Aux sources du tango : les rythmes africains - Fabrice Hatem`s

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Aux sources du tango : les rythmes africains - Fabrice Hatem`s
Aux sources du tango : les rythmes africains
Editeur : la Salida n°32, février 2003Auteur : Fabrice Hatem, d'après les conférences de Juan Carlos CaceresPour
consulter ce texte sous forme pdf (en deux parties), cliquez sur : Caceres1 et Caceres2 (utiliser ensuite l'outil rotation
horaire pour le mettre en sens vertical )Juan Carlos Caceres, musicien, peintre et poète d'origine argentine, est installé
en France depuis le 14 mai 1968 (ça ne s'invente pas !!). Il a donné en 2002, à la demande de l'association Le temps du
tango, une série de conférences sur l'histoire de la musique tango, dont nous vous proposons ici un résumé. Il y
défend une position originale par rapport à l'historiographie aujourd'hui dominante, en insistant sur le rôle fondamental de
la contribution afro-américaine à la formation de ce style musical, notamment sur le plan rythmique.Un peu de
géographie musicaleUne grande partie de la musique populaire latino-américaine est issue d'un syncrétisme entre des
traditions européennes et africaines. Cette dernière influence se manifeste notamment par la présence d'un rythme
particulier, la clave, constituée par la succession de 5 impulsions rythmiques, dont 2 en contretemps ou en syncope, sur
2 mesures. Cette structure fondamentale a constitué la base commune à l'émergence de styles différents selon les
régions du continent. On peut à cet égard distinguer trois grandes aires musicales en Amérique latine : celle de la rumba
à Cuba et dans la zone tropicale ; celle de la Samba au Brésil ; enfin, celle du Tango dans la région du Rio de la Plata.
Cette région s'étend, outre la province de Buenos-Aires, jusqu'au sud du Brésil, englobant notamment l'Uruguay et la
province Argentine de l'Entre-Rios. En fait, plutôt que de tango, il faudrait plutôt parler de « tango élargi », et ce pour deux
raisons principales : d'une, part, parce qu'il existe dans la région du Rio de la Plata d'autres formes d'expression
musicales, comme les candombes et les murgas d'Uruguay et d'Argentine, les diverses formes de milongas, les danses
traditionnelles, etc. D'autre part, parce que le tango n'est pas seulement un style musical, mais un genre culturel
beaucoup plus large, avec un aspect poétique, littéraire, et bien sûr chorégraphique. Mais ces diverses formes
d'expression artistiques de la région gravitent toutes autour de la musique tango et ont avec elle des liens étroits de
parenté et d'influences mutuelles. Murgas uruguayenne et argentineLa Murga urugayenne est une formation de podium
avec 17 musiciens : 14 chanteurs et 3 percussionnistes. Les chœurs viennent de la tradition espagnole ; les percussions
de la traditions africaine du candombé. C'est pourquoi l'on peut parler de murga accandombeada.La Murga argentine
tient aussi du candombe, mais se joue en défilés, derrière une section rythmique composée d'une grosse caisse, de
cymbales, et d'une caisse claire. Ces défilés constituent des moments plus forts, plus bruts que la murga de podium..
C'est une danse un peu folle, mélange de Capoeira et de Tarentelle. Elle a connu un renouveau récent, qui témoigne
d'une réappropriation populaire de la culture de carnaval. Mais pourquoi donc joue-t-on dans cette région du Tango,
plutôt qu'une autre musique, proche par exemple, de la Samba ou de la Rumba ? Pour le comprendre, il faut analyser les
conditions historiques particulières qui ont permis la naissance de ce style musical, issu d'une synthèse particulière
d'influences européennes et africaines. Un syncrétisme particulier au Rio de la PlataLe tango est issu de la
convergence de plusieurs styles musicaux qui se sont rencontrés sur les rivages du Rio de la Plata : la musique hispanocubaine (Habanera), la milonga des gauchos ; le Candombé « urbain » des noirs Argentins et Uruguayens ; enfin, la
musique populaire européenne de la fin du XIXème siècle. C'est un mélange de traditions musicales elles-mêmes déjà
métissées, où l'élément européen l'a progressivement emporté jusqu'à pratiquement masquer une filiation africaine
pourtant très présente. Pour comprendre le mouvement historique qui conduit à cette musique syncrétique, il faut d'abord
dire quelques mots de l'histoire du peuple argentin ou plutôt des conditions de sa création à partir de populations d'origines
très diverses. Des origines très anciennesFondée et détruite plusieurs fois au cours du XVIème siècle, Buenos Aires se
trouvait au départ dans un environnement assez peu favorable. Il n'y avait pas d'or comme au Pérou ; la ville était
isolée de la partie la plus riche de l'Amérique latine, et devait vivre en semi-autarcie, entourée de tribus indiennes
hostiles. Elle a donc mené pendant les premiers siècles de son existence une vie de bourgade coloniale nonchalante,
même si son rôle politique commença à s'affirmer au cours du XVIIème siècle, notamment lorsque les Espagnols
décidèrent d'en faire la capitale du « Vice-Royaume du Rio de la Plata », créé pour faire pièce aux ambitions
portugaises dans la région. Sa principale activité était alors le port négrier, où débarquaient des esclaves destinés
aux mines de Potosi en Bolivie. Certains d'entre eux étaient achetés pour alimenter la nombreuse domesticité au
service des familles riches de la ville. D'où l'existence d'une population noire nombreuse : près de 40 % des habitants de
la ville au début du XIXème siècle.Dans cette bourgade de province, la musique jouait un rôle social important, car il n'y
avait pas grand chose d'autre à faire. Beaucoup de styles différents coexistaient : musique espagnole comme le
fandango, menuets, sérénades, musique baroque jouée par les Indiens du Paraguay formés par les jésuites des
missions... Quant aux rites et aux rythmes Candombe, ils étaient eux-mêmes issus du mélange des traditions
apportées par les esclaves noirs de diverses régions du golfe de Guinée. Ces cultures cohabitaient dans une certaine
tolérance mutuelle : on amenait par exemple des noirs dans les préaux d'Eglise pour leur faire jouer du candombe à
l'occasion de certaines fètes chrétiennes. La tradition musicale africaine est donc très présente à Buenos Aires, deux
siècles avant la naissance du tango comme style musical . Un XIXème siècle très agitéLe tango naît au milieu des
troubles, de la guerre civile, des mouvements de populations qui amènent avec elles leurs styles musicaux propres qui
vont se mélanger, se submerger les uns les autres, au gré des flux migratoires. Quatre types de conflits sont à la base de
l'Argentine contemporaine : des guerres d'émancipation contre les puissances coloniales européennes ; une longue
guerre civile entre Unitaristes, partisans d'un pouvoir central fort, et Fédéralistes, partisans d'une décentralisation
politique ; des conflits internationaux pour la détermination des frontières entre les nouvelles républiques issues de la
décolonisation ; enfin, des conflits ethniques plus ou moins ouverts entre les populations européennes, indiennes et
noires. Ces conflits vont se succéder et se superposer de manière quasiment ininterrompue entre 1810 et 1880 pour
aboutir à la configuration actuelle de l'Argentine : un pays politiquement indépendant mais économiquement dominé, de
culture très majoritairement blanche, chrétienne et européenne, assez centralisé autour d'une grande capitale même
si les provinces détiennent des pouvoirs importants, et dont les frontières ne contiennent qu'une partie du Rio de la
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Plata, c'est-à-dire du berceau géographique de la culture tango.En 1810 a lieu la révolution de Mayo, qui conduit à
l'indépendance en 1816 après une guerre avec l'Espagne. Puis l'Uruguay est perdu en 1828 et l'Argentine doit
défendre son intégrité politique et territoriale contre les entreprises des puissances européennes (France, Angleterre...)
. Simultanément, une guerre civile de près de 40 ans se déroule entre Unitaristes et Fédéralistes, dont la dictature de
Juan Manuel de Rosas constitue un moment fort. C'est ensuite la triple alliance Brésil-Argentine-Uruguay contre le
Paraguay et la guerre du Paraguay entre 1864 et 1870. Enfin, au sortir de ces guerres incessantes et sanglantes, c'est
l'extermination des Indiens de la Pampa à l'occasion de la Guerre du Désert en 1879 et l'appel à l'immigration européenne
pour faire de l'Argentine un pays de culture blanche « civilisé », par opposition à la barbarie supposée des Noirs et des
Indiens. Ces événements historiques ont des implications fortes sur l'évolution des styles musicaux, avec trois points
particulièrement importants : l'effacement de la présence noire à partir de 1850, le recours massif à l'immigration
européenne à la fin du XIXème siècle et l'expansion rapide de la ville de Buenos Aires qui s'ensuit. Les noirs, Rosas et le
CandombeJusqu'au milieu du XIXème siècle, les noirs ont constitué une part importante de la population argentine,
notamment à Buenos Aires (cf supra). Emancipés de l'esclavage depuis 1813, leur situation sociale n'était guère
brillante. Le système esclavagiste avait en effet, surtout dans les grandes familles bourgeoises de Buenos Aires, un côté
familial, bon enfant, tolérant et paternaliste qui fournissait une certaine protection aux esclaves, que l'abolition avait
largement détruite. Les Noirs avaient alors dû trouver eux-mêmes du travail, dans de mauvaises conditions, passant du
statut d'esclaves à celui, à peine plus enviable de « sous-prolétaires » ou « lumpen ». Beaucoup avaient été enrôlés dans
l'armée. La société de l'époque, issue de plusieurs siècles de cohabitation Noirs-Blancs dans un climat de tolérance
sexuelle, était cependant très métissée. Cette relative intégration raciale se traduisait dans le langage, puisque les
Noirs étaient appelés les « morenos » (bruns), c'est-à-dire, si l'on peut s'exprimer ainsi, une variante particulière de
Blancs, tandis que le terme « negro », à la connotation plus péjorative, désignait les Indiens, définitivement classés
comme « barbares ». Ces populations noires, regroupés dans certains quartiers de Buenos Aires comme Montserrat (cf
infra), tenaient des réunions où se mêlaient pratiques religieux et initiatiques, rites de sociabilité et activités de
divertissement. Ces cérémonies de « Candombe », qui faisaient largement appel aux rythmes des tambours et aux
danses collectives, étaient issues du croisement des multiples traditions africaines qui s'étaient rencontrées sur les
rivages du Rio de la Plata. Elles connurent un moment de forte visibilité sous la dictature de Juan Manuel de Rosas
avant d'être réduites ensuite à une semi-clandestinité. En 1829, Juan Manuel de Rosas prit le pouvoir à Buenos Aires.
Ce personnage controversé défendait une vision fédéraliste de l'Argentine contre la bourgeoisie unitariste de BuenosAires. En même temps, il cherchait à défendre l'intégrité du territoire Argentin contre les ambitions des puissances
coloniales. Il mit en place une dictature sanglante, impitoyable et chercha à appuyer son pouvoir sur le « Lumpen » - le
peuple, les Noirs et les Indiens - contre la bourgeoisie blanche. Il s'intéressait aux cultures « ethniques » et écrivit
même un dictionnaire des langues indiennes. Amateur de Candombe, il présida en 1836, avec sa fille Manuelita, une
grande fête de Candombe avec la participation de 6000 noirs sur la Piazza de Miserere. Rosas appuya de plusieurs
manière son pouvoir sur les Noirs. D'une part, sa belle-sœur organisa un service de renseignement artisanal, mais
redoutablement efficace : elle partait la nuit en fiacre recueillir les bavardages des employés de maison noirs sur les
opinions et les actes de leurs maîtres blancs du quartier de San Telmo. Certains d'entre ceux-ci furent même arrêtés
pour avoir revêtu chez eux un habit bleu, symbole des Unitaristes, alors que la couleur officielle était alors le rouge des
Fédéralistes. Rosas organisa également une armée parallèle de gauchos dits « mazorqueros » qui terrifiaient ses
ennemis politiques. En 1852, Rosas fut évincé du pouvoir et dut partir en exil. Victimes de la réaction blanche et
bourgeoise, les Noirs furent plongés dans le silence, leurs fêtes candombe réduites à une semi-clandestinité, exilées
hors des murs de la capitale, limitées à quelques dates peu nombreuses. Ils furent décimés par les épidémies, tandis
que les hommes étaient enrôlés dans l'armée et tués aux cours des guerres. Les tambours de Montserrat furent ainsi
réduits au silence negro. Vingt ans plus tard, vers 1875, apparut le terme « tango » pour désigner une nouvelle forme
d'expression musicale, qui empruntait certains rythmes fondamentaux au vieux « Candombe » des afro-argentins. Mais il
incorporait également bien d'autres imgrédients : mélodies et violons juifs d'Europe centrale, bandonéon allemand,
tradition musicale italienne ... Une immigration massive était en effet en train de transformer le visage de l'Argentine,
conduisant au premier exemple de fusion musicale dans l'histoire du monde moderne. L'appel à l'immigration blanche et
l'arrivée des européensCertains courants musicologiques Argentins, représentés notamment par l'institut Carlos Vega qui a par ailleurs produit des travaux de grande qualité - nient l'importance de la contribution noire au tango, et affirment
qu'il s'agit d'une musique d'inspiration essentiellement sud-européenne. Cette position euro-centrique et « négationniste
» s'explique en partie par l'histoire politique du pays et par une certaine forme de mépris de la classe dirigeante par
rapport au peuple. C'est cette même attitude qui s'est longtemps traduite par une ostracisation du tango, puis a conduit
les dictatures militaires successives à interdire les fêtes de Carnaval. Ce mépris du peuple se retrouve aujourd'hui, sous
une forme atténuée, dans l ‘attitude dépréciative des élites vis-à-vis de la Murga, cette forme des défilés populaires
rassemblant des milliers de gens qui font la fête dans tous les quartiers de Buenos Aires. Dans tous ces cas, fête et
musique apparaissent en effet comme une forme d'expression populaire spontanée, organisée par les gens euxmêmes, où la solidarité de proximité et la contestation par la dérision jouent un rôle central. Tous phénomènes que les
classes dirigeantes conservatrices préfèrent au mieux ignorer et mépriser, au pire réprimer. .Le Candombe rituel de
l'époque du « Restaurador », constituent également, avec sa cousine la Macumba, une forme de fête populaire
spontanée, extravertie, transgressive, qui faisait - et fait toujours - d'autant plus horreur aux « bien-pensants » qu'elle tire
sa source de la culture africaine, considérée comme barbare, violente, non civilisée. . Or l'Argentine moderne qui
émerge dans les années 1870, après la guerre épouvantable du Paraguay, veut se reconstruire en se transformant en
pays blanc, riche, civilisé, à travers le recours massif à une immigration européenne de qualité. Les dirigeants de
l'époque espérèrent tout d'abord attirer des Européens de « première classe », travailleurs et éduqués, en provenance
d'Europe du nord et des îles Britanniques. Ils pensent même un moment adopter l'anglais comme langue officielle du
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pays. Mais ils durent se contenter d'un afflux massif d'Européens de « deuxième choix » : juifs d'Europe centrale, puis
italiens du nord, espagnols de Galice, basques... Ceux-ci commencèrent par se mélanger avec la société créole
primitive, avant de la submerger numériquement. Le phénomène fut encore accéléré par la disparition physique des «
minorités », liée soit à des causes accidentelles (quartiers noirs de Buenos Aires ravagés par les épidémies de fièvre
jaune), soit aux conséquences directes de certaines évolutions socio-politiques (Noirs massivement engagés dans
l'armée argentine, Gauchos chassés de la Pampa par la clôture des prairies), soit à une volonté explicite de nettoyage
ethnique (extermination des Indiens de la Pampa à l'occasion de la « Guerre du Désert » de 1879). A cette période
remontent deux caractéristiques fondamentales du peuple argentin qui ne sont pas sans conséquences sur l'esprit du
tango. La première est l'existence, au sein de la population, d'un climat de tolérance ethnique lié au caractère
originellement métissé de la population. Tout le monde en Argentine a un peu de sang noir, est descendant de
plusieurs populations immigrantes différentes aux parcours familiaux parfois obscurs (un proverbe local dit que « tous
les Argentins descendent des bateaux et des putes »). Les premiers immigrants blancs, le plus souvent des hommes
seuls, se sont mêlé avec les populations créoles autochtones lors des fêtes de carnavals, se sont mariés avec des
femmes noires qui elles-mêmes ne trouvaient pas d'hommes de leur race, beaucoup étant morts à la guerre. D'où
l'absence, encore aujourd'hui, de ghettos ethniques à Buenos Aires. Et d'où également, l'apparition du tango comme
musique syncrétique, âme d'un peuple lui-même métissé.La seconde caractéristique, liée au relatif échec (au moins
qualitatif) de la politique de développement par l'immigration mise en œuvre par les dirigeants, est l'existence de certains
problèmes chroniques de la société Argentine, comme les inégalités sociales, la fracture entre grands propriétaires
autochtones et descendants d'immigrants pauvres, le climat de désordre moral, de corruption, de criminalité, de
gaspillage des ressources, de conflits sociaux et politiques, qui va longtemps caractériser le pays. La mythologie du
tango est largement liée à cette situation politique chaotique de l'Argentine.Buenos aires en mutation : les lieux du
tangoSi le tango ne vient pas seulement des bas-fonds, il naît dans le peuple. Un peuple en pleine mutation à la fin du
XIXème siècle, dont l'expansion se traduit dans la topographie urbaine. Ville nonchalente de moins de 100000 habitants
en 1850, Buenos-Aires en comptait déjà près de 1 millions en 1900. Le tango naît de la juxtaposition, puis du mélange de
différents styles musicaux, pratiqués par les populations très diverses qui se côtoient dans un univers urbain en
croissance rapide.En 1850, Buenos Aires plan mesure dans sa plus grande longueur, 1 kilomètre. La bourgeoisie créole
vit dans le quartier de San Telmo, entre les deux forts qui défendent l'accès du port. Elle écoute et pratique, au piano ou
au clavecin, une musique d'inspiration européenne : habanera, musique baroque et classique.Les Noirs occupent les
quartiers périphériques de Concepcion et Montserrat (aussi appellé le « Barrio del tambor » en référence aux
tambours de Candombe qui y résonnent). Plus loin à l'est, on trouvait dans ce qui est aujourd'hui le quartier de «
Matadeiros » (« abattoirs ») des relais de poste et des corrals où les gauchos venaient parquer le bétail en route depuis
la Pampa vers les abattoirs de la ville. Ils amenaient avec eux la milonga campesina (ou milonga des gauchos) et son
instrument de prédilection, la guitare.Le bétail était finalement conduit vers les abattoirs (« corrales viejos »), situés au
sud de la dans le quartier de la Quema (« là où on brûle les ordures »), aussi appelé « Barrio de las ramas » (« quartier
des grenouilles ») en référence aux marais que l'on y trouvait, ou « Barrio de la latas », (« quartier des boîtes de
conserves »). Les habitants, aussi appelés les « Cirujas » (chirurgiens) utilisaient en effet pour construire leurs maisons
des boîtes de conserves remplies de terre, qu'ils découpaient également en guirlandes pour réaliser des décorations.
Les gauchos, descendus de leurs chevaux, se mélangeaient avec eux pour aller chanter et danser sur des musiques
européennes (mazurkas, polkas, etc.) et des milongas dans de petits bouis-bouis. A partir des années 1870 et 1880,
des mouvements de population vont profondément modifier la physionomie de plusieurs quartiers de la ville. Au nord, le
quartier de Palermo, aménagé depuis le milieu du siècle par l'assèchement des marais et l'installation de parcs, va
accueillir la bourgeoisie portègne, en fuite devant l'épidémie de fièvre jaune qui ravage le centre-ville et les faubourgs
anciens. Situé immédiatement au sud de Palermo, le quartier du Retiro, après avoir été le lieu du débarquement des
esclaves à l'époque coloniale, était devenu un no man's land mal famé. C'est là que vinrent s'installer, après la fin des
guerres du XIXème siècle, une partie des régiments argentins démobilisés, avec leur armée parallèle de femmes, des
fameuses « chinas cuarteleras ». Celles-ci animaient de petits cafés (« ranchos de las chinas ») et des bordels. On y
jouait une musique gaie, rapide, avec des textes picaresques, un langage argotique, plein de dérision. Cette milonga
mâtinée de candombé ou « accandombeada », issue de l'interraction entre les différentes composantes du peuple
argentin qui se rencontrent dans ces lieux, peut être considérée comme l'ancêtre direct du tango. En 1880, commença
l'immigration de masse. Huit millions d'immigrants, pour la plupart de jeunes homme seuls vont arriver en Argentine,
Italiens du nord, espagnols de Galice, noyant les populations précédentes. Arrivent également des marginaux, des
réfugiés politiques, communards, garibaldiens, anarchistes. La solitude masculine entraîna le développement d'une
prostitution massive, alimentée par la traite des blanches, évoquée par Albert Londres dans « Les chemins de Buenos
Aires » (1927).Trois sources musicales fondamentalesLe tango est le produit de ce mélange ethnique, à travers trois
principales sources musicales - la Milonga, la Habanera et le Candombé - auxquelles se superposèrent des influences
européennes plus récentes : - Les racines noires. Le rythme fondamental du tango est, comme on l'a vu plus haut, la
clave afro-américaine, même si l'agrégation progressive de nouveaux éléments a en partie masqué cette structure de
base. Cette tradition rythmique, elle-même issue de la rencontre et du métissage sur le sol américain de différentes
traditions africaines, est encore aujourd'hui présente à Montevideo, où la présence noire est restée plus forte, sous la
forme du Candombe uruguayen. - La milonga des gauchos : cette musique résulte elle-même de la rencontre des
traditions musicales de la Pampa argentine. Ses suites harmoniques répétitives, accompagnées par un « bourdon » de
guitare, servaient de support à des improvisations poétiques composées sur des vers octosyllabiques, par les fameux «
Payadores » du la fin du siècle. Son rythme typique de milonga lente présente de fortes affinités avec celui de la
Habanera, avec laquelle elle partage les mêmes origines métissées afro-européennes. Ceci permit à certains
compositeurs de la Guardia Vieja Comme Agustin Bardi, d'élaborer dans certaines de leurs œuvres, comme Che noche ,
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une première synthèse entre habanera et milonga. - La Habanera : il s'agit d'une « Musica de ir y vuela » , c'est-à-dire
d'aller et retour entre l'Europe et l'Amérique latine. La contredanse française fut ainsi « exportée », via l'Espagne, vers
Cuba, où elle fut réinterprétée par les musiciens noirs locaux . Elle fut ensuite « réexportée » vers l'Espagne où elle
fut adoptée sous le nom de Habanera et incorporée dans le répertoire des opéras populaires (Zarzuellas) . C'est sous
cette forme qu'elle pénétra en Argentine au cours de la seconde moitié du XIXème siècle. D'abord adoptée par la
bourgeoisie, elle se diffusa ensuite vers le peuple. La convergence des trois sourcesMalgré leur effacement après 1850,
les rythmes de Candombe ressurgissent sous des formes nouvelles, surtout après 1870, à l'occasion des Carnavals et
des milongas (bals) populaires. A la même époque, arrivent à Buenos-Aires (au port, dans les théâtres...) des musiques
venues d'Espagne, tout particulièrement la Habanera. La milonga des gauchos pénètre par l'est et s'acclimate dans le
sud de la ville. Ces trois styles musicaux, dont les rythmes se superposent assez bien , vont progressivement se fondre,
entre 1870 et 1910, dans le tango. Cette transformation, où les fètes de Carnaval et les fanfares militaires ont joué un
rôle important, s'est fait par étapes successives. Apparaît tout d'abord une forme de Candombe « amélioré », sous
diverses appelations (milonga-candombe, tango-candombe, habanera-candombe, Tango americano. etc.). Toutes sortes
d'instruments sont alors utilisés, y compris les tambours noirs, qui voisinent avec les instruments à vent européens,
l'accordéon, etc.. On danse aussi, pendant le carnaval, sur d'autres musiques venues d'Europe, mais déjà «
amilongueadas ». : valse, mazurka, paso doble, tarentelles, tango andalou... Cette « milonga-candombe va ensuite
devenir le tango-milonga (ex : « El Entrerianno » (1897), Senior Commisario). Les tambours noirs disparaissent alors au
profit des instruments européens, tandis qu'apparaissent de nouveaux instruments, comme le piano, la contrebasse, le
bandonéon.Au cours des premières années du XXème siècle, s'opère une bifurcation entre deux styles. caceres
L'ancien tango-milonga, au rythme rapide et enjoué, va se tranformer en «milonga», tout en connaissant une période
d'effacement qui ne prendra fin qu'au cours des années 1930 (cf infra). De son côté, apparaît un nouveau style de
musique, une sorte de «tango-milonga» ralenti , que l'on va appeler «tango» . Plusieurs facteurs expliquent cette
évolution musicale. Tout d'abord, la disparition des interprètes noirs et des percussions après les années 1870 ;
ensuite, l'importance croissante du bandonéon , qui contribue au ralentissement du rythme en se substituant à des
instruments à vent mieux adaptés à des tempo vifs ; le rôle croissant des musiciens d'origine italienne, qui apportent, outre
une meilleure formation technique, leur sensibilité mélodique et leur lyrisme teinté de nostalgie ; enfin,
l'embourgeoisement du public, qui réclame une musique plus posée, plus sérieuse, plus décente. La synthèse des les
années 1920 et la cristallisation du tangoAprès avoir été gai et populaire, le tango est en effet devenu aristocratique et
distingué sous l'influence du snobisme parisien. Au début du XXème siècle, beaucoup de riches argentins venaient
vivre plusieurs mois par ans à Paris. Ils « frimaient » dans les salons de la Ville-Lumière avec ce tango qu'ils avaient
pratiqué clandestinement dans les mauvais lieux de Buenos-Aires. La bonne société française s'enticha alors alors de
cette danse, devenue décente et élégante. Par effet d'imitation, la bourgeoisie portègne fit de même. On assista alors
en Argentine à la « fabrication » d'un nouveau style de tango - le Tango dit « de salon », qui devint rapidement une grosse
affaire commerciale, avec ses académies de tango et ses maisons de disques, ses cabarets de luxe de centre-ville où
se côtoient pègre et bourgeoisie. Le ralentissement du rythme de la danse, la recherche de l'élégance, ont bien sûr des
conséquences directes sur la musique, qui, à partir de la fin des années 1920, va commencer à être écrite à quatre temps
(4/4). Ceci l'éloigne définitivement de la milonga, qui reste écrite dans un rythme binaire plus vif et enjoué (2/4). Le
mouvement « revival » des années 1930A partir des années 1930, débute cependant un mouvement de « revival ».
Certains artistes de l'époque cherchent à faire revivre des formes musicales anciennes, en mettant notamment en avant
l'influence oubliée de la rythmique noire. C'est le cas notamment de Sebastian Piana, qui compose plusieurs milongas
sur des paroles d'Homero Manzi, ou encore, un peu plus tard, de l'orchestre « Candombe » du chanteur Alberto Castillo
qui connaît un grand succès populaire dans les années 1940. Ce mouvement a des liens avec la pensée de gauche,
incarnée notamment par le parti radical. La référence aux origines noires de la musique est en effet une manière de
mettre le peuple en valeur par opposition à l'Argentine conservatrice et bien-pensante de l'époque, incarnée par des
dictatures militaires qui répriment les formes d'expression populaire, comme le Lunfardo chanté. Mort et renaissance du
tangoJusqu'aux années 1940, on pouvait encore trouver dans le tango quelques résidus du passé ancien : utilisation
d'une gamme d'instruments plus diverses, dont certains ont ensuite été délaissé, comme la guitare portugaise, la
trompette, l'accordéon, les instruments à vent, et même les tambours, comme dans l'orchestre Candombe d'Alberto
Castillo ; présence dans les fêtes de carnaval de quelques noirs, qui dansaient une forme de Candombe dégradé,
ainsi que de fanfares. Mais la codification du tango qui intervient au cours des années 1940, et qui a abouti au style de
danse qui se pratique encore aujourd'hui, a définitivement laminé les expressions antérieures , en lui faisant perdre son
caractère sulfureux. Il devient alors familial, passéiste, sans renouvellement musical. Aussi les jeunes vont-ils délaisser,
dans les années 1950, cette danse de « vieux » pour le rock'n Roll. Quant à la tradition de Candombe, elle a continué à
perdurer pendant tout ce temps dans les réunions des rares familles noires autochtones de Buenos Aires. Mais cela
était considéré comme un peu honteux, méprisé, et ce patrimoine culturel atrophié était tenu secret. Même les noirs
d'Uruguay méprisaient ce Candombé Argnetin, pensant qu'ils étaient détenteurs du « vrai » candombé.Il faudra
attendre les années 1970 pour que le tango se renouvelle, avec Piazzolla, les exilés comme le Cuarteto Cedron, les
grandes revues (Segovia, Tango argentino). Aujourd'hui, le tango s'ouvre vers d'autres formes d'expression musicales
(jazz, musique électronique, musique brésilienne). Des associations comme Africa Vive cherchent à réactualiser les
traces de la culture noire en Argentine. Juan Carlos Caceres participe à ce mouvement en explorant le potentiel expressif
qui existait aux origines de cette musique syncrétique, et qui n'a été que très partiellement exploré.Propos recueillis
par Fabrice Hatem, Philippe Leygue et Pierre Lehagre
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