La littérature de jeunesse : un média - Jean

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La littérature de jeunesse : un média - Jean
La littérature de jeunesse : un média ?
Cours magistral donné en novembre 2009 par J-Marc Muller – option LJ –
Ici version CFEB de Guebwiller. Il s’agit d’une version de travail, qui pourra
être améliorée et complétée par la suite. Les contenus restent évidemment soumis
à discussion. Mise à disposition temporaire sur mon site.
Plan du cours
Légitimité de la question
Qu’est-ce que le patrimoine littéraire ?
o Jules Verne
o La comtesse de Ségur
o Hector Malot
La théorie des deux sphères
o
o
o
o
La sphère de production restreinte
La sphère de grande production
Des exemples
Limites de la théorie
La théorie appliquée à la littérature de jeunesse
Spécificités du marché scolaire
Regards sur l’histoire récente de la littérature de jeunesse
o 1968 ou la fabrique des « classiques
o la scolarisation de la littérature de jeunesse
o l’ère des éditeurs et des regroupements
Retour aux médias : littérature de jeunesse et presse
Conclusion
1.
Légitimité d'une telle question
Peut-on approcher la littérature de jeunesse par d’autres chemins que la
littérature ou la pédagogie, par exemple avec les outils habituellement utilisés pour
décrire les médias ? Est-ce que, sous certains aspects, cette littérature de jeunesse,
qui s’adresse aujourd’hui à une masse d’enfants et de jeunes, n’est pas ellemême… un média ? Je vais commencer par éclairer ce point de vue .
Par média, nous reprenons la définition qui figure dans le Petit Robert, ellemême inspirée par la théorie des mass médias de Mc Luhan : « moyen de diffusion,
de distribution ou de transmission de signaux porteurs de messages écrits, sonores,
visuels
(presse,
cinéma,
radio-diffusion,
télédiffusion,
vidéographie,
télédistribution, , télématique, télécommunication, etc.) » Cette définition étant
prise dans le Petit Robert de 1996, il convient d'ajouter à la série le « média »
internet, ouvert sur le « multimédia » (productions combinant les textes, les images
et les sons, et pour l'utilisateur des parcours interactifs). On le voit, admettre cette
définition, c’est élargir le champ imparti à l'épreuve d'option, en reliant ce que
l'école sépare. En effet, le texte de cadrage imparti à l'épreuve est sélectif : des
oeuvres de fiction (donc pas de documentaires) ; des oeuvres littéraires (donc pas
de magazines, ni de journaux) ; des livres (albums, romans excluant les produits
multimédias, par exemple aujourd’hui les livres audio, très développés en
Allemagne, moins en France). Cette simple énumération fait apparaître un
problème : le fossé s'élargit entre la culture scolaire imposée et la culture de masse
à laquelle les enfants sont exposés. Combat sans merci entre les « institutions de
programmes1 » (= ce que l'école prescrit) et les « industries de programmes » (= ce
qu'impose la société de consommation, avec des moyens beaucoup plus puissants).
Une lecture attentive du programme de 2008, et des compétences du socle,
permet, heureusement, de sortir de cette opposition :
1
Bernard Stiegler (voir bibliographie)
o
Le programme de littérature.
Nécessite un minimum de maîtrise des concepts de base de la
« sociologie de la littérature », c'est-à-dire une connaissance des
rapports entre des objets littéraires spécifiques et la société, en
diachronie et en synchronie.
Citons le texte : « Le programme de littérature vise à donner à chaque
élève un répertoire de références appropriées à son âge, puisées dans
le patrimoine et dans la littérature de jeunesse d’hier et d’aujourd’hui ;
il participe ainsi à la constitution d’une culture littéraire commune ».
Tous les mots sont importants : d'un point de vue diachronique, la
notion de « patrimoine » littéraire : ici la littérature croise l'histoire
collective, celle des faits, mais aussi des idéologies. Ensuite « la
littérature de jeunesse », à distinguer du patrimoine : celle d'hier vise
les « classiques » (de la LJ : ils n'ont pas plus de quarante ans !) et la
LJ d'aujourd'hui (par exemple le dernier catalogue de l'Ecole des
Loisirs)
o
Les autres entrées des programmes de 2008
… pour peu qu'on « délinéarise » la lecture, en essayant de faire des liens. Prenons
les TICE : sans le citer, il s'agit de faire des enfants des usagers avertis d'internet.
Aucun rapport avec la « littérature » si on en reste au sens restrictif. Mais rapport
fort, si on considère que l'internet est un vecteur culturel, que tous les éditeurs de LJ
aujourd'hui, développent des produits en ligne accessibles aux enfants (voir Bayard,
Milan). Un autre lien possible : « La révolution scientifique et technologique Ŕ La
société de consommation » (= programme d'histoire au cycle 3) : on peut envisager
la construction de telles compétences par des méthodes actives : initier des enfants
du CM1-CM2 au chemin que parcourt une oeuvre littéraire du cerveau d'un auteur
(forcément génial) jusqu'au rayon de la médiathèque (section de jeunesse) ou, ce à
quoi l’école ne s’intéresse pas, mais que nous pourrions explorer : le rayon du
SUPER-U. Ou encore : « la langue française dans le monde » (= programme de
géographie en lien avec l'instruction civique et morale) : on peut travailler
activement ce domaine en étant attentif, avec des enfants, à la dimension
internationale de la LJ (phénomène des co-éditions : un même auteur Ŕ un même
illustrateur Ŕ mais s'ajoute un traducteur Ŕ s'intéresser aussi à la LJ francophone
non française : belge, canadienne, voire zaïroise, par exemple). Enfin les
compétences du socle déclinées dans les programmes de 2008, notamment la
compétence 6 (sociales et civiques). On peut en rester à la lettre au « 2° palier »
assigné au CM2. Mais si on tient compte du programme TICE, il faut citer le texte
du socle dans sa version intégrale, on trouve : « être éduqué aux médias et avoir
conscience de leur place et de leur influence dans la société » ; on trouve aussi :
« savoir évaluer la part de subjectivité ou de partialité d’un discours,d’un récit, d’un
reportage ». Cette obligation a deux volets : d'une part, il s'agit bien sûr de former
des élèves. Avec quels supports le fera-t-on si ce n'est pas avec ceux qui sont
prescrits : les textes littéraires, considérés aussi (pas seulement) comme des médias.
Mais un autre volet est encore plus important : s'agissant de littérature de jeunesse,
le futur professionnel ne peut pas se contenter d'une approche pédagogique
« littéraire », aujourd'hui dominante dans la formation. Il doit aussi se former luimême à la littérature de jeunesse considérée comme une production culturelle
adressée à une masse. Sans même évoquer dans ce cours (mais il conviendrait de le
faire) les mutations présentes et à venir dans le champ de l’édition, induites par les
technologies numériques. Voir le grand débat actuel autour de la numérisation des
bibliothèques par le géant Google.
2. Regard sur la notion de patrimoine à partir de 3 exemples
Le patrimoine littéraire, ce sont les grands auteurs, considérés comme des
« valeurs » (sens économique du mot !), et des valeurs transmises (au sens d’un
héritage). S’agissant de littérature de jeunesse, on pense immédiatement au
domaine des contes (Perrault, les frères Grimm, Andersen), mais il ne faudrait pas
oublier De Foe, Robinson Crusoe, roman à la fortune immense par les formes
qu’il a inspirées). Dans le recueil du ministère (doc. d’acc. du programme de 2002,
toujours disponible sur Eduscol), les textes patrimoniaux sont codés par un logo
« château ». A chacun d’en faire l’inventaire en regardant ces listes de près. On
peut déjà faire un constat : ces textes dits « patrimoniaux » ne sont pas seulement
français, mais européens et même mondiaux (les frères Grimm sont allemands,
Andersen est danois, Frank Baum est américain, Kipling est anglais).
Mais dans le présent cours, si on envisage la notion de « patrimoine » d’un
point de vue sociologique, il faut ajouter que ces auteurs n’ont pas été
« patrimonialisés » à leur époque. Ils ont été introduits dans des circonstances
historiques variables ; en simplifiant, on peut considérer que la littérature de
jeunesse apparaît en même temps que se développent les techniques d’impression
de masse, et en particulier les moyens de reproduction des images (d’abord les
gravures, puis la lithographie), et aussi un lectorat (la bourgeoisie urbaine). Une
étape de plus sera franchie avec la scolarisation obligatoire. Voir la fascination des
lecteurs de l’époque pour les gravures (voir collections du « Monde illustré » de
1862 et 1869 montrés et feuilletés). A partir des années 1970, même phénomène :
l’impression en offset permet de faire de beaux albums. L’éditeur Delpire, un des
grands fondateurs de la « littérature de jeunesse » à cette époque est spécialisé dans
les ouvrages de photographie.
Jules Verne
Le Magasin d’Education et de Recréation : titre à méditer !
Verne est un écrivain professionnel, qui travaille pour les lecteurs jeunes de
l’époque, avec un éditeur prestigieux, Hetzel, auquel il est lié par contrat. Il doit
produire deux romans par an.
Hetzel travaille déjà comme les grands éditeurs de jeunesse d’aujourd’hui, en
faisant appel aux meilleurs illustrateurs (par exemple De Neuville et Benett) et à
une nouvelle technologie : la lithographie. Il a une stratégie de marketing : les
livres d’étrennes. Les « Voyages extraordinaires » de Verne sont le produit phare
de la maison, et Hetzel imagine deux versions : une moins chère en format in-18 au
début sans illustrations, puis illustrée, et une édition de luxe in-octavo. Pas de
littérature destinée à la jeunesse sans marché ! Et pas de marché sans innovations
technologiques…
La comtesse de Ségur
De son nom de jeune fille Rostopchine. Aujourd’hui encore des PE2 (filles ?)
citent Les malheurs de Sophie ou Un bon petit diable parmi leurs lectures
d’enfance. La série est une valeur sûre de la Bibliothèque rose, c’est-à-dire
Hachette ! et cet acteur incontournable fonde justement sa prospérité sur des
contrats d’exclusivité comme celui qui lie la comtesse à la maison… par son époux
interposé (légende ou réalité ? en tous cas le comte de Ségur est en 1855 président
de la compagnie des chemins de fer de l’Est, et à ce titre il peut assurer à Hachette
l’exclusivité des « bibliothèques de gare », i.e. les « points H » des gares de 2008…
qui sont contrôlés aujourd’hui encore par le même groupe Hachette !)
Hector Malot
On connaît « Sans famille » paru en 2 tomes à partir de 1878, qui commence
par un incipit fameux : « Je suis un enfant trouvé ». A travers des péripéties souvent
peu vraisemblables, entre mélodrame et conte de fées, roman iniatique, roman de
voyages, le héros narrateur Rémi finit par retrouver Mme Milligan, sa mère, et
s’installer, en Angleterre, dans le manoir de ses pères.
Sans Famille est dès sa publication un best-seller, inscrit au catalogue de
l’avisé Hetzel, qui ne publie pas que Jules Verne. Ici l’accointance entre « livre
d’étrennes » et inculcation des valeurs bourgeoises qui édifient la société
industrielle apparaît clairement. En effet, le message délivré par Malot est
conservateur. Rémi, dépourvu de famille, ne se révolte pas contre le destin (même
si Malot au passage met en cause la misère sociale et le travail des enfants ; le salut
de Rémi nécessite la reconquête de sa position sociale, qui est aussi la récompense
de la « vertu ». La phrase « tu es un bon garçon », dont Remi est gratifié, est le
leitmotiv de ce roman.
Dans la foulée de Malot, il faut citer « Le tour de la France par deux enfants »,
qui paraît quasiment en même temps, mais qui sera constamment réédité et remanié
jusqu’au premier tiers du XX° siècle . Son auteur est une femme, Mme Augustine
Fouillée, née Tuillerie. Monsieur Fouillée est professeur de philosophie. Elle signe
d’un pseudonyme : G. Bruno, en mémoire du philosophe rationaliste italien
Giordano Bruno condamné au XVI° siècle au bûcher. Très fortement inscrit dans
l’idéologie de la reconquête des « provinces perdues »[5], ce roman est la Bible
laïque ( !) de l’école de la 3° république (le sous-titre est « devoir et patrie »), mais
c’est en même temps un ouvrage didactique (un « documentaire »), un manuel
d’histoire, de géographie , voire de sciences et de technologie. La fonction
éducative est au premier plan, mais c’est aussi un produit largement « médiatisé »,
diffusé par l’école (des tirages et réécritures successives aboutissent à plus d’un
million d’exemplaires en 1904[6], et le livre continue d’être utilisé massivement
après la guerre de 14-18, jusqu’aux années 30).
Avec ce dernier exemple, on aborde déjà la question complexe des rapports
entre littérature de jeunesse et institution scolaire.
A retenir :
La notion d’œuvre du patrimoine n’a de consistance que si on envisage le
contexte historique et sociologique qui a construit l’œuvre comme telle. Au
XIX° siècle, l’émergence de Perrault comme auteur du patrimoine est
inséparable des illustrations de Gustave Doré.
3.
La théorie des deux sphères.
Cette partie du cours vise à nous donner des repères pour comprendre
comment est structuré le champ de la production des livres, d’un point de vue
économique et sociologique, dans le monde actuel. Dans ce champ, la littérature de
jeunesse constitue un « sous-champ » qui a ses caractéristiques propres, mais qui ne
lui donne pas une complète autonomie par rapport à l’ensemble du champ éditorial.
Une « économie des biens symboliques »
Le cadre théorique est celui des travaux du sociologue Pierre Bourdieu, qui
s’intéresse au « marché des biens symboliques ». C’est à lui aussi que j’emprunte
ce concept de « champ », métaphore spatiale qui désigne des sphères
d’appartenance, où se jouent des rapports « dominants-dominés ». Par « biens
symboliques », il faut entendre des objets de la culture dont la valeur ne se mesure
pas seulement en termes de profits matériels (exemple : en alimentation les produits
AB que je paye plus cher, parce que je peux estimer qu’ils sont plus sains), mais
aussi en termes d’avantages « symboliques » : il s’agit alors de valeurs pour
l’esprit, relativement indépendantes de leur valeur matérielle. En prenant encore
des exemples en dehors des livres : les vêtements dits « de marque », les parfums
(souvent associés par leur nom à des marques), les accessoires féminins (Hermès,
Vuitton) ont certes une valeur économique importante comme objets matériels
manufacturés de grande qualité, mais elle est largement sur-déterminée par leur
valeur symbolique. Si on les paye très cher, ce n’est pas qu’en fonction de leur
« qualité », c’est parce que le fait de les porter est en lui-même classant. On peut
donc construire une économie des biens symboliques » : c’est le travail de
Bourdieu, qui l’applique, entre autres, au livre, bien symbolique par excellence.
L’économie des biens symboliques appliquée aux livres.
Les livres, comme les autres produits de consommation, ont donc une double
face : économique, comme n’importe quel produit de marché, dans un circuit de
production et de consommation. Mais aussi symbolique : c’est-à-dire générant des
profits immatériels. Il suffit de considérer les livres sous cet angle pour
s’apercevoir que, schématiquement, le « champ » apparaît d’abord comme
bipolaire. D’un côté des livres dont les couvertures sont dépouillées, sans images,
comme s’il s’agissait de faire oublier l’aspect marchand. De l’autre des livres qui
répondent à la stratégie inverse : tout se passe comme s’il fallait avant tout attirer le
public vers l’achat d’un livre, en profitant d’une bonne occasion, et si possible de
faire exploser les ventes sur la plus longue durée possible : ce sera alors un « best
seller ». Ces deux stratégies très différentes définissent deux réseaux de lecteurs : la
sphère de diffusion restreinte, la sphère de grande diffusion.
Voir le tableau (in Manuel d’histoire littéraire Ŕ tome 1, Dupont, Reuter,
Rosier)
Quelques exemples dans la production récente
a) sphère de production restreinte
Soit le roman de Pierre Michon, Les onze, publié au 1° trimestre 2009, par les
éditions Verdier. C’est une fiction (en 137 pages) imaginée par un écrivain à partir
d’un tableau (« nous le connaissons tous », dit la 4° de couverture) qui porte ce
titre : François-Elie Corentin, dit « le Tiepolo de la Terreur », représentant les 11
membres du comité de salut public qui fait basculer en 1794 la Révolution dans la
Terreur. Le roman vaut par la précision de l’évocation historique, mais surtout par
le travail du style. En examinant la couverture de la première édition, on peut être
déçu ; apparemment pas d’effort de la part de l’éditeur pour la promotion de ce
livre, sinon le format, la couleur, le logo des éditions Verdier, i.e. la même
présentation pour d’autres ouvrages publiés par la même maison. Ici,
manifestement, ce sobre habillage suffit pour signaler l’ouvrage auprès d’un
lectorat ciblé : la sphère de diffusion restreinte .Sur la personnalité de l’éditeur de la
maison Verdier « libre, inspiré, novateur » (termes du document distribué), voir le
site où on trouvera la biographie et la présentation de G.Bolillier, récemment
disparu. Les qualités de la personne (par exemple la distance prise avec la loi du
profit dans l’économie capitaliste libérale) est elle-même la quintessence des
valeurs considérées comme partagées par les lecteurs de cette sphère de production.
b) sphère de grande production.
Soit le Da Vinci Code. Tout le monde connaît au moins le titre, sait vaguement de
quoi il s’agit dans ce record des ventes. L’entreprise se donne ouvertement comme
une opération de marketing, ce qui se voit à la couverture (c’est le titre qui se vend,
davantage que le nom de l’auteur : Dan Brown). Dans d’autres cas, c’est le nom de
l’auteur qui fait vendre. La cible visée, c’est le grand public (d’où la réussite de
l’idée, qui conjugue des lambeaux d’histoire chrétienne Ŕ Jésus et Marie-Madeleine
Ŕ une culture générale très basique Ŕ Léonard de Vinci quand même plus connu que
le Tiepolo ou François-Elie Corentin Ŕ et parmi ses tableaux les plus connus
L’homme de Vitruve à cause de Manpower - + une actualité post-11 septembre qui
active les thèses du complot et des thématiques liées au fondamentalisme
religieux : l’Opus Dei) : des composantes sont réunies, pour un grand succès
mondial : en 2004, 500 000 ventes en France, et 12 millions dans le monde. S’y
ajoutent des produits dérivés : 8 ouvrages sont publiés pour démêler le vrai du faux
(rappel : Jésus aurait eu un enfant de Marie-Madeleine…), le film (Ron Howard),
sorti en 2006, les DVD, et même des tours opérateurs qui proposent à 2600 dollars
la visite des sites européens où se serait passée cette histoire (qui est évidemment
une fiction, mais l’éditeur a tout intérêt à entretenir la confusion.)
Les livres produits dans la sphère de grande production ne sont pas tous des bestsellers. Certains sont directement fonction de l’actualité. Ils sont produits très vite
(parfois quelques semaines), et ont un cycle de vie très court (moins de 6 mois).
Exemple parmi des dizaines : « Orange stressé » de Olivier X, La découverte (sous
titre : « le management par le stress »), porté par une vague médiatique (les suicides
à France Télecom).
les limites du modèle
Avant même de nous intéresser à la LJ, il faut admettre que le modèle a surtout
valeur « heuristique », par l’analyse fine qu’il permet de faire des écarts, lesquels
en apparence l’invalident.
Les éditeurs de la sphère de production restreinte sont soumis comme les autres aux
lois du marché. Michon n’est pas un auteur confidentiel, mais une « locomotive »
de la maison. La parution de Les onze a déclenché immédiatement une quarantaine
d’articles de presse en 3 mois, tous accessibles sur le site de l’éditeur (à destination
des libraires). La plupart de ces articles sont tirés de revues appartenant ellesmêmes au réseau restreint, mais pas tous : on trouve ainsi, La Vie et des quotidiens
régionaux, dont les DNA (magazine Reflets). Voir le document distribué et
l’exercice proposé).
Inversement, la sphère de grande production cherche à s’ouvrir à tous les lecteurs, y
compris ceux de la sphère restreinte, mais qui n’iront pas acheter Les onze sous la
jaquette orange de Verdier, dans une librairie spécialisée. D’où le passage
systématiques des œuvres de la sphère restreinte vers la grande production, une fois
que la promotion est faite. Ici intervient l’institution très française des prix
littéraires. « Chagrin d’Ecole », de Pennac, prix Goncourt, a été très vite publié en
poche, et disponible en grande surface (600 000 exemplaires vendus). Même
Verdier publie aujourd’hui une collection de poche, et le catalogue propose aussi
d’autres auteurs que ceux qui ont été lancés par la maison. Le versant économique
ne peut être ignoré d’aucun éditeur.
Un autre exemple qui fait apparaître les relations complexes entre les deux sphères. L’an
dernier le prix Nobel de littératureest attribué au romancier français Le Clezio. La critique
spécialisée dans la sphère de production restreinte lui consacre des articles contrastés, certains
d’une grande méchanceté : dans ce milieu hexagonal, Le Clezio est perçu comme un écrivain
grand public. Mais les médias traditionnels font un écho extraordinaire au prix. C’est une
chance pour les éditeurs. A la librairie Kleber de Strasbourg, les ouvrages de Le Clezio ont
distribués sur une palette ! Cette année il en va tout autrement. Le prix est attribué à une
roumaine, née en 1953, qui écrit en allemand sur une période obscure pour le lecteurs
français : la dictature de Ceucescu, et le passé lourd des roumains germanophones pendant la
seconde guerre mondiale. Seuls trois ouvrages sont traduits en français. L’écho médiatique est
bien moindre que pour Le Clezio, et Herta Müller risque fort d’être oubliée : elle n’est
accessible aux lecteurs d’aucune des deux sphères. En France, ce qui s’appelle culture
littéraire est bien souvent … hexagonal, même si le reproche n’est pas entièrement mérité par
Le Clezio, dont l’œuvre est ouverte aux grands espaces !
Sur Herta Müller, voir :
http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1349
Les dernières mutations du marché vont peut-être encore rapprocher les deux pôles.
Aujourd’hui, quand nous achetons un livre sur internet, le site présente en même
temps les meilleures ventes. Mais plus finement, si je commande sur internet le
roman de Michon, le site associe à mon choix les « meilleurs ventes » non pas dans
l’absolu, mais corrélées à mon choix. Les perdants sont les auteurs à diffusion
confidentielle (mais peut-être géniaux !), mais des valeurs sûres peuvent ainsi
toucher de nouveaux publics. Le Da Vinci Code peut y perdre aussi !
Voir le Supplément 6 du Monde (octobre 2009), article consacré à Andrew Wyle, un
« agent » américain. L’édition française ne connaît pas cette figure de l’ agent. L’agent est un
homme d’affaires disposant de moyens puissants, qui assure la promotion d’un auteur (plutôt
confirmé) sur le marché mondial. Il intervient en aval (contrôle des réseaux de distribution) et
en amont (il démarche les éditeurs, leur demandant par exemple pour des auteurs des « àvaloir » en échange d’une promotion mondiale). L’un des grands auteurs du catalogue de
Wylie est Philip Roth, qui dit que l’agent a « changé sa vie ». Or Philip Roth est un écrivain
aujourd’hui reconnu dans les deux « sphères » (en France il serait peut-être resté confiné dans
la première, la sphère restreinte).
Deux citations de Wylie, tirées de cet article :
« Je défends les auteurs que j’aime. Je crois en l’avenir de l’édition. Je crois que le combat va
continuer tel qu’il est, entre la littérature et le commerce. Je comprends que certains éditeurs
soient parfois pessimistes, quand 70% des gens qui font le métier d’éditer tentent de persuader
tout le monde que le Da Vinci Code est quelque chose d’intéressant. Alors que c’est
totalement inintéressant. » (…) « Je suis toujours parti de l’hypothèse que je pouvais
convaincre les éditeurs d’investir plus d’argent sur les auteurs de qualité, et un peu moins sur
des auteurs qui vendent des quantités de livres sur une courte période, mais n’ont aucun
avenir dans l’histoire de la littérature ».
La France répond à sa manière à ces mutations du marché du livre. Au nom de
« l’exception culturelle », le ministère Jack Lang impose le « prix unique » du livre
et l’interdiction de la publicité pour les livres à la télévision. Motif : protéger le
réseau des librairies. Ces mesures n’ont qu’une efficacité relative. Les grandes
surfaces sont souvent en infraction (elles préfèrent payer les amendes !). La
librairie n’est plus qu’une branche des FNAC (voir l’évolution de la FNAC de
Colmar), qui se positionne davantage dans l’informatique, le son et l’image. La
possibilité de se procurer des livres sur internet (notamment le géant américain
Amazon) a modifié les comportements des acheteurs : les livres attirent toujours,
mais par des chemins différents.
4. La théorie appliquée à la littérature de jeunesse
Dans une première approche, le modèle bipolaire proposé par Bourdieu semble
fonctionner tout aussi bien pour ce domaine particulier de l’édition. Nous le
montrerons à travers quelques exemples. Et nous ajouterons quelques remarques,
relatives aux « chemins » que les enfants ont à faire pour se rapprocher des livres.
Tout autant que les livres en eux-mêmes, ces chemins doivent être pris en compte
par les pédagogies
 Martine baby-sitter – François Place, « Les derniers géants »
Ces deux produits très contrastés sont édités par la même maison : Casterman
(Flammarion), qui recherche donc des profits économiques dans les deux sphères.
Soumis à la loi de rotation des stocks, le livre de la sphère de grande
production se maintient par la série. Celle-ci renouvelle le produit, qui reste
cependant soumis aux normes dominantes : thèmes, stéréotypes.
Il en va autrement dans la sphère restreinte. Pour se distinguer, il faut être
sécurisé, et reconnu par des pairs. Le statut de l’auteur est différent. Dans le cas de
l’album « Les derniers géants », une page fait la liste des prix obtenus par cet
auteur distingué « libre, inspiré, novateur » . Dans le cas de « Martine », les auteurs
(Delahaye et Marlier) sont seulement mentionnés : ils s’effacent devant les attentes
du public. La distribution des ouvrages est différente. Les Martine sont disponibles
en grande quantité dans les grandes surfaces, non loin des rayons d’alimentation.
« Les derniers géants » est disponible dans les librairies spécialisées dans le secteur
Jeunesse, et la distribution est assurée par l’Ecole des Loisirs, qui a ses entrées dans
l’univers scolaire.
S’il semble aller de soi que les Martine n’ont pas leur place à l’école (mais il
faudrait en discuter !), il y aurait peut-être, au cycle 3, avec une telle comparaison,
de quoi faire comprendre aux enfants ce qu’est un éditeur, en passant, pourquoi pas,
par l’idée de marque. Renault produit de petites Twingos et des Laguna coupé
sport.
En tous cas la co-existence d’ouvrages aussi différents doit nous interpeller. A
l’option, il sera facile, pourvu qu’on s’y soit préparé, de faire apparaître les qualités
« littéraires » de ouvrages de François Place. Mais pourquoi cet attrait irrésistible
de toute une partie des jeunes lecteurs pour les Martine ? Encore plus intrigant : les
mêmes enfants, très souvent, dévorent les ouvrages des deux catégories.
 les deux sphères, version Bayard
Encore un même éditeur pour les deux sphères. Le format est le même et
l’ouvrage de la sphère de grande production présente 137 pages contre 76 pour
celui de la sphère restreinte. Comme pour les Martine, l’Horloge maudite s’inscrit
dans une série « Chair de poule » dont le titre est d’ailleurs mieux mis en évidence
que celui de l’histoire. Très différente aussi la présentation de l’auteur. Ce qui
légitime Stine, c’est son succès même : « Il reçoit plus de 400 lettres par semaine ».
Ce qui légitime Maryse Condé, c’est son statut d’intellectuelle : « … partage son
temps entre son pays natal, la Guadeloupe et les Etats-Unis où elle est
professeur ») L’ouvrage, qui est d’ailleurs sur la liste du cycle 3, fait partie de la
collection Je bouquine, et s’inscrit dans un circuit de prescription différent. Il n’est
pas disponible en grande surface[10]. Par contre on trouvera en grande surface une
autre série publiée par Bayard (Bayard poche) : La cabane magique (« Entre vite
dans la cabane à remonter le temps ») de Mary Pope Osborne ; un titre récent,
traduit en 2009 : Le dragon du Mont Fuji, titre original Dragon of the Red Dawn,
Random House, New York, 2007). Une autre série, toujours chez Bayard Poche,
prisée des lectrices : les Grand Galop, de Bonnie Bryant. D’une histoire à l’autre,
une série qui a pour thème (obsessionnel) l’amitié de trois filles que soude la même
passion pour les chevaux, dans le même centre équestre : le Pin creux…
 Des exemples moins clairs
Et de ce fait intéressants, car ils font bouger les lignes. Thierry Lenain est un
auteur prolifique dont les titres (disons « branchés ») affichent des thématiques
éducatives plutôt contestataires (d’autres diront « politiquement correctes »). « Le
mariage, c’est pour les nuls », par la simple connotation du titre, ne semble pas
destiné, a priori, au lectorat des Martine. L’histoire met en scène, d’une manière
que je trouve personnellement très artificielle, le complexe d’Œdipe. Sans entrer
dans la critique, ces aspects nous feraient placer Lenain dans un réseau restreint.
C’est semble-t-il vrai pour la collection de Nathan qui le publie (Première lune).
Mais Lenain figure aussi dans la collection Nathan poche, avec sa série
Mademoiselle Zazie (exemple : Les baisers de Mademoiselle Zazie). Cas similaire :
Hubert Ben Kemoun, fortement légitimé par l’école et reconnu pour ses qualités
littéraires, mais également édité dans Nathan Poche, donc dans une collection de la
sphère de grande production. Voir « La visite de la présidente ». Le cas de
« Terriblement vert ! », du même auteur,
est intéressant aussi : l’ouvrage est
illustré par François Roca, illustrateur bien connu dans la sphère de production
restreinte de la littérature de jeunesse.
On le voit, avec la littérature de jeunesse, rien n’est simple. L’école agit, par
rapport à certains auteurs, certains ouvrages, certaines collections, comme un
puissant vecteur de légitimation. Tous les éditeurs aujourd’hui convoitent donc ce
marché qui est resté pendant de longues années dominé par une maison d’édition
phare : l’Ecole des Loisirs.
5.
Spécificités du marché scolaire
L’école s’efforce de lutter contre ces déterminismes du marché du livre et elle
a des atouts.
Des circuits de diffusion spécifiques rendent accessibles pour tous les enfants
les produits de la sphère de production restreinte : BCD, médiathèques, bibliobus,
etc.
Ecole et associations font du conseil. Pour les parents les plus motivés, des
abonnements sont proposés par des éditeurs (voir par exemple les abonnements de
l’Ecole des Loisirs : Animax, Minimax, Maximax : ce ne sont pas des collections,
mais des séries de titres par tranches d’pages, servis par abonnements Ŕ ils sont
aussi proposés aux PE)
Les livres circulent, ont parfois plusieurs vies (les librairies d’occasion ont
d’importants fonds de littérature de jeunesse[11]).
Les politiques d’achat des institutions ont des effets sur les ventes.
De ce fait , une partie de la production de jeunesse se cale sur ce marché parascolaire spécifique. On l’a vu avec les protestations des éditeurs lors de la première
publication de la liste conseillée (part trop belle faite à L’Ecole des loisirs, éditeur
historiquement très proche du monde enseignant)
La maison continue d’exploiter cette position dominante. Elle a envoyé début
2008 aux formateurs le catalogue des 48 albums et livres de l’Ecole des loisirs
sélectionnés par le ministère en 2007, ainsi qu’une affiche qui reprend la liste selon
des entrées thématiques. Elle a renouvelé l’opération en 2009 sous d’autres formes
(par exemple envois massifs aux étudiants et stagiaires IUFM via de formateurs
impliqués dans le réseau de fascicules de grande qualité pour la formation ; ainsi
« La littérature des enfants fait école » - Actes de journées d’étude en novembre
2008, auxquelles sont associés aussi les concurrents : Casterman, Flammarion-Père
Castor et Gallimard.
Comme au temps de Jules Verne, Noël est une période favorable, qui dope les
ventes dans ce secteur (Milan vend en coffret de quatre volumes les Histoires
pressées de B.Friot).
L’école fonctionne ainsi comme un efficace prescripteur et permet aux éditeurs
d’organiser leur production sous forme de « catalogue ». Le catalogue, plus
diversifié que les « meilleures ventes » permet à l’éditeur de rester militant à partir
d’un produit d’appel valorisé scolairement.
Un exemple type est Harry Potter, dont la maison Gallimard a acheté le droits
pour la France, assurant du même coup un catalogue au fonds très riche (les fameux
Folio Gallimard, où on trouvera par exemple les romans de Jules Verne, y compris
Cinq semaines en ballon, et aussi les deux tomes de Sans Famille, de Hector Malot,
qui font 600 pages.)
La question des BCD.
Elles ont été lancées en 1986, au cours de la décennie où la littérature
enfantine a été légitimée devenant littérature de jeunesse. L’idée était de modifier le
comportement des jeunes lecteurs, en les initiant à une culture littéraire. On est
ainsi passé de l’ancienne « armoire-bibliothèque » ouverte aux emprunts tel jour de
la semaine, à un lieu de lecture sur le modèle des CDI de l’enseignement
secondaire. C’était un progrès. Mais la BCD, quand elle a les moyens d’exister
vraiment, reste fermée sur l’espace de l’école. Et elle n’a pas les moyens de
renouveler régulièrement son fonds.
En 2008, la situation a encore évolué, et on peut se demander si dans les
quartiers urbains au moins, il ne serait pas judicieux sans renoncer à de petites BCD
d’ouvrir aux enfants les médiathèques. C’est ce qui peut expliquer, par exemple, le
choix de ne pas installer de BCD[13] à la médiathèque du CFEB, mais de
développer par ailleurs des relations usagers étudiants de l’IUFM / et médiathèque
de Guebwiller
Ce qu’il faut retenir : le goût de lire, le plaisir de lire ne sont pas des
évidences, mais des constructions idéologiques, qui cachent d’autres problèmes :
où et comment se procurer les livres ? La question de la lecture ne concerne pas
seulement l’école, mais dans une ville, voire un village, l’organisation de l’espace
collectif.
6. Regards sur l’histoire récente de la littérature de jeunesse
En conservant ces notions de sociologie de la littérature, on peut repérer
plusieurs moments dans l’histoire contemporaine de la littérature de jeunesse en
France, sachant qu’il y a un problème de méthode
 de la période militante aux « classiques » d’aujourd’hui
Pour cette partie, je me sers d’un ouvrage de référence : « Images à la page,
une histoire de l’image dans le livre pour enfants », Gallimard, par un collectif
d’auteurs, 1984
Un paradoxe : phénomène récent comme production de masse, la littérature de
jeunesse a déjà ses « classiques »… mais ce sont des trentenaires. Dans le
document d’accompagnement déjà cité, il sont codés par un logo « plume » à
distinguer du logo « château » qui désigne les œuvres du patrimoine.
Ces ouvrages, du fait de leur contexte historique, sont fortement marqués par
la mouvance de mai 68. On peut s’en réjouir (ou le déplorer). Professionnellement,
le maître doit le savoir, pour bien éclairer les « débats interprétatifs » qui peuvent
surgir à leur sujet.
1968 : politiquement une illusion, mais une période extrêmement stimulante
sur le plan intellectuel, accompagnée d’importantes mutations sociales et
culturelles ; le reconnaître relativise les propos actuellement tenus par un courant
d’idées actuel sur les dégâts présumés de cette période !
La technologie, comme dans la 2° moitié du XIX° siècle a joué un rôle
déterminant : l’impression offset en quadrichromie, permettant d’éditer à moindres
frais des ouvrages plus richement illustrés… que les vieux titres de l’éditeur Mame
(montrer le Robinson Suisse) ou même les Caroline du mulhousien Probst.
Cette révolution culturelle fut d’abord esthétique, autour d’un homme de
média, « esthète de la création visuelle » : Robert Delpire. Il trouva ses
collaborateurs non pas dans les milieux éducatifs, mais dans les écoles d’art. Une
jeune génération d’artistes comprit qu’il y avait là un champ qui se prêtait à leurs
recherches graphiques alors que la peinture, côté galeries, valorisait l’abstrait ; des
promotions entières de jeunes plasticiens investirent les secteurs de l’édition, plus
ouverts, plus tolérants envers l’expression figurative ; voir à cette époque le
rayonnement de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, avec son directeur
Claude Lapointe.
Les fédérateurs sont des éditeurs ou des directeurs de collection audacieux :
Harlin Quist, François Ruy-Vidal. Sur le plan intellectuel, leur idéal artistique
rejoint les thèmes libertaires, qui s’appuient à l’époque sur Marx (critique du
capitalisme), et sur Freud (l’inconscient, la libération des désirs). C’est une alliance
historique entre plasticiens et pédagogues.
Les éditions ou collections s’appellent Syros, Editions des femmes, Le Sourire qui
Mord, Le Sorbier, J’aime lire, Enfantimages, et L’école des loisirs, qui sort du
giron de L’école des lettres, justement pour promouvoir ces ouvrages nouveaux.
Beaucoup disparaîtront, car déjà s’impose la loi du marché, à laquelle ces
auteurs qui se retrouvent dans les thèses marxistes de l’époque, sont d’ailleurs
idéologiquement opposés.
Cette période pose de ce fait un problème : conçues par des créateurs qui ne
sont pas des éducateurs reconnus par les institutions, ces ouvrages ne sont pas
forcément adaptés à leur public (voir la controverse qui oppose Françoise Dolto et
Harlin Quist dans l’Express, 11-17 décembre 1972). On ouvre là un débat délicat :
quels sont les critères d’une telle adaptation ?
Max et les maximonstres de Sendak (1° publication en 1963 aux USA sous
le titre « Where the wild things are », puis par Delpire significativement en 1967)
est une histoire qui valorise la transgression (Max puni pour avoir fait des bêtises
effectue dans sa chambre un grand voyage au pays des Maximonstres, puis revient
au bout d’un an et un jour pour le dîner que maman lui a préparé). Et surtout il y a
effacement du sur-moi par l’absence du père (même pas évoqué). Au cours d’un
stage de formation continue en maternelle, l’album Cornebidouille (Bonniol et
Bertrand, école des loisirs), qui porte sur un thème semblable (un enfant plutôt
insolent et mal élevé provoque une méchante sorcière, la rapetisse et la fait
disparaître dans la cuvette des WC), est fort mal accueilli par le groupe
d’enseignantes, qui trouve que l’histoire encouragera dans la classe les
comportements d’enfant-roi.
Les temps ont changé. Parfois l’actualité fait carrément un pied de nez aux
auteurs. Sur son blog, l’écrivain anti-conformiste Joseph Périgot raconte l’échec de
la série de Pacom (titre qui en dit long) ; il l’attribue à l’incompétence de Grasset…
et à la malchance : un titre est publié le 12 septembre 2001 ! De guerre lasse,
Perigot a décidé de mettre certains de ses ouvrages, désormais sans débouchés, en
ligne gratuitement. On peut les télécharger (faire Google, Joseph Périgot) . La
question reste importante pour nous, puisque ces « classiques » sont encore bien
représentés sur les listes officielles. On peut retenir des noms d’auteurs souvent
encore présents dans le champ : Maurice Sendak (américain, Max et les
Maximonstres), Jean Claverie, Nicole Claveloux, Philippe Dumas, Philippe
Corentin, Elzbieta, Monique Felix, Jacqueline Duhême, Gerda Muller, Pef, Yvan
Pommaux, Agnès Rosenstiehl, Tomi Ungerer, Gabrielle Vincent.
Un album comme « Tunnel », d’Anthony Browne (1989) est encore
caractéristique de cette période qui met en avant le thème de l’émancipation des
enfants.
 des classiques à la « scolarisation » de la littérature de jeunesse
En 1995, à l’Université de Metz, se tient un colloque au titre significatif : « la
scolarisation de la littérature de jeunesse, enjeux et effets »
La littérature de jeunesse n’a pas encore fait son entrée cette année-là dans les
programmes de l’école primaire (entériné seulement dans les programmes de
2002), mais dans ceux du collège.
A l’école primaire, le lancement des BCD (bibliothèques centres de
documentation) en 1986, avec des dotations de livres, participe à un mouvement de
fond de légitimation de la littérature de jeunesse. Voir le fascicule « La littérature
des enfants fait école » (Ecole des Loisirs, Journée d’études de novembre 2008 à
Paris, avec une série d’éditeurs)
La littérature de jeunesse a maintenant partie liée avec une toute autre cause
que la pédagogie libertaire et l’émancipation des enfants. Il s’agit d’aider à la
réussite
scolaire,
et
principalement,
le
renouvellement
des
méthodes
d’apprentissage de la lecture.
Des créateurs continuent d’illustrer la veine littéraire et artistique : s’y ajoutent
par exemple, parmi d’autres, Claude Ponti, Solotareff[16], mais les produits, lancés
par les éditeurs, deviennent plus « professionnels », calibrés et consignés dans des
catalogues souvent construits selon les tranches d’âge.. Les maisons s’intéressent
de plus près aux enfants de maternelle et du cycle 2 (voir les nouvelles listes
conseillées, qui s’élargissent vers ces publics).
Des manuels d’apprentissage de la lecture incluent des « suites » sous forme
d’albums, lorsque ceux ci ne deviennent pas carrément des supports d’exercice de
lecture. La même orientation didactique produit des fictions dans le domaine
mathématique (albums pour compter).
Au cours de la même période, les éditeurs se lancent dans le marché du
documentaire (dont le terrain est préparé à la fois par l’école et par la télévision).
Avec la collection Archimède[17] de l’Ecole des loisirs, les frontières entre fiction
et documentaire bougent, même si cette collection donne aux lecteurs des repères
pour construire les deux notions (partie documentaire en fin d’ouvrage). Une autre
réussite, plus ancienne, toujours (décidément) à l’Ecole des loisirs, est la série des Toshi
Yoshida, racontant la vie des animaux d’Afrique, avec grande exactitude : des fictions avec le
minimum d’anthropomorphismes…
De cette seconde période on peut retenir un questionnement salutaire. Un
album esthétiquement réussi n’est pas forcément adapté à des enfants petits.
L’obstacle de la compréhension, généré par un lexique difficile, une syntaxe très
littéraire, des rapports trop décalés entre le texte et les illustrations, l’excessive
stylisation de ces dernières ; en grande section de maternelle, la lecture de certains
albums de Battut, voire de Frédéric Stehr[18], est vouée à l’échec, parce que les
enfants ne peuvent pas les comprendre. Ainsi l’album Foufours déménage est difficile en
GS : c’est une histoire de ruse (premier obstacle psychologique, relatif à la construction du
personnage par un enfant de cet âge), et pour comprendre l’histoire il faut des notions
d’hydraulique de base (comprendre le fonctionnement d’un barrage).
Pour la préparation à l’épreuve d’option, une prise de recul qui fera apparaître
ce point de vue, pour un texte littéraire, même légitimé par une liste officielle,
même objet d’éloges dithyrambiques des sites spécialisés, peut faire la différence.
Le jury appréciera une sensibilité déjà professionnelle.
 regards sur la période actuelle : l’emprise du marché
Depuis 2003, on assiste à une concentration sans précédent dans le domaine de
l’édition, où des groupes français (en fait internationaux) sont plutôt bien placés.
La quasi totalité de ce qui est produit appartient à Hachette (Lagardère) qui a
racheté Vivendi Universal, puis s’en est artificiellement séparé, Vivendi devenant
Editis. Dans ce domaine des concentrations, il est impossible de faire un
organigramme stable, chaque trimestre, voire chaque mois, apportant de nouveaux
changements…
Pour survivre, les (rares) éditeurs qui ne font pas partie (encore) de ces
conglomérats, doivent s’assurer de gros tirages, donc se positionner dans la sphère
de grande production.
Des exemples :
Gallimard, traditionnellement placé dans la production restreinte, assure les
rentrées de son secteur jeunesse par l’exclusivité des droits, en français, de Harry
Potter (voir ci-dessus). Cette opération permet à l’éditeur de publier en catalogue
Jeunesse des ouvrages difficiles et novateurs : ainsi le récent Genesis2, roman
philosophique de science-fiction, pour un lectorat adolescent (voir adulte) cultivé.
Nathan (de toutes façons dans le giron Editis), mastodonte des livres et
produits multimédias éducatifs dispose aussi d’une ligne éditoriale en littérature de
jeunesse et concurrence Gallimard, par un concurrent de Harry Potter . Il s’attaque
au rayon du Super-U, et nous avons vu que ce n’est pas forcément un mal ! La
formation à l’option passe par une connaissance (aussi) de cette offre, donc de
temps en temps par un achat.
Casterman édite les Martine, Hergé et François Place, développant ainsi ses
activités dans les deux sphères. Mais cet éditeur n’est nullement indépendant : il est
intégré au groupe Flammarion, dont l’organigramme est étonnant. On peut s’en
faire une idée en allant sur le site du groupe : http://www.flammarion.com/
Une maison comme Thierry Magnier peut être considérée aujourd’hui comme
typique de la sphère de la production restreinte en littérature de jeunesse. De l’aveu
de son propre éditeur, s’exprimant récemment lors d’une émission de France
Culture, l’audace des choix éditoriaux, déterminés par des considérations
essentiellement esthétiques et littéraires, est rendue possible par le faible nombre
des jeunes lecteurs potentiels, ce qui permet de résister aux pressions de certains
parents prescripteurs. Mais cet éditeur ne pourrait pas exister s’il n’était intégré
dans le réseau d’un diffuseur de taille économiquement suffisante : Harmonia
Mundi, spécialisé dans le domaine musical.
Voir http://oeil.electrique.free.fr/article.php?articleid=436&numero=25
Les éditions Glénat, spécialisées dans des magazines de montagne ou de voile,
tirent d’énormes revenus de Titeuf (Zep, auteur suisse), paru aujourd’hui en 18
2
Bernard Beckett, traduit de l’anglais (néo-zélandais ) par Laetitia Delvaux
millions d’exemplaires, depuis 1992 (le premier n’était pas paru dans la sphère de
la bd de jeunesse de grande production, mais dans la bd adulte confidentielle). Mais
Glenat dépend en réalité de Hachette, qui assure la diffusion.
Dans ce contexte de concurrence impitoyable, on assiste à une rotation du
stock accélérée. Le pilon marque chaque année la fin de vie de millions d’ouvrages,
les soldeurs n’en sauvant qu’une petite partie ! Il faut un grand savoir faire, une
technologie sophistiquée, et une très bonne connaissance de la demande et des
réseaux de lecteurs pour se lancer dans l’aventure d’une collection. Plus que jamais
la figure de l’éditeur est un maillon essentiel de la chaîne de production éditoriale.
C’est lui qui recrute les auteurs, les illustrateurs (cas très fréquent : ils ne se
connaissent pas, et il n’y a pas de rencontre !). C’est l’éditeur qui impose à l’auteur
ses normes, et qui lui retourne sa copie (notamment Bayard) ; mais ce traitement
« odieux » peut avoir pour un auteur qui débute un aspect positif : il apprend le
métier.
De ce point de vue, un exercice pratiqué à l’école primaire (souvent bien trop
tôt, en GS), la production d’un album, ne fait que construire des représentations
sans grand rapport avec la réalité, autrement complexe. En maternelle, mieux vaut
ne rien faire que d’installer des représentations fausses. Et si on le fait, se situer
plutôt comme usager lecteur. La fabrication d’un album dans une classe de GS
n’apprend rien aux enfants sur la façon dont les éditeurs réalisent des albums. Par
contre, le repérage de l’auteur et du titre est utile, pour initier l’enfant à l’usage de
la BCD, ou la fréquentation de la médiathèque. Encore un aspect qui peut être
argumenté professionnellement à l’épreuve d’option.
Un ouvrage cependant peut en donner une idée : « Comment un livre vient au
monde » [20](Serres et Zaü) éditions. Rue du Monde, à partir de Sous le grand
banyan, de J-C. Mourlevat et Nathalie Novi. Le premier ouvrage expose, en détails,
dans un album de la même collection, la naissance du premier.
Publicité, marketing… et salons
On l’aura maintenant compris : la question des chemins vers la lecture est
aussi importante que l’exploration littéraire des ouvrages (qu’il ne s’agit en aucun
cas de minimiser).
Pour l’épreuve d’option , il faut au moins connaître le nom des librairies
spécialisées dans notre région, et si possible en avoir au moins une fois franchi la
porte. A Mulhouse et à Colmar : Le Liseron. A Strasbourg, La Bouquinette.
Ces librairies tenues par des professionnels militants sont souvent présentes lors
des manifestations organisées par les éditeurs.
Le grand Salon français de Littérature de jeunesse se tient au mois de
décembre à Montreuil.
En Allemagne, le salon de Francfort est un lieu incontournable pour les
auteurs illustrateurs de jeunesse, y compris français. Ce Salon, d’envergure
mondiale, est un lieu où se rencontrent des créateurs et où sont signés des contrats
En novembre se tient le Salon du Livre de Colmar, auquel participe certaines
années le centre IUFM. C’est un lieu de rencontre entre auteurs, éditeurs et lecteurs.
Sa vocation est régionale, et elle dope les ventes des livraires locaux (date fin
novembre pas du tout anodine)
Les Salons ont donc une fonction économique, essentielle pour les éditeurs. Il
ne s’agit pas seulement de manifestations culturelles ! Leur utilité est parfois
contestée. Hachette vient d’annoncer qu’il se retire pratiquement du Salon du Livre
de Paris (n’occupant plus que 150 mètres carrés, autant dire rien). L’argument
avancé est la faible rentabilité. Par contre Hachette maintient son investissement
dans le Salon de Montreuil.
Pour les mêmes raisons promotionnelles, les Salons sont l’occasion de remises
de prix, une spécificités française. Prix du salon de Montreuil 2008 : La nit du
visiteur de Benoît Jacques, un choix très politique. Il a distingué un auteur de la
sphère de production restreinte, et pour cause : il est à lui-même son propre
éditeur !
7. Un ancienne connivence : littérature de jeunesse et presse
Au début du cours, j’ai considéré la littérature de jeunesse comme un média
parmi d’autres. La question d’une éducation aux médias réapparaît aujourd’hui
avec acuité, explicitement dans le texte officiel du « socle commun » qui revient,
après une période d’occultation.
Pourquoi ?
Toujours avec un cran de retard, « l’institution des programmes » n’a pas
encore réagi à l’irruption des nouveaux supports auxquels les éditeurs se préparent
depuis le début des années 2000 au moins avec l’émergence d’internet et des
nouvelles technologies.
Les éditeurs investissent aujourd’hui aussi dans des produits plus volatils, voir
virtuels. Ceux qui le font avec bonheur sont des groupes dont l’école parle peu,
mais qui prospèrent tranquillement, parce qu’ils ont leur clientèle, celle des classes
moyennes.
un épisode historique oublié et une loi toujours d’actualité
La presse a joué, historiquement, un rôle important dans la construction de la
littérature de jeunesse. Il faut connaître au moins un épisode (mais il faudrait un
CM entier pour donner une idée juste de ces liens). C’est l’après-guerre : la loi
N°49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
« La création de journaux donnant, comme avant la guerre, la vedette à des séries
achetées aux États-Unis (notamment les hebdomadaires Tarzan, en 1946, et
Donald, en 1947) provoque la colère des organisations professionnelles françaises
de dessinateurs. Leurs protestations, conjuguées à celles des ligues de moralité
issues de milieux catholiques ou laïques, ainsi qu’à l’antiaméricanisme du Parti
communiste, et à la méfiance qu’éprouvent les éducateurs à l’égard de la bande
dessinée, sont à l’origine de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à
la jeunesse. En menaçant de saisie toute œuvre faisant place (même une sous forme
bénigne) à la violence ou à la sexualité, celle-ci va peser pendant vingt ans sur ce
mode d’expression : les quelques éditeurs qui continuent à publier des séries
d’origine étrangère doivent les édulcorer (des retoucheurs effacent les revolvers et
rallongent les jupes), et demandent à leurs auteurs français de s’autocensurer. »
(Encyclopedia Universalis
des groupes de presse enfantine à connaître
Pour les éditeurs qui vont suivre, le mieux c’est de visiter leurs sites à partir de
Google.
1. La nébuleuse laïque
Pour éviter la fâcheuse impression de privilégier des groupes liés à des
enjeux confessionnels et rendre justice à l’histoire, il faut citer d’abord la
nébuleuse « laïque » : le Père Castor (aujourd’hui récupéré dans le giron de
Flammarion), et une série d’albums de grande qualité, publiés bien avant
l’explosion éditoriale de la littérature de jeunesse. Le plus célèbre est Roule
Galette. Il faut connaître l’histoire de cette maison et de son fondateur Paul
Faucher (« sergent recruteur de la nouvelle éducation »), dès 1927, bien avant
l’essor de Bayard ! voir le site :
http://amisperecastor.free.fr/index_fichiers/Page721.htm
mais le champ est aujourd’hui dominé par un groupe fortement marqué
historiquement par le catholicisme.
2. Le groupe Bayard
Anciennement la « Bonne Presse » (tout un programme !), c’est un groupe
catholique, historiquement liée aux religieux assomptionnistes, toujours
actionnaire majoritaire. Il possède le quotidien La Croix, l’un des plus anciens
du paysage français, le magazine Le Pèlerin, et des dizaines d’autres titres, en
France et à l’étranger. Dans le domaine de la littérature et de la presse enfantine,
ce sont des pionniers devenus des professionnels, imposant à leurs auteurs des
cadres stricts, non seulement idéologiques, mais formels, plus souvent pour le
meilleur que pour le pire. D’où des réussites comme Pomme d’Ami, Astrapi,
Okapi, Phosphore, publications qui ont cependant un défaut : elles sont chères,
accessibles plutôt aux familles socialement favorisées. Les suites J’aime lire et
Je bouquine accessibles par abonnement (encore un trait commun entre le livre
et le journal) peuvent être empruntées souvent en bibliothèque ou en BCD.
Voir
http://www.groupebayard.com/index.php/fr/articles
Pour faire justice aux groupes catholiques, bien implantés en France, il
faudrait citer aussi les éditions Fleurus, davantage tournées vers la « classe
ouvrière », et proches de l’ordre religieux des dominicains. Fleurus, c’était…
dans les années soixante, Cœurs vaillants (et pour les filles, séparation des sexes
oblige à cette époque : Ames vaillantes).
2. Milan
est un groupe historiquement concurrent de Bayard, implanté dans la région
de Toulouse, aussi laïque que Bayard est historiquement catholique ! Milan
publie des ouvrages de pédagogie (Sedrap), des collections de littérature de
jeunesse (Friot, Les histoires pressées), et deux hebdos de presse d’information
jeunesse : Les Clés de l’actualité, et les Clés de l’actualité Junior. Dans le
contexte de la concentration des maisons d’édition, Milan courait le risque d’être
racheté par Hachette. La maison a décidé… de s’intégrer au groupe Bayard.
Milan est très avancé dans le domaine des suites multimedia ; voir Mobiclic, et
le site internet (avec des espaces accessibles à l’aide d’un code que l’on trouve
en achetant les magazines papier).
Il faudrait citer aussi les journaux d’information pour enfants (Play bac,
JDE), mais nous ne le ferons pas, pour ne pas sortir du sujet, qui concerne
aujourd’hui exclusivement la « littérature » de jeunesse.
En conclusion
Ce cours magistral a eu pour simple but d’équilibrer la présentation de la
littérature de jeunesse, qui nous est plus familière par le chemin des écoliers : les
lectures-plaisir (ou comme on dit « offertes »), les parcours didactiques, les
« projets », et autres « pivots » ou « réseaux ».
Il n’est pas question de récuser ces approches, qui feront même, peut-être,
l’essentiel des questions qui seront posées aux candidats lors de l’épreuve
d’option. Mais la capacité d’avoir sur l’objet un point de vue élargi,
contextualisé autrement, peut faire la différence entre un exposé correct, et une
prestation excellente. Quant à l’enjeu de formation, qui dépasse heureusement
celui du concours, l’intérêt d’une approche sociologique relève de l’évidence.
On aura compris que la littérature de jeunesse est un domaine foisonnant, et
si son intégration dans le domaine des médias a pu paraître surprenante,
admettons au moins qu’elle est une « institution », mettant en jeu non seulement
des livres (souvent de très beaux livres), mais aussi des lecteurs, et des pratiques
dans le champ social. Cette prise de conscience, loin d’appauvrir le domaine,
devrait donner des idées pour des activités complémentaires, voire innovantes.
Mais il faudrait, pour les présenter, un autre cours. Les groupes d’option
profiteront aussi des apports des maîtres formateurs, irremplaçables dans ce
domaine, et des stages.
Bibliographie
Images à la page : une histoire de l’image dans les livres pour enfants, ouvrage
collectif, Gallimard, 1984
Du jeu, des enfants et des livres, Jean Perrot, éditions du cercle de la librairie,
1987
Manuel d’histoire littéraire, D. Dupont, Y. Reuter, J-M. Rosier, De Boeck,
Duculot, 1988
La littérature dès l’alphabet, sous la drection de Henriette Zoughebi, Gallimard
Jeunesse, 2002
Comment un livre vient au monde, Alain Serre, Zaü, Rue du Monde, 2005
Images des livres pour la jeunesse, sous la direction de Annick Lorant-Jolly et
Sophie Van der Linden, Thierry Magnier, scérén, académie de Créteil, 2006
La littérature des enfants fait école, L’Ecole des lettres N°4, janvier-février 2004
et divers sites internet, notamment ceux des éditeurs et des groupes de presse.
L’école des loisirs distribue un très intéressant fascicule : La littérature des
enfants fait école, actes de la Journée d’études du 15 novembre 2008. On peut se le
procurer dans les médiathèques des sites de Colmar et de Guebwiller. Il convient de
le lire attentivement, après ce cours, qui peut servir d’introduction.
[1] Notre référence restera le programme de 2002, qui développe ce programme, et lui ajoute
des documents d’accompagnement. Ce programme de littérature reste à l’ordre du jour dans le
programme de 2008, sous une version plus succincte.
[2] Il se produit d’ailleurs un étrange phénomène : les parents prescrivent, ou du moins ils
offrent ou facilitent l’accès. Et ils se prennent au jeu… et se mettent à lire eux-mêmes les
ouvrages de jeunesse : albums, romans ou périodiques. Les éditeurs ne l’ont pas toujours
prévu : les publications de jeunesse ainsi créent du lien social et intergénérationnel.
Voir Rêves amers de Maryse Condé, publié par Bayard dans une collection roman, mais
qui a d’abord paru dans le périodique Je bouquine. Ce roman figure sur la liste conseillée au
cycle 3.
[3]
Voir plus loin : les groupes de presse spécialisés du secteur jeunesse ont saisi l’importance
des « suites » multimédias : Bayard avec les CD encartés ; Milan avec la suite « Mobiclic »
[4]
[5]
L’Alsace et une partie de la Lorraine, actuellement la Moselle
[6]
il est aujourd’hui réédité en fac-similé par Belin
à l’époque il n’y a pas de « droits d’auteur » ; le libraire est en même temps éditeur et
imprimeur ; mais dès le XVIII° siècle, Beaumarchais commence à se soucier de la protection
de la propriété intellectuelle.
[7]
[8]
Prix de la BD de Jeunesse du festival d’Angoulême en 2007
Le loup et l’agneau ; la « morale » est placée au début : pas d’espoir, la cause est
entendue !
[9]
La comparaison de ces indices peut être menée avec des élèves, mais sans doute plutôt au
niveau collège…
[10]
à Colmar, on peut aller voir Page 12, très bien situé Grand Rue, presque en face de la
FNAC.
[11]
Ce concept de la sociologie de Bourdieu désigne les habitudes culturelles des acteurs
sociaux, pas toujours, et même le plus souvent non conscientes, c’est-à-dire considérées par
ces acteurs comme « naturelles » alors qu’elles sont construites et « incorporées ». Par
exemple, dans les milieux urbains et cultivés, l’inscription dans une voire plusieurs
[12]
médiathèques, ou encore des abonnements au théâtre font partie de l’habitus. Dans d’autres
milieux, c’est une dépense inutile.
La présence d’une BCD est une richesse pour un IUFM, mais elle ne fait pas partie de ses
équipements statutaires. Dans beaucoup de centres IUFM, il n’y a pas de BCD, mais un
département littérature de jeunesse intégré à la médiathèque (cas de l’IUFM d’Auvergne à
Clermont-Ferrand). La BCD du centre de Colmar est le résultat du regroupement de deux
fonds, constitués par des professeurs et des maîtres formateurs pionniers dans ce domaine, au
temps des écoles normales.
[13]
Ces deux grands universitaires ont fortement contribué à la légitimation de la littérature
de jeunesse, et leurs travaux restent incontournables, même anciens : Marc Soriano,
spécialiste de Perrault, a écrit l’article « littérature de jeunesse » de l’Encyclopedia
Universalis. Jean Perrot, professeur de littérature comparée a publié aux éditions du Cercle de
la Librairie, notamment : Du jeu, des enfants et des livres, 1987, et plus récemment Jeux et
enjeux du livre d’enfance et de jeunesse, 1999.
[14]
Attention aux fiches disponibles, souvent rédigées par des comités improvisés de lecteurs
/ lectrices, les couleurs cachant la faiblesse des approches.
[15]
Voir Images des livres pour la jeunesse, Lire et analyser, de Annick Lorran-Jolly et
Sophie Van der Linden, qui réactualise Images à la page, publié en 1984. Ce dernier était
publié par Gallimard. Le nouveau livre est publié par un éditeur « indépendant », Thierry
Magnier, en co-édition avec le Scérén (Education Nationale). On voit le chemin parcouru ; le
champ de la production restreinte est pleinement légitimé par l’école. A la différence de
l’ouvrage de Gallimard, qui s’adresse au lecteur cultivé, celui de 2006, s’adresse aussi,
surtout, à des formateurs et des praticiens, par l’nsertion de fiches pédagogiques. L’approche
est délibérément restrictive pour ne pas dire élitiste : ne sont retenus que 12 auteurs et/ou
illustrateurs. La sphère de grande production et la presse sont exclues du champ.
[16]
Voir les beaux albums de Fabian Grégoire : Les enfants de la mine, analysé sur ce site ;
Vapeurs de résistance ; et un Paris sous l’eau, illustré par Fabian Grégoire, texte de Irène
Schwartz : cet album, récemment primé, fait bouger aussi les frontières entre texte littéraire,
documentaire et reportage journalistique.
[17]
Par exemple Foufours déménage, qui nécessite une double analyse, du texte et de l’image,
ce qui a échappé totalement aux enfants de GS-CP pour lesquels l’histoire a été lue à haute
voix.
[18]
Par exemple : l’éditeur, c’est le fabricant ou encore l’usine qui fait le livre. Voir dans
Pratiques N°131-132, La littératie - autour de Jack Goody un article de M. Laparra : la
réalisation d’un album en Grande Section de maternelle : une activité à questionner.
[19]
[20]
La médiathèque de l’IUFM de Colmar possède depuis peu un trésor hors prêt : la
réédition complète en couleurs et au format d’origine des Little Nemo, de Winsor Mc Cay,
parus vers 1905 dans le New York Herald Tribune
[21]