Message 7 sept 2014, Vevey, Caïn et Abel
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Message 7 sept 2014, Vevey, Caïn et Abel
Message 7 septembre 2014, culte à St-Martin Caïn et Abel L'histoire de Caïn et Abel. Je sens presque le besoin de m'excuser auprès de vous. Parce que, alors que toute notre semaine, que ce soit à la radio, à la télévision ou dans les journaux, est déjà pleine de violence, de nouvelles atroces, on vous "sert" encore l'histoire d'un meurtre ce matin. Le premier meurtre de l'histoire. En écoutant cette histoire vous avez peut-être remarqué une chose étrange: Caïn et Abel devraient, d’après le texte biblique, être, avec leurs parents Adam et Eve, les seuls habitants de la terre. Or, ce chapitre 4 montre une terre déjà largement peuplée. On voit, par exemple, Caïn se marier. Thomas Römer, professeur d'AT, l'explique ainsi: "L'histoire de Caïn et Abel a (...) été insérée (...) dans l'histoire des origines de l'humanité parce que l'auteur de ce texte avait compris que la violence est indissociablement liée à la condition humaine." Mais que faire de toute cette violence qui nous dépasse? Peut-être, justement, en parler. En parler devant Dieu, ici au culte. Prier. Y réfléchir! Regardons cette histoire de Caïn et Abel de près: "L'homme connut Eve sa femme. Elle devint enceinte" dit le texte. Elle enfanta deux enfants, Caïn et Abel. Les deux sont probablement frères jumeaux. Le prénom Caïn rappelle le verbe "créer" et signifie javelot, mais aussi forgeron, artisan. Abel signifie "buée, petit vent, vanité". Quel nom pour un petit frère! Et pourtant, c'est ce petit frère, cette vanité, cette buée qui semble avoir les faveurs de Dieu. Le texte dit que Dieu tourne son regard vers Abel et son offrande, pas vers Caïn. Est-ce que l'offrande d'Abel brûlait mieux que celle de Caïn? Ou est-ce que le sacrifice d'Abel semblait avoir été accepté par Dieu, puisque Abel se portait peut-être beaucoup mieux dans sa vie que Caïn? Thomas Römer commente ce passage ainsi: "Derrière cet arbitraire divin se cache une expérience humaine quotidienne: La vie n'est pas juste. (...) Dieu confronte Caïn à cette expérience que tout homme doit faire dans sa vie." Le Seigneur s'adresse alors à Caïn pour le mettre en garde contre le "péché", tapi à la porte. Péché, ce mot qui veut dire entre autres: rater la cible! Ici, il apparaît pour la première fois dans la Bible. Et on le comprend ainsi: le péché qui guette Caïn, c'est la violence. ”Il est à ta porte, domine-le!" dit Dieu à Caïn, le mettant en garde. Mais Caïn n'y arrive pas. C'est précisément ce que le docteur Siegmund Freud avait constaté en 1908 déjà: "L'homme n'est pas maître dans sa maison." Des forces agissent à l'intérieur de lui, à son insu. C'est ce que Freud a appelé l'inconscient. Freud a proposé une thérapie dans laquelle la personne parle et réfléchit à ce qu'elle a dit dans le but d'entendre cet inconscient, de l'exprimer, de le rendre visible, compréhensible et domptable. Parler, donc. Le verset 8 est très intéressant à cet égard: "Caïn dit à son frère Abel:..." Thomas Römer a mis trois points dans sa traduction, parce que dans le texte hébreux il n'y a rien. Beaucoup de traductions de la Bible ont comblé cette lacune en y mettant quelque chose. Par exemple: Caïn dit à son frère Abel: sortons! Ou: sortons aux champs. Mais en réalité, dans le texte biblique, il n’y a rien. Peut-être justement, parce que Caïn ne sait pas comment dire ce qui lui arrive? On dirait qu'il lui manque les mots! Alors c'est la violence qui parle. Au lieu de parler, Caïn tue. Et sa réponse à Dieu "Suis-je le gardien de mon frère?" On pourrait presque la comprendre comme un cri désespéré: mais comment pourrais-je être gardien de mon frère? La violence qui surgit en Caïn et qui surgit dans l'humain, est redoutable! Dieu chasse alors Caïn du sol souillé de sang, mais protège la vie du meurtrier en le marquant d’un signe. Caïn va habiter dans le pays de Nod. Nod, mot très proche du verbe "errer" en hébreu. Dans la suite du texte, on nous dit que "Caïn connut sa femme", l'histoire parle de Caïn et sa descendance. Caïn bâtit la première ville et ses descendants inventent la musique et la métallurgie. Peut-être pour dire que la culture viendrait d'une bonne gestion de la violence?! Mais à la 7ème génération des descendants de Caïn, la violence se manifeste à nouveau brutalement: Lamek se vante d'avoir tué un homme pour avoir été frappé et un enfant pour une blessure. Emmanuel Schmitt, dans un roman basé sur l'histoire de Caïn et Abel, fait la réflexion que nous sommes tous (tous les humains) descendants de Caïn. Il a raison. Mais ce n'est pas vrai si l'on regarde le verset 25: Adam et Eve ont un troisième enfant et l'appellent "Seth" ce qui signifie "posé ". C'est cet enfant, Seth, qui apparaît comme ancêtre dans la généalogie de Jésus. Les croyants sont donc en quelque sorte les descendants de Seth. Pas de Caïn. Mais même les descendants de Seth ne seront pas des anges. Vous n'avez qu'à parcourir la généalogie de Jésus dans Luc 3 pour vous en rendre compte. N’y a-t-il pas le roi David qui fait tuer le mari de sa maîtresse ? Emmanuel Schmitt a donc raison en ceci: Même des descendants de Seth peuvent être des Caïn dans le sens que nous avons tous un potentiel de violence en nous. C'est une force qui peut construire des villes et produire de la culture tout autant qu'elle peut tuer. Ce potentiel de violence que chacun a en soi fait qu'un jeune garçon du Nord Vaudois, par exemple, est devenu un combattant de l'Etat Islamique dont les média nous décrivent assez les horreurs. Ce potentiel de violence peut aussi transformer petit à petit un chef d'Etat en dictateur. Il y a aussi une violence parfois nécessaire. Quand toutes les paroles n'ont donné aucun résultat, il faut peut-être user d'une violence mesurée, dominée et taper du poing sur la table. Ou renverser des tables, comme l'a fait Jésus lui-même à Jérusalem. Une violence mesurée, ça peut être bienfaisant. Mais une violence qui nous domine? On dit que derrière chaque dérive se cache une détresse. Françoise Dolto, dans ses interviews radiodiffusées dans les années 70, disait sur la violence des enfants: "Un enfant qui injurie un autre est très souvent un enfant qui souffre". Je crois qu'un adulte qui devient violent contre un autre ou contre soi-même est aussi un adulte qui souffre, qui souffre de quelque chose qui le dépasse et qu'il ne sait pas dire. Un remède contre la violence serait donc… de parler! Il me semble que, dans nos pays occidentaux, on a compris ceci. Et on a fait des progrès! Il y a des centres pour femmes battues, il y en a aussi depuis quelques années pour les hommes qui battent leurs femmes et qui veulent se soigner. Et ça marche! Il y a aussi des psychothérapies qui peuvent aider. Au niveau international aussi, on a fait des progrès: Les Nations Unies sont arrivées à une convention largement acceptée qui interdit tout traitement cruel en cas de guerre, la torture, les traitements inhumains, les armes chimiques etc. Ce traité n'est pas toujours respecté, mais sa norme est là et celui qui y contrevient s'expose à être poursuivi. La violence atroce que font régner actuellement les combattants pour un Etat Islamique de même que le conflit en Ukraine font réagir beaucoup de pays: L'OTAN s'arme, la Suisse va créer une armée de soldats mobilisable en 10 jours. Une coalition de 10 pays va s'engager dans la lutte contre l'extrême violence de ces combattants de l'Etat Islamique. Violence au niveau international, violences dans nos vies quotidiennes. Violences dont on doit se protéger. Violences dont nous sommes dans notre vie quotidienne parfois les auteurs. Être croyant, est-ce que ça change quelque chose? Être croyant peut nous encourager à reconnaître nos violences. Les reconnaître parce que nous savons que Dieu nous accepte tel que nous sommes. Dieu ne nous a pas appelé à être des anges, mais des humains. Et être humain comporte le fait d'avoir ce potentiel d'agressivité en nous. Croire en Dieu nous donne la confiance que Dieu condamne nos actes malveillants, mais aussi qu'il ne nous rejette pas. Au contraire, comme Jésus l'a dit en paroles et en actes : Dieu condamne le péché, la faute, mais pas le fautif. Il ne dit pas "Tu es méchant" mais: ce que tu fais là, est méchant. Et Dieu est toujours prêt à pardonner. Cela crée un espace pour changer. Jésus-Christ a donné des "pistes" pour être un humain vivant en paix avec Dieu, avec soi-même et avec les autres. Nous découvrons ses paroles, son évangile, tout au long de l'année. Il a notamment dit: Heureux les artisans de paix! Pour devenir un artisan, ça met du temps. Il faut de longues années d'apprentissage. Pour que chacun de nous devienne un artisan de paix, n'est-ce pas aussi une affaire de beaucoup d'années, de toute une vie même? Amen