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Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie
Émilie A. Caspar et Régine Kolinsky
L’Année psychologique / Volume 113 / Issue 04 / December 2013, pp 629 - 666
DOI: 10.4074/S0003503313014061, Published online: 09 December 2013
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Émilie A. Caspar et Régine Kolinsky (2013). Revue d’un phénomène étrange : la
synesthésie. L’Année psychologique, 113, pp 629-666 doi:10.4074/S0003503313014061
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Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie
∗
Émilie A. Caspar1,2 et Régine Kolinsky1,3
1 Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS
2 Consciousness, Cognition & Computation Group (CO3), Centre de Recherche
Neurosciences & Cognition (CRNC), Université Libre de Bruxelles, Belgique
3 Unité de Recherche en Neurosciences Cognitives (UNESCOG), Centre de Recherche
Neurosciences & Cognition (CRNC), Université Libre de Bruxelles, Belgique
RÉSUMÉ
Ces dernières années, l’étude de la synesthésie a pris de l’ampleur au sein
de la communauté scientifique. Cet article passe en revue certains aspects
essentiels de la synesthésie. Après une description de ce phénomène, nous
nous intéressons à son objectivation et à ses origines développementales.
Ensuite, grâce aux données issues de divers articles, nous tentons de
déterminer si l’acquisition d’associations synesthésiques s’arrête un jour et
si des personnes qui ne sont pas synesthètes peuvent apprendre à le devenir.
Nous discutons aussi des bénéfices cognitifs éventuels de la synesthésie et
de ce que peut apporter l’étude de ce phénomène à la compréhension plus
générale de la cognition.
Review of an unusual phenomenon: Synaesthesia
ABSTRACT
These last few years, the study of synaesthesia gained in importance in the scientific
community. In this article, we present some essential aspects of synaesthesia. After
describing this phenomenon, we discuss how to measure it in an objective way and
what are its developmental origins. Then, based on data from various articles, we
try to determine if the acquisition of synaesthetic associations stops one day and if
non-synaesthete people can learn to become synaesthetes. We also discuss the possible
cognitive benefits of synaesthesia and how the study of this phenomenon contributes to
the more general comprehension of cognition.
∗ Correspondance : Émilie Caspar, Consciousness, Cognition & Computation Group (CO3), Université Libre de
Bruxelles, CP 191, Av. F.-D. Roosevelt, 50, B-1050 Bruxelles, BELGIQUE. E-mail : [email protected]
Remerciements. La préparation de cet article a été rendue possible par un financement du Fonds de la
Recherche Scientifique-FNRS (FRS-FNRS) attribué à Régine Kolinsky (1.5.235.09, «Automaticité, précocité et
bidirectionnalité des activations dans la synesthésie». Régine Kolinsky est Directeur de Recherches et Émilie
Caspar Aspirant du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS (FRS-FNRS), Belgique.
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r Régine Kolinsky
1. INTRODUCTION
1.1. Qu’est-ce que la synesthésie ?
A, c’est blanc et long, disait Veniamin ; i s’éloigne, on ne peut
pas le dessiner ; ille est plus aigu ; iou est pointu, plus effilé que
e ; ia est grand, on peut rouler dessus : o vient de la poitrine, il
est large et le son va vers le bas ; hé s’en va de côté, et je sens le
goût de chacun des sons. Quand je vois des lignes, elles émettent
des sons elles aussi.
Extrait de « Une prodigieuse mémoire », Luria (1965).
Grâce à cet étonnant paragraphe retraçant l’expérience de Veniamin,
cas exceptionnel de synesthète à la mémoire prodigieuse et doté d’une
forte imagerie mentale, suivi durant 30 ans par le psychologue soviétique
Alexandre Luria (1965), nous voyageons dans un monde où les sens ont
fusionné, où ils s’entremêlent, à savoir, dans le monde d’un synesthète.
La synesthésie (du grec syn, union, et aesthesis, sensation) est un
phénomène qui consiste en un liage sensoriel inhabituel, dans lequel
certains stimuli évoquent automatiquement une perception additionnelle
(Cohen Kadosh & Henik, 2007). Il est difficile d’en proposer une définition
plus précise, délimitant correctement les critères d’inclusion et d’exclusion,
étant donné le nombre important de formes que la synesthésie peut revêtir.
Il s’agit par exemple d’une expérience colorée lors de la lecture d’une lettre
imprimée en noir, d’une expérience gustative lors de la perception d’un
mot ou encore de la vision de formes lors de la perception d’un goût
(voir Cytowic & Eagleman, 2009, pour plus d’exemples). Dans le domaine
de la synesthésie, le stimulus est communément appelé l’inducteur et la
perception additionnelle qu’il entraîne est appelée le concurrent, ou encore
le photisme s’il s’agit d’un concurrent visuel (ce dernier terme, souvent
mentionné au XIXe siècle, est encore parfois utilisé dans la littérature
scientifique).
Comme le relatent Jewanski et collaborateurs, bien qu’ayant déjà
été mentionné auparavant, mais sans preuve objective qu’il s’agisse
véritablement de cas de synesthésie, cet impressionnant mais mystérieux
phénomène attira l’attention de la communauté scientifique dès le
XIXe siècle (Jewanski, Day, & Ward, 2009 ; Jewanski, Simner, Day, & Ward,
2011). En particulier, Sachs (1812) décrivit dans sa thèse probablement le
premier cas convainquant de synesthésie (il s’agissait vraisemblablement de
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lui-même) dans la littérature médicale (Jewanski et al., 2009). Entre 1812
et 1849, aucune publication scientifique connue ne fit mention d’un autre
cas de synesthésie, excepté deux commentaires de Sachs en 1813 et 1814
(cités par Jewanski et al., 2009). En 1849, trois nouveaux cas de synesthésie
furent rapportés (cités par Jewanski et al., 2011). Ceux-ci furent suivis de cas
détaillés de plus en plus nombreux dans la littérature scientifique jusqu’en
1873. Un consensus émergea de ces différents ouvrages. Premièrement,
la synesthésie n’est pas une pathologie du système visuel, ce qui était
cru précédemment, notamment car Sachs était albinos (Dann, 1998).
Deuxièmement, son origine est neurologique (Jewanski et al., 2011). Lors
de cette période, la plupart des travaux présentaient des études de cas
individuels. La période post-1873 fut quant à elle davantage caractérisée
par des enquêtes sur de larges échantillons, ce qui, notons-le, conduisit les
particularités de chaque synesthète à être effacées.
Il est important de distinguer d’emblée la synesthésie d’associations
temporaires. En effet, des expériences synesthésiques ont été rapportées
chez des patients souffrant de lésions cérébrales (Jacobs, Karpik, Bozian,
& Gothgen, 1981 ; Ro et al., 2007) et/ou de migraines (par ex., Armel &
Ramachandran, 1999), ainsi que chez des personnes atteintes de la maladie
de Parkinson (Fénelon & Alves, 2010). Des effets médicamenteux semblent
également produire des expériences similaires, puisque celles-ci ont été
rapportées chez des individus en bonne santé prenant de la mescaline ou
du LSD (Hartman & Hollister, 1963). Théophile Gautier, poète français
et membre du club des Haschischins, décrivit le son des couleurs lorsqu’il
avait pris du haschisch :
Mon ouïe s’était prodigieusement développée ; j’entendais
le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes,
m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verre
renversé, un craquement de fauteuil, un mot prononcé tout has,
vibraient et retentissaient en moi comme des roulements de
tonnerre. Chaque objet effleuré rendait une note d’harmonica
ou de harpe éolienne. (1846, p. 530)
Ce type d’expérience posa la question de l’objectivation d’une véritable
expérience synesthésique. Cependant, il faut noter que, en cas de prise de
drogue, le phénomène se déroule uniquement durant le trip et s’arrête
directement après que les effets de la drogue se soient estompés. En
excluant ces cas-là, il est apparu que le même genre de phénomène
est aussi observable chez des individus en bonne santé et ne souffrant
d’aucune addiction. Il est dans ce cas nommé synesthésie développementale.
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Le qualificatif « développemental » est à mettre en lien direct avec le fait
que la plupart des synesthètes rapportent que ces associations ont toujours
été présentes, depuis aussi longtemps qu’ils s’en souviennent (Bargary &
Mitchell, 2008).
La question de savoir si la synesthésie développementale est le reflet
de la mémorisation d’associations apprises durant l’enfance fut posée dès
le XIXe siècle (Cornaz, 1851). Bien que nous reviendrons sur l’origine
développementale de la synesthésie par la suite, il est important de
spécifier dès à présent que, si l’on admet l’hypothèse de la mémorisation,
cela n’explique pas le fait que seules certaines personnes gardent cette
mémoire intacte, ni pourquoi seules certaines classes de stimuli induisent
chez elles une synesthésie, ni non plus de quel type de mémoire il
s’agit précisément. Mais avant de poursuivre le débat sur l’origine de la
synesthésie, intéressons-nous aux différentes formes que peut prendre ce
phénomène.
1.2. Variétés de synesthésies : une grande
hétérogénéité des associations
La synesthésie peut prendre de nombreuses formes : plus de 60 types
différents de synesthésie ont été recensés (Day, 2011). Certains synesthètes
perçoivent des couleurs pour certains goûts alimentaires (Ward & Simner,
2003), d’autres savourent des goûts lorsqu’ils entendent des intervalles
musicaux (Beeli, Esslen, & Jäncke, 2005) et d’autres encore entendent des
sons lorsqu’ils sentent une odeur (Day, 2011). En raison notamment de leur
forte prévalence au sein de la population, certaines formes de synesthésies
ont été plus étudiées que d’autres dans la littérature scientifique. Il s’agit
principalement de la synesthésie dite graphème-couleur (environ 64 % de
la population synesthésique ; Day, 2011), de l’audition colorée (environ
15 %) et des séquences spatialisées (environ 10 % à 15 %), que nous
discuterons plus en détail ci-dessous. Il faut noter toutefois que ces
pourcentages ne sont qu’une approximation, étant donné que le mode de
recrutement de la plupart des études, y inclus celle de Day, consiste en
des témoignages spontanés qui dépendent de la définition implicite des
synesthésies utilisée par les expérimentateurs. De plus, les chiffres obtenus
par Day ne corroborent pas toujours ceux d’autres études (par ex., Cytowic
et Eagleman, 2009, p. 25 ; Galton, 1880 ; Karwoski & Odbert, 1938 ;
Simner et al., 2005), y inclus de celles présentant une base de données bien
documentée, pour laquelle on connaît le nombre total de témoignages et les
questions posées (par ex., Novich, Cheng, & Eagleman, 2011, qui ont utilisé
la batterie décrite par Eagleman, Kagan, Nelson, Sagaram, & Sarma, 2007).
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Il convient aussi de préciser que, indépendamment de la forme que
prend la synesthésie, les concurrents induits par des stimuli semblent
idiosyncratiques : pour une même forme de synesthésie, un même
inducteur évoquera un concurrent qui peut être différent pour chaque
synesthète (Galton, 1880). Ainsi, si l’on prend le cas des synesthètes qui
perçoivent les lettres ou les chiffres en couleur, la lettre A peut évoquer la
couleur rouge pour un synesthète, mais la couleur bleue pour un autre.
C’est cette hétérogénéité non seulement dans les différentes formes que peut
prendre la synesthésie, mais également dans sa réalité subjective, qui rend
son étude parfois complexe mais tellement passionnante.
1.2.1. La synesthésie graphème-couleur
Le type de synesthésie le plus répandu consiste en une association
intra-modale : la synesthésie dite graphème-couleur1 . Elle concernerait
environ 1 % de la population (Simner et al., 2006). Dans cette forme de
synesthésie, des graphèmes, à savoir des chiffres et/ou des lettres, évoquent
une couleur. La Figure 1 représente le choix de couleur fait par M2,
une synesthète graphème-couleur, à qui nous avons demandé lors d’un
entretien d’indiquer le plus précisément possible, sur la palette RVB d’un
ordinateur, la couleur perçue pour chaque graphème. Il faut néanmoins
remarquer qu’un certain nombre de synesthètes n’arrivent pas à décrire ou
à retrouver la couleur exacte qu’ils perçoivent sur une palette de couleurs,
même si celle-ci est détaillée, ce qui a comme conséquence une difficulté
majeure à illustrer les expériences synesthésiques.
L’expérience synesthésique peut prendre différentes formes. En effet,
certains synesthètes, dits projecteurs, rapportent voir le concurrent se
projeter dans l’espace péri-personnel, tandis que d’autres, dits associateurs,
signalent que le concurrent est perçu dans leur « œil mental », autrement
dit dans l’espace intra-personnel (Dixon, Smilek, Wagar, & Merikle 2004 ;
Ramachandran & Hubbard, 2001). Des différences de performance entre
synesthètes projecteurs et associateurs dans la tâche de Stroop, dont
nous parlerons plus loin, (par ex., Dixon et al., 2004 ; Dixon & Smilek,
2005 ; Edquist, Rich, Brinkman, & Mattingley, 2006 ; Skelton, Ludwig, &
« graphème » est ambigu car il désigne soit l’unité graphique minimale entrant dans la composition
d’un système d’écriture (Henderson, 1985), soit la forme écrite des phonèmes (cf. Coltheart, 1984 : par ex., « s »,
« c », « ss », « sc », « ç » sont tous des graphèmes correspondant au phonème /s/ ; « ou » est un graphème
correspondant au phonème /u/). Or, de nombreux synesthètes perçoivent des couleurs différentes pour « s » et
« c », ainsi que pour « o » et « u ». Il serait donc plus approprié d’utiliser l’expression « synesthésie caractèrecouleur ». Néanmoins, par souci de cohérence avec la littérature (essentiellement anglophone) portant sur la
synesthésie, nous avons décidé de conserver l’expression « graphème », mais qui doit être considérée comme
désignant l’unité minimale d’un système d’écriture, plus précisément ici les lettres et les chiffres.
1 Le terme
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Figure 1. Forme de synesthésie graphèmes-couleurs pour les lettres, les chiffres et les
jours de la semaine, d’après M2.
Figure 1. Example of grapheme-color synaesthesia for letters, digits and days of the
week, according to M2.
Mohr, 2009) et dans des tâches de recherche visuelle (Dixon & Smilek,
2005) ont été rapportées, mais celles-ci n’ont pas toujours été confirmées
(Ward, Jonas, Dienez & Seth, 2010 ; Edquist et al., 2006). Par ailleurs,
la classification des synesthètes dans l’une ou l’autre de ces formes n’est
pas toujours possible, ou mène parfois à une réduction excessive de la
complexité synesthésique. Edquist et al. (2006) ont ainsi relevé que deux
des synesthètes graphème-couleur qui composaient leur échantillon n’ont
pas pu indiquer si les concurrents (dans ce cas, des couleurs) étaient perçus
dans l’espace intra- ou péri-personnel. De plus, après un intervalle d’un
an, la description du lieu d’apparition des concurrents contredisait parfois
celui décrit précédemment, bien que les nuances de couleur soient restées
identiques. Enfin, certains synesthètes décrivaient percevoir souvent les
concurrents simultanément dans l’espace intra- et péri-personnel. Ceci
reflète aussi le fait que la formulation exacte utilisée dans les questionnaires
peut biaiser la réponse des participants, et impose la prudence quant à une
classification strictement dichotomique des synesthètes (Eagleman, 2012).
Une autre tentative de classification de l’expérience synesthésique
proposa les notions de synesthètes de haut niveau et de bas niveau (Martino
& Marks, 2001 ; Ramachandran & Hubbard, 2001). Pour les synesthètes
dits de haut niveau, des formes visuelles distinctes induisent la même
couleur lorsqu’elles font partie de la même catégorie (par ex., les formes
évoqueront toutes du rouge, voir Simner, 2012). En
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outre, des symboles ambigus peuvent induire des couleurs différentes en
fonction du contexte (par ex., « 1 » et « l » sont visuellement semblables, et
peuvent, en fonction de la séquence, être interprétés comme un chiffre ou
une lettre, cf. Dixon, Smilek, Duffy, Zanna, & Merickle, 2006). Il semble
donc que le concurrent (ici la couleur) soit évoqué par la catégorie, et
non par les caractéristiques physiques du symbole. Pour les synesthètes
dits de bas niveau, en revanche, les concurrents semblent dépendre de ces
caractéristiques physiques du graphème. Dans ce cas-ci, un symbole donné
induira toujours la même expérience colorée, quel que soit le contexte dans
lequel il se trouve (une phrase ou une séquence de chiffres), et une même
lettre pourrait produire des expériences colorées différentes en fonction de
la police ou de la casse utilisée, par exemple (par ex., A vs. a ou A).
1.2.2. L’audition colorée
Certains synesthètes rapportent des perceptions colorées à l’écoute d’un son
(par ex., Marks, 1975 ; Ward, Huckstep, & Tsakanikos, 2006). Celui-ci peut
être un son du langage ou une note de musique. Sur base des différents
articles faisant mention de synesthètes avec audition colorée (des études
de cas pour la majorité), il semble néanmoins difficile de séparer cette
forme de synesthésie d’autres caractéristiques des personnes composant les
échantillons.
Le fait est qu’une grande partie des cas mentionnés dans les études sur
l’audition colorée ont une grande expertise musicale (par ex., Block, 1983 ;
Carroll & Greenberg, 1961 ; Haack & Radocy, 1981 ; Rogers, 1987) et/ou
présentent aussi une synesthésie de type graphème-couleur (par ex., dans
l’étude de Ward et al., 2006, c’était le cas des 10 synesthètes composant leur
échantillon). Selon Baron-Cohen (1996), l’audition colorée, du moins pour
les mots parlés, ne serait ainsi que la conséquence de l’imagerie visuelle
colorée de l’orthographe des mots. En effet, la plupart des synesthètes
présentant l’audition colorée rapportent que des mots parlés contenant
le même phonème initial mais différant par leur lettre initiale (par ex.,
« photo » et « futon ») déclenchent la perception de couleurs différentes,
tandis que des mots parlés contenant des phonèmes initiaux différents
mais partageant la même lettre initiale (par ex., « antilope » et « artère »)
déclenchent la perception de la même couleur (Baron-Cohen, Harrison,
Goldstein, & Wyke, 1993). Ceci suggère que ce sont les lettres plutôt que les
sons qui déterminent le concurrent (ici, la couleur).
Dans le cas de l’audition colorée de notes de musique, nous pourrions
aussi supposer que, chez les musiciens, l’écoute d’une note provoque
l’activation automatique de la forme orthographique du nom de la note.
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Par exemple, chez les synesthètes qui rapportent également une synesthésie
graphème-couleur, l’écoute d’un do pourrait activer automatiquement la
forme orthographique « do », ce qui provoquerait l’expérience colorée.
On pourrait objecter à cette idée qu’il est communément admis que
les musiciens ne transcodent pas verbalement l’information musicale. Il
faut toutefois relever qu’il semble qu’un grand nombre de musiciens qui
présentent l’audition colorée possèdent l’oreille absolue (par ex., Haack
& Radocy, 1981 ; Rogers, 1987) et sont donc capables d’identifier une
note de musique isolée, en l’absence de son de référence externe. Ainsi,
tout en associant une couleur aux notes, ils activent automatiquement
le nom des notes (par ex., Itoh, Suwazono, Arao, Miyazaki, & Nakada,
2005 ; Miyazaki, 2004). Or, dans les pays anglo-saxons, les notes sont
désignées par les lettres A à G (ou H, pour les germanophones et certains
pays scandinaves et slaves). C’est à cette situation que se référait Sachs
(1812) lorsqu’il mentionnait le fait que « Les notes de musique suivent les
lettres par lesquelles elles sont désignées ». En effet, certains synesthètes
graphème-couleur qui rapportent aussi une audition colorée des notes
de musique présentent une forte correspondance entre la couleur des
graphèmes et la couleur des notes entendues qui sont désignées par ces
graphèmes ; par exemple, si la lettre A est associée au rouge, la note la (A,
dans la notation anglo-saxonne) sera elle aussi associée au rouge (par ex.,
Rogers, 1987 ; Sachs, 1812).
Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous les synesthètes graphème-couleur
qui ont aussi l’audition colorée. Ainsi, Ward, Tsakanikos et Bray (2006) ont
étudié trois musiciens (qui n’avaient pas l’oreille absolue) qui associaient
des couleurs à la notation musicale, aux graphèmes et à l’écoute de la
musique. Alors qu’ils présentaient une forte correspondance entre les
couleurs associées aux graphèmes et celles associées aux notes écrites
sur une partition, aucune correspondance claire n’était observée avec les
couleurs associées aux notes entendues, jouées au piano.
Pour d’autres synesthètes, il paraît peu vraisemblable que leur
synesthésie graphème-couleur puisse expliquer leur audition colorée,
puisqu’ils associent des couleurs différentes à chaque hauteur de note,
indépendamment de leur nom. En effet, contrairement aux musiciens
étudiés par Ward et al. (2006b), ces personnes-ci associent une couleur
à une note de piano jouée à 220 Hz et une autre couleur à une note
de piano jouée à 440 Hz, alors que toutes deux sont en réalité des
la, mais dans des octaves différentes et donc l’un plus grave, l’autre
plus aigu (Ward et al., 2006a). Il semble en fait que ces personnes se
basent sur une correspondance entre la hauteur de note et la clarté,
associant, tout comme les non synesthètes d’ailleurs (Marks, 1974 ;
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Ward et al., 2006a), les sons les plus graves aux couleurs les plus
foncées, et les plus aigus aux couleurs les plus claires. Il n’en reste
pas moins que, comparés aux sujets de contrôle examinés par Ward et
al. (2006a), les synesthètes présentaient des réponses qui restaient plus
précises et plus constantes au travers de plusieurs sessions de test-retest,
même si plusieurs mois séparaient ces sessions, et qu’ils présentaient
des effets d’interférence témoignant de l’automaticité de l’activation des
concurrents. Comme nous en discuterons plus longuement par la suite, ces
caractéristiques semblent différencier une véritable synesthésie de simples
associations.
Il semble dès lors qu’il existe une véritable audition colorée qui ne
fait pas référence à des représentations visuelles. Mais nous ne sommes
qu’au début de l’étude de ce phénomène, et il reste à en déterminer plus
systématiquement les caractéristiques exactes.
1.2.3. Les séquences spatialisées
Galton (1880) fut le premier à avoir parlé des séquences spatialisées.
Récemment, de nombreux chercheurs y ont fait référence au sein de
la communauté scientifique et objectivèrent le phénomène (Cytowic,
2002 ; Price & Mentzoni, 2008 ; Seron, Pesenti, Noël, & Deloche, 1992 ;
Smilek, Callejas, Dixon, & Merikle, 2007). Les synesthètes qui présentent
des séquences spatialisées perçoivent des séquences ordinales dans une
disposition spatiale particulière (Simner, Mayo, & Spiller, 2009 ; voir
Figure 2). Il peut s’agir de chiffres arabes, de lettres de l’alphabet, des
jours de la semaine ou des mois, mais il existe aussi des formes plus rares
comme celles concernant les pointures de chaussures, les ères historiques,
les chaînes de télévision ou encore le système de caste indien (Cytowic
& Eagleman, 2009 ; Sagiv, Simner, Collins, Butterworth, & Ward, 2006 ;
Seron et al., 1992). Le cas le plus extraordinaire est celui rapporté par
Hubbard, Ranzini, Piazza et Dehaene (2009) : le synesthète DG qu’ils
étudièrent ne présentait pas moins de 58 formes différentes de séquences
spatialisées !
La plupart des gens se représentent les séquences numériques sur une
ligne horizontale, avec les nombres de petite magnitude à gauche et les
nombres de grande magnitude à droite. Ceci a été étudié à travers l’effet
dit SNARC (Spatial-Numerical Association of Response Codes) : lors d’un
jugement de parité, par exemple, les participants répondent plus vite
aux petits nombres avec la main gauche et aux grands nombres avec la
main droite (Dehaene, Bossini, & Giraux, 1993). Les séquences spatialisées
seraient un cas particulier d’association (entre par exemple nombres et
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Figure 2. Forme spatiale représentant les jours du mois, d’après le dessin d’un
participant, JC (adapté de Simmer, Mayo, & Spiller, 2009b).
Figure 2. Spatial form depicting days of the month, adapted from a drawing made by
participant JC (adapted from Simner et al., 2009b).
espace), n’ayant pas les mêmes caractéristiques que pour la majorité des
gens. En effet, chez les synesthètes, celles-ci sont automatiques, consistantes
et représentent des configurations particulières (Cytowic & Eagleman,
2009). Plusieurs auteurs se sont d’ailleurs penchés sur la question de
savoir si les synesthètes présentent également un biais de latéralisation
dans une tâche de type SNARC (par ex., Eagleman, 2009 ; Hubbard
et al., 2009 ; Jarick, Dixon, Maxwell, Nicholls, & Smilek, 2009 ; Price,
2009). Price et Mentzoni (2008) ont mentionné que cet effet dépendait
des perceptions synesthésiques. Par exemple, les synesthètes qui rapportent
une disposition spatiale verticale des nombres montrent un effet SNARC
dans la direction verticale, mais pas dans la direction horizontale. L’effet
SNARC peut donc être inversé chez les synesthètes par rapport aux
sujets de contrôle, si leurs perceptions sont disposées en sens inverse.
Piazza, Pinel et Dehaene (2006) ont pourtant décrit le cas d’un synesthète
présentant des séquences spatialisées, S.W., chez qui l’effet SNARC était
semblable à celui de non synesthètes, bien que sa représentation spatiale des
nombres soit inversée (orientation des nombres de droite à gauche). Ce cas
suggère que des représentations spatiales synesthésiques, idiosyncratiques
et explicites, peuvent coexister avec des associations spatiales plus
implicites.
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2. CARACTÉRISTIQUES DE LA SYNESTHÉSIE
Grâce à l’engouement pour l’étude de la synesthésie ces dernières années,
certaines de ses caractéristiques spécifiques ont pu être mises en avant.
Plusieurs tests furent développés afin de tenter de distinguer entre
synesthètes et non synesthètes et d’objectiver la perception synesthésique
(Eagleman, Kagan, Nelson, Sagaram, & Sarma, 2007).
Certains tests sont composés d’une série de questions visant à recueillir
des informations détaillées relatives à l’expérience synesthésique (Eagleman
et al., 2007 ; Rich, Bradshaw, & Mattingley, 2005). Nous ne décrirons pas
ces questionnaires en détail, mais les études que nous citerons permettront
d’en avoir un aperçu. D’autres tests servent à mesurer la constance des
associations synesthésiques au cours d’une certaine période (par ex., Asher
et al., 2009 ; Baron-Cohen et al., 1996 ; Eagleman et al., 2007). Enfin,
d’autres situations ont pour objectif de tester l’automaticité des associations
synesthésiques (Dixon et al., 2004 ; Mattingley & Rich, 2004 ; Mulvenna &
Walsh, 2006). Actuellement, de nombreux articles font référence à l’une ou
à plusieurs de ces trois méthodes pour déterminer si l’échantillon examiné
est composé de synesthètes.
2.1. Constance test-retest des associations
En 1987, Baron-Cohen, Wyke et Binnie développèrent un test visant à
mesurer la constance test-retest des associations (Test of Genuineness –
TOG), ce qui permettrait selon eux de confirmer la présence d’une véritable
expérience synesthésique. En effet, lorsque l’on demande à des synesthètes
d’indiquer leurs associations, et ce à différents moments, ils présentent
des scores de constance très élevés en comparaison avec des individus non
synesthètes. Par exemple, un synesthète percevant un O en bleu le percevra
toujours dans cette même couleur (Mattingley & Rich, 2004). Bien entendu,
il existe d’autres associations constantes dans le temps, comme ressentir
un état émotionnel particulier lors d’une chanson saisissante, ou encore
associer le mot « cœur » à la couleur rouge. Cependant, les associations
synesthésiques sont différentes pour chaque synesthète, à l’inverse des
exemples cités ci-dessus, qui font référence à des états émotionnels ou à
des associations de type sémantique.
Une des premières études à avoir vérifié empiriquement la constance
des associations synesthésiques est celle de Baron-Cohen et al. (1993).
Les auteurs ont demandé à neuf synesthètes et à neuf sujets de contrôle
d’indiquer leurs propres associations de couleurs pour une liste de 130
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mots et lettres. Les participants n’avaient pas été prévenus qu’ils seraient
réexaminés. Re-testés un an plus tard, les synesthètes présentèrent un taux
de constance moyen de 92,3 %, tandis que les sujets de contrôle, re-testés
seulement une semaine plus tard, n’atteignirent en moyenne que 37,6 % de
taux de constance dans leurs associations. De manière similaire, Mattingley,
Rich, Yelland et Bradshaw (2001) ont répertorié les associations de couleurs
de 15 synesthètes pour 150 items composés de chiffres, de lettres et de mots
classés en 11 catégories. Des sujets de contrôle avaient également appris ces
associations. Trois mois plus tard et sans en avoir été avertis, les synesthètes
ont dû à nouveau spécifier les couleurs qu’ils associaient à ces 150 items. Les
sujets de contrôle furent re-testés eux aussi, mais seulement un mois après la
première session de test, afin de leur laisser un avantage. Malgré la différence
importante de temps entre le test et le re-test pour les synesthètes et les
sujets de contrôle, la constance des réponses des synesthètes était largement
supérieure (toujours au minimum 75 %, quelle que soit la catégorie de
stimuli inducteurs) à celle des sujets de contrôle (moins de 50 %). Il est aussi
important de souligner qu’il n’y a généralement pas de chevauchement
entre les scores de consistance des synesthètes et ceux des sujets de contrôle
(Asher, Aitken, Farooqi, Kurmani, & Baron-Cohen, 2006 ; Eagleman et al.,
2007 ; Eagleman, 2012).
L’une des difficultés principales de ces tests réside néanmoins dans
le fait qu’un synesthète qui perçoit par exemple un A en rouge écarlate
à un moment donné ne percevra pas, ou n’indiquera pas forcément,
le même rouge à un autre moment (par ex., il pourra indiquer une
teinte bourgogne). Dès lors, comment indiquer qu’il s’agit d’une même
association dans la mesure de la constance ? Une solution judicieuse
proposée par Eagleman et al. (2007) est de demander aux participants
d’effectuer un choix sur la palette de couleurs d’un ordinateur et de calculer
la distance géométrique entre les paramètres RVB (rouge, vert, bleu) à
chaque essai. Un synesthète ne présentera qu’une faible distance entre les
associations réalisées à des moments différents, tandis qu’un individu non
synesthète présentera une distance de plus grande ampleur.
La constance des associations a été considérée comme la condition
sine qua non pour confirmer la présence d’une réelle synesthésie et
pour exclure des échantillons les simulateurs. Elle est d’ailleurs largement
utilisée encore aujourd’hui. Néanmoins, ce critère de sélection présente
des faiblesses. D’une part, il y a certaines personnes qui présentent
toutes les caractéristiques d’un synesthète, mais qui échouent au test
de constance test-retest. Au lieu d’obtenir des taux de constance entre
80 % et 100 % comme de nombreux synesthètes, ils obtiennent des
performances situées entre celles-ci et celles des sujets de contrôle, qui
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641
atteignent 20 % à 30 % (Simner et al., 2006 ; Simner, 2012). Durant
nos propres expérimentations, nous avons été confrontées à un problème
similaire : certains synesthètes présentaient une forte constance intra-test,
car leurs associations étaient les mêmes au travers de plusieurs essais,
mais quelques mois plus tard, lorsqu’ils furent re-testés, les concurrents
avaient entre-temps diamétralement changé ! Ainsi, T4, une synesthète, a
montré une constance intra-test élevée de ses associations entre chiffres et
couleurs lors d’un premier entretien, ainsi qu’au re-test, mais, à ce moment,
deux chiffres étaient associés à une couleur totalement différente de celle
rapportée lors du premier test (par ex., le chiffre 3 n’évoquait plus la
couleur orange mais du mauve). Eagleman et al. (2007) ont évoqué un cas
similaire, et il est probable que les synesthètes mentionnés par Simner aient
été dans le même cas de figure, ce qui expliquerait leur faible pourcentage
de constance entre les deux tests. D’autre part, certaines personnes non
synesthètes présentent un score de constance test-retest élevé (Simner et al.,
2006). Sans doute utilisent-elles une stratégie telle que choisir la couleur
sur base de la lettre initiale (par ex., la couleur orange pour la lettre O). Il
semble donc qu’il faille faire preuve de prudence et ne pas utiliser les tests de
constance entre test et re-test comme critère unique dans la sélection d’un
échantillon de synesthètes.
2.2. Automaticité des associations
Une caractéristique supplémentaire de la synesthésie est que l’inducteur
semble induire automatiquement un concurrent. Une conséquence frappante de cette caractéristique, sans doute la plus étudiée, est l’interférence
que produit la synesthésie dans une tâche inspirée de celle développée par
Stroop (1935). Appliquée à l’étude de la synesthésie graphème-couleur,
cette tâche requiert de dénommer la couleur physique de graphèmes
présentés visuellement. Ici, l’information pertinente est donc la couleur
physique des lettres ou chiffres, tandis que l’information non pertinente est
la couleur des concurrents induits par ces graphèmes. Dans cette situation,
les synesthètes présentent des temps de réponse (TRs) plus longs lorsque
la couleur dans laquelle le graphème leur est présenté ne correspond
pas à la couleur du concurrent (condition incongruente) que lorsqu’elle
y correspond (condition congruente, par ex., Dixon, Smilek, Wagar, &
Merikle, 2004 ; Mattingley & Rich, 2004 ; Mulvenna & Walsh, 2006). Les
TRs plus longs observés en situation incongruente indiquent que, chez les
synesthètes, les concurrents sont difficiles à inhiber et que leur activation ne
semble donc pas être sous contrôle volontaire, mais au contraire déclenchée
automatiquement.
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À cette tâche de dénomination de la couleur physique, certaines études
ont ajouté une tâche de dénomination dite des photismes (par ex., Dixon,
Smilek, & Merikle, 2004 ; Ward, Li, Salih, & Sagiv, 2007). Dans cette
dernière, la dimension pertinente et la dimension non pertinente de la
tâche sont inversées : ce n’est plus la couleur physique des stimuli qui doit
être dénommée, mais bien la couleur des concurrents qui y sont associés.
Dans l’étude de Dixon et al., les synesthètes sélectionnés avaient été classés
comme étant des associateurs ou des projecteurs sur base de questionnaires
auxquels ils avaient répondu avant de passer les deux tâches. Les synesthètes
projecteurs avaient plus de facilité pour la dénomination des photismes et
un effet de congruence plus marqué lors de la dénomination de la couleur
physique. Les synesthètes associateurs étaient, quant à eux, plus rapides
pour dénommer les couleurs réelles que les photismes et avaient un effet
de congruence plus marqué lors de la dénomination des photismes.
Signalons que chez les synesthètes présentant une audition colorée, un
effet d’interférence de type Stroop a également été observé. En effet, ces
synesthètes sont plus lents pour nommer la couleur d’un cercle apparaissant
à l’écran lorsqu’ils entendent simultanément un son qui ne correspond pas
à cette couleur que lorsque la couleur est congruente avec ce son (Ward et
al., 2006).
Ce type d’évidence a mené divers chercheurs à conclure que les
associations des synesthètes étaient activées automatiquement. Néanmoins,
il est difficile à nouveau d’utiliser cette caractéristique comme critère
unique de la synesthésie. Il ne semble en effet pas suffisant de mettre en
évidence un effet de type Stroop chez un individu pour pouvoir en conclure
que cette personne est synesthète. De fait, des personnes non synesthètes
ayant été entraînées au cours de l’expérimentation à associer des graphèmes
à des couleurs obtiennent un effet d’interférence semblable à ceux observés
chez certains synesthètes (Cohen Kadosh et al., 2005 ; Meier & Rothen,
2009). Elias, Saucier, Hardie et Sarty (2003) ont de plus fait mention d’une
personne, adepte du point de croix (impliquant la connaissance d’un code
de type couleur-nombre) mais n’ayant pas d’expérience synesthésique, qui
obtenait néanmoins un effet d’interférence conséquent (38 ms) dans la
tâche de Stroop.
Cependant, comme nous en discuterons plus amplement par la suite,
dans la tâche de Stroop tant la stratégie de réponse que les activations
cérébrales de personnes non-synesthètes restent différentes de celles des
synesthètes (par ex., Nunn et al., 2002). L’objectivation de la synesthésie
reste donc difficile, mais certaines caractéristiques peuvent indiquer
la présence d’une véritable expérience synesthésique. En réalité, pour
objectiver la synesthésie à titre individuel, aucun test pris isolément n’est
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Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie
643
sans doute suffisant, ni les tests mesurant la constance des associations, ni
l’effet Stroop, ni même, comme nous le verrons plus loin, l’examen IRMf
ou l’IRM anatomique. Un entretien avec un professionnel expérimenté,
capable d’intégrer les différentes données et d’en évaluer la convergence (ou
non), est indispensable.
3. ORIGINE DE LA SYNESTHÉSIE
La question de l’origine de la synesthésie se pose à différents niveaux.
Il faut d’abord mentionner l’influence de la génétique sur la probabilité
d’hériter du ou des gène(s) responsable(s) de la synesthésie. En effet, des
études ont mis en avant la récurrence du phénomène au sein des familles.
Cette prédisposition génétique pourrait en partie expliquer les spécificités
cérébrales (soit fonctionnelles, soit structurelles) qui provoqueraient
l’expérience synesthésique. Enfin, au-delà de la génétique et d’une structure
ou d’un fonctionnement cérébral spécifique, la culture et l’environnement
pourraient influencer la formation des associations synesthésiques.
3.1. Les facteurs génétiques
Contrairement à l’idée que la synesthésie serait un phénomène rare,
Simner et al. (2006) ont montré que 4 % à 5 % des adultes présentent
une ou plusieurs formes de synesthésie. Il apparaît de plus que la
prévalence de la synesthésie serait plus importante au sein d’une même
famille, un fait évoqué pour la première fois par Galton (1883). En 1962,
lors d’une interview à la BBC Television, le célèbre écrivain Vladimir
Nabokov, synesthète, relata le jour où lui et sa femme, synesthète elle
aussi, découvrirent que leur fils, âgé à l’époque d’environ 10 ans, percevait
également les lettres en couleurs. Après que son fils ait réalisé une liste avec
les couleurs qu’il percevait, Vladimir Nabokov remarqua qu’une lettre –
la lettre M – était mauve pour son fils, alors qu’elle était bleue pour sa
femme et rose pour lui-même, which is as if genes were painting in aquarelle
(« comme si les gènes peignaient à l’aquarelle »). Le cas de Nabokov est
d’autant plus intéressant que sa mère était elle aussi synesthète (Cytowic
& Eagleman, 2009 ; Nabokov, 1949), ce qui ajouta un argument en faveur
d’une prévalence de la synesthésie au sein des familles. Ces observations
furent suivies d’études systématiques qui arrivèrent au même constat. Lors
d’une enquête, Baron-Cohen et al. (1996) ont ainsi constaté qu’environ un
tiers des synesthètes examinés connaissaient un autre synesthète au sein de
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leur famille. Barnett et al. (2008) obtinrent des résultats similaires. De par
sa plus forte prévalence au sein d’une même famille, la synesthésie semble
donc avoir une base génétique.
Directement liée à l’idée d’une transmission génétique, la question de
savoir si la synesthésie est équitablement répartie entre les hommes et
les femmes fut posée dès le XIXe siècle par Cornaz (1851). Ses premières
conclusions furent que la synesthésie devait être plus fréquente chez les
femmes car, selon Cornaz, Gall avait proposé que le sens traitant de
la couleur fût plus développé chez les femmes. C’est la première fois
qu’il fut mentionné que la prévalence de la synesthésie était en faveur
du sexe féminin (Jewanski et al., 2011), ce qui fut par la suite rapporté
à de nombreuses reprises dans la littérature scientifique. Par exemple,
Baron-Cohen et al. (1996) rapportèrent un rapport de 6:1 en faveur des
femmes, une proportion également observée par Rich et al. (2005).
Le fait que la synesthésie soit apparemment plus fréquente chez les
femmes, associé au fait que pendant longtemps les chercheurs n’ont
pas observé de cas de transmission de la synesthésie d’un père à son
fils, ont laissé supposer que le chromosome X jouerait un rôle central
dans cette transmission (voir discussions par ex., dans Barnett et al.,
2008 ; Baron-Cohen et al., 1996 ; Cytowic, 2002 ; Ward & Simner,
2005). Cependant, plus récemment Asher et al. (2009) ont rapporté deux
cas de transmission de la synesthésie de père en fils, ce qui contredit
cette hypothèse. Par ailleurs, la différence de prévalence de la synesthésie
en faveur des femmes pourrait être due au fait que les hommes sont
moins enclins que celles-ci à rapporter ce type d’expérience (Hubbard
& Ramachandran, 2005), et ceci pourrait avoir biaisé fortement les
évaluations qui n’étaient basées que sur des auto-rapports (Barnett et al.,
2008 ; Baron-Cohen et al., 1996). La prévalence de la synesthésie pourrait
donc être en réalité plus équitablement répartie entre hommes et femmes
que ce qu’en laissaient croire les premières études (Simner et al., 2006 ; voir
aussi Simner, Harrold, Creed, Monro, & Foulkes, 2009a).
La transmission de la synesthésie est aussi beaucoup plus complexe
que ce qui avait été supposé. Bien que ce domaine de recherche en soit
encore à ses prémisses, il semble que cette transmission soit polygénique,
ou du moins « oligogénique » (impliquant un nombre réduit de gènes).
Ainsi, Tomson et al. (2011), en réalisant des analyses au sein de familles
pour déterminer le ou les gènes responsable(s) de la transmission de la
synesthésie, ont identifié la région 23 sur le chromosome 16. Asher et al.
(2009) ont réalisé des analyses sur l’ensemble du génome, et ont observé
un lien significatif sur le chromosome 2q24, ainsi que peut-être sur les
chromosomes 5q33, 6p12, et 12p12.
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Quoi qu’il en soit, même si le ou les gènes responsables de la synesthésie
restent à identifier plus précisément, il apparaît que les membres d’une
même famille peuvent présenter des formes différentes de synesthésie
(Barnett et al., 2008). Pour revenir à l’exemple de Vladimir Nabokov, son
fils et lui-même percevaient les lettres en couleurs, tout comme sa mère,
également synesthète, mais cette dernière possédait également l’audition
colorée (Cytowic & Eagleman, 2009 ; Nabokov, 1949). Ceci n’est en fait
pas étonnant : les circuits nerveux de notre cerveau sont déterminés à
la fois par des instructions génétiques et par les expériences issues de
notre environnement. La tendance à présenter une synesthésie serait donc
génétique, mais le sous-type précis de synesthésie présenté par un individu
donné pourrait dépendre de facteurs environnementaux et/ou culturels,
que nous aborderons plus loin. Par conséquent, ce qui est transmis ne
serait pas les associations en elles-mêmes, mais la tendance à associer les
sensations entre elles (voir discussion dans Barnett et al., 2008).
Par ailleurs, selon Brang et Ramachandran (2011), le ou les gènes de la
synesthésie, bien que n’ayant a priori aucune raison de persister, auraient
résisté à la pression de l’évolution car être doté d’une ou plusieurs formes
de synesthésie pourrait apporter certains bénéfices cognitifs, que nous
aborderons dans la dernière partie de cet article.
Les études génétiques ne nous permettent par ailleurs pas de
comprendre comment le ou les gènes responsables de la transmission de
la synesthésie provoquent les expériences particulières qui sont associées
à ce phénomène. Plusieurs modèles tentent d’expliquer ces expériences
par des caractéristiques neurobiologiques spécifiques qui se mettraient en
place au cours du développement. Parmi ces modèles du fonctionnement
cérébral de la synesthésie, nous en examinerons deux, qui sont plus souvent
mentionnés que les autres. En parallèle, nous évoquerons également les
aspects neuroanatomiques de la synesthésie.
3.2. Les facteurs anatomo-fonctionnels
Deux hypothèses principales ont été formulées quant aux corrélats
neurobiologiques de la synesthésie. L’une propose que les expériences
synesthésiques sont dues à des spécificités structurelles du cerveau des
synesthètes, tandis que l’autre considère que la synesthésie reflète des
caractéristiques fonctionnelles particulières liées à l’inhibition/excitation
des connections entre aires corticales. Comme nous le verrons, il se pourrait
que ces deux facteurs s’intègrent au cours du développement.
La première hypothèse est illustrée par la théorie de l’activation croisée
(cross-activation theory), qui fut développée principalement dans le cadre
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de l’étude de la synesthésie graphème-couleur. Selon cette théorie, les
expériences synesthésiques refléteraient une activation croisée entre les aires
cérébrales sous-tendant la perception des inducteurs (les graphèmes) et des
concurrents (les couleurs), plus précisément entre les régions cérébrales
adjacentes du gyrus fusiforme qui sont impliquées d’une part dans la
reconnaissance visuelle des séquences écrites (par ex., Cohen & Dehaene,
2004) ou des nombres (par ex., Rickard et al., 2000) et d’autre part dans
le traitement des couleurs (principalement l’aire V4, cf. Zeki, Watson,
Lueck, Friston, Kennard, & Frackowiak, 1991). La cause de cette activation
croisée pourrait être un élagage périnatal incomplet entre les connexions
neuronales (Kennedy, Batardiere, Dehay, & Barone, 1997 ; Maurer &
Maurer, 1988 ; Ramachandran & Hubbard, 2001). Cet élagage est une étape
normale de la maturation du cerveau pendant laquelle certaines connexions
peu utilisées sont supprimées par apoptose. Chez les synesthètes, ces
connexions n’auraient pas été supprimées.
Les arguments en faveur de cette hypothèse proviennent essentiellement
d’études révélant des différences anatomiques chez les synesthètes près
des régions liées au traitement des graphèmes et des couleurs. Il faut
cependant noter que ces différences ne s’observent pas seulement au
niveau d’aires spécifiques de traitement, par exemple au niveau du gyrus
fusiforme dans le cas de la synesthésie graphème-couleur, mais aussi au
niveau frontal et pariétal. Par exemple, Rouw et Scholte (2007) trouvèrent
une meilleure connectivité chez les synesthètes graphème-couleur tant au
niveau du cortex pariétal et frontal supérieur qu’au niveau du cortex
temporal inférieur, dans la matière blanche proche du gyrus fusiforme.
De manière cohérente, les synesthètes graphème-couleur présentent une
augmentation du volume de matière grise non seulement au niveau du
gyrus fusiforme mais aussi au niveau du cortex pariétal (par ex., Weiss &
Fink, 2009). Il est intéressant de noter que l’implication des aires pariétales
n’est pas spécifique de la synesthésie graphème-couleur, mais a aussi été
observée dans d’autres formes de synesthésie impliquant la couleur, comme
l’audition colorée (Beeli, Esslen, & Jäncke, 2008 ; Jäncke & Langer, 2011 ;
Neufeld et al., 2012 ; Nunn et al., 2002 ; Paulesu et al., 1995).
Ces données suggèrent que la synesthésie ne serait pas due uniquement
à une activation croisée entre deux aires spécifiques, mais qu’elle implique
des processus supplémentaires. L’implication des régions frontales et
pariétales pourrait refléter les processus d’intégration et de contrôle cognitif
qui font partie intégrante du phénomène synesthésique. En effet, tout
en créant des liens forts entre inducteur et concurrent, l’expérience
synesthésique mènerait à des conflits entre les sensations engendrées de
manière interne et externe, ce qui nécessiterait dès lors un plus grand
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Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie
647
contrôle cognitif et ferait intervenir des régions (pré-)frontales. En accord
avec cette idée, Weiss, Zilles et Fink (2005) ont montré qu’une dissonance
perceptive entre les couleurs physiques et l’expérience synesthésique colorée
résulte en une augmentation de l’activité neurale au niveau du cortex
préfrontal dorsolatéral gauche.
L’implication du lobe pariétal a quant à elle surtout été amplement
discutée sur la base du fait que ce lobe est spécialisé, même chez les
non synesthètes, dans l’intégration des propriétés perceptives de base
comme la couleur, la forme, l’orientation, etc., en objets cohérents (par ex.,
Friedman-Hill, Robertson, & Treisman, 1995). La synesthésie impliquerait
ainsi un processus de liage supplémentaire qui se réaliserait principalement
dans le lobe pariétal, même si les données divergent quant à savoir s’il
s’agit du lobe pariétal gauche ou droit (Specht, 2012). Cette idée a mené
à une refonte de la théorie de l’activation croisée : suite à l’activation croisée
entre aires adjacentes, par exemple, les aires traitant les graphèmes et celles
traitant les couleurs, les deux percepts seraient ensuite intégrés au niveau
pariétal (par ex., Hubbard, 2007 ; Hubbard, Brang, & Ramachandran,
2011).
Selon la seconde hypothèse, le cerveau des synesthètes ne diffèrerait
pas au niveau structurel de celui des non synesthètes, mais plutôt au
niveau de son fonctionnement. Il existerait de nombreuses connexions
entre les différentes aires sensorielles, mais celles-ci seraient normalement
inhibées chez les sujets non-synesthètes (par ex., Cohen Kadosh & Henik,
2007 ; Cohen Kadosh & Walsh, 2008 ; Grossenbacher & Lovelace, 2001).
Plus précisément, Grossenbacher et Lovelace proposent que la synesthésie
serait causée par un manque d’inhibition descendante (feedback) des
aires associatives du cortex vers les aires perceptives de plus bas niveau
(Grossenbacher & Lovelace, 2001). En effet, notre système perceptif
comporte des connexions en provenance des différentes voies sensorielles
qui convergent vers les aires associatives. Ces connexions vers les aires
associatives s’accompagnent de connexions descendantes qui renvoient de
l’information aux aires perceptives de plus bas niveau. Chez les personnes
non synesthètes, ces connexions descendantes seraient suffisamment
inhibées pour qu’il n’y ait pas d’induction synesthésique. Par contre, les
synesthètes connaîtraient un défaut d’inhibition des connexions en retour.
Ce phénomène provoquerait alors l’activation des aires sensorielles de bas
niveau, ce qui mènerait aux perceptions synesthésiques.
Un des arguments les plus convaincants en faveur de cette hypothèse est
celui des cas d’expériences qui ressemblent à de la synesthésie mais qui sont
déclenchées par la prise de drogues (Grossenbacher, 1997 ; Grossenbacher
& Lovelace, 2001). Ceci soutient en effet l’idée selon laquelle la synesthésie
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est sous-tendue par des connexions existant chez tout un chacun, mais qui
sont habituellement inhibées. Un autre argument en faveur de l’hypothèse
du manque d’inhibition a été apporté par Cohen Kadosh, Henik, Catena,
Walsh et Fuentes (2009) : ces auteurs ont montré que des participants
non synesthètes pouvaient éprouver une expérience synesthésique lors
d’une suggestion post-hypnotique. Ils ont recouru à l’hypnose afin de faire
apprendre des correspondances graphème-couleur chez leurs participants,
en vue d’induire une synesthésie. Les résultats obtenus en suggestion
post-hypnotique (mais pas lorsque la suggestion n’avait pas eu lieu) dans
une tâche de type Stroop sont similaires à ceux des synesthètes. Ceci
semble remettre en cause l’hypothèse d’hyperconnectivité et privilégier
celle d’un manque d’inhibition. En effet, il est très peu vraisemblable
que de nouvelles connections neuronales puissent être créées, devenir
fonctionnelles et ensuite dégénérer rapidement, au cours d’une expérience
relativement restreinte dans le temps. Néanmoins, ces arguments sont sujets
à caution. Ainsi, Sinke, Halpern, Zelder, Neufeld, Emrich et Passie (2012)
ont récemment relevé que la synesthésie induite par les drogues diffère de
la synesthésie développementale, car notamment elle ne présente pas de
constance (ni sur le long terme ni après un re-test immédiat), n’est pas
automatique et arbore une phénoménologie différente tant au niveau des
inducteurs que des concurrents. De même, dans l’étude de Cohen Kadosh
et al. (2009), il n’y a pas de preuves tangibles que les participants qui ont eu
une expérience synesthésique lors d’une suggestion post-hypnotique aient
vécu une expérience semblable à celle de véritables synesthètes. De plus,
nous verrons par la suite qu’un effet Stroop peut être obtenu par entraînement chez des sujets non synesthètes, sans avoir recours à une suggestion
post-hypnotique.
Même si de nombreuses tentatives expérimentales ont été faites
(voir aussi Brang, Hubbard, Coulson, Huang, & Ramachandran, 2010),
l’hypothèse d’hyperconnectivité et l’hypothèse de manque d’inhibition
sont en réalité difficiles à départager car elles ne sont pas nécessairement
incompatibles : des différences de structure cérébrale pourraient en
effet mener à des différences fonctionnelles et vice-versa. Ainsi, selon
Cohen Kadosh et al. (2009), les différences structurelles rapportées par
Rouw et Scholte (2007) pourraient en réalité n’être qu’une conséquence,
plutôt qu’une cause, de la synesthésie. Selon ce point de vue, ce
serait le manque d’inhibition qui mènerait lui-même à une réorganisation anatomique (Cohen Kadosh & Henik, 2007 ; Cohen Kadosh &
Walsh, 2008).
Quelle qu’en soit l’explication la plus plausible, il faut toutefois relever
que les résultats des études réalisées jusqu’ici sur les bases neurales de
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la synesthésie sont moins cohérents et ont montré une réalité bien plus
complexe que celle que nous venons brièvement de décrire.
Ainsi, les résultats de plusieurs études pourraient laisser croire que
chaque forme de synesthésie mène à des loci d’activation cérébrale qui
diffèrent en fonction de l’inducteur et du percept additionnel évoqué, ce
qui expliquerait le caractère « véridique », de type perceptif, de l’expérience
synesthésique subjective. De fait, certaines études ont montré que chez les
synesthètes de type graphème-couleur, la perception colorée de lettres ou
de chiffres achromatiques provoque une activation au niveau des aires du
cortex visuel responsables du traitement de la couleur (par ex., Hubbard,
Arman, Ramachandran, & Boynton, 2005 ; Rouw & Scholte, 2007). Il
en est de même lorsque la perception colorée est évoquée par des mots
parlés (Nunn et al., 2002). Mais ces activations ne sont pas toujours
observées. Ainsi, chez les synesthètes graphème-couleur, Hupé, Bordier
et Dojat (2012) et Rich et al. (2006) n’ont pas trouvé d’activation par
les concurrents des aires impliquées dans le traitement de la couleur, ni
d’ailleurs Rouw et Scholte (2010) dans un échantillon plus large incluant
pourtant celui testé en 2007. Par ailleurs, d’autres études rapportent chez
les synesthètes des activations du cortex visuel beaucoup plus larges que
celles impliquant seulement les aires liées au traitement de la couleur,
et les aires cérébrales qui présentent une modification structurelle chez
les synesthètes ne coïncident pas toujours non plus avec leur modalité
synesthésique (voir Hupé et al., 2012, et Rouw & Scholte, 2011, pour
des revues).
Hupé et al. (2012) proposèrent ainsi que les couleurs synesthésiques
pourraient être codées de manière distribuée, et non pas localisée, au
sein du cortex visuel. Selon ce point de vue, l’expérience synesthésique
reposerait sur l’interconnexion de diverses régions cérébrales sans que pour
autant une région spécifique soit fortement activée, et les co-activations
subtiles sur laquelle elle reposerait seraient difficiles à détecter par les
techniques d’imagerie les plus fréquemment utilisées de nos jours. Notons
que cette idée est compatible avec des données qui montrent une
altération globale de la typologie structurelle du cerveau des synesthètes
graphème-couleur (Hänggi, Wotruba, & Jäncke, 2011), ce qui suggère
une hyperconnectivité globale qui n’est pas limitée au gyrus fusiforme et
au cortex pariétal et qui pourrait refléter une modularité de traitement
moindre.
Il est par ailleurs intéressant de signaler que selon Rouw et al.
(2011), l’insula semble aussi impliquée dans la synesthésie, ce qui
pourrait être lié au processus de conversion d’un stimulus externe en
un stimulus interne différent (Paulesu et al., 1995) et/ou à la qualité
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émotionnelle particulière qui semble souvent accompagner les expériences
synesthésiques En effet, Jones, Gray, Minati, Simne, Critchley et Ward
(2011) ont trouvé, chez deux synesthètes lexicaux-gustatifs, une activation
de l’insula en fonction du goût plaisant ou déplaisant évoqué par des mots.
Signalons que des émotions semblent aussi accompagner la synesthésie
graphème-couleur : pour les synesthètes, percevoir un mot dans une
autre couleur que la couleur synesthésique provoque une réaction émotionnelle particulière pouvant biaiser leur performance (Callejas, Acosta,
& Lupianez, 2007). Par ailleurs, certains synesthètes ne perçoivent des
couleurs synesthésiques qu’en réponse à des stimuli émotionnels (par ex.,
Ward, 2004).
Cette qualité émotionnelle particulière qui accompagne (voire
provoque) les expériences synesthésiques pourrait aussi rendre compte
de l’implication du cortex retrosplénial dans ces expériences. Bien que
l’intervention de cette région dans la synesthésie ait déjà été mentionnée
par Weiss, Shah, Toni, Zilles et Fink (2001), son importance n’a été
soulignée que récemment. Hupé et al. (2012) y ont en effet relevé
une plus grande quantité de matière blanche (bilatéralement) chez des
synesthètes graphèmes-couleur, et Jäncke et Langer (2011) ont trouvé
une connectivité plus forte chez des synesthètes présentant l’audition
colorée au niveau de l’hippocampe et du cortex retrosplénial. Il faut
relever que le cortex rétrosplénial présente des liens fonctionnels et
anatomiques avec le système de mémoire (para)-hippocampique et qu’il
est impliqué dans les interactions entre les émotions et la mémoire,
surtout de type épisodique ou à caractère auto-référentiel (Maddock,
1999 ; Northoff et al., 2006 ; Piefke, Weiss, Zilles, Markowitsch,
& Fink, 2003). Comme le discutent Hupé et al., une association
synesthésique pourrait ainsi être considérée comme une association
mémorisée (arbitraire et idiosyncratique) chargée émotionnellement.
Ces auteurs soulignent aussi le fait que, chez le singe, cette région
envoie des connexions à l’aire V4, responsable du traitement de la
couleur (Kobayashi & Amaral, 2007). Le cortex rétrosplénial pourrait
ainsi lier des propriétés visuelles (comme la couleur) aux émotions et
souvenirs.
À la section suivante, le dernier niveau que nous aborderons dans
cette revue des divers facteurs à l’origine de la synesthésie concerne
l’influence de la culture et de l’environnement sur la formation des associations synesthésiques. Bien qu’à notre connaissance seule la synesthésie
graphème-couleur ait été analysée sous cet angle, ce type de facteur pourrait
aussi intervenir dans les autres formes de synesthésie.
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3.3. Les facteurs environnementaux et culturels
Nous avons déjà signalé que les concurrents semblent idiosyncratiques.
Bien qu’à première vue ceci semble être le cas dans la synesthésie
graphème-couleur, il est apparu que certaines lettres sont plus fréquemment associées à certaines couleurs. Plusieurs études ont ainsi montré que
les associations entre couleurs et graphèmes, bien que propres à chaque
individu, ne sont pas totalement aléatoires, tant chez les synesthètes que
chez les non-synesthètes (par ex., Barnett et al., 2008 ; Rich et al., 2005 ;
Simner et al., 2005). Naturellement, les adultes non synesthètes n’ont pas
d’associations fortes entre couleurs et lettres. Cependant, lorsqu’on leur
demande de faire un choix, certaines lettres sont plus fréquemment reliées
à une couleur que d’autres.
Plusieurs hypothèses tentant d’expliquer comment se forment ces
associations ont été avancées. Premièrement, Rich et al. (2005) ont constaté
que la première lettre du nom d’une couleur semblait influencer le choix
de la couleur associée. En effet, un pourcentage significatif d’adultes
synesthètes et non-synesthètes anglophones choisit la couleur rouge pour
la lettre R (36 % – red en anglais), jaune pour Y (45 % – yellow en
anglais) et bleu pour B (31 % – blue en anglais). Il y a cependant
de nombreuses exceptions à cela, comme le fait qu’aucune association
significative n’ait été trouvée entre la lettre O et la couleur orange, ou entre
le B et la couleur brune. De plus, dans d’autres études, des concurrents
différents ont été trouvés pour un même inducteur (Baron-Cohen, Burt,
Smith-Laittan, Harrison, & Bolton, 1996 ; Marks, 1975). Il semble donc que
cette hypothèse ne soit pas suffisante pour expliquer les correspondances de
couleurs associées à des graphèmes, tant chez les synesthètes que chez les
non synesthètes.
Une deuxième hypothèse proposée par Rich et al. (2005) est que la
similarité des associations graphèmes-couleurs des synesthètes et des non
synesthètes reflète certaines expériences communes. Dès le XIXe siècle,
Chabalier (1864, p. 101) avait remarqué que « depuis plusieurs années,
une méthode éducationnelle pour que les enfants apprennent a été de
matérialiser chaque lettre avec une couleur particulière, sous l’apparence
d’un objet dont le nom commence par la lettre à mémoriser ». Il
fut convaincu que ce type d’éducation avait produit de nombreuses
« pseudochromesthésies » (un terme employé à l’époque et faisant référence
à la synesthésie). Pour tester cette hypothèse, Rich et al. ont examiné
plusieurs collections de livres pour enfants de compréhension en lecture
(The Australian Children’s Literature Collection et The Australian School
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Textbooks Collection) qui utilisent des couleurs pour les nombres et les
lettres. Leur étude dévoile que la lettre A est souvent présentée en rouge
(43 %), H et S en vert (24 % et 23 %), D en brun (15 %) et O
en orange (18 %). Ces résultats ont montré certaines correspondances,
comme pour le A et le D, avec les choix de couleurs des synesthètes et
des non synesthètes qui composaient leur échantillon. Néanmoins, un
seul parmi les 150 synesthètes qu’ils ont examinés présentait des couleurs
synesthésiques consistantes avec les livres. Il est donc possible que les
couleurs synesthésiques soient, mais seulement en partie, influencées par
les couleurs utilisées dans les livres pour enfants.
Une troisième hypothèse propose que les associations graphèmescouleurs analogues chez les adultes synesthètes et non synesthètes reflètent
des connexions corticales communes facilitant les liens entre les sens ou
entre des dimensions sensorielles comme la forme et la couleur. Spector
et Maurer (2008, 2011) firent remarquer que si les associations entre les
couleurs et les lettres dépendent d’une organisation corticale sensorielle
intrinsèque, alors les mêmes associations devraient être observées chez les
jeunes enfants pré-lettrés. Au contraire, si ces associations sont le reflet d’un
apprentissage de la lecture, les enfants pré-lettrés ne devraient pas présenter
d’associations cohérentes. Les résultats de Spector et Maurer montrèrent
que seules certaines associations lettres-couleurs sont provoquées par la
forme : c’est le cas de la tendance à associer X et Z à du noir et I et O à
du blanc.
Réunies, ces données suggèrent donc qu’initialement l’organisation
corticale sensorielle lierait certaines formes à des couleurs spécifiques, mais
que l’apprentissage de la lecture induirait des associations supplémentaires.
4. LA FORMATION DES ASSOCIATIONS
SYNESTHÉSIQUES S’ARRÊTE-T-ELLE APRÈS
L’ENFANCE ?
De nombreux chercheurs ont suggéré que la synesthésie s’établirait durant
l’enfance, au moment où les cellules neuronales se spécialisent (Maurer,
1993 ; Maurer & Maurer, 1988 ; Spector & Maurer, 2009). Néanmoins, selon
Simner et al. (2009a), l’âge auquel se manifestent les associations varierait
en fonction du type de synesthésie. Par exemple, une synesthésie de type
graphème-couleur se manifesterait plus tardivement qu’une synesthésie
de type son-couleur, puisqu’elle ne peut survenir qu’après l’apprentissage
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des lettres. Quoi qu’il en soit, l’acquisition des associations synesthésiques
semble s’arrêter à un moment donné. Un argument qui semble soutenir
cette hypothèse est le fait qu’au sein d’un même sous-type de synesthésie,
toutes les associations ne sont pas présentes chez les synesthètes. Dans le
cas des séquences spatialisées, nous avons déjà relevé que la plupart des
synesthètes rapportent qu’ils perçoivent une disposition spatiale pour des
séquences telles que les jours, les mois et les graphèmes, mais pas pour
d’autres types de séquences. De même, nous avons noté que de nombreux
synesthètes graphèmes-couleurs perçoivent des couleurs pour les chiffres et
les lettres mais plus rarement pour d’autres symboles généralement acquis
plus tardivement (comme $, <, @, &, etc.). Il se pourrait donc qu’il existe
une période sensible, pouvant varier d’un type de synesthésie à l’autre,
durant laquelle les associations se forment. Notons qu’il est probable que
cette période soit plus étendue dans le temps chez certains individus
présentant une synesthésie multiple comme Veniamin (Luria, 1965), mais
aucune donnée empirique ne permet de confirmer cette hypothèse.
Il n’est toutefois pas exclu que les synesthètes puissent acquérir
de nouvelles synesthésies tout au long de leur vie, mais celles-ci se
développeraient plus lentement ou nécessiteraient une exposition plus
longue ou plus intensive que pendant l’enfance. Certains auteurs ont mis
en évidence que des associations synesthésiques initialement acquises par
exemple entre couleurs et chiffres pouvaient se généraliser aux symboles
alphabétiques, acquis plus tardivement (par ex., du chiffre « 2 » au mot
« deux », Rich et al., 2005). De même, des associations synesthésiques
initialement acquises pour les nombres et les lettres de l’alphabet latin
peuvent être transférées à l’alphabet cyrillique, appris plus tardivement
(Witthoft & Winawer, 2006). Comme le montre l’étude de Mroczko,
Metzinger, Singer et Nikolic (2009), un tel transfert à de nouveaux
graphèmes semble pouvoir s’opérer même à l’âge adulte, suite à un bref
apprentissage d’une dizaine de minutes. Les « nouveaux » graphèmes
utilisés par ces auteurs appartenaient à un ancien système d’écriture slave –
le glagolitique – et correspondaient aux graphèmes latins et arabes (chiffres)
qui produisaient initialement une forte association graphème-couleur chez
les participants de leur étude. Ceux-ci apprenaient la forme visuelle des
nouveaux graphèmes un à un, en les écrivant d’abord chacun six fois,
puis en acquéraient leur signification en écrivant 20 mots ou séquences
de chiffres dans lesquels il devaient remplacer le graphème latin/arabe
par son équivalent glagolitique. La tâche de type Stroop a été ensuite
utilisée pour témoigner de cet apprentissage. La comparaison de la
performance avant et après l’apprentissage a montré un effet important
de l’entraînement. Ceci suggère que les associations entre graphèmes et
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couleurs apprises durant l’enfance peuvent être transférées à un nouveau
graphème en une période de temps très courte, puisque ces nouvelles
associations induisent directement un fort effet d’interférence dans la tâche
de type Stroop. Cependant, les résultats observés ne permettent pas de
savoir s’il s’agit d’une nouvelle synesthésie pour ce type de graphème,
ou s’il s’agit simplement de la mémorisation d’associations au niveau
sémantique (Nikolic, Lichti, & Singer, 2007). En effet, nous avons déjà fait
référence au fait qu’un effet de type Stroop peut également être observé
chez des non synesthètes, suite à l’apprentissage d’associations de type
graphèmes-couleurs (par ex., McLeod & Dunbar, 1988 ; Meier & Rothen,
2009). La question de savoir si de nouveaux inducteurs peuvent mener à de
nouvelles associations synesthésiques reste donc en suspens.
5. PEUT-ON APPRENDRE À ÊTRE SYNESTHÈTE ?
La question de savoir s’il est possible pour les synesthètes de continuer
à acquérir de nouvelles associations synesthésiques au-delà de l’enfance
mène tout naturellement à celle, plus large, de savoir si des individus non
synesthètes peuvent, par entraînement, acquérir une forme de synesthésie.
Il paraît évident que, avec un entraînement plus ou moins long, tout le
monde pourrait mémoriser des associations entre, par exemple, des chiffres
et des couleurs. Cependant, peut-on réellement devenir synesthète ?
Plusieurs études ont mis en évidence un effet de type Stroop chez des
adultes non synesthètes mais entraînés à former de nouvelles associations.
Toutes ont montré que, suite à un entraînement, des personnes non
synesthètes ayant appris à associer des graphèmes avec des couleurs
obtenaient un effet d’interférence dans une tâche de type Stroop. Nous
avons déjà mentionné le cas rapporté par Elias et al. (2003) d’un participant
non synesthète mais qui s’était entraîné sur une très longue période à la
pratique du point de croix, lequel implique la connaissance d’un code de
type couleur-nombre. Il est à relever que cette personne présentait un effet
d’interférence de type Stroop identique à celui d’un groupe de synesthètes.
Meier et Rothen (2009) ont de plus montré qu’un entraînement court
suffisait à provoquer un effet d’interférence dans la tâche de type Stroop.
Ils ont entraîné un groupe de non synesthètes pendant sept jours, à raison
de 10 minutes par jours, à associer des mots et des couleurs. Ils observèrent
un effet d’interférence dans la tâche de type Stroop, montrant une fois de
plus que cet effet n’est pas suffisant pour juger ou non de la véracité des
perceptions synesthésiques chez un individu.
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Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie
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Bien que dans toutes ces études les participants aient pu apprendre
à associer des graphèmes avec des couleurs, il semble néanmoins que
trois éléments ne soient pas réunis pour former une véritable synesthésie.
Le premier concerne les aspects neuroanatomiques sous-tendant la
synesthésie. Nunn et al. (2002) ont surentraîné un groupe de non
synesthètes à associer des mots avec des couleurs spécifiques. À l’inverse
des synesthètes, qui présentaient une forte activité dans les aires V4 et V8
du cortex temporal, les sujets de contrôle ne montraient pas d’activité dans
ces régions lors de l’écoute des mots parlés. Il semble toutefois prématuré
de considérer que cette différence d’activation prouve que les nouvelles
associations ne sont pas véritablement synesthésiques, puisque nous avons
vu que, de manière générale, il est difficile de différencier le fonctionnement
cérébral des synesthètes et des non synesthètes.
Le deuxième élément, plus convainquant, est le fait que les non
synesthètes ayant appris des associations semblent utiliser des stratégies
cognitives particulières, que l’on n’observe pas chez les synesthètes. Ainsi,
Cohen Kadosh et al. (2005) ont développé un paradigme modifié de
concordance de taille2 destiné à évaluer l’influence de la couleur sur la
magnitude numérique chez les individus qui présentent une synesthésie
graphème-couleur. Ce paradigme utilisait la couleur comme variable
non pertinente. Le participant devait désigner lequel de deux chiffres
se caractérisait par la plus grande magnitude, tout en ignorant la
dimension non pertinente. Les deux synesthètes examinés ont répondu plus
rapidement quand la « distance numérique » entre les deux couleurs était
plus grande que celle indiquée par les chiffres, par rapport à la situation
dans laquelle les chiffres étaient présentés dans leur « bonne » couleur, à
savoir celle de leur association synesthésique. Par exemple, ils répondaient
plus rapidement aux chiffres 4 et 5 présentés dans les couleurs évoquant
le 2 et le 7 qu’aux chiffres 4 et 5 présentés dans leur propre couleur
synesthésique. Les participants non synesthètes mais entraînés ont, quant
à eux, obtenu des résultats opposés aux deux synesthètes : chez eux, il y
avait une interférence lorsque la couleur ne correspondait pas au chiffre
auquel elle avait été associée lors de leur apprentissage. Le groupe de
contrôle non entraîné n’a quant à lui montré aucun effet de la couleur sur
la tâche. Il faudrait cependant, selon les auteurs, effectuer un apprentissage
beaucoup plus long pour vérifier si dans ce type de tâche les résultats des
2 Notons que le paradigme classique de concordance de taille met en évidence un effet d’interférence de variables
physiques sur le traitement de la magnitude numérique. Ce traitement est par ailleurs sensible à l’effet de distance
entre les magnitudes, ainsi qu’à l’effet de distance au niveau de la variable non pertinente (si une dimension
physique est importante, son effet interférent sur le traitement numérique sera plus appréciable).
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non synesthètes se rapprochent de plus en plus, au fur et à mesure de
l’apprentissage, de ceux obtenus par les synesthètes.
Le troisième élément manquant pour être un parfait synesthète, et qui
est essentiel, semble être l’expérience synesthésique en elle-même. En effet,
ce n’est pas parce que des personnes non synesthètes peuvent parvenir
à apprendre des associations que celles-ci vont être perçues de la même
manière par un synesthète. Dans l’exemple des séquences spatialisées, le
synesthète perçoit, dans son « œil interne » ou dans le monde qui l’entoure,
une disposition spatiale d’éléments. Quoi qu’il fasse, il la percevra. Dans
l’expérience de Meier et Rothen (2009), les non synesthètes rapportent
certes que les lettres déclenchent après l’apprentissage la mémoire des
associations apprises, mais aucun ne rapporte que celles-ci provoquent une
expérience colorée.
Il semble donc que l’influence des gènes et ce qui en découle, à savoir
notamment les différences structurelles et fonctionnelles, ne puissent pas
être suppléés – par exemple, par un entraînement, aussi long qu’il soit –
pour la formation d’une véritable expérience synesthésique.
6. QU’EST-CE QUE CELA APPORTE D’ÊTRE
SYNESTHÈTE ?
La synesthésie a souvent été mentionnée comme étant un « sixième sens »,
ou comme un type de perception extrasensorielle. Pour rejoindre Day
(2005), la synesthésie ne semble pourtant pas être un sixième sens. Il s’agit
plutôt d’un groupement de plusieurs sens préexistants. C’est simplement
une manière différente de voir le monde. Le paradoxe est qu’en fait
les perceptions synesthésiques sont considérées comme normales par les
synesthètes, bien que ce ne soit pas le cas pour les non synesthètes. Pour
chaque synesthète, le fait d’apprendre que ses perceptions ne sont pas celles
de tout le monde est souvent une découverte surprenante. C’est d’ailleurs
pour cette raison que beaucoup de synesthètes ignorent qu’ils le sont. Pour
un synesthète, il n’est pas normal de ne pas percevoir toutes ces choses !
De nombreuses études ont montré qu’être synesthète pouvait mener
à l’obtention de scores supérieurs dans certaines tâches, mais à des
performances inférieures dans d’autres. Par exemple, les synesthètes
« goûtant les mots » rapportent des difficultés à maintenir leur attention
lorsqu’ils lisent (Ward & Simner, 2003). Ward, Sagiv et Butterworth
(2009) ont montré que les synesthètes numérico-spatiaux sont lents en
calcul mental, et plus particulièrement en multiplication, sans doute
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en raison du recours involontaire à leur ligne mentale numérique. Il
est cependant fréquemment apparu que la synesthésie procure certains
avantages cognitifs, notamment dans le domaine de la mémoire. Veniamin
(Luria, 1965), qui pouvait se souvenir précisément de listes d’une centaine
de mots apprises 20 ans plus tôt, et Daniel Tammet (auteur de « Je suis
né un jour bleu »), qui pouvait apprendre l’islandais en une semaine ou
encore réciter 22,514 décimales de Pi par cœur, n’auraient pas contredit le
fait qu’être synesthète leur confère un avantage mnémonique important.
Outre ces deux exemples prodigieux, plusieurs études ont montré que
la synesthésie pouvait conférer un avantage mnésique (Mills, Innis,
Westendorf, Owsianiecki, & McDonald, 2006 ; Smilek, Dixon, Cudahy,
& Merikle, 2002). Par exemple, Smilek et al. (2002) ont présenté aux
participants trois matrices différentes de 50 chiffres allant de 0 à 9. Sur la
première, C – un synesthète – voyait apparaître les chiffres dans une couleur
congruente à ses photismes ; sur la deuxième, les chiffres étaient présentés
dans des couleurs incongruentes ; et sur la troisième, les chiffres étaient
noirs. Les résultats ont montré non seulement que C avait des performances
plus faibles lorsqu’il était confronté à la matrice de chiffres en couleurs
incongruentes par rapport à la matrice avec des couleurs congruentes
et des chiffres noirs, mais également que C était meilleur que les sujets
de contrôle dans le rappel des chiffres noirs. Simner et al. (2009) ont
montré que les synesthètes avec séquences spatialisées qui perçoivent une
disposition particulière pour les années et les siècles sont plus exacts que des
sujets de contrôle non seulement lorsqu’il s’agit de dater 120 événements
politiques ou culturels, mais également lorsqu’il s’agit de rappeler des
détails autobiographiques. Les synesthètes graphème-couleur obtiennent
quant à eux de meilleures performances dans des tâches de mémorisation
de couleurs (Yaro & Ward, 2007) et dans certains tests de créativité (Ward,
Thompson-Lake, Ely, & Kaminski, 2008).
Notons que les avantages mnémoniques liés à la synesthésie pourraient
reposer sur l’implication du cortex rétrosplénial et de l’hippocampe,
dont nous avons déjà discuté (Hupé et al., 2012 ; Jäncke & Langer,
2011). Néanmoins, les exemples cités ci-dessus suggèrent que les bénéfices
cognitifs liés à la synesthésie dépendent des sous-types de synesthésies. De
plus, ces bénéfices ne sont pas toujours prodigieux. Ainsi, Rothen et Meier
(2010) ont porté leur attention sur différents domaines de la mémoire
en présentant un test de mémoire standardisé (l’échelle de mémoire de
Wechsler) à un groupe de synesthètes graphème-couleur et un groupe
de non synesthètes. Bien que montrant un avantage mnémonique par
rapport au groupe de contrôle, particulièrement pour la mémoire visuelle,
les scores des synesthètes restaient pour la plupart des tests dans les
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limites de l’ordinaire, définis par les auteurs comme un écart-type par
rapport à la moyenne des sujets de contrôle. Ce n’était en fait que dans
le test d’apprentissage d’associations entre dessins et couleurs que leur
performance dépassait cette limite. De plus, les synesthètes ne bénéficiaient
d’aucun avantage dans des tests classiques de mémoire à court terme
comme l’empan de chiffres. Il faut donc rester prudent lorsqu’on évoque
les bénéfices cognitifs que peut procurer la synesthésie.
7. CONCLUSION
Dans cet article, nous avons examiné les éléments de discussion issus
des recherches récentes se rapportant à la synesthésie. Bien que la
recherche en la matière ait indéniablement avancé ces dernières décennies,
de nombreuses zones d’ombre subsistent encore. La synesthésie mérite
cependant une attention particulière, non seulement en raison de
l’étonnante diversité des perceptions qu’elle produit, mais aussi parce
qu’elle peut nous aider à améliorer notre compréhension de la cognition
« normale » (non synesthésique), et ce, dans de nombreux domaines.
L’un de ceux-ci est bien entendu la compréhension des interactions
intermodales dans la perception, tant au niveau des mécanismes impliqués
que du développement de ces mécanismes. Comme le discutent Spector
et Maurer (2009), le fait que l’on ait observé une cohérence entre
les associations des synesthètes, des non synesthètes et des jeunes
enfants, non seulement, comme nous l’avons déjà discuté, entre les
lettres et les couleurs, mais aussi entre les formes et les sons (l’effet
« Bouba-Kiki » – Köhler, 1947 ; Ramachandran & Hubbard, 2001) et
entre la hauteur des sons et la couleur (plus claire pour les sons aigus,
plus foncée pour les sons graves, par ex., Marks, 1974 ; Ward et al.,
2006), suggère que des connexions intermodales (et entre dimensions)
fonctionnelles sont présentes dès la naissance, et que celles-ci persistent
dans une certaine mesure à l’âge adulte. Ces connexions influenceraient le
développement perceptif et langagier de l’enfant et peuvent être dévoilées
par la synesthésie, puisque les synesthètes ont un accès conscient à ces
processus.
Étroitement lié à la question de l’intermodalité est le problème
du couplage (binding) perceptif. Il s’agit de comprendre comment des
propriétés perçues indépendamment, par des zones différentes du cortex
(par ex., la forme, la couleur, le mouvement, etc.), peuvent être couplées
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pour nous procurer une expérience unifiée des objets du monde qui
nous entoure (voir discussion dans Cohen Kadosh & Henik, 2007). Or,
les synesthètes associent deux propriétés dont l’une n’est en réalité pas
physiquement présente (par ex., la couleur, dans le cas des synesthètes
graphème-couleur). Inversement, les patients qui souffrent d’une lésion
au lobe pariétal peuvent présenter un problème de couplage (par ex.,
Friedman-Hill et al., 1995). Il a été suggéré, dès lors, que l’étude
conjointe de ces deux populations pourrait contribuer à améliorer
notre compréhension des mécanismes de couplage perceptif (Robertson,
2003).
Dans de nombreux domaines, la synesthésie est utile à l’étude de
la cognition car le fait que les synesthètes soient conscients de leur
perception permet d’étudier des phénomènes qui autrement sont difficiles
à examiner empiriquement. Cohen Kadosh et Henik (2007) ont présenté
un exemple frappant qui illustre cette idée dans le champ de la cognition
numérique. Si l’on considère l’un des effets les plus connus dans ce
domaine, l’effet SNARC, dont nous avons déjà parlé, il est surprenant
que le patron de réponse classiquement rapporté ne soit observé en
réalité que chez environ 65 % des participants non synesthètes. Expliquer
cette variabilité est assez difficile, et faire un « débriefing » de ces
participants ne serait pas très utile, puisqu’en général ils ont un accès
limité à leur « œil mental ». Ceci n’est pas le cas des synesthètes qui
ont une représentation explicite des nombres dans l’espace. Or, il est
intéressant qu’environ la même proportion de ces synesthètes (autour
de 63 %) présente un arrangement visuo-spatial allant de la gauche
vers la droite. Cohen Kadosh et Henik (2007) ont ainsi émis l’idée que
les différences individuelles observées dans l’effet SNARC chez les non
synesthètes refléteraient chez eux des différences individuelles dans la
forme de l’association implicite entre nombres et espace. De manière
plus générale, ceci pourrait suggérer que certaines associations des non
synesthètes sont en réalité des associations de type synesthésique, mais dont
les individus ne prennent pas conscience.
Cet exemple nous montre aussi que l’étude de la synesthésie permet
d’aborder des questions tout à fait fondamentales, comme celle des
conditions qui permettent l’émergence de la perception consciente. Nous
ne pouvons dès lors que nous réjouir de l’intérêt croissant des neurosciences
cognitives pour ce phénomène, qui, loin d’être seulement étrange, est une
fenêtre ouverte sur la nature de notre système cognitif.
Reçu le 31 janvier 2012.
Révision acceptée le 23 octobre 2012.
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