Sujet 8 - Gaël Giraud

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Sujet 8 - Gaël Giraud
ECOLE NORMALE SUPERIEURE
CONCOURS B/L 2013
Epreuve orale commune d’Economie
Jury : Nicolas Dromel et Gaël Giraud
Sujet : Les politiques économiques – règles ou discrétion ?
Dossier documentaire (7 pages)
DOCUMENT 1 : Alexander Hamilton et l’incohérence dans le temps
DOCUMENT 2 : Le ciblage de l’inflation : règle ou discrétion sous contrainte ?
DOCUMENT 3 : La règle monétaire de John Taylor
DOCUMENT 4 : L’indépendance de la banque centrale
DOCUMENT 5 : Alan Blinder a-t-il eu tort de dire la vérité ?
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DOCUMENT 1 : Alexander Hamilton et l’incohérence dans le temps
Extrait p.569 de Macroéconomie, Gregory N. Mankiw, 5e édition, De Boeck, 2010, traduction de la 7e
édition américaine par Jihad C. El Naboulsi.
De tout temps, l’incohérence dans le temps va de pair avec les politiques discrétionnaires.
C’est l’un des premiers problèmes auxquels a été confronté Alexander Hamilton lorsque le
président Georges Washington l’a nommé premier secrétaire américain au Trésor, en 1789.
De ce fait, c’est à Hamilton qu’incomba la décision du traitement à réserver à l’endettement
accumulé par la jeune nation américaine au cours de sa guerre d’indépendance contre la
Grande-Bretagne. Pendant qu’il encourait cette dette, le gouvernement révolutionnaire
promettait de la rembourser au terme de la guerre. Celle-ci terminée, nombreux furent les
Américains partisans du défaut de paiement, au motif que le remboursement des créanciers
exigerait un prélèvement fiscal, toujours coûteux et impopulaire.
Hamilton s’opposa à la politique incohérente dans le temps qui eût consisté à répudier la
dette. Il savait que la nouvelle nation serait probablement contrainte à l’avenir d’avoir à
nouveau recours à l’emprunt. Dans son « Premier rapport sur la dette publique » qu’il
présenta au Congrès en 1790, il écrivait :
« S’il est réellement aussi important de préserver la crédibilité du secteur public, il est
primordial de répondre à la question suivante : comment assurer celle-ci ? La première
réponse qui vient à l’esprit est : en démontrant la bonne foi des pouvoirs publics par le
respect scrupuleux de leurs engagements. Tout comme les individus, les Etats qui honorent
leurs engagements inspirent le respect et la confiance, à l’opposé de ceux qui ne le font
pas.»
En conséquence, Hamilton a proposé que la nation s’engage à honorer ses dettes.
DOCUMENT 2 : Le ciblage de l’inflation : règle ou discrétion sous contrainte ?
Extrait p.571 de Macroéconomie, Gregory N. Mankiw, 5e édition, De Boeck, 2010, traduction de la 7e
édition américaine par Jihad C. El Naboulsi.
Depuis la fin des années 1980, la plupart des banques centrales, notamment en Australie, au
Canada, en Finlande, en Israël, en Nouvelle-Zélande, en Espagne, en Suède, et au RoyaumeUni, ont adopté une modalité du ciblage de l’inflation. Quelquefois, cette cible est
informellement annoncée par la banque centrale. Parfois, elle peut être officialisée par une loi.
Ainsi, la loi néo-zélandaise en cette matière édictait, en 1989, que la banque centrale devait
« formuler et mettre en œuvre une politique monétaire visant l’objectif économique
d’obtention et de sauvegarde d’un niveau stable des prix ». De toute évidence, la loi ignorait
tout autre objectif éventuellement concurrent, tel que la stabilité de la production, de l’emploi,
du taux d’intérêt ou du taux de change.
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Faut-il, donc, faire de l’inflation la seule cible de la politique économique ? La réponse est
négative.
Dans tous les pays où cette politique a été adoptée, les banques centrales ont conservé une
certaine marge de manœuvre quel que soit le degré de coercition de cet engagement. En effet,
les cibles d’inflation sont définies dans une fourchette, généralement de 1 à 3%. Ainsi, les
banques centrales gardent une certaine liberté en choisissant la cible souhaitée parmi les
valeurs définies par les deux bornes de l’intervalle. Elles peuvent stimuler l’économie en
choisissant une cible proche de la borne supérieure ou la freiner en retenant une cible proche
de la borne inférieure. En outre, si des facteurs exogènes (des chocs d’offre bien identifiés)
font sortir l’inflation de cette fourchette cible, celle-ci peut être adaptée.
A la lumière de cette flexibilité, quel est le but de ce ciblage d’inflation ? Bien que le ciblage
de l’inflation laisse la banque centrale avec une certaine discrétion, le pouvoir politique limite
toutefois l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. En effet, lorsque le pouvoir politique
demande tout simplement à la banque centrale de faire le « nécessaire », celle-ci ne peut pas
être rendue comptable et responsable de ses actes car les gens peuvent toujours argumenter
sur ce qui est « nécessaire » dans des circonstances particulières. En revanche, quand la
banque centrale annonce une cible d’inflation ou même une fourchette cible, le public peut
juger plus facilement si la banque centrale a atteint ses objectifs ou non. Ainsi, malgré cette
inévitable marge de manœuvre, les banques centrales qui annoncent leurs objectifs d’inflation
accroissent la transparence de la politique monétaire et, de ce fait, rendent celle-ci plus
crédible.
DOCUMENT 3 : La règle monétaire de John Taylor
Extrait p.526-527 de Macroéconomie, Gregory N. Mankiw, 4e édition, De Boeck, 2009, traduction de
la 6e édition américaine par Jihad C. El Naboulsi.
Comment faire pour fixer les taux d’intérêt de manière à assurer la stabilité des prix tout en
évitant les fluctuations majeures de la production et de l’emploi ? Telle est la question que se
posent chaque jour les banquiers centraux. Ceux de la Federal Reserve [Réserve Fédérale des
Etats-Unis] utilisent désormais comme instrument de politique monétaire à court terme le taux
des fonds fédéraux, soit le taux du marché interbancaire au jour le jour. Lors de chacune de
ses réunions, le Comité fédéral du marché monétaire fixe une cible pour ce taux. Les
interventions de la banque centrale sur le marché monétaire sont alors modulées pour que le
taux s’approche autant que possible de cette cible.
Le principal problème pour la banque centrale est de choisir la cible correcte pour les fonds
du marché interbancaire. Pour ce faire, elle peut clairement s’inspirer de deux principes :
d’une part, quand l’inflation s’accélère, le taux du marché interbancaire doit augmenter pour
réduire l’offre de monnaie et ainsi faire baisser l’investissement, la production, l’emploi et,
finalement, l’inflation. D’autre part, quand l’activité économique réelle se ralentit, et des
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signes peuvent en être donnés par l’évolution du PIB réel ou du chômage, le taux du marché
interbancaire doit diminuer pour accroître l’offre de monnaie, et ainsi stimuler
l’investissement et la production et réduire le chômage.
La banque centrale ne peut cependant se contenter de ces deux principes généraux : elle doit
encore décider de l’ampleur de sa réaction aux variations de l’inflation et de l’activité
économique réelle. Pour l’aider à prendre cette décision, l’économiste John Taylor a proposé
une règle simple de détermination des taux du marché interbancaire :
Taux nominal du marché interbancaire =
inflation + 2,0
+ 0,5 (inflation – 2,0) – 0,5 (écart du PIB)
L’écart du PIB mesure la différence en pourcentage du PIB réel par rapport à une estimation
de son taux naturel.
L’objet de la règle de Taylor est de permettre au taux d’intérêt réel – taux nominal moins
inflation – sur le marché interbancaire de réagir à l’inflation et à l’écart de PIB. Selon cette
règle, le taux réel sur le marché interbancaire est de 2% quand l’inflation est de 2% et lorsque
le PIB réel est à son niveau naturel. Pour tout point de pourcentage dont l’inflation dépasse
2%, le taux d’intérêt sur le marché interbancaire doit croître de 0,5%. Pour tout point de
pourcentage dont le PIB réel s’écarte de son taux naturel, le taux d’intérêt sur le marché
interbancaire doit diminuer de 0,5%. Si le PIB excède son taux naturel, pour susciter un écart
négatif sur le PIB, le taux sur le marché interbancaire doit croître proportionnellement.
On peut voir la règle de Taylor comme un complément (et non pas un substitut) de ciblage de
l’inflation. […] La règle de Taylor peut en effet être une bonne procédure opérationnelle à
court terme pour atteindre une cible d’inflation à moyen terme. Selon cette règle, la politique
monétaire répond directement à l’inflation. Mais elle répond également à l’écart de
production, ce qui peut être considéré comme une mesure des pressions inflationnistes.
Cette règle de politique monétaire de Taylor n’est pas seulement simple et raisonnable, mais
elle décrit en outre relativement bien le comportement de la banque centrale américaine au
cours des dernières années. La Figure [1] montre le taux effectif sur le marché interbancaire et
le taux cible déterminé sur la base de la règle proposée par Taylor. Le parallélisme entre les
deux séries est frappant. Loin d’être seulement une suggestion académique, la règle monétaire
de John Taylor semble bien être celle que les gouverneurs de la Fed appliquent 1.
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John B. Taylor, « Discretion versus Policy Rules in Practice » [la discrétion versus les règles de
politique en pratique], Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy 39 (1993) : 195-214.
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Figure 1 – Le taux d’intérêt sur le marché interbancaire : objectif et réalisation
La figure montre le taux d’intérêt sur le marché interbancaire américain, d’une part, et le taux dérivé
de la règle monétaire de John Taylor.
Source : Federal Reserve Board [Bureau des gouverneurs de la Réserve Fédérale des Etats-Unis], U.S.
Department of Commerce [Département du Commerce des Etats-Unis], U.S. Departement of Labor
[Département du Travail des Etats-Unis] et calculs de l’auteur. Pour appliquer la règle de Taylor, le
taux d’inflation se mesure par la variation en pourcentage à un an d’écart du déflateur de PIB, et
l’écart du PIB par le double de l’écart du chômage par rapport à son taux naturel supposé être à 6%
[…].
DOCUMENT 4 : L’indépendance de la banque centrale
Extrait p.528-529 de Macroéconomie, Gregory N. Mankiw, 4e édition, De Boeck, 2009, traduction de
la 6e édition américaine par Jihad C. El Naboulsi.
Se pose maintenant la question centrale : si la politique monétaire est laissée à la discrétion de
ses responsables plutôt qu’à la règle, qui doit être investi de ce pouvoir discrétionnaire ? Le
gouvernement ou les responsables de la banque centrale ?
La réponse à cette question varie énormément d’un pays à l’autre : elle va d’une banque
centrale « bras séculier » de la politique gouvernementale, à une banque centrale totalement
indépendante du pouvoir politique. De nombreux chercheurs ont étudié l’impact sur
l’économie de la configuration institutionnelle des relations entre banque centrale et
gouvernement. Ceci leur a permis de construire un indice d’indépendance de la banque
centrale, indice basé notamment sur la durée et la reconductibilité des mandats des
responsables de celle-ci, sur la présence de représentants du gouvernement dans ses organes
de décision et sur la fréquence et l’intensité des contacts entre le gouvernement et les organes
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directeurs de la banque centrale. Ils ont ensuite étudié la corrélation entre l’indépendance de la
banque centrale et les performances macroéconomiques des pays concernés.
L’un des résultats de ces études est que, plus est important le degré d’indépendance des
banques centrales, plus est faible et stable le taux d’inflation. La Figure [2] présente un
diagramme de dispersion reliant l’indépendance de la banque centrale à l’inflation moyenne
de 1955 à 1988. Les pays où les banques centrales sont indépendantes, tels que l’Allemagne,
la Suisse ou les Etats-Unis, tendent à avoir un taux d’inflation moyen modeste. Les pays où
les banques centrales ne le sont pas, tels que la Nouvelle-Zélande ou l’Espagne, tendent à
avoir un taux d’inflation moyen élevé.
Par contre, les chercheurs n’ont trouvé aucune relation significative entre le degré
d’indépendance des banques centrales et l’activité économique réelle. En particulier,
l’indépendance de la banque centrale n’est pas corrélée au niveau ou à la volatilité du taux de
chômage moyen, pas plus qu’au niveau et à la volatilité du taux de croissance moyen du PIB
réel. L’indépendance de la banque centrale semble être un « cadeau » aux pays : elle a
l’avantage de baisser l’inflation sans coût apparent. Cette constatation a conduit certains pays,
comme la Nouvelle-Zélande, à réécrire leurs lois pour donner à leurs banques centrales une
plus grande indépendance.
Figure 2 – L’inflation et l’indépendance de la banque centrale
Source : Figure 1a, p.155, in Alberto Alesina et Lawrence H. Summers, « Central Bank Independence
and Macroeconomic Performance : Some Comparative Evidence », [Indépendance de la Banque
Centrale et Performance Macroéconomique : Quelques Données Comparées], Journal of Money,
Credit and Banking 25 (mai 1993) : 151-162. L’inflation moyenne est calculée sur la période 19551988.
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DOCUMENT 5 : Alan Blinder a-t-il eu tort de dire la vérité ?
Extrait pp.557-558 de Macroéconomie, Olivier Blanchard et Daniel Cohen, 5e édition, De Boeck,
2010.
Au cours de l’été 1994, le président Clinton nomma Alan Blinder, un économiste de
Princeton, vice-président de la Fed [Réserve Fédérale des Etats-Unis]. Quelques semaines
plus tard, Blinder, au cours d’une conférence, fit état de sa conviction que la Fed avait à la
fois la capacité et la responsabilité, quand le chômage est élevé, d’utiliser la politique
monétaire pour permettre à l’économie de se redresser. Cette affirmation fut mal reçue. Le
cours des obligations baissa, et la plupart des journaux publièrent des éditoriaux critiques à
l’égard de Blinder.
Pourquoi la réaction des journaux et des marchés fut-elle si négative ? Ce n’était certainement
pas que Blinder avait tort. Il n’y a aucun doute sur le fait que la politique monétaire peut et
devrait être employée pour sortir d’une récession. D’ailleurs le Federal Reserve Bank Act
[Acte de mission de la Réserve Fédérale] de 1978 assigne à la Fed un double objectif de pleinemploi et de faible inflation.
La réaction fut négative, parce que dans les termes développés plus haut, Blinder avait révélé
qu’il n’était pas un banquier central conservateur, qu’il était autant préoccupé par l’emploi
que par l’inflation. Avec un taux de chômage atteignant à ce moment 6,1%, proche du taux
considéré comme structurel, les marchés interprétèrent l’affirmation de Blinder comme un
indice de sa volonté de réduire le chômage en dessous du taux structurel. Les taux d’intérêt
grimpèrent en raison d’une hausse anticipée de l’inflation – le prix des obligations décrut.
La morale de l’histoire : quelles que soient les véritables idées des banquiers centraux, ils
devraient essayer de paraître conservateurs. C’est pourquoi beaucoup de banquiers centraux
rechignent à admettre, du moins en public, l’existence d’un arbitrage entre l’inflation et le
chômage, même dans le court-terme.
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