Cimetiere des elephants - Cours de theatre Paris
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Cimetiere des elephants - Cours de theatre Paris
Le Cimetière des éléphants Jean-Paul Daumas PERSONNAGES : LUDIVINE, CHLOE, LOUISE, ADA ET FERNANDE Pour situer la scène : Dans une pension de famille, sur la « Côte du soleil », vivent cinq femmes : Ludivine, ancienne comédienne, Ada, femme de militaire colonial, Chloé, une bourgeoise, Louise, une paysanne. Fernande, la dernière arrivée, a convaincu certaines d'entre elles de sortir se promener à l'extérieur alors que jusque-là, elles restaient cloîtrées dans leur pension, terrorisées par l'idée qu'à l'extérieur ne sévissent que des « voyous ». CHLOE. C'est affreux ! C'est affreux ! LUDIVINE. Et voilà ! ADA. Chloé, ma pauvre Chloé... CHLOE. Mes amies, c'est affreux. Affreux !... Ah... ADA. Ils étaient nombreux ? FERNANDE. Ils vous ont dérobé quelque chose ? LOUISE. Ils vous ont battue ? - - .. ADA : Ils vous ont frappée très fort ? CHLOE. Un voyou, mes amies. J'ai été agressée par un voyou... Dévalisée... Mes bagues... (...) LUDIVINE. Où cela s'est-il passé ? CHLOE. Vous n'allez pas me croire... Dans l'autobus. ADA, LOUISE, LUDIVINE. Dans l'autobus ? LUDIVINE. Elle a pris l'autobus ?... Vous les aurez rendues toutes folles. (...) FERNANDE : Moi, j’ai arrêté l’Autobus ! CHLOE. J'étais en bas de l'avenue. J'avais traîné tout l'après-midi, de vitrines en vitrines... Moches d'ailleurs... Alors j'étais fatiguée, j'ai vu passer un autobus, il est direct, je suis montée. Évidemment personne ne s'est levé pour me céder la place... LUDIVINE, LOUISE, ADA , FERNANDE Évidemment. CHLOE. J'étais donc debout me tenant du mieux possible à la barre du dossier d'un fauteuil, quand soudain je l'ai senti derrière moi, juste contre moi. LOUISE. Le voyou ? CHLOE. Oui. ADA. Quel âge ? LUDIVINE. Jeune ? FERNANDE. Mûr ? LUDIVINE. Âgé ? CHLOE. Moyen... Sans cravate... Et il souriait, plein de dents pointues... À cela on reconnaissait le voyou : des dents de tigre. Soudain un coup de frein brutal. Dans ces cas-là, les conducteurs sont toujours complices, c'est bien connu. Le voyou fait semblant de perdre l'équilibre, et sous le prétexte de se rattraper, il pose sa main sur la mienne : comme ça ! J'en frémis encore d'horreur... (...) ADA Mmmm frémissement, horreur, c’est…mmmmm…. dur…Et c’est tout ? FERNANDE. Il a simplement posé sa main sur la vôtre ? CHLOE. Toute sa main sur toute la mienne. C'est une technique de prestidigitation vieille comme le monde. Mais on ne me la fait pas. Depuis le temps que j'ai des bijoux j'ai appris à me protéger. LUDIVINE Et ensuite qu'a-t-il fait ? ADA : Oui, que VOUS a-t-il fait ? CHLOE. Il s'est excusé. Vous vous rendez compte, excusé... Ces gens ont toutes les audaces. Puis il s'est mis à nouveau à sourire prêt à me dévorer : un cauchemar. Au premier arrêt je suis descendue et j'ai couru. J'ai cru ne jamais arriver. (...) ADA. Ooooooh ! Ma pauvre Chloé. Au moins que cela vous serve de leçon. LUDIVINE Ouais ! eh bien moi, je ne suis pas convaincue du tout. CHLOE De quoi n'êtes-vous pas convaincue ? LUDIVINE. Je ne suis pas sûre que ce voyou ait eu de mauvaises intentions. D'abord était-ce vraiment un voyou ? CHLOE. Ah oui c'était un voyou et comment ! Tu parles, je sais les reconnaître les voyous, il n'y a que ça en ville. LUDIVINE. Était-il beau ? CHLOE Beau ? (...) LUDIVINE. Oui, beau. Les voyous sont volontiers jolis garçons. Vous ne l'aviez pas remarqué ? Il semblait avoir un beau…, et de belles…mmmmmh… ADA. Elle perd la raison. LUDIVINE. Pas le moins du monde. Les voyous sont habituellement beaux. Certes, ils inquiètent, mais en même temps ils provoquent l'émoi, ils excitent. Les voyous sont excitants, ne l'avez-vous pas ressenti ? FERNANDE. Vous êtes complètement folle. LOUISE. Complètement. CHLOE. Non ! Je la comprends très bien. Ce qu'elle veut en réalité c'est minimiser mon aventure. FERNANDE : Moi, j’adore les « aventures », surtout avec les jeunes hommes très beaux..… LUDIVINE. Une aventure ça ? Mais ma petite gardez donc la tête froide. Il ne s'est rien passé que de très banal. Vous étiez dans un autobus, il y a eu un coup de frein, un monsieur a perdu l'équilibre et s'est raccroché où il a pu : à vous en l'occurrence. Il n'y a pas de quoi ameuter toute une ville. CHLOE. C'était un voyou, il n'avait pas de cravate et il souriait. FERNANDE : Sans cravate ? LOUISE. Certainement que c'était un voyou. CHLOE. Et je vous dis qu'il a essayé de me prendre mes bagues. Elle ne peut pas supporter de se faire voler la vedette. Elle en est malade. LUDIVINE. Bon. Après tout vous avez peut-être raison : c'est avec une intention bien définie qu'il vous a pris la main. CHLOE. Et comment. LUDIVINE. Mais pas celle que vous lui prêtez. ADA. Qu'est-ce qu'elle va encore inventer ? LUDIVINE. Vous savez ma petite Chloé, quand un homme prend la main d'une femme, Dieu merci, ce n'est pas toujours pour la détrousser. FERNANDE. Ludivine. CHLOE. Elle déraille en plein. : FERNANDE : Completement !… Quoique… LUDIVINE. Quand ce monsieur a posé sa main sur la vôtre, avez-vous senti quelque violence dans son geste, de la méchanceté, de l'agressivité ? CHLOE. Mais... FERNANDE Répondez honnêtement à sa question. CHLOE. J'ai retiré ma main le plus vite possible. ADA : Oh dommage… LUDIVINE. Oui, vous avez eu tort. Je suis sûre moi, qu'il ne vous aurait rien pris du tout. D'ailleurs, les ôtez-vous si facilement vos bagues avec vos gros doigts noueux ? Voulez- vous que je vous dise ? Vous venez de louper une occasion ma petite. CHLOE (étouffée par l'indignation.) Une occasion ? Une occasion... une occasion de quoi je vous prie ? Comment osez-vous ? C'est mon aventure, vous êtes une envieuse, vous tentez par tous les moyens de la salir. ADA. Ne me dites pas que ça vous tracasse encore. LUDIVINE. Mais bien sûr que ça me tracasse encore. Vous pensez qu'il y a une limite d'âge pour être tracassée ? Le temps met un frein à nos espoirs, pas à nos désirs. Oui, ça me tracasse encore. Et vous aussi ça vous tracasse Ada, quoi que vous vouliez en laisser paraître. Et vous aussi Louise ?. LOUISE. Oh ! (...) LUDIVINE. Bien sûr que nous sommes toutes tracassées, mais moi je l'avoue. Des bagues moi aussi j'en eus et de belles. Au début elles étaient des cadeaux. Avec le temps on vous détaille, quand vos seins tombent on parle de vos yeux qui ont toujours gardé leur éclat... Ce « toujours »... Moi, les hommes aimaient mes mains alors j'ai mis des bagues, de toutes formes, de toutes couleurs, de plus en plus précieuses. Ah elles ont été prises et admirées mes mains, par des hommes de plus en plus beaux, de plus en plus jeunes. ADA. Par des voyous. FERNANDE Mais qui dit Voyou, dit Beau ! LOUISE De beaux voyous, des bagues…. LUDIVINE. Aucun ne m'a volée, jamais. Mes bagues je les ai offertes une à une, nuit après nuit. Jusqu'au jour où par entêtement par défi, par bêtise je suis sortie les mains nues. LOUISE Nues… ? ? ? ADA. Mais... Vous vous payiez des gigolos. LUDIVINE. Comment est-ce que vous appelez cela ? ADA. Des gigolos ma chère, c'est comme cela que ça s'appelle. LUDIVINE. Idiote ! Ça s'appelle des hommes. Et c'étaient des hommes je peux vous le garantir. Et ils m'aimaient. ADA. Ils aimaient vos bagues. LUDIVINE. Non ma petite. Il y a des choses qu'on ne fait pas pour un bijou fût-il précieux. Ce qu'ils demandent c'est seulement un prétexte. Un prétexte en prix de leur fierté. Alors pourquoi pas une bague. Chez moi ils étaient heureux, souriants et chauds, et longtemps j'ai réchauffé mon cœur à leur sourire. ADA. Votre cœur ? LUDIVINE. Mon cœur et mon lit parfaitement. Mon seul regret à présent est d'avoir été assez stupide pour me retrouver démunie, parce que depuis mes draps sont glacés. J'en ai horreur. ADA. Vous êtes une obsédée. LOUISE. Comme c'est pas joli ce que vous dites. LUDIVINE. Une obsédée moi ? Demandez simplement à Chloé ce que ça lui fait d'avoir manqué une si belle occasion. LOUISE Mais une occasion de quoi ? CHLOE. Oh… Enfin… LUDIVINE. Parce que ça lui fait quelque chose. CHLOE : Mais...Sentir une main chaude sur la vôtre... Une main qui serre la vôtre tout doucement. LOUISE Taisez-vous …! Oh mon dieu… LUDIVINE. Vous avez été envahie par la chaleur. Vous avez été émue. Et l'émotion dominait la peur, c'est l'émotion qui vous a fait fuir, pas la peur. N'est-ce pas Chloé ? L'émotion... CHLOE. Mon Dieu ! Pourquoi dites-vous cela ? Pourquoi ? LUDIVINE. Il y a si longtemps que vous n'aviez plus ressenti la chaleur d'une main d'homme sur votre peau. CHLOE. Je ne sais plus... Arrêtez je vous en prie... J'ai cru que c'était la peur, maintenant je ne sais plus... Je dois avouer que... LUDIVINE. Ouais. Alors écoutez-moi bien ma petite. Ne vous faites pas d'idées. On a bel et bien essayé de vous les dérober vos bagues, parce que même pour le plus gros des brillants, plus personne ne voudrait de vous. Et surtout pas un voyou. FERNANDE. Vous n'avez pas le droit. CHLOE. Salope ! LOUISE Qui me parle ? ? FERNANDE Mais vous de même chère madame, vous de même ! LUDIVINE. Garce ! LOUISE : Ouiiii… Encore !… LUDIVINE : J’en ai marre de votre assemblée de pies borgnes. Madame vient de vivre une aventure. Vous parlez d'une aventure... Moi j'en ai eu des aventures, et je n'ai pas fini. Alors vous ma petite, faites bien attention à vos bagues... CHLOE Dès demain elles seront à la banque. LUDIVINE. Comme c'est utile un bijou dans un coffre. (...) CHLOE : Je dois penser à mes vieux jours. FERNANDE Quand vous serez toute décrépie….. OUAAARG… Les vieux jours… LUDIVINE. Calmez vous ! Elle a dit « ses vieux jours... » Mais où donc vous croyez-vous ? Nous y sommes aux vieux jours, et nous en crevons. Parce que j'en crève moi d'être là au milieu de vous. Vieilles Parques ! Les 4 sortent. Reste Ludivine… LUDIVINE : Je vais faire une sieste moi…