Les larmes artificielles : pour y voir plus clair (1re partie)
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Les larmes artificielles : pour y voir plus clair (1re partie)
À votre service sans ordonnance Les larmes artificielles : pour y voir plus clair (1re partie) Une proportion sans cesse grandissante de la population souffre de sécheresse oculaire, aussi appelée xérophtalmie. L’usage répandu de lentilles cornéennes, l’utilisation croissante de l’ordinateur en milieu de travail et le vieillissement de la population sont autant de facteurs qui contribuent à faire de la sécheresse oculaire un fléau des temps modernes. Mais comment expliquer l’origine de cette affection d’apparence anodine ? Les lignes qui suivent permettront assurément de clarifier les principes physiologiques qui sous-tendent le développement d’une sécheresse oculaire et identifieront les mesures non pharmacologiques pouvant contribuer à prévenir ou à minimiser les symptômes de xérophtalmie. Dans notre prochaine édition, nous aborderons en détail le soulagement de la sécheresse oculaire par l’utilisation des larmes artificielles. Anatomie et physiologie de l’œil Qui n’a jamais versé une larme à l’occasion d’un événement triste ? Les yeux sont cependant beaucoup plus que de simples vecteurs d’émotions, ce sont eux qui s’adaptent constamment et permettent une vision claire de notre environnement. Les yeux sont également des organes autoprotecteurs dans la mesure où ils sont à même d’augmenter la production de larmes lorsqu’une insulte se produit au niveau de la surface de l’œil (poussière, fumée). Quelles sont les structures impliquées dans tous ces mécanismes ? Il convient d’effectuer un bref rappel des diverses structures de l’œil et plus particulièrement de celles qui sont les plus souvent impliquées dans l’apparition d’une sécheresse oculaire, en l’occurrence, la cornée et le film lacrymal. La compréhension du fonctionnement normal de ces structures est primordiale dans l’évaluation des différentes avenues de traitement possible. Le film lacrymal Composante la plus externe de l’œil, le film lacrymal est constitué de trois couches distinctes. La couche la plus externe, ou couche lipidique, est sécrétée par les glandes de Meibomius. Le principal rôle de cette couche de lipides est de ralentir l’évaporation de la couche aqueuse sous-jacente et ainsi de maintenir l’intégrité du film lacrymal. La couche aqueuse, quant à elle, est le produit des glandes lacrymales. Plusieurs éléments essentiels à la lubrification, à la protection et à la croissance de la surface de l’œil (glucose, protéines antibactériennes, etc.) se trouvent à l’intérieur de cette couche. La couche la plus interne est constituée de mucines et permet ainsi une bonne adhésion du film lacrymal à la surface de l’œil. De plus, les mucines contenues dans cette couche ont la capacité de se loger dans les irrégularités de www.monportailpharmacie.ca la surface de l’œil et permettent ainsi d’obtenir une surface oculaire uniforme. La présence d’un film lacrymal adéquat est donc nécessaire à la lubrification à la fois de l’œil et de la paupière, à la protection de l’œil contre les différents débris ou microorganismes et à la formation d’une surface uniforme et continue recouvrant la cornée1-4. Texte rédigé par Frédéric Julien-Baker, étudiant à la maîtrise en pratique pharmaceutique, option pratique communautaire, Université de Montréal. Révision : Nancy Desmarais, B. Pharm., Pharmacie Jean-François Martel, et Julie Martineau, B. Pharm., Pharmacie Luc Archambault. Cornée La cornée est une membrane non vascularisée et transparente d’un diamètre d’environ 11 mm, qui permet le passage de la lumière jusqu’à la rétine. Située tout juste sous le film lacrymal, la cornée est constituée de cinq couches différentes. Les figures I et 2 présentent respectivement un schéma général de l’œil et une représentation des différentes couches cornéennes. Texte original soumis le 30 décembre 2007. Texte final remis le 9 mai 2008. Pathophysiologie La sécheresse oculaire, aussi connue sous le nom de xérophtalmie ou kératite sèche, est une affection souvent chronique des plus inconfortables. La définition la plus récente désigne la sécheresse oculaire comme une « affection multifactorielle des larmes et de la surface oculaire qui résulte en des symptômes d’inconfort, de perturbation visuelle et d’instabilité du film lacrymal entraînant des dommages potentiels à la surface de l’œil. Cette affection est accompagnée par une osmolarité accrue du film lacrymal ainsi que d’une inflammation de la surface oculaire. »5 Somme toute, il s’agit d’un état le plus souvent chronique caractérisé par une instabilité du film lacrymal qui conduit à une irritation de l’œil. Les différentes étiologies de la sécheresse oculaire se fondent sur deux grands principes de base : 1.Une diminution de la production de larmes Les différentes affections de l’œil se retrou- Précision En rapport avec l’article « Traiter l’hyperhidrose par des médicaments en vente libre », publié dans la chronique À votre service sans ordonnance du numéro de septembre 2008 de Québec Pharmacie, la compagnie Valeo Pharma tient à préciser que le produit Hydrosal, indiqué pour le traitement de l’hyperhidrose, contient une dose d’acide salicylique de 2 % (et non de 4 %). NOVEMBRE 2008 vol. 55 n° 10 Québec Pharmacie 25 À votre service sans ordonnance queurs, des antidépresseurs tricycliques, des opiacés (la prise d’isotrétinoïne serait quant à elle liée à une altération des glandes de Meibomius)16,17. Illustration 1 Schéma général de l’oeil31 Corps vitré Réseau trabéculaire Corps ciliaire Sclérotique Cristallin Rétine Iris Nerf optique Pupille Cornée Papille optique Humeur aqueuse Choroïde Canal de Schlemm 1)Couche la plus externe : l’épithélium est un tissu de 5-7 cellules d’épaisseur qui se renouvellent régulièrement à partir d’une membrane plus interne, la membrane basale. La cornée étant un organe avasculaire, l’oxygène lui étant nécessaire provient en partie de la couche aqueuse du film lacrymal. L’épithélium a donc un rôle à jouer dans la régulation de l’oxygénation de la cornée. 2)Membrane de Bowman : couche de transition de 12 microns d’épaisseur, de nature conjonctive. Il s’agit essentiellement d’une couche de collagène diffus. 3) Le stroma : composé de tissu conjonctif, il représente près de 90 % de l’épaisseur totale de la cornée (400 microns). Afin d’assurer une transparence de la cornée, sa composition en eau, en substances organiques et en collagène doit être finement régulée. En effet, une augmentation importante de la composition en eau pourrait hypothéquer la transparence de la cornée et entraîner des troubles de la vision. 4)La membrane de Descemet : Il s’agit de la lame basale de l’endothélium, d’une épaisseur de 10 µm à 12 µm, elle est très élastique et solide tout en étant perméable à l’eau. 5)L’endothélium : composé d’une seule couche de cellules dont le rôle principal est de contrôler les échanges (particulièrement celui de l’eau) entre l’humeur aqueuse et le stroma. En effet, un stroma trop gorgé d’eau deviendrait laiteux et nuirait à une bonne acuité visuelle. Image tiré de http://www.merckfrosst.ca/mfcl/fr/patients/diseases/glaucoma/eye/anatomy/index.html#eye Reproduction autorisée vant dans cette catégorie se caractérisent par une diminution de la production ou du volume des larmes par les glandes lacrymales. Les larmes étant une solution dite hypotonique, la diminution de sa production entraînera inévitablement une augmentation de l’osmolarité du film lacrymal, ce qui, à son tour, se traduira par l’apparition d’une cascade inflammatoire6,7. Se retrouvent donc dans cette classe : obstruction et nuirait ultimement à l’écoulement efficace des sécrétions lacrymales. Les personnes de plus de 40 ans seraient donc plus à risque de souffrir de xérophtalmie10,11. Le syndrome de Sjogren : Maladie autoimmune affectant notamment les glandes lacrymales et salivaires. Cette réaction inflammatoire entraîne une hyposécrétion de larmes et contribue donc à l’hyperosmolarité du film lacrymal8,9. Hyposécrétion réflexe : L’innervation de l’œil est primordiale, puisqu’elle est responsable d’une augmentation de la production de larmes lorsque l’œil est ouvert et permet le réflexe de clignement de l’œil. Chez les diabétiques, une dégénérescence des nerfs pourrait donc expliquer une incidence plus élevée de sécheresse oculaire. De plus, il semblerait que les verres de contact à port prolongé entraînent une diminution de la sensibilité de la cornée et donc une diminution de l’hydratation de l’œil12-15. ARDE (Age-Related Dry Eye) : Dans la population normale, le vieillissement serait lié à une incidence plus élevée de troubles des canaux lacrymaux. Ce dysfonctionnement des canaux lacrymaux se traduirait par une Prise de médicaments : Certains médicaments systémiques peuvent induire une diminution de la production de larmes. C’est le cas des diurétiques, des antihistaminiques, des décongestionnants, des bêtablo- 26 Québec Pharmacie vol. 55 n° 10 NOVEMBRE 2008 2.Une augmentation de la vitesse d’évaporation de la portion aqueuse du film lacrymal. Cette catégorie d’affections de l’œil se caractérise par une perte excessive d’eau au niveau de la surface oculaire bien que la production de larmes soit adéquate et suffisante. Dysfonctionnement des glandes de Meibomius : Il s’agit de la cause la plus fréquente de sécheresse oculaire secondaire à une évaporation trop importante. L’obstruction des glandes de Meibomius se traduit par une diminution de la production de la couche lipidique. La couche lipidique étant altérée, elle ne peut donc plus remplir adéquatement son rôle, soit celui de ralentir l’évaporation de l’eau contenue dans la couche aqueuse intermédiaire. Les causes d’une obstruction de ces glandes incluent : la blépharite, la rosacée, la dermatite séborrhéique et la dermatite atopique18,19. Diminution du rythme de clignement des yeux : Le clignement de l’œil permet de répartir uniformément et de restaurer la couche lipidique externe. Dès lors, une diminution des clignements entraîne une diminution du renouvellement de la couche lipidique et donc une augmentation du temps où l’œil est vulnérable à une évaporation accrue. Les activités requérant une concentration visuelle particulière, comme le travail devant un ordinateur, la lecture, la conduite automobile ou l’observation au microscope, peuvent causer une diminution du réflexe de clignement, ce qui pourrait expliquer cette « fatigue » visuelle dont se plaignent les personnes qui travaillent constamment devant un ordinateur. La maladie de Parkinson peut également causer une diminution des clignements20-22. Déficit en vitamine A : La vitamine A semble essentielle à la production de la couche de mucus. La couche de mucus permet une bonne adhésion du film lacrymal et une répartition uniforme des larmes sur la surface de l’œil; son déficit se traduit donc par une évaporation accrue23. Un trouble de la forme de la cornée ou des paupières : Une exophtalmie ou une myopie importante peuvent entraîner un mau- Les larmes artificielles (1re partie) Tableau I Liste des médicaments risquant d’entraîner une xérophtalmie n n n n n n n n n n n Anticholinergiques/antimuscariniques Antihistaminiques de 1re génération Bêta-bloqueurs Diurétiques Antipsychotiques Isotrétinoïne Niacine (à doses hypolipidémiantes) Contraceptifs oraux Antidépresseurs tricycliques Décongestionnants Opiacés vais contact entre la paupière et la cornée, ce qui empêche la restauration adéquate et l’uniformité du film lacrymal. De plus, la largeur des fentes palpébrales pourrait être liée à une augmentation de l’évaporation du film lacrymal24,25. Facteurs externes : Certains facteurs environnementaux peuvent aussi contribuer à l’assèchement de la surface de l’œil tels que le vent, le soleil, un climat sec, etc.26. Signes et symptômes de sécheresse oculaire Il importe d’identifier correctement les signes et symptômes que présente le patient afin de pouvoir être en mesure de lui suggérer un traitement adéquat. Les signes et symptômes habituellement observés chez les patients souffrant de sécheresse oculaire sont la sensation de corps étranger, l’hyper - larmoiement paradoxal, une sensation de brûlure qui augmente au cours de la journée, une sensation de fatigue oculaire, une irritation ou un inconfort général de l’œil. En règle générale, les symptômes augmentent graduellement sur une période allant de quelques semaines à quelques mois. Il est impératif de ne pas sous-estimer les conséquences d’une sécheresse oculaire non traitée. La xérophtalmie peut causer des dégâts importants à l’œil. Chez certains patients, on peut observer de la kératoconjonctivite, une forme chronique ou grave de sécheresse oculaire. Il peut s’ensuivre des infections bactériennes causées par des endroits de sécheresse persistante sur la cornée. Une ulcération, un amincissement ou une perforation de la cornée sont aussi possibles et peuvent ultimement causer la formation d’une cicatrice et une diminution de l’acuité visuelle5. Il est également crucial de connaître les signes et symptômes demandant une consultation médicale et qui pourraient être confondus avec des symptômes de sécheresse oculaire, soit une douleur oculaire, une sensibilité à la lumière, des pupilles asymétriques, un traumatisme de l’œil, une altération de la vision et une rougeur localisée autour de la cornée. Mesures non pharmacologiques En premier lieu, il convient d’évaluer la thérapie médicamenteuse du patient afin d’identifier les médicaments pouvant être à la source de la sécheresse oculaire. Si possible, l’élimination ou du moins une diminution de l’usage de ces médicaments devrait être envisagée. Le tableau I présente une Illustration 2 Coupe transversale de la cornée illustrant les principales couches qui la composent Image tirée de http://www.laservue.net/fra/differences.php Reproduction autorisée www.monportailpharmacie.ca liste des médicaments pouvant causer une sécheresse oculaire. Les facteurs externes et environnementaux devraient également faire l’objet d’une évaluation détaillée. Certaines mesures pourraient optimiser le taux d’humidité de l’environnement de la personne atteinte (taux d’humidité visé de 30-50 %). L’installation d’un humidificateur dans un endroit habituellement sec, par exemple, pourrait diminuer la vitesse d’évaporation de la couche aqueuse à la surface de l’œil. Une autre façon anodine mais efficace de conserver une bonne hydratation de l’œil durant les activités de grande concentration (p. ex., lecture, travail devant un ordinateur) est, tout simplement, de se conditionner à cligner plus souvent des yeux ou à prendre de fréquentes et courtes pauses (cinq minutes par heure). L’application de compresses humides chaudes peut être également utile comme traitement adjuvant. En effet, une application deux fois par jour, sur les paupières, d’une durée d’environ cinq minutes produirait un épaississement de la couche lipidique et réduirait l’évaporation du film lacrymal27. L’hygiène des paupières avec un savon doux (p. ex., shampoing pour bébé dilué avec de l’eau 1 :10 ou un produit comme le Cil-NetMD) s’avère aussi un traitement essentiel puisque les patients souffrant de sécheresse oculaire ont habituellement un taux plus élevé de colonisation bactérienne. Protéger ses yeux du vent en portant des lunettes, éviter de se frotter les yeux et minimiser l’exposition à toutes sources de contaminants (fumée de cigarette, poussières) sont aussi des moyens simples de prévenir les symptômes de sécheresse28,29. De plus, il semblerait qu’un apport suffisant en oméga-3 (alimentation riche en thon et autres aliments à fortes teneurs en acides gras oméga-3) diminuerait le risque de voir apparaître une sécheresse oculaire30. Somme toute, la xérophtalmie peut s’expliquer par une production insuffisante de larmes ou par leur évaporation trop rapide. NOVEMBRE 2008 vol. 55 n° 10 Québec Pharmacie 27 À votre service sans ordonnance Dans les deux cas, la protection de l’intégrité du film lacrymal est d’une importance primordiale. En effet, l’application des mesures non pharmacologiques visant à protéger l’œil des insul- tes environnementales suffit parfois à prévenir l’apparition ou à minimiser les symptômes de sécheresse oculaire. Toutefois, dans les cas plus graves ou récurrents, le recours à des larmes artificiel- les pourrait être une option de choix pour soulager l’inconfort des patients. Les larmes artificielles et leur composition seront abordées dans un prochain numéro. n 11. Damato BE, Allan D, Murray SB, Lee WR. Senile atrophy of the human lacrimal gland: the contribution of chronic inflammatory disease. Br J Ophthalmol 1984; 68: 674-80. 12. Battat L, Macri A, Dursun D, Pflugfelder SC. Effects of laser in situ keratomileusis on tear production, clearance, and the ocular surface. Ophthalmology 2001; 108: 1230-5. 13. Nguyen DH, Beuerman RW, Toshida H. The effects of sensory and parasympathetic denervation on the kinases and initiation factors controlling protein synthesis in the lacrimal gland. Adv Exp Med Biol 2002; 506(PtA): 65-70. 14. Gilbard JP, Gray KL, Rossi SR. A proposed mechanism for increased tear-film osmolarity in contact lens wearers. Am J Ophthalmology 1986; 102: 505-7. 15. 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Questions de formation continue 5) Lequel des désordres suivants peut entraîner une diminution de la production de larmes? A. Une carence en vitamine A B. Un dysfonctionnement des glandes de Mebomius C. Une exophtalmie D. Le syndrome de Sjogren 6) En ce qui a trait aux mesures non pharmacologiques utiles en situation de sécheresse oculaire, lequel des énoncés suivants est faux? A. Une augmentation de l’humidité ambiante à l’aide d’un humidificateur peut contribuer à prévenir les signes et symptômes de xérophtalmie. 28 Québec Pharmacie vol. 55 n° 10 NOVEMBRE 2008 B.Le simple port de lunettes peut permettre de protéger l’œil contre les insultes environnementales (vent, poussière, etc.). C.Le shampoing pour bébé non dilué est suffisamment doux pour être utilisé à répétition sur les paupières. D.Les activités requérant une grande concentration (p. ex., conduite automobile, travail à l’ordinateur, etc.) peuvent entraîner une sécheresse oculaire. E.Toutes ces réponses. Veuillez reporter vos réponses dans le formulaire de la page 82 u