Télécharger l`article au format PDF

Transcription

Télécharger l`article au format PDF
L’Encéphale (2009) 35, 570—576
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOPATHOLOGIE
Dépistage des troubles bipolaires :
une revue de la littérature
Screening for bipolar disorders:
A review of the literature
B. Weber-Rouget ∗, J.-M. Aubry
Programme bipolaire, service de psychiatrie adulte, hôpitaux universitaires de Genève, 06—08,
rue du 31-Décembre, 1207 Genève, Suisse
Reçu le 27 septembre 2007 ; accepté le 24 juin 2008
Disponible sur Internet le 5 février 2009
MOTS CLÉS
Troubles bipolaires ;
Instruments de
dépistage ;
Questionnaire ;
Diagnostic ;
Détection précoce
KEYWORDS
Bipolar disorders;
Screening
instruments;
∗
Résumé Cet article passe en revue les instruments de dépistage du trouble bipolaire (TB),
au sein des populations cliniques ou générales, adultes ou juvéniles, développés pour faciliter l’identification de cette maladie encore trop souvent sous-diagnostiquée. Certains d’entre
eux sont traduits et validés dans plusieurs langues. C’est le cas notamment du Mood Disorder
Questionnaire qui présente l’avantage d’être bref, disponible tant pour une population adulte
que juvénile et d’avoir fait l’objet de nombreuses publications. Son pouvoir de détection est
bon dans des échantillons adultes psychiatriques mais plus limité dans la population générale.
Il repère aussi plus difficilement les individus ne remplissant pas les critères d’un TB de type
I (type II ou cas subsyndromaux). Ces constats sont également vrais pour d’autres instruments
de dépistage (par exemple le HCL-32). Des travaux sont en cours pour améliorer le pouvoir
de détection pour ces sous-types diagnostiques et tester la faisabilité des outils développés
au sein d’autres groupes cliniques ou non de la population. Ces instruments de dépistage ne
remplaceront jamais l’interview clinique conduit par un expert et nous abordons la place qu’ils
peuvent occuper, à même titre que d’autres sources d’information (notamment la famille du
patient), dans l’évaluation diagnostic du TB.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Summary
Objective. — The aim of this article is to review the major instruments proposed for screening for bipolar disorder among clinical or general, adult or paediatric populations. They were
developed in order to improve the detection of this illness which, far too often, remains unrecognized. Several of these screening instruments are already translated into several languages
and validated.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (B. Weber-Rouget).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2008.06.017
Dépistage des troubles bipolaires : une revue de la littérature
Questionnaire;
Diagnosis;
Early recognition
571
Methodology. — A systematic review of the literature published on this topic up to July 2007 was
carried out, using the main electronic data base (Medline). The keywords employed included
bipolar disorder, screening, questionnaire, diagnosis and early recognition.
Results. — The studies reported here examine whether screening instruments perform similarly
in various clinical and non-clinical samples. Different forms of the same questionnaire (like selfreport or parent report used in paediatric samples) are sometimes compared, usually showing
that parent reports supersede the adolescent self-report form. This is namely the case for the
Mood Disorder Questionnaire (MDQ) which is a brief and widely tested tool, available both in
adult and adolescent versions.
The MDQ exhibits good psychometric properties in relation to sensitivity and specificity in
adult psychiatric samples, but these are more limited in the general population. Moreover,
it yields better sensitivity for BP type I than for other bipolar subtypes. This is also true for
other screening instruments like the hypomania check list (HCL-32). In order to optimize the
sensitivity for bipolar II disorders, proposals for changing the MDQ screening algorithm have
been tested.
Discussion. — Even though it does not replace a thorough clinical interview, the use of screening
tools for bipolar disorder is widely advocated. We discuss the need for clinicians to rely upon
instruments allowing for a rapid and economically feasible identification of this disorder. Involving family members in the evaluation process may also increase the rate of recognition. More
studies are still required in order to improve diagnostic efficiency of the screening instruments.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Introduction
Débutant classiquement avant 25 ans, le trouble bipolaire
(TB) se caractérise à l’âge adulte par une chronicité importante, un risque élevé de suicide [36], ainsi qu’un taux
important de récidives et d’hospitalisations [3] entraînant
des conséquences parfois dramatiques sur le plan du fonctionnement socioprofessionnel et de la qualité de vie [18].
De plus, sa comorbidité avec une autre affection psychiatrique ou médicale générale est fréquente [20].
L’intérêt pour l’étude du TB dans des populations juvéniles est plus récent [2]. Une prévalence (pour TB type II et
spectre bipolaire) d’environ 6 % et de 2—15 % est rapportée
[5], respectivement dans la population générale et dans des
échantillons cliniques. Certaines études visent à mieux cerner des marqueurs potentiels prédictifs du développement
ultérieur d’un TB [22].
Enfin, chez l’adulte âgé, l’état de la recherche sur le TB
n’est guère avancé [30]. Les épisodes maniaques y semblent
moins sévères et une période moyenne de latence supérieure à 15 ans peut s’écouler entre la survenue d’un épisode
dépressif et le moment où le premier épisode maniaque est
rapporté.
Si on dispose heureusement aujourd’hui de thérapeutiques plus efficaces (médicaments, psychothérapies,
psychoéducation, . . .) pour traiter cette affection [38,42],
de gros efforts doivent toutefois encore être consentis pour
améliorer le dépistage de cette maladie susceptible de se
présenter sous des formes très variées et variables de symptômes (modifications extrêmes de l’humeur, des pensées, de
l’énergie et des comportements), rendant ainsi son diagnostic délicat. Selon deux enquêtes de la National Depressive
and Manic-Depressive Association (NDMDA), environ sept
sujets sur dix souffrant de troubles bipolaires ont reçu au
minimum un faux diagnostic et un bon nombre d’entre eux
ont attendu plus de dix ans après la survenue des symp-
tômes avant d’être correctement diagnostiqués [16,24]. Or,
Franchini, et al. [8] ont montré que l’introduction d’un traitement de lithium au cours des premières années de la
maladie s’accompagnait d’une meilleure évolution que si
celui-ci était introduit plus tardivement. De plus, Goldberg
et Ernest [10] ont rapporté une augmentation du risque suicidaire avec le délai d’introduction d’un stabilisateur de
l’humeur.
Cet article recense une série d’instruments de dépistage
du TB au sein de populations cliniques ou générales, adultes
ou juvéniles et présente brièvement quelques résultats des
études disponibles.
Instruments de dépistage chez l’adulte
Mood Disorder Questionnaire
Le Mood Disorder Questionnaire (MDQ) [13] est le premier
outil développé spécifiquement pour reconnaître la présence sur la vie de symptômes du TB de types I et II.
Il s’agit d’un autoquestionnaire constitué de 13 items en
réponse oui/non, tirés de critères diagnostiques (DSM-IV)
et de l’expérience clinique. En complément à ces items,
deux questions additionnelles portent respectivement sur la
co-occurrence éventuelle de ces symptômes au cours d’une
même période de temps et sur le degré de perturbation
du fonctionnement de l’individu imputable aux symptômes.
Un score positif en faveur de la présence d’un TB requiert
qu’au moins sept des items soient admis par le patient,
qu’au moins certains de ces items co-apparaissent et que les
symptômes donnent lieu à des perturbations psychosociales
d’intensité au minimum modérée. Il est à ce jour traduit
et validé en plusieurs langues, notamment en français, en
italien, en finlandais et en turc [12,19,23,37]. Le Tableau 1
présente plusieurs études s’y rapportant à ce jour, dans sa
572
Tableau 1
B. Weber-Rouget, J.-M. Aubry
Sensibilité et spécificité selon les études de quelques instruments de dépistage du TB chez l’adulte et l’enfant.
Seuils diagnostiques
MDQ
Hirschfeld et al. 2000 [13]
Bipolaires versus unipolaires
Hirschfeld et al. 2003 [15]
Bipolaires versus unipolaires
Weber Rouget et al. 2005 [37]
Bipolaires versus unipolaires
Bipolaires type I
Bipolaires type II
Bipolaires versus unipolaires (algorithme
modifié)
Bipolaires type I (algorithme modifié)
Bipolaires type II (algorithme modifié)
Hardoy et al. 2005 [12]/Carta et al. 2006 [7]
Bipolaires versus unipolaires
Bipolaires type II
Isometsä et al. 2003 [19]
Bipolaires versus Unipolaires
Miller et al. 2004 [27]
Bipolaires versus unipolaires
Bipolaires type I
Bipolaires type II et NOS
Konuk et al. 2007 [23]
Bipolaires versus unipolaires
MDQ-A
Wagner et al. 2006 [35]
Version parent-report
Version self-report
Version attributional report
HCL-32
Angst et al. 2005 [1]
Bipolaires versus unipolaires
Carta et al. 2006 [7]
Bipolaires versus unipolaires
Bipolaires type II versus unipolaires
Vieta et al. 2007 [34]
Bipolaires versus unipolaires
Wu et al. 2008 [39]
Bipolaires versus unipolaires
Sept items, co-occurrence et perturbations
modérées ou sévères
Sept items, co-occurrence et perturbations
modérées ou sévères
Sept items, co-occurrence et perturbations
modérées ou sévères
Sept items, co-occurrence et perturbations
mineures, modérées ou sévères
Sensibilité
Spécificité
0,73
0,90
0,28
0,97
0,74
0,99
0,52
0,87
0,91
0,86
0,97
0,76
Six items
Sept items, co-occurrence et perturbations
modérées ou sévères
Sept items, co-occurrence et perturbations
modérées ou sévères
Sept items, co-occurrence et perturbations
modérées ou sévères
> 5 items, co-occurrence et perturbations
modérées ou sévères
0,76
0,55
0,86
0,65
0,85
0,47
0,58
0,69
0,30
0,67
0,64
0,77
0,72
0,38
0,38
0,81
0,73
0,74
0,80
0,51
0,85
0,80
0,61
0,54
0,85
0,79
0,82
0,67
14 items
12 items
14 items
14 items
CBQ
Papolos et al. 2006 [28]
Bipolaires versus non-bipolaires
Algorithms variables selon les phénotypes
(TB, TB + THADA, THADA)
0,76
0,97
Conners Abbreviated Parent Quest
Tillman et al. 2005 [32]
Bipolaires versus non-bipolaires
Résultats de la formule d’algorithm ≥ 6, ≥ 8
et ≥ 9, selon tranches d’âge
0,73
0,86
version pour adulte et celle pour adolescent (MDQ-A) et
inclut également les résultats obtenus pour d’autres instruments cités plus loin.
Dans un groupe de patients psychiatriques ambulatoires
[13], le MDQ identifie correctement sept patients sur dix
présentant un TB (sensibilité) et écarte neuf patients sur dix
n’en souffrant pas (spécificité). Une seconde étude de validation du MDQ [15], conduite sur une population générale
[14] conclut à une moins bonne sensibilité de l’instrument,
le MDQ ne reconnaissant alors que trois individus sur dix avec
un TB. Il permet toutefois toujours d’exclure correctement
la grande majorité des patients n’en souffrant pas. Parmi
les sujets soignés cette fois pour dépression dans un service
de médecine générale, la sensibilité et la spécificité du MDQ
étaient respectivement de 0,58 et de 0,93 [17]. Environ deux
tiers d’entre eux n’avaient jamais reçu un diagnostic de TB.
Dépistage des troubles bipolaires : une revue de la littérature
On peut encore signaler la difficulté du MDQ de repérer
les individus ne remplissant pas totalement les critères d’un
TB de type I (type II ou cas subsyndromaux).
Parmi les autres recherches portant sur le MDQ, la validation de la version française [37] a permis de confirmer les
conclusions de l’étude américaine originale portant sur une
population clinique similaire : le MDQ identifiait correctement sept patients sur dix présentant un TB. Sa sensibilité
était meilleure pour les bipolaires de type I parmi lesquels le MDQ dépistait correctement neuf sujets sur dix,
que pour ceux de type II dont la moitié seulement étaient
correctement identifiés. Parmi les autres caractéristiques
psychométriques du MDQ, cette étude permit de confirmer
la cohérence interne de l’instrument et de vérifier sa bonne
stabilité (fidélité test-retest), jamais calculée auparavant.
573
d’un seuil diagnostique de 21 items. Au sein d’une population psychiatrique adulte ambulatoire, le HCL-32 dans
sa version espagnole [34] identifiait correctement, avec
un seuil diagnostique optimal de 14 items, huit patients
sur dix souffrant de cette affection (sensibilité de 0,85)
et excluait la grande majorité des sujets n’en souffrant
pas (spécificité de 0,79). Notons par ailleurs dans cette
étude une excellente corrélation entre le MDQ et le HCL-32
(r = 0,84, p < 0,01) et fidélité test-retest pour ces deux
instruments. La sensibilité et spécificité du MDQ en version
espagnole rapportées indiquent que, comparativement au
HCL-32, cet instrument dispose d’une meilleure spécificité
mais d’une sensibilité moindre. Avant de pouvoir tirer des
conclusions définitives quant au HCL-32, il convient toutefois d’attendre les résultats des travaux en cours sur les
versions dans les autres langues, ainsi que de tester encore
cet instrument sur d’autres populations générales [26].
Hypomania Checklist
À part le MDQ, d’autres instruments ont été développés
en vue d’améliorer le dépistage du TB chez l’adulte. C’est
le cas notamment du Hypomania Checklist (HCL) de Angst
et al. [1], autoquestionnaire plus spécifiquement conçu
pour dépister l’hypomanie chez l’adulte. Il repose sur une
vision dimensionnelle du spectre bipolaire, allant d’une
élévation normale de l’humeur à l’hypomanie et à la manie.
Dans une première étude française, une version à 20 items
(HCL-20) fut testée et permit de doubler le nombre de
sujets bipolaires identifiés [11]. Afin d’implémenter sur le
plan international une version standardisée du HCL, une
nouvelle version (HCL-32) fut proposée, qui comprend les
items d’origine de même que des questions additionnelles
permettant d’améliorer la reconnaissance de l’hypomanie.
Cette version, se composant de 32 items en réponse
oui/non, examine également la durée des symptômes,
les conséquences personnelles et sociales des symptômes
d’hypomanie et prend en considération l’état thymique
actuel du patient (élevé ou bas) en tant que variable
susceptible de biaiser ses réponses. Enfin, certains items
abordent la question de l’insight, en d’autres termes,
la reconnaissance ou déni par le patient de sa maladie.
Disponible en de multiples langues (anglaise, française,
allemande, italienne, espagnole, portugaise, suédoise, norvégienne, hollandaise, flamande, polonaise, russe, croate,
grecque et chinoise), il fait l’objet d’études de validation
sur le plan international. Les premiers résultats publiés à
ce jour et portant sur la version italienne et suédoise du
HCL-32 semblent encourageants [1,7]. La validation de la
version chinoise [39] menée sur des patients psychiatriques
souffrant de troubles de l’humeur, suivis en ambulatoire
ou hospitalisés, va dans le même sens. Dans une population
adulte de patients psychiatriques, un seuil diagnostique de
14 items ou plus, aboutissait à la meilleure combinaison de
sensibilité (80 %) et de spécificité (51 %) dans la distinction
des sujets bipolaires de ceux souffrant de dépression
majeure unipolaire [1]. Par ailleurs, bien que ne permettant pas de distinguer les différents sous-types bipolaires
I ou II entre eux, le HCL-32 semblait, comparativement
au MDQ, mieux détecter les troubles bipolaires type II
[7]. Dans l’étude de la version chinoise, cet instrument
distingue entre eux les sous-types bipolaires I ou II, avec
une sensibilité de 64 % et une spécificité de 73 %, sur la base
Bipolar Spectrum Diagnostic Scale
Le Bipolar Spectrum Diagnostic Scale (BSDS) [9] consiste en
un texte sur une page relatant des expériences typiques
de fluctuations de l’humeur. Il est demandé au patient
de cocher chacune des phrases correspondant à sa propre
expérience. Sur une population psychiatrique adulte ambulatoire, la sensibilité et la spécificité du BSDS étaient de
0,73 et de 0,90, soit identiques à celles du MDQ dans l’étude
originale de validation [13] sur un échantillon comparable.
Instruments de dépistage chez l’enfant et
l’adolescent
Pour le dépistage du TB dans l’enfance et l’adolescence,
il existe plusieurs instruments, certains déjà traduits mais
à notre connaissance pas encore validés en français. Dans
un article comparatif de six instruments prometteurs [40],
on trouve le MDQ pour adolescent, utilisé dans ses versions complétées par l’adolescent (A-MDQ) ou par ses
parents (P-MDQ). Deux autres instruments, le Young Mania
Rating Scale (YMRS) et le General Behavior Inventory, eux
aussi sous formes d’autopassation (AGBI à 28 items) ou
d’hétéropassation en version abrégée à 10 items (PGBI-SF10)
sont également examinés. Les résultats de cette étude portant sur un échantillon de patients ambulatoires (N = 262)
âgés de 5 à 17 ans, montrent que comparés aux réponses
à des entretiens diagnostiques semi-structurés, les instruments complétés par les parents discriminent les sujets
bipolaires de ceux ne souffrant pas de cette affection et
sont plus performants que dans leur formes en autopassation. De manière générale, le questionnaire le plus efficace
est le PGBI-SF10, suivi par le P-MDQ et le P-YMRS. Notons
des performances différentes de certains instruments selon
le groupe d’âge considéré (5—10 ans versus 11—17 ans). Si
aucune différence significative n’apparaît entre le P-MDQ
et le PGBI-SF10 quel que soit le groupe d’âge, ce dernier
instrument est plus performant que les trois instruments
en autopassation, ainsi que le P-YMRS chez les 11 à 17 ans.
Chez les plus jeunes (5—10 ans), le PGBI-SF10 est également
plus efficace que le P-YMRS. La supériorité de l’estimation
des parents sur celle du jeune lui-même dans le dépistage de son TB se confirme dans l’étude spécifique du MDQ
574
dans sa forme pour adolescent (MDQ-A) tel que testé sur
une population juvénile (N = 104), âgée de 12 à 16 ans, suivie en ambulatoire dans quatre cliniques psychiatriques des
États-Unis [35]. Trois versions du MDQ-A y sont étudiées :
une s’adressant aux parents (parent report), une complétée directement par l’enfant ou l’adolescent (self-report) et
une troisième complétée aussi par l’enfant ou l’adolescent
mais en indiquant comment il pense que ses enseignants ou
ses pairs le décriraient (attributional-report). Les scores au
MDQ sont comparés aux réponses à un entretien diagnostique semi-structuré (K-SADS-PL) mené par un interviewer
entraîné, aveugle aux résultats du MDQ. Si parents et
enfants admettent le même nombre de symptômes, leur avis
divergent en revanche pour la troisième question portant sur
le degré de perturbation du fonctionnement imputable aux
symptômes et à laquelle les parents rapportent plus de perturbations psychosociales d’intensité modérée à sévère que
leur progéniture (66 % versus 47 %, p = 0,008). Pour l’étude de
la sensibilité et spécificité des trois versions du MDQ-A dans
cette étude, les auteurs utilisent le seuil diagnostique optimal de cinq symptômes admis. Comparé au MDQ (Tableau 1)
validé par Hirschfeld et al. dans une population adulte similaire [13] et pour sa traduction et validation en français par
Weber Rouget et al. [37], le MDQ-A dans sa version parent
bénéficie d’une sensibilité identique et d’une spécificité très
proche, bien qu’inférieure.
Child Bipolar Questionnaire
Le Child Bipolar Questionnaire (CBQ), instrument de dépistage développé par une équipe américaine [28] pour faciliter
le recrutement des sujets dans des études sponsorisées par
la Fondation de recherche sur le TB juvénile (Juvenile Bipolar Research Foundation), a été conçu initialement sous
forme d’un autoquestionnaire de 85 items à compléter par
les parents. Dans sa version finale recouvrant 65 symptômes
ou comportements et traduit à ce jour en français, espagnol, polonais et portugais (pas de validation publiée à notre
connaissance dans ces langues), cet instrument identifie correctement 76 % des enfants bipolaires (sensibilité) et exclut
l’essentiel (spécificité de 97 %) des enfants n’en souffrant
pas. Classant correctement la quasi-totalité des sujets libres
de toute affection psychiatrique (97 %), il reconnaît aussi
67 % des patients souffrant de trouble d’hyperactivité avec
déficit de l’attention (ADHD) sans comorbidité bipolaire. En
ce qui concerne les sujets bipolaires avec ou sans ADHD
comorbide, le CBQ reconnaît 77 % des sujets avec comorbidité d’ADHD et 68 % de ceux sans ADHD. Il convient enfin de
mentionner les conditions d’administration simples de cet
instrument (complété en une dizaine de minutes et même
par Internet), ce qui parle en faveur de son usage aisé à des
fins cliniques et de recherche.
Child Behavior Checklist
Le Child Behavior Checklist (CBCL-6-18) d’Achenbach est
cité par Youngstrom et al. [41] comme étant l’instrument le
plus largement utilisé, dans des échantillons tant cliniques
que de recherche, pour comparer des phénotypes issus de
divers sites. Il s’agit d’une mesure complétée par les parents
(ou autre figure significative) afin d’évaluer les compétences
B. Weber-Rouget, J.-M. Aubry
sociales (participation de l’enfant à des activités sportives,
jeux, loisirs et contacts sociaux) et les problèmes comportementaux/émotionnels de l’enfant de 6 à 18 ans. Le CBCL
inclut 118 items se rapportant à d’éventuels troubles internalisés (anxiété, dépression, problèmes somatiques,. . .) ou
externalisés (opposition, agressivité, délinquance). En tout,
huit problèmes ou syndromes sont identifiés : retrait, somatisation, anxiété/dépression, problèmes sociaux, troubles
psychologiques, troubles de l’attention, comportements
délinquants et comportements agressifs. La validation en
langue française du CBCL a été réalisée par Vermeersch
et al. [33]. Dans le cadre du TB, le CBCL présente toutefois le désavantage de ne pas porter véritablement sur la
manie.
Conners’ Abbreviated Parent Questionnaire
Le Conners’ Abbreviated Parent Questionnaire, complété
par les parents, est un instrument en dix items développé
pour examiner l’hyperactivité avec déficit d’attention
(ADHD). En 2005, Tillman et Geller [32] l’utilisent comme
outil de screening du TB en phase prépubertaire et de début
d’adolescence. Ils le proposent aux parents d’un échantillon
âgé de sept à 16 ans, composé de sujets bipolaires, de sujets
souffrant d’ADHD et de sujets témoins sains. Les sujets
bipolaires obtiennent des scores plus élevés que l’autre
sous-échantillon clinique, sur les items sept, huit, neuf et
dix de l’échelle. Les auteurs proposent alors un algorithme
de screening permettant d’identifier correctement 73 %
des sujets du sous-échantillon clinique bipolaire, avec une
spécificité de 0,86, performances de détection comparables, comme le soulignent justement ces auteurs, à celles
obtenues à l’aide du MDQ dans une population adulte.
Discussion
Le recours aux outils de dépistage doit permettre de faciliter
la reconnaissance de l’existence d’un TB chez la personne
qui en présente actuellement les symptômes, mais également lorsque aucun signe d’hypomanie n’est objectivable
sur le moment. Toutefois, l’instrument de screening ne doit
donc pas être utilisé en lieu et place, mais en complément
de l’entretien clinique.
Un point qui mérite notre attention est celui du moment
le plus approprié pour interviewer le patient. Que savonsnous de l’indépendance ou non des réponses aux outils de
dépistage par rapport à l’état thymique du sujet au moment
de la passation ? Il serait en effet gênant que les scores
obtenus varient en fonction de l’humeur, avec des banalisations ou amplifications des symptômes présentés selon que
le sujet se trouve en phase de décompensation maniaque
ou dépressive. À ce stade, nous ne pouvons encore exclure
l’influence de l’état thymique du sujet sur ses réponses à
des outils de screening. En ce qui concerne le MDQ, selon les
études menées à ce jour, les populations considérées étaient
en rémission [4] ou non [13]. L’impact de symptômes hypomanes ou maniaques sur les réponses au HCL-32 ne peut
être négligé [39]. Et comme le souligne Benazzi [6], on peut
se poser la question de la fiabilité des réponses concernant des épisodes passés d’hypomanie lorsqu’on interroge
des patients présentant un épisode dépressif majeur sévère
Dépistage des troubles bipolaires : une revue de la littérature
(biais cognitifs négatifs conduisant à ne pas se rappeler de
moments positifs ou à en minimiser l’ampleur). Sachant
que la persistance de symptômes dépressifs ou maniaques
semblent affecter, par exemple, l’autoévaluation faite par
le sujet de sa qualité de vie [29], il est souhaitable que la
passation d’instruments de screening se fasse en période
euthymique [4]. Le problème rencontré alors est l’absence
ou la brièveté des phases totalement libres de symptômes
(symptômes résiduels subsyndromiques fréquents), tel que
le rapportent Maina et al. [25].
Une autre préoccupation a trait à la distinction claire
entre outils de dépistage et outils mesurant la sévérité d’une
symptomatologie. C’est le cas notamment du YMRS, cité
selon nous à tort comme outil de screening dans l’étude sur
le TB juvénile [40]. Il arrivera ainsi qu’une personne complétant au même moment ces deux types d’instrument, puisse
être positive au MDQ, tout en ayant un score infraclinique
au YMRS. Cela semble d’ailleurs être le cas concernant le
HCL-32, aucune corrélation n’étant trouvée avec le YMRS
complété simultanément à l’entrée dans une étude [34].
Cette même étude rapportait également l’indépendance
entre le HCL-32 et la polarité du dernier épisode présenté
(maniaque, hypomane, mixte ou dépressif).
Il s’agit également de tenir compte de la variation possible de la valeur prédictive positive d’un instrument de
dépistage selon la population étudiée. Ainsi, la valeur trouvée dans un échantillon ne permet pas d’estimer avec
certitude la prévalence de l’affection concernée dans un
autre groupe, si celui-ci est trop différent. Comme relevé
par Kessler et al. [21], c’est le cas notamment lorsqu’on
passe d’une étude sur une population générale à un échantillon plus spécifique de médecine générale, voire encore
spécialisé de santé mentale, la valeur prédictive positive
trouvée devenant généralement de plus en plus importante.
La mise à disposition d’outils de dépistage brefs doit encourager d’y recourir plus systématiquement. La brièveté d’un
instrument ne va pas forcément de paire avec une sensibilité et spécificité réduites, comme le montre la comparaison
entre une version abrégée ou longue d’un même outil, à
savoir le PGBI [40]. Il est toutefois vrai que l’usage d’outil
couvrant un plus grand nombre d’items peut permettre de
dépister plusieurs entités diagnostiques, comme c’est le cas
avec le CBQ. C’est alors au clinicien de sélectionner celui
qui lui semble le plus fiable et utile pour la population traitée ou pour le contexte clinique ou de recherche. L’usage de
tels instruments pourraient aussi permettre d’alerter quant
à des risques suicidaires, Stang et al. [31] rapportent un
risque important (19 % de risque élevé et 47 % de risque
moyen) parmi les sujets positifs au MDQ dans un service
psychiatrique.
Remerciements
À Mme Sandra Ter Pelle pour son assistance précieuse lors
de la préparation du manuscrit.
Références
[1] Angst J, Adolfsson R, Benazzi F, et al. The HCL-32: towards a
self-assessment tool for hypomanic symptoms in outpatients.
J Affect Disord 2005;88:217—33.
575
[2] Bailly D. Le trouble bipolaire existe-t-il chez l’enfant et
l’adolescent ? Encéphale 2006;32:S501—5.
[3] Bellivier F. Évolution du trouble bipolaire. Encéphale
2006;32:S506—10.
[4] Benazzi F. Improving the mood disorder questionnaire to detect
bipolar II disorder. Can J Psychiatry 2003;48:770—1.
[5] Benazzi F. Bipolar disorder-focus on bipolar II disorder and
mixed depression. Lancet 2007;369:935—45.
[6] Benazzi F. Challenging DSM-IV criteria for hypomania: diagnosing based on number of no-priority symptoms. Eur Psychiatry
2007;22:99—103.
[7] Carta MG, Cardia C, Mannu F, et al. The high frequency of
manic symptoms in fibromyalgia does influence the choice of
treatment ? Clin Pract Epidemol Ment Health 2006;2:36.
[8] Franchini L, Zanardi R, Smeraldi E, et al. Early onset of lithium
prophylaxis as a predictor of good long-term outcome. Eur Arch
Psychiatry Clin Neurosci 1999;249:227—30.
[9] Ghaemi SN, Miller CJ, Berv DA, et al. Sensitivity and specificity
of a new bipolar spectrum diagnostic scale. J Affect Disord
2005;84:273—7.
[10] Goldberg JF, Ernst CL. Features associated with the delayed
initiation of mood stabilizers at illness onset in bipolar disorder.
J Clin Psychiatry 2002;63:985—91.
[11] Hantouche EG, Angst J, Akiskal HS. Factor structure of hypomania: interrelationships with cyclothymia and the soft bipolar
spectrum. J Affect Disord 2003;73:39—47.
[12] Hardoy MC, Cadeddu M, Murru A, et al. Validation of the italian version of the ‘‘mood disorder questionnaire’’ for the
screening of bipolar disorders. Clin Pract Epidemol Ment Health
2005;1:8.
[13] Hirschfeld RM, Williams JB, Spitzer RL, et al. Development
and validation of a screening instrument for bipolar spectrum
disorder: the Mood disorder questionnaire. Am J Psychiatry
2000;157:1873—5.
[14] Hirschfeld RM, Calabrese JR, Weissman MM, et al. Screening for bipolar disorder in the community. J Clin Psychiatry
2003;64:53—9.
[15] Hirschfeld RM, Holzer C, Calabrese JR, et al. Validity of the
mood disorder questionnaire: a general population study. Am J
Psychiatry 2003;160:178—80.
[16] Hirschfeld RM, Lewis L, Vornik LA. Perceptions and impact
of bipolar disorder: how far have we really come ? Results of
the national depressive and manic-depressive association 2000
survey of individuals with bipolar disorder. J Clin Psychiatry
2003;64:161—74.
[17] Hirschfeld RM, Cass AR, Holt DC, et al. Screening for bipolar
disorder in patients treated for depression in a family medicine
clinic. J Am Board Fam Pract 2005;18:233—9.
[18] Huxley N, Baldessarini RJ. Disability and its treatment in bipolar disorder patients. Bipolar Disord 2007;9:183—96.
[19] Isometsa E, Suominen K, Mantere O, et al. The mood disorder questionnaire improves recognition of bipolar disorder in
psychiatric care. BMC Psychiatry 2003;3:8.
[20] Kahn JP. Comorbidités et troubles bipolaires. Encéphale
2006;32:S511—4.
[21] Kessler RC, Akiskal HS, Angst J, et al. Validity of the assessment
of bipolar spectrum disorders in the WHO CIDI 3.0. J Affect
Disord 2006;96:259—69.
[22] Kochman FJ, Hantouche EG, Ferrari P, et al. Cyclothymic
temperament as a prospective predictor of bipolarity and suicidality in children and adolescents with major depressive
disorder. J Affect Disord 2005;85:181—9.
[23] Konuk N, Kiran S, Tamam L, et al. Validation of the Turkish version of the mood disorder questionnaire for screening bipolar
disorders. Turk Psikiyatri Derg 2007;18:147—54.
[24] Lish JD, Dime-Meenan S, Whybrow PC, et al. The National
depressive and manic-depressive association (DMDA) survey of
bipolar members. J Affect Disord 1994;31:281—94.
576
[25] Maina G, Albert U, Bellodi L, et al. Health-related quality of
life in euthymic bipolar disorder patients: differences between
bipolar I and II subtypes. J Clin Psychiatry 2007;68:207—12.
[26] Meyer TD, Hammelstein P, Nilsson LG, et al. The Hypomania Checklist (HCL-32): its factorial structure and association
to indices of impairment in German and Swedish nonclinical
samples. Compr Psychiatry 2007;48:79—87.
[27] Miller CJ, Klugman J, Berv DA, et al. Sensitivity and specificity of the mood disorder questionnaire for detecting bipolar
disorder. J Affect Disord 2004;81:167—71.
[28] Papolos D, Hennen J, Cockerham MS, et al. The child bipolar
questionnaire: a dimensional approach to screening for pediatric bipolar disorder. J Affect Disord 2006;95:149—58.
[29] Piccinni A, Catena M, Del Debbio A, et al. Health-related quality
of life and functioning in remitted bipolar I outpatients. Compr
Psychiatry 2007;48:323—8.
[30] Sajatovic M, Blow FC. Epidemiology of bipolar disoder in late
life. In: Bipolar disorder in later life. Baltimore, MD: John Hopkins University Press; 2007, 3—16.
[31] Stang P, Frank C, Ulcickas Yood M, et al. Impact of Bipolar Disorder: Results From a Screening Study. Prim Care Companion. J
Clin Psychiatry 2007;9:42—7.
[32] Tillman R, Geller B. A brief screening tool for a prepubertal and
early adolescent bipolar disorder phenotype. Am J Psychiatry
2005;162:1214—6.
[33] Vermeersch S, Fombonne E. Le child behaviour checklist : résultats préliminaires de la standardisation de la version française.
Neuropsychiatr Enfance Adolesc 1997;45:615—20.
[34] Vieta E, Sanchez-Moreno J, Bulbena A, et al. Cross validation
with the mood disorder questionnaire (MDQ) of an instru-
B. Weber-Rouget, J.-M. Aubry
[35]
[36]
[37]
[38]
[39]
[40]
[41]
[42]
ment for the detection of hypomania in Spanish: The 32
item hypomania symptom check list (HCL-32). J Affect Disord
2007;101:43—55.
Wagner KD, Hirschfeld RM, Emslie GJ, et al. Validation of the
Mood Disorder Questionnaire for bipolar disorders in adolescents. J Clin Psychiatry 2006;67:827—30.
Walter M, Genest P. Les complications du trouble bipolaire.
Encéphale 2006;32:S515—8.
Weber Rouget B, Gervasoni N, Dubuis V, et al. Screening for bipolar disorders using a French version of the
Mood Disorder Questionnaire (MDQ). J Affect Disord 2005;88:
103—8.
Weber Rouget B, Aubry JM. Efficacy of psychoeducational
approaches on bipolar disorders: a review of the literature.
J Affect Disord 2007;98:11—27.
Wu YS, Angst J, Ou CS, et al. Validation of the Chinese version of the Hypomania Checklist (HCL-32) as an instrument
for detecting hypo(mania) in patients with mood disorders. J
Affect Disord 2008;106:133—43.
Youngstrom E, Meyers O, Demeter C, et al. Comparing
diagnostic checklists for pediatric bipolar disorder in academic and community mental health settings. Bipolar Disord
2005;7:507—17.
Youngstrom E, Youngstrom JK, Starr M. Bipolar diagnoses
in community mental health: Achenbach child behavior
checklist profiles and patterns of comorbidity. Biol Psychiatry
2005;58:569—75.
Zaretsky AE, Rizvi S, Parikh SV. How well do psychosocial interventions work in bipolar disorder ? Can J Psychiatry
2007;52:14—21.