A Deauville : Abel Ferrara ressuscite Pasolini (et inversement)

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A Deauville : Abel Ferrara ressuscite Pasolini (et inversement)
Fiche n° 1232
PASOLINI
De Abel Ferrara
Du 14 au 20 Janvier 2015
PASOLINI
de ABEL FERRARA
Sortie nationale :31 DECEMBRE 2014
Durée :1H24
A Deauville
: Abel Ferrara
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ressuscite Pasolini (et
inversement)...
Les dernières heures du cinéaste italien,
filmées avec peu de moyens, mais un
dévouement intégral. Willem Dafoe en sort
sublimé.
A Deauville, c'est un peu le film qu'on n'attendait pas, montré le jour où la majorité des festivaliers
guettait un autre biopic, celui de James Brown. Montant sur scène, devant une salle pas très pleine, avant la
projection de son Pasolini, Abel Ferrara, mi-vexé, mi-blagueur s'est pris pour le roi de la soul. « Is everybody
feeling all right ? » a lancé le cinéaste, comme James Brown au début de ses concerts...
Et puis le film a débuté, montrant – un peu contre toute attente, après le canular cannois de Welcome to New
York – la résurrection d'un cinéaste via l'adoration d'un autre. Faut-il employer le mot de transsubstantiation ?
Ce qu'Abel Ferrara fait des derniers jours de Pier Paolo Pasolini, mort assassiné sur une plage
d'Ostie un rude soir de novembre 1975, déroute, intrigue, surprend, fascine puis finit par faire surgir une
émotion intense. Et fait entendre la voix prophétique de Pasolini, qui annonçait quelque chose comme la
faillite des sociétés capitalistes occidentales – peut-être celle que nous vivons actuellement.
Au cœur du film, il y a Willem Dafoe : bien sûr, ses traits singuliers évoquent ceux du
poète italien. Mais ici, sans moumoute et maquillage – l'inverse de l'hommage à James Brown – il s'agit
d'interprétation et non de mimétisme. Ce qui passe sur son visage, magnifié comme tous ceux du film par la
formidable photo de l'Italien Stefano Falivene, c'est une intensité, une intégrité, un dévouement acharné au
travail de la pensée et de la création, une idée d'être soi-même jusqu'au bout – même quand le bout est la mort.
Ces dernières heures de sursis, Abel Ferrara les nourrit de plusieurs travaux de Pasolini :
le grand roman inachevé des combinazione à l'italienne, Petrolio – celui qui, peut-être, scella son sort tragique
– le scénario de Porno-Teo-Kolossal, récit fabuleux de la quête d'un nouveau Messie, sa dernière interview,
des lettres, etc. On ne peut pas dire que la parole du poète soit toujours intelligible, mais la magie opère et
singulièrement via les comédiens, tous engagés dans la même volonté de rendre hommage à Pasolini –
un labor of love, diraient les Anglo-saxons.
D'ailleurs, on s'en fiche de passer aléatoirement de l'anglais à l'italien. Les scènes de famille sont magnifiques.
Adriana Asti dans le rôle de la mère, Maria de Medeiros dans celui de Laura Betti, et un repas en
commun suffit à donner l'impression du clan.
Les moments « à la manière de » Pasolini cinéaste sont savoureux, notamment les scènes de Porno-TeoKolossal. Ninetto Davoli, l'acteur fétiche de Pasolini joue aux côtés de Riccardo Scamarcio, le beau gosse aux
yeux bleus du cinéma italien d'aujourd'hui qui incarne... Ninetto jeune. Leur foi est communicative. Pas
besoin d'être un expert en Pasolini pour ressentir l'émotion qui monte peu à peu, et que Ferrara obtient avec
des moyens qu'on jugerait ridicules chez d'autres – en bande son, la Callas succède à un classique du
Napolitain Roberto Murolo. La balade finale et son épilogue familial tirent les larmes. Les mêmes, au fond,
que Nanni Moretti provoquait dans Journal intime, refaisant, en vespa, le trajet nocturne de l'Alfa Romeo de
PPP. Pasolini sort le 31 décembre : d'ici là, on a envie de tout voir, tout lire, ce qu'on a bêtement négligé du
plus scandaleux, du plus visionnaire des cinéastes italiens.
Aurélien Ferenczi pour TELERAMA septembre 2014
Filmographie Abel Ferrara
 1976 : Nine Lives of a Wet Pussy (sous le pseudonyme de Jimmy Boy L.)
 1979 : Driller Killer (The Driller Killer)
 1981 : L'Ange de la vengeance (Ms. 45)
 1984 : New York, deux heures du matin (Fear City)
 1987 : China Girl
 1989 : Cat Chaser
 1990 : The King of New York (King of New York)
 1992 : Bad Lieutenant
 1993 : Body Snatchers, l'invasion continue (Body Snatchers)
 1993 : Snake Eyes (Dangerous Game)
 1995 : The Addiction
 1996 : Nos funérailles (The Funeral)
 1997 : The Blackout
 1998 : New Rose Hotel
 2001 : Christmas ('R Xmas)
 2005 : Mary
 2007 : Go Go Tales
 2008 : Chelsea Hotel (en) (Chelsea on the Rocks) (documentaire)
 2009 : Napoli, Napoli, Napoli
 2010 : Mulberry St. (documentaire)
 2011 : 4h44 Dernier jour sur terre (4:44 - Last Day on Earth)
 2014 : Welcome to New York
 2014 : Pasolini
Willem Dafoe se tourne vers le théâtre à l'âge de 20 ans et intègre une troupe de Milwaukee avec laquelle il
se rend jusqu'à New York. Là bas, il rencontre sa future femme, Elizabeth Lecompte, avec qui il monte une
compagnie de théâtre de type expérimental, le Wooster Group. En 1980, après une première expérience dans
'Les Portes du Paradis' de Michael Cimino, il est choisi pour tenir le premier rôle du remake de 'L'Equipée
sauvage', réalisé par Kathryn Bigelow et Mont Montgomery. Le film n'obtient qu'un succès critique mais les
gens du métier ont remarqué cet homme au physique particulier et au regard fiévreux. Habitué aux rôles de
dur, il change de registre avec 'Platoon' d'Oliver Stone en 1986, et sa notoriété publique grandit. Willem Dafoe
aime le risque et choisit d'endosser des rôles complexes, comme Jesus dans 'La Dernière tentation du Christ'
(1988) ou un jeune agent du FBI dans 'Mississippi Burning'. Les années 1990 lui sont moins favorables, il
enchaîne les seconds rôles dans des films multi-oscarisés tel que 'Le Patient Anglais' (1996) mais figure
également dans des bides comme 'Speed 2' (1997). Pourtant, il reste un acteur fétiche du cinéma underground,
tourne pour David Lynch ('Sailor et Lula', 1990) , Lars Von trier ('Manderlay', 2005) , David Cronenberg
('Existenz', 1999) , Abel Ferrara ('New Rose Hotel' , 1998 et 'Go Go Tales en 2007 )
Cette même semaine au Cinémateur :
RETOUR A ITHAQUE de Laurent Cantet (F)
Et du 21 au 27 janvier LES REGLES DU JEU documentaire (f) de Claudine Bories et Patrice Chagnard
Et QUEEN AND COUNTRY de John Boorman (usa)