Deux hommes en colère

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Deux hommes en colère
Livres Hebdo numéro : 0905
Date : 13/04/2012
Rubrique : avant critiques
Auteur : Jean-Claude Perrier
Titre : Luis Sepulveda, Daniel Mordzinski
19 AVRIL > NOUVELLES & PHOTOS Chili-Argentine
Deux hommes en colère
Sepúlveda et Mordzinski nous emmènent en Patagonie, avant qu’il ne soit trop tard.
Luis Sepúlveda, l’écrivain chilien nomade, qui vit actuellement dans les Asturies après avoir habité
Hambourg et Paris, et Daniel Mordzinski, photographe argentin installé depuis trente ans à Paris où il est
correspondant du quotidien espagnol El Pais, sont liés depuis longtemps par une belle complicité
fraternelle. Dans leur livre, Luis désigne Daniel du beau nom de socio, « ami, camarade, coéquipier ».
Il fallait une telle relation, à toute épreuve, pour partir ensemble pérégriner jusqu’aux confins de la
Patagonie. Ainsi que partager les mêmes idées sur le monde comme il ne va pas. Sepúlveda et Mordzinski
ne sont pas seulement, chacun avec son moyen d’expression et son talent, des voyageurs, des reporters,
des conteurs : ce sont les témoins engagés d’une époque en train de disparaître, d’un univers que les
hommes, certains du moins, s’acharnent à détruire. Tout comme les colons ont exterminé les Indiens
Mapuches, entre autres, et toujours pour les mêmes motivations : argent, puissance, pouvoir.
Durant plusieurs années, Sepúlveda fut engagé aux côtés de Greenpeace. S’il ne milite plus, il a conservé
ses convictions, disons, pour faire simple, altermondialistes. Du coup, Dernières nouvelles du Sud acquiert
une résonance nostalgique : quand, par exemple, de passage à Buenos Aires, l’écrivain évoque son « frère
de cœur », le poète Osvaldo Soriano, « rongeur de havanes » aujourd’hui disparu mais dont l’ombre
l’accompagne partout. Mais il prend aussi une tonalité crépusculaire, lorsque Sepúlveda raconte et que
Mordzinski fixe sur le papier des gens, des histoires, des coutumes menacés par les fléaux de la prétendue
modernité.
Chaque nouvelle est une rencontre formidable : comme celles avec El Tano, le luthier argentin d’origine
italienne, qui cherche du bois en pleine steppe pour fabriquer ses violons ; la vieille Doña Delia, 95 ans et
un peu chamane : dès qu’elle intervient quelque part ou sur quelqu’un, elle apporte la fertilité ; ou encore
l’arrière-arrière-petit-fils de Davy Crockett, tombé à Fort Alamo. Côté western, on visite aussi, à Cholila,
la dernière cabane où vécurent Butch Cassidy et The Sundance Kid, avant de se faire descendre par les
Federales. Elle est aujourd’hui habitée par une famille nommée… Sepúlveda !
Dernières nouvelles du Sud est un livre superbe, où le texte et la photo sont indissociables et où le maté se
partage à chaque page. Un hymne à la liberté des grands espaces, à la vraie fraternité, et à l’égalité qui
devrait régner entre les hommes. Nos derniers remparts contre ceux que Cavafy, le poète grec
d’Alexandrie, nommait « les barbares ». JEAN-CLAUDE PERRIER
Luis Sepúlveda, Daniel Mordzinski
Dernières nouvelles du Sud
METAILIE
TRADUIT DE L’ESPAGNOL (CHILI) PAR BERTILLE HAUSBERG
TIRAGE : 10 000 EX.
PRIX : 20 EUROS ; 192 P.
ISBN : 978-2-86424-862-0
SORTIE : 19 AVRIL
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