Alexis Bisiaux et Aurélien Galloo : EMOTEXTES, 2003 Budapest
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Alexis Bisiaux et Aurélien Galloo : EMOTEXTES, 2003 Budapest
Alexis Bisiaux et Aurélien Galloo : EMOTEXTES, 2003 Budapest, Buda, Pest Budapest, Buda (prononcer bouda) et Pest (prononcer pècht), les deux côtés d’une ville, séparé par le Danube. Les deux villes ne sont réunis qu’en 1873. A l’époque romaine, le côté de Buda est dans l’empire, Pest dans le monde barbare. Rien que grammaticalement, le mot Budapest est considéré comme double puisque passant outre les règles établies, l’harmonique et les accords se font en rapport avec la seconde partie du mot. Collines et résidences d’un côté, plaine et entreprises de l’autre. Petites rues en escalier, et grands boulevards. Ville de marque, et quartier populaire. Hôtel Gellert, et pension Teréz. Château, et parlement. Arbre, et béton. Szép, és rossz. Vagy Rossz, és szép. Tic, et TOC ! A tel point que j’en ai le tournis du haut de mon perchoir. Le château tourne ! Buda me rattrape, Pest me soigne. Calmons-nous !!! S’il vous plaît, calmons nous… Allons habiter et nous reposer au Gellérthegy (mont Gellért), nous irons danser après au Cha-cha-cha de Kálvin tér. Venez Buda, Pest aussi ! Et n’oubliez pas votre vieille mère O’Buda. Le Magyar La langue hongroise (magyar) met tout de suite dans l’ambiance du pays. Quand on arrive on n’y comprend rien au premier abord. Le magyar est la seul langue avec un alphabet latin où il n’est même pas possible de reconnaître le mot pharmacie – Gyógyszertár. J’ai voulu malgré tout ce qu’on a pu me dire apprendre cette langue. Envie de comprendre les panneaux qui m’entourent, pouvoir parler avec un inconnu dans la rue. Aucun Hongrois n’y voit d’intérêt. Même les professeurs de hongrois que j’ai rencontrés ne comprennent pas. « Pourquoi veux-tu apprendre le hongrois, ça ne sert à rien! … Tu peux parler anglais. De toute façon, une fois que tu partiras de Hongrie, tu oublieras tout. » Que tout un pays ne saisisse pas l’intérêt que je vois dans sa langue m’a troublé. C’est révélateur. Après le premier cour, je suis ressorti avec l’idée d’un grand Rubixcube (le Rubixcube a d’ailleurs été inventé par un hongrois !!!), et l’impression qu’une fois que je pourrais en assimiler la logique, l’apprentissage en sera rapide. Les mots se forment par agglutination : un radical entouré de préfixe, suffixe et mégafixe dans tout les sens. Un jeu existe pour les hongrois, créer le mot le plus long possible. Megszentségteleníthetetlenségeskedéseitekért, 44 lettres. Intraduisible. Au final, savoir quelques bases de hongrois est très agréable. Le sourire qui illumine invariablement les hongrois quand je dis quelques phrases est une vraie récompense. Pour ma part, je pense que le magyar est une langue harmonieuse, bien que complexe et un tantinet barbare. Grandeur passée Rue Berckosis, ma rue, 8ème district de Budapest au niveau de la seconde couronne. De vieux immeubles du XIX et XXème siècle dominent la rue du haut de leurs six étages. Immeubles imposants avec soubassement en grosses pierres, palais datant d’une époque révolue, traces d’une ancienne époque, quand Budapest était la deuxième tête de l’empire Austro-Hongrois. Grandeur passée. Les façades s’effritent, tombent en déliquescence depuis des décennies. Ornements fantômes, sculptures disparues, il manque des pièces à ce puzzle grandiose. Façades pâles, figures grises, ternes. Nombreux impacts de balles. 1956. Grandeur révolue marquant la ville de son emprunte. Partout dans la ville, des échafaudages s’élèvent prêts à avaler les années d’abandon et d’oubli, à les mâcher, les remodeler. Redorer. Cour intérieure Klaxons, chaleur, publicités, jolies brins de filles, Mac Do, voitures, trams… Je laisse tout dehors ! Je ferme la porte de mon immeuble, et j’entre dans ma cour. Calme. Elle est rectangulaire, ma cour, orientée Est-Ouest, sur cinq niveaux. J’ai grimpé l’échelle sociale depuis mon arrivée ici. Du rez-de-chaussée sombre, je suis maintenant au quatrième, au soleil. - Jó napot Sándor. Hogy vagy ? - Jól, köszönöm! Je viens de croiser mon voisin dans l’escalier aux fresques passées. Autrefois majestueux. Autrefois plein de couleurs. Sur la coursive qui fait face à la mienne, il y a une rangée de grands bocaux remplis d’énormes cornichons vert sombre mis à fermenter au soleil avec des morceaux de pain ; et de l’aneth… Ils pourront se manger toute l’année pour accompagner des plats un peu lourds et aider à leur digestion. Je me rappelle leur goût : légèrement piquants, mais tellement plus doux que nos cornichons français. Une odeur de cuisine flotte dans l’air. Je reconnais le paprika (poivron), les oignons, c’est un pörkölt, plat traditionnel de Hongrie que l’on nomme « goulash » en France, alors que celle-ci est en réalité une soupe. J’en ai l’eau (chaude) à la bouche. J’entend une voisine du dessous appeler ses enfants à table. Un chat se prélasse, s’étire, bâille, se rendort. Ma cour est toujours de bonne humeur. Ma cour, c’est... c’est ma cour. Les dents creuses Une palissade bricolée alignée sur la rue. Deux, trois planches, du grillage. Du fil barbelé au sommet. Et une ouverture. Large de la taille d’une voiture. Une barrière en bois pour contrôler l’entrée et la sortie. Une seule entrée et sortie même si la parcelle est traversante. Une caravane, sans roue, posée à côté, la porte ouverte, la vitre grise, le toit poussièreux, la lumière bleutée de l’écran de télévision éclairant le sol. Quelques lampes tout le long de la parcelle, éclairent le sol bosselé, creusé et le pieds des immenses murs de briques aveugles des constructions voisines. Hauts murs de briques dont les traces des anciennes constructions sont encore visibles : fantôme de l’ancien pignon, reste de mur… La nuit, la masse sombre de ces hauts murs inquiète. Pas de tracé au sol, pas de ligne blanche, pas d’aménagement superflu. Ce parking peut disparaître du jour au lendemain pour laisser place à une construction plus rentable. Pour le moment, autant utiliser cette parcelle en parking non-officiel. Les voitures se sont multipliées comme des caries dans cette métropole et rongent cette dentition jusqu’à aujourd’hui mal entretenue à cause du manque d’argent. La majorité des dents creuses sont des parkings gardés en attendant d’être transmuter en dents d’or. Vieux à l’écart de la société : Souterrain de la place Kalvin, sur la première couronne de Budapest, mon regard avant de s’engager dans l’escalator croise le regard d’une vieille dame. Stop. Celui derrière m’évite de justesse. Je bifurque. Les jambes fines, la peau vieillie par les événements, les cheveux gris, ses yeux me regardent avancer. Elle paraît fragile, tremblotante. Tout en me souhaitant la bienvenue, elle me montre les fleurs déposées sur un sachet plastique posé au sol. De petites fleurs, pas parfaites, fanées ou sur le point de l’être. Dès que j’ai bifurqué, je savais que j’en achèterais une. J’en choisis donc une. M’attendant à ce que la vendeuse âgée me la donne telle quelle, je tends mon bras mais elle n’y prête pas attention. Elle tient délicatement la fleur de sa main gauche, extirpe de sa poche un petit film transparent, en entoure la fleur, sort un ruban pour faire un nœud autour de la tige. Touche finale, elle s’empare d’un ciseaux et boucle le ruban avec. Petit bouquet. Elle me tend le bouquet et me sourit avec gentillesse. Je la paie et m’éloigne. Il ne va pas tenir longtemps, je pense. Mais ce n’est pas le plus important. Je jette un dernier coup d’œil dans sa direction. Des regards des passants se tournent un instant vers elle mais très vite continuent leur chemin. Indifférence du monde? Non. Obligation. Protection face à la misère omniprésente. Obligation de travailler car la retraite est inexistante. Il faut bien vivre, survivre. - Bonjour Sándor. Comment vas-tu? - Bien, merci !