les-cabanes-de-locean-chapitre-3

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Chapitre 3
Le lendemain matin, calée dans mon canapé, un bon livre entre les mains,
j’entends soudain les rires de Mila et Théo dans le jardin. Une belle voix grave
accompagne cette hilarité enchantée. Tiens, tiens… serait-ce l’invité de
Salomé ? Je me penche avec curiosité mais je n’arrive pas à les apercevoir. Je
me lève et m’avance discrètement vers la baie vitrée. Théo me voit et se
précipite pour me rejoindre. Alors qu’il déboule comme une fusée, je
m’agenouille pour le réceptionner dans mes bras. C’est bon ces moments de
tendresse partagée.
- Salut, jeune homme. T’as l’air en forme ce matin !
- C’est Sam, il essaie de m’attraper mais j’arrive à le faire tomber.
Lorsque je lève les yeux, « le Sam » en question est en train de m’observer
depuis l’entrée. Avec le contre-jour, le tableau est magnifique. La petite Mila,
toute auréolée de lumière, est assise sur les épaules de ce grand brun, bien bâti.
Il fait alors un pas en avant, la main tendue pour se présenter.
- Bonjour, je suis Samuel Dalton.
En découvrant son visage, je le reconnais immédiatement ! Incroyable, c’est le
beau regard bleu que j’ai vu à la fin de mon voyage cosmique, la semaine
dernière. Avant que je ne comprenne ce qu’il m’arrive, un voile noir passe
devant mes yeux et je m’effondre sur le plancher. En revenant à moi, j’entends
Mila qui demande :
- Elle fait dodo ?
- Un peu, oui… Théo, trouve un coussin pour qu’elle soit plus confortable,
tu veux ?… et on va lui surélever les jambes… on fait comme ça quand
les gens partent dormir dans les nuages.
Les brumes m’encombrent encore le cerveau mais je reviens gentiment à moi.
Lorsque j’ouvre les yeux, je vois Salomé qui se précipite vers nous.
- Mais… mais que se passe-t-il ?
- Mathilde est revenue des nuages, dit Théo en lui prenant la main.
Un rire monte en moi. Ça m’aide à reprendre mes esprits. Ils ont le chic, les
enfants, pour nous aider à dédramatiser. Un bref silence s’installe avant que
Samuel ne lance avec tact :
- Je retourne dans le jardin avec les enfants.
Alors qu’il sort, Théo et Mila sur les talons, Salomé m’aide à me relever.
- Installe-toi dans ton canapé, je vais te faire un thé.
Les jambes en coton, je ne me fais pas prier. Blottie dans mon canapé-nid,
cadeau de mon cher Jean-Louis, je me laisse avec plaisir materner par Salomé.
Elle revient de la cuisine et me passe une tasse à l’arôme fumé.
- Bon alors, qu’est-ce qui t’est arrivé ?
- Samuel… c’est le visage que j’ai vu sur la plage à la fin de la
transmission.
Salomé reste figée devant moi, interloquée.
- Mais … mais c’est un truc de malade ! Ça s’appelle carrément de la
prémonition, ça !
Elle se laisse tomber dans le canapé.
- Ouais, peut-être… je n’en sais rien.
Face à son regard lourd de sens, je m’exclame :
- Ce n’est pas que je m’en désintéresse, Salomé, si c’est ça que tu
essayes d’insinuer.
Peu convaincue, elle me demande :
- Alors concrètement, qu’est-ce que t’es en train de « faire » ?
- C’est tellement énorme… je me sens dépassée…
- Alors, comme d’habitude tu préfères rester en périphérie !
Ne sachant pas quoi répondre, je reste silencieuse. Salomé lance un coup d’œil
à Samuel et les enfants à travers la vitre.
- Reste sur le périph’ si tu veux, mais en attendant, ta vision s’est belle et
bien matérialisée !
Je me redresse et regarde dehors. Mila lance un ballon à Samuel, alors que
Théo essaie, tant bien que mal, de le faire tomber.
- Finalement t’as bien fait de lui proposer de venir, tu t’es trouvé une
« jeune fille au pair » à l’œil !
- Tu veux sa fiche, ou tu t’en fiches ?
- Toi et tes fiches !
- Alors, il est Français par sa mère et Allemand par son père. Il a
cinquante-trois ans, il est marié et il a trois enfants.
Devant mon regard surpris, elle éclate de rire, puis la moue boudeuse, elle me
lance :
- Non, sérieusement, je ne sais presque rien de lui. En une soirée, la seule
information que j’ai apprise, c’est qu’il est de double nationalité : Français
et Américain.
- C’est vrai qu’il a un petit accent…
- Professionnellement par contre, j’en sais plus.
Fière d’elle, elle me lance :
- Il a commencé sa carrière aux Etats-Unis en réalisant des clips, des pubs
et des documentaires de fiction. Puis il est venu s’installer en France, il y
a une dizaine d’années. Avec son associé, ils ont réalisé un ou deux films
et quelques émissions télé qui ont plutôt bien marché. Le documentaire
qu’il est en train de monter est un genre de revirement de carrière
d’après ce que j’ai compris. J’en conclus donc qu’il a dans les quarante
ans…
Je hausse un sourcil.
- Ben oui, son changement d’orientation doit être sa crise de la
quarantaine !
- Tu es terrifiante quand tu es comme ça, Salomé.
Elle éclate de rire avant de me demander brusquement :
- Mince, quelle heure est-il ?
Je cherche des yeux l’horloge de la cuisine.
- Onze heures vingt.
- Je dois y aller ma belle, les kids sont invités à une crêpe-party chez la
voisine.
Elle se lève.
- J’ai promis de l’aider à gérer cette bande de petits monstres affamés.
Je la rejoins dans l’entrée.
-
Je viens avec toi. Il va bien falloir que je le rencontre un jour votre Samuel
national !
Je fais quelques pas sur la terrasse puis m’arrête, indécise. Une fois de plus, je
reste sur le périph’ et regarde Salomé rejoindre la bande de joyeux lurons au
fond du jardin.
Il y a régulièrement des hôtes aux Cabanes de l’Océan, mais… je ne sais pas…
là, sa présence me dérange. En même temps, vu le sujet de son documentaire,
cet homme pourrait peut-être m’aider à débroussailler ces mystères qui
s’invitent dans ma vie, depuis quelque temps.
Lorsque les enfants partent avec Salomé, Samuel me regarde de loin avant de
s’avancer tranquillement vers moi. Une fois sur la terrasse, il me tend la main et
plaisante :
- Présentation de Samuel, deuxième prise, « action » !
Mal à l’aise, je lui serre rapidement la main.
- Bonjour… Mathilde Bouvier.
Il pose son beau regard clair sur moi.
- Ça va, vous vous sentez mieux ?
- Oui, oui ça va…
Un sourire en coin, il ajoute :
- C’est la première fois que je fais un tel effet à une femme !
Un silence gêné s’installe.
- Je sais que vous n’avez pas envie que je sois là, me dit-il de sa voix
grave.
Alors qu’il soutient mon regard, sans ciller, mon cœur s’emballe et je détourne
les yeux. Sa franchise me déstabilise.
- Je ne sais pas quoi vous dire… ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas
suite à une initiative personnelle que nous nous rencontrons…
De son regard calme et posé, il continue à m’observer. Je dis alors avec
humeur :
- Mais c’est sans importance. Vous êtes là… vous êtes là ! Voilà !
La tête penchée sur le côté, il me dévisage. Nouveau silence.
- Je vous perçois comme un grand mystère, Mademoiselle Bouvier.
Sa franchise me remue, sa voix grave me bouleverse et sa présence
magnétique me donne envie de fuir. Je respire profondément et tente de faire le
tri de ces émotions contradictoires. N’y arrivant pas, je lance la première chose
qui me passe par la tête afin de me sortir de cet enchantement.
- J’ai besoin d’aller marcher. Est-ce que vous voulez m’accompagner ?
- Avec plaisir ! Je vais juste me changer et vous rejoins dans cinq minutes.
Je l’observe alors qu’il traverse le jardin. Attendrie, je vois que les courses
poursuites avec les petits nains ont laissé des traces, il a des marques d’herbes
dans le dos.
Quel homme ce Samuel ! En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la liste de
ses qualités a explosé. Son côté « scrutateur », par contre, je m’en serais bien
passée. Il me perçoit comme un grand mystère ? Quel gag ! J’ai plutôt
l’impression qu’il lit en moi comme dans un livre ouvert !
Côte à côte, nous longeons la rue des Goélands en direction du Bassin. Après
quelques instants de silence, Samuel me demande :
- Vous préférez le « Vous » ou tu préfères le « Tu »?
- Le tutoiement me va très bien…
- Parfait ! C’est plus simple comme ça.
Un nouveau silence s’installe. Ça ne le gêne pas, visiblement. Il observe les pins
et les arbousiers qui bordent la rue, en marchant tranquillement à mes côtés.
- Vous… tu es déjà venu au Cap Ferret ?
- Non. J’en ai beaucoup entendu parler, mais je n’étais encore jamais
venu.
- La côte atlantique est magnifique, mais ici, avec le Bassin à proximité,
c’est carrément le bonheur.
- Le bonheur ! C’est le mot qui m’est venu en découvrant les Cabanes de
l’Océan.
- Il y a des orages aussi, parfois. Mais c’est vrai que dans l’ensemble, on y
est bien.
Alors qu’on arrive vers le quartier ostréicole, Samuel s’arrête et observe, les
différentes cabanes colorées sur la petite place. L’ambiance est au travail en
cette fin de matinée. Alors qu’on reprend notre marche en direction du Bassin,
son regard lumineux accroche mille et un détails de ces activités ouvrières.
Nous passons entre un atelier de production et un chai de stockage avant de
déboucher sur la plage.
- Whow… magnifique ! s’exclame Samuel en découvrant la Dune du Pilat.
Campée à l’entrée du Bassin, elle nous domine de toute sa beauté, autant que
de sa grandeur.
- C’est un bon jour pour la rencontrer, cette « Reine des Mers »…
Il tourne la tête vers moi.
- C’est l’équinoxe, aujourd’hui.
Il me sourit, complice. Contemplatifs, nous restons silencieux quelques instants.
- Ce jeu entre la marée et les éléments me fascine. L’atmosphère du
Bassin change perpétuellement.
- Tu l’aimes cette région, ça se voit !
J’acquiesce.
- J’aime ce mélange entre océan, dunes et pinèdes… oui.
- Vous êtes nées en Suisse, Salomé et toi… d’après ce que j’ai compris ?
- Oui.
Pensive, j’ajoute :
- À 22 ans, quand on a quitté notre Suisse natale pour partir à l’aventure,
je n’aurais jamais imaginé que nous n’y retournerions pas.
Je fais quelques pas le long de la lagune avant de lui demander :
- Et toi, tu es Français et Américain… « d’après ce que j’ai compris » ?
Il se marre. Salomé-la-Pipelette est démasquée.
- Ma mère est française et mon père est américain.
- Et tu as passé ton enfance sur quel continent ?
- J’ai vécu jusqu’à l’âge de huit ans à Wilmington, en Caroline du Nord.
Devant mon air interrogateur, il ajoute :
-
C’est sur la côte Est, entre New York et la Floride. Ensuite, j’ai beaucoup
déménagé… New York, Paris, Buenos Aires, Nice. Ma vie s’est ensuite
stabilisée lorsque j’ai rejoint mon père à San Francisco. J’avais alors dixsept ans !
- Impressionnant, un vrai globe-trotter.
- On peut voir ça comme ça, oui…
Au ton de sa voix, je comprends que ces nombreux déménagements n’ont pas
dû être des plus faciles.
En arrivant sur le boulevard de la Plage, je lui propose de passer par le centre
avant de remonter vers le phare. En parfaite guide touristique, je lui fais
découvrir l’incontournable boulangerie Frédélian et la poissonnerie Boulan.
- Et pour terminer ce tour d’horizon, la petite supérette du coin ! Si tu veux
trouver un supermarché digne de ce nom, tu es obligé de retourner à
Claouey, à une quinzaine de kilomètres d’ici.
En voyant le gros matou à poil roux qui arrive vers nous, je m’exclame:
- Quelle bonne surprise !
Je me baisse pour le caresser.
- C’est ton chat ?
- Non, mais il passe me voir de temps à autre aux Cabanes. La première
fois qu’il est venu, il n’était pas en forme. Je l’ai nourri et depuis, on est
amis.
- Il a un nom ?
- Benoît et les enfants l’appellent Garfield et moi… Siddharchat !
Samuel se marre en entendant ce jeu de mots. Je me relève et nous reprenons
notre marche.
- Est-ce que tu sais où je peux trouver un surf-shop ? J’aimerais aller me
louer une planche.
- Je te conseille le ManlyShop, sur la rue des Mouettes.
Je m’arrête et lui montre le bout de la rue.
- Dis-leur que tu loges aux Cabanes, ils te feront un prix.
- Merci pour cette balade, Mathilde.
- À plus tard…
Je m’éloigne tranquillement, mon « chat-peron » roux toujours sur mes talons.
Cette marche improvisée avec Samuel était très agréable. La gêne du début
s’est vite transformée en une franche camaraderie. Je réalise qu’il ne m’a même
pas parlé de son documentaire. C’est assez smart de sa part, sachant
qu’« accessoirement » c’est pour ça qu’il est venu.
- Tant qu’il joue au vacancier, moi ça me va ! lançais-je en riant à
Siddharchat, alors que nous arrivons aux Cabanes.

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