La littérature de jeunesse : un média - Jean
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La littérature de jeunesse : un média - Jean
La littérature de jeunesse : un média ? Cours magistral donné en novembre 2009 par J-Marc Muller – option LJ – Ici version CFEB de Guebwiller. Il s’agit d’une version de travail, qui pourra être améliorée et complétée par la suite. Les contenus restent évidemment soumis à discussion. Mise à disposition temporaire sur mon site. Plan du cours Légitimité de la question Qu’est-ce que le patrimoine littéraire ? o Jules Verne o La comtesse de Ségur o Hector Malot La théorie des deux sphères o o o o La sphère de production restreinte La sphère de grande production Des exemples Limites de la théorie La théorie appliquée à la littérature de jeunesse Spécificités du marché scolaire Regards sur l’histoire récente de la littérature de jeunesse o 1968 ou la fabrique des « classiques o la scolarisation de la littérature de jeunesse o l’ère des éditeurs et des regroupements Retour aux médias : littérature de jeunesse et presse Conclusion 1. Légitimité d'une telle question Peut-on approcher la littérature de jeunesse par d’autres chemins que la littérature ou la pédagogie, par exemple avec les outils habituellement utilisés pour décrire les médias ? Est-ce que, sous certains aspects, cette littérature de jeunesse, qui s’adresse aujourd’hui à une masse d’enfants et de jeunes, n’est pas ellemême… un média ? Je vais commencer par éclairer ce point de vue . Par média, nous reprenons la définition qui figure dans le Petit Robert, ellemême inspirée par la théorie des mass médias de Mc Luhan : « moyen de diffusion, de distribution ou de transmission de signaux porteurs de messages écrits, sonores, visuels (presse, cinéma, radio-diffusion, télédiffusion, vidéographie, télédistribution, , télématique, télécommunication, etc.) » Cette définition étant prise dans le Petit Robert de 1996, il convient d'ajouter à la série le « média » internet, ouvert sur le « multimédia » (productions combinant les textes, les images et les sons, et pour l'utilisateur des parcours interactifs). On le voit, admettre cette définition, c’est élargir le champ imparti à l'épreuve d'option, en reliant ce que l'école sépare. En effet, le texte de cadrage imparti à l'épreuve est sélectif : des oeuvres de fiction (donc pas de documentaires) ; des oeuvres littéraires (donc pas de magazines, ni de journaux) ; des livres (albums, romans excluant les produits multimédias, par exemple aujourd’hui les livres audio, très développés en Allemagne, moins en France). Cette simple énumération fait apparaître un problème : le fossé s'élargit entre la culture scolaire imposée et la culture de masse à laquelle les enfants sont exposés. Combat sans merci entre les « institutions de programmes1 » (= ce que l'école prescrit) et les « industries de programmes » (= ce qu'impose la société de consommation, avec des moyens beaucoup plus puissants). Une lecture attentive du programme de 2008, et des compétences du socle, permet, heureusement, de sortir de cette opposition : 1 Bernard Stiegler (voir bibliographie) o Le programme de littérature. Nécessite un minimum de maîtrise des concepts de base de la « sociologie de la littérature », c'est-à-dire une connaissance des rapports entre des objets littéraires spécifiques et la société, en diachronie et en synchronie. Citons le texte : « Le programme de littérature vise à donner à chaque élève un répertoire de références appropriées à son âge, puisées dans le patrimoine et dans la littérature de jeunesse d’hier et d’aujourd’hui ; il participe ainsi à la constitution d’une culture littéraire commune ». Tous les mots sont importants : d'un point de vue diachronique, la notion de « patrimoine » littéraire : ici la littérature croise l'histoire collective, celle des faits, mais aussi des idéologies. Ensuite « la littérature de jeunesse », à distinguer du patrimoine : celle d'hier vise les « classiques » (de la LJ : ils n'ont pas plus de quarante ans !) et la LJ d'aujourd'hui (par exemple le dernier catalogue de l'Ecole des Loisirs) o Les autres entrées des programmes de 2008 … pour peu qu'on « délinéarise » la lecture, en essayant de faire des liens. Prenons les TICE : sans le citer, il s'agit de faire des enfants des usagers avertis d'internet. Aucun rapport avec la « littérature » si on en reste au sens restrictif. Mais rapport fort, si on considère que l'internet est un vecteur culturel, que tous les éditeurs de LJ aujourd'hui, développent des produits en ligne accessibles aux enfants (voir Bayard, Milan). Un autre lien possible : « La révolution scientifique et technologique Ŕ La société de consommation » (= programme d'histoire au cycle 3) : on peut envisager la construction de telles compétences par des méthodes actives : initier des enfants du CM1-CM2 au chemin que parcourt une oeuvre littéraire du cerveau d'un auteur (forcément génial) jusqu'au rayon de la médiathèque (section de jeunesse) ou, ce à quoi l’école ne s’intéresse pas, mais que nous pourrions explorer : le rayon du SUPER-U. Ou encore : « la langue française dans le monde » (= programme de géographie en lien avec l'instruction civique et morale) : on peut travailler activement ce domaine en étant attentif, avec des enfants, à la dimension internationale de la LJ (phénomène des co-éditions : un même auteur Ŕ un même illustrateur Ŕ mais s'ajoute un traducteur Ŕ s'intéresser aussi à la LJ francophone non française : belge, canadienne, voire zaïroise, par exemple). Enfin les compétences du socle déclinées dans les programmes de 2008, notamment la compétence 6 (sociales et civiques). On peut en rester à la lettre au « 2° palier » assigné au CM2. Mais si on tient compte du programme TICE, il faut citer le texte du socle dans sa version intégrale, on trouve : « être éduqué aux médias et avoir conscience de leur place et de leur influence dans la société » ; on trouve aussi : « savoir évaluer la part de subjectivité ou de partialité d’un discours,d’un récit, d’un reportage ». Cette obligation a deux volets : d'une part, il s'agit bien sûr de former des élèves. Avec quels supports le fera-t-on si ce n'est pas avec ceux qui sont prescrits : les textes littéraires, considérés aussi (pas seulement) comme des médias. Mais un autre volet est encore plus important : s'agissant de littérature de jeunesse, le futur professionnel ne peut pas se contenter d'une approche pédagogique « littéraire », aujourd'hui dominante dans la formation. Il doit aussi se former luimême à la littérature de jeunesse considérée comme une production culturelle adressée à une masse. Sans même évoquer dans ce cours (mais il conviendrait de le faire) les mutations présentes et à venir dans le champ de l’édition, induites par les technologies numériques. Voir le grand débat actuel autour de la numérisation des bibliothèques par le géant Google. 2. Regard sur la notion de patrimoine à partir de 3 exemples Le patrimoine littéraire, ce sont les grands auteurs, considérés comme des « valeurs » (sens économique du mot !), et des valeurs transmises (au sens d’un héritage). S’agissant de littérature de jeunesse, on pense immédiatement au domaine des contes (Perrault, les frères Grimm, Andersen), mais il ne faudrait pas oublier De Foe, Robinson Crusoe, roman à la fortune immense par les formes qu’il a inspirées). Dans le recueil du ministère (doc. d’acc. du programme de 2002, toujours disponible sur Eduscol), les textes patrimoniaux sont codés par un logo « château ». A chacun d’en faire l’inventaire en regardant ces listes de près. On peut déjà faire un constat : ces textes dits « patrimoniaux » ne sont pas seulement français, mais européens et même mondiaux (les frères Grimm sont allemands, Andersen est danois, Frank Baum est américain, Kipling est anglais). Mais dans le présent cours, si on envisage la notion de « patrimoine » d’un point de vue sociologique, il faut ajouter que ces auteurs n’ont pas été « patrimonialisés » à leur époque. Ils ont été introduits dans des circonstances historiques variables ; en simplifiant, on peut considérer que la littérature de jeunesse apparaît en même temps que se développent les techniques d’impression de masse, et en particulier les moyens de reproduction des images (d’abord les gravures, puis la lithographie), et aussi un lectorat (la bourgeoisie urbaine). Une étape de plus sera franchie avec la scolarisation obligatoire. Voir la fascination des lecteurs de l’époque pour les gravures (voir collections du « Monde illustré » de 1862 et 1869 montrés et feuilletés). A partir des années 1970, même phénomène : l’impression en offset permet de faire de beaux albums. L’éditeur Delpire, un des grands fondateurs de la « littérature de jeunesse » à cette époque est spécialisé dans les ouvrages de photographie. Jules Verne Le Magasin d’Education et de Recréation : titre à méditer ! Verne est un écrivain professionnel, qui travaille pour les lecteurs jeunes de l’époque, avec un éditeur prestigieux, Hetzel, auquel il est lié par contrat. Il doit produire deux romans par an. Hetzel travaille déjà comme les grands éditeurs de jeunesse d’aujourd’hui, en faisant appel aux meilleurs illustrateurs (par exemple De Neuville et Benett) et à une nouvelle technologie : la lithographie. Il a une stratégie de marketing : les livres d’étrennes. Les « Voyages extraordinaires » de Verne sont le produit phare de la maison, et Hetzel imagine deux versions : une moins chère en format in-18 au début sans illustrations, puis illustrée, et une édition de luxe in-octavo. Pas de littérature destinée à la jeunesse sans marché ! Et pas de marché sans innovations technologiques… La comtesse de Ségur De son nom de jeune fille Rostopchine. Aujourd’hui encore des PE2 (filles ?) citent Les malheurs de Sophie ou Un bon petit diable parmi leurs lectures d’enfance. La série est une valeur sûre de la Bibliothèque rose, c’est-à-dire Hachette ! et cet acteur incontournable fonde justement sa prospérité sur des contrats d’exclusivité comme celui qui lie la comtesse à la maison… par son époux interposé (légende ou réalité ? en tous cas le comte de Ségur est en 1855 président de la compagnie des chemins de fer de l’Est, et à ce titre il peut assurer à Hachette l’exclusivité des « bibliothèques de gare », i.e. les « points H » des gares de 2008… qui sont contrôlés aujourd’hui encore par le même groupe Hachette !) Hector Malot On connaît « Sans famille » paru en 2 tomes à partir de 1878, qui commence par un incipit fameux : « Je suis un enfant trouvé ». A travers des péripéties souvent peu vraisemblables, entre mélodrame et conte de fées, roman iniatique, roman de voyages, le héros narrateur Rémi finit par retrouver Mme Milligan, sa mère, et s’installer, en Angleterre, dans le manoir de ses pères. Sans Famille est dès sa publication un best-seller, inscrit au catalogue de l’avisé Hetzel, qui ne publie pas que Jules Verne. Ici l’accointance entre « livre d’étrennes » et inculcation des valeurs bourgeoises qui édifient la société industrielle apparaît clairement. En effet, le message délivré par Malot est conservateur. Rémi, dépourvu de famille, ne se révolte pas contre le destin (même si Malot au passage met en cause la misère sociale et le travail des enfants ; le salut de Rémi nécessite la reconquête de sa position sociale, qui est aussi la récompense de la « vertu ». La phrase « tu es un bon garçon », dont Remi est gratifié, est le leitmotiv de ce roman. Dans la foulée de Malot, il faut citer « Le tour de la France par deux enfants », qui paraît quasiment en même temps, mais qui sera constamment réédité et remanié jusqu’au premier tiers du XX° siècle . Son auteur est une femme, Mme Augustine Fouillée, née Tuillerie. Monsieur Fouillée est professeur de philosophie. Elle signe d’un pseudonyme : G. Bruno, en mémoire du philosophe rationaliste italien Giordano Bruno condamné au XVI° siècle au bûcher. Très fortement inscrit dans l’idéologie de la reconquête des « provinces perdues »[5], ce roman est la Bible laïque ( !) de l’école de la 3° république (le sous-titre est « devoir et patrie »), mais c’est en même temps un ouvrage didactique (un « documentaire »), un manuel d’histoire, de géographie , voire de sciences et de technologie. La fonction éducative est au premier plan, mais c’est aussi un produit largement « médiatisé », diffusé par l’école (des tirages et réécritures successives aboutissent à plus d’un million d’exemplaires en 1904[6], et le livre continue d’être utilisé massivement après la guerre de 14-18, jusqu’aux années 30). Avec ce dernier exemple, on aborde déjà la question complexe des rapports entre littérature de jeunesse et institution scolaire. A retenir : La notion d’œuvre du patrimoine n’a de consistance que si on envisage le contexte historique et sociologique qui a construit l’œuvre comme telle. Au XIX° siècle, l’émergence de Perrault comme auteur du patrimoine est inséparable des illustrations de Gustave Doré. 3. La théorie des deux sphères. Cette partie du cours vise à nous donner des repères pour comprendre comment est structuré le champ de la production des livres, d’un point de vue économique et sociologique, dans le monde actuel. Dans ce champ, la littérature de jeunesse constitue un « sous-champ » qui a ses caractéristiques propres, mais qui ne lui donne pas une complète autonomie par rapport à l’ensemble du champ éditorial. Une « économie des biens symboliques » Le cadre théorique est celui des travaux du sociologue Pierre Bourdieu, qui s’intéresse au « marché des biens symboliques ». C’est à lui aussi que j’emprunte ce concept de « champ », métaphore spatiale qui désigne des sphères d’appartenance, où se jouent des rapports « dominants-dominés ». Par « biens symboliques », il faut entendre des objets de la culture dont la valeur ne se mesure pas seulement en termes de profits matériels (exemple : en alimentation les produits AB que je paye plus cher, parce que je peux estimer qu’ils sont plus sains), mais aussi en termes d’avantages « symboliques » : il s’agit alors de valeurs pour l’esprit, relativement indépendantes de leur valeur matérielle. En prenant encore des exemples en dehors des livres : les vêtements dits « de marque », les parfums (souvent associés par leur nom à des marques), les accessoires féminins (Hermès, Vuitton) ont certes une valeur économique importante comme objets matériels manufacturés de grande qualité, mais elle est largement sur-déterminée par leur valeur symbolique. Si on les paye très cher, ce n’est pas qu’en fonction de leur « qualité », c’est parce que le fait de les porter est en lui-même classant. On peut donc construire une économie des biens symboliques » : c’est le travail de Bourdieu, qui l’applique, entre autres, au livre, bien symbolique par excellence. L’économie des biens symboliques appliquée aux livres. Les livres, comme les autres produits de consommation, ont donc une double face : économique, comme n’importe quel produit de marché, dans un circuit de production et de consommation. Mais aussi symbolique : c’est-à-dire générant des profits immatériels. Il suffit de considérer les livres sous cet angle pour s’apercevoir que, schématiquement, le « champ » apparaît d’abord comme bipolaire. D’un côté des livres dont les couvertures sont dépouillées, sans images, comme s’il s’agissait de faire oublier l’aspect marchand. De l’autre des livres qui répondent à la stratégie inverse : tout se passe comme s’il fallait avant tout attirer le public vers l’achat d’un livre, en profitant d’une bonne occasion, et si possible de faire exploser les ventes sur la plus longue durée possible : ce sera alors un « best seller ». Ces deux stratégies très différentes définissent deux réseaux de lecteurs : la sphère de diffusion restreinte, la sphère de grande diffusion. Voir le tableau (in Manuel d’histoire littéraire Ŕ tome 1, Dupont, Reuter, Rosier) Quelques exemples dans la production récente a) sphère de production restreinte Soit le roman de Pierre Michon, Les onze, publié au 1° trimestre 2009, par les éditions Verdier. C’est une fiction (en 137 pages) imaginée par un écrivain à partir d’un tableau (« nous le connaissons tous », dit la 4° de couverture) qui porte ce titre : François-Elie Corentin, dit « le Tiepolo de la Terreur », représentant les 11 membres du comité de salut public qui fait basculer en 1794 la Révolution dans la Terreur. Le roman vaut par la précision de l’évocation historique, mais surtout par le travail du style. En examinant la couverture de la première édition, on peut être déçu ; apparemment pas d’effort de la part de l’éditeur pour la promotion de ce livre, sinon le format, la couleur, le logo des éditions Verdier, i.e. la même présentation pour d’autres ouvrages publiés par la même maison. Ici, manifestement, ce sobre habillage suffit pour signaler l’ouvrage auprès d’un lectorat ciblé : la sphère de diffusion restreinte .Sur la personnalité de l’éditeur de la maison Verdier « libre, inspiré, novateur » (termes du document distribué), voir le site où on trouvera la biographie et la présentation de G.Bolillier, récemment disparu. Les qualités de la personne (par exemple la distance prise avec la loi du profit dans l’économie capitaliste libérale) est elle-même la quintessence des valeurs considérées comme partagées par les lecteurs de cette sphère de production. b) sphère de grande production. Soit le Da Vinci Code. Tout le monde connaît au moins le titre, sait vaguement de quoi il s’agit dans ce record des ventes. L’entreprise se donne ouvertement comme une opération de marketing, ce qui se voit à la couverture (c’est le titre qui se vend, davantage que le nom de l’auteur : Dan Brown). Dans d’autres cas, c’est le nom de l’auteur qui fait vendre. La cible visée, c’est le grand public (d’où la réussite de l’idée, qui conjugue des lambeaux d’histoire chrétienne Ŕ Jésus et Marie-Madeleine Ŕ une culture générale très basique Ŕ Léonard de Vinci quand même plus connu que le Tiepolo ou François-Elie Corentin Ŕ et parmi ses tableaux les plus connus L’homme de Vitruve à cause de Manpower - + une actualité post-11 septembre qui active les thèses du complot et des thématiques liées au fondamentalisme religieux : l’Opus Dei) : des composantes sont réunies, pour un grand succès mondial : en 2004, 500 000 ventes en France, et 12 millions dans le monde. S’y ajoutent des produits dérivés : 8 ouvrages sont publiés pour démêler le vrai du faux (rappel : Jésus aurait eu un enfant de Marie-Madeleine…), le film (Ron Howard), sorti en 2006, les DVD, et même des tours opérateurs qui proposent à 2600 dollars la visite des sites européens où se serait passée cette histoire (qui est évidemment une fiction, mais l’éditeur a tout intérêt à entretenir la confusion.) Les livres produits dans la sphère de grande production ne sont pas tous des bestsellers. Certains sont directement fonction de l’actualité. Ils sont produits très vite (parfois quelques semaines), et ont un cycle de vie très court (moins de 6 mois). Exemple parmi des dizaines : « Orange stressé » de Olivier X, La découverte (sous titre : « le management par le stress »), porté par une vague médiatique (les suicides à France Télecom). les limites du modèle Avant même de nous intéresser à la LJ, il faut admettre que le modèle a surtout valeur « heuristique », par l’analyse fine qu’il permet de faire des écarts, lesquels en apparence l’invalident. Les éditeurs de la sphère de production restreinte sont soumis comme les autres aux lois du marché. Michon n’est pas un auteur confidentiel, mais une « locomotive » de la maison. La parution de Les onze a déclenché immédiatement une quarantaine d’articles de presse en 3 mois, tous accessibles sur le site de l’éditeur (à destination des libraires). La plupart de ces articles sont tirés de revues appartenant ellesmêmes au réseau restreint, mais pas tous : on trouve ainsi, La Vie et des quotidiens régionaux, dont les DNA (magazine Reflets). Voir le document distribué et l’exercice proposé). Inversement, la sphère de grande production cherche à s’ouvrir à tous les lecteurs, y compris ceux de la sphère restreinte, mais qui n’iront pas acheter Les onze sous la jaquette orange de Verdier, dans une librairie spécialisée. D’où le passage systématiques des œuvres de la sphère restreinte vers la grande production, une fois que la promotion est faite. Ici intervient l’institution très française des prix littéraires. « Chagrin d’Ecole », de Pennac, prix Goncourt, a été très vite publié en poche, et disponible en grande surface (600 000 exemplaires vendus). Même Verdier publie aujourd’hui une collection de poche, et le catalogue propose aussi d’autres auteurs que ceux qui ont été lancés par la maison. Le versant économique ne peut être ignoré d’aucun éditeur. Un autre exemple qui fait apparaître les relations complexes entre les deux sphères. L’an dernier le prix Nobel de littératureest attribué au romancier français Le Clezio. La critique spécialisée dans la sphère de production restreinte lui consacre des articles contrastés, certains d’une grande méchanceté : dans ce milieu hexagonal, Le Clezio est perçu comme un écrivain grand public. Mais les médias traditionnels font un écho extraordinaire au prix. C’est une chance pour les éditeurs. A la librairie Kleber de Strasbourg, les ouvrages de Le Clezio ont distribués sur une palette ! Cette année il en va tout autrement. Le prix est attribué à une roumaine, née en 1953, qui écrit en allemand sur une période obscure pour le lecteurs français : la dictature de Ceucescu, et le passé lourd des roumains germanophones pendant la seconde guerre mondiale. Seuls trois ouvrages sont traduits en français. L’écho médiatique est bien moindre que pour Le Clezio, et Herta Müller risque fort d’être oubliée : elle n’est accessible aux lecteurs d’aucune des deux sphères. En France, ce qui s’appelle culture littéraire est bien souvent … hexagonal, même si le reproche n’est pas entièrement mérité par Le Clezio, dont l’œuvre est ouverte aux grands espaces ! Sur Herta Müller, voir : http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1349 Les dernières mutations du marché vont peut-être encore rapprocher les deux pôles. Aujourd’hui, quand nous achetons un livre sur internet, le site présente en même temps les meilleures ventes. Mais plus finement, si je commande sur internet le roman de Michon, le site associe à mon choix les « meilleurs ventes » non pas dans l’absolu, mais corrélées à mon choix. Les perdants sont les auteurs à diffusion confidentielle (mais peut-être géniaux !), mais des valeurs sûres peuvent ainsi toucher de nouveaux publics. Le Da Vinci Code peut y perdre aussi ! Voir le Supplément 6 du Monde (octobre 2009), article consacré à Andrew Wyle, un « agent » américain. L’édition française ne connaît pas cette figure de l’ agent. L’agent est un homme d’affaires disposant de moyens puissants, qui assure la promotion d’un auteur (plutôt confirmé) sur le marché mondial. Il intervient en aval (contrôle des réseaux de distribution) et en amont (il démarche les éditeurs, leur demandant par exemple pour des auteurs des « àvaloir » en échange d’une promotion mondiale). L’un des grands auteurs du catalogue de Wylie est Philip Roth, qui dit que l’agent a « changé sa vie ». Or Philip Roth est un écrivain aujourd’hui reconnu dans les deux « sphères » (en France il serait peut-être resté confiné dans la première, la sphère restreinte). Deux citations de Wylie, tirées de cet article : « Je défends les auteurs que j’aime. Je crois en l’avenir de l’édition. Je crois que le combat va continuer tel qu’il est, entre la littérature et le commerce. Je comprends que certains éditeurs soient parfois pessimistes, quand 70% des gens qui font le métier d’éditer tentent de persuader tout le monde que le Da Vinci Code est quelque chose d’intéressant. Alors que c’est totalement inintéressant. » (…) « Je suis toujours parti de l’hypothèse que je pouvais convaincre les éditeurs d’investir plus d’argent sur les auteurs de qualité, et un peu moins sur des auteurs qui vendent des quantités de livres sur une courte période, mais n’ont aucun avenir dans l’histoire de la littérature ». La France répond à sa manière à ces mutations du marché du livre. Au nom de « l’exception culturelle », le ministère Jack Lang impose le « prix unique » du livre et l’interdiction de la publicité pour les livres à la télévision. Motif : protéger le réseau des librairies. Ces mesures n’ont qu’une efficacité relative. Les grandes surfaces sont souvent en infraction (elles préfèrent payer les amendes !). La librairie n’est plus qu’une branche des FNAC (voir l’évolution de la FNAC de Colmar), qui se positionne davantage dans l’informatique, le son et l’image. La possibilité de se procurer des livres sur internet (notamment le géant américain Amazon) a modifié les comportements des acheteurs : les livres attirent toujours, mais par des chemins différents. 4. La théorie appliquée à la littérature de jeunesse Dans une première approche, le modèle bipolaire proposé par Bourdieu semble fonctionner tout aussi bien pour ce domaine particulier de l’édition. Nous le montrerons à travers quelques exemples. Et nous ajouterons quelques remarques, relatives aux « chemins » que les enfants ont à faire pour se rapprocher des livres. Tout autant que les livres en eux-mêmes, ces chemins doivent être pris en compte par les pédagogies Martine baby-sitter – François Place, « Les derniers géants » Ces deux produits très contrastés sont édités par la même maison : Casterman (Flammarion), qui recherche donc des profits économiques dans les deux sphères. Soumis à la loi de rotation des stocks, le livre de la sphère de grande production se maintient par la série. Celle-ci renouvelle le produit, qui reste cependant soumis aux normes dominantes : thèmes, stéréotypes. Il en va autrement dans la sphère restreinte. Pour se distinguer, il faut être sécurisé, et reconnu par des pairs. Le statut de l’auteur est différent. Dans le cas de l’album « Les derniers géants », une page fait la liste des prix obtenus par cet auteur distingué « libre, inspiré, novateur » . Dans le cas de « Martine », les auteurs (Delahaye et Marlier) sont seulement mentionnés : ils s’effacent devant les attentes du public. La distribution des ouvrages est différente. Les Martine sont disponibles en grande quantité dans les grandes surfaces, non loin des rayons d’alimentation. « Les derniers géants » est disponible dans les librairies spécialisées dans le secteur Jeunesse, et la distribution est assurée par l’Ecole des Loisirs, qui a ses entrées dans l’univers scolaire. S’il semble aller de soi que les Martine n’ont pas leur place à l’école (mais il faudrait en discuter !), il y aurait peut-être, au cycle 3, avec une telle comparaison, de quoi faire comprendre aux enfants ce qu’est un éditeur, en passant, pourquoi pas, par l’idée de marque. Renault produit de petites Twingos et des Laguna coupé sport. En tous cas la co-existence d’ouvrages aussi différents doit nous interpeller. A l’option, il sera facile, pourvu qu’on s’y soit préparé, de faire apparaître les qualités « littéraires » de ouvrages de François Place. Mais pourquoi cet attrait irrésistible de toute une partie des jeunes lecteurs pour les Martine ? Encore plus intrigant : les mêmes enfants, très souvent, dévorent les ouvrages des deux catégories. les deux sphères, version Bayard Encore un même éditeur pour les deux sphères. Le format est le même et l’ouvrage de la sphère de grande production présente 137 pages contre 76 pour celui de la sphère restreinte. Comme pour les Martine, l’Horloge maudite s’inscrit dans une série « Chair de poule » dont le titre est d’ailleurs mieux mis en évidence que celui de l’histoire. Très différente aussi la présentation de l’auteur. Ce qui légitime Stine, c’est son succès même : « Il reçoit plus de 400 lettres par semaine ». Ce qui légitime Maryse Condé, c’est son statut d’intellectuelle : « … partage son temps entre son pays natal, la Guadeloupe et les Etats-Unis où elle est professeur ») L’ouvrage, qui est d’ailleurs sur la liste du cycle 3, fait partie de la collection Je bouquine, et s’inscrit dans un circuit de prescription différent. Il n’est pas disponible en grande surface[10]. Par contre on trouvera en grande surface une autre série publiée par Bayard (Bayard poche) : La cabane magique (« Entre vite dans la cabane à remonter le temps ») de Mary Pope Osborne ; un titre récent, traduit en 2009 : Le dragon du Mont Fuji, titre original Dragon of the Red Dawn, Random House, New York, 2007). Une autre série, toujours chez Bayard Poche, prisée des lectrices : les Grand Galop, de Bonnie Bryant. D’une histoire à l’autre, une série qui a pour thème (obsessionnel) l’amitié de trois filles que soude la même passion pour les chevaux, dans le même centre équestre : le Pin creux… Des exemples moins clairs Et de ce fait intéressants, car ils font bouger les lignes. Thierry Lenain est un auteur prolifique dont les titres (disons « branchés ») affichent des thématiques éducatives plutôt contestataires (d’autres diront « politiquement correctes »). « Le mariage, c’est pour les nuls », par la simple connotation du titre, ne semble pas destiné, a priori, au lectorat des Martine. L’histoire met en scène, d’une manière que je trouve personnellement très artificielle, le complexe d’Œdipe. Sans entrer dans la critique, ces aspects nous feraient placer Lenain dans un réseau restreint. C’est semble-t-il vrai pour la collection de Nathan qui le publie (Première lune). Mais Lenain figure aussi dans la collection Nathan poche, avec sa série Mademoiselle Zazie (exemple : Les baisers de Mademoiselle Zazie). Cas similaire : Hubert Ben Kemoun, fortement légitimé par l’école et reconnu pour ses qualités littéraires, mais également édité dans Nathan Poche, donc dans une collection de la sphère de grande production. Voir « La visite de la présidente ». Le cas de « Terriblement vert ! », du même auteur, est intéressant aussi : l’ouvrage est illustré par François Roca, illustrateur bien connu dans la sphère de production restreinte de la littérature de jeunesse. On le voit, avec la littérature de jeunesse, rien n’est simple. L’école agit, par rapport à certains auteurs, certains ouvrages, certaines collections, comme un puissant vecteur de légitimation. Tous les éditeurs aujourd’hui convoitent donc ce marché qui est resté pendant de longues années dominé par une maison d’édition phare : l’Ecole des Loisirs. 5. Spécificités du marché scolaire L’école s’efforce de lutter contre ces déterminismes du marché du livre et elle a des atouts. Des circuits de diffusion spécifiques rendent accessibles pour tous les enfants les produits de la sphère de production restreinte : BCD, médiathèques, bibliobus, etc. Ecole et associations font du conseil. Pour les parents les plus motivés, des abonnements sont proposés par des éditeurs (voir par exemple les abonnements de l’Ecole des Loisirs : Animax, Minimax, Maximax : ce ne sont pas des collections, mais des séries de titres par tranches d’pages, servis par abonnements Ŕ ils sont aussi proposés aux PE) Les livres circulent, ont parfois plusieurs vies (les librairies d’occasion ont d’importants fonds de littérature de jeunesse[11]). Les politiques d’achat des institutions ont des effets sur les ventes. De ce fait , une partie de la production de jeunesse se cale sur ce marché parascolaire spécifique. On l’a vu avec les protestations des éditeurs lors de la première publication de la liste conseillée (part trop belle faite à L’Ecole des loisirs, éditeur historiquement très proche du monde enseignant) La maison continue d’exploiter cette position dominante. Elle a envoyé début 2008 aux formateurs le catalogue des 48 albums et livres de l’Ecole des loisirs sélectionnés par le ministère en 2007, ainsi qu’une affiche qui reprend la liste selon des entrées thématiques. Elle a renouvelé l’opération en 2009 sous d’autres formes (par exemple envois massifs aux étudiants et stagiaires IUFM via de formateurs impliqués dans le réseau de fascicules de grande qualité pour la formation ; ainsi « La littérature des enfants fait école » - Actes de journées d’étude en novembre 2008, auxquelles sont associés aussi les concurrents : Casterman, Flammarion-Père Castor et Gallimard. Comme au temps de Jules Verne, Noël est une période favorable, qui dope les ventes dans ce secteur (Milan vend en coffret de quatre volumes les Histoires pressées de B.Friot). L’école fonctionne ainsi comme un efficace prescripteur et permet aux éditeurs d’organiser leur production sous forme de « catalogue ». Le catalogue, plus diversifié que les « meilleures ventes » permet à l’éditeur de rester militant à partir d’un produit d’appel valorisé scolairement. Un exemple type est Harry Potter, dont la maison Gallimard a acheté le droits pour la France, assurant du même coup un catalogue au fonds très riche (les fameux Folio Gallimard, où on trouvera par exemple les romans de Jules Verne, y compris Cinq semaines en ballon, et aussi les deux tomes de Sans Famille, de Hector Malot, qui font 600 pages.) La question des BCD. Elles ont été lancées en 1986, au cours de la décennie où la littérature enfantine a été légitimée devenant littérature de jeunesse. L’idée était de modifier le comportement des jeunes lecteurs, en les initiant à une culture littéraire. On est ainsi passé de l’ancienne « armoire-bibliothèque » ouverte aux emprunts tel jour de la semaine, à un lieu de lecture sur le modèle des CDI de l’enseignement secondaire. C’était un progrès. Mais la BCD, quand elle a les moyens d’exister vraiment, reste fermée sur l’espace de l’école. Et elle n’a pas les moyens de renouveler régulièrement son fonds. En 2008, la situation a encore évolué, et on peut se demander si dans les quartiers urbains au moins, il ne serait pas judicieux sans renoncer à de petites BCD d’ouvrir aux enfants les médiathèques. C’est ce qui peut expliquer, par exemple, le choix de ne pas installer de BCD[13] à la médiathèque du CFEB, mais de développer par ailleurs des relations usagers étudiants de l’IUFM / et médiathèque de Guebwiller Ce qu’il faut retenir : le goût de lire, le plaisir de lire ne sont pas des évidences, mais des constructions idéologiques, qui cachent d’autres problèmes : où et comment se procurer les livres ? La question de la lecture ne concerne pas seulement l’école, mais dans une ville, voire un village, l’organisation de l’espace collectif. 6. Regards sur l’histoire récente de la littérature de jeunesse En conservant ces notions de sociologie de la littérature, on peut repérer plusieurs moments dans l’histoire contemporaine de la littérature de jeunesse en France, sachant qu’il y a un problème de méthode de la période militante aux « classiques » d’aujourd’hui Pour cette partie, je me sers d’un ouvrage de référence : « Images à la page, une histoire de l’image dans le livre pour enfants », Gallimard, par un collectif d’auteurs, 1984 Un paradoxe : phénomène récent comme production de masse, la littérature de jeunesse a déjà ses « classiques »… mais ce sont des trentenaires. Dans le document d’accompagnement déjà cité, il sont codés par un logo « plume » à distinguer du logo « château » qui désigne les œuvres du patrimoine. Ces ouvrages, du fait de leur contexte historique, sont fortement marqués par la mouvance de mai 68. On peut s’en réjouir (ou le déplorer). Professionnellement, le maître doit le savoir, pour bien éclairer les « débats interprétatifs » qui peuvent surgir à leur sujet. 1968 : politiquement une illusion, mais une période extrêmement stimulante sur le plan intellectuel, accompagnée d’importantes mutations sociales et culturelles ; le reconnaître relativise les propos actuellement tenus par un courant d’idées actuel sur les dégâts présumés de cette période ! La technologie, comme dans la 2° moitié du XIX° siècle a joué un rôle déterminant : l’impression offset en quadrichromie, permettant d’éditer à moindres frais des ouvrages plus richement illustrés… que les vieux titres de l’éditeur Mame (montrer le Robinson Suisse) ou même les Caroline du mulhousien Probst. Cette révolution culturelle fut d’abord esthétique, autour d’un homme de média, « esthète de la création visuelle » : Robert Delpire. Il trouva ses collaborateurs non pas dans les milieux éducatifs, mais dans les écoles d’art. Une jeune génération d’artistes comprit qu’il y avait là un champ qui se prêtait à leurs recherches graphiques alors que la peinture, côté galeries, valorisait l’abstrait ; des promotions entières de jeunes plasticiens investirent les secteurs de l’édition, plus ouverts, plus tolérants envers l’expression figurative ; voir à cette époque le rayonnement de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, avec son directeur Claude Lapointe. Les fédérateurs sont des éditeurs ou des directeurs de collection audacieux : Harlin Quist, François Ruy-Vidal. Sur le plan intellectuel, leur idéal artistique rejoint les thèmes libertaires, qui s’appuient à l’époque sur Marx (critique du capitalisme), et sur Freud (l’inconscient, la libération des désirs). C’est une alliance historique entre plasticiens et pédagogues. Les éditions ou collections s’appellent Syros, Editions des femmes, Le Sourire qui Mord, Le Sorbier, J’aime lire, Enfantimages, et L’école des loisirs, qui sort du giron de L’école des lettres, justement pour promouvoir ces ouvrages nouveaux. Beaucoup disparaîtront, car déjà s’impose la loi du marché, à laquelle ces auteurs qui se retrouvent dans les thèses marxistes de l’époque, sont d’ailleurs idéologiquement opposés. Cette période pose de ce fait un problème : conçues par des créateurs qui ne sont pas des éducateurs reconnus par les institutions, ces ouvrages ne sont pas forcément adaptés à leur public (voir la controverse qui oppose Françoise Dolto et Harlin Quist dans l’Express, 11-17 décembre 1972). On ouvre là un débat délicat : quels sont les critères d’une telle adaptation ? Max et les maximonstres de Sendak (1° publication en 1963 aux USA sous le titre « Where the wild things are », puis par Delpire significativement en 1967) est une histoire qui valorise la transgression (Max puni pour avoir fait des bêtises effectue dans sa chambre un grand voyage au pays des Maximonstres, puis revient au bout d’un an et un jour pour le dîner que maman lui a préparé). Et surtout il y a effacement du sur-moi par l’absence du père (même pas évoqué). Au cours d’un stage de formation continue en maternelle, l’album Cornebidouille (Bonniol et Bertrand, école des loisirs), qui porte sur un thème semblable (un enfant plutôt insolent et mal élevé provoque une méchante sorcière, la rapetisse et la fait disparaître dans la cuvette des WC), est fort mal accueilli par le groupe d’enseignantes, qui trouve que l’histoire encouragera dans la classe les comportements d’enfant-roi. Les temps ont changé. Parfois l’actualité fait carrément un pied de nez aux auteurs. Sur son blog, l’écrivain anti-conformiste Joseph Périgot raconte l’échec de la série de Pacom (titre qui en dit long) ; il l’attribue à l’incompétence de Grasset… et à la malchance : un titre est publié le 12 septembre 2001 ! De guerre lasse, Perigot a décidé de mettre certains de ses ouvrages, désormais sans débouchés, en ligne gratuitement. On peut les télécharger (faire Google, Joseph Périgot) . La question reste importante pour nous, puisque ces « classiques » sont encore bien représentés sur les listes officielles. On peut retenir des noms d’auteurs souvent encore présents dans le champ : Maurice Sendak (américain, Max et les Maximonstres), Jean Claverie, Nicole Claveloux, Philippe Dumas, Philippe Corentin, Elzbieta, Monique Felix, Jacqueline Duhême, Gerda Muller, Pef, Yvan Pommaux, Agnès Rosenstiehl, Tomi Ungerer, Gabrielle Vincent. Un album comme « Tunnel », d’Anthony Browne (1989) est encore caractéristique de cette période qui met en avant le thème de l’émancipation des enfants. des classiques à la « scolarisation » de la littérature de jeunesse En 1995, à l’Université de Metz, se tient un colloque au titre significatif : « la scolarisation de la littérature de jeunesse, enjeux et effets » La littérature de jeunesse n’a pas encore fait son entrée cette année-là dans les programmes de l’école primaire (entériné seulement dans les programmes de 2002), mais dans ceux du collège. A l’école primaire, le lancement des BCD (bibliothèques centres de documentation) en 1986, avec des dotations de livres, participe à un mouvement de fond de légitimation de la littérature de jeunesse. Voir le fascicule « La littérature des enfants fait école » (Ecole des Loisirs, Journée d’études de novembre 2008 à Paris, avec une série d’éditeurs) La littérature de jeunesse a maintenant partie liée avec une toute autre cause que la pédagogie libertaire et l’émancipation des enfants. Il s’agit d’aider à la réussite scolaire, et principalement, le renouvellement des méthodes d’apprentissage de la lecture. Des créateurs continuent d’illustrer la veine littéraire et artistique : s’y ajoutent par exemple, parmi d’autres, Claude Ponti, Solotareff[16], mais les produits, lancés par les éditeurs, deviennent plus « professionnels », calibrés et consignés dans des catalogues souvent construits selon les tranches d’âge.. Les maisons s’intéressent de plus près aux enfants de maternelle et du cycle 2 (voir les nouvelles listes conseillées, qui s’élargissent vers ces publics). Des manuels d’apprentissage de la lecture incluent des « suites » sous forme d’albums, lorsque ceux ci ne deviennent pas carrément des supports d’exercice de lecture. La même orientation didactique produit des fictions dans le domaine mathématique (albums pour compter). Au cours de la même période, les éditeurs se lancent dans le marché du documentaire (dont le terrain est préparé à la fois par l’école et par la télévision). Avec la collection Archimède[17] de l’Ecole des loisirs, les frontières entre fiction et documentaire bougent, même si cette collection donne aux lecteurs des repères pour construire les deux notions (partie documentaire en fin d’ouvrage). Une autre réussite, plus ancienne, toujours (décidément) à l’Ecole des loisirs, est la série des Toshi Yoshida, racontant la vie des animaux d’Afrique, avec grande exactitude : des fictions avec le minimum d’anthropomorphismes… De cette seconde période on peut retenir un questionnement salutaire. Un album esthétiquement réussi n’est pas forcément adapté à des enfants petits. L’obstacle de la compréhension, généré par un lexique difficile, une syntaxe très littéraire, des rapports trop décalés entre le texte et les illustrations, l’excessive stylisation de ces dernières ; en grande section de maternelle, la lecture de certains albums de Battut, voire de Frédéric Stehr[18], est vouée à l’échec, parce que les enfants ne peuvent pas les comprendre. Ainsi l’album Foufours déménage est difficile en GS : c’est une histoire de ruse (premier obstacle psychologique, relatif à la construction du personnage par un enfant de cet âge), et pour comprendre l’histoire il faut des notions d’hydraulique de base (comprendre le fonctionnement d’un barrage). Pour la préparation à l’épreuve d’option, une prise de recul qui fera apparaître ce point de vue, pour un texte littéraire, même légitimé par une liste officielle, même objet d’éloges dithyrambiques des sites spécialisés, peut faire la différence. Le jury appréciera une sensibilité déjà professionnelle. regards sur la période actuelle : l’emprise du marché Depuis 2003, on assiste à une concentration sans précédent dans le domaine de l’édition, où des groupes français (en fait internationaux) sont plutôt bien placés. La quasi totalité de ce qui est produit appartient à Hachette (Lagardère) qui a racheté Vivendi Universal, puis s’en est artificiellement séparé, Vivendi devenant Editis. Dans ce domaine des concentrations, il est impossible de faire un organigramme stable, chaque trimestre, voire chaque mois, apportant de nouveaux changements… Pour survivre, les (rares) éditeurs qui ne font pas partie (encore) de ces conglomérats, doivent s’assurer de gros tirages, donc se positionner dans la sphère de grande production. Des exemples : Gallimard, traditionnellement placé dans la production restreinte, assure les rentrées de son secteur jeunesse par l’exclusivité des droits, en français, de Harry Potter (voir ci-dessus). Cette opération permet à l’éditeur de publier en catalogue Jeunesse des ouvrages difficiles et novateurs : ainsi le récent Genesis2, roman philosophique de science-fiction, pour un lectorat adolescent (voir adulte) cultivé. Nathan (de toutes façons dans le giron Editis), mastodonte des livres et produits multimédias éducatifs dispose aussi d’une ligne éditoriale en littérature de jeunesse et concurrence Gallimard, par un concurrent de Harry Potter . Il s’attaque au rayon du Super-U, et nous avons vu que ce n’est pas forcément un mal ! La formation à l’option passe par une connaissance (aussi) de cette offre, donc de temps en temps par un achat. Casterman édite les Martine, Hergé et François Place, développant ainsi ses activités dans les deux sphères. Mais cet éditeur n’est nullement indépendant : il est intégré au groupe Flammarion, dont l’organigramme est étonnant. On peut s’en faire une idée en allant sur le site du groupe : http://www.flammarion.com/ Une maison comme Thierry Magnier peut être considérée aujourd’hui comme typique de la sphère de la production restreinte en littérature de jeunesse. De l’aveu de son propre éditeur, s’exprimant récemment lors d’une émission de France Culture, l’audace des choix éditoriaux, déterminés par des considérations essentiellement esthétiques et littéraires, est rendue possible par le faible nombre des jeunes lecteurs potentiels, ce qui permet de résister aux pressions de certains parents prescripteurs. Mais cet éditeur ne pourrait pas exister s’il n’était intégré dans le réseau d’un diffuseur de taille économiquement suffisante : Harmonia Mundi, spécialisé dans le domaine musical. Voir http://oeil.electrique.free.fr/article.php?articleid=436&numero=25 Les éditions Glénat, spécialisées dans des magazines de montagne ou de voile, tirent d’énormes revenus de Titeuf (Zep, auteur suisse), paru aujourd’hui en 18 2 Bernard Beckett, traduit de l’anglais (néo-zélandais ) par Laetitia Delvaux millions d’exemplaires, depuis 1992 (le premier n’était pas paru dans la sphère de la bd de jeunesse de grande production, mais dans la bd adulte confidentielle). Mais Glenat dépend en réalité de Hachette, qui assure la diffusion. Dans ce contexte de concurrence impitoyable, on assiste à une rotation du stock accélérée. Le pilon marque chaque année la fin de vie de millions d’ouvrages, les soldeurs n’en sauvant qu’une petite partie ! Il faut un grand savoir faire, une technologie sophistiquée, et une très bonne connaissance de la demande et des réseaux de lecteurs pour se lancer dans l’aventure d’une collection. Plus que jamais la figure de l’éditeur est un maillon essentiel de la chaîne de production éditoriale. C’est lui qui recrute les auteurs, les illustrateurs (cas très fréquent : ils ne se connaissent pas, et il n’y a pas de rencontre !). C’est l’éditeur qui impose à l’auteur ses normes, et qui lui retourne sa copie (notamment Bayard) ; mais ce traitement « odieux » peut avoir pour un auteur qui débute un aspect positif : il apprend le métier. De ce point de vue, un exercice pratiqué à l’école primaire (souvent bien trop tôt, en GS), la production d’un album, ne fait que construire des représentations sans grand rapport avec la réalité, autrement complexe. En maternelle, mieux vaut ne rien faire que d’installer des représentations fausses. Et si on le fait, se situer plutôt comme usager lecteur. La fabrication d’un album dans une classe de GS n’apprend rien aux enfants sur la façon dont les éditeurs réalisent des albums. Par contre, le repérage de l’auteur et du titre est utile, pour initier l’enfant à l’usage de la BCD, ou la fréquentation de la médiathèque. Encore un aspect qui peut être argumenté professionnellement à l’épreuve d’option. Un ouvrage cependant peut en donner une idée : « Comment un livre vient au monde » [20](Serres et Zaü) éditions. Rue du Monde, à partir de Sous le grand banyan, de J-C. Mourlevat et Nathalie Novi. Le premier ouvrage expose, en détails, dans un album de la même collection, la naissance du premier. Publicité, marketing… et salons On l’aura maintenant compris : la question des chemins vers la lecture est aussi importante que l’exploration littéraire des ouvrages (qu’il ne s’agit en aucun cas de minimiser). Pour l’épreuve d’option , il faut au moins connaître le nom des librairies spécialisées dans notre région, et si possible en avoir au moins une fois franchi la porte. A Mulhouse et à Colmar : Le Liseron. A Strasbourg, La Bouquinette. Ces librairies tenues par des professionnels militants sont souvent présentes lors des manifestations organisées par les éditeurs. Le grand Salon français de Littérature de jeunesse se tient au mois de décembre à Montreuil. En Allemagne, le salon de Francfort est un lieu incontournable pour les auteurs illustrateurs de jeunesse, y compris français. Ce Salon, d’envergure mondiale, est un lieu où se rencontrent des créateurs et où sont signés des contrats En novembre se tient le Salon du Livre de Colmar, auquel participe certaines années le centre IUFM. C’est un lieu de rencontre entre auteurs, éditeurs et lecteurs. Sa vocation est régionale, et elle dope les ventes des livraires locaux (date fin novembre pas du tout anodine) Les Salons ont donc une fonction économique, essentielle pour les éditeurs. Il ne s’agit pas seulement de manifestations culturelles ! Leur utilité est parfois contestée. Hachette vient d’annoncer qu’il se retire pratiquement du Salon du Livre de Paris (n’occupant plus que 150 mètres carrés, autant dire rien). L’argument avancé est la faible rentabilité. Par contre Hachette maintient son investissement dans le Salon de Montreuil. Pour les mêmes raisons promotionnelles, les Salons sont l’occasion de remises de prix, une spécificités française. Prix du salon de Montreuil 2008 : La nit du visiteur de Benoît Jacques, un choix très politique. Il a distingué un auteur de la sphère de production restreinte, et pour cause : il est à lui-même son propre éditeur ! 7. Un ancienne connivence : littérature de jeunesse et presse Au début du cours, j’ai considéré la littérature de jeunesse comme un média parmi d’autres. La question d’une éducation aux médias réapparaît aujourd’hui avec acuité, explicitement dans le texte officiel du « socle commun » qui revient, après une période d’occultation. Pourquoi ? Toujours avec un cran de retard, « l’institution des programmes » n’a pas encore réagi à l’irruption des nouveaux supports auxquels les éditeurs se préparent depuis le début des années 2000 au moins avec l’émergence d’internet et des nouvelles technologies. Les éditeurs investissent aujourd’hui aussi dans des produits plus volatils, voir virtuels. Ceux qui le font avec bonheur sont des groupes dont l’école parle peu, mais qui prospèrent tranquillement, parce qu’ils ont leur clientèle, celle des classes moyennes. un épisode historique oublié et une loi toujours d’actualité La presse a joué, historiquement, un rôle important dans la construction de la littérature de jeunesse. Il faut connaître au moins un épisode (mais il faudrait un CM entier pour donner une idée juste de ces liens). C’est l’après-guerre : la loi N°49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. « La création de journaux donnant, comme avant la guerre, la vedette à des séries achetées aux États-Unis (notamment les hebdomadaires Tarzan, en 1946, et Donald, en 1947) provoque la colère des organisations professionnelles françaises de dessinateurs. Leurs protestations, conjuguées à celles des ligues de moralité issues de milieux catholiques ou laïques, ainsi qu’à l’antiaméricanisme du Parti communiste, et à la méfiance qu’éprouvent les éducateurs à l’égard de la bande dessinée, sont à l’origine de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. En menaçant de saisie toute œuvre faisant place (même une sous forme bénigne) à la violence ou à la sexualité, celle-ci va peser pendant vingt ans sur ce mode d’expression : les quelques éditeurs qui continuent à publier des séries d’origine étrangère doivent les édulcorer (des retoucheurs effacent les revolvers et rallongent les jupes), et demandent à leurs auteurs français de s’autocensurer. » (Encyclopedia Universalis des groupes de presse enfantine à connaître Pour les éditeurs qui vont suivre, le mieux c’est de visiter leurs sites à partir de Google. 1. La nébuleuse laïque Pour éviter la fâcheuse impression de privilégier des groupes liés à des enjeux confessionnels et rendre justice à l’histoire, il faut citer d’abord la nébuleuse « laïque » : le Père Castor (aujourd’hui récupéré dans le giron de Flammarion), et une série d’albums de grande qualité, publiés bien avant l’explosion éditoriale de la littérature de jeunesse. Le plus célèbre est Roule Galette. Il faut connaître l’histoire de cette maison et de son fondateur Paul Faucher (« sergent recruteur de la nouvelle éducation »), dès 1927, bien avant l’essor de Bayard ! voir le site : http://amisperecastor.free.fr/index_fichiers/Page721.htm mais le champ est aujourd’hui dominé par un groupe fortement marqué historiquement par le catholicisme. 2. Le groupe Bayard Anciennement la « Bonne Presse » (tout un programme !), c’est un groupe catholique, historiquement liée aux religieux assomptionnistes, toujours actionnaire majoritaire. Il possède le quotidien La Croix, l’un des plus anciens du paysage français, le magazine Le Pèlerin, et des dizaines d’autres titres, en France et à l’étranger. Dans le domaine de la littérature et de la presse enfantine, ce sont des pionniers devenus des professionnels, imposant à leurs auteurs des cadres stricts, non seulement idéologiques, mais formels, plus souvent pour le meilleur que pour le pire. D’où des réussites comme Pomme d’Ami, Astrapi, Okapi, Phosphore, publications qui ont cependant un défaut : elles sont chères, accessibles plutôt aux familles socialement favorisées. Les suites J’aime lire et Je bouquine accessibles par abonnement (encore un trait commun entre le livre et le journal) peuvent être empruntées souvent en bibliothèque ou en BCD. Voir http://www.groupebayard.com/index.php/fr/articles Pour faire justice aux groupes catholiques, bien implantés en France, il faudrait citer aussi les éditions Fleurus, davantage tournées vers la « classe ouvrière », et proches de l’ordre religieux des dominicains. Fleurus, c’était… dans les années soixante, Cœurs vaillants (et pour les filles, séparation des sexes oblige à cette époque : Ames vaillantes). 2. Milan est un groupe historiquement concurrent de Bayard, implanté dans la région de Toulouse, aussi laïque que Bayard est historiquement catholique ! Milan publie des ouvrages de pédagogie (Sedrap), des collections de littérature de jeunesse (Friot, Les histoires pressées), et deux hebdos de presse d’information jeunesse : Les Clés de l’actualité, et les Clés de l’actualité Junior. Dans le contexte de la concentration des maisons d’édition, Milan courait le risque d’être racheté par Hachette. La maison a décidé… de s’intégrer au groupe Bayard. Milan est très avancé dans le domaine des suites multimedia ; voir Mobiclic, et le site internet (avec des espaces accessibles à l’aide d’un code que l’on trouve en achetant les magazines papier). Il faudrait citer aussi les journaux d’information pour enfants (Play bac, JDE), mais nous ne le ferons pas, pour ne pas sortir du sujet, qui concerne aujourd’hui exclusivement la « littérature » de jeunesse. En conclusion Ce cours magistral a eu pour simple but d’équilibrer la présentation de la littérature de jeunesse, qui nous est plus familière par le chemin des écoliers : les lectures-plaisir (ou comme on dit « offertes »), les parcours didactiques, les « projets », et autres « pivots » ou « réseaux ». Il n’est pas question de récuser ces approches, qui feront même, peut-être, l’essentiel des questions qui seront posées aux candidats lors de l’épreuve d’option. Mais la capacité d’avoir sur l’objet un point de vue élargi, contextualisé autrement, peut faire la différence entre un exposé correct, et une prestation excellente. Quant à l’enjeu de formation, qui dépasse heureusement celui du concours, l’intérêt d’une approche sociologique relève de l’évidence. On aura compris que la littérature de jeunesse est un domaine foisonnant, et si son intégration dans le domaine des médias a pu paraître surprenante, admettons au moins qu’elle est une « institution », mettant en jeu non seulement des livres (souvent de très beaux livres), mais aussi des lecteurs, et des pratiques dans le champ social. Cette prise de conscience, loin d’appauvrir le domaine, devrait donner des idées pour des activités complémentaires, voire innovantes. Mais il faudrait, pour les présenter, un autre cours. Les groupes d’option profiteront aussi des apports des maîtres formateurs, irremplaçables dans ce domaine, et des stages. Bibliographie Images à la page : une histoire de l’image dans les livres pour enfants, ouvrage collectif, Gallimard, 1984 Du jeu, des enfants et des livres, Jean Perrot, éditions du cercle de la librairie, 1987 Manuel d’histoire littéraire, D. Dupont, Y. Reuter, J-M. Rosier, De Boeck, Duculot, 1988 La littérature dès l’alphabet, sous la drection de Henriette Zoughebi, Gallimard Jeunesse, 2002 Comment un livre vient au monde, Alain Serre, Zaü, Rue du Monde, 2005 Images des livres pour la jeunesse, sous la direction de Annick Lorant-Jolly et Sophie Van der Linden, Thierry Magnier, scérén, académie de Créteil, 2006 La littérature des enfants fait école, L’Ecole des lettres N°4, janvier-février 2004 et divers sites internet, notamment ceux des éditeurs et des groupes de presse. L’école des loisirs distribue un très intéressant fascicule : La littérature des enfants fait école, actes de la Journée d’études du 15 novembre 2008. On peut se le procurer dans les médiathèques des sites de Colmar et de Guebwiller. Il convient de le lire attentivement, après ce cours, qui peut servir d’introduction. [1] Notre référence restera le programme de 2002, qui développe ce programme, et lui ajoute des documents d’accompagnement. Ce programme de littérature reste à l’ordre du jour dans le programme de 2008, sous une version plus succincte. [2] Il se produit d’ailleurs un étrange phénomène : les parents prescrivent, ou du moins ils offrent ou facilitent l’accès. Et ils se prennent au jeu… et se mettent à lire eux-mêmes les ouvrages de jeunesse : albums, romans ou périodiques. Les éditeurs ne l’ont pas toujours prévu : les publications de jeunesse ainsi créent du lien social et intergénérationnel. Voir Rêves amers de Maryse Condé, publié par Bayard dans une collection roman, mais qui a d’abord paru dans le périodique Je bouquine. Ce roman figure sur la liste conseillée au cycle 3. [3] Voir plus loin : les groupes de presse spécialisés du secteur jeunesse ont saisi l’importance des « suites » multimédias : Bayard avec les CD encartés ; Milan avec la suite « Mobiclic » [4] [5] L’Alsace et une partie de la Lorraine, actuellement la Moselle [6] il est aujourd’hui réédité en fac-similé par Belin à l’époque il n’y a pas de « droits d’auteur » ; le libraire est en même temps éditeur et imprimeur ; mais dès le XVIII° siècle, Beaumarchais commence à se soucier de la protection de la propriété intellectuelle. [7] [8] Prix de la BD de Jeunesse du festival d’Angoulême en 2007 Le loup et l’agneau ; la « morale » est placée au début : pas d’espoir, la cause est entendue ! [9] La comparaison de ces indices peut être menée avec des élèves, mais sans doute plutôt au niveau collège… [10] à Colmar, on peut aller voir Page 12, très bien situé Grand Rue, presque en face de la FNAC. [11] Ce concept de la sociologie de Bourdieu désigne les habitudes culturelles des acteurs sociaux, pas toujours, et même le plus souvent non conscientes, c’est-à-dire considérées par ces acteurs comme « naturelles » alors qu’elles sont construites et « incorporées ». Par exemple, dans les milieux urbains et cultivés, l’inscription dans une voire plusieurs [12] médiathèques, ou encore des abonnements au théâtre font partie de l’habitus. Dans d’autres milieux, c’est une dépense inutile. La présence d’une BCD est une richesse pour un IUFM, mais elle ne fait pas partie de ses équipements statutaires. Dans beaucoup de centres IUFM, il n’y a pas de BCD, mais un département littérature de jeunesse intégré à la médiathèque (cas de l’IUFM d’Auvergne à Clermont-Ferrand). La BCD du centre de Colmar est le résultat du regroupement de deux fonds, constitués par des professeurs et des maîtres formateurs pionniers dans ce domaine, au temps des écoles normales. [13] Ces deux grands universitaires ont fortement contribué à la légitimation de la littérature de jeunesse, et leurs travaux restent incontournables, même anciens : Marc Soriano, spécialiste de Perrault, a écrit l’article « littérature de jeunesse » de l’Encyclopedia Universalis. Jean Perrot, professeur de littérature comparée a publié aux éditions du Cercle de la Librairie, notamment : Du jeu, des enfants et des livres, 1987, et plus récemment Jeux et enjeux du livre d’enfance et de jeunesse, 1999. [14] Attention aux fiches disponibles, souvent rédigées par des comités improvisés de lecteurs / lectrices, les couleurs cachant la faiblesse des approches. [15] Voir Images des livres pour la jeunesse, Lire et analyser, de Annick Lorran-Jolly et Sophie Van der Linden, qui réactualise Images à la page, publié en 1984. Ce dernier était publié par Gallimard. Le nouveau livre est publié par un éditeur « indépendant », Thierry Magnier, en co-édition avec le Scérén (Education Nationale). On voit le chemin parcouru ; le champ de la production restreinte est pleinement légitimé par l’école. A la différence de l’ouvrage de Gallimard, qui s’adresse au lecteur cultivé, celui de 2006, s’adresse aussi, surtout, à des formateurs et des praticiens, par l’nsertion de fiches pédagogiques. L’approche est délibérément restrictive pour ne pas dire élitiste : ne sont retenus que 12 auteurs et/ou illustrateurs. La sphère de grande production et la presse sont exclues du champ. [16] Voir les beaux albums de Fabian Grégoire : Les enfants de la mine, analysé sur ce site ; Vapeurs de résistance ; et un Paris sous l’eau, illustré par Fabian Grégoire, texte de Irène Schwartz : cet album, récemment primé, fait bouger aussi les frontières entre texte littéraire, documentaire et reportage journalistique. [17] Par exemple Foufours déménage, qui nécessite une double analyse, du texte et de l’image, ce qui a échappé totalement aux enfants de GS-CP pour lesquels l’histoire a été lue à haute voix. [18] Par exemple : l’éditeur, c’est le fabricant ou encore l’usine qui fait le livre. Voir dans Pratiques N°131-132, La littératie - autour de Jack Goody un article de M. Laparra : la réalisation d’un album en Grande Section de maternelle : une activité à questionner. [19] [20] La médiathèque de l’IUFM de Colmar possède depuis peu un trésor hors prêt : la réédition complète en couleurs et au format d’origine des Little Nemo, de Winsor Mc Cay, parus vers 1905 dans le New York Herald Tribune [21]