contribue à tout ça. » (Industriel 3, Responsable
communication).
Bien qu‟il y ait eu des contradictions non explorées entre d‟un côté les acteurs qui avaient
compris le sens de la démarche et de l‟autre, ceux qui ne l‟avaient pas compris, on s‟aperçoit
qu‟un certain nombre d‟actions ont pourtant été menées dans les entreprises et qui vont dans
le sens des principes de l‟EIT. Les industriels n‟ont pas attendu l‟équipe de réalisation pour
s‟accorder sur l‟idée que l‟union fait la force. Réunies de toute façon en syndicat et clubs
d‟entreprises divers, les entreprises de la chimie savent se rendre service quand il le faut. Si
111
Rappelons ici que la DRIRE avait exigé pour continuer à soutenir la démarche que les réalisateurs
parviennent à mobiliser au moins cinq industriels de la Vallée de la Chimie.
149
effectivement, le fait qu‟elles se positionnent sur un même type de marché en fait des
entreprises concurrentes, elles sont aussi capables de tirer parti de la proximité de leurs
activités quand une conjoncture spécifique l‟exige:
« Un SWAP c‟est tu vends un produit, mais j‟ai besoin de livrer un client dans le nord de l‟Europe,
tu as un stockage qui est tout près, toi tu as un client qui est dans le sud de l‟Espagne, j‟ai un
stockage qui est tout prêt, bah mes clients c‟est toi qui les livre dans le nord de l‟Europe et tes
clients c‟est moi qui les livre dans le sud de l‟Espagne. C‟est ça. Il y a des dépannages aussi : à un
moment donné on a un pépin de production, on a besoin de méthionine, bah on va voir notre
concurrent en disant « est-ce que tu peux nous vendre tant de tonnes de méthionine pour
dépanner.» Ca, ça se fait mais c‟est toujours très réglementé, très codifié. » (Industriel 8, Direction
de site).
L‟échange et la mutualisation encouragés par l‟EIT sont d‟ailleurs aussi des pratiques
acceptables, déjà adoptées par certaines entreprises :
« Par rapport au projet, par rapport à l‟écologie industrielle je trouve ça très bien d‟arriver à
mutualiser les flux. C‟est autant du développement économique que de l‟environnement quoi en
gros. Maintenant c‟est vrai que quand tu parles de l‟écologie industrielle aux gens, y‟en a plein qui
disent « on n‟a pas besoin de parler d‟écologie industrielle, de toute façon, mettre en commun des
choses on le fait déjà. » (Financeur, Chargée de mission).
« Sans dévoiler de secret industriel, aujourd‟hui on a un sous-produit issu d‟un des ateliers de
production pour lequel on a des filières d‟élimination en tant que déchets qui sont en place, pour
faire face, mais pour lequel on essaie de promouvoir la valorisation auprès de certains clients
parce que ça contient de l‟ordre de 40 à 50% d‟un produit bien défini qui est valorisable pour eux.
Ca de toute façon c‟est un souci permanent qu‟on a. » (Industriel 4, Responsable HSE 2).
Finalement, l‟étude a rencontré les logiques existantes des industriels:
« Il y a une raison de cohérence par rapport à notre politique parce qu‟on essaie toujours d‟aller
plus loin et tous les ans on est vraiment dans le sens de l‟amélioration continue pour toutes ces
questions de développement durable et de responsabilité sociétale. On est une société cotée en
bourse qui a nécessité de produire des bilans par rapport à ces questions là devant la communauté
des actionnaires, devant la communauté financière etc. Donc on a un rapport responsabilité
sociétale qui sort tous les ans, et on essaie tous les ans de montrer qu‟on est allé plus loin. Donc à
chaque fois qu‟on peut je dirais se brancher sur quelque chose qui nous est proposé et qui nous
semble intéressant, bon bah voilà, c‟est normal qu‟on suive une bonne idée s‟il en est. » (Industriel
5, Responsable communication).
« Moi ce que j‟avais surtout retenu c‟est que ce projet d‟écologie industrielle, il collait quand
même de très près aux problématiques de l‟industrie chimique. Dieu sait que les chimistes ont les
oreilles qui sifflent régulièrement, c‟est quand même bien parce que de par nos activités, de par
nos impacts potentiels, l‟industrie chimique est quand même l‟une des industries les plus
concernées par toute la réglementation environnementale. Et donc le souci d‟optimisation en
termes d‟écologie... Il y a quand même des types d‟activités qui sont moins concernées que
d‟autres. Si vous prenez par exemple la problématique des déchets industriels dangereux, je pense
que l‟industrie chimique est parmi les plus gros contributeurs. Donc le souci de réduire nos
impacts, de produire propre, c‟est quand même un souci qui existe à un degré élevé dans nos
préoccupations. » (Industriel 4, Responsable HSE 1).
150
Participer avec plus de 15 sites industriels à une démarche d’EIT était nouveau pour
les entreprises impliquées, mais le contenu de la démarche était en cohérence avec leurs
modes de penser et d’agir. Si le courrier qu‟ils ont reçu de la DRIRE a enfoncé le clou
davantage, force est de constater que l‟optimisation de l‟utilisation des ressources ou tout à
fait neuf pour les industriels de la chimie. Ce sont des choses qu‟ils connaissent, pratiquent et
dont ils parlent entre eux. C‟est peut-être d‟ailleurs ce qui pourrait expliquer que la collecte de
données a abouti, que l‟étude de flux a pu être menée à bien et qu‟elle ait bien permis
d‟identifier des pistes de progrès possibles pour ces industriels.
Des productions notables
Effectivement, les outils informatiques et le focus sur la collecte de données, ont permis
d‟identifier les flux les plus importants du périmètre étudié. Importants par leur quantité, le
tonnage utilisé ou par leur occurrence, c‟est-à-dire par le nombre d‟entreprises qu‟ils
concernent. Les résultats principaux sont rapportés dans le Tableau 23 suivant :
Flux
Quantité
Entrante
Transport
(en tonne, T)
40 300 T
(3 entreprises)
95% Fluvial
5% Route
Acide
Chlorhydrique
3 400 T
(4 entreprises)
100% Route
Acide
Sulfurique
66 000 t
(4 entreprises)
100% Route
54 100 t
(7 entreprises)
646 400 MW/h
(14 sites)
40% Fer
60% Route
Electricité
Dioxyde de
Carbone
Transport
(en tonne, T)
Méthanol
Soude
Quantité
Sortante
28 000 T
(3 entreprises)
3% Fer
97% Route
277 050 t
(2 entreprises)
Pipe
Route
Fer
305 700 MW/h
(3 entreprises)
985 000 t
(7 entreprises)
Tableau 23 Ŕ Principaux flux identifiés sur la Vallée de la Chimie
C‟est à partir de ce tableau que l‟équipe a pu formuler et proposer les pistes de progrès et
d‟actions collectives, que les industriels pourraient mener ensemble et qui concernent des
questions de logistique, de maîtrise énergétique, de traitement de déchets, etc. Ces pistes de
progrès, soumises aux industriels et aux financeurs, ont également été présentées lors de la
réunion publique de restitution des résultats de l‟étude. Il s‟agit donc là des résultats les plus
visibles, ceux qui sont considérés et nommés comme tels et qui ont été détaillés dans le
151
rapport final de l‟étude. Entre avant et après l’étude, on peut donc noter une production
importante de nouveaux savoirs.
Au-delà de ces pistes sur les flux principaux, l‟étude a en effet permis l’accumulation de
connaissances générales sur le fonctionnement de seize sites industriels du territoire de la
Vallée de la Chimie. Avant cela, aucun travail aussi exhaustif n‟avait été mené en ce sens.
Avec le concours des entreprises participantes, l‟équipe de réalisation a investigué et
rassemblé un grand nombre d‟informations tangibles sur les matières et énergies nécessaires
et utilisées par ces entreprises. Le savoir ainsi produit, conforte les experts dans l‟idée que
des optimisations dans l‟utilisation des flux et de fonctionnement sont possibles et apporte
aux entreprises une vision d‟ensemble de leur fonctionnement pour chaque site. Nous
insistons ici sur les 750 flux répertoriés, analysés et classés ainsi que sur les 20 catégories qui
ont été proposées pour les opérationnaliser. Ce travail d‟inventaire et de « simplification »
n‟avait jamais été effectué auparavant. Cette connaissance fine de l‟organisation et du
fonctionnement des 16 sites industriels est alors apparue pour les experts qui en avaient la
charge comme le premier pas nécessaire pour l‟identification des pistes d‟actions collectives
proposées. Avec plus de 100 pages, le rapport final lui-même est à compter au nombre des
productions de connaissances.
Par ailleurs, cette étude a été rendue visible et a laissé des traces. Des traces écrites
d‟abord. Un journaliste est venu lors de la soirée de restitution des résultats et a publié un
article en ligne112 relatant cette démarche. Un récit de l‟étude conduite restera ainsi dans les
archives de cette revue consacrée aux questions environnementales de la Région RhôneAlpes. Certaines entreprises en ont aussi fait mention dans leurs rapports environnement
annuel comme par exemple :
« Avec d‟autres entreprises de la Vallée de la Chimie au Sud de Lyon, la Région Rhône-Alpes et les
administrations concernées et avec l‟aide d‟organismes spécialisés, Trédi s‟est engagé dans une
cartographie quantifiée de ses flux et stocks de matières, d‟énergie et de ressources utilisées ou
rejetées dans son périmètre industriel. Le bilan est destiné à améliorer les synergies entre divers
opérateurs. » (Rapport Sociétal de Trédi113, 2008).
En plus des traces écrites, des présentations orales et des témoignages ont été apportés
qui, par le biais des invitations envoyées ou des souvenirs qu‟en garderont les personnes qui y
ont participé, marquent davantage le territoire :
112
113
www.enviscope.com.
Dans le chapitre intitulé : « L‟intégration au territoire, empreinte économique et initiatives citoyennes. »
152
« C‟est-à-dire que moi je reçois toute l‟année des visiteurs sur ce site et en grande majorité des
industriels clients et quand le sujet s‟y prêtait bien évidemment j‟ai souvent été amenée à parler de
ce projet pour illustrer un petit peu les démarches qu‟on pouvait faire dans le sens du
développement durable. » (Industriel 5, Responsable Communication).
« Comme je suis Président du MQRA, j‟en ai parlé à la Chambre de Commerce et d‟Industrie de
Valence. Parce qu‟ils ont un club développement durable qui a fait une présentation de l‟écologie
industrielle. Je leur avais envoyé comme conférencier, comme intervenant mon collègue d‟Osiris
pour faire une intervention sur l‟écologie industrielle. (…) Comme quoi le groupe de travail a
débouché : deux conférences sur l‟écologie industrielle. Si chacun avait fait la même chose. »
(Industriel 6, Direction de site).
« Pour dire comme j‟y croyais, à toutes les semaines du développement durable, chaque fois que le
Préfet nous demandait des propositions je vendais l‟étude quand même. Le Préfet du Rhône m‟a
demandé, après le Préfet de Région et je leur disais « on a une super étude, vous allez voir,
l‟optimisation des flux en Vallée de la Chimie… » J‟ai fait des notes pour vendre l‟étude. »
(Financeur 1, Chargée de mission).
L‟étude a aussi été présentée lors de l‟Université d‟Eté de l‟Environnement organisée à
Lyon en 2007 ou sur le salon de Pollutec114 en 2008. Une émulation s‟est créée autour de cette
démarche : les réalisateurs y ont cru, les financeurs y ont placé un certain nombre d‟attentes et
les industriels ont accepté d‟y participer. Elle a été racontée, expliquée, montrée à des
organisations et des individus qui n‟en faisaient pas partie. Elle s‟est enfin diffusée auprès de
différents réseaux et organismes reconnus de la Région.
Il y a ici des décalages surprenants et par là intéressants à souligner :
-
d‟abord, alors que les industriels ont effectivement accepté de se mettre autour de la
table dans la démarche, il faut rappeler la difficulté qu’il y a eu à les mobiliser
pendant l’étude, tant pour les rendez-vous sur site que pour les COPIL ou la
fourniture de données ;
-
également et alors que ces derniers semblent familiers de certains principes phares de
l‟EIT – optimisation, synergies, etc. – et des approches coopératives – via les réseaux
auxquels ils appartiennent ou les échanges de flux qu‟ils savent faire quand il le faut –
on ne peut que constater le manque de suites opérationnelles de la démarche ;
-
enfin et alors qu‟ils ont participé à l‟étude, à la constitution de la base de données et
donc à la production du savoir qui en a résulté, ils se disent déçus par les résultats de
la démarche.
114
Pollutec est un salon référence dans le domaine de l‟environnement qui se tient tous les ans en alternance
entre Paris et Lyon. L‟ensemble des secteurs d‟activités liés à la préservation de l‟environnement y est représenté
ainsi que les dernières innovations notamment technologiques mais donc aussi en matière de gouvernance
territoriale.
153
Parce qu‟ils ont contribué à la production de ces connaissances, il nous parait plus juste
d‟attribuer la déception que les industriels mentionnent, non pas à ce qui a été effectivement
produit mais plutôt à ce qui ne l‟a pas été. Autrement dit, aux transpositions pratiques de ces
connaissances, aux synergies inter-organisationnelles qui n‟ont pas vu le jour. A ce titre, les
limites de l‟intéressement des acteurs et les difficultés d‟enrôlement ne nous semblent pas
pouvoir s‟expliquer par les problèmes de compréhension évoqués plus haut. Contrairement à
ce que pensaient les réalisateurs et avec eux les financeurs, les objectifs de l‟étude c‟est-à-dire
la réalisation d‟un bilan de flux, ont été atteints mais n‟ont pas permis d‟enclencher la
dynamique coopérative attendue. Nous pouvons alors avancer l’idée que ce qui permet de
réaliser un métabolisme industriel et territorial Ŕ la mobilisation de financements,
d’acteurs industriels, la mise en place d’une collecte de données, etc. Ŕ ne permet pas en
même temps d’initier les coopérations inter-organisationnelles requises pour la mise en
œuvre des recommandations issues de ce métabolisme.
Face à ces analyses, nous ne pouvons que souligner notre étonnement :
-
alors que des institutions ont été d‟accord pour soutenir financièrement la démarche ;
-
alors que des industriels ont accepté de se mettre autour de la table et d‟y participer ;
-
alors que, dans l‟ensemble, les principes de l‟EIT liés notamment à l‟optimisation des
flux ne leur sont pas étrangers,
-
alors que l‟étude a proposé un certain nombre de résultats scientifiquement établis et,
-
alors qu‟enfin, elle a été valorisée par des communications ultérieures
force est de constater que la dynamique de cette démarche n‟a pas permis l‟enrôlement des
acteurs : la traduction ne s‟est pas faite. Il nous faut alors pousser l‟investigation plus loin.
4.4.2. Une production manquée : l’initialisation de coopérations
Le collectif, un exercice difficile
Les industriels reconnaissent qu‟à défaut d‟envie de participer, une règlementation très
contraignante c‟est-à-dire inscrite dans les textes de lois, les encourageraient à participer aux
démarches d‟EIT et nous savons avec Hoffman (1999) que c‟est effectivement une façon
efficace de faire évoluer les modes de produire et de consommer des entreprises:
« Je pense que je tâcherais de faire que ce soit une préconisation à un haut niveau. C'est-à-dire
que ça puisse être quelque chose qui soit demandé expressément par le Ministère de
l‟Environnement ou quelque chose comme ça quoi. C'est-à-dire qu‟en fait ce soit directement les
154
responsables politiques qui saisissent directement les industries. De telle manière à ce que le
Directeur de Rhodia par exemple je ne sais pas ou, ce ne soit pas la DRIRE qui lui pose la
question, mais son Directeur groupe sous la demande expresse du Gouvernement. Quelque chose
qui puisse être dans le cadre du Grenelle je ne sais pas. Et du coup, ça ne devient pas une histoire
de volontariat de se dire « bah pourquoi pas, etc. », ça devient quelque chose d‟obligatoire donc il
faut le faire, donc il faut trouver les solutions et ce n‟est plus qu‟une question d‟être bien vu par les
uns et les autres parce qu‟on s‟est inscrit dans le projet. » (Industriel 5, Responsable
communication).
« Alors il faudrait faire remonter ça et imposer les choses. Il faut des mécanismes incitatifs. Ca
pourrait être des démarches qui deviennent obligatoires : avant d‟utiliser des matières premières
qu‟on ait bien regardé qu‟il n‟y avait pas des choses qui pouvaient être recyclées ou
revalorisées. » (Industriel 5, Direction de site).
On peut d‟ailleurs observer à quel point le courrier envoyé par la DRIRE a eu cet effet
d‟entraînement :
« Mais assez clairement, si il y avait quelque chose qui était lancé comme ça avec cette ambition
qui était en plus avec un portage de la part d‟institutions comme le Conseil Régional, la DRIRE, de
toute façon il était hors de questions, même si on n‟avait rien à en tirer, entre guillemets parce
qu‟on ne savait pas, mais il était hors de question qu‟on n‟y soit pas. » (Industriel 5, Responsable
communication).
« C‟est-à-dire qu‟à partir du moment où j‟ai compris qu‟il y avait à la fois l‟Université de Lyon à
travers l‟INSA de Lyon d‟une part, que c‟était cofinancé par la Région et la DRIRE d‟autre part, et
bien je me suis dit somme toute, on a quand même une très forte implantation en Région RhôneAlpes, on a des relations continues avec la DRIRE et le Conseil Régional, il serait plutôt
discourtois de ne pas participer à l‟étude. » (Industriel 3, Cadre institutionnel).
La présence des institutions comme le Conseil Régional et la DRIRE a été en effet un
élément moteur dans l‟acceptation initiale des entreprises à participer à la démarche.
Service déconcentré de l‟Etat, la DRIRE représente l‟autorité régalienne à qui il est difficile
de dire non. Au démarrage en effet ; cet élément a probablement été décisif pour mobiliser les
entreprises qui n‟en voyaient pas l‟intérêt immédiat, même si en fin de compte et comme
indiqué plus haut, cela pouvait correspondre assez bien à certaines de leurs pratiques :
« Donc c‟est tout à fait typiquement le genre de sujet pas prioritaire donc il faut relancer, il faut
rappeler et puis voilà quoi (…) Ca peut être perçu comme n‟étant pas prioritaire parce qu‟on est
sur des enjeux à moyens termes déjà, qui sont perçus comme étant à moyen termes, on est sur des
enjeux où on sent que ça va bousculer certaines habitudes, certaines façons de faire, donc
pourquoi se lancer là-dedans tout de suite ? En plus comme ce n‟était pas une démarche qui
arrivait de l‟intérieur de l‟ensemble des entreprises qui étaient sollicitées, il y a toujours ce côté de
se dire « bon bah si ça ne vient pas de chez nous, c‟est que ce n‟était pas si important que ça quoi.
Parce que si c‟était important, on l‟aurait déjà initié en interne quoi. » (Réalisateur 2, Expert).
Des nuances doivent être apportées à ces propos. La réglementation peut permettre une
convergence des intérêts mais dans un premier temps seulement et à un premier niveau.
155
Dans un premier temps parce qu‟elle ne garantit pas une mobilisation pérenne des acteurs et à
un premier niveau, parce qu‟elle n‟encourage pas les acteurs à s‟investir dans la démarche :
« Quand on reçoit un courrier de la DRIRE c‟est beaucoup plus un courrier d‟injonction là bon
dire qu‟il y avait une étude. Et là bon ce courrier, du fait que c‟était la DRIRE qui l‟écrivait
pouvait être mal perçu par les industriels dans le sens où la DRIRE est une autorité et recevoir
quelque chose de la DRIRE ça a pu être pris par certains industriels comme une contrainte. Moi
quand j‟ai vu ça, je me suis dit est-ce que ça va être obligé ou non. Autant faire quelque chose de
sa propre initiative quand on considère que c‟est bien je dirais on le fait facilement, autant quand
c‟est contraint et quand on ne sait pas très bien où est-ce qu‟on va, la ça devient très vite
insupportable.» (Industriel 8, Direction de site).
« Mais la petite difficulté psychologique c‟est que la DRIRE qu‟on respecte, on est partenaire, ils
nous demandent un service on le rend, mais en même temps la DRIRE elle a un rôle entre
guillemets policier donc il fallait mesurer ça quoi. » (Industriel 1, Cadre institutionnel).
La contrainte fait qu‟on ne peut pas ne rien faire, mais elle n‟incite pas nécessairement à
faire quelque chose :
« J‟ai vraiment eu l‟impression que chacun attendait que l‟autre bouge. Y compris la DRIRE
d‟ailleurs. Je n‟ai pas trouvé forcément le rôle des administrations qui étaient autour de la table
très… ils étaient là, ils assistaient, ils attendaient de voir si les industriels allaient se mettre les uns
avec les autres mais ça n‟a pas été plus que ça. Du coup ils sont repartis avec leur dossier sous le
bras et il ne s‟est plus rien passé. » (Industriel 5, Responsable communication).
Finalement le pouvoir réglementaire semble avoir permis ici de donner une impulsion au
démarrage mais elle s‟est avérée pesante, peu dynamisante et finalement peu créatrice pour le
déroulé et les suites de la démarche. Il est d‟ailleurs intéressant de souligner qu‟il ne s‟agit, en
définitive, que d‟un premier niveau de mobilisation : ni les financeurs, ni les industriels
n‟étaient en fin de compte très impliqués, très intéressés par la démarche. Rappelons que les
premiers ont délégué les efforts de la mobilisation des industriels aux chefs de projet, en
conditionnant leur soutien à la participation effective de 5 industriels et que ces derniers,
semblent de leur côté avoir accepté d‟entrer dans le processus parce que, précisément, il y
avait la présence de ces institutions et de la DRIRE notamment. Les financeurs ne devaient
pas beaucoup « croire » en cette démarche pour n’exiger la présence que de 5
industriels. Les industriels quant à eux, ne devaient pas être dans une posture très
volontariste non plus étant donné qu’ils participaient à la démarche pour répondre à
une demande de la DRIRE.
Nous comprenons mieux alors que cette dimension règlementaire n‟ait pas suffi à orienter
les acteurs vers une approche coopérative. Des efforts importants restaient à fournir pour
156
décloisonner les modes de faire et de penser, et nous voyons ici à quel point, il reste difficile
de sortir du particulier pour créer du collectif.
A ce titre, mentionnons que l‟équipe a rencontré le syndicat représentant la profession au
début de la démarche, l‟Union des Industries Chimiques (UIC). L‟objectif était de lui
présenter l‟étude initiée et d‟obtenir éventuellement son appui, de l‟encourager à diffuser
l‟information auprès de ses membres afin de mobiliser davantage les acteurs industriels.
L‟UIC a refusé ce soutien au prétexte qu‟il était du ressort de chacune des entreprises de
savoir si elle souhaitait ou non s‟intéresser à cette étude. En tant que collectif, l‟UIC n‟a pas
souhaité se prononcer dans un sens ou dans un autre montrant ainsi que l’étude n’a pas
encouragé à sortir des logiques traditionnelles du chacun chez soi:
« Il y avait une grande diversité des acteurs. Avec d‟une part des groupes internationaux qui
réfléchissent et qui agissent au niveau macro économique et donc perpendiculairement à des gens
qui réfléchissent à un niveau de territoire. Donc pour moi, c‟était la difficulté de l‟étude. Je l‟ai
senti dès le départ et je l‟ai senti jusqu‟à la fin. » (Industriel 3, Responsable communication).
« Derrière c‟est stratégiquement, est-ce que chacun est prêt à mettre sur la table « ben moi je
consomme tant de tonnes de souffre par an etc. » donc ça donne des indications très précises sur
l‟activité et ça peut ensuite créer des problèmes au niveau de l‟entreprise puisque vous dévoilez
une partie de votre stratégie. Le gain qu‟on peut faire à ce niveau-là, n‟est pas pour l‟instant
suffisamment perçu comme important pour se lancer dans des démarches communes de
regroupement d‟achat. » (Industriel 8, Direction de site).
L‟ouverture à l‟autre était toujours perçue comme un danger et non comme une
opportunité. Quoique le concept d‟EIT ait pu laisser présager, quoiqu‟aient pu en dire les
experts et chefs de projets, les acteurs industriels sont restés, pour la plupart, campés sur leurs
positions, dans leurs habitudes :
« Ce qu‟il y a de sûr c‟est qu‟il y a des territoires bien plus demandeurs et bien plus souples dans
leur évolution possible que la Vallée de la Chimie. Y‟en n‟a pas qui sont moins souples que ça,
y‟en a pas qui sont pires que ça. Parce que là on a tout ce qu‟il faut pour que ça ne marche pas. A
savoir des entreprises qui sont sur des métiers à haute valeur ajoutée intellectuelle. Donc dont les
gens ont la conviction que eux ils ont la science infuse et pas les autres (…) ils savent tout sur tout
et du coup ils ne peuvent pas supporter qu‟on pose des questions, qu‟on se pose des questions sur
ce qu‟ils font puisque eux ils savent. (…) Ce secteur est absolument persuadé que toutes les
réflexions ont déjà été faites et que leur solution est déjà optimum. Remise en cause très difficile.
Ensuite, autre circonstance aggravante, ce sont des métiers qui existent depuis plusieurs centaines
d‟années (…) ce sont des métiers lourds donc ils sont installés dans leur certitude depuis très
longtemps et y compris dans leur territoire. Et puis pour compliquer le tout, il leur tombe dessus
quelque chose qui est exactement le contraire de tout ça à savoir qu‟ils sont remis en cause sur ce
qu‟ils font, et sur leurs territoires et sur leurs métiers, par la mondialisation qui fait que si ça se
trouve ces géants savant vont disparaître demain parce que quelqu‟un a trouvé comment faire un
centime de moins la tonne à l‟autre bout du monde. Donc ils sont encore moins prêts à la souplesse
et à la réflexion qu‟ils sont certains d‟être en dangers. Et ils sont donc traumatisés en plus. Donc
ils sont à la fois dans un complexe de supériorité on va dire, et de traumatisme. Donc ça fait des
157
gens qui ne peuvent pratiquement pas bouger (…) C‟était la pire situation qu‟on pouvait imaginer.
Sauf si les Directeurs Développement Durable ou à très haut niveau avaient décidé que c‟était une
des stratégies d‟évolution. Mais tant qu‟on leur dit pas, eux ils cherchent à faire attention à ce que
leur situation ne se dégrade pas donc ils ne peuvent pas prendre de risques (…) Ils sont dans des
économies très serrées. Cela n‟a rien à voir avec une start up qui démarrerait et qui est toujours en
train de réinventer son métier. » (Réalisateur 1, Chef de projet 2).
Ce constat est partagé par un acteur industriel qui fait au fond la même analyse. Le partage
des connaissances, la diffusion de l‟information, la reconnaissance des compétences des
autres acteurs impliqués sont des éléments qui peuvent être nécessaires au déploiement d‟une
démarche coopérative d‟écologie industrielle, mais qui restent difficiles à obtenir :
« Il y a toujours ce réflexe de dire bon bah après tout on connaît bien nos métiers, nos métiers sont
compliqués, on est très spécifiques. Il y a toujours ce réflexe. Je dirais que c‟est la réticence
psychologique de toute entreprise, enfin de tout responsable d‟entreprise par rapport à un
consultant. C‟est de dire mais « j‟ai un métier tellement spécifique que vous ne pouvez pas le
comprendre et donc vous n‟êtes pas à même de l‟analyser ». Je pense que là on était dans la même
problématique. C‟est le réflexe d‟auto-défense qui est à la fois un réflexe d‟autolégitimation. C‟est
de dire que ce qu‟on fait est tellement spécifique et tellement compliqué qu‟il est très certain que
vous n‟y comprendrez rien et donc il y a un questionnement d‟emblée sur la légitimité de la
fonction d‟un consultant. » (Industriel 1, Cadre institutionnel).
Il suffit de rappeler que la fin de l‟étude a aussi marqué la fin de l‟ensemble de la
dynamique pour appuyer cette idée. C‟est surtout parce que l‟étude était financée par la
DRIRE et la Région Rhône-Alpes qui demandaient aux industriels de participer que ces
derniers sont effectivement entrés dans la démarche. C‟est à peu près la seule dynamique
d‟acteurs et convergence d‟intérêts que l‟on peut observer : l‟accord initial d‟une dizaine
d‟entreprises à fournir des données à une équipe de réalisation dans le cadre d‟une étude
financée par la DRIRE et la Région. La mobilisation s‟est donc faite au départ sous
l‟influence, implicite mais omniprésente, de ces institutions. Dès lors cependant que le
financement et, avec, le regard et la présence de ces institutions prenaient fin et qu‟il n‟y avait
plus d‟équipe de réalisation pour relancer les différents acteurs et essayer de créer du lien,
chaque organisation est retournée à ses habitudes. L‟équipe de réalisation a tracté, deux ans
durant, la dynamique de la démarche.
Des traductions manquées
La difficulté de sortir des logiques individuelles s‟est assortie d‟une difficulté à
comprendre et à aménager la logique des autres. Wells (2006) indique que la focale de l‟EIT
est principalement orientée sur la description des systèmes et l‟acquisition de données de
flux ; la démarche conduite sur la Vallée de la Chimie en est une illustration flagrante.
158
L‟équipe de réalisation s‟est entièrement focalisée sur la réalisation de l‟étude de flux et y a
concentré tous ses efforts:
« La collecte de données et leur traitement a donc été au centre du travail du groupe projet. »
(Note méthodologie rédigée par l‟équipe de réalisation de l‟étude).
« Moi j‟ai l‟impression qu‟on a passé 90% de l‟énergie et du temps à suivre cette seule piste qui
est : obtenir les données des industriels. » (Réalisateur 1, Chef de Projet 1).
L‟un des experts associés le reconnaît d‟ailleurs volontiers : à l‟époque – rappelons que
nous sommes en 2007 et qu‟il y a peu d‟expériences et donc de retours d‟expérience théorisés
et accessibles sur la question – il est préconisé de commencer une démarche d‟EIT par une
collecte exhaustive de flux permettant, ensuite, de faire les recommandations adaptées :
« Pour le questionnaire on a suivi une démarche scolaire. Au regard de ce que l‟on vit aujourd‟hui
et de l‟expérience qu‟on acquiert. C‟est-à-dire qu‟on était à l‟époque dans cette démarche
d‟écologie industrielle et territoriale, dans une posture très scolaire dans le sens que « on va faire
le métabolisme des flux de matières et des flux d‟énergies, après on va regarder quelles sont les
possibilités stratégiques de synergies, de coopération, de mutualisation etc. qu‟on pouvait dégager
et puis on fera nos recommandations et puis après ce sera extraordinaire pour le développement
du territoire et éventuellement de continuer la démarche en amenant d‟autres acteurs et d‟aller
plus loin.» (Réalisateur 2, Expert).
Conformément à la méthodologie des démarches d‟EIT présentée au CHAPITRE 1, la
collecte de données a été considérée comme la première étape, incontournable, de la
démarche. Toutes les autres questions de faisabilité technique, économique mais sociale aussi
devaient intervenir après et la question de la coopération des acteurs n‟était pas posée à ce
stade. Cette phase de collecte de données a cependant été chronophage et a conduit à une
démarche longue et vécue comme fastidieuse par la plupart des acteurs rencontrés, d‟autant
qu‟elle nécessitait d‟être ensuite complétée :
« C‟est vrai qu‟il y a eu beaucoup de perte de temps de collecte d‟informations puisque finalement
il y a eu des comités de pilotage qui ont consisté à dire « bon bah voilà il nous manque ça » et puis
c‟est vrai qu‟il y a eu pas mal de difficultés à savoir comment on allait gérer ces informations qui
étaient très hétérogènes pour en faire quelque chose d‟utile. » (Industriel 5, Responsable
communication).
« Mais je pense qu‟on aurait été plus vite sur le début, sur la partie qui est un peu un diagnostic
finalement cette cartographie c‟est un diagnostic, on aurait été un peu plus vite là-dessus, après on
pouvait plus mettre les gens au pied du mur en disant bon bah voilà, l‟état des lieux c‟est ça,
maintenant on est d‟accord pour dire « y‟a telle et telle pistes qui sont intéressantes », si on veut
avancer, il faut, il va falloir que chacun s‟implique un peu plus. Là, le diagnostic il est tombé au
bout de plus de deux ans, peut-être que c‟était un peu trop dilué et que on a plus de mal à mobiliser
les gens à l‟arrivée pour dire « il faut encore continuer pour travailler une piste. » (Industriel 4,
Responsable HSE1).
159
Cette approche scientifiquement rigoureuse, au cœur des intentions et attentions de
l‟équipe de réalisation, n‟a pas été comprise par les industriels et les financeurs.
L‟exhaustivité qui était recherchée dans la collecte de données est apparue comme peu lisible
et peu compréhensible :
« Le questionnaire au préalable de l‟enquête était quand même hyper exhaustif et configuré, on
n‟avait pas toujours la facilité de répondre dans les critères que vous proposiez donc on était un
peu embêté par rapport à ça et on avait des données qu‟on ne savait pas trop où placer dans votre
tableau d‟enregistrement. » (Industriel 3, Responsable logistique).
« C‟est-à-dire que l‟image qu‟on avait donnée par exemple dans la présentation du spaghetti avec
les outils informatiques, bon c‟est peut-être un peu idiot à la réflexion. C‟est-à-dire qu‟ on fait
passer le message que c‟est très compliqué, mais une fois qu‟on a dit ça, qu‟est-ce qu‟on fait ? Ce
n‟est pas dynamisant. C‟est tellement compliqué qu‟on n‟a même pas envie de mettre le doigt làdedans. » (Réalisateur 2, Expert).
« Je pense qu‟on aurait pu segmenter. Choisir les flux sur lesquels il y a le plus à gagner ou celui
qui permettait de faire adhérer le plus de monde pour montrer concrètement qu‟on pouvait aller
jusqu‟au bout. Parce que les gens ils avaient besoin de pragmatisme. C‟était intellectuellement
intéressant mais on ne voyait pas le lien, ce que dans la réalité ça pouvait donner (…) Je pense que
vu les gens qu‟il y avait autour de la table qu‟il y aurait eu besoin de concret. » (Financeur 1,
Chargée de mission).
Pour illustrer ce propos, nous rapportons au Tableau 24 ci-dessous, un extrait renseigné du
questionnaire de données, concernant ici la « consommation et production annuelle
d‟énergies », administré aux industriels et qu‟ils devaient remplir de façon extrêmement
minutieuse:
Electricité
Vapeur (6b)
Pétrole
Consommation
totale
Production totale
71.830 MWH
27 070 MWH
148.000 tonnes
209.000 tonnes
N/A
Gaz naturel
25.000 KNm3
Fuel (fod)
114 351 litres
Autres
Energie exportée ou
importée
N/A
Tableau 24 Ŕ Extrait du questionnaire de collecte de données de la Vallée de la Chimie
On s‟aperçoit d‟ailleurs que les acteurs industriels ne se sont pas reconnus dans ce projet,
dans cette façon de se centrer sur une collecte d‟informations et de problématiser pourrionsnous dire. L‟exhaustivité n‟était pas le critère central de validité de la démarche pour eux. Elle
160
induisait trop d‟abstractions, trop de généralités. Elle leur semblait peu opérante puisqu‟il est
difficile selon eux de progresser en cherchant à tout résoudre en même temps :
« J‟ai été assez, allez, je vais employer le terme, assez amusé ou en tout cas assez étonné par la
manière dont le milieu universitaire abordait ce type de problème dans sa conceptualisation. En
étant industriel, je n‟aurais pas du tout eu la même conceptualisation du projet. Mais c‟est très
intéressant. Ce côté manière d‟analyser les flux, enfin globalement l‟étude telle qu‟elle s‟est
passée, je pense que dans un milieu industriel, on ne l‟aurait pas vendue comme ça. On l‟aurait
conduite beaucoup plus de manière pratique, Excel, etc. et peut-être plus droit au but en passant
surement à côté d‟un certain nombre de points. Mais on aurait essayé d‟avoir une méthode plus
rapide, plus terre à terre. » (Industriel 8, Direction de site).
« Dans l‟organisation de l‟étude, il est important de se rappeler en permanence les objectifs à
atteindre et comment atteindre ces objectifs. Les pistes étaient trop générales. Il est important de
diverger puis de re-converger sinon ça ne sert à rien. » (Industriel 5, Direction de site).
Parce que la méthode employée était trop éloignée de leur fonctionnement habituel, les
industriels sont restés comme étrangers au processus de collecte de données. Cela ne leur a
pas parlé, ne les a pas interpellés, ne les a pas mobilisés :
« Il ne faut pas mener cette étude de manière linéaire, du début à la fin. Je pense que ça a manqué
de réflexion de gouvernance. Pour les gens moi que je connais, c‟est sûr qu‟à un moment donné il
faut les accrocher eux-mêmes au système quoi. Qu‟ils ne le fassent pas pour des raisons exogènes :
parce que c‟est la DRIRE et qu‟on ne va pas vexer la DRIRE on va y aller ou parce que mon chef
l‟a dit et j‟y vais quoi. Il faut qu‟à un moment donné ils y trouvent un intérêt. Donc si à un moment
donné on repère quelque chose qui pourrait présenter un intérêt, là, celui-là, que celui-là, il faut le
creuser à fond. Mais que lui, on oublie les autres. Et c‟est dans le management quoi. » (Industriel
1, Cadre institutionnel).
Focalisés sur la collecte de données, les réalisateurs ont sous-estimé l’importance de
tenir compte des motivations profondes des acteurs qui peuvent, non seulement différer
d’un acteur, à l’autre mais d’une situation à l’autre également. La contrainte induite par
la présence de la DRIRE et l‟intérêt intrinsèque, théorique, de la démarche ne sont pas des
motifs d‟action suffisants. Les lieux de rencontre, COPIL et rendez-vous sur site
principalement, n‟étaient d‟ailleurs pas les centres de traduction ou les espaces de négociation
(Callon et Law, 1988) que la littérature sur la ST décrits comme essentiels au processus
d‟agencement et d‟agrégations des acteurs. Ils étaient davantage des lieux de présentation ou
de demande d‟informations ; moins des lieux d‟échanges, de déploiement de controverses,
d‟échanges et de contestations pourtant indispensables à la construction de l‟adhésion des
acteurs, à l‟initialisation de possibles coopérations. Ces lieux de rencontre n‟étaient pas des
lieux de traduction réussie.
L‟équipe de réalisation a donc passé beaucoup du temps de la mission à s‟organiser pour
collecter toutes les données, à tâcher de les mettre en forme, à les représenter graphiquement
161
et à les analyser. Son discours, contenu dans les mails et les présentations lors des comités de
pilotage était articulé autour de cette question. Comme pour le projet Aramis décrit par
Latour115 (1992), on s‟aperçoit ici que les objectifs et la nature de la démarche n‟ont pas
évolué entre le début et la fin du processus. La démarche était rigide, campée sur l’objectif
de collecte de données que les experts lui avaient attribué, presque inamovible. Sur les
deux années de travail, la dynamique a été conçue et déroulée comme si l‟ensemble des
acteurs allaient non seulement s‟y soumettre mais également adhérer de façon pérenne parce
qu‟ils en auraient compris l‟intérêt. Installée dans ses codes et impératifs techniques, l‟équipe
de réalisation est passée à côté des impératifs des autres acteurs impliqués. Réalisateurs,
financeurs et industriels ne se sont pas retrouvés pour faire évoluer, ensemble, le processus de
la démarche et pendant tout le temps de l‟étude, ces logiques ne se sont finalement jamais
rencontrées.
Au-delà, on s‟aperçoit même que les différences initiales entre les acteurs de la
démarche ne se sont pas harmonisées au fil du temps mais se sont au contraire
renforcées. Elles se sont même cristallisées en divergences puissantes. Les propos des
interviewés nous montrent que ce qui fait la spécificité de chacun des acteurs de la démarche
et qui aurait pu être une richesse potentielle, est peu à peu devenu ce qui handicapait cette
démarche. La complexité inhérente à la diversité des acteurs impliqués n‟a pas été aménagée
et n‟a pu être créatrice d‟un quelque chose de commun. Elles se sont incarnées dans chacun
des acteurs, solidifiées, empêchant toute rencontre des logiques et des intérêts. Plus l‟étude
progressait et plus l‟incompréhension grandissait augmentant du même coup la distance entre
ces acteurs. Aucun terrain d’entente, aucun espace partagé n’a pu être trouvé qui aurait
permis d’envisager une continuité possible de l’action initiée. Tous les acteurs sont restés
sur leur propre terrain et avec leur vision particulière des choses, comme aveugles aux autres.
La TOF nous semble pouvoir apporter une explication à ce constat du non enrôlement des
acteurs.
Comment gérer l’hétérogénéité ?
Dans l‟étude sur la Vallée de la Chimie, le champ des considérations (Callon, 1980) était
étroit puisqu‟on s‟aperçoit ici qu‟il s‟est focalisé principalement sur la collecte de données.
Les dispositifs d‟intéressement mis en œuvre (Callon et Law, 1988), semblaient tous orientés
pour progresser vers cet objectif. L‟équipe de réalisation a en effet eu recours à des objets
115
Pour plus de détails, se référer à notre CHAPITRE 2.
162
(courrier de la DRIRE, convention, questionnaire, bases de données, outils informatiques,
etc.) techniques et exclusifs mais apparemment insuffisants voire inadaptés pour enrôler les
acteurs dans la démarche. Les questionnements sur la possibilité de coopérations interorganisationnelles et sur les moyens de les encourager ont été mis de côté au profit d‟une
collecte de données de flux, monopolistique et obsédante. L‟ensemble des acteurs souligne
effectivement la place exagérée qu‟a occupé cette collecte de données dans le processus de
l‟étude. Elle est davantage apparue comme une fin, et non comme un moyen utile pour mettre
en œuvre les synergies appelées par les démarches d‟EIT.
Les dispositifs d’intéressement mis en œuvre c‟est-à-dire les outils et l‟ensemble des
moyens utilisés dans l‟étude d‟EIT sur la Vallée de la Chimie n‟ont pas permis de traduire les
intérêts de la démarche, d‟enrôler les acteurs ni donc d‟initier de coopérations interorganisationnelles. Nous en avons amorcé le constat dans la description faite plus haut : il
apparaît que les documents produits par l’équipe de réalisation n’étaient ni co-construits
ni conçus pour être discutés. Ils doivent plutôt être considérés comme des documents de
cadrage. Nécessaires à l‟avancée de la démarche, ils permettaient de poser des jalons,
d‟établir ce qui était acté et ce qu‟il restait à accomplir, mais ne faisaient pas l‟objet
d‟échanges spécifiques auprès d‟autres personnes que celles de l‟équipe de réalisation. Seule
l‟équipe en proposait de nouveaux et en discutait le contenu. Il s‟agissait de documents qui
faisaient état de, annonçaient, présentaient ou demandaient quelque chose. Les textes étaient
figés et se transmettaient mais n‟avaient pas vocation à circuler longuement ou à évoluer. Le
même constat peut être fait avec les outils informatiques utilisés.
La démarche telle qu‟elle était configurée cherchait à rallier les industriels aux intérêts que
les experts y trouvaient et aux ambitions qu‟eux avaient pour elle, mais cela ne s‟est en fin de
compte pas produit. Nous l‟avons montré, l‟étude d‟EIT sur la Vallée de la Chimie est restée
l‟apanage de l‟équipe de réalisation, les financeurs sont restés à l‟extérieur du processus et les
industriels peu familiers avec la démarche. Cet enrôlement raté des acteurs nous conduit à
penser que plus une action réunit une diversité d‟acteurs importante et plus, en parallèle de
l‟action qu‟elle doit réaliser et pour que cette action puisse se réaliser, elle a à traiter des
relations entre ces acteurs.
Sans le savoir ou sans le formuler ainsi, les réalisateurs sur la Vallée de la Chimie ont
cherché la convergence des intérêts au travers de l‟étude de flux qu‟ils ont menée.
Expliquons-nous : le postulat qui a été fait au départ, et validé par les financeurs, était que si
163
l‟étude était menée de façon rigoureuse, elle mettrait en lumière des pistes de progrès qui
feraient l‟unanimité et suffiraient, à elles seules, à convaincre les industriels d‟initier les
coopérations inter-organisationnelles nécessaires. La distribution des rôles, le ciblage des
industriels, le choix de la méthodologie et des outils, tout était orienté selon cette idée que
l‟étude de flux ferait ressortir 1/ l‟intérêt des démarches d‟EIT et 2/ l‟intérêt des synergies et
coopérations inter-organisationnelles. Or on s‟est aperçu qu‟au-delà de l‟acceptation initiale
de faire partie du tour de table, la traduction n‟a pas été suffisante pour faire converger les
intérêts et le processus coopératif n‟a pas été initié. Contraignante et exclusive, l’utilisation
d’outils techniques comme moyen de la convergence n’a pas fait l’unanimité, n’a pas
convaincu, n’a pas rassemblé. Le dispositif de l’étude ne prévoyait pas suffisamment la
prise en compte, le respect et la cohabitation des intérêts de chacun.
La traduction ne s‟est pas faite parce que les chefs de projet ne sont pas parvenu à
construire un langage partagé. Ils n‟ont pas réussi à parler le langage des industriels et à leur
« vendre » une démarche qui pourrait répondre à leurs intérêts. Deux propositions sont
possibles qui peuvent expliquer cela :
1. Les chefs de projets n‟étaient pas de bons chefs de projet : ils n‟ont pas été capables
de comprendre que leurs intérêts à eux ne correspondaient pas de fait avec ceux des
industriels. Ou bien, ils ont considéré cela comme un détail et n‟y ont pas prêté
suffisamment attention ;
2. Il n‟était pas si facile – et nous penchons plutôt pour cette proposition-ci – de
trouver le bon langage : les démarches d‟EIT étant encore émergentes et il reste peu
évident de savoir dès le début quels sont les intérêts de ce type de démarche mais
au delà, quels sont les intérêts que les autres acteurs sollicités peuvent y trouver et
en particulier, tels qu‟eux-mêmes se les formulent, dans leur propre langage.
Dans ce cadre et puisque ces approches ne sont pas encore matures, le fait de se focaliser
sur l‟analyse des flux serait une façon de se rattacher à quelque chose de tangible. A défaut
de savoir précisément de quelle manière parler aux acteurs, les chefs de projet ont
essayé de leur montrer pourquoi c’était important de s’y investir ; à défaut de pouvoir
dire, de pouvoir traduire, dans leurs termes à eux, les intérêts qu‟ils pourraient trouver à
participer à la démarche, les chefs de projet se sont appliqués à leur prouver que c‟était
intéressant. Sur ce terrain de la Vallée de la Chimie, cela n‟a pas permis d‟enrôler les acteurs
164
ni donc d‟initier des coopérations inter-organisationnelles. Cette posture, bien que
compréhensible, n’a manifestement pas apporté les résultats escomptés.
La littérature choisie nous offre deux voies pour construire du collectif : la ST invite les
promoteurs de projets à faire converger les différents intérêts ; la TOF propose de mobiliser
des objets-frontières qui permettent à chaque acteur de s‟exprimer et de s‟y reconnaître dans
sa différence. L’analyse du terrain nous apprend que dans certains cas comme ici,
lorsque les acteurs ne peuvent a priori ni s‟appuyer soit sur un intérêt économique évident, ni
sur une contrainte règlementaire très forte, ni enfin, comme pour les pêcheurs de la Baie de
Saint Brieux, autour d‟une exigence de survie de l‟activité, la traduction proposée par la ST
n’est peut-être pas la plus adaptée puisqu’elle requiert d’avoir identifié, et de pouvoir
formuler les intérêts, que les acteurs que l’on souhaite embarquer dans la démarche
pourrait y trouver. Elle s‟avère délicate parce que, précisément, dans les démarches d‟EIT
on ne peut dire ni traduire, avec force et précision les intérêts qu‟il y a participer et les
bénéfices que les acteurs pourraient en retirer. Dans les démarches d’EIT, le langage
partagé semble encore difficile à construire.
La TOF pourrait être utile parce qu‟elle est plus ouverte. Elle indique, en effet, que les
processus coopératifs sont possibles lorsqu‟ils articulent les différences TOUT EN les
conservant. Si l‟on ajoute à cela que l‟analyse des outils utilisés sur la Vallée de la Chimie
révèle qu‟ils ne correspondent pas à ce que sont ces objets-frontières puisqu‟ils n‟ont pas
permis une diffusion claire de l‟information entre les parties prenantes, qu‟ils ne leur ont pas
permis de s‟y reconnaître, d‟apprendre des autres et d‟évoluer, la TOF nous interpelle d‟autant
plus. Cette analyse de terrain nous conduit à formuler une intuition de recherche :
Pour enrôler les acteurs dans une démarche d’EIT, peut-être existe-t-il
différentes voies d’accès à la convergence des acteurs et partant, différents types
de dispositifs d’intéressement :
-
ceux proposés par la ST qui cherchent à convaincre les acteurs en les
rassemblant autour d’intérêts identifiés par les promoteurs de projets ;
-
ceux proposés par la TOF qui cherchent à convaincre les acteurs en les
rassemblant autour d’intérêts qu’ils auraient eux-mêmes identifiés.
Alors que la ST nous a permis de décrire les traductions infructueuses et la non agrégation
des acteurs dans la démarche d‟EIT, la TOF nous permet de comprendre pourquoi. Nous
165
avons vu en effet que les objets, outils et méthodes employés dans la démarche de la Vallée de
la Chimie n‟étaient pas parvenus à conserver ET combiner les différences et différends entre
acteurs. Or avec la TOF, c‟est précisément ce qu‟il faut parvenir à faire pour faire émerger
quelque chose de commun et rendre possibles les coopérations inter-organisationnelles.
Notre intuition de recherche naît donc ici: les objets-frontières pourraient-ils être ces
dispositifs d’intéressement garants d’une traduction efficace dans des approches d’EIT et
partant, d’un enrôlement des acteurs réussi et d’une initialisation possible de coopérations
inter-organisationnelles ? C‟est ce qu‟il nous faudra confirmer ou infirmer par l‟analyse des
trois terrains complémentaires au CHAPITRE 5 suivant.
A ce stade du travail, voici en Figure 17 l‟avancée de notre réflexion :
Chapitre 1 - Revue de la littérature
Question de
recherche
Quelles sont les conditions de développement de l'EIT et plus
précisément celles qui favorisent les coopérations
interorganisationnelles requises dans ces démarches?
Chapitre 2 - Choix du cadre théorique de l'ANT
Problématique
de recherche
Comment construire l'enrôlement des acteurs
dans les démarches d'EIT?
Chapitre 4 - Analyse du terrain de la Vallée de la Chimie et
TOF
Intuition de
recherche
Pour enrôler des acteurs dans une démarche d'EIT, il faut que les
dispositifs d'investissements mis en oeuvre permettent d'articuler
ETde conserver l'hétérogénéité des acteurs impliqués: ils doivent
être des objets-frontières.
Figure 17 Ŕ Progression de la réflexion, point d'étape 3
166
CHAPITRE 5
LILLE, DUNKERQUE, TROYES :
NUANCES ET RECURRENCES
« Je suis sur que pour vous c‟est difficile à formaliser parce qu‟il y a beaucoup d‟intuitif en fin de
compte. Après il y a la validation technique et économique, mais au départ c‟est beaucoup de
l‟intuitif »
Vice-président du Conseil Général, Département de l‟Aube
Le terrain de la Vallée de la Chimie présenté au CHAPITRE 4 précédent nous a apporté
deux enseignements principaux. Le premier est que la phase amont des coopérations est
essentielle et ne doit pas être sous-estimée, ce qui nous avait d‟ailleurs conduite à repenser
notre question de recherche. Le second qui se formule pour l‟instant davantage comme une
intuition de recherche est que, dans le cas de démarches nouvelles et volontaires comme le
sont les démarches d‟EIT, la traduction proposée par la ST n‟est peut-être pas la plus adaptée
parce qu‟elle n‟est pas facile à réaliser. La TOF présentée au CHAPITRE 2 suggérait quant à
elle, que laisser les acteurs faire eux-mêmes le travail de traduction était aussi une possibilité
envisageable grâce à l‟utilisation ou la création d‟objets-frontières. Ces objets semblent en
effet permettre la coopération tout en maintenant les préoccupations des différents individus
mobilisés.
L‟objet de ce CHAPITRE 5 sera alors d‟étudier de nouvelles démarches d‟EIT – Lille,
Dunkerque et Troyes – à l‟aune de la sociologie de la traduction et de la théorie des objetsfrontières dans l‟optique d‟approfondir ces intuitions et les éléments distingués sur le terrain
de la Vallée de la Chimie. Nous nous attacherons en particulier à expliquer ce qui a pu
favoriser l‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles sur ces territoires. Nous
étudierons le matériau de ces terrains complémentaires avec les mêmes concepts que ceux
utilisés pour la démarche de la Vallée de la Chimie au CHAPITRE 4 précédent.
5.1.
DES FLUX ET DES HOMMES
Au regard des critères de sélection présentés au CHAPITRE 3, nous avons effectivement
sélectionné trois territoires ayant conduit des démarches d‟EIT généralement présentées
comme des réussites, en termes de coopérations inter-organisationnelles. Afin de mieux
167
comprendre l‟analyse que nous en proposerons dans un second temps, nous commençons par
présenter ces trois démarches.
5.1.1. Lille : un premier niveau de coopérations inter-organisationnelles
La démarche d‟EIT conduite sur le territoire lillois se développe autour d‟un noyau de trois
acteurs principaux : la ville de Lille avec son élue116, adjointe à la Qualité de Vie et au
Développement Durable ; une association d‟experts117 spécialisée sur les questions de
Développement Durable et d‟EIT et une grande entreprise locale. A l‟occasion d‟un échange
entre l‟élue locale et les experts de l‟association qui s‟étaient déjà rencontrés lors d‟autres
projets, l‟idée émerge de conduire une démarche d‟EIT à Lille. La question du portage
financier de ce projet se pose tout de suite pour cette élue qui n‟a pas de moyens dédiés.
Familiers des démarches d‟EIT, les experts connaissent une entreprise nationale et implantée
localement, qui participe également à une autre démarche d‟EIT, sur un autre territoire118. La
proposition de l‟associer à la démarche ne pose pas problème et l‟entreprise accepte d‟y
participer via son département de la Recherche et Innovation119. Une convention de
recherche tripartite entre la ville de Lille, la Direction de la Recherche et Innovation de cette
entreprise et l‟association d‟experts est signée en juin 2005, qui marque le lancement de la
démarche sur le territoire de Lille (avec les villes d‟Hellemmes et Lomme), et doit prendre fin
en décembre 2007.
Quel est le contenu de cette convention de recherche et de quoi est-il question ? L‟élue
locale recherche un outil d’aide à la décision lui facilitant la hiérarchisation des actions à
mettre en œuvre, dans le cadre du développement durable local ; l‟association souhaite
expérimenter la méthodologie d‟analyse et de représentation de flux de matières et d‟énergie
« EUROSTAT »120 ; l‟entreprise enfin, y voit le moyen de développer une expertise et un
savoir-faire qui lui permettront de proposer de nouveaux services à ses clients. Ces intérêts
116
Nous avons appris le décès de cette personne lorsque nous avions cherché à la rencontrer pour notre enquête
de terrain.
117
Bien qu‟il y ait des experts impliqués dans les quatre démarches que nous étudions, nous souhaitons préciser
qu‟il ne s‟agit jamais des mêmes. Sur chaque territoire, il ne s‟agit ni des mêmes individus, ni des mêmes
organisations.
118
Il s‟avère que cette entreprise est également présente sur le territoire de Dunkerque et fait partie du noyau des
acteurs pilotes dans les deux cas, à Lille et à Dunkerque.
119
L‟ADEME, l‟Agence de l‟Eau Artois-Picardie et la Région Nord-Pas-de-Calais.
120
Eurostat est l‟Office statistique de l‟Union Européenne. Il a proposé une méthodologie d‟analyse (collecte et
représentation) des flux de matières nécessaires au fonctionnement d‟un système économique donné. Cette
méthodologie propose d‟identifier ce qui entre dans le système considéré (extractions de matières, importations,
etc.), ce qui y est stocké et ce qui en sort (émissions dans l‟air, les sols, déchets, exportations, etc.)
http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/about_eurostat/introduction.
168
complémentaires donnent corps à la convention de recherche. Ils font de la démarche d‟EIT
de Lille une étude qui s‟attachera, comme le mentionnent les documents relatifs au projet, à la
« Réalisation d‟une Analyse des Flux de Matière et d‟Energie », afin de répondre aux attentes
de ces trois acteurs pilotes.
L‟organisation du projet se fait par la constitution de trois comités. Le comité de suivi
composé des acteurs pilotes et des autres acteurs locaux sollicités, le comité de pilotage en
charge de prendre les décisions stratégiques concernant le projet et composé des acteurs
pilotes et enfin, le comité d’experts regroupant des spécialistes de l‟EIT et des analyses de
flux pour faciliter la réalisation du travail. Pour mener à bien la collecte de données, les
membres de l‟association ciblent les documents et personnes ressources qu‟il serait utile de
mobiliser. Une fois les acteurs locaux identifiés, l‟élue locale notamment se charge de les
contacter pour les encourager à participer à la démarche. L‟animateur expert prend ensuite le
relai pour les rencontrer, leur expliquer les enjeux de la démarche et les convier à participer à
des groupes de travail thématiques.
L‟objectif de ces groupes de travail est de permettre la rencontre des acteurs locaux
sollicités, de formuler des préconisations d‟action et de faciliter la collecte de données. Pour
cela, ils réunissent chacun, dans les locaux de la mairie, une petite dizaine d‟acteurs à la fois
producteurs, distributeurs ou consommateurs, concernés par les flux étudiés : « Les flux
étudiés sont ceux qui ont été identifiés comme les plus importants et au regard des enjeux du
Développement durable et des activités du territoire lillois121 ». Ils sont au nombre de neuf :
l‟énergie (sont pris en compte, les flux de gaz naturel, charbon, fioul, pétrole, électricité,
bois), l‟eau (sont considérées, l‟eau potable, l‟eau industrielle, l‟eau de remontée de nappe,
l‟eau superficielle, l‟eau de pluie, l‟eau de bouteille) ; les matériaux de construction (sont
regardés, le béton, le ciment, la brique, les tuiles, le verre) ; les produits alimentaires (soit
l‟ensemble des produits concernant l‟alimentation humaine) ; le textile ; le bois ; le papiercarton ; les métaux (acier et non ferreux) et les plastiques.
Les groupes de travail ainsi que les recherches, documentaires ou par la rencontre de
personnes clés, menées en parallèle par les acteurs pilotes permettent d‟établir des bilans pour
les flux étudiés, au format type proposé par la méthode « EUROSTAT ». La Figure 18 est
tirée des résultats de cette étude, et en donne une illustration pour le flux « énergie » :
121
Fiche initiative du CEntre Ressource du Développement Durable (CERRD) : « Ville de Lille : la démarche
d‟écologie territoriale comme outil d‟aide à la décision », en ligne, http://www.cerdd.org/spip.php?article2096,
consulté le 9 décembre 2011.
169
Figure 18 Ŕ Bilan de flux "énergie" de la ville de Lille, d’après Orée (2009)122
Ce travail a également permis de travailler sur un Système d‟Information Géographique
(SIG) spécifique et d‟établir, notamment, une cartographie des matériaux de construction pour
donner à voir les endroits du territoire qui en concentrent la plus grande quantité. La Figure
19 en donne un aperçu :
Figure 19 Ŕ Localisation des matériaux de construction pour la ville de la Lille
Le travail réalisé dans le cadre de cette étude, permet donc de donner une « vision détaillée
du territoire sous l‟angle des flux : consommation de matières premières, recyclage et
valorisation des déchets, rejets vers la nature, etc.123». Cette étude donne lieur par ailleurs à
un rapport final rédigé conjointement par les deux animateurs et réalisateurs principaux de la
122
L‟objectif n‟est pas de lire dans le détail les chiffres de cette figure. Il s‟agit surtout de donner à voir le type
de production que la démarche lilloise a permis d‟obtenir.
123
Présentation Power Point de la démarche, réalisée par l‟entreprise locale qui faisait partie des acteurs pilotes
et consultée le 9 décembre 2012, en ligne, http://www.apesa.fr/iso_album/amelie_bonard_07_janvier_2009.pdf.
170
démarche, l‟association d‟experts et l‟entreprise locale. Ce rapport reprend la méthodologie
employée ainsi que les résultats obtenus. Des panneaux d’affichage sont également réalisés
qui permettent d‟exposer le travail effectué lors de diverses manifestations, des articles sont
rédigés qui présentent la démarche (journal interne de l‟entreprise pilote, fiche initiative du
CERDD citée, etc.) et des présentations Power Point de l‟initiative mises au point par
l‟association et l‟entreprise pour donner à voir la démarche lors de différents évènements,
dans différents réseaux. En revanche et bien que l‟ensemble des acteurs sollicités aient
accepté de coopérer à la démarche, au sens où en plus d‟accepter de se mettre autour de la
table, ils ont accepté de fournir des données, de se parler, etc., il est à noter que cette étude n‟a
pas donné lieu à de nouvelles coopérations inter-organisationnelles.
5.1.2. Dunkerque : des coopérations inter-organisationnelles encouragées
L‟activité industrielle fait partie intégrante de l‟histoire et de la vie économique du
territoire dunkerquois et s‟accompagne d‟interrogations et de mouvements de contestations.
Différentes associations évoluent sur le territoire qui s‟interrogent, pour le dire largement, aux
impacts environnementaux et aux nuisances causées par l‟activité industrielle du territoire.
Les décideurs locaux et territoriaux en ont conscience :
« Le Nord-Pas-de-Calais a trop souffert par le passé d‟une image stéréotypée négative de haut lieu
de la grande industrie, de lieu où se développent les terrils, les cheminées qui fument, les hauts
fourneaux, pour ne pas aujourd‟hui avoir le souci de rééquilibrer tout cela. », Christian Bataille,
Vice-président du conseil Régional, Président de la Commission Développement Economique
Recherche et Technologique, lors d‟un séminaire (Séminaire, 1990).
Comme pour les territoires de la Vallée de la Chimie et de Lille, à Dunkerque la démarche
a été initiée et portée par un noyau d‟acteurs pilotes constitué d‟un élu Responsable de la
Mission Développement Durable à la ville de Grande Synthe124, d‟une grande entreprise
locale et d‟un expert en EIT125. Pour comprendre la dynamique initiée dans cette démarche,
nous proposons d‟en reprendre le développement chronologique et pour cela, il nous faut
remonter en 1999. C‟est à cette date que Suren Erkman126, accompagné d‟un autre expert,
vient faire un colloque sur l‟EIT à Dunkerque. Cette conférence interpelle l‟élu en charge du
Développement Durable. D‟une part, son territoire est riche d‟entreprises : de grosses
124
La démarche dont nous parlons se situe en fait sur la zone d‟activités de Grande-Synthe. Cette commune se
situant à 7km à l‟ouest de Dunkerque, habitude est prise et notamment dans les média de parler de cette
démarche comme de la démarche dunkerquoise. Cela se justifie d‟autant plus que si au démarrage, les actions
étaient conduites sur Grande-Synthe et Petite-Synthe, leur périmètre s‟est élargi pour aujourd‟hui concerner
également des activités situées à Dunkerque.
125
Rappelons qu‟il ne s‟agit pas du même que sur les autres territoires d‟étude.
126
Erkman est un auteur reconnu sur les questions d‟EIT, nous l‟avons souvent cité dans ce travail.
171
entreprises donneurs d‟ordre ainsi qu‟une myriade de PME/PMI sous-traitantes et d‟autre
part, la ville s‟est dotée d‟une Agenda 21 l‟encourageant à lancer tout type de projets
s‟inscrivant dans ces actions de développement durable. Connaissant l‟une des grosses
entreprises de la zone, il lui propose de lancer une pré-étude à Grande Synthe, pour « cerner
l‟intérêt de mener une démarche d‟écologie industrielle127. ». L‟idée est simple : missionner
un expert, le collaborateur de S. Erkman rencontré, pour aller voir les entreprises de la zone et
déterminer s‟il existe un potentiel synergique localement. Dit autrement, y‟a-t-il des échanges
de flux inter-entreprises envisageables? Il se trouve qu‟en même temps que sont conduites ces
réflexions, l‟entreprise sollicitée travaille sur un important projet d‟échanges de gaz avec une
autre entreprise de la zone. La coïncidence est porteuse puisque l‟entreprise accepte de cofinancer cette pré-étude128. L‟expert va alors rencontrer une trentaine de PME/PMI pour
identifier les flux principaux. L‟analyse n‟est pas exhaustive mais elle permet de conclure, en
mai 2000, qu‟il y a bien un potentiel d‟échanges conséquent sur la zone et qu‟il y aurait tout
intérêt à créer un « Club », afin de porter cette dynamique. Cette préconisation séduit les
acteurs pilotes. Par ailleurs, l‟impact médiatique de cette pré-étude est localement conséquent
et incite une autre grosse entreprise de la zone, à s‟inscrire dans la dynamique. Les acteurs ne
trouvant pas de portage plus large pour cette initiative, c‟est donc à l‟échelle de la commune
de Grande Synthe que va se déployer le processus. En décembre 2000, l‟association est
constituée. En février 2001, les statuts de l‟association « ECOPAL » sont déposés et en avril,
l‟élu local en prend la présidence sous le statut « Société Civile », l‟un des trois collèges de
l‟association. Les deux autres sont le Collège Entreprises et le Collège Collectivités.
L‟association est créée et fonctionne pour moitié grâce à des subventions et pour moitié
grâce aux adhésions des entreprises. Sa pérennité exige donc un effort de prospection
permettant de sensibiliser et de mobiliser le plus d‟acteurs locaux possible. La volonté de
lancer une véritable dynamique est telle qu‟une Chef de Projet est recrutée avec pour mission,
précisément, de faire du « porte à porte » afin d‟embarquer de nouvelles entreprises. La survie
de l‟association exige que ce travail soit effectivement fait de façon plus systématique que ne
peuvent le faire les bénévoles. Dans un premier temps, il s‟agit surtout de grosses entreprises
qui trouvent intérêt à créer à un petit groupe, le « Club déchets », leur permettant de réfléchir
ensemble à des problématiques communes de type « que faire des boues, des pneus usagés,
127
Propos recueillis sur le site internet de l‟association, à la rubrique « Qui sommes-nous », consultée le 8
décembre 2011, http://www.ecopal.org/historique-ecopal.php.
128
C‟est cette même entreprise qui a aussi participé à la démarche lilloise.
172
des chiffons souillés, des D3E129 ?», etc. Les réunions de l‟association se font dans des locaux
de la mairie qui lui sont réservés mais les horaires de l‟enceinte ne correspondant pas toujours
avec ceux des participants Pour plus de commodité ces rencontres sont parfois organisées
dans les bureaux des représentants d‟entreprises engagées dans la démarche. En 2002, la
présidence de l‟association passe aux mains du Collège Entreprise et une Chargée de Mission
est recrutée. L‟entreprise placée à la présidence de l‟association en fait la promotion auprès
des institutions locales comme la Chambre de Commerce et d‟Industrie de Dunkerque (CCID)
qui intègre le Conseil d‟Administration d‟ECOPAL. Par ailleurs, le trésorier de l‟association
est dirigeant d‟une PME et souhaite mobiliser davantage les entreprises sous-traitantes locales
pour créer un « Club de zone » en complément du « Club déchets » existant. A la fin des
années 1990, il avait pour cela essayé de faire vivre un club informel de PME qui s‟était
essoufflé faute d‟une animation soutenue et suivie.
La nouvelle recrue a alors pour mission d‟animer la zone et d‟ouvrir le réseau aux autres
entreprises que les donneurs d‟ordre locaux. En partenariat avec la CCID et avec le soutien du
trésorier, elle rencontre un grand nombre d‟entreprises de la zone, questionnaire en mains,
afin d‟identifier leurs besoins prioritaires et par extension, les besoins partagés qui pourraient
donner lieu à des synergies. L‟association compte alors plus de 40 adhérents. En découlent
des groupes de travail, réunis de façon mensuelle ou bimensuelle dans les nouveaux locaux de
l‟association, situés maintenant sur la zone et mis à disposition par le dirigeant trésorier. Ces
groupes de travail sont façonnés au regard des résultats de l‟enquête sur les besoins des
entreprises et fonctionnent avec 3 ou 4 entrepreneurs locaux qui souhaitent y passer un peu de
temps. En parallèle du « Club déchets » des grosses entreprises qui continue de fonctionner –
et dont les réflexions bénéficient aussi aux entreprises sous-traitantes concernées – des
groupes de travail sont ainsi organisés sur des thématiques de prestation de services
notamment comme la signalétique des entreprises, le gardiennage de la zone, la collecte
annuelle des archives, la qualité paysagère du site, la connexion des adhérents à l‟ADSL, etc.
Jusqu‟en 2007, l‟association fonctionne de cette façon et parvient à proposer un certain
nombre de prestation de services dont les tarifs sont négociés et intéressants, puisque les
besoins concernent différentes entreprises locales en même temps. Un site internet dédié à
l‟association est créé et des newsletters adressées aux adhérents pour leur donner la parole et
diffuser les informations et actualités du réseau. Comme le site internet de l‟association le
souligne, en plus de ce souci d‟avoir une approche concrète qui permette de répondre à des
129
D3E : Déchets d‟Equipement Electriques et Electroniques.
173
besoins, ECOPAL s‟attache à la « convivialité », avec « le rituel Barbecue annuel » organisé
sur le site et réunissant la majeure partie des adhérents de l‟association.
En 2006-2007, la CCID souhaite reprendre la main sur la dimension « animation de zone et
prestation de services », qu‟elle conduit par ailleurs sur l‟ensemble des autres zones
d‟activités du territoire. Elle encourage ECOPAL à se focaliser sur ce qui doit être sa véritable
plus value à savoir, les questions environnementales. Un accord officiel est passé entre les
deux organisations, qui fait que lorsqu‟une entreprise adhère à un Club de zone de la CCID
sur le territoire, y compris en dehors de Grande Synthe et Petite Synthe, elle devient en même
temps adhérente d‟ECOPAL. La portée de cette entente est importante puisque le réseau des
adhérents atteint jusqu‟à 270 entreprises, permettant de pérenniser la structure en
démultipliant le nombre d‟adhérents, et d‟envisager ainsi de plus importantes mutualisations.
Nous sommes en 2007 et trois éléments convergent qui vont faire entrer l‟association dans
une nouvelle phase. D‟une part, ECOPAL est donc encouragée à se focaliser sur un support
aux entreprises mais à caractère non plus « prestations de services », mais « environnement »
cette fois. Dans le même temps, les financeurs de l‟association l‟invitent à sortir des synergies
opportunistes, identifiées rapidement et faciles à mettre en œuvre, pour travailler plus en
profondeur sur d‟autres types de synergies. Plus précisément, les financeurs attendent de
l‟association qu‟elle permette de dépasser la mutualisation de déchets pour se porter sur des
échanges de flux type flux de chaleur, de vapeur ou autre flux de matières. Egalement, l‟élu
ancien président de l‟association, prend connaissance d‟un projet de recherche lancé par
l‟Agence Nationale de la Recherche, « COMETHE130 ». Cette initiative est portée par
l‟association nationale Orée, et vise à concevoir des outils méthodologiques pour la mise en
œuvre de démarches d‟EIT. Elle cherche donc des terrains d‟expérimentation. L‟ensemble des
décideurs et financeurs d‟ECOPAL sont d‟accord pour que l‟association se porte candidate et
elle fera effectivement partie des cinq territoires français choisis : l‟inventaire de flux « pur et
dur » (Dunkerque, Coordinateur) commence. Deux chargés de mission sont recrutés pour ce
travail qui dure deux ans, recense environ 5000 flux, recueillis auprès de plus de 150
entreprises locales131 et qui permet d‟identifier une trentaine de synergies possibles autour par
exemple d‟échanges de flux de chaleurs, d‟acides, de vernis alimentaires, etc. Mais ces
synergies ne sont encore que des pistes dont il reste à valider la faisabilité technique et
130
http://www.comethe.org/index.php?option=com_content&view=article&id=48.
On saisit ici les conséquences positives du partenariat avec la CCID, qui a ouvert la dynamique à d‟autres
entreprises, même plus éloignées du territoire d‟origine de Grande Synthe.
131
174
économique, travail que mène ECOPAL actuellement pour aller encore plus loin dans sa
démarche coopérative d‟EIT. L‟association emploie maintenant 6 permanents et des
stagiaires, rassemble plus de 200 entreprises du bassin dunkerquois autour de quatre actions
principales : la mutualisation, la formation et sensibilisation aux questions/règlementations
environnementales, les études de flux et l‟information. L‟association est également pressentie
pour être la vitrine du Pôle d‟excellence environnementale que la Région envisage de lancer.
Les membres de l‟associations sont par ailleurs souvent questionnées, aux dires des personnes
rencontrées, sur précisément ce qui fait son succès. Nous tâcherons d‟en dégager les
principaux éléments plus bas.
5.1.3. Troyes : la construction des coopérations inter-organisationnelles
La démarche d‟EIT à Troyes s‟est également développée au fil du temps, et elle aussi, se
poursuit encore aujourd‟hui. La préoccupation est soulevée début 2003, lors d‟un dîner entre
le Président du Conseil Général de l‟Aube, le Directeur de l‟époque du CREIDD 132, des
industriels aubois par la personne du Vice-président de la Chambre de Commerce et
d‟Industrie (CCI) et le directeur d‟Aube Développement133. A l‟issue de ce dîner, les
participants se mettent d‟accord pour créer un Club local, informel dans un premier temps,
d‟Ecologie Industrielle. L‟objectif de ce Club est de pouvoir réfléchir à plusieurs sur ce sujet
de l‟écologie industrielle afin d‟identifier des pistes de progrès pour le territoire aubois. Pour
cela, le Club missionne très rapidement une stagiaire134 de niveau Master 2 de l‟Université
Technologiques de Troyes (UTT), sous l‟égide du Conseil Général, afin de mettre en lumière
le potentiel synergique – d‟échanges de flux de matières et d‟énergies – du département. Le
représentant de la CCI au Club, l‟appuie pour l‟identification d‟acteurs clés du territoire à
rencontrer (représentativité du secteur d‟activité, nombre d‟employés, intérêt pour les
questions environnementales, etc.) et par l‟envoi d‟un courrier leur expliquant l‟objet et les
enjeux de la démarche. Dans son rapport intitulé « Evaluation du potentiel de mise en place
de projets d‟écologie industrielle à l‟échelle du département de l‟Aube », l‟étudiante dresse
132
CREIDD : Centre de Recherches et d‟Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable de
l‟Université Technologique de Troyes, http://creidd.utt.fr/fr/index.html.
133
Aube Développement est l‟agence en charge du développement économique du département.
134
L‟intitulé de sa mission est alors le suivant : « Le stagiaire sensibilisera les entreprises au concept d‟écologie
industrielle tout en sondant leur degré d‟adhésion. Il analysera également les flux de matières et d‟énergie qui
transitent entre les entreprises (à définir) (…) il proposera des pistes d‟échange éco-efficaces entre ces
entreprises et d‟autres établissements du département. A l‟issue de ce travail, le stagiaire analysera le potentiel
de développement économique que représente l‟écologie industrielle ainsi que les bénéfices environnementaux
générés. Cette expérience permettra éventuellement de construire une réelle stratégie opérationnelle de mise en
œuvre de l‟écologie industrielle. ».
175
un certain nombre de constats qui permettent effectivement d‟identifier des pistes de progrès
(Maniquet, 2003).
A l‟issue de ce stage, les participants au Club font le choix de continuer sur la base des
travaux de cette étudiante et quelques mois après, une autre étudiante de l‟UTT prend le relai :
elle continue à rencontrer les entreprises locales et à réfléchir à la façon dont des synergies
pourraient effectivement être mises en œuvre sur le territoire ; elle collecte des informations
de flux complémentaires et mobilise des outils informatiques pour leur traitement. A l‟image
notamment de ce qui se fait sur Dunkerque135, les résultats de son travail soulignent
l‟importance de formaliser le Club sous la forme d‟une association de loi 1901 pour
systématiser ce travail et nourrir la dynamique. Mais à ce stade, la proposition ne convainc
pas les participants du Club qui ne s‟y reconnaissent pas et ne se sentent pas prêts pour ce qui
leur semble alors être une formalisation trop importante. Elle n‟est pas adoptée. Alors que
cette étudiante poursuit sa réflexion par une thèse sur le sujet (Brullot, 2009), s‟en suit un
nouveau moment de latence jusqu‟à ce qu‟un autre étudiant, issu de cette même formation,
reprenne le flambeau dans le cadre de son stage semestriel. Chaque fois, la mission principale
de ces stagiaires est d‟aller à la rencontre des industriels, de les sensibiliser au concept d‟EIT
et de collecter des données de flux pour mettre en lumière des synergies possibles.
Ces moments de veille entre chaque stagiaire pèsent sur la dynamique ; nous sommes en
2005 et il est alors décidé 1/ d‟embaucher, à l‟UTT, ce dernier stagiaire afin d‟offrir un
interlocuteur permanent aux acteurs du territoire sur ces questions et 2/d‟adopter une posture
intermédiaire entre rien et la création d‟une association. Le principe est alors le suivant :
mettre en place une convention entre les acteurs locaux intéressés par la démarche et qui soit
ouverte à d‟autres, que le petit noyau d‟acteurs pilotes. Au final, cette convention réunit les
trois chambres consulaires, l‟UTT ainsi que le Conseil Général. Cette organisation donne un
cadre plus formel à l‟implication des acteurs et au fonctionnement du Club, en précisant, noir
sur blanc, les responsabilités de chacun. En signant cette convention, les acteurs s‟engagent
notamment à désigner des représentants en leur sein qui assisteront aux réunions et à fournir
les informations en leur possession qui pourraient être utiles au Club : en particulier, les
projets ou besoins locaux à connaître, les contacts d‟autres acteurs à mobiliser, etc. Ces
signataires deviennent ainsi membres d‟un Comité de Pilotage qui organise des Groupes de
Travail, animés par et pour les acteurs économiques locaux (industriels, artisans, agriculteurs,
135
Rappelons que la démarche dunkerquoise avait commencé en 1999.
176
institutionnels, associations, etc.), sur des thématiques identifiées comme porteuses et en
réponse à des demandes spécifiques. Parmi ces groupes de travail, citons par exemple le
groupe qui travaille sur les « synergies hydriques », celui qui travaille sur la « valorisation
énergétique » ou celui qui s‟intéresse aux « synergies du textile ». Dans chaque groupe de
travail, les besoins spécifiques sont identifiés et les collectes de données et analyses de flux
sont réalisées avec les organisations participantes. Il est intéressant de noter que l‟on retrouve
ici le fonctionnement qui avait été adopté à Dunkerque : des groupes de travail, avec des
organisations volontaires pour avancer sur des pistes qui les concernent directement et dont, la
Chambre de Commerce et d‟Industrie notamment et qui est partenaire de la démarche, permet
de faire remonter le besoin.
Dans le cadre de la mission de sensibilisation qu‟il veut conduire auprès des acteurs
économiques, le CEIA en partenariat avec le CREIDD, organisent en 2007 dans une salle de
l‟UTT, le « Rendez-vous des décideurs ». A destination des chefs d‟entreprise, des exploitants
agricoles et des élus locaux, cette rencontre d‟une demie journée permet, « dans un cadre
convivial136 », de former les participants aux « enjeux du développement durable à travers
quelques outils de sa mise en œuvre, tels que l‟écologie industrielle et l‟éco-conception137. ».
C‟est aussi l‟occasion de découvrir et de manipuler – la salle choisie permet à chaque
participant d‟être connecté à un ordinateur – le logiciel informatique hébergé sur le site
internet du Club et qui facilite la collecte de données puisqu‟il laisse faire ce travail par les
membres du réseau eux-mêmes. Il leur suffit en effet de se connecter sur l‟interface, via le site
internet du Club, pour accéder à la base dans laquelle ils pourront, s‟ils le souhaitent,
renseigner leurs différents flux de matières et d‟énergies. Cette rencontre a semble-t-il été
importante pour permettre à un cercle d‟acteurs plus large que les acteurs pilotes du début de
se familiariser avec la démarche, le concept et les enjeux. Dans le même esprit, un voyage de
deux jours est organisé avec les membres intéressés, et les non membres138, pour leur montrer,
sur le terrain, des « bonnes pratiques » de développement durable. L‟expérience les conduit à
Fribourg, et aux Pays-Bas.
Ce système informel se poursuit jusqu‟à ce que les acteurs en identifient de nouveau les
limites. Certes opérationnelle, cette organisation a peu de visibilité à l‟extérieur du territoire et
peu de légitimité pour se positionner sur les appels à projets et appels d‟offres en EIT qui
136
Propos tiré du courrier d‟invitation qui a été adressé.
Ibidem.
138
Le système est ouvert à tous, seuls les tarifs changent entre le statut de membre et celui de non membre.
137
177
commencent à émaner des ministères entre autres. Cette fois les acteurs sont prêts et en 2008,
le Club se constitue en association de loi 1901 donnant ainsi naissance au Club d‟Ecologie
Industrielle de l‟Aube, le CEIA. Les grandes lignes qui avaient été dessinées dans la
convention de 2005 sont utilisées pour les statuts et des Collèges de représentants sont
institués: Collège des collectivités et Institutions, Collège des Entreprises, Collège des
Etablissement
d‟Enseignement
et
de
Recherche
et
Collège
des
Représentations
Professionnelles. La dynamique de cette nouvelle organisation s‟articule autour d‟un
fonctionnement par projet, et sur le modèle des groupes de travail, réunissant à façon les
acteurs concernés et intéressés. Evolution des temps, les rencontres qui se tenaient
initialement à l‟UTT se font de plus en plus, directement sur les sites des organisations
adhérentes. C‟est chaque fois l‟occasion de présenter plus en détail et plus concrètement
l‟activité de l‟adhérent qui reçoit et d‟échanger autour d‟un pot, en fin de réunion. Par ailleurs,
les Assemblées Générales permettent, pendant une demi-heure, de donner la parole à un
intervenant afin de présenter aux membres un sujet susceptible de les intéresser mais auquel
ils n‟ont pas nécessairement accès par ailleurs. A titre d‟exemple, un représentant de l‟Ademe
est venu présenter le fond chaleur, l‟ancienne stagiaire est venue présenter les résultats de ses
travaux de thèse, etc. La sensibilisation et l‟ouverture de ses membres à des thématiques
qu‟ils n‟ont pas nécessairement l‟occasion de croiser par ailleurs, sont des missions que le
Club considère comme essentielles.
Cette fois, le collectif organisé en association peut se positionner en réponse à des appels à
projets. Le territoire d‟action du CEIA fera également partie des territoires d‟expérimentation
pour le projet de recherche appliquée « COMETHE139 ». Le Club participe également au
projet « Synergies TP » encouragé par l‟Ademe qui vise à comprendre comment les
démarches d‟EIT peuvent être conduites sur les chantiers de travaux publics. La mise en
réseau de ces acteurs a par ailleurs rendu possible l‟identification puis la mise en œuvre d‟une
synergie emblématique, fréquemment appelée « synergie des sables ». Deux acteurs locaux,
un producteur de betteraves et un responsable d‟entreprise de BTP, ont eu l‟occasion de se
rencontrer lors des évènements organisés par le Club. Ils se sont ainsi rendus compte que le
premier avait un problème pour se débarrasser du sable issu du lavage de ses betteraves quand
le second, avait lui de plus en plus de difficultés à se procurer le sable nécessaire au
remblaiement des tranchées sur les chantiers. A ce jour, la synergie concerne environ 12 000
139
Voir la présentation du terrain de Dunkerque pour des précisions sur ce projet de recherche.
178
tonnes de sable140 par an. La circulation d‟informations étant facilitée par le réseau, l‟un de
ses membres a pu par ailleurs, prendre connaissance, participer et remporter un concours
organisé par le MEEDAAT141 de l‟époque, sur la route la plus écologique de France. Cela a
été rendu possible par le soutien des autres membres du réseau et en particulier du
coordinateur du Club. Cette réussite, importante en termes d‟image pour l‟entreprise, permet
aujourd‟hui à cet acteur de se féliciter d‟être dans le Club. Les coopérations interorganisationnelles s‟articulent principalement autour de la recherche et de la mise en œuvre de
synergies, ainsi que de la formation et de la diffusion du concept et de la démarche.
L‟association est en effet souvent présente lors de salons, de colloques ou de conférences pour
donner à voir l‟intérêt de ces approches coopératives. Aujourd‟hui, l‟association réunit une
diversité
d‟acteurs
locaux
(collectivités,
institutions,
entreprises,
établissements
d‟enseignements, de formation et de recherche), autour d‟approches coopératives permettant
de « trouver des solutions collectives à des problématiques communes142. ».
Si l‟on ne peut nier qu‟il y a bien eu d‟une façon ou d‟une autre, un certain type de
coopérations inter-organisationnelles sur chacune des trois démarches sélectionnées, force
est de constater cependant, que ce ne sont pas les mêmes. A Lille, les coopérations dont il est
question sont des coopérations d‟un premier niveau pourrions-nous dire. Elles ont
effectivement permis de mettre les acteurs autour de la table et de créer une véritable
dynamique d‟échanges d‟informations mais, au delà de l‟étude de flux réalisée, elles n‟ont
pas donné lieu à des coopérations inter-organisationnelles, à des échanges, à des
mutualisations ou des substitutions de flux. A Dunkerque et Troyes, il s‟agit de coopérations
plus avancées au regard des synergies appelées par l‟EIT. A Lille Ŕ et bien que la diversité
des acteurs sollicités et la volonté d‟une animation soignée de la démarche l‟en distingue Ŕ la
configuration des acteurs et les résultats obtenus la font s‟apparenter davantage à la
démarche conduite sur la Vallée de la Chimie : l‟attention était principalement portée sur
l‟étude de flux et les acteurs étaient surtout mobilisés pour faciliter l‟accès aux données. Pour
les deux autres démarches, soulignons la différence des résultats puisque des mutualisations
et échanges de flux ont effectivement été mis en œuvre. Les développements qui suivent
140
Aujourd‟hui et en raison d‟approvisionnements trop importants en sable au regard des besoins du milieu du
BTP en département aubois, cette synergie sera peut-être amenée à évoluer. Il n‟est en effet pas difficile de
comprendre que le gain environnemental et économique qu‟il y a à réutiliser localement ces sables, perd de sa
force s‟il faut les transporter sur d‟autres chantiers, dans d‟autres régions.
141
MEEDAAT : Ministère de l‟Ecologie, de l‟Energie, du Développement Durable et de l‟Aménagement du
Territoire.
142
Comme l‟indique le site internet de l‟association, http://www.ceiaube.fr/.
179
devront nous permettre, par l‟analyse de la procédure de traduction, de comprendre ce qui
peut expliquer ces différences.
5.2.
PROBLEMATISATION
Cette section a pour objectif de revenir sur la façon dont l‟idée de mettre en œuvre une
démarche d‟EIT est née sur ces terrains complémentaires. Plus précisément, nous tâcherons
d‟identifier comment la délimitation du projet et la distribution des rôles s‟est faite et ainsi,
l‟impact que ces configurations ont pu avoir sur la suite de ces démarches.
5.2.1. L’EIT, une réponse aux enjeux locaux
Pour le territoire dans son ensemble
Clairement et pour les trois territoires, l‟idée de lancer une démarche d‟EIT s‟est
développée dans un contexte relativement favorable puisque les interrogations liées au
développement durable y étaient déjà soulevées. Le questionnement sur les modes de
fonctionnement était ainsi d‟emblée pertinent:
« Je pense qu‟il faut l‟avouer, je pense que dans les responsables économiques on sait très bien
que notre territoire il détient des endroits pas banals dans le sens où on se claque quand même un
centre de stockage nucléaire, pour ne pas dire un peu plus, un centre de destruction des obus de la
guerre 1914-1918 et des bombes voilà, on a une centrale nucléaire, on a une centrale d‟armement,
on a quelques centres de stockage et d‟enfouissement qui nous servent à nous, voire aux autres.
Donc je crois que dans le territoire on a su accepter des choses que d‟autres territoires n‟auraient
pas acceptées. Mais même en les acceptant on s‟est dit on a droit d‟interrogation pour que même si
on l‟a et que ça sert à la vie d‟aujourd‟hui, à l‟économie d‟aujourd‟hui, il faut qu‟on se prémunisse
d‟un certain nombre de choses. » (Troyes, Industriel et élu).
Le passé industriel de ces territoires a comme rendu les institutions, entreprises et
associations de citoyens, solidaires sur l‟idée que cet héritage faisait du territoire un
patrimoine précieux et partagé, dont il faut collectivement prendre soin. Ces territoires
semblent effectivement avoir une conscience avancée de la pertinence et des enjeux du
développement durable :
« Ce raisonnement ça fait un moment qu‟on l‟a étant donné que la prédation a sacrément
traumatisé le territoire Nord-Pas-de-Calais : l‟exploitation minière, on n‟a plus de forêts, on a
énormément de pollution des sols. Je dirais que le Nord-Pas-de-Calais a payé le prix fort du
développement prédateur. Donc forcément le besoin partagé par tous, industriels comme
institutions et autre c‟est de trouver d‟autres manières de faire du développement économique. »
(Lille, Chef de projet municipal).
180
Nous souhaitons souligner ce point parce qu‟il n‟est pas ressorti du terrain de la Vallée de
la Chimie. D‟ailleurs, le développement durable en général et l‟ensemble des initiatives qui en
découlent peuvent être vécues comme des contraintes (Boiral, 2007). Dans ces contextes
cependant, l‟idée de conduire une démarche d‟EIT a semble-t-il reçu un accueil favorable et
est apparue comme une opportunité : opportunité d‟imaginer un autre développement local et
opportunité d‟alimenter les dynamiques territoriales existantes :
« La région était dans une mauvaise passe depuis les années 1970 et elle a compris que l‟écologie
industrielle143 pouvait être un levier pour générer de nouveaux emplois. » (Dunkerque, Industriel).
« Culturellement c‟était intéressant aussi. Le fait d‟être à Lille a beaucoup joué, il y a une vraie
culture sur l‟environnement tout ça. Les gens se connaissaient, il y avait vraiment une dynamique
de projet territoriale. » (Lille, Expert).
Dès le début donc, l’idée de mettre en place une démarche d’EIT a rencontré la
volonté des acteurs locaux de faire des choses, de lancer des initiatives qui aillent dans le
sens dicté par les impératifs de durabilité des sociétés.
Pour les organisations de ce territoire
Ce qui est vrai à l‟échelle du territoire, l‟est également pour les organisations qui font vivre
ces territoires. On s‟aperçoit en effet que différents acteurs « pilotes », nous les qualifions
comme tels au regard de l‟impulsion initiale qu‟ils ont donné au processus, ont directement
trouvé intérêt à initier une démarche d‟EIT :
« L‟association avait envie de tester des méthodes qui venaient d‟ailleurs Ŕ notamment la
méthodologie Eurostat mais qui n‟était pas forcément éprouvée Ŕ Annie avait besoin de réfléchir
à la manière dont les projets de développement quels qu‟ils soient encore une fois, urbains ou
économiques, pouvaient s‟approprier la notion de consommation de ressources et d‟énergie et
l‟entreprise avait besoin de prolonger son travail sur l‟écologie industrielle à l‟échelle d‟un
territoire. Tous ces besoins là convergeant, la convention de recherche est venue assez
naturellement. » (Lille, Chef de projet municipal).
« Ce transporteur, au début des années 1990, il avait créé un Club d‟entrepreneurs de la zone
d‟activité. Le but était de défendre les intérêts des PME de la zone d‟activités. C‟est-à-dire à
l‟époque l‟idée c‟était de se fédérer en Club d‟entreprises de la zone pour qu‟il n‟y ait qu‟un
interlocuteur à qui parler en cas de problème ou en cas de projet. Et pendant dix ans je crois, cette
association d‟entreprise qui était totalement autonome, qui fonctionnait sans personne, qu‟avec
des chefs d‟entreprises qui avaient le temps de se voir autour d‟un pot et puis de gérer la structure,
ils ont réussi à mettre en place avec la mairie le fleurissement de leur zone, ils ont réussi à faire en
143
Comme nous l‟avons explicité en introduction, nous avons fait le choix de parler dans ce travail d‟écologie
industrielle et territoriale pour adapter notre propos aux évolutions actuelles du concept. La terminologie n‟étant
pas stabilisée, d‟autres acteurs parlent toujours d‟écologie industrielle, d‟autres encore, comme c‟est le cas à
Lille par exemple, parlent même directement d‟écologie territoriale. Dans tous les cas, l‟objet de ces démarches
innovantes reste l‟optimisation du fonctionnement des organisations par la mise en place d‟échanges de flux de
matières et d‟énergies grâce à une coopération –inter-organisationnelle efficiente.
181
sorte qu‟il y ait un discours qui se crée avec les collectivités. Mais en 2000 ce mouvement
associatif d‟entrepreneurs s‟est essoufflé par manque de moyens parce qu‟il n‟y avait pas
d‟animateur, et donc ce transporteur qui a aidé à la création de l‟association a dit « j‟aimerais
bien qu‟ECOPAL, par son concept d‟écologie industrielle redynamise la zone d‟activité et
reprenne les rennes de ce Club. » (Dunkerque, Coordinateur).
« L‟idée est venue de Jean-Claude et de deux ou trois industriels et de Pascal qui disait faut qu‟on
se voit avec d‟autres industriels pour essayer de mettre en application ce qu‟il avait dans la tête et
les images qu‟il avait de ce schéma là. On en discute, on se dit il y a peut être quelque chose à
faire. L‟idée c‟était de dire on doit pouvoir créer de l‟activité sur ces bases d‟environnement. »
(Troyes, Agriculteur et élu).
A ce stade, il est intéressant de souligner qu‟il ne semble pas avoir été nécessaire
d’effectuer un gros travail de traduction pour que des acteurs pilotes se mettent autour
d’une table et décident de lancer la démarche d’EIT. Ce constat nous interpelle d‟autant
plus qu‟il vaut pour les trois terrains et donc à différentes échelles, avec différents profils
d‟acteurs. On pourrait presque dire que la démarche d‟EIT n‟a finalement été qu‟un prétexte
pour lancer quelque chose ; un peu comme si les acteurs politiques et socio-économiques
locaux savaient qu‟il fallait réagir mais sans savoir comment s‟y prendre ; la venue de cet
objet « EIT » leur a donné matière à faire et leur a permis de passer à l‟action. Rapidement et
sur les trois territoires, la démarche d’EIT semble convaincre et mobilise un noyau
d’acteurs pilotes composé d‟élus et d‟industriels locaux accompagnés d‟experts identifiés sur
le sujet.
5.2.2. L’EIT, une opportunité à saisir
Développer un outil d’aide à la décision
A Lille, l’EIT va être comprise et appropriée par les trois acteurs en présence – la
municipalité, l‟entreprise et l‟association d‟experts – comme un objet de recherche. Le
format choisi pour leur partenariat en témoigne :
« Donc une convention de recherche ce n‟est rien de particulier, c‟est vraiment une convention
classique entre une ville, une association un peu garante dans ce cas là d‟une méthodologie et une
structure de recherche qui va mettre à disposition des moyens humains pour avancer sur un sujet,
pour défricher un sujet qui ne peut pas être défriché par un bureau d‟études sachant que la
méthodologie n‟existe pas vraiment encore et qu‟on n‟est pas sur des choses tout à fait installées. »
(Lille, Chef de projet municipal).
Evoquer une convention de recherche précise la tonalité qui a été donnée à la démarche au
départ : cette dernière n‟a pas tout de suite vocation à l‟opérationnalité. Elle doit permettre au
contraire de développer et d‟accumuler de la connaissance, utile aux trois parties. Ce qui est
encore vrai aujourd‟hui l‟est d‟autant plus à l‟époque : ni les élus locaux, ni les entreprises ni
182
même les experts ne savent tout à fait quelle méthodologie adopter pour mettre en œuvre une
démarche d‟EIT. Le fait que ces démarches ne soient pas matures peut justifier le choix
d‟initier un programme de recherche : cela permet effectivement de développer la
connaissance manquante tout en progressant et sans prendre trop de risque puisque
précisément, il s‟agit d‟un travail de recherche. Parce qu‟ils se connaissent, les trois acteurs
pilotes n‟ont pas de mal à se mettre autour de la table. Dès le départ et sans qu‟il y ait besoin
de longs développements, chacun de ces acteurs trouvent intérêt et utilité à initier une
démarche locale d‟EIT. C’est décidé collectivement par les trois acteurs pilotes déjà en
présence, la démarche d’EIT sera un projet de recherche sur les méthodologies et outils
à employer pour l’implantation et le déploiement territorial d’approches de ce type.
Restera ensuite à mobiliser des acteurs locaux (institutions et industriels) pour collecter les
informations nécessaires à la construction de cette connaissance.
Configurer la démarche comme un projet de recherche et lui attribuer des objectifs de
production de connaissances n‟est pas neutre en termes de distribution des rôles. Cela signifie
d‟une part que les acteurs pilotes vont avoir en charge, notamment, de collecter et analyser de
l‟information ; et que d‟autre part, il faudra parvenir à mobiliser des acteurs clés qui puissent
faciliter ce travail de « pêche aux informations » pourrions-nous dire. Il sera donc attendu de
ces derniers qu‟ils acceptent de coopérer, c‟est-à-dire ici précisément, qu‟ils acceptent de faire
passer et d‟échanger de l‟information entre eux mais aussi, mais surtout, avec les acteurs
pilotes qui ont en charge ce projet de recherche. Ainsi et dès le début, on s‟aperçoit que les
deux types d‟acteurs – acteurs pilotes et acteurs sollicités – vont vraisemblablement être dans
des postures où les premiers vont surtout demander et les seconds surtout apporter. Les
premiers vont œuvrer pour mener à bien le projet qui les a réunit en tâchant de montrer
l‟intérêt de la démarche afin que les seconds acceptent d‟y participer et de fournir les données
attendues.
Repérer des potentiels synergiques
Sur les territoires de Dunkerque et de Troyes la démarche se met en place pour d‟autres
raisons puisque les ambitions sont d‟emblée opérationnelles : c‟est la portée synergique des
démarches d‟EIT qui intéressent le plus. La situation est délicate à Dunkerque puisque si la
question de la préservation de l‟environnement est un sujet important localement, les
entreprises, les associations de protection de l‟environnement et de riverains et les institutions
ont parfois du mal à se comprendre. Cette situation fait que les acteurs pilotes attendent de la
183
démarche qu‟elle aide à rétablir du lien entre ces acteurs, notamment entre les industriels et
les institutionnels. A Troyes, la motivation est sensiblement différente : les acteurs pilotes
sont attachés à la question environnementale qu‟ils parviennent à sentir comme pouvant
apporter de la plus value au territoire. Dans ce contexte, la démarche apparaît comme un outil
pertinent pour matérialiser, par le biais des synergies inter-organisationnelles – cette volonté
de progrès des acteurs locaux :
« L‟idée c‟était de voir ce que les entreprises et la ville peuvent faire ensemble pour améliorer les
problèmes de la zone. Ca a été dit clairement que c‟était pour entamer un dialogue qui avait eu
lieu et avait été interrompu. » (Dunkerque, Elu municipal).
« Donc le but aussi c‟était le partenariat UTT/CREIDD, Entreprises, collectivités et de voir
comment on pouvait mettre en application un certain nombre de choses dans les entreprises et ce
qu‟on a avait revendiqué à l‟inauguration de la chaire d‟EI, on avait obtenu de pouvoir avoir le
droit à l‟expérimentation, sortir des sentiers battus. » (Troyes, Agriculteur et élu).
Dans le premier cas, les synergies promues par l‟EIT apparaissent alors comme un mobile
pour renouer un contact perdu et dans le second, comme l‟occasion de mettre en place des
actions innovantes et enrichissantes pour le territoire. Dans les deux cas, la démarche d‟EIT
n‟est pas un objet de recherche en tant que tel mais apparaît davantage comme un mobile
d‟action. La suite de l‟analyse aura à nous le confirmer, mais cet élément clairement distinctif
par rapport au terrain de Lille – et même par rapport à celui de la Vallée de la Chimie – laisse
présager des différences dans la façon dont les acteurs vont se positionner les uns par rapport
aux autres et dont la dynamique va être conduite.
La démarche d‟EIT est cet objet qui doit permettre de répondre à différentes questions que
se posent les territoires. Ce sont les acteurs pilotes impliqués qui définissent ainsi le
périmètre de la démarche et ce qu‟ils peuvent en attendre. Très orientée recherche pour l‟un,
c‟est son intérêt opérationnel qui retient l‟attention sur les deux autres terrains. Dans un cas
comme dans l‟autre, les acteurs pilotes se repèrent rapidement autour de l‟impulsion initiale
des experts et tout aussi rapidement, se mettent d‟accord sur leur volonté partagée de lancer
une démarche d‟EIT. Nul besoin sur ces territoires de bâton de pèlerin, de grands discours ni
de longues chaînes de traductions. Il suffira de quelques échanges téléphoniques, mails et
rencontres pour identifier sans plus de difficultés, les objectifs attendus et acteurs à mobiliser
dans ces démarches. Le fait d‟initier des approches d‟EIT dans un contexte local dont nous
pourrions dire qu‟il est en attente de quelque chose, semble aider à conduire l‟étape de
problématisation à son terme. Reformulé, cela signifie qu‟il apparaît plus facile de réunir un
noyau d’acteurs pilotes autour de problématiques qui importent à leurs territoires, au sens
184
de « qui sont importantes pour les territoires », que d’importer des idées que ne
correspondraient ni à leurs préoccupations ni à leurs impératifs. Voyons comment les
choses évoluent quand il s‟agit d‟agréger d‟autres acteurs autour de ces acteurs pilotes. Ce
dernier point est important puisque l‟on a vu avec le terrain de la Vallée de la Chimie, que
l‟implication et l‟engagement des acteurs pilotes ne sont pas suffisants pour obtenir la même
chose des autres acteurs sollicités et ainsi initier des actions concrètes. C‟est maintenant la
phase d‟intéressement, avec un regard sur les dispositifs d‟intéressement, qui nous occuper.
5.3.
INTERESSEMENT
Bien que les raisons de lancer une approche d‟EIT varient d‟un territoire à l‟autre, il
semble que les réalités et histoires locales aient chaque fois favorisé une écoute suffisamment
ouverte et attentive, pour qu‟elles trouvent un écho favorable auprès d‟un noyau d‟acteurs
pilotes. Est-ce que l‟essai a été transformé ? Est-ce que et comment, ces acteurs pilotes ont su
convaincre et rassembler les autres acteurs locaux autour de leur projet pour le mener à bien ?
Voilà ce qu‟il nous faut maintenant étudier.
5.3.1. Quand les liens créent du lien
Les interactions, nécessaires pour mobiliser
Le premier constat à faire est que les relations interpersonnelles ont été décisives et ce,
quelque soit le territoire considéré : apparemment, c‟est grâce à elles que des choses ont pu se
mettre en place et fonctionner. Au démarrage du processus, la mise en relation par personne
interposée est apparemment ce qui semble donner les meilleurs résultats. Le fait d‟être entre
soi, dans un premier temps au moins, se révèle être une bonne approche. A partir des propos
de nos répondants, nous pouvons identifier deux façons de faire. La première consiste à faire
passer le mot à des personnes que l’on connaît directement ou par des personnes qui
connaissent les personnes ciblées. De cette façon, l‟apprivoisement à la démarche initiée
peut se faire plus facilement :
« C‟est le bouche à oreille qui m‟y a amené. On m‟a dit « tiens, il y a un Club d‟entreprise, ce
serait intéressant que tu y sois parce que plus on est et forcément plus c‟est intéressant pour tout le
monde, il y a une motivation autre ». Je suis allé voir lors d‟une réunion comme ça se passait, j‟ai
trouvé ça très intéressant, surtout quand vous vous êtes dans le même milieu. Bon on a tous les
mêmes problématiques. » (Dunkerque, Industriel).
« D‟ailleurs notre Président qui est arrivé en 2007 qui était de la Lyonnaise des Eaux, l‟intérêt
d‟avoir ce genre de personne au bureau, c‟est qu‟il nous a ouvert beaucoup de portes chez les
industriels avec lesquels il bossait. Par exemple chez une entreprise qui fait du déchargement de
185
bateau, on avait du mal à entrer chez lui, le Président il a pris son téléphone « oui tu peux les
recevoir s‟il tel plaît, ils font un inventaire des flux, la démarche est innovante, c‟est intéressant,
joue le jeu. » Et paf c‟est rentré comme ça. Et on en a eu au moins 15 ou 20 qui ont ouvert leurs
portes grâce aux membres de notre bureau qui ont dit « allez stp reçois-les, ça ne va pas te prendre
longtemps. » (Dunkerque, Coordinateur).
« Et c‟est vrai que quand on se connaît depuis un bout de temps, quand on dit à un gars « bah
tiens, il y a ce dossier là il faudrait qu‟on y regarde, on se voit, on se fait un petit dossier de deux
heures de temps », bon bah voilà, il n‟y pas de faux fuyants, il n‟y a pas d‟entourloupes, c‟est la
confiance. Je crois que si un bureau extérieur venait pour proposer ça sur une zone, on n‟aurait
pas du tout les mêmes choses. Parce que les gens ne se connaissent pas forcément. Alors après
c‟est ou un bureau qui est très très côté, je dirais et qui va demander cher pour essayer de mener
une action et derrière les gens disent « bah oui mais comme on n‟est pas sur que ça réussisse, on
en va pas y aller », alors que là je dirais chacun donne un peu de sont temps pour dire c‟est un
dossier qui peut apporter à la collectivité. » (Troyes, Agriculteur et élu).
La seconde approche, complémentaire de la première, et qui peut se faire en même temps,
est de s’appuyer sur un acteur support, moteur, légitime localement qui permet d’initier
le mouvement et d’agréger d’autres acteurs à la démarche :
« C‟était à notre chef de projet de faire du porte à porte. Quand ça ne marchait pas les membres
d‟ECOPAL passaient un coup de fil. Les PME/PMI qui ont adhéré au départ c‟était grâce à LouisMarc. Idem pour les grands. Ils ont adhéré parce qu‟on leur a demandé comme un service. Genre
« ça ne va pas l‟intéresser mais si je lui demande de le faire, il va le faire ». A la base c‟est quand
même les relations, comme dans toutes ces démarches de coopération, s‟ils se connaissent, bon.
C‟est vachement important surtout dans ce milieu là, même si eux ne le reconnaissent pas. »
(Dunkerque, Elu municipal).
« Les groupes de travail ensuite avaient bien marché parce que l‟élue de la ville avait beaucoup
facilité les choses pour les mobiliser. » (Lille, Chef de Projet Municipal).
Le fait que l‟élue de Lille sollicite directement les personnes qu‟elle connaissait a facilité le
processus, de la même manière que le fait qu‟un industriel de la zone d‟activité à Dunkerque
ait lui-même encouragé les autres industriels à participer, a favorisé leur mobilisation. De
cette manière, les acteurs se comprennent plus facilement que si le projet était expliqué par
une personne étrangère. Ils savent s‟ils peuvent se faire confiance et finalement, la prise de
risque semble moins importante. Bien qu‟ils ne puissent dire à l‟avance ce sur quoi la
démarche va aboutir, ils savent au moins qu‟ils y vont avec des personnes de leur entourage.
L‟inconnu est moins grand, moins impressionnant, moins handicapant.
C‟est en tout cas la « technique », n‟exagérons pas en parlant de méthode, qui a fonctionné
pour ces territoires. Pour mettre en œuvre une démarche territoriale, il peut être utile de
s‟appuyer sur des acteurs territoriaux. Dit autrement, pour intéresser des acteurs locaux à une
démarche locale il est possible de laisser faire les acteurs locaux eux-mêmes ; ils semblent
être à la fois les meilleurs relais et les meilleurs aimants pour déployer le processus.
186
L‟échange est facilité lorsque les acteurs se connaissent : ils peuvent à la fois se dire ce qui
apparaît comme une limite et en même temps s‟encourager, s‟entre-dynamiser. Cet élément
est aussi une sorte de contrainte, d‟incitation puisqu‟il peut être difficile, lorsque l‟on se
connaît, de se dire non et de refuser ce qui peut être présenté comme un service à rendre. Cela
étant, il est possible d‟envisager que cette façon de faire facilite le travail de traduction
puisque ce sont les acteurs locaux qui se disent, entre eux, les intérêts qu‟il peut y avoir à
participer ; il est ainsi possible d‟imaginer que les enjeux de la dynamique sont tout de suite
formulés dans le bon langage, c‟est-à-dire dans un langage qui soit compréhensible par les
acteurs sollicités. Par ailleurs, chacun connaît et comprend les impératifs de l‟autre ce qui
encourage à l‟empathie et à la capacité de faire des efforts. Enfin et parce que l‟on se connaît,
il peut être plus facile de décider de faire quelque chose ensemble puisque la construction de
la confiance envers l‟autre ne démarre pas avec le lancement de la démarche, mais a
commencé avant, avec le vécu que l‟on a ensemble. C‟est de cette façon que les acteurs
pilotes s‟étaient regroupés, c‟est également de cette façon que les autres acteurs ont été
mobilisés pour lancer les démarches d‟EIT. Si ce mode de sollicitation, par contamination
d‟acteurs à acteurs, peut faciliter la constitution du tour de table, ce n‟est probablement pas
suffisant pour encourager les acteurs sollicités à rester dans la dynamique.
Les interactions, incontournables pour fonctionner
Les relations interpersonnelles ont montré qu‟elles étaient utiles pour agréger des acteurs
au démarrage du processus. Elles apparaissent aussi incontournables pour le fonctionnement
de la dynamique elle-même. Les participants aux Clubs d‟EIT soulignent en effet
l‟importance de ces relations :
« Le rendez-vous des décideurs144, ouais c‟était marrant parce qu‟on avait vraiment les décideurs
qui sont venus regarder les programmes et tout… Dans les réunions moi j‟attends qu‟on se fasse
plaisir et qu‟on échange naturellement. Mais ça fait partie des réunions où quand j‟y vais, je ne
reviens pas en me disant qu‟est-ce que j‟ai foutu pendant une heure. Ca c‟est vrai, ça je peux le
dire. Non on y va avec envie. Pour peu qu‟on se dise on va chez untel ou chez untel. Rien que ça,
ça soude au niveau de l‟envie, après on est dans le vrai. On savait ce qu‟on venait faire. On savait
que ça avançait quelque part. Moi je pense que s‟il n‟y a pas ça ça ne marche pas. Moi s‟il n‟y a
plus ça, je n‟y vais pas. Je vous ai dit ma clé : si je vais à une réunion quelque part et que je
reviens en me disant « qu‟est-ce que je me suis fait chiers, je ne le fais plus ». Et puis j‟ai autre
chose à faire. Il faut qu‟il y ait un vrai échange, il faut qu‟il y ait un vrai truc quoi. Il faut qu‟il y
ait une vraie sincérité dans les gens qu‟on a autour de la table. » (Troyes, Industriel et élu).
« Le premier travail d‟ECOPAL c‟est la communication. Réussir à faire parler les gens entre eux
c‟était déjà un gros challenge. Le défaut des zones d‟activités est que chacun reste dans son coin.
Une des questions c‟est finalement comment gérer certaine thématiques ensemble ? Le fait de se
144
Pour plus de détail, se reporter à la présentation des terrains faite plus haut.
187
voir en dehors du business ça fidélise, ça met en confiance, c‟est du lobbying finalement. Une fois
de plus, c‟est une question de dialogue, c‟est l‟échange. Il faut parler. L‟intérêt des Clubs c‟est de
pouvoir parler, c‟est de pouvoir échanger, c‟est de pouvoir évoluer. » (Dunkerque, Industriel).
On s‟aperçoit ici que l‟entente entre les personnes et l‟échange est un facteur essentiel non
seulement pour attirer mais aussi pour garder les participants dans la dynamique. La
dimension conviviale des rencontres et la relation à l’autre semblent faire une grosse
partie du travail de traduction nécessaire à l’intéressement des acteurs. Ici, la traduction
n‟est pas faite par les acteurs pilotes, mais elle se fait grâce et dans les échanges entre acteurs,
dans la façon qu‟ils ont eux d‟y trouver intérêt. L‟aspect relationnel et l‟échange avec les
autres apparaissent ici comme essentiels. On le constate d‟ailleurs également sur le territoire
où il n‟y a pas eu, in fine, d‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles:
« Donc j‟ai constaté une bonne mobilisation. Par le taux de présence, le tour de table. Il y avait un
bon tour de table, dieu sait que c‟est difficile de mobiliser, on l‟a vécu à nos dépends un peu après
l‟Ademe sur des réflexions très prospectives c‟est quand même dur de les avoir. Là ils étaient là, ils
étaient là tout le temps. Ils ont produit des choses, ils étaient là aux conclusions. Donc il y a eu une
participation active, un tour de table assez large et assez représentatif et un intérêt qui ne s‟est pas
démenti tout au long de l‟étude qui peut être usante. Parce que c‟est vrai que travailler en groupe
pendant un an sans vraiment voir à quoi ça sert au delà de retours d‟expériences c‟est quand
même, c‟est un peu usant je pense et pourtant il y avait autant de monde voire même plus de monde
à la fin qu‟au départ. Donc c‟est à ça que j‟ai jugé d‟une bonne mobilisation. Bon le dialogue était
réel, on sentait aussi qu‟il y avait une certaine complicité qui s‟était instaurée entre les acteurs
donc voilà, on sentait qu‟il y avait des groupes qui fonctionnaient et on n‟était pas dans
l‟unilatéral avec le chercheur qui s‟adresse au groupe qui l‟écoute de manière complètement
passive, on était dans un vrai dialogue. » (Lille, Chef de Projet municipal).
Il est intéressant de noter que ces rencontres semblent permettre, en rassemblant les acteurs
sollicités dans un même lieu, de faire parler et de mettre en dialogue les différences afin de
dénouer les incompréhensions éventuelles et d‟éviter qu‟elles ne soient une entrave au
processus :
« Bon après il faut voir le côté universitaire avec ce qu‟on fait nous parce que c‟est un peu le
décalage. Il faut savoir que les universitaires sont dans le concept et nous on est dans le
pragmatique. Alors je ne dis pas qu‟ils ne sont pas pragmatiques, je dis qu‟ils ont un autre espacetemps que nous, mais on comprend encore bien ce qu‟ils disent je trouve. La rencontre se fait
parce qu‟on est au Club. » (Troyes, Industriel et élu).
Ce qu‟il faut peut-être comprendre ici, c‟est que c‟est au Club que la rencontre de mondes
différents peut s‟opérer. Les évènements organisés145 permettent à des acteurs partageant le
même territoire mais ne partageant a priori pas les mêmes intérêts et ne répondant pas aux
mêmes impératifs de faire connaissance. Il est possible d‟imaginer que sans ces espaces de
discussions, de confrontation sans doute aussi, prévus par le Club –universitaires et industriels
145
Se rapporter aux descriptions des terrains faites plus haut.
188
ou industriels de secteurs d‟activité différents – n‟ont peut-être pas d‟occasion de se
familiariser les uns avec les autres. C‟est-à-dire non pas de gommer ce qui les différencie
mais au contraire, d‟apprendre à faire cohabiter ces différences. Le voyage à Fribourg
organisé par le Club de Troyes par exemple, a permis aux différents participants, les a même
contraint d‟une certaine manière vu la longueur du trajet en autocar, à se parler, à échanger, à
apprendre à se connaître et partant, à se comprendre. Cet élément est essentiel et l‟on retrouve
ici les caractéristiques des objets-frontières de la TOF présentée au CHAPITRE 2 : pour
mettre en place du collectif, il ne s’agirait donc pas de gommer les spécificités mais de
parvenir à les combiner. Nous entrerons dans le détail plus bas mais on se rend déjà compte
ici que c‟est important pour l‟efficacité et la progression de la démarche.
La confiance et le quelque chose de partagé ne sont ni systématiques ni automatiques
mais sont ce qu’il faut parvenir à créer entre les acteurs sollicités. C’est à cela que les
acteurs pilotes doivent œuvrer et, pour que des liens se créent, c’est précisément cela
qu’il faut pouvoir rendre possible. Afin d‟atteindre cet objectif, la mise en relation et le
travail de liant apparaissent comme étant très importants :
« Et chaque fois il y avait des petits groupes de travail qui bossaient pour les autres. Donc à trois
entreprises on a mis en place une nouvelle signalétique, à deux entreprises on a réussi à travailler
pour tout le monde et pour la collectivité on a réussi à mettre en place un gardiennage dans la
zone. Et ensuite trois entreprises nous ont aidés à rencontrer les mairies sur le côté paysager.
Ensuite on a travaillé sur la gestion du courrier même si on n‟a pas réussi à aboutir. Mais il y a
des chefs d‟entreprise qui venaient de midi à deux ou à quatorze heures pour boire un café et on
débriefait sur l‟action et moi quand ils repartaient je faisais avancer l‟action et un mois plus tard
je les revoyais en leur rendant compte de ce que je faisais. (…) Ca servait à ça le Club de zone. Et
progressivement, sans le savoir, on a réussi à les mobiliser dans ECOPAL, EI, Club déchets et
petit à petit on les faisait participer à des déstockages de leurs ordinateurs usagés, à des
déstockages de leurs archives confidentielles. Alors c‟est une PME de la zone qui nous interpellait
en disant « Emeline j‟ai des archives à déstocker, est-ce que vous avez un service ? » Bon à
l‟époque il n‟existait pas. Ce qu‟on a fait c‟est que connaissant toutes les entreprises on leur a
envoyé un mail en leur disant « bonjour, telle entreprise veut organiser un déstockage de leurs
archives, avez-vous besoin ? Si oui, notifiez-nous le volume à détruire ». Et nous on faisait tout le
boulot, on consultait des prestataires déchets, on faisait des appels d‟offre pour connaître leurs
prix et une fois qu‟on avait trois quatre prestations qui tenaient la route, on faisait venir les
entreprises en réunion de travail, un midi, sur la zone et on débriefait des offres. Et depuis l‟année
2004 il y a une collecte d‟archives qui a lieu tous les ans. Est-ce que c‟est de l‟EI ? Je dirais oui
parce qu‟on mutualise le transport, on évite le brulage on évite plein de choses. Alors ce n‟est pas
l‟EI au sens on boucle les flux et puis il y a des pipes qui échangent des flux d‟eau chaude, on n‟en
est pas encore là. Mais je dirais qu‟avec les PME on a réussi à créer un climat de confiance. »
(Dunkerque, Coordinateur).
« C‟est important, il ne faut pas sous-estimer ce genre de truc. Ce genre d‟interactions là, faut pas
croire que tout se décide dans les réunions. Si le Club146 est né d‟un dîner c‟est qu‟il y a une
146
Rappelons qu‟il s‟agit ici du Club informel, créé au démarrage de la démarche, avant que le Club type
association ne voie le jour en 2008. Se référer à la description du terrain faite plus haut pour plus de précisions.
189
raison, il y a vraiment une raison. Je pense qu‟il y a des moments informels qui permettent de
nouer plus de choses qui se décideront après pendant les séquences formelles, mais je pense qu‟il
ne faut pas négliger ces séquences informelles parce qu‟elles font gagner du temps, elles
participent de la logique de réseau et les négliger c‟est ne pas connaître le fonctionnement des
hommes. Je pense. Dans les séquences informelles on est aussi dans de l‟échange d‟informations
qui peuvent être pertinentes. C‟est toujours assez convivial, c‟est très accessible. » (Troyes,
Coordinateur).
On s‟aperçoit à quel point le fait que chaque acteur se reconnaisse et trouve sa place dans
l‟action qui est menée est important pour que chacun y participe effectivement. En d‟autres
termes, la scission que l‟on a pu observer sur les territoires de la Vallée de la Chimie et de
Lille entre d‟un côté, le travail des promoteurs de projets et de l‟autre, des acteurs sollicités
mais qui ont été laissés à l‟extérieur du processus et de la problématisation de la démarche,
montre en effet ses limites : les différents acteurs ne peuvent se rencontrer de façon
convaincante et aboutie. Le fait de travailler en groupe de travail à Dunkerque ou de se voir,
de faire connaissance lors de rencontres organisées spécialement pour ça à Troyes a favorisé
cette construction/consolidation de la confiance nécessaire. Si à Lille il n‟y a pas eu de
concrétisations opérationnelles, le Chargé de Mission reconnaît malgré tout que pour leur
objectif de collecte d‟informations, ce sont les rencontres collectives et notamment les
groupes de travail thématiques qui leur ont permis d‟avancer. Ces lieux d‟échanges
d‟informations et de controverses sur la meilleure façon d‟obtenir les données, sur où trouver
ces données ou sur le choix des pistes à investiguer, etc., permettaient aux acteurs de se
familiariser les uns avec les autres. On note avec ces témoignages que les acteurs que l’on
souhaite voir participer à une dynamique, doivent pouvoir prendre part et tenir une
place active dans les réflexions qui alimentent cette dynamique. Les dispositifs
d‟intéressement doivent permettre cela.
5.3.2. Quand la démarche impose, quand elle accompagne
La limite des mobiles externes
De premiers éléments émergent et l‟on s‟aperçoit que si nous avions sélectionné ces trois
terrains complémentaires au regard de leur réussite supposée en termes de coopérations interorganisationnelles, de ce point de vue là cependant, il ne sont pas équivalents. Nous nous
retrouvons plutôt en présence de deux terrains ayant effectivement initié des coopérations
s‟apparentant à celles requises par les principes de l‟EIT (synergies, mutualisations, etc.), et
une démarche aux résultats coopératifs plus mitigés, plus proche du terrain de la Vallée de la
Chimie. Même si à Lille, il semble y avoir eu plus de satisfaction des acteurs, il n‟y a malgré
tout pas eu de suite : la dynamique s‟est arrêtée en même temps que l‟étude et la convention
190
de recherche prenaient fin. Pour comprendre cela, nous allons ici tâcher d‟entrer plus avant
sur les motivations que pouvaient avoir les acteurs à participer.
La démarche conduite à Lille est traitée à part des deux autres parce qu‟effectivement, elle
s‟en distingue. Pour conduire le projet de recherche dont elle était investie et parvenir à
construire de la connaissance, elle s‟est essentiellement concentrée, dès le début et jusqu‟au
bout, sur la collecte et l‟analyse d‟informations des flux physiques de matières et d‟énergies
du territoire :
« L‟objectif des groupes de travail c‟était de produire l‟AFME. Avec la grande difficulté de
synthétiser, d‟extrapoler, de vérifier qu‟on n‟a pas oublié une donnée quelque part, que les calculs
sont bons, que les estimations sont bien équilibrées, que ce qui rentre correspond bien à ce qui
ressort, etc. C‟est toute la difficulté. Et souvent c‟est trouver toutes les astuces pour trouver les
données. Parce que par moment on ne va trouver que des données financières, par moment on ne
va avoir que des données extrapolées sur le territoire ou nationales, régionales. Et c‟est d‟ailleurs
comment on va trouver la meilleure méthode pour réadapter à l‟échelle d‟un territoire comme la
ville etc. Donc il y a tout un travail de quel est le bon choix, quelle est la bonne manière de
synthétiser, de travailler la donnée brute pour la faire rentrer dans le format attendu. Le choix des
unités. Il y a eu beaucoup de réflexions quoi. » (Lille, Chargé de mission municipal).
« Et puis c‟est beaucoup de temps quoi, c‟est lourd à gérer. » (Lille, Expert).
Puisque c‟était l‟objectif de la mission et conformément à la convention de recherche
signée entre les acteurs pilotes, l‟ensemble des énergies investies l‟étaient pour ça et de ce
point de vue, les résultats ont été atteints. Cela étant, malgré une collecte d‟informations
conséquente, la réalisation de cartographies de flux novatrices et la production de
connaissances nouvelles, il nous faut faire le constat que cette approche n‟a pas permis
d‟initier une dynamique coopérative entre les acteurs, qui survive à l‟étude réalisée et à
l‟animation qui lui était réservée :
« Mais l‟étude n‟a pas réussi à faire que la ville de Lille s‟empare du sujet en termes d‟animation.
Ils étaient en sous effectifs avec beaucoup d‟autres projets à mener. D‟autant qu‟il y a eu des
désaccords avec les élus et un changement de direction. Le projet finalement n‟était pas
suffisamment mur pour alimenter l‟Agenda 21147. C‟était un projet isolé. Il y a bien eu une
mobilisation pendant le projet, mais pas véritablement de dynamique d‟acteurs. La Communauté
urbaine de Lille n‟était pas impliquée dans le projet et ils ont été critiques. Ils trouvaient que la
cartographie n‟était pas terrible et se demandaient ce que cela pouvait apporter d‟un point de vue
stratégique. Selon eux il n‟y avait pas besoin de cartographier pour faire des choses. Mais après,
pour systématiser la démarche, on est obligé de faire cette collecte. La cartographie c‟est la base
de la discussion, ça permet de se mettre d‟accord sur les chiffres et de trouver de nouveaux
indicateurs de suivi. » (Lille, Expert).
147
« L'Agenda 21 est un projet global et concret, dont l'objectif est de mettre en œuvre progressivement et de
manière pérenne le développement durable à l'échelle d'un territoire. Il est porté par la collectivité et mené en
concertation avec tous ses acteurs : élus et personnels, habitants, associations, entreprises, structures
déconcentrées de l'Etat, réseaux de l'éducation et de la recherche... », sur le site de l‟ADEME :
http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow?sort=-1&cid=96&m=3&catid=13350.
191
Ces propos ne peuvent que nous rappeler ceux rapportés dans le cas de la Vallée de la
Chimie. Là aussi, il semble que l‟importance des logiciels utilisés n‟ait pas été perçue de la
même manière par tous les acteurs. Alors que pour les experts, ces outils semblent
incontournables et même à la base de toute réflexion possible, ils ne sont pas compris comme
tels par les autres acteurs sollicités. Tout se passe comme si finalement, ces cartographies et
représentations graphiques des flux n‟envoyaient pas le même message aux différents acteurs.
Peut-être pire encore, il semblerait que les messages s‟opposent: indispensables pour avancer
selon les experts, inutiles pour les autres acteurs, on s‟aperçoit que ces outils, techniques, ont
comme paralysé l‟action collective. Ils n‟ont pas permis aux acteurs sollicités par les acteurs
pilotes de prendre part et possession du processus, alors que, et c‟est une réflexion de l‟un
d‟entre eux après coup, cette lisibilité et cette appropriation semblent pourtant essentielles :
« C‟est vraiment une démarche macro. On a passé beaucoup de temps, la durée de l‟étude ça a été
de l‟analyse de données. Et c‟est un débouché de l‟étude que de dire maintenant il faut mettre en
place des filières. Et je me rends compte que, maintenant c‟est un enseignement plus général sur la
mobilisation des acteurs, la mobilisation des acteurs dépend de notre capacité à prototyper des
solutions même imparfaites, tout au long du cycle de vie du projet. Il aurait fallu qu‟en même
temps que l‟AFME évolue dans l‟analyse de données, la quantification des flux, etc., qu‟on soit
capable de travailler sur la détection d‟opportunités pour rendre vivante cette étude et la
matérialiser quelque part. » (Lille, Chef de projet municipal).
Après coup, les répondants se sont rendu compte qu‟il était difficile d‟arriver sur un
territoire pour contraindre des acteurs à participer à une démarche qu‟ils perçoivent comme
étrangère à leurs préoccupations. Il en était de même pour l‟étape de problématisation,
configurer le rôle des acteurs de l‟extérieur et plaquer ensuite ces attentes sur le territoire n‟est
décidément pas l‟approche la plus efficiente:
« Le truc c‟est ça, c‟est que l‟AFME on l‟a décrété à l‟échelle de la ville de Lille, des partenaires
ont été intéressés pour voir le potentiel d‟innovation qu‟il y avait derrière ça, le potentiel d‟aide à
la décision mais on se rend toujours compte qu‟à partir du moment où on décrète qu‟on va boucler
les flux, c‟est là où il faut réadapter le temps du projet et le temps des acteurs quelque part. Et où il
faut savoir saisir des opportunités au fur et à mesure de leur émergence et pas avoir une approche
complètement unilatérale de dire maintenant on va recycler ci, on va recycler ça. On est dépendant
de la maturité, du positionnement des stratégies d‟acteurs et il faut savoir, c‟est là qu‟il ne faut pas
se permettre d‟être prescripteur. On ne décrète ni la mobilisation des acteurs, ni le bouclage de
flux. On peut analyser des opportunités et ça ça a été un des mérites de l‟AFME mais on ne peut
pas forcément les concrétiser tout seul et on ne peut pas forcément décréter leur concrétisation. »
(Lille, Chef de projet municipal).
Comme nous l‟avions observé sur la Vallée de la Chimie, le fait que les acteurs jouent le
jeu, c‟est-à-dire qu‟ils viennent aux réunions, participent à la collecte d‟informations et aux
réflexions collectives sur des pistes de progrès à identifier, ne suffit pas à initier les
coopérations inter-organisationnelles requises dans une démarche d‟EIT. La littérature l‟avait
192
souligné (Akrich et al., 1988a et 1988b), le territoire en a ici fait l‟expérience : l’intérêt
d’une approche n’est pas dans l’approche elle-même mais dans l’intérêt que les acteurs
qui vont avoir à s’en emparer lui trouvent. La façon dont la démarche s‟est poursuivie à
Lille renforce cette idée :
« Annie a continué à nourrir l‟ambition de pouvoir un jour disposer d‟un outil d‟aide à la décision
qui permette de légitimer par exemple une charte de la déconstruction. Bon on a mis en place la
charte de la déconstruction mais on n‟a toujours pas d‟outils d‟aide à la décision fiable quoi. On a
clairement, il n‟y a pas eu de continuité donnée, les autres élus ne se sont pas attribués le truc,
c‟est resté perçu comme une usine à gaz. Mais encore une fois, je ne suis pas en train de dire que
l‟AFME est morte parce que les recherches de bouclage de flux ont continué. Ce n‟est pas péjoratif
ce que je dis. On rencontre des acteurs, on détecte une opportunité de recyclage, on met en lien
avec un recycleur et ça fait une boucle de plus. Mais on n‟est pas sur une démarche stratégique ou
systématique puisque l‟analyse macro n‟a jamais été reprise à une échelle pertinente. » (Lille,
Chef de projet municipal).
Pour fonctionner, il semble que le processus de la démarche ne doive pas être perçu
comme un ovni dont les intérêts sont peut-être légitimes par ailleurs – c‟est-à-dire perçus
comme légitimes par d‟autres – mais extérieurs aux acteurs qui y participent. A la suite de ce
que l‟on a pu observer sur la Vallée de la Chimie, le territoire de Lille en est une illustration
complémentaire : c‟est parce que les acteurs pilotes ont trouvé intérêt à la démarche qu‟ils y
ont activement participé, et déployé d‟importantes énergies pour atteindre leur objectif de
production de connaissances notamment. Mais dans le même temps, c‟est parce que ces
intérêts n‟ont pas été perçus, identifiés, appropriés par les autres acteurs sollicités que cette
démarche ne s‟est pas poursuivie. Que l’objectif de recherche soit suffisamment pertinent
pour les promoteurs et qu’il les encourage ainsi à se mobiliser ne signifie pas que les
autres acteurs sollicités pour mener à bien cet objectif, seront intéressés de la même
manière. C‟est pourtant la confusion qui s‟est produite : les intérêts des uns ont été pris pour
les intérêts des autres. Les acteurs pilotes semblent avoir pensé que tous auraient le même
intérêt. Ou, mais il ne nous est pas possible ici de trancher et à la limite peu importe, ces
acteurs pilotes ne se sont pas posé la question.
Pourtant et de nouveau, une démarche n‟est pas intéressante a priori mais elle doit
intéresser et c‟est bien tout l‟enjeu de la phase d‟intéressement dans le processus et par
extension, du choix des dispositifs d‟intéressement. Il semble que dans cette démarche lilloise
– comme nous l‟avions également constaté sur le terrain de la Vallée de la Chimie – le travail
de traduction n‟a pas été conduit à son terme et n‟a donc pas permis d‟intéresser
véritablement, les acteurs dans le processus. Quelle que soit la méthode, quels que soient les
outils utilisés, l‟intérêt évident ou – et cela revient au même – l‟intérêt que j‟ai moi à
193
participer à telle dynamique, peut apparaître comme une contrainte pour les autres participants
à cette dynamique si eux n‟y décèlent pas d‟intérêt ou ne trouvent pas comment y aménager
leurs propres intérêts. Le terrain de Lille confirme ainsi ce qui semblait se dégager sur la
Vallée de la Chimie à savoir que la motivation à participer à une démarche ne peut venir de
l‟extérieur sans que cela soit vécu comme une contrainte, non productive et non durable. Cela
signifierait que les acteurs doivent pouvoir identifier, eux-mêmes, l’intérêt ou les intérêts
qu’ils ont à participer. Cette analyse nous interroge : est-ce à dire que dans ces
démarches d’EIT, chacun doit pouvoir faire sa propre traduction, chacun doit pouvoir
« s’intéresser » ?
La puissance des mobiles internes
Si importer des mobiles externes d‟action n‟est pas très convaincant, l‟alternative pourrait
être de s‟appuyer sur les mobiles internes que les acteurs auraient de participer à la démarche.
L‟étude des deux autres terrains va nous montrer qu‟en effet, cette alternative et qu‟elle ne
consiste pas à focaliser ses énergies, du début et sans s‟en départir, sur une collecte exhaustive
de données. Les terrains de Dunkerque et de Troyes nous apprennent que la dynamique de la
démarche pourrait être plus facile à initier lorsqu‟elle part des acteurs à mobiliser eux-mêmes
et non pas d‟une volonté extérieure :
« L‟étude de flux par contre a été laissée tomber. Il y avait eu une réunion parce que pour aller
plus loin au départ, il faut répondre à des besoins, il faut bien motiver les troupes. Les
préoccupations entre les grands groupes et les petits ne sont pas les mêmes. Les patrons de
PME/PMI sont plein de bonnes intentions mais ne peuvent pas. On faisait tout pour eux. Ce qui est
une très bonne chose parce que ça a permis d‟aller plus loin. Sans ça on n‟aurait pas pu et on était
très conscient de ça dès le début. » (Dunkerque, Elu).
Apparemment, cette façon de procéder fait ses preuve et la notion de besoin ressort
fortement comme le déclencheur et le ciment des actions qui ont pu être menées à
Dunkerque :
« Moi j‟étais des petites mains en fait. Et je dirais que le lien avec l‟EI il était lointain au début. Il
y avait toujours ce Club déchets des gros industriels qui tournaient entre eux et qui essayaient de
faire de l‟échange de flux mais à l‟époque ce n‟était pas évident. Et moi il y avait toute la partie
animation de zone où je devais m‟occuper des besoins prioritaires des gens. A savoir mettre en
place une nouvelle signalétique, mettre en place un service ce gardiennage, faire en sorte que la
zone d‟activité soit un peu plus potable qu‟elle n‟était auparavant, faire remonter tous les
problèmes de voiries ou autres à la mairie. Tout mon travail c‟était de cartographier qui était
compétent sur quoi et d‟aider les PME dans leur quotidien. Des fois un adhérent m‟appelait parce
qu‟il avait besoin d‟une salle de réunion et ça tombait bien parce que nous où on est on a une salle
de réunion et on la mettait gratuitement à disposition pour les adhérents. On m‟a aussi appelée
parce qu‟un candélabre était tombé devant une entreprise et c‟était à moi de faire le nécessaire.
C‟était ça qu‟ils voulaient. Ils voulaient simplement quelqu‟un pour animer leur zone et un référent
194
qui vienne les voir quand il y avait quoique ce soit. Donc on s‟est occupé de plein de choses qui
étaient peut-être un peu éloignées de la définition stricte de l‟EI, mais comme je l‟explique, cette
approche PME/PMI zone de services, c‟est un premier gage de complicité avec les PME pour
pouvoir les amener vers des inventaires de flux. Et moi on me l‟a appris, quand on veut travailler
avec les PME, il faut les écouter. Il faut travailler sur leurs besoins prioritaires et après vous
obtenez tout ce que vous voulez d‟eux, c‟est jackpot. » (Dunkerque, Coordinateur).
Le contexte favorable dont nous parlions plus haut et qui a permis une mise en place de la
démarche a été conservé. C‟est même sur ce contexte, sur ces attentes, sur ces besoins que les
promoteurs de projets ont su s‟appuyer pour amorcer et faire progresser la démarche. Comme
nous l‟expliquions dans la description du terrain plus haut, une pré-étude de flux a été lancée
au démarrage, mais simplement dans un premier temps, pour identifier des potentiels. D‟une
certaine manière, elle a servi à appuyer l‟intuition des acteurs pilotes qu‟il y avait
effectivement des choses à faire, collectivement, sur le territoire. Une fois ces potentiels
repérés, la focale de l‟action des acteurs pilotes s‟est portée sur la façon dont il était possible
d‟intéresser les acteurs à la dynamique collective pour ensuite seulement, reprendre une étude
de flux plus exhaustive.
L‟équation stratégique apparaît clairement : si 1/ les industriels ont des besoins et que 2/
l‟on souhaite mobiliser les industriels alors 3/ répondons à leurs besoins pour mobiliser les
industriels. Aussi simple qu‟elle a été efficace, cette ligne de conduite a effectivement permis
aux acteurs pilotes promoteurs de projets, de donner corps au processus coopératif. Si ces
promoteurs de projet sont parvenus à intéresser les industriels, c’est que les industriels
ont trouvé la démarche intéressante ; l’intérêt ne leur a pas été imposé de l’extérieur
mais à l’inverse, leur intérêt a été identifié et préservé. Pour rappel, la mise en place d‟un
questionnaire d‟identification de leurs besoins prioritaires, comme l‟organisation de groupes
de travail sur des préoccupations qu‟ils avaient manifestées, a permis de faire participer, de
façon pro-active, les acteurs locaux que les acteurs pilotes souhaitaient voir impliqués dans le
processus.
De la même manière mais sur un objet différent, à Troyes c‟est le fait de capitaliser sur
l‟envie qu‟avaient les acteurs locaux de faire des choses ensemble qui, en plus de donner un
contexte favorable à la démarche, a permis d‟initier et d‟alimenter la dynamique :
« Donc des gens qui se connaissent bien, des gens qui ont envie de travailler pour développer un
certain nombre de choses dans le département et qui croient que globalement, le recyclage des
produits doit nous permettre de faire des progrès et doit nous permettre de créer de la richesse sur
notre département en particulier. » (Troyes, Agriculteur et élu).
195
« On ne fait fonctionner notre Club qu‟avec de l‟envie et des expériences réussies en partie voire
en grande majorité. Et puis avec rien. Si vous mettez de l‟argent c‟est fini, vous avez des trucs qui
partent de travers. Ah non, il faut que ce soit très volontaire, très « j‟apporte » quoi. Si vous faites
de l‟écologie industrielle, il faut d‟abord apporter. Si il n‟y a pas d‟envie alors là c‟est même pas
la peine. Ca peut s‟imposer à des endroits où ils sont dans le merdier mais ce sera par la
contrainte, ce n‟est pas rigolo. Quand je dis rigolo ça veut dire « ça le fait » quoi. » (Troyes,
Industriel et élu).
Restera donc à voir comme cette envie initiale a pu ou non être conservée et qu‟est-ce-qui
en fin de compte, a permis de suffisamment mobiliser les acteurs locaux pour créer une
dynamique coopérative et mettre en place les échanges et relations décrits plus haut.
Da la même manière qu‟il était plus facile d‟initier des approches qui correspondent aux
préoccupations et impératifs des territoires ciblés, il apparaît plus probant de s‟appuyer sur
les besoins/attentes des acteurs pour les mobiliser. La mise en route de processus coopératifs
se décrète difficilement semble-t-il. C‟est la raison pour laquelle, la puissance qui émerge des
mobiles internes d‟action conforte notre intuition de recherche : dans ces approches d‟EIT où
l‟on ne sait pas au démarrage ce que l‟on aura à l‟arrivée, les méthodes relativement fermées
qui sinon imposent du moins importent de l‟extérieur l‟intérêt de la démarche, la vision qu‟il
faut avoir du processus et les outils qu‟il faut utiliser pour le mener à bien, ne sont pas les
plus opérantes. Le processus doit être ouvert et accessible, il doit pouvoir supporter une
certaine souplesse pour non seulement parvenir à intéresser les acteurs, mais aussi, et c‟est
ce que nous allons voir tout de suite, pour initier des coopérations inter-organisationnelles.
5.4.
ENROLEMENT ET THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES
Parvenir à mobiliser des acteurs pour qu‟ils participent à une analyse des flux du territoire
(terrain de Lille) ou parvenir à mobiliser des acteurs autour du besoin ou de l‟envie qu‟ils ont
de faire des choses ensemble (terrains de Dunkerque et Troyes) ne suffit pas à parler
d‟enrôlement c‟est-à-dire sur les productions réalisées et sur l‟implication, ou non, des
acteurs. Que les acteurs intègrent le tour de table ne signifie pas, en effet, qu‟ils vont identifier
l‟intérêt qu‟ils auraient à faire des choses ensemble et qu‟un processus de coopérations interorganisationnelles peut se mettre en place. Dans cette section, nous allons donc voir si, et dans
quelle mesure, il est possible de parler d‟enrôlement des acteurs pour les démarches
considérées.
196
5.4.1. D’un terrain à l’autre, des résultats variables
Des productions scientifiques
Des distinctions sont apparues entre les terrains dans la phase d‟intéressement qui se
répercutent et que l‟on retrouve dans la phase d‟enrôlement. Le fait de s’appuyer sur la
scientificité de la méthodologie ou de s’appuyer sur les acteurs ne produit pas les mêmes
résultats. Sur le territoire de Lille, la majeure partie des productions de l‟étude se compose de
communications écrites internes aux acteurs de la démarche ou externes pour donner à voir le
travail réalisé :
« Il y a eu deux rapports. Il y a eu un gros rapport intermédiaire qui résumait toutes les
discussions sur les choix de méthode. Il y eu un rapport final qui lui était plutôt sur les résultats en
termes d‟analyse de flux, sur les flux choisis et qui précise, qui assume à la fois les approximations
mais aussi ce qu‟on ne connaissait pas. Il restait des points d‟interrogation autour de certains flux.
Je pense notamment au volet alimentaire : on n‟a jamais vraiment réussi à faire l‟analyse de flux
des denrées alimentaires. Dès qu‟on avait une grosse consommation domestique dans l‟analyse de
flux, on tombait sur un gros point d‟interrogation. Donc voilà c‟est un rapport qui assume ça. Et
puis on a produit des documents un peu plus pédagogiques, il y a des panneaux pédagogiques pour
montrer ces flux. Et puis il y avait aussi un petit outil de représentation des stocks et qui montrait
là où était stockée la matière sur le territoire lillois. Sur chaque flux il y a eu un diagramme de flux
qui a été réalisé. Les panneaux étaient utilisés lors de manifestation sur le développement durable
pour illustrer notre politique, enfin le volet innovant de notre politique de développement durable.
Donc sur le volet innovation on utilisait ça quand on tenait des stands et qu‟on participait à des
manifestations. Parfois même quand on avait des réunions plus restreintes, Annie voulait les
ressortir pour montrer aux acteurs ce qu‟on avait pu faire. Ca fait un moment qu‟on ne les a pas
ressorti ces panneaux.» (Lille, Chef de projet municipal).
Avant de se pencher sur les résultats produits, il est intéressant de souligner ici que ces
propos renforcent ce que nous esquissions au chapitre précédent : les démarches d‟EIT ne
sont effectivement pas évidentes à conduire. Parce qu‟elles en sont encore au stade de
l‟expérimentation pourrions-nous dire puisqu‟il existe assez peu d‟expériences convaincantes
et matures, un certain nombre de choses restent imprécises, incertaines, voire inconnues. Cet
élément peut être une explication crédible concernant la focale sur les flux physiques qui a été
choisie sur le terrain de la Vallée de la Chimie comme sur le terrain de Lille.
Pour revenir sur les productions réalisées par l‟étude lilloise, il est incontestable qu‟un
travail important a été conduit avec des organisations locales pour identifier et analyser les
flux de matières et d‟énergies du territoire. Ces résultats constituent une première locale en
termes de production de connaissances et en ce sens, les objectifs initiaux tels que formulés à
l‟étape de problématisation ont effectivement été atteints. Une méthodologie a pu être testée
et des enseignements ont pu en être tirés : l‟identification des acteurs clés locaux en capacité
de fournir les données nécessaires à une analyse de flux de territoire, ou encore la façon de
197
traiter les informations et de les analyser. En revanche et pour ce qui concerne la participation
des acteurs impliqués, on ne peut faire le même constat de réussite :
« Il n‟y a pas eu de coopérations à proprement parler. L‟ambition c‟était d‟impliquer les acteurs
dans la mise en œuvre, mais… » (Lille, Expert).
D‟un point de vue théorique, la démarche réalisée sur ce territoire apporte un certain
nombre de satisfactions et de cette façon, l‟attention portée aux flux physiques du territoire est
justifiée. Elle montre malgré tout ses limites lorsque l‟on considère les transcriptions
pratiques que ces apprentissages théoriques auraient pu avoir : les acteurs locaux qui ont
participé pendant deux ans aux groupes de travail et à la collecte des informations de flux ne
sont pas restés mobilisés à fin de la démarche. L‟étude a permis d‟identifier des pistes de
progrès, et à titre d‟exemple, une charte de la déconstruction a par la suite été élaborée. Cela
étant, le dispositif mis au point par les acteurs pilotes n‟a pas abouti sur l‟initialisation de
synergies, de mutualisations, de coopérations inter-organisationnelles parce que les acteurs
sollicités n‟en n‟ont pas saisi l‟intérêt, ne se la sont pas appropriée. Pour le territoire de Lille,
on ne peut donc pas parler d‟enrôlement des acteurs.
Des créations de liens
Les démarches les plus abouties en termes d‟EIT, c‟est-à-dire celles qui ont permis
d‟enclencher des relations et des échanges entre les acteurs, sont celles de Dunkerque et
Troyes. Il semble qu‟elles soient, en effet, parvenues à introduire une différence significative
pour les acteurs qui en parlent :
« La différence entre avant et maintenant c‟est qu‟on s‟interdit rien, aujourd‟hui on ne s‟interdit
rien. On réfléchit et même les idées les plus farfelue148s on en discute et elles ne sont souvent pas si
farfelues que ça quoi. Parce que chacun apporte sa pierre à l‟édifice. Avant ce n‟était pas comme
ça parce que chacun était cloisonné dans son métier ou dans sa branche professionnelle alors que
là on fait du transversal. C‟est à dire qu‟on fait vraiment du transversal. Et la connaissance des
gens fait qu‟on se dit « tiens ou pourrait demander à untel et on se dit il a ça, tiens ça pourrait
nous intéresser, ou peut-être que lui saurait quoi faire de ça ou de ça. » (Troyes, Agriculteur et
élu).
« Tous les Clubs d‟entreprises adhèrent à ECOPAL et la CCI est au Conseil d‟administration, il y
a aussi des partenariats avec d‟autres entreprises qui travaillent sur les questions
d‟environnement. Mais il faut fidéliser les financeurs institutionnels. Au début le politique nous
regardait en disant « c‟est quoi cette association en plus ». Parce que le tissu des associations est
très dense ici. Maintenant à Dunkerque, il faut être à ECOPAL pour être dans le coup
industriellement parlant. ECOPAL est connu et sollicité partout et ça a tellement évolué qu‟il y a
148
Cet industriel fait référence ici notamment à l‟idée (mise en œuvre par la suite) de brûler les graisses animales
issues de son activité de production d‟andouillettes pour obtenir de l‟énergie qu‟il peut réutiliser sur son propre
site.
198
des choses à dire. D‟ailleurs il y a des questions du type : « Comment essaimer ailleurs ? Comment
ECOPAL pourrait ne pas être qu‟à Dunkerque ? Comment on développe ce concept ailleurs ?
Comment donner l‟envie aux autres ? » On pourrait tout à fait imaginer que la région Nord Pas de
Calais soit la région de l‟écologie industrielle. » (Dunkerque, Industriel).
Il y a véritablement un avant et un après démarche d‟EIT que ressentent fortement les
acteurs locaux : ces territoires n‟évoluent pas comme si les démarches d‟EIT initiées n‟avaient
pas existé et pour preuve s‟il en fallait, elles existent toujours. Elles sont visibles, lisibles,
impactantes. A Dunkerque par exemple, rappelons qu‟il est actuellement question de faire un
pôle d‟excellence environnementale dont ECOPAL pourrait en être une vitrine. En ce sens, il
nous paraît justifié de considérer positivement l‟enrôlement des acteurs sur les terrains de
Dunkerque et de Troyes :
« ECOPAL nous a bien épaulé à ce niveau là, ils ont fait la recherche, ils ont mis la pression, etc.
Et c‟est grâce à ECOPAL parce que s‟il n‟y avait pas eu ECOPAL, même les quarante entreprises
de ce Club là, on n‟aurait pas abouti certainement à avoir une négociation comme celle-ci.
ECOPAL va donner aussi cet élan, ce bon sens. » (Dunkerque, Industriel).
« Je pense que si je n‟avais pas été au Club, jamais je n‟aurais proposé ce superbe dossier de la
route la plus écologique de France au niveau du ministère pour participer. Je pense que je ne
l‟aurais pas fait. Ca a été initié par le Club. Et on y est allé. Ca nous a demandé 6 ou 8 mois de
boulot pour préparer le dossier et on est allé le présenter devant les gens du Ministère et on a
gagné. Donc ça, ça a apporté quelque chose au niveau de l‟entreprise parce que tout le monde est
fier d‟avoir gagné ça. On l‟a fait avec le Club et en plus le client pour nous c‟est le Conseil
Général, qui est président du Club. Donc tout le monde y a trouvé son compte. » (Troyes,
Industriel).
Ces propos mettent d‟ailleurs en exergue la dimension coopérative que les industriels
apprécient trouver dans les dynamiques auxquelles ils participent. Le réseau constitué a
permis de mutualiser des demandes et ainsi de faire des choses qu‟ils n‟auraient pu faire seuls.
C‟est parce que les acteurs locaux vont dans le même sens en ayant identifié des besoins
partagés, qu‟ECOPAL a force de négociations pour des tarifs mutualisés sur un certain
nombre de prestations de services : collecte mutualisée de déchets, fourniture d‟accès à
l‟ADSL, mutualisé également, collecte et destruction annuelle des archives, encore
mutualisées. A Troyes, le fait d‟avoir facilité les échanges entre acteurs a permis d‟identifier
des opportunités et de s‟en saisir. Le fait que l‟un des adhérent par exemple, appuyé par le
réseau, ait pu répondre à un concours et le remporter en est une illustration ; la « synergie des
sables » décrite plus haut en est une autre. La création et l‟activité pérenne des associations
créés à Dunkerque et à Troyes il y a respectivement 10 et 4 ans, comme le fait qu‟elles attirent
de nouveaux adhérents, appuient encore le constat que l‟enrôlement des acteurs a été réussi
sur ces territoires.
199
Il faut remarquer que jusque là, il est très peu question d‟analyse de flux de matières et
d‟énergies, de production de connaissances. Sur les deux territoires, seules des pré-études
rapides ont été réalisées au lancement du processus pour identifier si oui ou non il y avait des
potentiels d‟échanges intéressants entre les organisations. Sur ces territoires, c‟est une fois les
acteurs pilotes réunis et rejoints par d‟autres acteurs locaux que l‟approche scientifique de
collecte et d‟analyse de données a été conduite de façon plus exhaustive, dans le cadre de leur
participation au projet national de recherche-action « COMETHE149 » :
« Après, le tournant est quand-même là, c‟est quand Antoine a été embauché en contrat
d‟accompagnement vers l‟emploi, qu‟on a commencé à répondre à des appels à projets de l‟ANR et
qu‟on a répondu en particulier au dossier COMETHE avec les autres pôles. Et là on s‟aperçoit
qu‟on a des pistes intéressantes de développement, de bouclage de circuits, de réutilisation de
matières et autres. Et nous aujourd‟hui on voit que dans les deux ans où Antoine était à ce poste on
a été plus loin dans nos pistes de réflexion et dans l‟action c‟est pour ça que derrière Antoine avait
passé son concours d‟ingénieur de la fonction publique territoriale et derrière le Conseil Général
l‟a embauché pour le remettre à disposition de l‟UTT pour suivre l‟écologie industrielle. »
(Troyes, Agriculteur et élu).
« On a recruté deux chargés de mission, deux personnes chargées de faire cet inventaire de flux
exhaustif. Eux ont profité de toutes les portes qu‟on avait ouvertes chez les PME pour faire un
inventaire. (…) Donc je dirais que pendant deux ans ils ont fait cet inventaire de flux, ils ont animé,
ils ont rencontré individuellement chaque chef d‟entreprise pour les convaincre de participer. Pour
les convaincre on avait un courrier qui était signé du Président de la Communauté urbaine, signé
du Président de la CCI donc ça c‟est plutôt pas mal et signature du Président d‟ECOPAL donc ça
ça aide. Ce courrier il disait qu‟ECOPAL avait été retenu pour aller plus loin dans ses actions.
Qu‟au delà des actions opportunistes maintenant il faut donner des chances au territoire de
trouver de nouvelles synergies, merci de recevoir l‟équipe d‟ECOPAL qui vous remettra un bilan
individualisé. Parce qu‟à chaque inventaire d‟entreprise réalisé, l‟équipe doit remettre à
l‟entreprise l‟état des flux identifiés, ce qui permet quand même de rendre un petit service
d‟inventaires de données, ce qui aide pas mal parce qu‟il y a des gens qui n‟ont aucun inventaire,
ils ne savent même pas ce qui entre, ce qui sort.» (Dunkerque, Coordinateur).
Ici, l’inventaire de flux apparaît davantage comme un résultat de la coopération
inter-organisationnelle déjà à l’œuvre sur les territoires que comme son préambule: ce
n‟est pas par cela, ce n‟est pas avec cela que les acteurs pilotes ont fait le choix d‟initier la
dynamique des démarches d‟EIT. Le paragraphe suivant va nous permettre de voir comment
la ST d‟une part, et la TOF, d‟autre part, peuvent nous aider à interpréter ces résultats.
5.4.2. La souplesse des traductions
Des dispositifs d’intéressement aux objets-frontières
En nous concentrant sur les démarches qui sont parvenues à enrôler les acteurs – celles de
Dunkerque et Troyes – on voit émerger un élément important : la contrainte semble avoir été
149
Se référer à la présentation des terrains faite plus haut.
200
réduite au minimum privilégiant la souplesse et l‟ouverture de l‟approche et permettant ainsi,
de conserver ET d‟articuler les différences entre les acteurs :
« C‟est aussi ça. Il y a un moment où tu peux avoir un produit super innovant, peut-être plus
respectueux de l‟environnement mais s‟il ne rencontre pas son marché, si les gens ne sont pas prêts
et bien ton produit il va rester dans les cartons. Il faut à un moment que tu aies suffisamment
travaillé le terrain pour que les gens soient prêts à partir sur quelque chose et je pense que c‟était
un engagement trop formel de créer une association. Je pense surtout qu‟ils avaient peur de ne pas
s‟y reconnaître. » (Troyes, Coordinateur).
Il semble important de ne pas créer de contraintes inutiles, de trop complexifier la
démarche par l‟utilisation d‟outils ou de langages incompréhensibles pour les acteurs en
présence ; mieux vaut suivre leur rythme et leur intérêt à participer :
« Pour moi il faut leur parler simple. Il ne faut pas les prendre pour des cons les chefs
d‟entreprises et il faut leur parler simple et écouter leurs besoins. Si on ne fait plus ça ben (…) Il
ne faut pas venir avec sa science en fait. Il faut y aller cool. On est là pour les aider, on est là pour
les écouter. Je dirais on est un guichet. On n‟est pas là pour servir à tout parce que ce serait mal
dit, mais oui, on est là pour eux. » (Dunkerque, Coordinateur).
Les dispositifs d‟intéressement mis en œuvre tout au long de ces processus soulignent cette
idée que les acteurs sollicités doivent pouvoir prendre voix au chapitre : sur les deux
territoires, des sites internet ont été mis en place, des newsletters ont été rédigées à
l‟attention des membres et des réunions de travail ainsi que des assemblées générales ont
été et sont toujours organisées. Il s‟agit là au moins autant de productions que de moyens qui
permettent la traduction des intérêts de la démarche : tout est fait pour accompagner le
processus et les dynamiques d‟acteurs. Ils peuvent exprimer au sein des réunions de travail et
des assemblées générales, leurs points de vue particuliers et réfléchir, ensemble, à la façon de
les rendre compatibles. L‟information peut circuler librement entre les différents acteurs qui
peuvent ainsi la contester, l‟enrichir, en un mot participer à sa production, à sa traduction.
Ces dispositifs d‟intéressement font davantage échos à ceux décrits par la TOF qu‟à ceux
de la ST. En ce sens qu‟ils ont plus vocation à donner la parole à tout le monde qu‟à
convaincre et rassembler autour d‟une ligne de conduite ou d‟intérêts qui seraient formulée
par les promoteurs de projet. Parce qu‟ils bénéficient d‟une vision d‟ensemble sur la
démarche, des éléments sont proposés – et non présentés – par ces promoteurs. Ils sont ainsi
tout de suite et en même temps mis au débat pour recueillir les avis, sentiments et
revendications éventuelles des acteurs. Le site internet d‟ECOPAL à Dunkerque par exemple,
a une rubrique dédiée aux « Témoignages », Figure 20, dans laquelle les acteurs peuvent dire,
avec leurs mots, l‟intérêt qu‟ils trouvent à participer à la dynamique collective :
201
Figure 20 Ŕ Témoignages d'adhérents d'ECOPAL, d'après le site internet du Club150
Sur le site internet du CEIA à Troyes, Figure 21, l‟accent est mis sur la centralisation
d‟informations : un grand nombre de documents peuvent être téléchargés depuis l‟interface
qui regroupe par ailleurs des descriptions de l‟ensemble des actions menées, à venir, etc.
L‟intérêt ici est de proposer à l‟ensemble des acteurs un stock d‟informations accessibles pour
qui le souhaite :
Figure 21 Ŕ De nombreuses informations disponibles sur le CEIA, d'après le site du Club151
Ce sont les acteurs sollicités qui font eux-mêmes une grosse partie du travail de traduction,
ce sont eux qui identifient et disent pourquoi il est intéressant de s‟impliquer dans la
dynamique coopérative ainsi que ce qu‟ils en attendent. Ce travail n‟est pas fait ni imposé a
150
151
Site internet, http://www.ecopal.org/temoignages.php, consulté le 9 décembre 2011.
Site internet, http://www.ceiaube.fr/01_actu.htm, consulté le 9 décembre 2011.
202
priori par les promoteurs de projets mais se construit peu à peu grâce et dans la diversité des
controverses qui peuvent toutes s‟exprimer. Comme le souligne le Tableau 25 ci-dessous, les
productions et dispositifs d’intéressement mis en œuvre servent cet objectif d’ouverture
et de libre expression pourrions-nous dire, ils articulent les différences en même temps
qu’ils les conservent : ils sont des objets-frontières.
Catégories
Objets-frontières présents sur les terrains
Les Sites Internet et Newsletters :
« Répertoire »
Ils facilitent par leur format, le stockage d‟informations, la communication et le
rapprochement de contenus divers. Chacun s‟il le souhaite, apprendre des autres et
évoluer.
La démarche d’EIT en elle-même :
« Idéal-Type »
Le nom est le même pour tous mais chacun y met un peu ce qu‟il souhaite, ce qui
lui parle le plus. C‟est la même expression mais elle ne signifie pas la même chose
à chacun.
Les associations constituées :
« Enveloppe »
Elles ont une forme définie (statuts, conseil d‟administration, procédure
d‟admission des nouveaux membres, etc.) mais chacun y est pour des raisons qui
lui sont propres.
Les réunions de travail :
Elles ont un format établi (lieu et horaires) mais là encore, chacun s‟y rend pour
des raisons qui lui sont propres, peut y aller une fois, ne pas s‟y rendre la fois
d‟après, etc.
Les documents d’enquête
« Format Standard »
Les documents utilisés par les acteurs pilotes de Dunkerque notamment, pour
identifier les besoins des entreprises, pourraient être des objets-frontières au sens
où ils ont permis de rassembler des informations très différentes sur des supports
chaque fois identiques facilitant la communication et le « rapprochement des
contenus ».
Tableau 25 Ŕ Des objets-frontières sur les terrains complémentaires
Selon les dires des répondants, ce n‟est d‟ailleurs pas la scientificité ou la rigueur
méthodologique qui font l‟intérêt de la démarche mais le fait de pouvoir se retrouver entre
personnes qui se connaissent, se comprennent et même, s‟apprécient. La dimension technique
de la démarche n‟est apparemment pas ce qui cimente les acteurs ; ce n‟est ni ce qui les attire,
ni ce qui les fait vouloir rester. Ce dont on nous parle ici finalement, ce dont il s‟agit quand on
évoque la démarche d‟EIT, c‟est d‟un objet qui parle à la personne, qui s‟accorde avec les
préoccupations des acteurs impliqués. Le raisonnement technique traditionnel, le discours
basé sur l‟ingénierie de la démarche n‟est en effet pas ce qui, spontanément, vient à l‟esprit
des répondants lorsqu‟on les interroge sur ce qui fait le succès de la dynamique :
203
« Le CEIA, si je dois dire en deux mots, c‟est des mecs gentils, modestes, qui partagent la même
valeur de la nature et du fait qu‟on peut partager les déchets des uns avec les intrants, ou les
intrants avec les sortants des autres. Et au départ ce sont d‟abord des gens qui sont simples et qui
partagent les mêmes valeurs de nature. Moi c‟est ce que je dis. Après on a chanté la chanson qui
va avec, mais je crois qu‟au départ, je crois qu‟au bureau du CEIA, je pense qu‟on pense la même
chose. Enfin je pense que bureau du CEIA on est quatre chasseurs sur six quoi. Non mais il faut le
dire. Mais pas pour être chasseur, je crois qu‟à un moment donné, on sait ce qu‟on veut et on sait
ce qu‟on veut respecter. » (Troyes, Industriel et élu).
La spécificité territoriale soulignée ici ne doit pas nous masquer l‟enseignement du propos.
Ce que nous dit ce répondant, c‟est que l‟un des facteurs de succès de la démarche d‟EIT à
Troyes est le fait que des acteurs se côtoient aussi en dehors des préoccupations liées à l‟EIT
et se retrouvent sur un certain nombre de valeurs et de centres d‟intérêts. L‟importance des
intérêts convergents exprimés ici à travers l‟exemple de la chasse, nous encourage à penser
que, précisément, les centres d‟intérêts et le plaisir qu‟il y a à se retrouver peuvent être
décisifs dans les dynamiques collectives.
La création d’objets-frontières conviviaux
A Dunkerque comme à Troyes, les dispositifs d‟intéressement mis en œuvre apparaissent
comme des objets-frontières : chacun s‟y reconnaît, chacun peut apprendre des autres et ainsi
évoluer pour progresser ensemble (Carlile, 2002). Un regard croisé sur les catégories d‟objetsfrontières présentées dans la littérature (Star et Griesemer, 1989) et celles que l‟on identifie
sur nos terrains d‟analyse nous montre qu‟il existe probablement une autre catégorie d‟objetsfrontières. Ils ont la même fonction et servent les mêmes objectifs que les objetsfrontières traditionnels mais se présentent différemment : nous les qualifierons
d’« objets-frontières conviviaux » (OFC).
Organiser, aménager, imaginer, proposer des lieux qui permettent à chacun de rencontrer
l‟autre, de traduire l‟intérêt de la démarche à sa façon, d‟articuler sa spécificité avec celle de
l‟autre : voilà la tâche de ceux qui ont à porter et implanter ces démarches innovantes d‟EIT.
En évoquant les rencontres sur site autour d‟un petit déjeuner ou d‟un déjeuner, les
barbecues annuels, les voyages de groupe, les parties de chasse, etc., les répondants nous
montrent qu’il y a nécessité de créer de l’évènement où l’on a plaisir à se retrouver, où
l’on crée et cimente les liens :
« Je veux dire il nous a organisé un voyage à Fribourg, un premier restaurant où on arrive bon on
avait du vin mais on pouvait faire mieux en vin. Bon on s‟est démerdé mais on lui en n‟a pas voulu.
Je le dis parce que c‟est un vrai propos. Parce qu‟il y avait un vrai bon moment à partager. Je
crois qu‟à un moment donné, c‟est ça. » (Troyes, Industriel et élu).
204
« Et là il y eu Emeline en emploi jeune. Elle est devenue animatrice pour remettre une dynamique
sur le territoire avec les Clubs d‟entreprises : créer du relationnel, une dynamique, faire des
évènements pour après, aller plus loin. » (Dunkerque, Elu).
« La richesse d‟ECOPAL vient du fait que les deux profils, les donneurs d‟ordre et les soustraitants, trouvent intérêt à comprendre l‟autre. (…) Le fait de se voir en dehors du business ça
fidélise, ça met en confiance, c‟est du lobbying finalement. » (Dunkerque, Industriel).
Effectivement et comme nous l‟évoquions plus haut, la dimension relationnelle de la
démarche est essentielle. Mais nous apprenons encore autre chose ici. En plus de reconnaître
l‟importance des liens inter-personnels, nous souhaitons souligner la dimension conviviale de
ces relations. C‟est-à-dire qu‟en plus de se connaître, on partage un certain plaisir à être
ensemble qui en tant que tel, apporte un intérêt supplémentaire au processus coopératif. Le
fait de se connaître incite à entrer et à participer à la dynamique, mais le fait de prendre plaisir
à y aller rend la démarche d‟autant plus intéressante et incite probablement les acteurs à s‟y
engager encore davantage. C‟est à partir du (bon) moment partagé que l‟on parvient à créer
quelque chose, en rendant ainsi possibles les coopérations :
« Il y a des réunions, c‟est sympa. Ca se fait avec du fois gras et tout ! Et des rillettes ! C‟est
sympa, c‟est volontaire. » (Troyes, Industriel et élu).
« Et petit à petit on a réussi à trouver un climat de confiance, on en arrivait même à faire des
petites newsletters d‟info de vie sur la zone pour expliquer ce qui se passait et aussi on a
commencé en 2003, 2004, on a commencé à faire un barbecue sur la zone rien que pour les
adhérents. On leur disait venez, c‟est convivial. Et les gens étaient contents de se voir, ils ne se
connaissaient pas assez donc c‟était le moyen, ils pouvaient échanger leur carte et voilà. »
(Dunkerque, Coordinateur).
« Amitié, tout le monde se tutoie, tout le monde se respecte, on se passe des coups de fil entre nous,
on se fait une bouffe entre nous de temps en temps ce qui est quand même vachement sympa. On ne
parle pas de boulot. C‟est de l‟amitié, c‟est du relationnel, ce n‟est pas du business Ŕ ce qui est
important parce que le business tue Ŕ il n‟y a pas d‟arrière pensée. Quand on a envie de se dire
quelque chose on se le dit. Et puis c‟est une ouverture sur ce qu‟on ne connaît pas. La prochaine
réunion du Club se passe ici dans nos bureaux. C‟est ce côté vachement sympa, agréable qui fait
marcher ce Club comme d‟autres Clubs. L‟amitié, le respect, des autres. Savoir être à l‟écoute des
autres, c‟est ça ce Club. On a besoin de ces bons moments tous pour faire autre chose, penser à
autre chose parler d‟autre chose et c‟est en parlant qu‟on innove. » (Troyes, Industriel).
Il semble que les dispositifs d‟intéressement proposés par la TOF permettent un relationnel
constructif dans le sens où elle invite plus à la cohabitation des différences qu‟à la
confrontation. Plus exactement, la confrontation peut être productive si, et c‟est ce que
doivent permettre les objets-frontières, il y a un respect des différences et des particularités de
chacun : c‟est par la différence, et dans la préservation de ces différences, que les acteurs
peuvent progresser ensemble, effectuer le travail de traduction nécessaire à leur implication
dans la démarche en co-construisant quelque chose de partagé. Voilà le rôle des objets205
frontières et à plus forte raison des OFC : s‟apprivoiser pour dépasser l‟opposition éventuelle
née de nos différences. Les OFC rendent, en effet possible la traduction des intérêts de la
démarche en faisant se côtoyer les hétérogénéités sans que cela ne devienne problématique.
D‟abord parce qu‟ils permettent à tous ceux qui le souhaitent d‟être présents et de participer à
la rencontre. Egalement parce qu‟à l‟occasion de ces OFC, tout le monde est autorisé à
s‟exprimer, que la parole de chacun est entendue, qu‟il n‟y pas de hiérarchie, qu‟il n‟y a pas
d‟un côté les sachants et de l‟autre ce qui doivent apprendre ou comprendre. Enfin parce
qu‟ils permettent à tous les acteurs sollicités de se rencontrer, d‟apprendre à se connaître et à
se comprendre. C‟est justement parce qu‟ils sont des OFC et que les acteurs ont plaisir à s‟y
rendre, qu‟ils libèrent la parole des participants et permettent une circulation accrue de
l‟information. Ce qui rend possible la création d‟un langage partagé c‟est-à-dire
l‟identification d‟intérêts communs à participer et partant, d‟un réel intérêt pour la démarche
coopérative encouragée. Les OFC se présentent comme des espaces/temps protégés, offrant
l‟opportunité aux acteurs de se familiariser les uns aux autres, se s‟accorder avec les logiques
d‟action des autres. Tout se passe comme si, pour parvenir aux coopérations interorganisationnelles et mettre en place des synergies, il fallait d’abord et avant toute autre
chose, parvenir à créer non seulement un lien, mais au-delà, un lien positif, un lien de
qualité, un lien qui serve la dynamique collective à créer.
Pour cela, il semble utile de pouvoir aménager des espaces dédiés et de laisser du temps
aux acteurs. D‟ailleurs on le sait, la dimension temporelle est essentielle dans les démarches
coopératives (Doz, 1996). La décision ne peut se prendre à la place des acteurs eux-mêmes :
le bon moment pour le porteur, réalisateur, expert n‟est pas nécessairement le bon moment
pour l‟industriel concerné. Tous n‟ont pas la même conscience que ces démarches peuvent
être intéressantes ou utiles, tous n‟ont pas les mêmes connaissances de ces questions, tous n‟y
trouvent pas le même intérêt et ces différences ne doivent pas être ignorées. Les bousculer
serait précipiter l‟échec de l‟émergence du processus coopératif. Chaque chose en son temps
et le temps de la recherche et de la production de connaissances n‟est pas le temps des acteurs
de terrain. Il est donc important de prendre ce temps : le temps de faire se rencontrer des
acteurs qui n‟ont peut-être pas l‟opportunité de se rencontrer par ailleurs, le temps de laisser la
démarche mâturer, de laisser le travail de traduction se faire entre les acteurs et ainsi de
permettre à un langage partagé de se constituer de lui-même, puisque nous avons vu qu‟il était
difficile pour les promoteurs des projets d‟EIT de s‟en charger seuls.
206
Une synthèse des résultats, proposée au Tableau 26 suivant, nous permet d‟appuyer et
d‟illustrer cette conclusion :
A : Vallée de la Chimie
C : Dunkerque
B : Lille
D : Troyes
A : Avec le soutien de la DRIRE et de la
Région Rhône-Alpes, l‟INSA (et une
équipe d‟experts associés) doit conduire
une étude d’EIT pour quantifier et
qualifier les flux entrants et sortants du
territoire. Cela doit se faire avec des
entreprises locales volontaires du secteur
de la chimie.
C : Avec l‟appui de la municipalité et d‟une
grande entreprise locale, une pré-étude d‟EIT
montre qu‟il faut encourager les liens et
relations inter-organisationnelles sur la
zone d’activités et notamment par la
création d‟une association.
Problématisation
(Callon, 1986)
B : La municipalité, une entreprise locale
et des experts associés se joignent pour
tester la méthodologie Eurostat et
développer, grâce aux analyses de
l‟EIT, un outil d’aide à la décision à
destination des élus locaux. Cette
démarche passe par la mobilisation
d‟organisations locales (entreprises,
chambres consulaires, etc.,).
A : Appartenance au même SECTEUR
D’ACTIVITE (pour les entreprises) et
au même TERRITOIRE
Socle Commun
B : Appartenance au même
TERRITOIRE
D : Avec l‟appui du Conseil Général de
l‟Aube, quelques entreprises locales
appuyées par l‟UTT152, décident de créer un
Club informel d’EIT leur permettant
d’identifier, entre eux, des pistes de
synergies.
C : Appartenance au même TERRITOIRE
et BESOIN de faire des choses ensemble
D : Appartenance au même TERRITOIRE
et ENVIE de faire des choses ensemble
(Bechky, 2003)
 Il s‟agit là des plus petits
dénominateurs communs que l‟on peut
identifier dans ces démarches. Il n‟y pas
eu, au fil de l‟étude, de création d‟un
autre contexte partagé, qui aurait été
plus mobilisateur.
Intéressement
(Akrich et al., 1988a
et 1988b) :
-
DI153 dans la
démarche
(Callon et Law, 1988)
152
153
A : Les documents et outils étaient
orientés, axés sur la collecte de données
de flux de matières, flux, d‟énergie. Les
rencontres servaient à présenter les
informations recueillies, l‟analyse qui en
était faite et à valider les étapes restantes
avec les parties prenantes.
B : Les documents et outils étaient
 Les contextes partagés d‟ « envie » et de
« besoin » était présents au démarrage de
l‟étude et ont été préservés jusqu‟à
maintenant.
C : Le lancement de la démarche s‟est fait
par des personnes qui se connaissent,
création rapide de l‟association avec emploi
d‟une chef de projet pour aller voir les
industriels, identifier leurs besoins, les faire
se rencontrer lors de réunions de travail, de
barbecues, mettre en place un site internet,
newsletters. PUIS Renseigner un
questionnaire exhaustif de collecte de
données, utiliser un logiciel informatique
UTT : Université Technologique de Troyes
DI : Dispositifs d‟Intéressement.
207
Et/ou ?
- OF154 dans la
démarche
(Star et Griesemer,
1989)
orientés, axés sur la collecte de données
de flux de matières, flux, d‟énergie. Les
rencontres servaient à présenter les
informations recueillies et à collecter des
informations manquantes
principalement.
 Des DI qui ont permis de satisfaire
l‟objectif de connaissance par la
collecte et le traitement des informations
de flux mais qui n‟ont pas permis
d‟embarquer les acteurs ; qui ne les ont
pas intéressés à la démarche.
pour stocker et traiter les données dans le
cadre du projet COMETHE155.
D : Le lancement de la démarche s‟est fait à
l‟occasion d‟un dîner puis il y a eu des
rencontres au sein des entreprises
participantes, l‟organisation d‟un voyage
collectif, de petits déjeuners et déjeuners
ensemble lors des réunions, site internet.
PUIS Le renseignement d‟un questionnaire
exhaustif de collecte de données, l‟utilisation
d‟un logiciel informatique pour stocker et
traiter les données dans le cadre du projet
COMETHE.
 Des DI qui ont permis ET
l‟intéressement des acteurs ET la collecte et
le traitement des informations de flux. Ils se
présentent en effet comme des OF parce
qu‟ils ont conservé les « perspectives
multiples » (Fujimura, 1992, p.171) des
différentes parties prenantes.
NON,
Enrôlement des
acteurs
(Callon et Law, 1988)
Pas de suite opérationnelle
directement liée à la démarche, pas
de mobilisation durable des parties
prenantes, pas de changement dans
le quotidien des acteurs.
SUBSTANTIVE,
Le primat est donné à l‟acquisition
de connaissances et à la
construction de savoirs ;
Type
d’approche
Les efforts investis sont donc
orientés sur cet objet
scientifiquement rigoureux et en
quête d’exhaustivité ;
Les acteurs ont davantage un rôle
d’informateurs que de faiseurs : ils
sont sollicités pour fournir des
données ;
La traduction relève du promoteur
qui doit convaincre de l’intérêt de
la démarche pour mobiliser ces
informateurs.
154
OUI,
Mise en œuvre de coopérations interorganisationnelles, mobilisation des
acteurs (création d‟associations de loi
1901), changement des pratiques.
PROCESSUELLE,
Le primat est donné à la construction ou
au maintien des relations entre les
acteurs impliqués ;
Les efforts investis le sont au regard de
cet objectif de renforcement de la
confiance et de liens sociaux ;
Les acteurs ont un rôle central à jouer
puisque se sont eux qui alimentent le
processus ;
La traduction est laissée aux acteurs
eux-mêmes qui se confrontent et
trouvent ainsi leur place et leurs
intérêts à participer à la démarche.
Cette traduction laissée aux acteurs est
possible grâce à la mise en place
d‟« objets-frontières conviviaux ».
OF : Objets-frontières.
Il faut souligner que sur nos quatre démarches analysées, connues au niveau national, seules les deux les plus
avancées en termes de synergies/coopérations inter-organisationnelles c‟est-à-dire finalement d‟enrôlement des
acteurs ont candidaté et se sont senti suffisamment matures pour participer à ce projet de recherche.
155
208
Tableau 26 Ŕ Synthèse des enseignements des quatre terrains d'analyse
Notre analyse des quatre terrains choisis nous permet de mettre en relief un certain nombre
de résultats :
-
Les démarches d’EIT ne sont pas des processus uniformes et il existe une
diversité d‟approches dont au moins deux ont été identifiées ici ;
-
Selon que l‟on se focalise sur la dimension technique ou la dimension humaine des
démarches d‟EIT, on n’obtient pas les mêmes résultats ;
-
Se concentrer sur la dimension technique permet de produire de la connaissance
sur les flux et partant sur le fonctionnement des organisations impliquées. En
revanche, cela ne mobilise pas les acteurs de façon induite et favorise peu les
coopérations inter-organisationnelles;
-
Se concentrer sur la dimension humaine permet d‟alimenter ou de créer des
relations entre les acteurs impliqués, ce qui favorise les coopérations interorganisationnelles. En revanche, cela nécessite une intervention technique par la
suite pour garantir la faisabilité des synergies identifiées et permettre la mise en
œuvre de ces coopérations ;
-
Ces deux approches, que nous avons respectivement nommées « approches
substantives » et « approches processuelles » ne s‟opposent pas mais sont
complémentaires dans le processus d’ensemble d’une démarche d’EIT ;
-
La première approche mobilise des dispositifs d’intéressement manipulés par les
promoteurs de projets qui font le travail de traduction – comme le préconise la ST –
afin de convaincre de l‟intérêt et de la légitimité de la démarche. Dans les démarches
spécifiques d‟EIT cependant, la traduction apparaît d‟autant plus difficile à conduire
que leurs promoteurs sont dans l‟incapacité au départ de formuler ce que la démarche
va permettre d‟obtenir. En raison de ces incertitudes, il n‟est pas aisé pour les
promoteurs de projet, de savoir comment « vendre » la démarche qu‟ils initient afin
d‟impliquer les acteurs sollicités. A titre d‟exemple, faire une analyse des flux de
matières et d‟énergies pour identifier des pistes de progrès collectives semble n‟avoir
qu‟un intérêt limité pour les acteurs qui participent au processus. Cette approche ne
semble donc pas la plus adaptée ni la plus opérante pour initier des coopérations interorganisationnelles dans le cadre des démarches d‟EIT ;
-
La seconde approche mobilise les objets-frontières proposés par la TOF, c’est-àdire des dispositifs d’intéressement qui laissent les acteurs sollicités faire eux209
mêmes le travail de traduction. Cette approche semble davantage performante dans
des contextes très innovants avec des acteurs hétérogènes et lorsqu‟on ne sait pas à
l‟avance et avec précision, ce sur quoi cela va aboutir. L‟analyse des terrains
complémentaires semble effectivement indiquer que mobiliser des outils ouverts et
souples, laissant sa place à chaque différence, facilite le lancement d‟une dynamique
d‟acteurs coopérative ;
-
Les objets-frontières créés dans le cadre de cette seconde approche peuvent être les
objets-frontières traditionnels matériels décrits dans la littérature ou/et être des
objets-frontières sociaux, « conviviaux », comme ceux que nous avons identifiés
dans nos terrains d‟analyse et qui favorisent les rencontres autour d‟évènements
collectifs. Les terrains de Dunkerque et Troyes ont montré l‟utilité d‟aménager et de
réserver des espaces/temps où les acteurs trouvent plaisir à se rencontrer dans un
premier temps, puis à se retrouver, au fur et à mesure de la progression de la
démarche. Ces moments d‟échange peuvent aider à faire cohabiter les différences, en
faisant circuler les informations entre les acteurs et en co-construisant ainsi un
langage partagé, apparemment indispensable à l‟initialisation des coopérations interorganisationnelles.
La compréhension de ce qui s‟est passé sur nos quatre terrains, de la façon dont les
démarches ont été conduites et des productions auxquelles elles ont abouti, nous permet
d‟apporter des éléments de réponse à notre problématique de l‟enrôlement des acteurs dans
les démarches inter-organisationnelles d‟EIT.
Nous pouvons en effet dégager trois résultats principaux à notre analyse :
1/ Il existe au moins deux types d‟approches dans les démarches d‟EIT, des approches que
nous appelons « substantives » et des approches que nous appelons « processuelles » ;
2/ Ces deux approches ne s‟excluent pas l‟une l‟autre mais sont complémentaires dans le
processus général des démarches d‟EIT ;
3/ Pour enrôler les acteurs dans le processus innovant et initialiser des coopérations interorganisationnelles dans les démarches d‟EIT, il faut d‟abord privilégier une approche
processuelle, mobilisant les dispositifs d‟intéressement de la TOF Ŕ matériels et sociaux
respectivement traditionnels et conviviaux Ŕ puis, une fois que le langage partagé est identifié
plus clairement, les renforcer, les valider, les concrétiser par une approche substantive,
210
mobilisant des dispositifs d‟intéressement de la ST, plus contraignants parce que
convaincants, et incitant à la convergence.
211
CHAPITRE 6
DISCUSSION DU PROPOS
« Nous entrevoyons qu‟aucune étoile ne guide l‟avenir, que celui-ci est ouvert comme jamais dans
les siècles précédents, puisqu‟il comporte désormais à la fois la possibilité d‟anéantissement de
l‟humanité, celle d‟un progrès décisif de l‟humanité, et, entre ces deux possibilités extrêmes, toutes les
combinaisons, tous les mélanges, toutes les juxtapositions de progressions et régressions sont
possibles. »
Morin, 2007 (p.25)
Les analyses de terrain aux CHAPITRE 4 et CHAPITRE 5 précédents ont apporté des
éléments de compréhension sur ce qui permettrait de favoriser ou au contraire freinerait
l‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles.
Dans ce CHAPITRE 6, nous préciserons ce que nos analyses de la littérature et études des
terrains nous ont permis d‟apprendre dans ce travail : nous développerons ainsi les
enseignements à tirer tant du point de vue de la recherche que de celui des pratiques. Pour
cela nous détaillerons successivement ce qui nous permet de renforcer et/ou compléter les
littératures existantes : celles spécifiques à l‟EIT, celles des sciences de gestion sur les
coopérations inter-organisationnelles, ainsi que celles sur la ST et la TOF.
6.1.
FAVORISER LE DEVELOPPEMENT DES DEMARCHES D’EIT
Tout au long de ce travail, la question sous-jacente à nos recherches a été de savoir
comment favoriser le développement des démarches d‟EIT. A la fin de notre parcours, un
retour sur les littératures en EIT et en sciences de gestion qui ont trait à ce sujet nous paraît
nécessaire pour discuter des apports de notre recherche.
6.1.1. L’homme au cœur des attentions
Rendre l’homme compatible à son environnement
Le constat fait de plus en plus consensus : la façon dont l‟homme se développe sur la
planète n‟est pas durable. La pression sur les ressources est trop importante (Barbault, 2000)
et la quantité de déchets produite non soutenable (Bourg et al., 2006). La tâche à laquelle
doivent maintenant s‟atteler théoriciens des organisations et praticiens, est donc de penser
l‟homme en relation avec son environnement naturel (Shrivastava, 2008) afin que le
212
développement humain s‟harmonise avec ce son environnement naturel peut offrir et
supporter. Notre étude ne remet pas en question ce constat. Les différents interlocuteurs
rencontrés s‟accordent sur le fait que l‟on ne peut pas ne rien faire en matière de
développement durable. Malgré ce consensus apparent, des divergences interviennent lorsque
l‟on s‟interroge sur le quoi faire et comment le faire. Nous constatons en effet que les
stratégies d‟actions varient d‟une entreprise à l‟autre (Durif et al., 2009) et pour nous, d‟un
territoire à l‟autre également. Partant du postulat que les organisations, et les entreprises en
particulier, ont un rôle à jouer pour encourager un développement durable de nos sociétés
(Bansal, 2005), il nous a paru important de mieux comprendre ce qui pouvait conduire les
entreprises à jouer pleinement leur rôle face à ces enjeux.
Dans ce cadre, nous avons vu que l‟EIT qui se revendique d‟être la « science de la
durabilité » (Allenby, 1999), a des réponses à apporter (Cosgriff Dunn et Steinemann, 1998)
en proposant notamment de s‟inspirer du fonctionnement des écosystèmes naturels pour nos
sociétés occidentales, industrialisées. Dans la littérature, l‟idée est simple puisqu‟il suffirait de
passer d‟un système linéaire à un système circulaire où matières et énergies seraient
constamment et systématiquement réutilisées et réemployées, par les différents acteurs du
système. Ce mode de fonctionnement limiterait l‟apport en matières premières et la
production de déchets, ces derniers devenant à leur tour de nouvelles matières premières
(Erkman, 2004).
Alors que les travaux de recherche sur le sujet se multiplient (Harper et Graedel, 2004), le
manque d‟expériences réussies interpelle (Gibbs et Deutz, 2007). Sans doute faut-il en
conclure qu‟il est plus complexe de passer du principe initial, en apparence simplissime, à sa
mise en œuvre. On s‟est en effet aperçu que des éléments sont manquants, des considérations
sous estimées et des focales mal placées (Cohen-Rosenthal, 2000) : au fur et à mesure de son
développement, l‟intérêt pour l‟EIT s‟est articulé autour de sa dimension technique et
l‟attention s‟est portée sur les flux physiques de matières et d‟énergies que ces démarches
proposent de mettre en synergies. Mais les hommes qui portent ces flux, les créent et les
organisent ont été oubliés. Michel Serres (2008) pousse d‟ailleurs cette idée jusqu‟à
considérer que lorsque l‟on s‟intéresse aux problèmes environnementaux, ce n‟est finalement
pas de technique dont il s‟agit :
« Avons-nous commis, en séparant ainsi nature et cultures, une erreur de jugement, induisant un
crime mortel contre nous-mêmes et le monde, inerte et vivant ? En effet, nous ne savons traiter de
la pollution qu‟en termes physiques, quantitatifs, bref, qu‟au moyen des sciences dures. Eh non, il
213
s‟agit bien de nos intentions, de nos décisions, de nos conventions. Bref, de nos cultures. » (Serres,
2008, p.64).
Ce constat est partagé par Vermeulen (2006), les solutions techniques n‟étant ni les seules
ni suffisantes :
« Ces outils donnent à tous nos problèmes une réponse technocratique qui finit par devenir contreproductive eu égard aux attentes des hommes en matière de qualité de la vie. Aujourd‟hui, il existe
une prise de conscience assez générale du fait que ces solutions « techniques » ne règlent pas
tout. » (Humbert, 2011, p.113).
Comme l‟illustrent les démarches conduites sur la Vallée de la Chimie et à Lille,
l‟attention portée à la qualification et la quantification des flux de matières et d‟énergies
échangeables, ne saurait suffire à mettre effectivement en place une démarche d‟EIT. Trop
techniques, ces expériences n‟ont pas permis d‟initier une dynamique coopérative. A partir de
l‟observation des territoires de Dunkerque et de Troyes, nous constatons que ces démarches
requièrent un degré relativement élevé de coopération entre les acteurs, qui ne se postule ni ne
se décrète (Strebel et Posch, 2004). Si le promoteur de projets souhaite obtenir une
mobilisation active et durable des acteurs qu‟il sollicite, il ne peut se contenter de ces études
de métabolisme physique (Orée, 2009). Aussi rigoureuses et potentiellement convaincantes
puissent-elles être pour ceux qui les maîtrisent, les techniques d’évaluation et d’études
de flux sont impuissantes à embarquer les acteurs autour d’elles. D‟une part, parce
qu‟elles sont coûteuses à mettre en place et nécessitent d‟importantes ressources en temps, en
argent et en hommes. D‟autre part, et c‟est probablement là que se situe le frein le plus
important, parce qu‟elles sont fastidieuses et restent peu compréhensibles et peu parlantes
pour les acteurs qui ont à y participer. Remettre l‟homme au cœur de ces démarches est
d‟ailleurs une volonté assez partagée dans les débats récents et qui émergent :
« Les études de cas exposées dans cet ouvrage montrent les effets pervers d‟une trop grande
confiance dans des solutions technologiques qui ne tiennent pas suffisamment compte des aspects
socio-organisationnels qui sous-tendent le changement. » (Boiral, 2007, p.305).
Tenir compte de la technicité et de la socialité de l’EIT
Alors même que l‟on reconnaît à quel point il est important de relier les hommes à
l‟environnement (Frosch et Gallopoulos, 1989), l‟homme et la prise en compte des
dynamiques humaines, se trouvent absents de la plupart des travaux mais également des
pratiques en EIT. L‟ère des sociétés industrielles semble s‟être développée en se focalisant sur
les besoins et les envies de l‟homme considérant pour cela la nature comme un simple stock,
214
un réservoir inépuisable de ressources156. En se concentrant sur le support physique des
échanges à la base de cette société industrialisée, à savoir les flux de matières et d‟énergies, la
recherche en EIT a comme pris le contre-pied de cette tendance dominante. Dans ce dernier
cas, la volonté et les intérêts des hommes disparaissent en même temps que se renforce l‟idée
selon laquelle ils se plieront aux évidences scientifiques. Il n‟y a pourtant aucune
correspondance mécanique entre les deux ; les approches et langages d‟ingénieurs sont les
approches et langages d‟ingénieurs, construits par eux et dont ils pourraient être les seuls à
savoir comment les utiliser :
« On peut conclure que le langage technique possède un ordre de cohérence en soi : le projet de
l‟ingénieur fonctionne ici sans référence aux autres ordres de réalité. (…) L‟automatisation du
discours technique favorise le surdimensionnement de projets et leur inadaptation par rapport aux
besoins. (…) En résumé, on a constaté que le langage technique avait tendance spontanément à
s‟affranchir de certaines contraintes de la réalité : l‟optimum fourni par le modèle, s‟il est
parfaitement cohérent du point de vue de la théorie, risque fort d‟être dénué de réalité sociale ou
du moins décalé par rapport à celle-ci. » (Barouch, 1989, p.55-56).
Autrement dit, le seul langage de l‟ingénieur ne suffit pas. Des travaux récents (Haan et al.,
2011) soulignent également que pour mettre en place une démarche innovante, on ne peut pas
se concentrer sur sa dimension technique uniquement : il faut tenir compte des hommes et des
organisations qui auront à la mettre en œuvre :
« Une technologie intelligente ne constitue pas à elle seule une solution intelligente, les utilisateurs
et les opérateurs doivent être impliqués dans un processus d‟apprentissage de la même manière
qu‟il faudra changer les institutions157. » (Haan et al., 2011, p.975).
L‟idée, qui a émergé au fil de notre analyse de la littérature et selon laquelle le
développement technique de l’EIT ne permet pas un développement significatif de ces
démarches, parce qu’il ne tient pas suffisamment compte de la dimension humaine se
trouve confortée en cette fin de parcours de recherche. A l‟issue de l‟étude de quatre
territoires, ce travail nous a effectivement permis d‟identifier deux approches distinctes dans
la façon de conduire une démarche d‟EIT.
L’approche substantive articulée autour d’une étude scientifique. C‟est celle que nous
avons observée sur les territoires de la Vallée de la Chimie et de Lille. Elle est conduite par
les promoteurs de projets avec l‟ambition d‟acquérir un certain nombre de connaissances et de
données sur le système auquel elle s‟applique. Elle vise principalement l‟accumulation de
156
Ce que l‟on sait maintenant être faux (Hart, 1995).
« Intelligent technology in itself is not enough for an intelligent solution, the users and operators need to be
involved in a learning process, and the institutions will need to be changed as well. »
157
215
savoirs et se concentre sur cet objet principal. Les efforts investis ainsi que les moyens
mobilisés sont donc orientés dans le sens d‟une rigueur méthodologique et d‟une collecte
exhaustive d‟informations. Ces éléments s‟imposent comme le fil rouge de la démarche, qu‟il
faut suivre, auxquels il faut se rapporter sans cesse et desquels on ne peut se départir. Ils n‟ont
d‟ailleurs pas vocation à évoluer avec le temps mais dictent les étapes du processus. Les
acteurs du système ont ici un rôle d‟informateurs essentiellement en tant qu‟ils transfèrent le
savoir qu‟ils ont de leur activité, aux promoteurs de projets. Ce sont ces derniers qui ont
ensuite la charge d‟agréger, trier, analyser les données récupérées afin de faire émerger des
pistes de progrès collectives, traduites en termes d‟échanges, de mutualisation ou de
substitution de flux de matières et d‟énergies.
L’approche processuelle est davantage centrée sur les acteurs. C‟est celle que nous
avons repérée sur les territoires de Dunkerque et de Troyes. Elle ne suit pas une méthodologie
arrêtée mais elle suit les acteurs, s‟appuie sur eux, sur leurs besoins et sur leurs envies. Elle
s‟attache fortement à la façon de construire la dynamique d‟acteurs. Elle ambitionne de
maintenir ou construire des relations entre ces acteurs et les efforts investis le sont
principalement dans cet objectif de renforcement des liens sociaux. Cette approche suit le
précepte du « c‟est en forgeant qu‟on devient forgeron » : les acteurs ne savent pas très
précisément au départ ce sur quoi la dynamique va aboutir. Les promoteurs de projets en ont
surtout une idée générale, ce qui permet une souplesse et une grande ouverture dans le déroulé
et le suivi de la dynamique. Les moyens mobilisés peuvent s‟adapter et évoluer au fur et à
mesure du déroulé de la démarche. Les choses se font au moment où elles se font. Elles sont
encouragées, accompagnées mais sont issues, pour nos deux territoires d‟analyse en tout cas,
d‟une volonté initiale des acteurs locaux de faire quelque chose. Les acteurs mobilisés ont un
rôle central et s‟ils sont informateurs, c‟est en tant qu‟ils peuvent dire ce qu‟ils pensent, ce
dont ils ont envie ou besoin par exemple, et se parlent entre eux, s‟échangent de l‟information
de façon compréhensible et accessible.
Par rapport aux propositions de la littérature, notre travail montre effectivement que
les démarches d’EIT ne sont pas uniformes, ni partout, ni chaque fois identiques
puisqu’il en existe au moins de deux types. Alors que dans le premier cas, les acteurs
doivent suivre la méthodologie proposée, dans le second c‟est la méthodologie qui suit les
acteurs. Si d‟un côté, les promoteurs comptent sur la validité de la démarche pour faire
entendre son intérêt et agréger les acteurs, de l‟autre ils agrègent les acteurs en adaptant la
216
démarche à ce qu‟ils entendent d‟eux et à ce que eux attendent d‟elle. Ne nous méprenons pas
cependant : ces deux approches ne s’opposent pas et ne s’excluent pas l’une l’autre. Elles
présentent chacune un intérêt spécifique et permettent de répondre toutes deux à des objectifs
différents. Avec les enseignements de la littérature, on peut penser que la première est utile et
efficace lorsque les acteurs sont mobilisés, relativement matures sur les enjeux, sur les intérêts
de la démarche conduite et au clair sur les objectifs et attendus possibles. La seconde quand-àelle, pourrait l‟être davantage quand la démarche est véritablement nouvelle et qu‟on ne sait
pas, a priori, ce qui peut en découler. Nous y reviendrons.
Nous souhaitons donc nuancer ce que dit la littérature lorsqu‟elle propose les étapes clés et
idéales d‟une démarche d‟EIT réussie (Brullot, 2009 ; Orée, 2009). Sur le papier elles
apparaîtraient comme des protocoles établis, des méthodes standardisées comme les
définissent Star et Griesemer (1989), puisqu‟on peut lire par exemple que « Toute action au
nom de l’écologie industrielle doit être précédée d’une étude du métabolisme des activités158
économiques, c‟est-à-dire des flux de matières sous-jacents aux activités de production,
d‟échange et de consommation, soit sur un territoire donné, soit pour un type de produit. »
(Bourg et al., 2006, p.140). On s‟aperçoit cependant qu‟elles ne sont pas homogènes et que
les approches diffèrent d‟une expérience à l‟autre. Les contextes varient (Ehrenfeld et Gertler,
1997) et il semble difficile d‟établir une méthodologie idéale, universelle. Ces démarches
d’EIT sont encore trop récentes, trop innovantes pour se décliner selon un ensemble
d’étapes arrêtées et de règles formalisées qui s’imposeraient aux acteurs. Il appartient
donc au promoteur de projets de savoir comment opérer en fonction des différents contextes
dans lesquels ces démarches se déploient. La littérature a mis en évidence le rôle d‟une tierce
personne, en plus des acteurs directement concernés par la démarche, pour encourager la mise
en œuvre de synergies inter-organisationnelles (Mirata, 2004). A ce stade cependant, la
question restait entière de savoir comment jouer ce rôle et comment initier les coopérations
inter-organisationnelles requises.
6.1.2. Coopérations, intéressement et enrôlement
Sciences de gestion, coopérations et EIT
Mettre en œuvre une démarche d‟EIT, ce n‟est donc pas simplement s‟intéresser aux flux
de matières et d‟énergies. C‟est aussi et en même temps – comme certains territoires nous ont
montré l‟avoir fait – poser la question de la volonté des acteurs de participer, et plus
158
Nous soulignons.
217
précisément, celle de la coopération inter-organisationnelle dans ces démarches (Vermeulen,
2006). Si Gibbs (2009) souligne que les institutions doivent jouer un rôle de premier ordre et
que Baas (2008) nous rappelle qu‟il est important de sans cesse déployer une énergie
conséquente pour convaincre les décideurs de l‟utilité de cette démarche, on n‟en sait
finalement pas beaucoup plus. Il n‟est en effet pas évident de solliciter des acteurs différents
et de les encourager à la coopération. Chédotel (2004) note à ce sujet qu‟« il ne suffit pas de
créer une équipe pour qu‟apparaisse une coopération communautaire. » (Chédotel, 2004,
p.185). Alors comment faire pour que les acteurs réunis se saisissent, réellement, des projets
pour lesquels ils sont sollicités et parviennent, in fine, à initier les coopérations nécessaires?
Nous avons vu que cette question de la coopération inter-organisationnelle, n‟était pas
nouvelle pour les sciences de gestion. De nombreux articles s‟attachent justement à
comprendre ce qui freine ou favorise la mise en œuvre des « alliances stratégiques » (Gulati,
1998). De façon générale, la littérature en gestion qui traite de coopération se concentre sur
d‟une part celles dont on sait au démarrage pourquoi il serait intéressant de les mettre en place
et d‟autre part sur celles qui sont déjà à l‟œuvre.
D‟abord donc, la notion d‟« alliances » est si étroitement liée à celle de performance qu‟il
semble difficile d‟imaginer mettre en place une coopération qui ne présenterait pas un intérêt
économique (Di Domenico et al., 2009), concurrentiel (Reid et al., 2001) ou d‟image (Shah,
2011) évident. C‟est dans ce cadre que les coopérations inter-organisationnelles sont pensées.
Dit autrement, c‟est une fois qu‟un bénéfice quelconque à la coopération (Stuart, 1998) est
identifié que l‟on peut s‟attacher à comprendre ce qui va encourager ou entraver sa mise en
œuvre. A partir de là, des cycles de vie des alliances peuvent être dessinés (Assens, 2003) qui
permettent au promoteur de projets de se repérer dans le processus d‟évolution normale d‟une
alliance et de savoir ainsi ce qu‟il faudrait faire, ce sur quoi il faudrait être vigilent pour passer
à l‟étape d‟après, ou éviter le déclin de la dynamique. Indépendamment du questionnement
que l‟on pourrait formuler sur la validité de ce cycle de vie type des alliances, on se rend
compte que cette littérature n‟est pas adaptée au cas des démarches d‟EIT. Ces dernières ne
sont pour l‟instant pas en capacité de dire aux acteurs et a priori, pourquoi il serait intéressant
de constituer des coopérations. Les cas étudiés montrent que les analyses de flux de matières
et d‟énergies, vécues comme longues et fastidieuses par les acteurs sollicités à y participer, ne
sont pas suffisantes. Si elles permettent d‟identifier de premières pistes de synergies, elles
218
doivent être ensuite complétées par d‟autres analyses, de faisabilité technique et économique
notamment, permettant d‟entériner les intérêts et viabilité des coopérations à mettre en place.
Egalement, le fait que la littérature des sciences de gestion s‟intéresse aux coopérations
existantes nous éloigne du cadre des démarches d‟EIT et sans qu‟il soit nécessaire de
longtemps l‟expliquer. Chercher à comprendre ce qui favorise dans les coopérations une
bonne gouvernance (Mendez et Bardet, 2009), une gestion performante des ressources
humaines (Colle et al., 2009) ou une attribution équitable des droits de propriété pour les
produits ou process développés (Gomez, 2009), ne nous aident pas à comprendre ce qui
permet de développer une démarche d‟EIT et, notamment, d‟en initier les nécessaires
coopérations inter-organisationnelles. Il apparaît alors clairement que ces travaux, bien qu‟ils
traitent également de coopérations inter-organisationnelles ne peuvent pas renseigner notre
question de recherche qui s‟intéresse aux coopérations à construire. Dans les démarches
d‟EIT, les coopérations sont donc à mettre en place mais on ne peut pas savoir, avant de les
avoir initiées, ce qu‟elles pourront apporter ni donc pourquoi il serait intéressant d‟y participer
et de les encourager.
L‟analyse de nos terrains nous a permis de voir que les coopérations interorganisationnelles requises dans les démarches d’EIT se distinguent de celles décrites
dans la littérature managériale en ce sens qu’elles sont caractérisées par un haut degré
d’incertitude. Les acteurs ne savent pas au départ ce qu‟ils peuvent attendre de ces
coopérations à construire. Cette position, par les deux aspects soulignés ci-avant, est
relativement inédite pour la recherche en sciences de gestion : dans la littérature, on en sait
encore peu effectivement sur ce qui encourage les acteurs à s‟investir dans la construction de
coopérations lorsqu‟ils ne savent pas a priori quel intérêt ils pourront en tirer. Ce constat
interpelle d‟autant plus que l‟on comprend le rôle central que les promoteurs de projets ont à
jouer dans ces processus. En s’intéressant à la phase amont des coopérations et à la façon
dont elles peuvent se construire, ce travail en sciences de gestion contribue ainsi
humblement à compléter les connaissances de la littérature sur cette thématique.
Pertinence de la Sociologie de la Traduction
Le fait que ces questionnements soient relativement nouveaux pour les sciences de gestion,
en fait certes un objet intéressant à traiter, mais nous a en même temps laissée
démunie puisqu‟il nous était difficile d‟appréhender ce sujet par le seul biais des travaux en
219
gestion. C‟est ici qu‟intervient l‟intérêt de compléter ces recherches par d‟autres théories et
d‟abord par la sociologie de la traduction.
Cette théorie nous permet de suivre les recommandations de la littérature. Sans nous
donner plus de détail, Ingram et Qingyuan Yue (2008) soulignent que pour sortir du cadre
étroit de la compétition, la coopération doit se construire à partir des différences entre acteurs.
Il ne faudrait donc pas chercher à lisser les différences et hétérogénéités entre les acteurs mais
plutôt s‟en servir comme le socle de la construction des coopérations puisque « la base de la
coopération tient dans les différences entre organisations159. » (Ingram et Qingyuan Yue,
2008, p.281). Voilà l‟une des dimensions importantes qui nous a encouragée à choisir ce
cadre d‟analyse à savoir sa capacité à appréhender l’hétérogénéité (Callon et Latour, 1990)
et à comprendre comment cette hétérogénéité d’acteurs pouvait se relier pour faire un
collectif. En découle une autre caractéristique intéressante pour notre objet de recherche qui
est la capacité de cette théorie à proposer des outils conceptuels performants pour
comprendre les processus innovants (Callon et al., 2006). Ses concepts de
« problématisation » (Callon, 1980), d‟« intéressement » (Akrich et al., 1988a et 1988b) et
d‟« enrôlement » (Callon et Law, 1988), sont tout à fait adaptés pour analyser des dynamiques
d‟acteurs et observer ainsi comment les choses se font, se défont ou ne se font pas.
En nous aidant à comprendre, rétrospectivement, comment les choses se sont passées sur
nos terrains d‟analyse (Dervaux et al., 2011), ces théories nous donnent des indications sur ce
qu‟il est possible de faire et sur ce qu‟il faudrait faire. Cela d‟autant plus que cette théorie
encourage à s‟appuyer sur un tiers – acteur ou actant (Latour, 2007) – qui permette à la
relation d‟exister (Xhauflair et Pichault, 2009). Nous le développons plus loin. Cette théorie
de la ST160 nous a apporté un cadre d‟analyse pertinent pour comprendre comment pouvaient
se construire les collectifs et les volontés de coopérations inter-organisationnelles. Le fait que
cette théorie sociologique nous aide à comprendre des processus aboutis et non aboutis de
coopérations inter-organisationnelles, fournit des indications utiles aux futurs promoteurs de
projets.
Le présent travail apporte des éclairages sur notre question générale de recherche qui
s‟intéresse à comment développer les démarches inter-organisationnelles d‟EIT. D‟abord et
par contraste avec ce que semble défendre la littérature principale en EIT, il n‟existe pas de
159
160
« The basis of the cooperation is the differences between organizations. »
Comme celle de la TOF, voir infra.
220
démarche type avec un fonctionnement universel dont il suffirait de déployer les différentes
étapes. L‟analyse d‟expériences conduites sur le terrain nous a montré qu‟au moins deux
approches peuvent être identifiées, l‟approche substantive et l‟approche processuelle, qui loin
de s‟exclure l‟une l‟autre, se présente comme deux approches possiblement complémentaires
et à disposition des promoteurs de projets. En fonction du degré d‟incertitude et de maturité
des acteurs à mobiliser dans la démarche, le promoteur pourra en effet, respectivement
choisir de se concentrer ou directement sur une étude des flux de matières et d‟énergies ou
d‟abord sur la création de liens sociaux entre les acteurs. Il nous faut par ailleurs souligner
que puisque les préoccupations liées à l‟EIT, comme celles liées à la construction des
coopérations, sont émergentes dans le champ des sciences de gestion, le recours aux théories
sociologiques nous a fourni un cadre d‟analyse utile pour repérer ces éléments
d‟apprentissage.
6.2.
INITIER DES COOPERATIONS INTER-ORGANISATIONNELLES DANS LES
DEMARCHES D’EIT
Pour traiter de la question du développement de l‟EIT, nous avons vu qu‟il fallait nous
intéresser à celle, plus circonscrite, de l‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles
requises dans ces démarches. La mobilisation des cadres d‟analyse de la ST et de la TOF
propose un certain nombre d‟éléments nouveaux que nous souhaitons mettre ici en
perspective.
6.2.1. Une traduction à deux voies
Contraintes et souplesses de la convergence
Nous avions choisi de compléter la sociologie de la traduction avec la théorie des objetsfrontières en considérant que les deux approches pouvaient se combiner et se compléter. A
l‟issue de ce travail, et après avoir exploité ce que chacune d‟elle pouvait apporter à nos
données, nous pouvons conforter ce choix initial.
Les deux traitent en effet de comment faire travailler ensemble, faire converger, des
acteurs hétérogènes (Star et Griesemer, 1989) et s‟intéressent à ce management de la diversité
(Star, 1989). Elles portent également attention aux processus de construction des collectifs en
accordant une place importante à l‟étude des objets utilisés par les acteurs pour construire ces
collectifs (Star et Griesemer, 1989). Briers et Chua (2001) en font l‟illustration en mobilisant
221
à la fois la théorie de l‟acteur réseau161 et les objets-frontières pour comprendre comment le
système comptable d‟une organisation peut être modifié. Ils étudient pour cela les différentes
machines, outils, objets, acteurs et actants qui interviennent dans le processus.
C‟est également ce dont nous nous sommes servi pour l‟analyse de nos terrains : à travers
un découpage chronologique de ces démarches selon les phases de « problématisation »,
« intéressement » et « enrôlement » empruntées à la ST, nous avons en même temps étudié
quels avaient été les « dispositifs d‟intéressement » employés dans ces démarches pour
déterminer la place et le rôle éventuels d‟« objets-frontières ».
Dans ce travail, les deux théories ont fait preuve d‟opérationnalité puisque nous avons pu
les appliquer et les mettre à l‟épreuve de notre matériau. Les éléments recueillis nous
montrent cependant qu‟elles ne proposent pas les mêmes voies d‟accès à la coopération. Si
pour les deux il n‟y a pas de doute sur l‟idée qu‟afin d‟agréger des acteurs différents autour
d‟un projet, il faut les convaincre de l‟intérêt de ce projet, ST et TOF diffèrent en revanche sur
les façons de convaincre. L‟intuition proposée dans la revue de littérature se confirme: après
analyse, la ST ressort effectivement moins souple, moins ouverte que la TOF puisqu‟elle
recherche la stabilisation du consensus et veut atteindre un compromis (Fujimura, 1992).
Alors que la première cherche à mobiliser des alliés par une traduction efficace – nous
pouvons ici penser aux experts de la Vallée de la Chimie ou de Lille qui ont utilisé des
logiciels pour montrer les potentialités du territoire – la seconde semble laisser ce travail de
traduction aux acteurs eux-mêmes. Quand l‟une semble contraignante, rappelons que le
fameux article de Callon sur le sujet (1986) est paru dans un ouvrage intitulé Pouvoir, Action
et Croyance162, l‟autre semble offrir une marge de manœuvre plus importante aux acteurs
impliqués, leur permettant de conserver des « perspectives multiples » (Fujimura, 1992,
p.171). Pour certains auteurs, la ST ressemble d‟ailleurs grandement à l‟imposition de l‟avis
du plus fort (Garrety et Badham, 2000), ce que les propos de Callon et Latour (1990) ne
contredisaient pas :
161
Nous nous appuyons sur les propos des auteurs pour ne pas distinguer ici, théorie de l‟acteur réseau et
sociologie de la traduction. Sur la quatrième de couverture de l‟ouvrage d‟Akrich et al. (2006), on peut
effectivement lire : « Ces travaux donnent naissance à une approche aujourd‟hui reconnue :la sociologie de la
traduction, dite aussi théorie de l‟acteur réseau. ». L‟article de Walsh et Renaud (2010, p.283), va dans le même
sens : « Cette école est nommée indifféremment sociologie de la traduction, théorie de la traduction, sociologie
de l‟innovation ou théorie de l‟acteur réseau. ».
162
Law, 1986.
222
« Ce que nous voulons savoir, c‟est comment un point de vue, un objet technique finissent par
s’imposer163. » (Callon et Latour, 1990, p.25).
Effectivement, la dynamique et l’élan pour convaincre ne se fait pas de la même
manière que l’on se positionne du côté de la ST ou de la TOF. La ST encourage les
promoteurs de projets à tenir d‟une main décidée la conduite de la démarche, Callon et Law
(1988) parlent d‟ailleurs de « traductions rondement menées » (Callon et Law, 1988, p.83)
qui permettent de « se164 composer un contexte favorable » (Callon et Law, 1988, p.115). Les
traducteurs ont d‟ailleurs un « rôle central » (Xhauflair et Pichault, 2009, p.10) et ils doivent
mettre en place des dispositifs d‟intéressement qui auraient tellement valeur d‟« arguments
d‟autorité » (Peters et al., 2010, p.75) qu‟ils s‟imposeraient aux acteurs ; ces derniers n‟ayant
d‟autres choix que de les reconnaître comme tels et de s‟y soumettre, rendant ainsi leurs
comportements « maîtrisables » (Callon et Law, 1988, p.96). Ces moyens mis en place
deviendraient alors un « point de passage obligé » (Callon, 1986, p.206) agissant comme un
entonnoir : la diversité des acteurs se retrouvant de fait rassemblée dans ces dispositifs
incontournables. C‟est d‟ailleurs, rappelons-le, ce qui avait gêné Star et Griesemer (1989)
pour leur étude sur la construction du savoir au Musée de Berkeley avec le constat que toutes
les démarches innovantes ne parviennent pas nécessairement à s‟implanter selon ces points de
passages, en nombre restreints et définis, délimités par le promoteur de projets :
« Star et Griesemer remettent en cause la lecture asymétrique des opérations de traduction, telle
que déployée dans les travaux de Callon, Law et Latour, où celles-ci sont rapportées à l‟action
quasi impérialiste de l‟innovateur ou du scientifique entrepreneur, qui s‟efforce d‟enrôler d‟autres
acteurs/actants via, notamment, la constitution d‟un point de passage obligé. Star et Griesemer
proposent une approche plus écologique de la situation ne privilégiant aucun des points de vue en
présence et prenant en compte la coexistence de plusieurs processus de traduction dont la
cohérence d‟ensemble constitue le nœud du problème. » (Trompette et Vinck, 2009, p.8).
La recherche de convergence des acteurs peut donc s’incarner par au moins deux
types d’approches, avec chacune sa méthode et traduction spécifique: les dispositifs
d‟intéressement de la première visant une convergence « disciplinée » des acteurs pourrionsnous dire ; les dispositifs d‟intéressement de la seconde – les objets-frontières – favorisant les
coopérations inter-organisationnelles par le fait qu‟ils articulent en même temps qu‟ils
conservent les différences entre les acteurs. Nos terrains d‟analyse nous permettent d‟illustrer
ces propos. La production ou non de coopérations inter-organisationnelles nous a fait
distinguer d‟un côté les démarches de la Vallée de la Chimie et de Lille et de l‟autre les
démarches de Dunkerque et de Troyes. Pour mémoire, rappelons que dans les premières
163
164
Nous soulignons.
Nous soulignons.
223
démarches étudiées, les dispositifs d‟intéressement notés – qui n‟étaient pas des objetsfrontières – ont permis grâce à des études de flux relativement abouties de faire progresser les
connaissances du fonctionnement de ces territoires mais n‟ont pas enrôlé les acteurs sollicités.
Les secondes elles, ont déployé des dispositifs d‟intéressement que nous avons vus
s‟apparenter à des objets-frontières et ont suscité un enrôlement des acteurs et une volonté de
coopérer. Il semblerait donc que les dispositifs d‟intéressement des approches que nous avons
nommées substantives et processuelles ne permettent pas de produire, sur le terrain, les
mêmes résultats.
De la même manière que nous avons vu émerger des approches substantives et des
approches processuelles pour la conduite des démarches d‟EIT, nous voyons ici émerger deux
types de traduction dans la façon de chercher à convaincre les acteurs de participer à la
démarche: la traduction de la ST, plutôt descendante pourrions-nous dire et la traduction
de la TOF, plutôt ascendante. La première, observée sur les territoires de la Vallée de la
Chimie et de Lille est principalement conduite par les promoteurs de projets. Ce sont eux qui
amènent et utilisent les outils qui doivent permettre de convaincre les acteurs de l‟intérêt de la
démarche. C‟est par la réalisation experte d‟une analyse de flux de matières et d‟énergies qu‟il
serait alors possible de démontrer l‟intérêt de la démarche et la nécessité de se rallier à la
dynamique proposée. Pour le dire autrement, les résultats de cette étude de flux devraient être
suffisamment parlants et évidents pour s‟imposer de fait et rallier les acteurs sollicités. La
seconde traduction, observée sur les territoires de Dunkerque et de Troyes, est davantage
réalisée par les acteurs eux-mêmes via des dispositifs d‟intéressement type objets-frontières.
Ici, les acteurs on pu faire remonter leurs besoins, leurs envies, et leurs attentes. Ou, pour le
dire autrement, l‟intérêt que eux, chacun d‟entre eux, voyaient à participer à la dynamique
proposée.
Le fait que l‟on puisse distinguer deux types d‟approches pour les démarches d‟EIT mais
maintenant aussi deux types de traduction, deux modes d‟intéressement pour convaincre et
enrôler les acteurs dans ces démarches, nous parait être un complément intéressant aux
éléments présents dans la littérature. A l‟issue de nos analyses, ST et TOF semblent pouvoir
se compléter d‟autant plus, qu‟elles proposent des traductions différentes. En effet, il n‟y a
apparemment pas de doute sur l‟idée que, c‟est la traduction qui permet d‟identifier et de
formuler les intérêts d‟une démarche innovante et, ainsi, de convaincre les acteurs d‟y
participer. En revanche, et comme les propos de Star et Griesemer nous invitaient déjà à le
224
penser, lorsqu‟ils présentaient leur approche comme « écologiste » (Star et Griesemer, 1989,
p.389), nous souhaitons renforcer la distinction entre la traduction « type ST » et la
traduction « type TOF ». Alors que la ST invite les promoteurs de projets à prendre en
charge le travail de traduction en proposant (imposant ?) les intérêts de la démarche
considérée ; avec la TOF, ce sont donc les acteurs sollicités dans cette démarche qui font euxmêmes ce travail de traduction et identifient ainsi les intérêts qu‟ils ont à s‟allier au processus.
Cela étant, et comme nous avons déjà eu l‟occasion de le mentionner dans ce travail, dans
les démarches innovantes d‟EIT les intérêts de la dynamique coopérative ne sont pas faciles à
repérer et à formuler dès le début. Comment, dans ces conditions, suivre les recommandations
de Xhauflair et Pichault (2009) qui indiquent que « Pour convaincre les acteurs de participer,
nous devons expliquer en quoi ces projets leur bénéficient directement. » (Xhauflair et
Pichault, 2009, p.14). Comment, en effet, les promoteurs de projet doivent-ils envisager le
travail de traduction pour conduire ces démarches spécifiques?
Pour l’EIT, un laisser faire nécessaire
Il est intéressant de voir que les phases problématisation/intéressement/enrôlement
diffèrent d‟une démarche à l‟autre : elles ne sont pas constituées des mêmes étapes et elles
n‟ont pas les mêmes finalités. L‟analyse de notre terrain de la Vallée de la Chimie et des
terrains complémentaires a mis en évidence ces différences. Si l‟on se rappelle les démarches
mises en œuvre à Dunkerque et à Troyes, le point de départ pour intéresser les acteurs à été de
s‟appuyer sur le contexte partagé et spécifique des territoires : le besoin de mettre en place
certaines actions d‟un côté et l‟envie de faire des choses ensemble de l‟autre. Dans ces deux
cas, on s‟aperçoit que d‟une part, il s‟est avéré plus productif de partir de ce qui existait déjà
(Gibbs, 2003 ; Baas et Boons, 2004 ; Baas, 2008), mais aussi et surtout, il a été décisif de
s‟appuyer sur la maturité et la volonté de faire des acteurs. Comme l‟indiquaient Boons et
Janssen (2004) et Gibbs (2009), ce résultat confirme à quel point les approches dites « top
down » sont les plus délicates à mener.
En rassemblant les apprentissages tirés de la littérature, les résultats issus des terrains et les
enseignements présentés jusqu‟à maintenant, on peut dire que les approches processuelles,
c’est-à-dire celles se focalisant d’abord sur les relations entre les acteurs et mobilisant
des dispositifs d’intéressement type objets-frontières, sont celles qui Ŕ dans les
démarches d’EIT étudiées Ŕ semblent donner les meilleurs résultats en termes de
coopérations inter-organisationnelles. Ainsi, il semble essentiel pour initier ces
225
coopérations de laisser ouverte la voie des propositions qu‟ils souhaiteraient faire, des doutes
qu‟ils voudraient émettre et des attentes qu‟ils pourraient formuler.
La Figure 22 ci-dessous synthétise l‟ensemble des éléments mis en lumière à ce stade:
226
Plus le degré d'incertitude est élevé et plus les
traductions doivent être ouvertes:
- Approche Processuelle: L'objectif est de mettre en place des
actions locales avec les acteurs; la méthodologie se met en
place au fur et à mesure, elle s'adapte; les acteurs participant
permettent de faire les réajustements nécessaires en fonction de
leurs besoins, attentes et envies.
- Traduction Ascendante: Elle vise à convaincre les acteurs et
à les rassembler autour de la démarche; elle permet aux
acteurs de définir eux-mêmes ce qui est intéressant dans la
démarche, par des dispositifs d'intéressement qui articulent et
conservent leurs différences; le travail de traduction est effectué
par les acteurs eux-mêmes, les promoteurs de projet doivent
suivre et accompagner.
Quel est le degré d’incertitude au départ ?
A quel point sait-on a priori quels intérêts il peut y avoir à participer à la
démarche, quels en seront les bénéfices ?
A quel point est-on contraint ou encouragé à y participer par la réglementation,
par des aspects économiques, par la volonté de dirigeant d‟entreprise ?
Moins le degré d'incertitude est élevé et moins les
traductions ont à être ouvertes:
- Approche Substantive: L'objectif est d'accroître les
connaissances du territoire; la méthodologie est fixée au début
et rythme la démarche; les acteurs participant sont des
fournisseurs de donnéespermettant de réaliser une étude de
flux.
- Traduction Descendante: Elle vise à convaincre les acteurs
et à les rassembler autour de la démarche; elle permet de leur
montrer, de leur prouver l'intérêt de la démarche, par des
dispositifs d'intéressement qui s'imposent, deviennent
incontournables pour les différents acteurs et les font
converger; le travail de traduction est effectué par les
promoteurs de projet, les acteurs impliqués doivent suivre et
participer.
Figure 22 Ŕ Types d'approches et de traductions dans les démarches innovantes d'EIT
227
Nous souhaitons apporter quelques nuances à cette Figure 22. Nous avons distingué en
deux types d‟approches et deux types de traduction pour permettre une lecture claire des
enseignements que nous pensons pouvoir tirer de nos analyses. Nous ne voulons pas dire qu‟il
n‟y ait que ces types d‟approches ni ces types de traductions possibles. Cela ne signifie donc
nullement 1/ qu‟il n‟en n‟existe pas d‟autre et 2/ qu‟elles soient aussi distinctes que présentées
ci-dessus. Dit autrement, il faudrait lire chaque fois : approche « plutôt » substantive,
approche « plutôt » processuelle, traduction « plutôt » descendante et traduction « plutôt »
descendante. En aucun cas nous ne voudrions dire qu‟il y a des relations mécaniques entre les
éléments. Il s‟agit moins de catégories que de tendances et nous invitons le lecteur à lire ce
schéma avec toute la nuance qu‟impose la compréhension de ces processus humains.
Nous pouvons retenir de cette analyse deux points principaux qui viennent en complément
des éléments déjà présents dans la littérature:
1. Il n’existe pas d‟approche unique pour les démarches d‟EIT et à plus forte raison, il
n‟existe pas non plus un mode d’enrôlement unique des acteurs ;
2. Plus le degré d’incertitude est élevé au démarrage de la démarche – c‟est-à-dire
finalement plus la démarche est innovante, moins l‟on sait ce qu‟elle va produire ni
comment y arriver et plus le degré d’ouverture dans le choix des objectifs de la
démarche, de la méthodologie à employer et du type de traduction à utiliser doit l’être
également.
Ce travail de recherche tend finalement à montrer que l’articulation de théories
sociologiques avec les sciences de gestion a du sens et peut s’avérer utile, pour les deux
champs. D‟abord, les théories sociologiques, comme nous l‟avons souligné plus haut,
fournissent un appareillage conceptuel performant pour comprendre des situations inédites et
ainsi tirer des enseignements sur des configurations d‟acteurs émergentes et encore peu
étudiées par les sciences de gestion. Egalement, la dimension fortement managériale de ces
démarches d’EIT permet de proposer des compléments à la théorie de la ST. Une
démarche innovante n‟équivaut pas une autre démarche innovante et les façons de convaincre
les acteurs d‟y participer doivent pouvoir en tenir compte en proposant la traduction la plus
adaptée au contexte, au territoire (Ehrenfeld et Gertler, 1997). Par ailleurs, les nuances et
compléments que nous pensons ici apporter à la littérature de la ST nous permettent de rendre
encore plus prégnant le rôle des promoteurs de projets dans le développement des démarches
d‟EIT. On se rend effectivement compte à quel point ils ont une place essentielle à tenir pour
228
enrôler les acteurs dans ce type de démarche. Les choses ne vont pas d‟elles-mêmes et doivent
être accompagnées (Star et Griesemer, 1989). Mais plus encore, elles doivent être
correctement accompagnées, de la façon la plus appropriée possible et avec les outils et
moyens les mieux adaptés. La sensibilité, les capacités d‟écoute, d‟adaptabilité et de
discernement du promoteur de projets sont essentielles ; sans doute même plus importantes
que le recours automatique aux outils techniques encore trop souvent utilisés (CohenRosenthal, 2000), dans des configurations d‟acteurs qui ne les appellent pourtant pas
nécessairement, ou pas dans l‟immédiat (Doz, 1996). D‟ailleurs, Boons et Baas (2004), nous
encourageaient à adopter une posture incrémentale qui faisait débuter le processus par de
petites réussites afin de le légitimer pour, ensuite seulement, s‟attaquer à des modifications
plus importantes.
Au sujet de la symbiose de Kalundborg, Boons et Janssen (2004) mettaient en relief
l‟importance de l‟« auto gouvernance »: «L‟histoire de Kalundborg c‟est d‟abord une histoire
d‟auto gouvernance. Si l‟on veut imiter le succès de Kalundborg, il faut créer les conditions
de cette auto gouvernance et il ne s‟agit pas simplement de faisabilité technique 165. » (Boons
et Janssen, 2004, p.352). Soulignons par ailleurs, que le contexte règlementaire du Danemark
est plus incitatif (Costa et Ferrao, 2010) et plus favorable aux initiatives (Baas, 2008). Voilà
un exemple de ce que le promoteur doit pouvoir identifier au démarrage d‟une démarche
d‟EIT.
6.2.2. Création de liens et convivialité
De l’utilité des objets-frontières
Dans les développements précédents de ce chapitre, nous avons évoqué l‟utilisation que
nous avons faite de la TOF et les résultats qu‟elle nous a permis d‟obtenir. Nous souhaitons
revenir avec plus de précision sur les objets-frontières évoqués. Au même titre que la ST a
montré son utilité pour les sciences de gestion, nous voulons insister sur l‟intérêt,
complémentaire, des objets-frontières pour les questionnements managériaux liés notamment
aux coopérations inter-organisationnelles.
165
« The story of Kalundborg is mainly a story of self-governance. In order to mimic the success of
Kalundborg, one needs to create the conditions for self-governance. It is not just a matter of
technological feasibility. How can policy stimulate self-governance? »
229
Nous avons dit, souligné et répété tout au long de ce travail, que les objets-frontières
permettaient d‟articuler les différences TOUT EN – et c‟est là que réside leur spécificité et
leur intérêt – les conservant. Comme nous l‟avons vu plus haut, la ST permet également
d‟articuler les hétérogénéités mais à sa façon c‟est-à-dire en recherchant une stabilité entre les
acteurs. Ce que ne font pas les objets-frontières. Ces objets ont la particularité de donner de la
voix à chaque acteur impliqué dans le processus et qui souhaite s‟exprimer. Ils ont la rigidité
qu‟il faut pour rassembler et la souplesse nécessaire pour que chacun y trouve sa place et que
s‟effectuent de « multiples traductions » (Peters et al., 2010, p.67). Concernant les objetsfrontières, Trompette et Vinck (2009) précisent:
« La notion est utilisée pour décrire comment les acteurs maintiennent leurs différences et leur
coopération, comment ils gèrent et restreignent la variété, comment ils se coordonnent dans le
temps et l‟espace. Elle qualifie la manière dont les acteurs établissent et maintiennent une
cohérence entre des mondes sociaux en interaction, sans les uniformiser et sans qu‟ils deviennent
transparents l‟un à l‟égard de l‟autre. Les acteurs de ces mondes sociaux peuvent, grâce à l‟objetfrontière, négocier leurs différences et créer une mise en accord de leurs points de vue respectifs. »
(Trompette et Vinck, 2009, p.9).
Les objets-frontières rendent ainsi possible ce que Détrie (2009) décrit dans son ouvrage
comme une base de la coopération à savoir : « Se ressembler non, se rassembler oui » (Détrie,
2009, p.93). C‟est par les objets-frontières créés sur les territoires de Dunkerque et Troyes,
que des acteurs d‟horizons apparemment différents (grands groupes et PME sous-traitantes ou
universitaires et industriels), ont pu apprendre à se comprendre et peu à peu, à identifier les
actions communes sur lesquels ils avaient intérêt à se mobiliser et pouvaient mutualiser leurs
efforts. La littérature nous a appris que le contexte culturel, historique ou politique par
exemple dans lequel les acteurs sont impliqués impacte fortement leur volonté de coopérer
(Gulati, 1998 ; Paquin et Howard-Grenville, 2009). Dans son analyse de la transformation des
communautés de travail, Bechky (2003), souligne par ailleurs que chaque groupe, chaque
communauté, chaque organisation a ses propres spécificités liées au contexte dans lequel elles
se sont développées et qui rendent complexe la compréhension entre ces communautés, d‟un
contexte à un autre. Les difficultés de compréhension qu‟elle évoque entre des groupes
d‟ingénieurs et d‟autres groupes rappellent ce que nous avons pu observer sur le territoire de
la Vallée de la Chimie entre notamment les experts d‟une part et les acteurs industriels d‟autre
part. Pour que cette compréhension soit possible malgré tout, il faut parvenir à créer ce que
l‟auteur appelle un « socle commun166 » (Bechky, 2003, p. 324) entre les acteurs.
166
« Common ground ».
230
Si au départ, chaque groupe a sa propre vision du problème posé, ces différences peuvent
être surmontées lorsque les acteurs des différents groupes comprennent comment la vision des
autres peut correspondre, faire écho et s‟articuler à la leur. C‟est là qu‟un langage commun
peut émerger et un socle commun être « co-créé167 » (Bechky, 2003, p. 321). Ces éléments
sont intéressants pour notre travail puisqu‟il semble effectivement possible, en utilisant les
outils adaptés, de « réconcilier ces différences168 » (Bechky, 2003, p. 328) – et non pas de les
lisser ou de les contraindre à la convergence – et ainsi de créer du commun, du partagé et
partant, de quoi initier les coopérations. A ce propos en effet, Davies et Thompson (1994)
soulignaient l‟importance d‟un vécu commun et d‟intérêts partagés entre les acteurs pour les
projets coopératifs. Les objets-frontières sont ces véhicules grâce auxquels « les opérations de
traduction se distribuent sans nécessairement consacrer la prééminence d‟un acteur sur les
autres » (Trompette et Vinck, 2009, p.9), ce qui a l‟avantage de laisser les acteurs « agir
conjointement alors que leurs perspectives divergent partiellement » (Trompette et Vinck,
2009, p.11). Il est à noter que Bechky (2003) avait, elle aussi, repéré des objets-frontières
dans ses analyses de terrain, qui avaient permis la création d‟un socle commun entre les
acteurs étudiés.
Sur nos territoires d‟étude où des coopérations inter-organisationnelles ont été initiées, les
sites internet, newsletters, enquêtes sur les besoins prioritaires des acteurs, voyages,
barbecues, rencontres lors des assemblées générales ou des groupes de travail thématiques,
ont été identifiés comme des objets-frontières. En effet, ils sont pour nous des objetsfrontières en ce sens que leur infrastructure est suffisamment souple et rigide à la fois, pour
supporter et tenir ensemble les hétérogénéités des différents acteurs. Pour reprendre le terme
de Vinck (2009), ils ont ainsi l‟« équipement » qu‟il faut afin que des informations diverses
puissent circuler et fasse se rencontrer des mondes sociaux différents, voire divergents.
Prenons un exemple pour illustrer cette idée: les barbecues annuels organisés par ECOPAL,
sur le territoire de Dunkerque. Ces rencontres sont à la fois rigides et souples. Rigides parce
qu‟elles ont un format : elles se tiennent en un certain lieu, à une certaine date et à une
certaine heure qui a priori, une fois qu‟ils ont été fixés, ne sont pas modulables. Mais elles
sont souples également puisqu‟elles laissent la possibilités à ceux qui le souhaitent de ne pas
venir, elles n‟ont pas vocation à présenter quelque chose de formel, d‟entériner une prise de
décision, de choisir telle ou telle orientation stratégique pour les membres du réseau, etc. En
167
168
« Cocreate ».
« Reconcile these differences ».
231
apparence, elles n‟ont donc pas d‟utilité fonctionnelle dans le processus autre que de faire se
rencontrer les gens, autour d‟un verre et de quelque chose à grignoter. Ce point est essentiel
cependant. Ces objets-frontières servent à faire se croiser des mondes qui sans eux, ne se
croiseraient peut-être pas. C‟est précisément parce que les acteurs peuvent s‟y rendre pour
des motifs et avec des considérations qui leur sont propres (passer un moment sympathique,
faire connaissance avec des voisins de zone, de nouveaux partenaires de travail, etc.), que ces
objets favorisent la rencontre. Chacun vient, avec ses particularismes, participer à un même
évènement qui de ce fait, se structure comme un lieu ouvert, de discussion et de controverses.
Partant du constat que des objets-frontières ont été identifiés sur les territoires où il y a eu
initialisation de coopérations inter-organisationnelles, nous pouvons faire l‟hypothèse que si
des objets-frontières avaient été utilisés ou créés sur les territoires de la Vallée de la Chimie et
de Lille, cela aurait pu faciliter l‟émergence du socle commun reconnu comme nécessaire,
dans la littérature, à l‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles. De façon plus
générale, les objets-frontières pourraient alors être des moyens efficaces de conserver ou
créer des socles communs entre acteurs (Courpasson et al., 2011), eux-mêmes nécessaires
à l’initialisation de coopérations inter-organisationnelles.
En dévoilant l‟existence de ce qu‟ils ont appelé des objets-frontières dans leur étude du
Musée de Berkeley, Star et Griesemer (1989) ont en même temps, mis en lumière des outils
potentiellement précieux et actionnables. Ils permettraient de faciliter le travail de traduction
de différents groupes mis ensemble (McGivern et Dopson, 2010) et ainsi les coopérations
possibles entre acteurs hétérogènes. Si les auteurs les ont découverts après coup, comme étant
ce qui avait permis à la coopération d‟avoir lieu – c‟est-à-dire qu‟ils n‟avaient pas été
façonnés exprès mais avaient plutôt émergé au fil du processus étudié – nous voulons ici
suggérer qu‟il est possible, pour un promoteur de projets averti, d‟en encourager la création
afin d‟approcher de l‟objectif coopératif recherché. Star (2010) montre que les objetsfrontières permettent effectivement le travail coopératif en même temps qu‟ils en sont le
signe. Définir les objets-frontières comme des outils utiles à l’initialisation des
coopérations inter-organisationnelles, c’est en même temps délimiter un espace d’action
notable pour les promoteurs de projets, qui consisterait à identifier et accompagner la
construction de ces objets spécifiques dans la conduite de démarches d’EIT.
232
Le recours aux objets-frontières conviviaux
Il semble que ce travail permette de renforcer l‟utilité que peut avoir la TOF pour les
sciences de gestion. Nous pensons qu‟il peut également apporter des compléments à la théorie
elle-même ainsi qu‟aux travaux s‟intéressant à la notion de confiance par la mise en lumière
d‟un nouveau type d‟objet-frontière que nous nommons « conviviaux » (OFC). Nous faisons
ici référence aux évènements organisés dans les démarches de Dunkerque et Troyes: les
barbecues annuels, les rencontres aménagées sur les sites des entreprises impliquées dans la
démarche, les petits-déjeuners et déjeuners ou les voyages proposés aux participants
notamment.
La TOF évoque des objets-frontières concrets ou non mais matériels malgré tout
(Fujimura, 1992). Des objets-frontières conviviaux et sociaux par nature commencent
pourtant à être évoqués dans la littérature (Courpasson et al., 2011). Par ailleurs, alors que
l‟on sait que la question de la confiance est déterminante pour les relations interorganisationnelles (Ring et Van de Ven, 1992 ; Meschi, 2006) et bien qu‟on en identifie des
causes probables d‟échecs (Park et Ungson, 2001), il apparaît qu‟on en sait encore peu sur les
façons possibles de construire cette confiance nécessaire. Sur ces points, les OFC nous
paraissent pouvoir apporter des compléments intéressants. Charge donc au promoteur de
projets de déterminer, grâce encore une fois à un regard attentif sur les situations dans
lesquelles il évolue, lesquels des objets-frontières matériels (Star et Griesemer, 1989) et/ou
immatériels (Carlile, 2002) sont les plus judicieux à mobiliser. Comme l‟indique Bechky
(2003), en effet:
« On pourra rencontrer des situations pour lesquelles les objets matériels ne suffiront pas à créer
un socle commun169. » (Bechky, 2003, p.326).
Un retour sur la littérature de la TOF nous permet de conforter l‟idée selon laquelle ces
OFC sont un type particulier d‟objets-frontières. Suite à des demandes répétées dans des
conférences sur les découvertes possibles de nouveaux objets-frontières, Star (2010) indique
que « oui, tous les objets peuvent être des objets-frontières sous certaines conditions » (Star,
2010, p.31). En clarifiant ce que sont et ne sont pas les objets-frontières, elle précise les
conditions requises pour considérer qu‟un objet puisse être qualifié d‟objet-frontière. Nous
regroupons ces indications au Tableau 27 suivant :
169
« There will be situations in which tangible objects will not be sufficient to create common ground. »
233
Caractéristiques des
objets-frontières
Définitions
« Ces objets communs constituent des
frontières entre groupes grâce à la
flexibilité et à la structure partagée ; ils
sont les ingrédients de l‟action » (Star,
2010, p.20).
Nature
(Star, 2010)
« Je crois que le concept d‟objetfrontière est particulièrement utile au
niveau des organisations » (Star, 2010,
p.30).
Echelle
(Star, 2010)
« Flexibilité
interprétative »
(Star, 2010)
« Infrastructure de
connaissance »
(Trompette et Vinck,
2009, p.11)
Correspondance et exemples avec
les OFC de nos terrains
Les groupes de travail organisés avec
les industriels étaient des espaces
relativement souples permettant de faire
se rencontrer ces acteurs hétérogènes,
de les faire s‟exprimer et se familiariser
entre eux et de rendre ainsi possible le
travail coopératif .
Les évènements organisés dans le cadre
des terrains étudiés avaient pour
ambition de rapprocher les
organisations, par le rapprochement des
acteurs évoluant dans ces organisations.
En dernière instance, il s‟agit d‟ailleurs
de parvenir à mettre en place des
coopérations inter-organisationnelles.
Les objets-frontières permettent au
différents acteurs de ressentir les
moments partagés collectivement « sans
que cela ne devienne conflictuel » (Star,
2010, p.20) .
Les barbecues organisés pour les
industriels leur permettaient de se
rassembler pour y trouver, ce que
chacun y cherche : passer un moment
convivial, faire connaissance avec ses
voisins de zone, élargir son réseau
professionnel, etc.
Les objets-frontières sont des
infrastructures de connaissances au sens
où ils sont des passeurs, des véhicules
d‟informations (Star, 2010).
Nous pourrions dire que les OFC sont
des « infrastructures de connaissance
de l‟autre ». Ils ont également une
vocation informationnelle en
permettant la coordination d‟une
diversité d‟acteurs dans la constitution
d‟un processus coopératif. Ils
maintiennent ensemble et la différence,
et la coopération.
Tableau 27 Ŕ Correspondances des OFC aux caractéristiques des OF traditionnels
Le fait que les OFC répondent aux caractéristiques des objets-frontières traditionnels
décrits dans la littérature, nous encourage à penser qu‟ils pourraient effectivement en être une
catégorie supplémentaire. Ils sont de même nature que les objets-frontières puisqu‟ils en ont
la souplesse et la rigidité ; mais ils en ont la fonction également puisqu‟ils permettent de
véhiculer des informations compréhensibles et appropriables par l‟ensemble des acteurs
concernés quelque soit leurs particularismes, et ainsi de faire se rencontrer ces acteurs. Les
objets-frontières ont incontestablement une dimension sociale (Courpasson et al., 2011), que
nous invitons à ne pas négliger. Pour utiliser les termes de Boutet (2010), nous pourrions dire
que les OFC sont des « points de frottements » (Boutet, 2010, p.110), des espaces de
rencontre, des frontières perméables entre les mondes qui permettent un contact des différents
acteurs impliqués. C‟est l‟idée que proposaient Defélix et al. (2009) dans leur article
234
lorsqu‟ils s‟interrogeaient sur les collaborations possibles entre salariés dans les pôles de
compétitivité :
« Dans beaucoup de pôles de compétitivité, les phases de lancement de projet se bornent à réunir
les membres dans une salle, en présence d‟un représentant d‟un financeur, et à distribuer les
éléments d‟un cahier des charges : pourquoi ne pas organiser à cette occasion des séquences de
cohésion d‟équipe, permettant à chaque partenaire d‟identifier le « monde » de l‟autre et
d‟imaginer avec lui les modalités de compromis ? » (Defélix et al., 2009, p.102).
Plus que la notion de « compromis », dont nous avons vu avec notre lecture de la ST,
qu‟elle n‟était peut-être pas la plus adaptée pour initier des coopérations dans les démarches
d‟EIT, ce qui nous intéresse dans cette citation c‟est l‟intérêt explicite qu‟il y aurait à faire se
rencontrer les acteurs, au sens strict comme au sens figuré. Faire se rencontrer les acteurs pour
qu‟en émerge quelque chose et qu‟effectivement, ils se rencontrent sur un socle commun.
Trompette et Vinck (2009) évoquent ce que permettent de réaliser les objets-frontières et
mentionnent en particulier leur « propriétés intellectuelles opérant à la fois comme
médiateurs dans la production de connaissance comme vecteurs de traduction dans
l‟agencement des mondes hétérogènes. » (Trompette et Vinck, 2009, p. 17).
Pour exprimer cette idée avec le plus de clarté possible, précisons qu‟il ne s‟agit pas ici de
rencontres de type comité de pilotage où les promoteurs de projets rassemblent les acteurs
participant à la démarche pour leur présenter l‟avancée des travaux. Ces points d‟étape font
partie du déroulement classique d‟une démarche d‟EIT mais nous l‟avons vu, ils ne suffisent
pas à créer les conditions d‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles. En
référence aux OFC identifiés sur les territoires d‟étude, les rencontres dont nous parlons ici
devraient être conduites avec – ou plus précisément, en plus – des réunions de suivi classiques
puisqu‟elles n‟ont pas la même fonction. Il est ici au moins autant question d‟évènements
conviviaux que de réunions de travail et l‟objectif est moins de présenter un bilan que
d‟alimenter les relations sociales, créer et encourager les dynamiques d‟acteurs. Au regard
des territoires étudiés et des propos des répondants, il nous apparaît que ce qui nourrit
cette dynamique collective d’acteurs est, précisément, la convivialité des échanges. Pour
reprendre notre exemple des barbecues annuels, soulignons que ces objets-frontières sont
précisément à la frontière entre les mondes en ce sens qu‟ils les relient, tout en préservant leur
autonomie et leurs particularismes. Ils supportent d‟autant plus la complexité des interactions
entre acteurs, qu‟ils sont vécus comme des moments agréables et de partage. Ils permettent,
grâce à leur nature spécifique, de lancer des passerelles entre les hétérogénéités et de créer des
repères transférables d‟un monde social à un autre. Par leur nature d’objets-frontières,
235
surmontée d’une force conviviale, les OFC rendent possibles et fluidifient les échanges
d’informations et la communication entre acteurs. De cette façon, ils contribuent à
transformer le groupe en le faisant passer d’une juxtaposition d’éventuels différends, à
une articulation des différences, permettant de déboucher ensuite sur l’initialisation de
coopérations.
On s‟aperçoit d‟ailleurs que parler de convivialité n‟est ni hors sujet ni hors contexte
lorsque l‟on s‟intéresse à la question des coopérations inter-organisationnelles dans nos
sociétés. Au moins depuis l‟ouvrage d‟Illich en 1973 d‟autres réflexions sont déjà à l‟œuvre à
ce sujet dans le champ des sciences sociales mais également des sciences de gestion (Détrie,
2009). La convivialité décrite par Ivan Illich (1973) n‟est pas la convivialité à laquelle on
pense spontanément c‟est-à-dire celle qui émane de bons moments passés ensemble. Elle se
pose plutôt comme une alternative souhaitable et nécessaire au fonctionnement techniciste de
nos sociétés qui a sans cesse recours à plus de machines, plus de technologies, plus de
scientificité et qui finalement dessaisit l‟homme de sa liberté d‟agir, de penser et d‟évoluer.
Ceci n‟est pas sans rappeler notre lecture des terrains de la Vallée de la Chimie et de Lille où
l‟approche substantive n‟avait en effet pas permis d‟embarquer les acteurs qui ne s‟y étaient
pas reconnus : « Conviviale est la société où l‟homme contrôle l‟outil. » (Illich, 1973, p.13).
Pour le formuler autrement, nous pourrions dire que la société conviviale que prône Illich est
une société dans laquelle l‟homme prime sur l‟outil, le dernier étant au service du premier et
non l‟inverse comme c‟est plus généralement le cas dans la société et dans la conduite des
démarches d‟EIT en particulier. La convivialité d’Illich est donc tout à fait en rapport avec
notre propos qui appelle à reconnaître un primat de l’homme, une antériorité des
approches processuelles, sur les approches substantives et une souplesse des traductions
effectuées par les acteurs eux-mêmes. Ramené aux démarches d‟EIT, le propos d‟Illich sur
la convivialité nous encourage à ne pas laisser les dynamiques humaines « subir » ou se faire
déborder par les contraintes et impératifs de la technique : les analyses exhaustives de flux de
matières et d‟énergies comme l‟utilisation ou la création de logiciels ne sont donc
probablement pas incontournables, pour mener à bien ces dynamiques humaines et initier des
coopérations inter-organisationnelles.
Dans des développements récents Caillé et al. (2011), proposent la convivialité comme la
voie privilégiée, peut-être même la voie unique, qu‟a l‟homme de proposer un contrepoids à
son mode de vivre actuel. Moins que le joug des techniques, savoirs ou institutions dirigistes
236
et écrasantes (Illich, 1973), c‟est « l‟insoutenable démesure » (Viveret, 2011, p.25), l‟injustice
et la non durabilité des sociétés occidentales qui sont mises en examen dans ces textes. On
approche là de ce que nous voulons évoquer avec les OFC :
« Le vieux cri de la Renaissance, « science sans conscience n‟est que ruine de l‟âme », est toujours
aussi actuel. Pour que progresse la qualité de conscience de l‟humanité, il faut aussi que progresse
sa qualité de confiance : un réseau pensant certes, mais aussi un réseau un peu plus…aimant ! »
(Viveret, 2011, p.41).
Par la proximité qu‟elle instaure et la confiance qu‟elle permet d‟initier puis d‟instaurer, la
convivialité pourrait être l‟ingrédient clé de la création de liens entre acteurs en apportant de
la « chaleur ajoutée » (Détrie, 2011, p.31) :
« La convivialité crée et développe des liens. C‟est une aptitude collective à la bonne entente. Elle
combat l‟isolement. Un environnement dominé par la fluidité de la relation engendre des
interactions positives (collaboration et coopération), une productivité accrue et une meilleure
rentabilité. » (Détrie, 2009, p.71).
Organiser des évènements conviviaux n‟est pas une perte de temps puisque « ces prises de
contact informelles développent plus solidement l‟ouverture à autrui que de grands discours
institutionnels (…) La convivialité est ce temps désordonné ou non ordonné propice à la
rencontre et à l‟échange » (Détrie, 2011, p.60). On retrouve dans ces propos l‟importance de
ce que nous avons nommé l‟« ouverture des traductions » par des « traductions ascendantes ».
Pour que le moment soit optimal en termes de rencontres inter-acteurs, la littérature nous
conforte ici dans l‟idée de laisser faire le travail de traduction par les acteurs eux-mêmes, de
ne pas imposer ou dicter de l‟extérieur ce qui fait l‟intérêt de la rencontre et plus généralement
de la démarche ; c‟est dans l‟alchimie de la rencontre vraie et juste que peut naître pour les
acteurs, l‟envie ou la volonté d‟aller plus loin, avec les autres :
« La convivialité dans l‟entreprise est l‟expression du bien-être ensemble. C‟est la capacité à
transcender les organisations pour se retrouver dans un mode collaboratif efficace et toujours
agréable. » (Le Directeur du Développement Durable de Schneider Electric, in Détrie, 2011,
p.146).
Un certain nombre de nos répondants avaient insisté sur l‟importance de la convivialité des
échanges dans les dynamiques auxquelles ils participent. Parce qu‟elle apporte aux acteurs un
motif subjectif convaincant de participer à la dynamique, la convivialité montre ici son utilité,
en tant que facilitateur, dans l‟initialisation de processus innovants. Si les acteurs prennent
plaisir à la rencontre, les échanges n’en sont que stimulés, la mise en confiance accélérée,
l’apprentissage du monde de l’autre et l’empathie envers celui que l’on connait mal
encouragées. Finalement, ce sont les coopérations inter-organisationnelles qui s‟en trouvent
237
favorisées. La dimension conviviale des évènements contribue notamment à faire le travail de
liant que les promoteurs de projets ont à conduire et de ce point de vue, il peut être .judicieux
de ne pas la négliger. Pour illustrer davantage ce résultat, nous souhaitons rapporter des
propos extraits du site internet du CEIA170 et qui concerne la synergie des sables, présentée
plus haut :
« Cette synergie est d‟autant plus intéressante qu‟elle émane d‟une simple discussion entre deux
acteurs qui se sont rencontrés dans le cadre du CEIA C‟est pourquoi, de manière à privilégier
l‟échange et la communication entre les acteurs économiques du territoire, le club s‟attache à
organiser régulièrement des rencontres entre ses membres, et avec d‟autres acteurs s‟intéressant
aux problème de développement durable. »
C‟est la rencontre avec la dimension humaine de l‟autre qui semble finalement avoir de
l‟importance. C‟est ce qui est en toile de fond de la dimension conviviale évoquée, mais c‟est
également ce qui fait l‟intérêt d‟avoir des témoignages sur les sites internet des Clubs, ou des
retours d‟expériences dans les newsletters. C‟est précisément ce qui fait que la démarche
n‟apparaît pas comme un objet désincarné, un concept difficilement appropriable parce que
trop abstrait pour les acteurs sollicités. Dans l‟apprentissage de la différence de l‟autre, les
acteurs apportent de la réalité à la démarche, renforçant ainsi et du même coup, l‟intérêt qu‟ils
peuvent y trouver et facilitant l‟identification de pistes d‟actions collectives. L‟évènement
social et à plus forte raison, convivial, pourrait donc être ce qui permet de rassembler les
acteurs, avec et dans leurs différences (Star et Griesemer, 1989). Il pourrait être ce qui rend
possible l‟ouverture des traductions et des dispositifs d‟intéressement (Callon et Law, 1988)
que nous avons vue nécessaire pour initier des démarches d‟EIT à fort degré d‟incertitude. Il
pourrait également être ce qui permet d‟agréger les acteurs autour d‟un socle commun co-créé
(Bechky, 2003) en faisant que chaque acteur parvienne à aménager sa place au sein du
groupe, à exprimer sa vision du monde et à la faire cohabiter avec celles des autres
(Trompette et Vinck, 2009).
Nous présentons une vue d‟ensemble de nos résultats à la Figure 23 ci-après. L‟analyse de
la littérature ainsi que celle des territoires d‟étude, nous amènent effectivement à dire que
pour faire converger les acteurs autour d’une dynamique, créer un socle d’action
commun et partant initier des coopérations inter-organisationnelles dans les démarches
d’EIT, il y a probablement deux voies possibles, qui dépendent de la configuration
initiale des acteurs.
170
http://www.ceiaube.fr/05_realisations.htm, consulté le 9 décembre 2011.
238
Ainsi, il est de la responsabilité du promoteur de projets, d‟identifier dans quelle
configuration il se trouve, d‟adopter l‟approche correspondante et d‟adapter les dispositifs
d‟intéressement qu‟il peut alors mobiliser:
1. La première configuration est celle où le degré d’incertitude est fort, c‟est-àdire lorsque l‟on ne sait pas, au démarrage de l‟étude, quels vont en être les
bénéfices in fine. Il est à noter que c‟est la configuration la plus fréquente dans les
démarches d‟EIT, qui en sont encore au stade de l‟expérimentation sur la plupart
des territoires. Dans ce cas, l’approche que nous avons nommée processuelle
semble être la plus adaptée et partant, les traductions doivent être les plus
ouvertes possibles. Le travail des promoteurs de projets consiste alors à mobiliser
des dispositifs d‟intéressement qui soient des objets-frontières, permettant la
traduction ascendante recommandée où tous les acteurs sollicités peuvent
s‟exprimer, se rencontrer et se confronter afin de co-construire quelque chose qui
soit partagé. Cela signifie que les acteurs font eux-mêmes le travail de traduction et
identifient ainsi l‟intérêt qu‟ils auraient à participer à la démarche et au-delà, à
coopérer.
2. La seconde configuration possible repose sur un degré d’incertitude plus
faible, c‟est-à-dire lorsque les acteurs sont relativement mâtures sur le sujet, que
l‟on peut rapidement identifier les intérêts qu‟ils pourraient trouver à y participer et
qu‟il reste plus à se mettre d‟accord sur les façons de faire, que sur le « pourquoi le
faire ». Dans ce cas, il est possible d‟adopter l’approche que nous avons nommée
substantive : les promoteurs de projets peuvent donner le rythme et la
méthodologie de la démarche et s‟adapter aux acteurs grâce, cette fois, à une
traduction descendante. Ce sont eux qui prennent en charge le travail de
traduction pour convaincre les acteurs en leur prouvant l‟intérêt de la démarche et,
le cas échéant, l‟intérêt des coopérations.
Prenons un exemple afin de montrer les répercussions pratiques de ces éléments théoriques
et considérons la mise en place d‟une démarche d‟EIT : mettons-nous dans la peau d‟un
promoteur de projets171. Conformément aux principes de ces démarches, il lui faudra
171
Il peut s‟agir d‟un agent territorial (chargé de mission d‟une chambre de commerce et d‟industrie ; chargé de
mission au sein d‟un Club d‟entreprises, responsable d‟une zone d‟activité, etc.) ou d‟un cadre d‟entreprise à qui
239
identifier, dans un souci de performances économiques et environnementales accrues, d‟autres
organisations avec qui construire des partenariats et initier des coopérations. Il est assez
évident qu‟à ce stade, il ne pourra ni formuler ni garantir des bénéfices chiffrés, ni même des
méthodologies fiables ou des calendriers de travail définis. Il risque donc fort d‟avoir des
difficultés à convaincre les partenaires potentiels de l‟intérêt de la démarche.
Notre recherche lui propose d‟adopter une approche processuelle. Cela signifie qu‟au lieu
d‟essayer de démontrer la pertinence de l‟action commune – maladroitement puisque à défaut
de savoir précisément quoi « vendre », il s‟exprimera probablement dans un langage ou trop
technique ou trop abstrait172 – il aura tout intérêt à créer les conditions pour qu‟un travail de
co-construction des intérêts partagés possibles puisse se faire. Les terrains de Dunkerque et de
Troyes ont en effet montré l‟importance de ne pas sous-estimer cette dynamique pour
l‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles. En pratique, nous lui conseillerions de
laisser de côté, dans un premier temps du moins, les études de flux de matières et d‟énergies,
pour se concentrer sur la construction de liens sociaux entre les acteurs qu‟il sollicite. Pour
cela, il lui faudrait mettre en place des dispositifs type objets-frontières, permettant :

à chacun de prendre la parole pour énoncer ses intérêts propres, besoins ou envie
dans la dynamique. Il semble essentiel de donner de la voix à tous les acteurs pour
que chacun s‟y reconnaisse;

à tous de se rencontrer, de partager de l‟information, de se confronter c‟est-à-dire
de se familiariser les uns aux autres.
Cela signifie que notre promoteur de projets, doit veiller à nourrir la convivialité des
échanges afin que chacun puisse trouver sa place dans le processus, y participe et que tous
apprennent à se comprendre et peu à peu, apprennent à se faire confiance.
l‟on confierait la mission de trouver des partenaires locaux et de développer les coopérations avec les autres
entreprises/organisations du territoire.
172
Comme nous l‟avons vu sur les territoires de la Vallée de la Chimie et de Lille.
240
Figure 23 Ŕ Vue d’ensemble des résultats et thèse défendue
De nouveau, nous souhaitons souligner la dimension schématique de cette figure. Elle a
l‟intérêt de rassembler les concepts utilisés, les apports et compléments que ce travail peut
apporter ; elle occulte en revanche la nuance et la complexité liées aux processus innovants
d‟une part et aux relations humaines qui s‟y déploient d‟autre part. Elle souligne malgré tout
l‟intérêt que les théories de la ST et de la TOF présentent pour les sciences de gestion et la
façon dont les résultats qu‟elles nous ont amenée à énoncer peuvent être appropriés par de
futurs promoteurs de projets de démarches d‟EIT. Ainsi, ce schéma nous paraît restituer,
synthétiquement et fidèlement, la thèse que nous souhaitons défendre avec force à l‟issue de
ce travail de recherche.
Ce travail fait maintenant apparaître la richesse de la TOF pour les sciences de gestion en
général et les questionnements sur les coopérations inter-organisationnelles en particulier.
241
En ne distribuant pas les rôles aux différents acteurs mais en les laissant, chacun, faire le
travail de traduction et énoncer l‟intérêt qu‟ils portent à la démarche, la TOF vient utilement
compléter les éléments proposés par la ST. Par la mobilisation d‟objets-frontières, elle
permet de comprendre comment la cohabitation de, et la coopération entre, différents mondes
sociaux est possible sans consensus préalable et sans recherche de compromis. Ces modes de
relations inter-acteurs, à la fois souples, ouverts et intégrateurs, se sont en effet révélés
particulièrement adaptés pour les démarches émergentes d‟EIT. Plus encore, les verbatim ont
mis en lumière l‟importance pour les acteurs de s‟inscrire dans des démarches conviviales
auxquelles ils avaient plaisir à participer. Ce serait même grâce à ce plaisir partagé trouvé
dans la rencontre que les traductions pourraient se faire de manière ouverte, amenant ainsi
les acteurs à apprendre des autres et à identifier l‟envie ou le besoin qu‟ils ont de faire des
choses ensemble. Il semble alors que dans des démarches d‟EIT qui ne sont ni soutenues ni
encouragées ni donc a priori particulièrement attractives pour les acteurs, les promoteurs de
projets aient à leur disposition, pour initier des coopérations inter-organisationnelles, un
certain nombre d‟outils dont les objets-frontières et objets-frontières conviviaux font partie.
242
CONCLUSION DE LA PARTIE 2
En nous appuyant sur des expériences de terrain, cette seconde partie nous a permis de
comprendre comment peuvent se dérouler des démarches d‟EIT. L‟analyse approfondie de
l‟expérience de la Vallée de la Chimie (CHAPITRE 4) ainsi que l‟étude des démarches de
Lille, Dunkerque et Troyes (CHAPITRE 5) nous apportent un certain nombre
d‟enseignements.
Afin d‟enrôler les acteurs, les promoteurs de projets des démarches d‟EIT devront se
départir, au moins au début, de l‟obsession de la collecte de données de flux de matières et de
flux d‟énergies (approche substantive), pour se concentrer sur les dynamiques et logiques
d‟acteurs (approches processuelles). Ces démarches n‟ont pas d‟intérêt intrinsèque qu‟il
suffirait de mettre en lumière pour embarquer les participants et les convaincre de coopérer. Il
est alors apparu plus pertinent d‟adopter une grande ouverture dans la conduite de ces
démarches afin de permettre aux acteurs d‟identifier eux-mêmes les intérêts qu‟ils peuvent
trouver à y participer. D‟un point de vue opérationnel, cette ouverture signifie qu‟il faut
mobiliser des outils et aménager des espaces (évènements conviviaux, newsletters, etc.) qui
laissent la possibilité aux acteurs de s‟exprimer, de se rencontrer mais de se confronter aussi.
C‟est de cette façon qu‟ils peuvent se familiariser les uns aux autres, de cette façon que peut
se construire la confiance nécessaire entre eux, de cette façon enfin que peuvent être
identifiées des pistes d‟actions collectives et émerger l‟intérêt d‟une coopération.
La principale différence entre la ST et la TOF se trouve ainsi dans leur conception de la
construction de la convergence d‟acteurs. Quand la première semble encourager à construire
un compromis autour d‟intérêts identifiés par le promoteur de projets, la seconde propose
d‟articuler en les conservant les différentes voix afin qu‟elles trouvent elles-mêmes, par des
outils adaptés, comment cohabiter et travailler ensemble. Ces deux conceptions permettent
d‟appréhender de façon complémentaire différentes facettes des processus coopératifs, dans
différentes configurations d‟acteurs. En reformulant notre question de recherche, ce travail se
demande finalement comment crée-t-on le désir de faire des choses ensemble ? La réponse
que ces derniers chapitres apportent tient en un mot : convivialité. Il semble qu‟elle soit un
facteur utile d‟apprentissage de l‟autre, de compréhension et d‟articulation des différences. En
l‟absence d‟incitations ou de contraintes, c‟est en effet bien avec les désirs, envies, besoins
des acteurs qu‟il faut apprendre à composer et dont il faut tenir compte.
243
LA THESE, CE VOYAGE
« Que l‟on opte pour les grands moyens ou pour les petits, une décision s‟impose. L‟humanité
gémit à demie écrasée sous le poids des progrès qu‟elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir
dépend d‟elle. A elle de voir d‟abord si elle veut continuer à vivre. »
Henri Bergson, 1932 (p.338)
VUE D’ENSEMBLE DU PROPOS
Le parcours de recherche
Plus le terme de cette expérience de recherche approche, et plus la thèse nous apparaît
comme un voyage, le manuscrit de la thèse s‟imposant comme le carnet de ce voyage, écrit
rétrospectivement et construit selon ses étapes clés. L‟idée de la destination que nous avions
au départ a effectivement évolué au gré des découvertes réalisées, des obstacles rencontrés et
des véhicules mobilisés. Nous ne détaillerons pas ici les voies sans issues empruntées ou les
errances de ce périple, mais rappellerons les lignes marquantes, les éléments les plus
significatifs pour le projet de recherche tel qu‟il est en définitive.
Notre recherche s‟inscrit très clairement dans les réflexions plus générales sur le
développement durable de nos sociétés et souhaite contribuer aux moyens de sa mise en
œuvre. La focale choisie pour cela est de s‟intéresser au développement des démarches
d‟écologie industrielle et territoriale (EIT) : en invitant à une gestion raisonnée des flux de
matières et d‟énergies et partant, à une nouvelle approche des modes de production et de
consommation des acteurs, l‟EIT semble offrir un accès privilégié au respect des principes du
développement durable. Les difficultés d‟appropriation de sa logique par les acteurs de terrain
(collectivités, entreprises et individus) et les rares mises en œuvre nous ont cependant
interpellée. Cela d‟autant plus que la littérature reste peu prolixe sur la place des acteurs dans
la conduite des démarches d‟EIT et notamment sur, la façon de les encourager à participer à
ces démarches émergentes. Avec un intérêt général pour le déploiement des démarches d‟EIT,
notre travail s‟est plus précisément concentré sur la construction des coopérations interorganisationnelles qu‟elles requièrent, puisqu‟elles prônent la mise en place de synergies et
d‟échanges de flux inter-acteurs.
Pour traiter cette question de recherche, nous avons fait le choix de croiser les
enseignements tirés de la littérature avec ceux issus d‟analyses de terrain. En particulier, il
244
s‟est agit d‟articuler les travaux de recherche réalisés sur cette question de la coopération
inter-organisationnelle et de la construction de processus collectifs avec l‟examen de quatre
démarches françaises se revendiquant de l‟EIT et dont la documentation était suffisante pour
compléter les entretiens réalisés. Concernant la littérature, et sans revenir ici sur les raisons
qui nous y ont conduite, rappelons que nous avons principalement mobilisé les concepts
d‟« enrôlement » emprunté à la sociologie de la traduction (Callon et Law, 1988) et
d‟« objets-frontières » emprunté à la théorie des objets-frontières (Star et Griesemer, 1989).
Les terrains, quant à eux, ont été investigués selon une approche qualitative avec la conduite
d‟une quarantaine d‟entretiens semi-directifs couplée à des analyses de documents, soit
internes aux démarches en questions, soit externes comme des articles de journaux, des
rapports, des présentations faites lors de rencontres scientifiques, etc.
Les résultats de ce travail confirment l‟importance de s‟intéresser à la question de la
construction des coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT notamment
parce que, précisément, elles ne se décrètent pas. Plus encore, moins il est facile pour les
promoteurs de projets de dire, au démarrage de ce type de démarche, les intérêts que les
acteurs sollicités pourraient avoir à y participer, et plus il semble qu‟il soit pertinent d‟adopter
une approche souple et ouverte.
La thèse défendue
Comme Rabelais (1995) nous y invite, nous pouvons maintenant « rompre l‟os pour sucer
la substantifique moelle 173» de notre travail et en présenter la thèse centrale que nous
souhaitons défendre.
Encore peu connues, les démarches d‟EIT ne bénéficient effectivement pas d‟un consensus
général sur l‟intérêt de leur mise en œuvre. Par ailleurs, et pour l‟instant, les démarches d‟EIT
sont portées par des acteurs missionnés pour les conduire, experts et membres de collectivités
principalement. Elles sont donc proposées aux autres acteurs du territoire, de l‟extérieur
pourrions-nous dire. Au moment de l‟écriture de ce manuscrit, les promoteurs de ces projets
ont ainsi un important travail de pédagogie à faire sur ce que sont les démarches d‟EIT et en
quoi elles concourent à un développement durable de nos sociétés. Nous nous apercevons à
quel point, il y a une importante énergie à déployer pour convaincre les acteurs de participer
et de s‟y investir ; malgré l‟apparente simplicité du concept, la réalisation est loin d‟aller de
173
Cette citation est extraite du Prologue de Gargantua, initialement paru en 1534 et présente dans l‟ouvrage de
1995, p.51.
245
soi. C‟est précisément ce dont il faut se rendre compte et que les promoteurs de projets
doivent, selon nous, garder présent à l‟esprit : il n‟y pas de relation mécanique entre l‟intérêt
possible de la démarche et la volonté des acteurs sollicités à y participer. Dit autrement, il ne
s‟agit pas d‟élaborer un argumentaire théorique ou scientifique convaincant pour convaincre.
Peut-être parce qu‟en l‟état des connaissances, il est très difficile de les formuler avec
précision : le constat reste que les intérêts d‟une démarche d‟EIT ne se postulent pas a priori
et leur évocation théorique ne suffit pas à embarquer les acteurs :
« Au-delà de l‟échange de flux, c‟est un contact qui doit se nouer entre deux chefs d‟entreprise et
dans les zones industrielles, il est très difficile de mettre en œuvre des réflexions collectives. »,
Jean-François Vallès, dirigeant de Synopter, bureau d‟étude spécialisé dans la gestion durable des
parcs d‟activité et des zones industrielles, (Novethic, 2011).
Les territoires étudiés nous ont effectivement montré que les approches les plus
techniquement et scientifiquement rigoureuses ne sont pas celles qui ont eu les meilleurs
résultats en termes de coopérations inter-organisationnelles. En revanche, celles qui ont su
travailler avec les acteurs, en étant à l‟écoute de leurs attentes, envies ou besoins, celles qui
ont su créer la rencontre et co-créer des éléments de contexte partagé, celles-là sont parvenues
à mettre en place des relations inter-organisationnelles semble-t-il solides et à initier des
coopérations : mutualisation de déchets, achats groupés, échanges de flux de matières,
recherches collaboratives sur des échanges de flux d‟énergies, etc.
Ce que nous disons finalement à travers cette recherche c‟est que la façon dont les gens se
rencontrent ou plus exactement, la façon dont on fait se rencontrer les gens est décisive pour
mener des démarches d‟EIT. Certaines choses entrent en jeu qui ne sont pas rationnelles, mais
dont les promoteurs de projets ne peuvent pas ne pas tenir compte. Il ne s‟agit pas seulement
de l‟intérêt économique qu‟il y aurait à coopérer ou de la règlementation qui y contraindrait.
D‟abord parce que ces arguments se prêtent mal pour l‟instant aux démarches d‟EIT, mais
aussi, et surtout, parce qu‟en dernière instance, c‟est d‟hommes dont il est question. Nous
l‟avons vu, ils ne peuvent être considérés comme une variable d‟ajustement : ils ne se plieront
pas spontanément au constat généralement admis qu‟il faut faire quelque chose, aux études et
travaux des ingénieurs qui appuieront ce constat ou aux argumentaires des experts qui les
exhorteront à participer. Pour constituer un tour de table, cela peut éventuellement suffire.
Pour initier des coopérations inter-organisationnelles cependant, il faut proposer autre chose,
porter attention à d‟autres éléments qui en appellent au départ, non pas seulement à la
rationalité des acteurs sollicités, mais qui réveillent surtout leur « fibre relationnelle »
246
pourrions-nous dire. C‟est cela qu‟il s‟agit d‟interpeler, d‟éveiller et d‟activer, pour parvenir à
développer des démarches d‟EIT. C‟est là qu‟est, selon nous, le véritable enjeu. Sans cela et
puisque les arguments rationnels habituels ne s‟appliquent pas a priori, les promoteurs de
projets ne pourront parvenir à initier les coopérations inter-organisationnelles recherchées.
Pour l‟expliciter davantage, nous pourrions dire qu‟en l‟absence de contraintes ou d‟intérêts
forts et visibles, lisibles rapidement par les acteurs, les motifs de l‟action collective ne
semblent pouvoir s‟articuler qu‟autour de l‟envie ou d‟un besoin identifié de faire des choses
ensemble.
Il est également intéressant de noter que cette question du « comment parvenir à faire des
choses ensemble, comment susciter l‟envie de coopérer » peut d‟ailleurs être extraite du
contexte étroit des démarches d‟EIT. Il s‟agit finalement de la question, bien plus large, de la
cohabition de tous avec tous sur cette planète : « Pourtant, le problème qui se pose à nous est
bien celui-là : savoir comment vivre ensemble à l‟échelle mondiale, en « nous opposant sans
nous massacrer », selon la formule de Marcel Mauss. » (Caillé, 2011, p.75).
Cette thèse qui nous dit en fin de compte : « faites attention aux hommes, écoutez-les,
accompagnez-les, créez du lien, de la convivialité, co-créez avec eux ! » pourra sembler
triviale et de bon sens finalement. Elle mérite pourtant d‟être défendue avec force tant elle
reste marginale dans les travaux de recherche et est encore négligée dans les pratiques. A titre
d‟exemple, peu, pour ne pas dire aucun, des appels d‟offres récemment proposés pour
encourager les démarches d‟EIT et auxquels nous avons pu avoir accès, ne mettent l‟accent
sur la dimension intrinsèquement humaine de ces démarches. A titre d‟exemple, nous
rapportons l‟extrait de l‟un d‟entre eux disponible en ligne174, à la Figure 24 ci-dessous:
174
http://www.klekoon.com/boamp/boamp-appels-offres-marche-consiste-prestation-technique-appui-demarcheecologie-industrielle-1490234.htm, consulté le 15 décembre 2011.
247
Figure 24 Ŕ Extrait d'un appel d'offres pour une démarche d’EIT
CONTRIBUTIONS THEORIQUES ET MANAGERIALES
Apports pour la littérature
Ce travail de recherche sur l‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles dans les
démarches spécifiques d‟EIT, apporte un certain nombre d‟éléments à la littérature. Ces
apports se positionnent en complément des travaux existants : il est moins question de
contredire ce qui y est dit que d’éventuellement nuancer, mais surtout compléter, ces
réflexions.
Comme le souligne Chertow (2000), il est apparu impensable depuis les trente dernières
années de polluer massivement les quatre coins de la planète. Il n‟est donc pas interdit de
penser que dans les trente prochaines années, il devienne également impensable de n‟utiliser
les ressources qu‟une seule fois sans chercher à les valoriser de nouveau et le plus possible.
L‟EIT deviendrait alors un outil incontournable et les recherches sur le sujet s‟avèreraient de
fait très utiles. Dans ce cadre, notre travail apporte une dimension complémentaire à la grande
majorité des travaux dédiés à l‟EIT, qui s‟intéressent aux questions techniques et
d‟ingénieries des flux. Cette recherche apporte des pierres nouvelles à l‟édifice encore à
construire de la faisabilité des démarches d‟EIT. Elle dit effectivement que derrière ces flux il
y a des acteurs et que sans eux, aucune synergie ne peut être mise en œuvre. Plus précisément,
248
ce travail insiste sur le fait qu‟il faut veiller à embarquer ces acteurs en leur proposant une
dynamique dans laquelle ils se reconnaissent et qu‟ils peuvent s‟approprier. Il y a des « flux
humains » dont les relations restent à encourager et à construire. Elle nuance la tendance
répandue dans la littérature de penser l‟EIT comme une démarche qui se découpe en un
certain nombre d‟étapes et dont le chemin, standard, pourrait être tracé d‟avance. Les cadres
théoriques que nous avons mobilisés nous invitent à adapter ces démarches pour les faire
suivre et correspondre au contexte et aux acteurs auxquels elles s‟appliquent.
Notre travail aura également permis de mettre à l‟épreuve les concepts de la sociologie de
la traduction et de la théorie des objets-frontières sur un terrain auquel, à notre connaissance,
ils n‟avaient encore jamais, été appliqués et que sont les démarches d‟EIT. De cette manière,
nous pensons avoir modestement contribué à leur diffusion, à leur définition peut-être aussi en
montrant que sans s‟exclure, et selon les configurations, les modes de traduction de ces deux
théories ne se valaient pas. Il ne s‟agit pas pour nous de remplacer une théorie par une autre,
mais de montrer qu‟elles ont des utilités complémentaires et de donner à voir la façon dont
cela s‟incarne sur le terrain. Nous les avons sans doute un peu étirées, malaxées et éprouvées,
mais si l‟on en croit Law (1999), c‟est aussi de cette manière qu‟elles peuvent s‟exprimer,
s‟enrichir et se déployer :
« Il n‟y a que les théories mortes et les pratiques mortes pour célébrer leur propre identité. Il n‟y a
que les théories mortes et les pratiques mortes pour s‟accrocher à leurs noms, pour insister sur
leur reproduction parfaite. Il n‟y a que les théories mortes et les pratiques mortes pour chercher à
refléter, dans le moindre détail, les anciennes pratiques175. » (Law, 1999, p.10).
Il est par ailleurs intéressant de constater qu‟alors qu‟elles sont contemporaines l‟une de
l‟autre – les textes fondateurs de ces deux théories ont effectivement été écrits dans les années
1980 – les deux n‟ont pas connu le même essor ni suscité le même intérêt. Nous espérons que
ce travail aura convaincu le lecteur, que la théorie encore émergente des objets-frontières
encore peu mobilisée a toute sa place, en complément des apports plus répandus de la
sociologie de la traduction. Nous l‟avons montré, dans des cas où l‟incertitude est forte sur ce
que suppose une démarche d‟EIT et sur ce que les acteurs peuvent avoir à y gagner, les laisser
eux-mêmes construire leurs traductions, grâce à des objets-frontières, peut s‟avérer
particulièrement utile. Nous espérons que la distinction proposée ici quant aux modes
175
« Only dead theories and dead practices celebrate their self-identity. Only dead theories and dead practices
hang on to their names, insist upon their perfect reproduction. Only dead theories and dead practices seek to
reflect, in every detail, the practices which came before. »
249
d‟initialisation de la coopération en fonction des degrés d‟incertitude , pourra aider les
promoteurs de projets en charge de la gestion de ces processus.
Ce qui nous amène aux apports que ce travail propose aux sciences de gestion. Cette
question de la coopération inter-organisationnelle dans les démarches d‟EIT aurait pu être
posée dans d‟autres champs, avec d‟autres regards. On aurait pu s‟y intéresser dans le cadre
d‟un travail de psychologie, d‟un travail de droit, d‟un travail d‟anthropologie ou d‟économie
par exemple. Nous avons choisi les sciences de gestion parce que notre parcours personnel,
comme nous l‟avons esquissé en introduction, nous y avait conduit. Les sciences de gestion
nous permettaient en effet de réfléchir aux pratiques, au « comment faire » à la question de la
mise en place. C‟est donc véritablement le faire, le fabriquer, le construire, nous pourrions
presque dire que c‟est la dimension « artisanale » de l‟EIT qui nous intéressait. Au terme du
travail, nous nous apercevons que ces questionnements ont eux aussi des choses à apporter à
la discipline choisie. D‟une part, parce que les travaux de recherche en sciences de gestion
consacrés aux démarches d‟EIT se comptent encore sur les doigts de deux mains et qu‟il reste
ainsi un certain nombre de sujets à explorer. D‟autre part, parce que la problématique,
restreinte, de l‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles est, elle aussi, assez peu
explorée. Les recherches qui ne traitent pas des alliances stratégiques ou de la gouvernance
des coopérations existantes sont rares. Pour l‟instant, peu de choses sont dites lorsque 1/ les
coopérations inter-organisationnelles sont à construire, et que 2/ elles ne sont ni encouragées
ni soutenues a priori par un intérêt ou une contrainte manifeste, comme c‟est le cas avec les
démarches d‟EIT. Ce travail aura donc permis de compléter, diversifier et élargir le panel des
sujets et questions traitées en sciences de gestion et participe, modestement, à l‟effort de
construction de champ de recherche.
Apports pour la pratique
Les dires de l‟un de nos répondants nous montrent qu‟il y a effectivement des choses à
améliorer ou à revoir pour encourager le développement des démarches d‟EIT :
« Première étape : choix de la méthodologie/références, définition du périmètre de l‟étude,
identification des sources de données, mobilisation des acteurs, quantifications des flux,
préconisations, abandon. Tout est normal ! (Rires). » (Lille, Chef de projet municipal).
Sans doute parce qu‟elles sont encore émergentes, les méthodologies proposées ont trop
souvent tendance à s‟attacher à la partie la plus tangible du processus : la collecte des données
et l‟analyse des flux de matières et d‟énergie. L‟analyse de nos terrains a cependant montré
250
que justement, c‟est parce que ces démarches étaient émergentes, qu‟elles nécessitaient autre
chose que l‟attachement à ces dimensions scientifiques pour leur mise en œuvre et
l‟enrôlement des acteurs.
En particulier, il est apparu important de ne pas solidifier tout de suite la configuration des
acteurs, de laisser le processus et les traductions ouverts, de laisser à chacun la possibilité de
s‟y faire une place, de s‟y reconnaître et de s‟y retrouver. En d‟autres termes, les promoteurs
de projet doivent accepter de passer la balle aux acteurs qu‟ils sollicitent. Ils doivent accepter
de ne plus se restreindre d‟apporter, la méthodologie qui fonctionne – ou plutôt, qui devrait
fonctionner –, mais à l‟inverse, de construire la méthodologie en fonction des acteurs et
parvenir ainsi, à partir de leur point de vue, à créer du « partagé ». En pratique, pour initier et
déployer des démarches d‟EIT, les promoteurs de projets auraient sans doute intérêt, non pas
à chercher de convaincre les acteurs de l‟intérêt potentiel de ces démarches, mais à laisser ces
acteurs, se convaincre de l‟utilité de la dynamique coopérative. Nous savons en effet que les
promoteurs de projet ne peuvent pas trop et tout demander aux acteurs dès le début (Doz,
1996). Les promoteurs de projets doivent veiller à passer les étapes par étapes et à adopter
l‟approche la plus adaptée, dans un ordre acceptable pour les acteurs.
Ne nous méprenons pas cependant, notre travail de préconisation ne vise pas à remplacer
un protocole par un autre. Nous espérons surtout qu‟il permette aux promoteurs de projets de
comprendre qu‟il existe différents niveaux d‟intéressement. Le fait que des acteurs acceptent
de participer à un tour de table pour réfléchir à des pistes d‟actions collectives est certes un
premier niveau d‟engagement, mais il n‟est pas un gage d‟initialisation de coopérations interorganisationnelles. Pour cela, nous espérons avoir montré qu‟il existe différents types
d‟approches et partant, de dispositifs d‟intéressement à disposition des promoteurs.
Pour illustrer ces éléments théoriques et en voir d‟autres répercussions pratiques possibles,
prenons l‟exemple où l‟on aurait à vendre une formation RH. L‟approche que nous avons
nommée substantive s‟appliquerait dans le cas où c‟est le dirigeant qui nous solliciterait pour
conduire cette formation. Il pourrait alors suffire d‟adopter une traduction descendante, de lui
proposer les bons outils, dans le bon format et au bon tarif pour que l‟affaire soit conclue et la
coopération, la collaboration puisse avoir lieu. L‟approche processuelle prendrait plutôt sens
si la formation est nouvelle, qu‟il y a encore assez peu de retours permettant de prouver de
son intérêt et que de toute façon, il reste difficile de dire a priori, de manière quantifiée et
définitive : « cette formation sur le bien être des salariés dans l‟entreprise vous permettra
251
d‟être Xfois plus performant et compétitif ». On s‟aperçoit ici clairement que la traduction ne
serait pas si simple à réussir. Il ne serait pas évident de trouver le bon langage pour
convaincre le décideur de la pertinence, pour lui, de cette formation. Notre travail lui
proposerait alors d‟adopter une traduction ascendante c‟est-à-dire qui favorisent la coconstruction afin d‟identifier quels pourraient être, pour lui, les intérêts de cette formation et
comment l‟adapter à ses attentes. Bien qu‟il nous faille rester prudente sur les extrapolations
possibles de ce travail, nous souhaitons ici souligner que nos résultats semblent pouvoir servir
dans d‟autres contextes, que ceux du développement des démarches d‟EIT.
PERSPECTIVES DE RECHERCHE
Tant du point de vue des missions de conseil réalisées qu‟au regard de la veille que nous
conduisons sur le sujet, il est clair que les initiatives visant la mise en œuvre de démarches
d‟EIT se multiplient non seulement en France, mais à l‟international également. Dans ce
contexte, la nécessité de comprendre les logiques d‟acteurs à l‟œuvre et la façon dont les
difficultés inhérentes à ces logiques peuvent être surmontées ne pose plus question. Un
ouvrage récent (Buclet, 2011) écrit sur le sujet en témoigne :
« L‟intérêt de l‟écologie industrielle est de créer des interactions entre acteurs relativement
proches géographiquement, mais n‟ayant pas toujours l‟occasion d‟échanger, faute d‟intérêts
communs (…). La difficulté principale consiste à créer une entente et un degré de confiance entre
acteurs et engendrer des comportements coopératifs. » (Buclet, 2011, p.166-167).
« Engendrer des comportements coopératifs », voilà bien le cœur du propos dont seuls de
premiers éléments ont été mis en lumière par ce travail. Des pistes pour de futures recherches
émergent que nous souhaitons mentionner.
Bien que nous parlions du développement des démarches d‟EIT et de la façon dont il est
possible de construire des coopérations inter-organisationnelles, il nous faut remarquer que
nos résultats ne sont valables que, ou sont surtout valables dans, un certain contexte : celui où
les personnes sollicitées sont déjà sensibilisées d‟une façon ou d‟une autre (règlementation,
conviction personnelle, volonté des dirigeants, etc.) à la question du développement durable et
ont donc accepté de participer à une démarche d‟EIT. Les démarches d‟EIT seraient en effet
bien trop longues et complexes à initier s‟il fallait, au préalable, faire un travail s‟apparentant
à de l‟évangélisation pour convaincre de l‟importance d‟une durabilité des modes de produire
et de consommer. Dire en effet que l‟EIT est une voie d‟opérationnalisation du
développement durable, c‟est dire du même coup que les personnes qui s‟y intéressent, sont
252
déjà convaincues des enjeux liés au développement durable et qu‟elles cherchent surtout les
façons de le mettre en œuvre. Nos propositions arrivent donc au stade où il y a déjà présent ce
socle de prise de conscience des acteurs qu‟il faut changer les modes de fonctionner.
Sur l‟ensemble des terrains étudiés en effet, les entretiens réalisés nous ont montré que les
acteurs avaient bien cette conscience des enjeux d‟un développement durable des activités.
Afin d‟éviter toute confusion, rappelons que le degré d‟incertitude évoqué dans ce travail,
porte davantage sur les productions possibles des démarches d‟EIT – et donc sur la volonté
des acteurs de s‟investir dans ces démarches spécifiques – que sur la volonté des acteurs de
faire quelque chose qui relève du développement durable. Le fait notamment, que sur certains
de nos terrains il n‟y ait pas eu initialisation de coopérations inter-organisationnelles, ne
signifie pas que ces acteurs ne conduisent aucune action en ce sens et n‟y portent pas intérêt.
Dans le cas contraire cependant, c‟est-à-dire dans le cas où les acteurs sollicités n‟auraient pas
cette conscience de l‟acuité de ces enjeux, nos propositions pourraient effectivement atteindre
leurs limites : avant même de parler de démarches d‟EIT et à plus forte raison, d‟initier des
coopérations inter-organisationnelles, il faudrait déjà parvenir à convaincre les acteurs de la
non durabilité de nos modes de vie.
Egalement et comme le soulignait Vermeulen (2006) pour son propre travail, il y a très
probablement des éléments de réponse aux questions que nous nous sommes posées, dans
d‟autres champs de recherches même s‟ils ne se revendiquent pas spécifiquement de l‟EIT.
Les chercheurs qui s‟intéressent aux questions de pouvoir dans les organisations, mais aussi et
plus largement, aux politiques publiques, à la psychologie, à la construction des lois et
réglementations, aux relations internationales et bien d‟autres, ont probablement des choses à
dire sur la question de l‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles. Les résultats
proposés par le cadre théorique que nous avons choisi pourraient s‟enrichir des visions et
apports d‟autres disciplines. La question posée que nous avons choisi d‟aborder sous l‟angle
de la transversalité – entre les sciences de l‟ingénieur identifiées et dominantes sur le sujet de
l‟EIT, les sciences de gestion comme cadre du travail et de la réflexion sur les coopérations
inter-organisationnelles et enfin les sciences sociales avec le cadre théorique choisi –
gagnerait à se nourrir des réflexions d‟un panel d‟approches encore plus large et plus ouvert.
Lancer des passerelles entre ces différents travaux permettrait de comprendre le phénomène
d‟initialisation des coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT, avec
d‟autant plus de finesse et de complexité.
253
D‟autre part, nos questions et notre posture de recherche et le fait que le sujet soit émergent
et dans le champ de l‟EIT et dans les sciences de gestion, nous ont amenée à adopter une
approche compréhensive et qualitative du terrain. L‟intérêt du nombre restreint de cas était
effectivement de nous faire appréhender, de la façon la plus juste possible, ce qui était en jeu
concernant les coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT étudiées. Nous
pensons que, de ce point de vue, l‟objectif est atteint. En revanche, il est évident qu‟il ne
s‟agit là que de premiers éléments, dans un champ relativement nouveau, et que ces résultats
gagneraient à être encore confirmés. La posture exploratoire que nous avons adoptée induit
qu‟il y a des choses que nous n‟avons pas explorées. Par exemple, deux des démarches
étudiées sont des processus toujours en cours et il pourrait être intéressant d‟aller plus loin
dans l‟analyse et le suivi de la dynamique. Retourner sur ces terrains, permettrait également
de tester notre proposition qui invite à modifier les traductions en fonction du degré
d‟incertitude et donc d‟incitation des acteurs. Dit autrement, sur ces territoires par exemple,
où l‟incitation et les intérêts semblent identifiés puisque des coopérations interorganisationnelles ont effectivement été initiées, il serait pertinent de savoir si, effectivement,
les modalités de traduction pour faire progresser la démarche ont évolué. Nos préconisations
aux promoteurs de projets sur les types d‟approches et de traduction à adopter selon les
configurations, restent en effet à vérifier.
La validation ultérieure de nos propositions ouvre la voie à d‟autres perspectives de
recherche. D‟abord, il s‟agirait de suivre, sur le terrain, des promoteurs qui utiliseraient les
éléments pratiques mis en lumière dans ce travail afin d‟observer les productions alors
obtenues. Notamment : est-ce qu‟opter pour une approche processuelle, mobilisant des objetsfrontières et visant la création de liens par la convivialité des échanges, apporterait des
résultats tangibles en termes d‟initialisation de coopérations inter-organisationnelles ? Les
propositions que nous faisons dans ce travail, sont issues d‟analyse a posteriori. Il serait en
effet très intéressant de les compléter par un regard « à chaud », développé en simultané du
déroulé d‟une ou plusieurs démarches d‟EIT. Par ailleurs, des recherches complémentaires
pourraient consister à adopter, cette fois, une approche quantitative afin de tester les présentes
propositions auprès d‟un large panel d‟acteurs. Il s‟agirait de questionner des membres de
collectivités, d‟entreprises, et organisations diverses – impliquées dans des actions de
développement durable ou non – sur l‟importance relative des relations humaines dans ces
démarches et sur les façons possibles de les alimenter. Enfin, et pour mesurer le poids du
contexte dans ces démarches d‟EIT, il pourrait être pertinent d‟effectuer des comparaisons
254
internationales puisque l‟on sait que ces dynamiques trouvent un public et se développent
aussi hors de France.
Au terme de ce voyage, nous souhaitons rapporter quelques mots d‟Edgar Morin (2008).
D‟abord parce qu‟ils nous touchent mais aussi parce qu‟ils reflètent justement, les sentiments
qui nous animent et la relation complexe que nous entretenons avec ce travail de recherche:
« Les termes d‟auto-réflexion/auto-critique me concernent au premier chef, moi qui écris ces
lignes. Je ne dois pas seulement réfléchir sans trêve sur l‟inscription dans une culture particulière
de mon aspiration à l‟universel ; je ne dois pas seulement savoir que ma marginalité même au sein
de ma culture témoigne de cette culture. Je ne dois pas seulement m‟interroger sur le fond
pulsionnel qui nourrit secrètement mes idées. Je dois sans cesse me ressouvenir de ce que je sais et
oublie, que cette œuvre, que je veux toute vouée à la connaissance et à l‟humanité, est à chaque
instant marquée de par mon désir d‟être connu et reconnu. Tout en étant possédé par des forces
occultes qui opèrent à travers moi, tout en voyant et sachant que ce livre, comme tout livre, est
devenu auteur de lui-même, et me pousse, me cravache à lui obéir, je me sens en même temps
auteur dans le sens le plus vaniteux, le plus ridicule, le plus minable du terme… Je dois, à chaque
instant, me demander : ai-je assez contrôlé mes projections, vérifié mes pulsions ? Est-ce que je
m‟enivre et m‟intoxique de mes propres fermentations théoriques ou est-ce qu‟au contraire je suis
trop craintif, trop prudent, au sujet du sujet justement ? Car c‟est sur ce chapitre du sujet que je me
sens le plus audacieux et le plus intimidé, que je ressens l‟exaltation de la découverte et
l‟insécurité du no man‟s land, le désir d‟éloge et la peur du blâme. » (Morin, 2008, p.928-929).
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279
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 – Vue d'ensemble des étapes de la recherche ....................................................................... 25
Tableau 2 – Stratégie de développement durable des entreprises, d‟après Durif et al. (2009) ............. 34
Tableau 3 – Définitions de l'EIT, d‟après Seuring (2004) ..................................................................... 36
Tableau 4 – Principales revues sur l'EIT ............................................................................................... 41
Tableau 5 – Les 4 axes stratégiques de l'EIT, d'après Erkman (2004) .................................................. 42
Tableau 6 – Principales étapes d'une démarche d'EIT, d‟après Brullot (2009) ..................................... 44
Tableau 7 – Le passage à l'action d'un groupe d'acteurs, d'après Davis et Thompson (1994) .............. 51
Tableau 8 – La coopération, élément clés de la réussite des démarches d'EIT ..................................... 60
Tableau 9 – Cycle de vie des alliances stratégiques .............................................................................. 65
Tableau 10 – Apprentissages et Insuffisances dans les travaux de gestion ........................................... 72
Tableau 11 – Intérêts et utilisation des concepts de la ST pour notre recherche ................................... 80
Tableau 12 – Complémentarité de la ST et de la TOF .......................................................................... 83
Tableau 13 – Nature des "objets-frontières", d'après Star et Griesemer (1989) et Star (1989) ............. 86
Tableau 14 – Propriétés, intérêts et utilisation des objets-frontières dans notre recherche ................... 91
Tableau 15 – Tâches et logiciels informatiques utilisés, d'après Miles et Huberman (2003) ............. 112
Tableau 16 – Les cas d'analyse comme situations de gestion, d'après Girin (1990). .......................... 118
Tableau 17 – Vue d‟ensemble des terrains complémentaires.............................................................. 120
Tableau 18 – Liste des répondants par terrain d'analyse ..................................................................... 122
Tableau 19 – Diversité des profils mobilisés dans la démarche de la Vallée de la Chimie ................ 136
Tableau 20 – Logiques d'action dans la Vallée de la Chimie, inspiré de Thornton (2002) ................. 137
Tableau 21 – Documents structurants utilisés pendant l'étude de la Vallée de la Chimie ................... 138
Tableau 22 – Objectifs flottants de l‟étude de la Vallée de la Chimie ................................................ 146
Tableau 23 – Principaux flux identifiés sur la Vallée de la Chimie .................................................... 151
Tableau 24 – Extrait du questionnaire de collecte de données de la Vallée de la Chimie .................. 160
Tableau 25 – Des objets-frontières sur les terrains complémentaires ................................................. 203
Tableau 26 – Synthèse des enseignements des quatre terrains d'analyse ............................................ 209
Tableau 27 – Correspondances des OFC aux caractéristiques des OF traditionnels ........................... 234
280
LISTE DES FIGURES
Figure 1 – Thématiques qui pourront intéresser le lecteur dans ce travail ............................................ 13
Figure 2 – Cycle de la matière et des énergies dans un écosystème terrestre ....................................... 38
Figure 3 – Acteurs impliqués dans une démarche d'EIT, d'après Duret (2007) .................................... 56
Figure 4 – Développement d'une démarche d'EIT, d'après Doménech et Davies (2010) ..................... 57
Figure 5 – Progression de la réflexion, point d'étape 1 ......................................................................... 61
Figure 6 – Tensions dialectiques dans les alliances, d'après Rond et Bouchikhi (2004)....................... 67
Figure 7 – Eléments clés des alliances stratégiques, d'après Gulati (1998) .......................................... 68
Figure 8 – La "traduction" relie des éléments distincts ......................................................................... 75
Figure 9 – Les objets-frontières, lieux de rencontre d‟acteurs hétérogènes .......................................... 88
Figure 10 – L'articulation de la ST et de la TOF ................................................................................... 92
Figure 11 – Progression de la réflexion, point d'étape 2 ....................................................................... 95
Figure 12 – Construction de la question de recherche......................................................................... 101
Figure 13 – Des entretiens conduits selon trois phases distinctes ....................................................... 108
Figure 14 – Répartition des entretiens par terrain d'analyse ................................................................ 110
Figure 15 – Extrait de la base de données constituée par l'équipe sur la Vallée de la Chimie ............ 140
Figure 16 – Représentation graphique des flux sur la Vallée de la Chimie ........................................ 141
Figure 17 – Progression de la réflexion, point d'étape 3 ..................................................................... 166
Figure 18 – Bilan de flux "énergie" de la ville de Lille, d‟après Orée (2009) ..................................... 170
Figure 19 – Localisation des matériaux de construction pour la ville de la Lille ................................ 170
Figure 20 – Témoignages d'adhérents d'ECOPAL, d'après le site internet du Club ........................... 202
Figure 21 – De nombreuses informations disponibles sur le CEIA, d'après le site du Club ............... 202
Figure 22 – Types d'approches et de traductions dans les démarches innovantes d'EIT ..................... 227
Figure 23 – Vue d‟ensemble des résultats et thèse défendue .............................................................. 241
Figure 24 – Extrait d'un appel d'offres pour une démarche d‟EIT ...................................................... 248
281
ANNEXES
LISTE DES ANNEXES
ANNEXE 1 Ŕ Repères lexicaux des expressions clés du travail
ANNEXE 2 – Les démarches d‟EIT choisies, parlons-en
ANNEXE 3 – Courrier de demande d‟entretien
ANNEXE 4 – Guide d‟entretien, pour le terrain principal
ANNEXE 5 – Genèse de l‟étude sur la Vallée de la Chimie (1) : « Promouvoir une idée »
ANNEXE 6 Ŕ Genèse de l‟étude sur la Vallée de la Chimie (2) : « Promouvoir un projet »
ANNEXE 7 – Guide d‟entretien, pour les terrains complémentaires
ANNEXE 8 – Exemple de codage sur Atlas/ti
282
ANNEXE 1 Ŕ REPERES LEXICAUX DES EXPRESSIONS CLES DU TRAVAIL
Acteurs
Dans ce travail, la distinction acteurs individuels et acteurs organisationnels n‟est pas
pertinente. La construction de la coopération inter-organisationnelle se fait en effet via des
individus qui représentent les organisations dans lesquelles ils évoluent mais pensent,
ressentent, interprètent personnellement les évènements auxquels ils sont confrontés. Il nous
semble que l’interaction entre les deux, individus et organisations, est permanente,
inextricable et le plus souvent impossible à repérer ou identifier. Par ailleurs, tâcher de
distinguer et catégoriser s‟il s‟agit de l‟un ou l‟autre nous paraît mettre en péril la complexité
des situations étudiées et par là-même, l‟intérêt du travail. Lorsque nous parlons d‟acteurs il
peut donc s‟agir de l‟individu ou de l‟organisation ou des deux mêlés ; le contexte de notre
propos devra malgré tout permettre au lecteur d‟en saisir le sens, dans toute sa richesse.
Approche substantive
Ce type d‟approche a été identifié suite à notre analyse des démarches d‟EIT choisies. Elle
correspond aux territoires de la Vallée de la Chimie et de Lille et fait référence aux approches
qui s‟attachent surtout aux études d‟ingénierie. L’approche substantive se focalise sur la
nature de la démarche, sur ce qu’elle doit accomplir pour correspondre aux critères de
scientificité actuels établis par la communauté des chercheurs et praticiens en EIT. Cela
implique de réaliser un métabolisme rigoureux des activités représentées par les acteurs
impliqués, en collectant de façon exhaustive l‟ensemble des informations que les promoteurs
de projets devront stocker, trier, analyser grâce à des bases des données et des outils dédiés.
Ces analyses doivent permettre, en dernière instance, de faire des recommandations de pistes
de progrès aux acteurs participant. Les acteurs ici doivent suivre le design et le tempo de la
méthodologie et ont surtout un rôle d‟informateurs.
Approche processuelle
Ce type d‟approche a été identifié suite à notre analyse des démarches d‟EIT choisies. Elle
correspond aux territoires de Dunkerque et Troyes et fait référence aux approches qui
s‟attachent surtout aux acteurs. L’approche processuelle accorde davantage d’importance
aux acteurs qui auront à porter la démarche qu’au contenu de la démarche elle-même :
elle tient compte des attentes, envies, besoins, doutes des uns et des autres. Cela implique
de leur offrir des temps et des lieux d‟échange où ils peuvent apprendre à se connaître, à
échanger et à se familiariser. Ici, c‟est la méthodologie qui suit les acteurs et leur rythme de
mobilisation.
Ces deux approches, substantives et processuelles, ne s‟excluent pas mais se complètent :
elles ne permettent pas d‟atteindre les mêmes objectifs et ainsi sont plus ou moins adaptées
selon les contextes. Dans le cadre d‟une nouvelle démarche d‟EIT et en fonction de la maturité
des acteurs et du degré d‟incertitude, le promoteur de projets, pourra choisir de commencer par
l‟une ou par l‟autre.
Coopérations inter-organisationnelles
Les coopérations inter-organisationnelles sont précisément ce qu’il faut parvenir à
construire et à initier pour que les démarches d’EIT obtiennent des résultats. Par
« résultats », nous signifions non seulement la réalisation de la phase de diagnostic qui sont les
études de flux de matières et d‟énergie mais aussi, la phase de mise en œuvre par la réalisation
de synergies effectives, de mutualisations ou substitutions de flux, par exemple, entre les
acteurs de la démarche. Elles impliquent dont une mise en relation efficiente, entre les acteurs
qu‟elles concernent.
283
Degré d’incertitude
Ici, le degré d‟incertitude n‟est pas un indicateur mesuré mais plutôt un ressenti. Il s‟agit de
l‟écart qu‟il y a entre ce que les acteurs peuvent attendre d‟une démarche à son démarrage et
les résultats qu‟elle va effectivement produire. Alors que dans le cas des alliances stratégiques
par exemple, les acteurs savent ce qui motive la mise en place de la coopération et pourquoi ils
souhaitent s‟y investir, dans les démarches d’EIT ce n‟est pas le cas ; on ne sait pas au
départ ce que l’on va obtenir et le degré d’incertitude est élevé. On ne sait pas a priori ce
que va produire la coopération ni donc ce qui pourrait encourager à l‟initier : on ne connait pas
toujours les autres acteurs, on ne sait pas quels sont leur objectifs ou leurs contraintes, on ne
sait pas si l‟on va s‟entendre avec eux, si l‟on peut se faire confiance, si l‟on est dans le même
état d‟esprit, si enfin on va parvenir à faire quelque chose ensemble et quoi. Dans ce travail
nous postulons que plus le degré d‟incertitude auquel sont confrontés les acteurs est élevé au
démarrage d‟une démarche d‟EIT, et plus l‟approche employée doit être souple, ouverte,
processuelle ; l‟approche substantive intervenant surtout dans un second temps.
Démarches d’EIT
Nous appelons démarches d‟EIT les approches qui se revendiquent des concepts et impératifs
du champ théorique de l‟EIT. Il s‟agit donc de processus innovants dont l‟objectif, autour
d‟acteurs identifiés, est de parvenir à agréger d‟autres acteurs de façon pérenne et effective
afin d‟optimiser le fonctionnement des organisations dont ils font partie et qu‟ils représentent.
En pratique, il s’agit de parvenir à mettre en place des relations inter-organisationnelles
suffisamment solides pour initier, entre elles, des échanges de flux de matières et
d’énergies.
Initialisation
Ce terme est important dans notre travail puisqu‟il concerne le cœur de notre problématique :
« Comment initier des coopérations inter-organisationnelles dans les démarches d‟EIT ». Ce
qui nous intéresse en effet est la phase amont des coopérations. Non pas comment elles
vivent ou s‟arrêtent, non pas comment les organiser ou les mettre en œuvre mais bien,
comment les construire, comment faciliter leur émergence.
Traduction ascendante
Ce type de traduction a été identifié suite à notre analyse des démarches d‟EIT choisies. Elle
vise à convaincre les acteurs et à les rassembler autour de la démarche. Plutôt employée dans
les approches que nous avons appelées processuelles, elle permet aux acteurs de définir
eux-mêmes ce qui est intéressant dans la démarche, par des dispositifs d’intéressement
qui articulent et conservent leurs différences ; le travail de traduction est effectué par les
acteurs eux-mêmes, les promoteurs de projets suivent et accompagnent.
Traduction descendante
Ce type de traduction a été identifié suite à notre analyse des démarches d‟EIT choisies. Elle
vise à convaincre les acteurs et à les rassembler autour de la démarche. Plutôt employée dans
les approches que nous avons appelées substantives, elle permet de leur montrer, de leur
prouver l’intérêt de la démarches par des dispositifs d’intéressement qui s’imposent,
deviennent incontournables pour les différents acteurs et les font converger en un point
de passage obligé ; le travail de traduction est effectué par les promoteurs de projets, les
acteurs impliqués suivent et participent en donnant de l‟information.
284
ANNEXE 2 Ŕ LES DEMARCHES D’EIT CHOISIES, PARLONS-EN
A propos de la démarche de Lille
« Appréhender la ville comme un écosystème, avec ses flux entrants et ses rejets. C‟est le
principe de la démarche d‟écologie territoriale176 engagée à Lille avec l‟ensemble des acteurs
concernés » (Environnement et Stratégie, 2007).
« Ville de Lille. Mots clés thématiques : Approche territoriale de l‟écologie industrielle /
Dynamique et réseau d‟acteurs / Analyse des flux de matières et d‟énergies», CERDD,
http://www.cerdd.org/spip.php?article2062
A propos de la démarche de Dunkerque
« Ecopal, Ecologie et éCOnomie Partenaires dans l‟Action Locale est une association
d‟entreprises créée en 2001 (…) pour promouvoir l‟écologie industrielle sur le territoire. »
Poster de présentation du « Territoire Dunkerquois » fait dans le cadre du projet COMETHE.
« A la suite de ce rapport, une association a été créée, regroupant quelques grandes entreprise
et les principaux acteurs institutionnels du territoire, qui assure le suivi du développement de
l‟écologie industrielle locale. » (Beaurain, 2003, p.13).
« A Dunkerque, sous l‟impulsion de l‟association ECOPAL, 266 entreprises mutualisent la
collecte de leurs déchets et se les échangent, en partie comme matière première (…) a
Dunkerque, l‟écologie industrielle est déjà bien plus qu‟un concept » (Hermann, 2010).
A propos de la démarche de Troyes
« Le Club d‟Ecologie Industrielle de l‟Aube (CEIA) est une association loi de 1901. Il permet de
sensibiliser et de mettre en relation les acteurs économiques locaux dans le cadre de projets de
territoire en écologie industrielle, pour répondre aux enjeux d‟un développement plus durable,
c‟est-à-dire créateur de richesses (emplois et innovation) et respectueux de la santé et de
l‟environnement. » CEIA, http://www.ceiaube.fr/03_ceia.htm
« Le Club d‟Ecologie Industrielle de l‟Aube (CEIA) a été imaginé en janvier 2003 et a
fonctionné de manière informelle jusqu‟en février 2008 avant de se constituer en association.
Ses premières années d‟existence ont permis de sensibiliser les industriels et les décideurs
politiques du département à la définition des objectifs du Club et à l‟appropriation du projet
par les acteurs opérationnels locaux. » (Orée, 2009, p.138).
176
A Lille et bien qu‟il s‟agisse d‟une démarche d‟écologie industrielle, le choix a été fait de parler d‟écologie
territoriale comme l‟explique l‟expert B. Duret « Quand on parle d'écologie industrielle, tout le monde se méfie,
les industriels comme les écologistes. Je préfère le concept d‟écologie territoriale, mieux approprié à la réalité
locale. A Lille, la mairie a joué un rôle moteur pour agréger les énergies », http://www.ecologiefonctionnelle.cnrs.fr/index.php/entreprises/108-ecologie-industrielle-la-nature-pour-patron.html.
285
ANNEXE 3 Ŕ COURRIER DE DEMANDE D’ENTRETIEN
Adresse aux acteurs du terrain de la Vallée de la Chimie
Monsieur X
Nom de la Société/organisation
Ecully, le 20 janvier 2009
Monsieur X,
Je vous contacte dans le cadre de la thèse que je réalise sous la supervision de Françoise
Dany. Ce travail vise à comprendre les dynamiques à l‟œuvre dans les démarches d‟Ecologie
Industrielle et Territoriale. Plus précisément, je cherche à identifier ce qui encourage ou freine
les individus et les organisations à s‟engager dans ce type de démarche. J‟aimerais recueillir
votre témoignage à ce sujet et vous donner ainsi la possibilité d‟exprimer ce qui vous
semblerait pouvoir rendre ces démarches plus performantes.
Plus généralement, je souhaite interroger l‟ensemble des personnes ayant été en relation
avec l‟étude d‟Intelligente Territoriale sur la Vallée de la Chimie menée par l‟INSA et ses
partenaires. Cela comprend donc les mandants (DRIRE et Région Rhône-Alpes), les
partenaires industriels ainsi que les chefs de projets de l‟équipe de réalisation. L‟ensemble des
entretiens donnera lieu à la rédaction d‟un rapport répondant aux exigences éthiques
d‟anonymat en vigueur dans les recherches scientifiques. Toutes les personnes interviewées
auront accès aux résultats de notre étude. Je ne manquerai pas de vous recontacter
prochainement pour fixer avec vous les dates et heures qui conviendront pour la réalisation
d‟un entretien de 2 heures environ.
J‟espère que vous pourrez répondre favorablement à cette requête. Je reste bien entendu à
votre disposition ([email protected] – 06 62 25 64 47).
Vous remerciant par avance de votre attention, je vous prie d‟agréer, Monsieur,
l‟expression de mes plus sincères salutations.
286
Leïa Abitbol
Françoise Dany
Doctorante
Directrice OCE-EMLYON Business School
EMLYON Business School
Je vous remercie par avance pour l‟intérêt
que vous voudrez bien porter à cette requête.
Votre soutien est en effet indispensable à la
réalisation de travaux de qualité visant à faire
progresser
les
démarches
d‟Ecologie
Industrielle et la connaissance sur ce sujet.
287
ANNEXE 4 Ŕ GUIDE D’ENTRETIEN POUR LE TERRAIN PRINCIPAL
Le terrain de la Vallée de la Chimie
Positionnement chronologique de l’étude

A quel moment avez-vous eu connaissance de cette étude ?

Comment ? Courrier de la DRIRE, bouche à oreille, etc. ?
Décision d’y aller

Est-ce que c‟est quelque chose, le type de projet, qui fait échos avec les politiques de
l‟entreprise ? Avec vos centres d‟intérêts ?

Pourquoi avez-vous choisi d‟y participer ? Au niveau de l‟entreprise et vous-même ?

Comment a été prise la décision ?

Quelles étaient alors vos attentes, vos craintes ?
Déroulement de l’étude

Comment avez-vous travaillé à cette étude : quels moyens (humaines, temps, etc.), quels
freins/contraintes, quelles facilités ?

Comment cela s‟est passé sein de l‟entreprise et avec les partenaires ?

Combien de temps pensez-vous y avoir passé ? Est-ce peu ou beaucoup ?
Retour sur ce qui a été fait

Qu‟avez-vous pensé de cette démarche ? Au début et à la fin ? Ses enjeux dans l‟absolu et la
manière dont cela s‟est passé ?

Qu‟est-ce qui vous a étonné ?

Si vous étiez chef de projet pour mener à bien ce type de démarche, comment procéderiezvous ?
Perspectives à cette étude

Quels prolongements pourrait avoir (ou aurait pu avoir) l‟étude ?

Pourquoi ?

Comment ?
Résumé général

D‟une manière générale, quels ont été pour vous, les points forts et les manques/faiblesses de
cette démarche ? Concernant l‟organisation générale de l‟étude et au sein de votre
organisation ?

288
Finalement, qu‟est-ce que l‟EIT pour vous ? Ses intérêts ? Ses limites ?
ANNEXE 5 Ŕ GENESE DE L’ETUDE SUR LA VALLEE DE LA CHIMIE (1) :
« PROMOUVOIR UNE IDEE»
Repères
Etapes
Récit du promoteur
1998
Le futur promoteur fait la
connaissance des
démarches d’EIT
« Quand j‟ai eu connaissance de cette approche plus
territoriale sur la gestion collective et les coopérations
inter-industrielles, je me suis dit que c‟était un schéma
intéressant qui permettait d‟aller au-delà du
management des installations et de donner de la
perspective aux entreprises pour ne pas en rester au
management qui peut parfois être une réponse court
termiste, trop technique et trop prédéfinie par des
normes. »
1998
2002
Le futur promoteur établit
un pont entre les
démarches d’EIT et le
secteur de la Chimie
« C‟est là que j‟ai fait le lien parce qu‟il m‟a été
demandé de le faire : est-ce que le schéma de l‟EIT
pourrait intégrer une approche sur l‟industrie chimique
dans laquelle j‟étais, afin de montrer les limites et les
opportunités que cela pourrait représenter. C‟était ça
l‟objet de mon cours. »
2002 - Le futur promoteur devient promoteur d’une idée
2002
2004
Le promoteur a l’idée
d’associer la relation
EIT/industries chimiques
au territoire de la Vallée
de la Chimie
« Il y a peut-être des voies de recherche qu‟il
faudrait ouvrir sur la possibilité pour l‟industrie
chimique d‟au moins expérimenter un modèle local, sur
un site ou sur une plate forme industrielle de mutualiser,
de coopérer (…) L‟autre chose qui m‟a interpellé ça a
été de me dire qu‟on était sur un territoire lyonnais, moi
je voulais penser localement, et de me dire qu‟à l‟échelle
du territoire sur lequel on est, la Région Rhône-Alpes et
plus localement l‟agglomération de Lyon il y a un pôle,
un territoire industriel dense et historique qui est celui
de la Vallée de la Chimie. »
2004
Le promoteur trouve un
écho institutionnel à son
idée
« Alors je lui dis voilà : « Moi je serai porteur de
projet, j‟étais vraiment sur du portage de projet, il n‟y
avait pas de cahier des charges, il n‟y avait pas d‟appel
d‟offres. J‟étais porteur d‟un projet au titre d‟Economie
et Humanisme. »
2004 - Promoteur d’une idée il devient promoteur d’un projet
289
ANNEXE 6 Ŕ GENESE DE L’ETUDE SUR LA VALLEE DE LA CHIMIE (2) :
« PROMOUVOIR UN PROJET »
Repères
Etapes
Récit du promoteur
2004 - Elaboration de la proposition et du panel d’acteurs à mobiliser
2004
2005
2005
2006
Début 2006
Agrégation d’acteurs et
première proposition
« On s‟est revu après ma première proposition et il m‟a dit
« on n‟est pas du tout dans les limites budgétaires qu‟on
s‟est fixées. On pourrait imaginer par contre le montage
d‟une action collective, on pourrait financer le montage
d‟une action collective dans la mesure où vous trouvez un
co-financeur » donc sur ses conseils je suis allé voir la
Région Rhône-Alpes. »
« Je ne voulais pas qu‟Economie et Humanisme parte
seule, il fallait qu‟elle ait suffisamment de référents
reconnus dans l‟écologie industrielle pour ne pas
s‟improviser comme spécialiste ou expert dans l‟écologie
industrielle. »
Ajustements des
propositions de l’étude
à mener
« Il y a eu différentes propositions qui ont été faites et
chaque fois on revenait dans des détails soit budgétaires,
soit de périmètre. La question du périmètre a été sans
cesse débattue. »
« Après ça a été la question des entreprises qu‟on allait
embarquer. »
Changement de la
configuration des
acteurs et du portage
de projet
« En avril 2006 je devenais insalien, professeur associé à
l‟INSA. Donc ce n‟était plus au nom d‟Economie et
Humanisme que le projet était porté c‟était au titre de
l‟INSA. Et ca ça a pu avoir aussi une incidence dans le
soutien qu‟apportaient la Région et la DRIRE même si
elles avaient déjà donné un engagement de principe. Ca
leur paraissait beaucoup plus crédible et solide d‟avoir
une structure comme l‟INSA, avec de la recherche, de la
formation et, on va dire, une assise financière plus
conséquente. »
« Moi j‟arrive à l‟INSA en avril 2006 et je me suis dit, je
vais me retrouver tout seul à porter cette étude, j‟ai besoin
d‟un alter ego en ingénierie environnementale et ça je l‟ai
trouvé avec X [l‟autre porteur de projet] 177. Je sentais que
c‟était quelqu‟un qui côtoyais le monde économique, les
industriels, il est connu, il est référencé et j‟ai réussi à la
convaincre de sa participation à l‟étude. »
Fin 2006 - Lancement officiel de l’étude
177
Nous spécifions.
290
ANNEXE 7 Ŕ GUIDE D’ENTRETIEN, POUR LES TERRAINS COMPLEMENTAIRES
Les terrains de Lille, Dunkerque et Troyes
Description de la démarche en quelques mots
Naissance de la démarche

Comment est arrivée l‟idée ?

Par qui ? Comment ? Pourquoi ?

Quelles ont été les modalités de mise en œuvre ? Comment les acteurs se sont organisés ?
Pourquoi ?
Quotidien de la démarche

Quel a été le fonctionnement général de la démarche ? Identifié au départ ou intuitif et
incrémental ?

Quel était l‟objectif et les attendus des réunions ?

A quoi ressemblait une réunion type ? Comment se déroulait-elle ?

Comment étaient organisées les réunions ? Quel type d‟invitation ? Quel lieu de rencontre ?
Quel matériel utilisé ? Quels supports de communication/présentation, etc.

Qui était convié aux réunions et pourquoi ?

De quoi parlait-on ? Qui en parlait et comment ?

Qu‟est-ce qui faisait débat et comment ce débat était ou non animé ?
Retour sur le fonctionnement de la démarche

Ce qui a bien fonctionné et pourquoi ?

Ce qui a moins bien fonctionné et pourquoi ?

Ce qui été produit/construit grâce à cette démarche ? Quelle différence cette démarche a-telle
introduit dans vos activités, dans votre quotidien ?

Quelles ont été les évolutions éventuelles au cours de la démarche ?
Plus largement

Quel avenir envisager et pourquoi ? Qu‟est-ce qui pourrait faire que ça s‟arrête ?

Si c‟était à refaire ?

Ce qui vous a surpris ?
291
ANNEXE 8 - EXEMPLE DE CODAGE SUR ATLAS/TI
Le codage d’un entretien
L’occurrence des codes, par entretien et au total
292
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS .......................................................................................................................................................... 6
SOMMAIRE ....................................................................................................................................................................... 8
NAISSANCE ET VIE DE LA THESE .......................................................................................................................... 10
ORIGINES ET DEPLOIEMENT.......................................................................................................................................................... 10
La source du questionnement ......................................................................................................................................... 10
Des interrogations anciennes ........................................................................................................................................................... 10
Le choix d’une thèse en convention CIFRE................................................................................................................................. 11
« Avis au lecteur » ................................................................................................................................................................ 12
ENJEUX ET OBJECTIFS ..................................................................................................................................................................... 14
Un sujet à enjeux forts ........................................................................................................................................................ 14
L’incontournable développement durable ................................................................................................................................. 14
La voie de l’écologie industrielle et territoriale ....................................................................................................................... 15
Intérêts et objectifs de la recherche .............................................................................................................................. 17
L’EIT, une mise en œuvre difficile .................................................................................................................................................. 17
La dimension humaine sous-estimée............................................................................................................................................ 18
CORPS ET CŒUR .............................................................................................................................................................................. 19
La recherche, un parcours d’obstacles ......................................................................................................................... 19
La nécessaire adaptation du chercheur ....................................................................................................................................... 19
Une recherche en deux temps .......................................................................................................................................................... 21
Organisation de la recherche .......................................................................................................................................... 22
Posture constructiviste et approche qualitative ..................................................................................................................... 22
Le manuscrit, deux parties et six chapitres................................................................................................................................ 22
PARTIE 1 PROBLEMATIQUE & PROTOCOLE DE RECHERCHE ................................................................... 27
CHAPITRE 1 .................................................................................................................................................................. 29
L’ECOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE : UN SUJET POUR LES ORGANISATIONS ................ 29
1.1.
DU DEVELOPPEMENT DURABLE A L’EIT .................................................................................................................... 29
1.1.1.
L’impasse du modèle existant ................................................................................................................... 29
Pourquoi en appeler à un développement durable ? ............................................................................................................ 29
Le développement durable, un enjeu pour demain ............................................................................................................... 32
1.1.2.
L’EIT, une alternative au modèle actuel ............................................................................................... 34
L’EIT ou l’opérationnalisation du développement durable ............................................................................................... 35
De l’intra à l’inter-organisationnel ................................................................................................................................................. 37
1.2.
LES SCIENCES HUMAINES, GRAND ABSENT DE L’EIT ................................................................................................ 40
1.2.1.
Des thèmes dominants dans la littérature ........................................................................................... 40
293
Des analyses de flux............................................................................................................................................................................... 40
Des analyses de cas ................................................................................................................................................................................ 42
1.2.2.
Une approche gagnant-gagnant insuffisante ..................................................................................... 45
Des freins sous-estimés ....................................................................................................................................................................... 45
Des sujets restent à approfondir ..................................................................................................................................................... 52
Les dynamiques sociales au cœur des démarches d’EIT ..................................................................................................... 55
CHAPITRE 2 .................................................................................................................................................................. 62
L’ENROLEMENT DES ACTEURS DANS LES DEMARCHES D’EIT ................................................................... 62
2.1.
LA COOPERATION DANS LA LITTERATURE EN SCIENCES DE GESTION .................................................................... 62
2.1.1.
Les alliances stratégiques ........................................................................................................................... 63
Alliances et performance .................................................................................................................................................................... 63
Les alliances comme processus ....................................................................................................................................................... 64
2.1.2.
Une littérature de l’existant ....................................................................................................................... 67
Freins et facilitateurs des alliances ................................................................................................................................................ 67
Gouvernance et coordination ........................................................................................................................................................... 70
2.2.
L’APPORT DE LA SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION ET DE LA THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES ................... 73
2.2.1.
Sociologie de la Traduction et problématique ................................................................................... 73
Des travaux intéressés par l’hétérogénéité................................................................................................................................ 73
Des concepts développés pour comprendre les processus d’agrégation .................................................................... 75
2.2.2.
La Théorie des Objets-Frontières............................................................................................................. 81
Ce que sont les objets-frontières..................................................................................................................................................... 81
Ce que font les objets-frontières ..................................................................................................................................................... 87
CHAPITRE 3 .................................................................................................................................................................. 96
DESIGN DE LA RECHERCHE .................................................................................................................................... 96
3.1.
POSTURE DE RECHERCHE.............................................................................................................................................. 96
3.1.1.
Un chercheur et une question de recherche ? ..................................................................................... 97
La position du chercheur .................................................................................................................................................................... 97
Les orientations données à la recherche ..................................................................................................................................... 99
3.1.2.
La construction de la connaissance ......................................................................................................102
Le choix d’une posture constructiviste ..................................................................................................................................... 102
Regard a posteriori sur un processus ........................................................................................................................................ 103
3.2.
DISPOSITIF DE RECHERCHE ....................................................................................................................................... 105
3.2.1.
Une recherche qualitative ........................................................................................................................105
Collecte des données .......................................................................................................................................................................... 105
Analyse des données .......................................................................................................................................................................... 110
3.2.2.
Un dispositif constitué de quatre cas ...................................................................................................113
Choix des cas .......................................................................................................................................................................................... 113
Présentation des cas........................................................................................................................................................................... 119
CONCLUSION DE LA PARTIE 1 ............................................................................................................................ 124
294
PARTIE 2 PRESENTATION & DISCUSSION DES RESULTATS .................................................................. 125
CHAPITRE 4 ............................................................................................................................................................... 127
LA VALLEE DE LA CHIMIE : PROMESSES ET IMPASSES ............................................................................. 127
4.1.
UNE ETUDE D’ENVERGURE ........................................................................................................................................ 127
4.2.
PROBLEMATISATION .................................................................................................................................................. 132
4.1.1.
Un porteur, une idée, un mandat ...........................................................................................................132
4.1.2.
Une hétérogénéité d’acteurs ....................................................................................................................135
4.3.
INTERESSEMENT ......................................................................................................................................................... 137
4.3.1.
Un rôle central donné aux acteurs non humains ............................................................................138
Des outils dédiés .................................................................................................................................................................................. 138
Des évènements ................................................................................................................................................................................... 141
4.3.2.
Les acteurs humains délaissés ................................................................................................................143
Une traduction infructueuse : quel concept pour quels objectifs ? ............................................................................. 143
Qui fait quoi et pourquoi ? ............................................................................................................................................................... 146
4.4.
ENROLEMENT ET THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES ........................................................................................ 149
4.4.1.
Une production réussie : l’étude de flux de matières et de flux d’énergies ............................149
Un contexte initial partagé .............................................................................................................................................................. 149
Des productions notables ................................................................................................................................................................ 151
4.4.2.
Une production manquée : l’initialisation de coopérations ........................................................154
Le collectif, un exercice difficile .................................................................................................................................................... 154
Des traductions manquées .............................................................................................................................................................. 158
Comment gérer l’hétérogénéité ?................................................................................................................................................. 162
CHAPITRE 5 ............................................................................................................................................................... 167
LILLE, DUNKERQUE, TROYES : NUANCES ET RECURRENCES ................................................................... 167
5.1.
DES FLUX ET DES HOMMES ....................................................................................................................................... 167
5.1.1.
Lille : un premier niveau de coopérations inter-organisationnelles .......................................168
5.1.2.
Dunkerque : des coopérations inter-organisationnelles encouragées....................................171
5.1.3.
Troyes : la construction des coopérations inter-organisationnelles .......................................175
5.2.
PROBLEMATISATION .................................................................................................................................................. 180
5.2.1.
L’EIT, une réponse aux enjeux locaux ..................................................................................................180
Pour le territoire dans son ensemble ......................................................................................................................................... 180
Pour les organisations de ce territoire ...................................................................................................................................... 181
5.2.2.
L’EIT, une opportunité à saisir ...............................................................................................................182
Développer un outil d’aide à la décision................................................................................................................................... 182
Repérer des potentiels synergiques ........................................................................................................................................... 183
5.3.
INTERESSEMENT ......................................................................................................................................................... 185
5.3.1.
Quand les liens créent du lien .................................................................................................................185
Les interactions, nécessaires pour mobiliser ......................................................................................................................... 185
Les interactions, incontournables pour fonctionner .......................................................................................................... 187
295
5.3.2.
Quand la démarche impose, quand elle accompagne ...................................................................190
La limite des mobiles externes ...................................................................................................................................................... 190
La puissance des mobiles internes .............................................................................................................................................. 194
5.4.
ENROLEMENT ET THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES ......................................................................................... 196
5.4.1.
D’un terrain à l’autre, des résultats variables ..................................................................................197
Des productions scientifiques ....................................................................................................................................................... 197
Des créations de liens ........................................................................................................................................................................ 198
5.4.2.
La souplesse des traductions ...................................................................................................................200
Des dispositifs d’intéressement aux objets-frontières ...................................................................................................... 200
La création d’objets-frontières conviviaux ............................................................................................................................. 204
CHAPITRE 6 ............................................................................................................................................................... 212
DISCUSSION DU PROPOS ...................................................................................................................................... 212
6.1.
FAVORISER LE DEVELOPPEMENT DES DEMARCHES D’EIT .................................................................................... 212
6.1.1.
L’homme au cœur des attentions ..........................................................................................................212
Rendre l’homme compatible à son environnement ............................................................................................................ 212
Tenir compte de la technicité et de la socialité de l’EIT .................................................................................................... 214
6.1.2.
Coopérations, intéressement et enrôlement ......................................................................................217
Sciences de gestion, coopérations et EIT ................................................................................................................................. 217
Pertinence de la Sociologie de la Traduction ......................................................................................................................... 219
6.2.
INITIER DES COOPERATIONS INTER-ORGANISATIONNELLES DANS LES DEMARCHES D’EIT ............................ 221
6.2.1.
Une traduction à deux voies ....................................................................................................................221
Contraintes et souplesses de la convergence ......................................................................................................................... 221
Pour l’EIT, un laisser faire nécessaire........................................................................................................................................ 225
6.2.2.
Création de liens et convivialité .............................................................................................................229
De l’utilité des objets-frontières ................................................................................................................................................... 229
Le recours aux objets-frontières conviviaux .......................................................................................................................... 233
CONCLUSION DE LA PARTIE 2 ............................................................................................................................ 243
LA THESE, CE VOYAGE ........................................................................................................................................... 244
VUE D’ENSEMBLE DU PROPOS .................................................................................................................................................... 244
Le parcours de recherche ................................................................................................................................................244
La thèse défendue ...............................................................................................................................................................245
CONTRIBUTIONS THEORIQUES ET MANAGERIALES ................................................................................................................ 248
Apports pour la littérature .............................................................................................................................................248
Apports pour la pratique .................................................................................................................................................250
PERSPECTIVES DE RECHERCHE .................................................................................................................................................. 252
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................................... 256
LISTE DES TABLEAUX ............................................................................................................................................ 280
LISTE DES FIGURES ................................................................................................................................................ 281
296
ANNEXES .................................................................................................................................................................... 282
TABLE DES MATIERES ........................................................................................................................................... 293
297
INITIER DES COOPERATIONS INTER-ORGANISATIONNELLES
DANS LES DEMARCHES D’ECOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE :
UNE RELECTURE EN TERME DE SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION
ET DE LA THEORIE DES OBJETS-FRONTIERES
Leïa ABITBOL
Co-Directeurs de recherche : Christophe BARET et Françoise DANY
Les démarches d’écologie industrielle et territoriale (EIT) sont encore rares alors que d’une
part, le développement durable dont elles se revendiquent est de plus en plus présent dans la
vie des organisations et que d’autre part, elles relèvent de ce que certains appellent la
« science de la durabilité ». On s’aperçoit par ailleurs que les travaux de recherche qui leur
sont consacrés portent principalement sur la dimension physique des flux de matières et
d’énergies échangés. Peu de choses sont dites sur les acteurs qui utilisent ces flux et sur les
organisations qui les produisent ou les consomment. Pourtant, dire avec l’EIT qu’il faut sortir
d’un fonctionnement optimisé aux bornes de l’organisation pour s’inspirer du fonctionnement
performant des écosystèmes naturels, c’est dire qu’il faut parvenir à construire des
coopérations inter-organisationnelles. La problématique des coopérations interorganisationnelles n’est pas nouvelle pour les sciences de gestion. Les travaux disponibles
traitent toutefois rarement de la phase amont d’initialisation des coopérations, en particulier
lorsque l’intérêt de la coopération n’est pas évident a priori. L’objectif de cette thèse est alors
de comprendre comment donner envie aux acteurs (organisation et individus) de coopérer
quand, il n’y a ni contrainte règlementaire ni incitations économique évidente à le faire,
comme c’est le cas pour l’instant dans les démarches d’EIT. En s’appuyant d’une part sur les
travaux de la sociologie de la traduction et de la théorie émergente des objets-frontières et
d’autre part, sur l’analyse de quatre démarches françaises d’EIT, notre travail propose des
éléments de réponse sur ce qui permet d’ « enrôler » les acteurs dans ces démarches et partant,
sur la façon dont il est possible d’initier les coopérations inter-organisationnelles qu’elles
requièrent. Les résultats de ce travail suggèrent une grande souplesse dans la conduite de ces
démarches : plutôt que d’essayer de convaincre d’un intérêt peu évident à formuler a priori,
les promoteurs de projets peuvent avoir intérêt à laisser parler les besoins, envies et attentes
des acteurs sollicités. A eux de mobiliser des objets-frontières qui puissent aider à construire
un contexte partagé, et à identifier les intérêts de participer ensemble, à la dynamique d’une
démarche d’EIT. La thèse montre en définitive comment la traduction doit être envisagée
dans le contexte spécifique de l’EIT. Elle a cependant des implications concrètes et théoriques
pour tous ceux qui s’intéressent à la dynamique des coopérations inter-organisationnelles, à la
sociologie de la traduction et à la théorie des objets-frontières.
Mots clés : Coopération inter-organisationnelle, Ecologie Industrielle et Territoriale,
Sociologie de la Traduction, Théorie des Objets-Frontières

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