1993 – Revue Dire -histoire buissonnière – le - Praline Gay-Para

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1993 – Revue Dire -histoire buissonnière – le - Praline Gay-Para
Praline Gay-Para
Histoire buissonnière.
Le conte à l'école.
Le conte est aujourd'hui passe-murailles. Il
se faufile dans les bibliothèques, se glisse
dans les salles de spectacle, hante les
festivals, préoccupe les éditeurs , montre le
bout du nez à la radio. En un mot, il est
partout.
Son moyen de transport, le conteur, est un
nomade organisé, un caméléon éclairé, un
partenaire fidèle des trains et des avions.
Et l'école dans cet itinéraire-labyrinthe?
Si le conte a pénétré depuis fort longtemps
dans l'enceinte de l'école, il reste de manière
générale un "moyen pédagogique" tant pour
les enseignants que pour leurs inspecteurs et
formateurs, c'est-à-dire un objet d'analyse, de
dissection, de découpage et d'évaluation.
Détournement de fonction!
1
J'appelle à la réhabilitation du plaisir dans
notre système scolaire afin que nous
puissions réellement parler d'éducation.
Le conte doit entrer vivant dans l'école, porté
par une voix, un souffle, une âme, une
personnalité, une vision du monde, c'est-àdire par un conteur qui ne joue pas les
contrôleurs.
1. Le conte dans un drôle d'état
"Je raconte des histoires à mes élèves" dit
Mme Untel, institutrice en maternelle.
Comprendre "je lis". Et quand on lui
demande
pourquoi
le
livre
est-il
indispensable, la réponse tourne neuf fois sur
dix autour de la nécessité de familiariser les
enfants avec l'écrit. L'alibi pédagogique, la
1Signalons à ce niveau-là, la confusion qui règne
dans l'édition autour du terme conte qui désigne tout
et rien à la fois. Le mot est vidé de son sens mais
semble commercialement porteur: il était en 1992 le
thème du Salon du Livre Jeunesse de Montreuil.
justification envers l'inspection est prêt.
Quand Mme Telautre raconte sans support
écrit, son alibi est "l'acquisition du
vocabulaire dans l'activité langage" et le
réinvestissement dans un spectacle de
marionettes.
Quel bonheur d'entendre - si rarement- "Je
raconte parce que j'aime les histoires, les
enfants aussi". Et pourtant en maternelle, le
jeu n'est, fort heureusement, pas encore
proscrit.
A partir du CP, la rentabilité immédiate
devient une maladie incurable et ce jusqu'à la
fin de la vie scolaire.
Et pourtant, tous, sans exception,
enseignants, parents, administration, etc. se
plaignent du manque de savoir-lire de nos
enfants . Et si nous commencions par la
première étape; celle du savoir-dire, pour les
grandes et les petites personnes?
Etape qui passe inévitablement par un amour
incurable des histoires.
2
La formation des enseignants
Les enseignants expriment souvent un besoin
criant de formation autour du conte, du récit,
etc. Les instituteurs formés dans les IUFM
(ex-Ecoles Normales) ou ceux qui suivent de
temps à autre une formation ponctuelle
offerte par les divers rectorats (le conte est
au programme des 6èmes) ont en commun
deux façon principales de procéder:
- L'interrogatoire version Greimas:
On raconte ou on lit un conte, et avant même
2
Lisons tous "Comme un roman" de Daniel Pennac
(Gallimard). Quel bonheur de voir réhabilitées les
histoires!
que les images ne s'estompent dans la tête
des enfants, on les soumet à un
bombardement intensif de questions dûment
organisé: - Qui est le héros? - Que cherche-til? - Qui l'empêche d'y arriver? - Qui l'aide?
etc.
- Un Propp acrobatique, ou quand ce
monsieur est forcé de marcher sur la tête:
Oui. A l'école on fait très souvent du Propp à
l'envers. L'enfant doit, à partir d'une structure
nue, inventer un conte. C'est le moyen le
plus répandu en primaire pour "susciter la
créativité".
Si cet article a une chance d'être lu par des
enseignants, je tiens à y inclure une
précision: avec tout le respect que je dois à
Propp, il n'est pas l'unique référence en
matière de conte! Il a déduit à partir d'un
corpus limité de contes merveilleux russes
une structure commune. Il y a casé tous les
récits quitte parfois à devoir couper tout ce
qui dépasse. Voilà! N'allons pas lui prêter des
intentions pédagogiques qu'il n'a jamais
eues!
- "Dessinez ce que vous venez d'entendre!"
Je ne m'étendrai pas sur ce procédé si bien
intentionné.
Il ne faut pas oublier un tout aussi bien
intentionné usage du conte comme objet
culturel, comme moyen de valorisation des
diverses cultures d'origine des enfants
concernés.
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3
On ne peut mettre en cause le bien fondé d'une telle
démarche. Le problème est grave pourtant quand je
reçois un appel d'une directrice d'école qui demande
"Nos enfants sont en majorité maghrébins. Pouvezvous raconter des contes du Maghreb?" . Grave de ne
pas distinguer l'origine des enfants de leur présent:
nés ici, francophones, rappophones,
macdonaldophages. Plus grave encore d'accentuer le
ghetto. Pourquoi un enfant originaire de n'importe où
n'aurait-il pas droit à des contes japonais, russes,
arabes, italiens, norvégiens, etc. De quel droit les
privons-nous de Blanche-Neige ou de Cendrillon sous
prétexte que leurs parents viennent d'ailleurs?
Le conte est fait pour être raconté. Qu'on se le
dise!
Osons enfin remettre en cause les méthodes
ronronnantes enseignées depuis des années.
Mais pour ce faire, il nous faut accepter
qu'une activité peut être parfaitement
"pédagogique" sans pour autant être soumise
à évaluation immédiate. Or dans le système
actuel, la rentabilité est immédiate ou elle
n'est pas.
Autant demander à une graine de pousser, de
donner un arbre et des fruits en une seule
journée!
Or raconter est de l'horticulture brodée main.
Soyons un peu jardiniers, patients et
généreux. Essayons d'arroser en rêvant au
lieu de guetter impatiemment la pousse des
feuilles.
Racontons et laissons germer...
2. Quand le conteur s'en mêle
Sur cette toile de fond peu encourageante,
viennent fort heureusement se greffer des
aventures plus dynamiques, plus vivantes.
Elles
reposent
sur
des
personnes
généralement atteintes par le virus du conte
(maladie verbalement transmissible) qui
connaissent souvent un ou plusieurs
conteurs.
S'étant, en auditeur, prêtées au moins une
fois au jeu, ces personnes ont envie d'aller
plus loin, d'en faire bénéficier leur entourage
immédiat. Elles font donc appel au conteur.
Que fait le conteur dans cette galère me
direz-vous?
Parfois il rame! Mais il lui arrive aussi de
faire un travail qui lui porte bonheur.
Je ne m'étendrai pas sur les raisons qui font
de nous des médaillés d'or aux avirons. Elles
relèvent autant de l'ignorance que du manque
de moyens matériels. Je préférerai plutôt
retenir ici l'aspect positif des choses en
développant les deux types d'interventions
pour lesquelles nous sommes sollicités, les
uns et les autres, en milieu scolaire.
Trois petits contes et puis s'en vont
2
Le conteur arrive, raconte dans les classes ou
dans une salle commune (cantine, préau,
etc.), discute un peu avec les enseignants, un
tout petit peu avec les enfants et c'est fini.
De manière générale, ces séances de conte se
passent relativement bien. Parce que nous
avons la chance de travailler avec la matière
la plus riche et la plus inépuisable qui soit.
Mais aussi parce qu'au bout de quelques
années d'expérience, nous avons appris à
gérer les sonneries, l'acoustique des salles
qui résonnent, les bruits de récré, etc.
Les séances les plus belles se déroulent
toujours avec les enfants qui ont l'habitude
d'écouter et de raconter. Leurs oreilles sont
affûtées et leur écoute est très active.
Dans ce cas, j'envoie personnellement aux
adultes le document "Contes mode d'emploi"
(voir annexe) et leur précise certains détails
pour la mise en espace de la salle ou les
contes prennent place (éviter les contre-jour,
les passages, les miroirs en face de
l'auditoire, etc.) . Il est tout à fait clair que
dans ce type d'interventions nous n'avons
aucun droit de regard sur "l'exploitation
pédagogique" de nos histoires.
Conte aujourd'hui, conte demain ...
Depuis quelques années, nous sommes
sollicités pour un travail de longue haleine,
dans le cadre d' ateliers en milieu scolaire,
sur des durées plus ou moins longues. Les
commandes sont variables et mettent
souvent la production écrite des enfants en
avant.
Quel que soit l'objet de ce type de travail, je
demande, en ce qui me concerne, de former
les enseignants ou autres adultes avant
d'entreprendre un quelconque atelier.
De la formation des adultes
Les conteurs sont souvent sollicités en tant
que formateurs. Formation à l'art du conte,
formation petite enfance, formation aux arts
du récit, etc. Ce volet annexe de notre
activité principale prend une telle ampleur
que l'une des premières initiatives de
l'Association Nationale des Conteurs d'en
France est un livre blanc sur la formation.
Dans le monde scolaire, les sollicitations
sont très différentes. Cela va d'une
intervention de deux heures dans un amphi
d'IUFM où se serrent deux cents personnes à
celle qui dure trois jours avec une douzaine
d'adultes autour d'un travail pratique. Que
dire en deux heures? Si peu de choses en fait
que je suis toujours tentée dans ces cas-là de
raconter seulement. Je me dis que si les
adultes ressentent une émotion en tant
qu'auditeur, ils auront une chance de raconter
en s'impliquant personnellement dans leur
parole.
La deuxième formule est certes plus propice
à une approche approfondie des questions. Je
dois néanmoins constater que toutes les fois
que j'ai eu l'occasion de mener un travail de
cette durée, ce n'est pas à la demande d'un
organisme relevant directement du Ministère
de l'Education Nationale, mais toujours de
réseaux parallèles (FAS, Jeunesse et Sport,
DRAC, Centres Culturels, collectivités
locales, etc.). La raison est simple: un nerf de
la guerre très réduit, ajoutez un zeste
d'ignorance et mélangez vigoureusement!
Il est important d'entreprendre une formation
de l'encadrement adulte si l'on veut éviter de
retomber dans les travers développés plus
haut. Il ne s'agit absolument pas d'un cours
dispensé de manière traditionnelle où Mme
Jesaistout vient déverser un savoir immuable
sur une masse d'ignorants professionnels. Il
est surtout question de permettre a chacun
de mener à bien une narration en l'aidant à
percevoir ses qualités, ses défauts, ses tics,
etc. et surtout en insistant bien sur le fait que
sa performance est perfectible.
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En gestation depuis 1988, déclarée en 1992. Siège
social 8, rue Albert Thuret, Chevilly-Larue, 94.
5
Je dois ici signaler les difficultés que certains
instituteurs rencontrent parfois pour suivre ces stages.
Les autorisations d'absence leur sont autorisées avec
grande parcimonie et ils doivent jongler avec leur
travail, leur vie personnelle et leur goût de raconter.
3
Mettre les stagiaires en situation de conteurs
signifie qu'en contrepartie, le formateur se
transforme en oreille professionnelle qui
écoute avec toute la générosité et toute
l'exigence dont il est capable. Il peut ainsi
orienter l'un vers une exploration des images
et des émotions que suscitent en lui certains
épisodes de son histoire. Il demandera à
l'autre ce qu'il a à dire à travers son histoire.
Il poussera un autre encore vers une
modulation du rythme et du débit de sa
narration. Tel autre encore se verra infliger
des exercices grimaçants ou l'articulation des
mots est une fin en soi. Bref, tout le monde
travaille sur soi et sur son histoire. Le but de
l'opération est que chacun comprenne, par
lui-même que bien raconter implique
d'accepter de se raconter à travers un récit.
L'aspect dit "théorique" n'est pas entièrement
laissé de côté. Mais aborder des questions
telles que "Qu'est-ce qu'un conte?" ou
"Raconte-t-on aux enfants comme on le fait
pour les adultes?" ou encore "Le conteur estil un comédien?" n'a plus la même
signification quand celui qui les pose a déjà
passé par l'épreuve de la narration. Il a déjà,
par lui-même des éléments de réponse et si
une discussion sur le sujet a lieu elle aura
alors la forme d'un échange et non plus celle
de question/réponse.
De cette manière on permet à l'enseignant de
devenir conteur à part entière au lieu de
s'improviser moitié pédagogue, moitié
narrateur c'est-à-dire aucun vraiment. Il n'est
donc plus démuni devant des "consignes"
dénuées de tout encrage dans la réalité ni
devant certaines "méthodes" qui le prennent
pour un handicapé de la parole et du geste
(cf Mille Ans de Contes, éd. Milan).
Les ateliers peuvent donc commencer !
Le conteur n'est plus alors comme un cheveu
dans la soupe mais il vient s'insérer
harmonieusement dans un processus global
où il met son savoir-faire à la disposition des
autres.
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Les ateliers proprement dits
Au fil des ans, il me semble avoir acquis une
méthode de travail. Les principes de base en
sont simples:
- tremper les enfants dans les histoires
jusqu'à ce que leur propre envie de dire
surgisse,
- l'enfant participe quand il a envie,
comme il a envie,
- l'oralité est le seul support pour
échanger les histoires,
- les histoires sont destinées à une
reproduction illimitée,
- la création est personnelle ou elle n'est
pas,
- la séance s'arrête quand les enfants le
désirent.
A partir de là, les finalités concrètes, les
méthodes de travail, les réponses à certains
problèmes sont fonction des cas particuliers.
Voici donc, à des âges différents de la vie
scolaire, quelques ateliers exemplaires d'une
belle aventure pour tous.
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7
6 Les idées reçues relatives au conte sont
innombrables notamment celle qui définit ce genre
narratif uniquement par la notion de merveilleux,
celle qui veut aussi que les contes sont "pour les
enfants" .
7
Dans ces ouvrages, l'auteur minute, en haut de
chaque page, la durée du récit. La langue est d'une
pauvreté navrante. Mais le sommet du mépris vis-à-
Moyens-grands de maternelle
Pour cet atelier, j'avais été sollicitée par le
Centre Culturel de la ville d'Epinay sur Seine
(91) qui me proposait une enveloppe horaire
pour l'année. La seule contrainte était de ne
pas dépasser, pour des raisons budgétaires, le
vis du lecteur, apprenti-conteur, est atteint quand on
lit, dans la marge, des conseils du genre "prendre une
voix aigüe", "lever la main", etc. Et le pire, c'est que
ces ouvrages (2 volumes) sont selon les
bibliothécaires, les plus empruntés par les
enseignants! Dur! Dur!
8
Je n'accepte d'entreprendre un atelier que si
l'enseignant a déjà construit un projet. Je refuse que le
travail repose sur moi seule car même si mes
interventions sont nombreuses, elles sont inutiles si
dans le quotidien , l'activité n'est pas en continu.
4
temps alloué (20 heures environ).
L'institutrice avait déjà entrepris un large
travail sur la narration avec des ouvrages
"dont vous êtes le héros" et autres. Le bains
était donc en cours quand je suis arrivée. Les
enfants avaient tous autour de cinq ans.
Après les présentations , je me suis mise à
raconter, et je crois bien n'avoir rien fait
d'autre pendant plusieurs séances. Toujours
dans la même disposition spatiale: j'étais sur
une chaise face à mon auditoire.
L'enseignante racontait elle aussi en ma
présence et pour ce faire, nous échangions
nos places.
Et puis un jour, un enfant a voulu prendre la
place du conteur, puis un autre, puis un autre
encore.
. Ils ont raconté:
des histoires entendues de ma
bouche, de celle de l'institutrice ou de celle
des parents au cours des lectures du soir. Les
formulettes de début et de fin -cric crac et
autres- ont toute leur sympathie .
. Ils ont adapté:
tout ce qu'ils ont raconté. En fait ils
ont très vite compris le principe de la réappropriation des histoires et du plaisir de la
version personnelle. Cette liberté a permis
aux différentes histoires de vivre réellement;
de subir des transformations multiples (voir
le conte de la Petite grand-mère en annexe).
. Nous avons intervenu:
uniquement quand l'enfant conteur a
perdu le fil ou qu'il y a fait un noeud qui
l'empêche de retrouver l'enchaînement
logique des événements. Nous avons en
revanche laissé faire pour tout le reste: les
fautes de français , les rajouts d'épisodes
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10
11
9
Certains me connaissaient déjà pour avoir assisté à
l'un ou l'autre de mes spectacles au Centre Culturel
du quartier ou dans leur école les années précédentes.
10
Nouvelle formule d'ouverture de leur cru: "Plat de
frites! - Plat de frates!"
11
l'exemple de l'usage du passé simple est frappant.
Bien qu'il ne me vienne jamais à la bouche, ce temps
que je considère propre à l'écrit, surgit
inventés ou empruntés d'autres contes,
variations dans les parties molles, etc.
. Nous avons retenu:
- la situation de communication
immédiate, l'aller-retour instantané du conte
permet à l'enfant de comprendre très vite si
son histoire passe bien ou s'il est en
difficulté. Il lui suffit de regarder les yeux de
son
auditoire.
S'il
y
décèle
de
l'incompréhension, il est en situation
d'urgence et il y remédie de diverses
manières liées à son tempérament propre et à
la mesure de sa difficulté d'expression.
Certains s'en vont. Arrêt total! D'autres
s'arrêtent mais prennent bien soin de préciser
qu'ils reprendront plus tard. D'autres encore
retrouvent le fil avec l'aide des copains qui
au fur et à mesure des séances interviennent
de plus en plus souvent.
La manière dont un petit garçon de 5 ans
s'est tiré d'affaire est un exemple frappant de
débrouillardise et d'intelligence:
Ibrahim s'est installé à la place réservée au
conteur et a commencé l'histoire de la petite
grand-mère (voir annexe) . Au moment où la
grand-mère rencontre le loup, il interrompt,
un moment, sa narration. L'auditoire est en
majorité patient bien que certains
poursuivent à sa place ou proposent de
prendre le rôle du conteur. Ibrahim,
impassible, réfléchit. Il semble tout à la fois
mesurer l'enjeu de sa performance ,
comprendre les raisons de sa difficulté et
chercher une solution. Quelques instants plus
tard, toujours très sûr de son fait, Ibrahim
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systématiquement dans la bouche des enfants sous
des formes fort sympathiques (il étendu, il montit,
etc.)
12
Suzy Platiel , dans une conférence à l'IUFM de Mont
Saint Aignant en 1991 a présenté la manière
d'intervenir des adultes chez les Sanans de Burkina
Faso, quand les enfants racontent. Cette manière de
faire et l'analyse qu'elle en fait nous conforte dans
cette manière de procéder.
13
Ce conte a largement fait l'unanimité et a eu la
préférence de la classe pendant toute la durée de
l'atelier. Il a été raconté une quinzaine de fois au
moins, par moi ou par les enfants.
5
appelle son copain, conteur en herbe, David :
"Viens à côté de moi. On racontera
ensemble".
David et Ibrahim ont raconté, à deux,
jusqu'au bout de l'histoire. Chacun terminait
un épisode et passait la parole à l'autre:
"C'est à toi maintenant". Quelle civilité! Un
très beau jeu d'écoute et de narration. Quelle
débrouillardise de la part de Ibrahim qui, se
sentant en difficulté, n'a pas voulu céder la
place. Il a toutefois refusé de poursuivre sans
être à la hauteur de la tâche. Il a fait appel a
son copain afin de s'aménager des temps
pour souffler.
à circuler dans les autres classes.
- la narration des enfants est jalonnée, au
début du travail, par des mots-charnières qui
permettent à l'enfant "d'accrocher les
wagons": et puis, et après, alors, et puis
après, etc. Petit à petit, quand l'habitude est
prise, la narration évolue vers une forme plus
linéaire où le petit conteur saisit parfaitement
le lien logique qui lie les divers épisodes. Il
n'a plus besoin de coller les morceaux. Il
tient le fil.
L'atelier avec cette classe entrait dans le
même cadre que celui de la classe de
maternelle cité plus haut. Même liberté
d'organisation, mêmes principes de travail.
Une contrainte néanmoins: le travail devait
aboutir à une représentation publique, en
salle de spectacle, au mois de mai.
L'âge des enfants n'est pas le même; ici ils
ont entre 11 et 14 ans. Classe somme toute
normale pour une banlieue parisienne où les
problèmes économiques et sociaux sont
légion , classe difficile aussi parce que
certaines personnalités sont délicates à
aborder, les plus âgés sont mis en situation
d'échec depuis longtemps. Autre facteur
déterminant, les enfants lisent et écrivent, ils
passent au collège l'an prochain.
Le début, comme toujours est une immersion
totale dans les histoires. L'enseignante est
atteinte par le virus depuis longtemps. Elle
lit, raconte, fait lire et raconter, apprend à
chanter, etc.
Je suis donc arrivée en
novembre dans une classe où de nombreuses
histoires circulaient déjà.
- au cours des séances de conte, nous
avons vu à la place du conteur, des enfants
dont l'institutrice n'avait jamais entendu la
voix depuis le début de l'année scolaire.
Celle-ci avait eu l'idée ingénieuse d'utiliser
un micro et un amplificateur ce qui avait
décidé les plus timides. Même dans les cas
où l'enfant dit tout simplement "Il était une
fois et c'est fini", il est important qu'il ait fait
la démarche.
- il n'est absolument pas nécessaire de
renouveler sans arrêt son répertoire avec les
petits. Ils redemandent plusieurs fois la
même histoire. Ne nous privons pas du
plaisir de la répétition.
. Nous avons gardé:
une cassette où figurent quatre contes
qui peuvent être écoutés par un non initié.
Nous les avons choisis à partir d'un corpus
plus grand où quatre séances ont été
enregistrées. Cet enregistrement était destiné
Ce travail pourrait porter de multiples
étiquettes: structuration de la pensée et du
langage, mémorisation, maîtrise de la
communication, expression orale, etc. La
liste pourrait être longue.
Je n'en retiendrai personnellement que le
bonheur de ces moments, le plaisir partagé et
surtout la passion des histoires suscitée chez
les petits et les grands.
CM2 - primaire
Dès la première séance, les jeunes personnes
ont elles-mêmes raconté. Nos interventions
étaient exactement du même ordre que celles
décrites plus haut. Petit à petit les groupes se
sont formés autour des contes. Le travail
collectif, à l'intérieur de chacun des groupes
a transformé les récits auxquels la musique les élèves ont utilisé des petites percussions,
6
des claviers, une flûte, etc.- est venue donner
une allure nouvelle. A cette étape, les enfants
étaient mûrs pour l'arrivée des musiciens.
Deux musiciens avec lesquels je travaillais
depuis deux ans, sensibles aux images et aux
couleurs du conte. Deux compositeurs
(guitares, clarinette, percussions) attentifs
aux enfants et ouverts à toutes leurs
propositions. Ils ont construit avec eux la
forme finale des histoires, sans jamais
proposer la musique comme illustration ou
comme effet redondant à la parole.
Le résultat a dépassé toutes nos espérances.
Une salle de plus de cent personnes a écouté
toutes les histoires racontées en musique
avec des micros, des lumières, etc. Une
excitation joyeuse dans les coulisses. Des
crampes d'estomac avant d'entrer en scène...
Tout y était.
Je présenterai les éléments qui m'ont
marquée, sachant que cet atelier à lui seul
mériterait un article:
- les sources des jeunes conteurs étaient
orales (moi, l'enseignante) mais aussi écrites
puisqu'ils sont allés chercher dans les livres
de quoi satisfaire leur envie de parole.
- cet atelier a permis à certains enfants
en grande difficulté scolaire et en voie de
mise à l'écart de l'enseignement normal de se
faire valoir aux yeux des autres (copains et
enseignants) mais aussi, et c'est le plus
important, à leurs propres yeux. Leur rapport
à l'école et au monde a changé. L'institutrice
a noté, petit à petit, une dédramatisation du
travail scolaire. Son rôle d'enseignante en a
été facilité d'autant. A titre d'anecdote,
quelques semaines avant la représentation
publique, les enfants n'allaient plus dans la
cour aux heures de récréation. Ils se
mettaient en groupe pour travailler les contes
dans les couloirs, les salles communes, etc.
- durant les répétitions avec les
musiciens, il nous arrivait de devoir
reprendre une partie du récit. Quand on leur
disait : "On reprend à partir de là", nous
étions toujours étonnés de constater que le
texte était le même à 70%. Ils gardaient en
mémoire ce qui leur semblait convenir à leur
idéal esthétique personnel et laissaient le
reste évoluer à sa guise
- étape essentielle quand on veut
modifier une manière de dire ou de voir un
épisode et que le conteur maintient
fermement ses choix: "C'est comme ça que
moi je veux dire". C'est là que le vrai travail
commence!
- les conteurs de primaire sont allés,
avec les musiciens présenter leur travail
dans l'école maternelle où je suivais un autre
atelier (cf. ci-dessus). Un bel échange a eu
lieu entre les "grands" et les petits.
- la représentation publique du mois de
mai constituait une étape décisive. Ils se sont
bien habillés, bien coiffés. Ils ont discuté
pendant plusieurs jours du choix de leurs
vêtements,... bref, ils étaient là. A la hauteur!
Arrêt sur image:
Ils étaient cinq , les cinq plus grands de la
classe. Casquettes, blousons, baskets, de
vrais rappeurs. Le conteur au centre avec son
micro cravate, les autres derrière en demi
cercle. L'histoire la plus merveilleuse et la
plus européenne qui soit: celle du Simplet
qui doit, à l'instar de ses frères suivre sa
plume pour trouver tour à tour la plus belle
bague, le plus beau tapis et la plus belle
femme. Sa plume tombait toujours chez la
grosse grenouille qui lui donnait tout ce qu'il
désirait, même une fiancée en la personne
d'une petite reinette. Cette jeune femme,
forte de ses origines réussit l'épreuve finale
de sauter à travers un cerceau accroché au
plafond sans se briser les os faisant ainsi de
son prince l'héritier du royaume. Une
ritournelle vient rythmer les rencontres du
jeune héros avec la grosse grenouille.
Le conteur racontait, sûr de lui, dans une
langue très précise. La ritournelle était
l'affaire de toute l'équipe qui, en rapp,
chantait et dansait.
Leur bonheur était immense à la sortie de
scène. Le conteur m'a doucement confié qu'il
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aimerait bien faire un travail d'artiste plus
tard.
1ère LEP
De nombreuses initiatives pourraient illustrer
le travail avec les "plus grands". J'en choisis
une seule qui, contrairement aux ateliers
cités plus haut, avait comme objectif final
une production écrite. La commande était de
faire écrire autour d'un thème imposé: La
Mythologie.
Nous étions deux conteuses: Muriel Bloch et
moi-même. Nous avions intervenu une
vingtaine de fois sur l'année scolaire dans
une classe de 1ère "sanitaire et social",
filière qui n'offre pas un avenir de rêve à des
jeunes filles de 17 et 18 ans.
Dès le départ, nous avions, d'un commun
accord décidé de ne pas nous embarquer
dans les grands cycles mythologiques qui
peuvent parfois sembler difficiles d'accès et
qui, en tous les cas, ne correspondaient pas
vraiment à ce que nous avions, l'une et
l'autre, envie de raconter.
L'opération de trempage s'est donc faite à
l'aide de contes étiologiques. L'objectif en
était donc légèrement modifié puisqu'il
s'agissait dès lors d'écrire des histoires qui se
termineraient par "et c'est depuis ce temps là
que...".
Autre principe fondamental dans ce type de
production littéraire: la création personnelle.
L'écriture collective est une illusion nous
semble-t-il. Elle ne peut pas motiver
l'individu autant qu'une histoire qui émane
de son être le plus profond. Par ailleurs,
création collective revient à ce que l'adulte
qui dirige le travail, devant des propositions
multiples qui émanent du groupe, opère le
choix décisif.
Chaque auteur signera donc son récit!
Les photocopies à tirage illimité ont
complété le répertoire oral.
Beaucoup de réticences au début. Des hauts,
des bas, des moments d'enthousiasme,
d'autres d'abandon. Conflits et complicité.
En fin de parcours, même celles qui se
disaient le plus en difficulté, voyant
l'échéance approcher se sont décidées. Les
histoires qui sont nées de ce travail sont très
belles (voir Une vie en nous et Naissance au
ciel en annexe).
Cet atelier nous a appris la patience,
l'importance du conte-cadeau (tiens ce conte
est pour toi), la nécessité absolue d'arriver à
faire dire à l'auteur: "Je ne veux pas changer
ce mot. Cette phrase restera comme ça. C'est
ça que je veux dire" car c'est là que l'on peut
vraiment parler d'écriture.
L'énumération pourrait être plus longue,
chaque atelier ayant sa spécificité et son
enseignement.
Je m'arrêterai là pour insister une dernière
fois sur la nécessité absolue des histoires
partagées, pour le plaisir.
Les conteurs sont une famille très nombreuse
aujourd'hui,
professionnels,
amateurs,
bénévoles,
enseignants-conteurs,
bibliothécaires-conteurs,
néo-conteurs,
conteurs traditionnels, archiconteurs, et je ne
sais quelle étiquette encore.
Profitons-en pour faire pénétrer le conte
vivant dans l'enceinte de l'école!
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Bibliographie
PENNAC D.: Comme un roman, Gallimard, 1992.
PLATIEL S.: "Le conte comme outil" in Le renouveau du Conte, CNRS, 1992
documents annexes
Une vie en nous
Il y a des jours et des lunes, tellement de jours et de lunes, qu'aucun homme n'en a le souvenir.
Un homme, un homme comme tous les autres, un homme comme vous et moi, mais peut-être
plus à la recherche d'un monde nouveau, s'en alla avec de l'eau et des vivres, vers les contrées les
plus lointaines.
Il marcha des jours et des nuits.
Un jour, il se trouva dans un désert sans limites ni frontières. Il ne savait pas où il était, il ne
savait pas où aller. Il était perdu dans ce lieu inconnu. Alors, il se reposait, dormait et buvait
goulûment, jusqu'au jour où il s'aperçut qu'il n'avait plus une goutte d'eau.
Il était désespéré. Il se mit à pleurer toutes les larmes de son coeur, toute les larmes de son corps
et de son âme.
Ses larmes ruisselaient sur le sable fin et doré.
L'homme avait tellement pleuré que le sable, humidifié par ses larmes de douleur, fut réjoui.
Reconnaissant, le désert se mit à frissonner et des profondeurs de la terre, apparut une plante,
verte et éclatante.
Quand l'homme aperçut dans sa détresse, cette plante née de son union avec la terre, un sourire
s'esquissa sur ses lèvres, un sourire d'espérance.
Sans savoir pourquoi, il prit son couteau, et avec douceur et délicatesse, il coupa la plante. Une
eau ruisselante, d'un goût exquis, jaillit. Une fraîcheur à vous arracher la gorge.
Une eau qui fertilise même les pierres.
La terre, comme en séisme, se mit à trembler, à s'effilocher, à se déformer. L'homme inquiet vit
que ces déformations n'étaient que des milliers et des milliers de plantes.
Je dédie ce récit à tous les désemparés, tous les amoureux, tous les assoiffés.
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Cette plante pousse encore dans le désert.
Elle qui n'a aucune importance à vos yeux, vous donnera tout ce que vous souhaitez.
Mais c'est à vous de la trouver, de la chercher car elle est au coeur de vous.
Mélanie LE FEL
La petite grand-mère, le loup et la pastèque
C'est l'histoire d'une petite grand-mère qui était maigre comme un clou. Elle vivait dans une
maison accrochée à la montagne.
Un jour, sa fille l'invita à ses noces. La petite grand-mère qui voulait paraître en forme, revêtit
ses sept jupons, ferma sa porte et partit.
Soudain, sur le chemin, elle vit devant elle un loup:
- Petite grand-mère, tu fais bien de passer, je cherchais justement quelqu'un à manger!
- Me manger? Pauvre loup. Sous mes sept jupons, je suis maigre comme un clou. Je ne
serai pour toi qu'un piètre repas. Mais je vais à la noce. Je mangerai pendant trois jours
et trois nuits et je reviendrai toute ronde et toute rose. Alors tu me mangeras et tu feras
un bon repas.
- Pas bête la petite grand-mère, répondit le loup. Je t'attends là.
La petite grand-mère passa trois jours chez sa fille à boire et à manger, à chanter et à danser mais
quand la noce fut terminée, elle alla la trouver:
- Un loup m'attend sur le chemin pour me manger.
- J'ai ce qu'il faut pour te cacher, répondit la fille.
Elle cueillit une grosse pastèque dans son jardin et la coupa en deux. La petite grand-mère plia
ses sept jupons et s'y installa.
Aussitôt refermée, la pastèque, sous le poids de la petite grand-mère, se mit à rouler, rouler, et à
sauter.
Roule, roule la pastèque,
Roule boule jusqu'au bout,
Roule, roule la pastèque,
Elle est arrivée devant le loup!
- Petite pastèque. As-tu rencontré sur ton chemin une grand-mère toute ronde et toute
rose? dit le loup qui s'impatientait.
- Je n'ai vu personne, répondit la pastèque. Mais je suis une pastèque très occupée et je
suis très pressée, alors tu me manges ou tu me laisses passer ?
- Moi, le loup, manger des pépins et de l'eau sucrée? C'est pour les poules tout ça. Roule
ton chemin la pastèque!
Roule, roule la pastèque,
Roule boule jusqu'au bout,
Roule, roule la pastèque,
Elle a bien roulé le loup!
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Variations introduites par les enfants:
- dans certaines versions, le loup devient renard. Quand il est loup puis devient renard, nous
intervenons.
- la fille coupe la pastèque avec son couteau, la vide, et ensuite elle invite sa
mère à s'y
installer
- la pastèque a cédé la place à une orange (1 version) ou à une boule de feuilles d'arbre
(1
version)
- quand la petite grand-mère est dans la pastèque, sa fille la referme et la colle avec
du
scotch
- en arrivant chez elle la petite grand-mère avait de la pastèque partout (sur elle)
- les comptines disparaissent souvent. Parfois aussi elles laissent la place à de multiples
variantes
- une petite fille a trouvé une fin astucieuse à l'histoire: quand le loup demande à
la
pastèque si elle n'a pas rencontré une petite grand-mère sur son chemin,
celle-ci répond: oui,
elle vient de passer sur l'autre chemin, derrière toi. Elle profite du départ du loup dans la
direction indiquée pour poursuivre sa route.
in DIRE n° 20, hiver 1993
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