Mise en page 1 - Trek Segafredo
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Mise en page 1 - Trek Segafredo
FABIAN CANCELLARA BRUNO BADE/L’ÉQUIPE À LA UNE le Tour de France, l’année passée, car ce n’est pas bien pour ma femme et mes enfants. Quand je me revois sur le podium de Milan-San Remo 2014, par exemple, tournant le dos à Alexander Kristoff, c’est dur car, en terminant 2e, je suis le premier des losers… Mais ce n’est que du sport. Cette image est forte car, au fond de moi, à ce moment précis, je n’ai pas encore accepté la défaite. Il me faudra une heure ou deux pour digérer ! Je ne serai jamais champion du monde sur la route. On me le répète souvent depuis quelque temps. C’est comme ça ! Michele Bartoli a dit un jour : « Je n’ai pas été champion du monde mais ça n’a pas changé fondamentalement ma vie ! » Je pense la même chose. Est-ce que mon existence d’après carrière sera différente si j’avais été champion du monde ? Je sais que non. Mon palmarès, oui, mais pas ma vie ! Ma dernière chance de gagner ce titre sur l’épreuve en ligne était à Richmond l’année passée, mais je préfère ne pas y avoir été que de n’avoir pu combattre. La fatigue mentale était trop forte après mes déboires sur la Vuelta… VM : Vous parlez de fatigue mentale, il semble que vous l’ayez remarquablement domptée. Ces dix dernières années, vous avez réussi à rester au top physiquement. Seules les chutes sont venues contrarier vos niveaux de performance. Vous avez un secret ? 38 / VÉLOMAGAZINE n° 537 / Février 2016 « J’AI TOUJOURS SU ASSOCIER CYCLISME ET PLAISIR, C’EST TELLEMENT IMPORTANT POUR ESPÉRER DURER. » F.C. : On en revient toujours à la même chose quand il faut récupérer physiquement. J’ai toujours pris le temps de bien récupérer à la fin des saisons. Il m’est arrivé, certains hivers, de faire six à sept semaines sans toucher au vélo. C’est énorme dans le cyclisme actuel. Et, après les classiques, j’ai toujours pris mon temps pour remettre en route la machine, c’est indéniable. Après, durant ma carrière, j’ai toujours su associer cyclisme et plaisir, c’est tellement important pour espérer durer. Je veux que cette dernière saison soit fun, sans stress. Je ne veux pas trop réfléchir non plus… comme à mes 22 ans quoi (rires) ! VM : C’est vivre cette dernière saison à l’instinct, quoi ! Ce même instinct qui a guidé votre manière de courir toute votre carrière ? F.C. (silence avec hochement de tête) : Oui, c’est juste. C’est aussi mon instinct qui m’a fait comprendre que c’était aussi le bon moment de raccrocher fin 2016. J’aurais pu signer un dernier bon contrat et courir jusqu’à 38 ans. Le vélo m’a permis de vivre des choses que je n’aurais jamais connues dans une vie dite normale, mais il y a des choses qui ne s’achètent pas. Quand je suis chez moi et que j’ai une heure où je n’ai rien à faire pour le vélo, ce qui est rare, je dis à ma femme : « Mais qu’est-ce que je peux faire ? » Et au final je ne sais pas par quoi commencer. Il y a tellement de choses liées au vélo à régler, tout le temps, même chez moi. Bref, ma femme et mes enfants ont leur vie et, finalement, moi la mienne. C’est ça la vérité, il faut le dire. Alors, mon instinct me dit d’arrêter et il m’a toujours bien guidé jusqu’à maintenant… VM : Comme sur le vélo ? F.C. : Oui, quand je décide de partir à plus de 50 km de l’arrivée sur Paris-Roubaix 2010, c’est lui qui me pousse à faire ça. C’était fou (rires). J’ai toujours aimé gagner a la grande, comme on dit en Italien, c’est-à-dire avec panache. Mais, souvent, il m’est arrivé de gagner sans penser du tout à la victoire au moment où je passais à l’action. Ça s’est d’ailleurs souvent passé de cette façon, même dans les plus grands événements. J’ai toujours couru avec le cœur et je veux qu’il en soit de même pour cette dernière saison. VM : Cet instinct vous a également fait perdre quelques monuments du cyclisme comme ce Milan-San Remo où vous amenez sur votre porte-bagages Simon Gerrans, ou bien encore le Tour des Flandres 2011 où Nick Nuyens s’était imposé. Cet instinct, avez-vous essayé de le dompter ? F.C. : Si dans ma carrière j’avais tout programmé, j’aurais certainement été davantage freiné que l’inverse. J’ai dû prendre sur moi pour arriver à dompter le Tour des Flandres, ça c’est vrai. Ma première « JE NE SUIS PAS LÀ POUR DIRE AU REVOIR MAIS POUR GAGNER. » victoire sur le Ronde a mis du temps à se dessiner (en 2010, à 29 ans). Ma deuxième victoire, en 2013, est peut-être le succès le plus accompli de ma carrière. Le plus accompli car il y avait la manière mais cela avait aussi beaucoup de sens pour mes proches à qui j’avais énormément demandé à cette période-là. VM : Le Grand Prix E3 2010, où vous lâchez Boonen et Flecha en démarrant juste avant ce virage, peu avant la flamme rouge, est une victoire où votre force et votre sens tactique n’ont fait qu’un… F.C. : Oui, et pourtant c’est encore mon instinct qui m’a dit d’y aller à cet instant précis. Rien n’était calculé. En 2011, sur ce même Grand Prix E3, alors ? Je crève trois fois et, tac, je reviens, je repars, je reviens, je repars et je finis seul. (Silence) J’ai remporté de nombreuses courses. C’est un problème de luxe que de devoir dire laquelle était la plus belle. Ce qui est certain, c’est que mon Tour des Flandres 2010 a résonné comme une libération pour moi. D’ailleurs, ensuite, tout s’est remarquablement bien enchaîné. Je ne sais pas si c’est mon expérience ou parce qu’il y a eu un déclic psychologique. Je n’ai pas de réponse à ça et je n’en aurai jamais. En tout cas, pour l’emporter sur le Tour des Flandres, j’ai eu besoin d’avoir le scénario idéal pour y arriver et c’est ce qui s’est passé en 2010. Février 2016 / VÉLOMAGAZINE n° 537 / 39