Leveraged buyout en droit suisse

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Leveraged buyout en droit suisse
Leverage Buy Out: notions juridiques et fiscales en regard du droit suisse
Alexandre J. SCHWAB, avocat, MBA, étude d’avocats SCHWAB, FLAHERTY & Associés *
Sébastien MICOTTI, avocat, Master EU Law,
A compter des années 1970 aux Etats-Unis puis de manière cyclique en Europe à partir des
années 1990, les acquisitions de sociétés par le biais de l’endettement d’une entité tierce –
Leverage Buy Out (abrév. LBO) – ont été en essor constant et ont vécu sous diverses formes
juridiques dont la technicité ne cesse de s’affiner. Le succès de telles opérations résulte
principalement du fait qu’elles permettent l’acquisition ou le contrôle de la société visée par
des investisseurs (ou par la société elle-même ou par ses cadres – on parle alors de
Management Leverage Buy Out, MLBO, ou MBO) tout en minimisant les apports en fonds
propres nécessaires, avec une optimisation de la pondération fiscale de ceux-ci.
Pourtant l’impact du LBO en Suisse demeure marginal. En effet l’offre financière globale ne
l’inclut que dans une proportion qui reste bien en deçà des statistiques européennes. Or il est
plus que probable que bon nombre de sociétés suisses seraient à même de pouvoir en
bénéficier, quel que soit leur domaine d’activité : industrie horlogère, pharmacologie, société
de services, production commerciale / biens de consommation, textiles, construction, etc.
Comme nous le verrons les critères de choix de la société « cible » sont moins liés à la nature
de son activité qu’à sa structure financière et à la constance de sa production, respectivement
à la régularité de son rendement.
Dans sa finalité, le LBO peut notamment favoriser un transfert de patrimoine (planification
successorale), permettre la diversification structurelle d’un groupe de sociétés (par ex. par le
bais d’un spin off) ou son internationalisation, ou encore augmenter la capacité financière
d’une structure de production, etc.
I. La notion
Le Leverage Buy Out se traduit en français littéralement par l’expression « rachat à effet de
levier » - ou par « achat adossé », voire « achat par endettement ». Il se définit
conventionnellement comme le mécanisme de reprise d'une entreprise (l’entreprise cible ou
Target Company) par un investisseur tiers (un particulier ou une autre société) qui se procure
les capitaux nécessaires en recourant à l'emprunt, étant entendu que l’emprunteur donne
généralement les actifs de la société à reprendre en guise de garantie de l’emprunt. De cette
manière, l’emprunt contracté est financé et amorti par le rendement des actifs de l’entreprise
cible (remontée des cash-flows nets).
En règle générale, l’investisseur détient ainsi l’entreprise cible par l’intermédiaire d’un
véhicule d’acquisition (appelé aussi «NewCo»), soit par exemple une société holding lui
permettant de maximiser le levier financier, fiscal et juridique de l’opération ; le cash-flow net
de la cible remontant alors à la holding. (A. de Werra, Eléments-clés d’un Leveraged
Management Buy-Out (LMBO), L’Expert-comptable suisse 11/03, p. 981)
*
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Il arrive aussi que le bailleur de fonds (notamment un établissement bancaire ou un fond de
placement) prête à la société cible le montant nécessaire à son propre rachat ; celle-ci prêtant à
son tour les fonds à l’acheteur (« upstream loan »). Là encore, les actifs de l’entreprise cible
serviront de garantie au prêteur.
II. Le levier juridique
Le premier but du LBO est de permettre à des sociétés de réaliser de larges opérations
d’acquisition sans avoir à débourser un capital (trop) élevé. S’il est usuel que la dette ne
dépasse pas 70% de la valeur des actifs, il peut arriver que celle-ci atteigne 90% à 95% de la
capitalisation totale de la société cible. La composante « equity » du prix d’acquisition est
généralement assurée par un consortium d’investisseurs ou « pool of private equity capital ».
Ce consortium d’investisseurs peut consister en un ou plusieurs fonds de participation, au
nombre desquels comptent les fonds de placement.
On comprend ainsi pourquoi de telles transactions portent généralement sur des sociétés
matures et stables, à faible croissance mais dont les revenus sont réguliers et constants. De
telles sociétés sont plus prévisibles que les petites entreprises à croissance rapide recourant au
capital-risque et s'appuyant sur des percées technologiques ou conceptuelles pour créer de la
valeur, par exemple. Les sociétés concernées par les LBO sont ainsi généralement plutôt
ternes mais en bonne santé. Elles doivent en tout cas présenter un degré élevé de cash-flow
libre pour couvrir les coûts de financement et d’amortissement, tout en assurant les frais de
fonctionnement (y compris d’investissement et éventuellement de restructuration) de
l’entreprise cible. Ainsi, les principaux risques pris par les maisons de buyout sont ceux de
surpayer leur acquisition ou de se sur-endetter.
La forme juridique choisie par le ou les acquéreurs joue un rôle non négligeable. Pour des
motifs fiscaux, notamment, les acquéreurs de l’entreprise cible constitueront une société ayant
pour but social d’acquérir, puis de détenir, la société cible – autrement dit, une holding. Selon
les circonstances, cette holding peut ensuite fusionner avec la société cible. Le droit suisse
connaît à cet égard les types de fusion suivants : la fusion par absorption (reprise d’une
société par une autre) et la fusion par combinaison (réunion en une nouvelle société – art. 3 de
la Loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine, LFus –
RS 221.301). Est aussi connue et réglementée – comme l’indique le titre de la loi,
l’acquisition par le transfert de patrimoine, avec actifs et passifs d’une entreprise.
Ce type de véhicule financier sous forme de holding est appelé NewCo (cf. ci-dessus). De
manière générale, les détenteurs des parts de la NewCo sont liés par une convention
d’actionnaires nécessaire à assurer la stabilité de l’opération jusqu’à son terme.
Lorsque les investisseurs ne détiennent pas la totalité des parts de la NewCo, il est néanmoins
possible pour eux d’en conserver le contrôle, notamment par la création ab initio d’actions à
droit de votre privilégié, en prévoyant que chaque action vaut une voix, quelle que soit sa
valeur nominale (l’art. 693 al. 2 CO limite toutefois l’écart de valeur des actions à 10 fois
celle-ci ; et certaines décisions de l’assemblée des actionnaires échappent à cette règle, le
décompte des voix ayant lieu en vertu de la valeur nominale de chaque action).
Ce levier juridique peut encore être amplifié en donnant à la holding le statut de société en
commandite par actions (en droit suisse : art. 764 ss CO), accordant aux managers le statut de
commandités qui leur confère, quel que soit leur niveau de participation, un pouvoir total de
décision en contrepartie duquel ils assument indéfiniment et solidairement la responsabilité de
la gestion sociale.
Liés par une convention, les actionnaires de la NewCo forment entre eux une société simple
qui se superpose à la structure « holding – entreprise cible » (structure de financement du
LBO). Les rapports entre les parties sont alors réglementées dans le cadre de conventions
d’actionnaires – soit des règles extrastatutaires qui intègrent des clauses contractuelles
pouvant être classées en deux catégories : les clauses relatives à l'évolution de l'actionnariat,
et celles relatives à la répartition du pouvoir. Il s'agit pour les premières, notamment, de
clauses de préemption, d'inaliénabilité, d'exclusion, de sortie, de sortie conjointe, de nonagression et, pour les secondes, des classes d'actions et conventions de droit de vote.
Le levier fiscal
Mais il est un second but, sans doute plus important que le premier, qui réside dans les effets
fiscaux majeurs du LBO. En effet, dès lors que les actifs de la société cible servent de garantie
pour l’emprunt, leur rendement constitue le remboursement d’une dette. De cette sorte, dans
tous les systèmes fiscaux dans lesquels le payement des intérêts d’une dette est exempté
d’impôt (c’est le cas en droit suisse – art. 57 ss de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct,
LIFD – RS 642.11 ; art. 24 al. 1 de la Loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des
cantons et des communes, LHID – RS 642.14), la société cible utilisant son cash flow pour ce
faire versera celui-ci à son créancier en évitant l’impôt sur le revenu.
D’une manière générale, le LBO est par principe une opération fiscalement intéressante,
puisque le recours à du capital emprunté permet d’économiser de l’impôt, le paiement des
intérêts d’une dette constituant une charge déductible du revenu de l’entreprise (cf. ci-dessus)
– sous réserve de certaines limites.
Ceci revêt toute son importance, dans la mesure où le droit suisse (tant fédéral que cantonal)
ne connaît pas la possibilité pour le bénéficiaire de dividendes ou du versement d’intérêts
(imposés en Suisse) d’imputer l’éventuel impôt déjà acquitté par l’entreprise sur son propre
revenu. Il y a ainsi création d’une situation de double imposition économique. C’est ce que le
financement étranger d’un LBO permet précisément d’éviter – et c’est là son premier
avantage. Les mêmes considérations s’appliquent mutatis mutandis pour l’impôt (à percevoir
par le canton du siège social) sur le capital et la fortune de la société (cf. art. 29 LHID), puis
sur les valeurs de participation ou de prêt à cette même société, dans le chef de leurs titulaires
(impôt sur la fortune des personnes physiques – art. 13 s. LHID). Entrent également en
considération l’impôt anticipé frappant la perception de dividendes (art. 4 de la Loi sur
l’impôt anticipé, LIA) et le droit de timbre perçu sur la constitution du capital propre de la
société (art. 5 ss. de la Loi sur le droit de timbre, LDT). (U. Schenker, Leverage Buy Out :
Steuerrechtliche Aspekte, Mergers & Aquisitions II, 2000, p. 55 s. avec les détails pour
chaque impôt)
Il va de soi que chaque économie d’impôt représente par définition une augmentation d’autant
de la valeur produite par l’opération, respectivement par la société cible. Là aussi, un effet de
levier est donc observable.
Comme le montre U. Schenker (op. cit., p. 59 ss), les intérêts des parties (vendeur de la
société cible, investisseurs-acheteurs, et bailleurs de fonds) ne sont pas en tous les cas
concordants. Pour assurer le succès de l’opération, il est indispensable de concilier les
différents intérêts par un compromis évitant de reporter sur l’une des parties les charges
fiscales épargnées aux autres. Un montage judicieux et professionnel de la structure est ainsi
nécessaire. C’est à ce stade que la définition du cadre juridique devient prépondérante.
A titre d’exemple, si l’opération ne se déroule pas avec le succès prévu, en ce sens que les
revenus de la société cible ne suffisant pas à rembourser l’emprunt, et s’il faut alors utiliser les
réserves préexistantes à la vente de la société cible, la loi considère qu’il y a là une forme de
distribution des réserves, qui entraînera une imposition correspondante dans le chef du
vendeur (art. 20a LIFD – U. Schenker, Die Besteuerung von Privatpersonen beim Verkauf von
Beteiligungen, Mergers & Acquisitions IX, 2007, p. 213).
Par ailleurs, la NewCo ne peut pas, en droit suisse, déduire de son revenu avant impôt les
intérêts payés par la société cible (qu’elle détient) sur le prêt consenti pour son rachat – aussi
longtemps que les deux sociétés n’ont pas fusionné. De même, le prix d’achat payé par la
NewCo n’est pas une charge déductible des gains de la cible.
Cela étant, il demeure envisageable d’optimiser le rendement de l’opération de LBO,
fiscalement parlant :
-
une réduction de capital de la société cible consécutive au rachat : en ramenant son
capital au montant minimal (pour la SA) de CHF 10'000, et transférant le surplus à la
NewCo, la société cible permet à la NewCo refinancer immédiatement une partie du
capital étranger emprunté, sans entraîner de conséquences fiscales négatives dans le
chef du vendeur de la cible.
-
un rachat de ses actions par la société cible : limité à 10% du capital-action (art. 659
CO), et pour autant que les réserves disponibles le permettent, le rachat d’actions
directement par la société cible auprès du vendeur a pour effet de faire supporter à
cette dernière directement une part des intérêts de l’emprunt à titre de charge
déductible fiscalement. Ce mécanisme n’est toutefois possible que si ces actions sont
revendues en l’espace de six ans (art. 4 al. 2 LIA, 20 al. 1 lit. c LIFD et 7 al. 1bis
LHID – le vendeur devant alors prévoir qu’une garantie lui soit donnée).
-
un rachat par une « société opérative » : l’avantage de faire racheter la société cible
non par une NewCo (holding), mais par une société préexistante et ayant ses propres
activités par ailleurs, réside essentiellement dans la faculté de déduire du gain
imposable (avant impôt) de celle-ci les intérêts de l’emprunt et de procéder à divers
amortissements. Pour le reste, la société acquéreuse peut, tout comme une holding,
percevoir les dividendes de la société cible libres d’impôts. Alternativement, il est
également envisageable de réaliser l’opération au moyen d’une holding « impure »
préexistante ou à développer des activités autonomes au sein de la holding créée pour
l'occasion.
Enfin, une particularité du système suisse est de permettre aux parties à un LBO projeté
d’entrer en contact avec les autorités fiscales concernées, afin de déterminer d’avance et avec
le plus haut degré de prévisibilité possible la situation fiscale de l’opération envisagée. La
Circulaire 14 de l’AFC, du 10 novembre 2006, prévoit à cet égard expressément la faculté
pour l’autorité fiscale de donner des renseignements à caractère obligatoire sur les conditions
et les conséquences d’opérations de liquidation partielle.
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