On a volé la ville - Mairie de La Celle Saint

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On a volé la ville - Mairie de La Celle Saint
On a volé la ville !
Viens, humain, viens avec moi affronter ton destin. Toi seul peux me sauver, toi seul !
Viens, le danger approche, il te faut agir, élu de mon âme...
Eustache Dollillan se réveilla en sursaut. Ce rêve, il le faisait depuis trois semaines déjà,
et il se faisait de plus en plus net. Habituellement, il ne se souvenait même pas de ses rêves,
mais celui-ci persistait et Eustache ne pouvait s'empêcher de croire qu'il signifiait quelque
chose.
Eustache était un jeune garçon de 15 ans, plutôt bon en classe, et il se plongeait toujours
avec délices dans les livres d'heroic fantasy, contrairement à la plupart de ses amis qui
préféraient jouer sur leur ordinateur. Il était petit, l'air espiègle, le visage d'un blanc très pâle,
les cheveux bruns, les yeux bleus et était très maigre. Malgré son apparence, Eustache était
assez fort, et surtout d'une redoutable habilité au combat à mains nues, grâce à ses nombreuses
séances dans des clubs d'art martiaux. Déterminé, Eustache Dollillan était surtout patient, très
savant, et il ne manquait aucunement d’intelligence. Il avait vécu toute sa vie, avec sa famille,
c’est-à-dire ses parents et sa petite sœur, à La Celle Saint-Cloud, une commune à quelque 12
km de Paris. Il aimait sa ville, si couverte d’arbres qu’il y avait même une forêt en plein
milieu !
Soudain le corps d'Eustache s'effondra sur le parquet froid : l'esprit du garçon l'avait
quitté.
Eustache ouvrit les yeux. Il était dans une grande salle circulaire d'un blanc pur, et flottant
à un mètre du sol, trônait une émeraude d'un sublime vert clair, aux facettes parfaites, et de
dimensions phénoménales. Ce bijou, d'environ 90 cm3, resplendissait devant le garçon
émerveillé.
- Enfin tu es venu, élu de mon âme. Je t'attendais.
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La voix semblait venir de la pierre.
- Qui...qui êtes-vous ? bredouilla le jeune Dollillan, reconnaissant la voix de son rêve.
- Je suis l'esprit de la ville, matérialisé sous forme de cette pierre que tu vois devant toi.
- L'esprit de... je suis mort ? questionna anxieusement Eustache.
- Mort ? Oh non, tu n'es pas mort. Tu es simplement sorti de ton corps pour me rendre
une petite visite.
La voix se fit soudain grave.
- J'ai besoin de ton aide, élu de mon âme, un terrible danger nous guette.
- Que voulez-vous dire par «élu de mon âme» ?
- Tu es en lien direct avec moi, ce qui te permet de me parler, de sentir ma présence et de
me toucher sans risque. Tu n'as jamais remarqué que ton nom Eustache Dollillan était une
anagramme parfaite de H. La Celle Saint-Cloud ?
- Pourquoi H ?
- C'est par rapport à miss Howard ton ancêtre, maîtresse et soutien financier de Napoléon
III, qui vivait dans le château de Beauregard, mais ce n'est pas l'important. Ma pierre a été
volée, il faut que tu la retrouves !
- Elle ne peut pas être volée, elle est là devant moi.
- Ce que tu vois est une image que je projette dans ton esprit. Je suis physiquement sous
ma forme de pierre dans les souterrains de ma propre cité. Tu dois te dépêcher ! Si je quitte la
commune de la Celle St Cloud, mes pouvoirs se briseront, je ne pourrai plus protéger la ville et
elle dépérira en quelques semaines ! Retrouve-moi, il le faut !
Eustache ouvrit les yeux, se leva et chancela, se sentant instable sur le sol de sa chambre.
Quel étrange avertissement ! Il devait aller sauver une pierre parlante pour empêcher des
voleurs de la sortir de la ville. L'émeraude avait dit qu'elle était à présent dans les souterrains de
la commune. Eustache en avait bien entendu parler, mais on lui avait dit qu'ils avaient été
murés... Soudain, l'aîné des Dollillan ressentit, avec un frisson de peur, un être parler dans ses
pensées, et il reconnut, avec soulagement, l'esprit de la ville.
- Les galeries ont été murés, c'est vrai, mais tu es lié à cette ville, Eustache, le dernier
vestige du château t’y conduira.
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Eustache, un peu déboussolé, réfléchit. Le dernier vestige du château… qu'est-ce ?
Il connaissait deux châteaux sur la commune, celui qu’on pouvait visiter aux journées du
patrimoine et celui du Domaine Saint François d’Assise. Aucun ne pouvait être appelé
« dernier vestige », au contraire ils étaient entiers et si bien conservés qu’ils servaient encore.
De toute façon le premier appartenait à un ministère et était toujours très bien gardé, il serait
impossible d’y pénétrer avant le mois de septembre. Le second… il ne savait pas trop, mais en
plus d’être un peu loin, il était privé donc il doutait qu’il pourrait y rentrer comme ça pour faire
il ne savait trop quoi.
Après une courte recherche sur le web, Eustache découvrit qu'il avait existé un autre
château, construit au Moyen-Age mais rasé en 1956, dont il ne restait plus que la porte. Il en
lut rapidement l’historique. Apparemment d’abord propriété de Jeanne de Sansac, puis de la
famille de Val, il fut confisqué à la Révolution puis vendu de nombreuses fois. Parmi ses
propriétaires successifs, l'illustre Anglaise miss Howard l'acheta en 1852 : c'est de cette
demeure qu'elle œuvra au succès de Napoléon III. En 1872 il fut acheté par le baron de Hirsch
qui le restaura et le légua à sa mort au comte de Bendern, mais celui-ci y résida très peu et le
laissa à l'abandon. En 1939, il devint un dépôt militaire, ce qui lui valut de se faire bombarder,
puis une prison, et sortit de la guerre en ruines ! En 1949 le Conte de Bedern donna le château
et son parc à la ville de Paris pour en faire des immeubles et des parcs. C'est drôle, pensa
Eustache, ainsi une partie de La Celle Saint Cloud appartient à la ville de Paris ? En tout cas,
voilà qui semblait plus prometteur.
Le garçon, prétextant d'aller s'amuser avec ses amis au parc du Butard, tout proche, prit
son vélo et, remontant l'avenue du Chesnay jusqu'à l'avenue Molière, la prenant vers l'ouest,
arriva devant la pharmacie. Traversant la D321, il continua jusqu'à la place Bendern.
Là s'élevait la Porte Bendern, sur un espace vert magnifiquement fleuri, encadré par des
bâtiments publics, comme la garderie, la bibliothèque municipale et la Poste. La porte ellemême était une imposante construction d'environ 12 mètres de haut et 11 mètres de large,
divisé en 3 portes rectangulaires en bas, et 3 arches en haut, derrière un balcon de pierre avec
une simple rambarde de fer. L’ensemble ressemblait à la façade d'un temple grec, orné de
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colonnes et le haut de la structure se finissant en triangle sculpté de personnages autour d’un
bouclier. Deux arc-boutants, un de chaque côté, soutenaient l'édifice par derrière.
Soudain Eustache sentit le contact mental avec la pierre se renouer, et entendit :
- La clé se trouve sous la signature de Raphael Lostan, un pauvre homme qui s'est
inexplicablement retrouvé propriétaire de la clé.
La clé ? Quelle clé ? Eustache examina le monument et découvrit, au dos de la porte,
gravé dans la pierre, les grosses lettres R.L. Tout excité, le garçon se pencha et plaça le doigt
sur la lettre L. Immédiatement, silencieusement, un minuscule bout de métal sembla se détacher
de la lettre R. S'efforçant de le faire sortir un peu plus, Eustache, au bout d'une demi-minute,
parvint à extraire une grosse clé en métal terne et froid. Se retournant, le jeune homme vit avec
stupeur qu'il avait déclenché, en enlevant la clé, un mécanisme qui avait fait glisser la grosse
pierre noire qui se trouvait derrière lui, découvrant un sombre tunnel.
- Ton destin se trouve dans ce souterrain, tu dois y aller, le temps presse.
Frémissant d'excitation et de peur, il sortit de son Eastpack bleu une lampe torche et une
boussole sphérique achetées il y a peu de temps à Leader Price, le supermarché du coin, qu'il
avait prises en entendant parler de galeries souterraines. Puis il s'enfonça dans les entrailles du
sol, espérant pouvoir revenir bientôt à la surface, mais sentant une bouffée d'excitation l'inciter
à poursuivre cette étrange aventure. Ayant parcouru à peine dix mètres, Eustache se retourna,
alerté par un grand bruit. La pierre était en train de se refermer sur la sortie ! Mais, avant que
l'entrée soit totalement obstruée, une forme sombre se glissa dans le tunnel et se dirigea d'un
pas nonchalant vers lui, ne se souciant guère du fait qu'une lourde pierre les empêchait de
retourner à la surface.
- Salut ! Ca l'air intéressant ce que tu fais ! Je peux venir ? Je m'ennuie toute seule.
Comment tu savais que cette clé était là ? Je t'observe depuis le début et tu semblais savoir ce
que tu cherchais. Ça te dérangerait d'allumer ta lampe ? Il fait vraiment noir ici.
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Eustache, allumant sa lampe, distingua une jeune fille qui devait avoir 13 ans, aux long
cheveux blonds, aux yeux d'un bleu électrique, portant des vêtements de toile très lâche, et qui
le regardait d'un air intéressé.
- Qui es-tu ?
- Une fille qui s'appelle Angela et qui voudrait avoir les réponses aux questions qu'elle a
posées.
- J’n’ai pas le temps, déclara Eustache avec une brusquerie qui cachait mal son
décontenancement. J'ai une mission. Au revoir.
Sans un mot de plus il partit, tout en se demandant pourquoi il était si désagréable.
Déambulant au hasard dans des galeries, Eustache recherchait la source d'un appel qu'il
ressentait depuis qu'il avait quitté la surface, et qui le poussait à s'enfoncer plus profond encore.
Il savait pertinemment que l'étrange fille le suivait discrètement, mais sans cacher sa présence,
et, que bien qu’il se vantait d’être agile et rapide, Angela l’était infiniment plus que lui, ce qui
l'énervait au plus haut point.
Soudain, alors qu'il débouchait dans une salle circulaire, trouée de 5 passages, tous
bloqués par de grosses grilles en fer, une lourde herse tomba derrière lui, l'emprisonnant dans la
grande salle. L'énigmatique Angela, qui avait eu juste le temps de se glisser avec adresse sous
la herse avant qu'elle ne se ferme, prit la parole avec un air ravi :
- Comme ça on va pouvoir arrêter de gambader et parler un peu. Je m'appelle Angela,
comme je te l'ai déjà dit, j'ai 14 ans, je suis en troisième, j'habite près de la D307, mais il y a un
an j'étais aux Etats-Unis. Je m'ennuyais, alors je suis allée observer la Porte Bendern, et tu es
arrivé, et comme j'aime espionner, je l'ai fait, et je ne le regrette pas car c'était très intéressant,
et j'aimerais avoir les réponses aux questions que j'ai posées précédemment. D'ailleurs, vu que
je suis assez peu patiente, tu ferais mieux de me mettre dans la confidence rapidement.
- Mais pourquoi tu m'as suivi ? Ce que je fais n'est pas ton affaire.
- Maintenant si. On est tous les deux coincés dans cette salle, et j'ai le temps d'avoir
toutes les réponses à mes questions.
- J'imagine que le plus simple serait de te répondre.
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- C'est cela. Tu as enfin compris.
- Bon. J'ai-commencé-à-avoir-des-rêves-et-l'esprit-de-la-ville-m'est-apparu-et-m'a-ditque-on-l'avait-volé-et-que-je-devais-le-retrouver-dans-les-souterrains-et-que-si-il-quittait-laCelle-St-Cloud-la-ville-va-se-détruire. Compris ? dit-il très vite.
- Presque. Tu n'as pas parlé assez vite, mais c'était un bon début. Et comment tu savais
qu'il y avait une clé ?
- Je ne savais pas. J'ai découvert.
- Ah oui ? Bon. Tu sais comment ouvrir ces grilles ?
- Non, et toi, tu as une idée ?
- Laquelle on essaie ?
- N'importe. Je n'ai pas de nourriture, et je n'ai pas vraiment envie de mourir de faim.
Angela, qui était en train d'examiner les murs, répondit :
- Moi j'ai des vivres pour une semaine, mais regarde, il y a quelque chose ici, un petit
boitier contenant un clavier et au-dessus un texte, on dirait qu’il faut résoudre l’énigme et taper
la réponse sur le clavier !
- Et vas-tu me dire quelle est cette énigme ?
- Seulement si tu commences à être agréable. Il est écrit ceci :
Il n'est pas vivant, et pourtant il boit et demande des soins attentifs, faute de quoi il peut
devenir capricieux au lieu de donner satisfaction en ronronnant.
- Et tu connais la réponse ? demanda le garçon.
- Moi ? Non. Il ne te reste plus qu'à la résoudre. C'est toi le malin ici. Allez hop, je n’aime
pas attendre.
- Voyons... ronronner, boire, pas vivant... peut-être une machine ? Une machine à essence
comme un moteur ! Voyons... Le nombre de lettres correspond. Ça doit être ça.
Sans attendre un moment de plus, Angela appuya successivement sur les touches du
cadran pour y inscrire le mot MOTEUR. Avec des grincements inquiétants, les 5 herses se
soulevèrent.
- Et voilà ! Il ne reste plus qu'à choisir notre direction.
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Après quelques hésitations, Eustache opta pour le couloir en face de celui dont ils
venaient, car c'était celui qui semblait s'enfoncer le moins. Il nota soigneusement la direction
qu'ils prenaient, c'est-à-dire le nord, là où s’étendait la forêt, dix mètres plus haut.
Dix minutes plus tard, les problèmes recommencèrent : la torche qu'Eustache avait
emportée s'éteignit, les plongeant dans les ténèbres. Décidant de continuer malgré tout, le
garçon ne put voir la fosse qui s'ouvrait devant lui et tomba dedans en criant.
Heureusement, il ne s'était pas blessé, mais le trou était trop profond pour qu'il puisse en
sortir seul.
- Tu es tombé ? T'es pas doué toi ! Faut-il que je me donne la peine d'étendre le bras pour
te soulever ou es-tu capable de me dispenser de cet immense effort ?
Evidemment, il n'était pas tout seul ! Il était donc sauvé ! Expliquant sa situation, il
quémanda une aide douce et immédiate, mais ne fut pas tout à fait satisfait.
- Qu'est ce qui t'a pris de te jeter dans ce trou de cette manière ? C'était stupide et non
constructif, et en plus tu t'es dit que tu te ferais mal, sans raison, comme ça. Tu n’es pas un peu
fou sur les bords ?
- Et toi alors ? Tu crois sérieusement que je l'ai fait exprès ?
- Et en plus tu es assez maladroit pour tomber malencontreusement dans un trou aussi
visible. Tu me déçois.
- Ce trou n'est visible qu'avec un peu de lumière ! Et on est dans le noir complet ! Et
comment as-tu su que j'étais tombé ? Je ne te l'ai pas dit !
- Deux raisons. Premièrement, j'ai des lunettes infrarouges, que j'ai trouvées dans une
déchetterie, un jour. Comme je te l'ai dit, j'aime espionner et j'ai récolté pas mal d'objets
intéressants. Les gens ne savent vraiment pas ce qu'ils jettent. Deuxièmement, tu as poussé un
hurlement à faire fuir un éléphant.
- Admettons. Tu me sors de là ?
- Je pourrais si je le voulais vraiment, mais ce n'est pas le cas.
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Sur ce, elle sauta dans le trou. Sous les protestations intenses d'Eustache, Angela lui
expliqua avec impatience que, vu le manque flagrant de continuité du passage en haut, et
l'ouverture béante en face de lui, il était préférable de rester à leur niveau.
Eustache avait toujours du mal à admettre la présence de cette intruse dans son aventure,
même s'il devait reconnaitre qu'elle lui était utile, bien qu'extrêmement énervante. Surtout
qu'elle venait de lui glisser une lampe frontale dans la main avec un commentaire désobligeant
sur les gens qui ne savent vraiment pas demander de l'aide.
- Bon, On continue ? Je suis fatiguée d'attendre. Tout est trop lent. On accélère le
mouvement. Une, Deux. Une, Deux. Une, deux. Tu ne viens pas ?
- Si mais je ne peux pas courir aussi vite que toi !
- Et pourquoi pas ? Tu as un mot du médecin stipulant que tu ne pouvais pas courir ? Et
puis en fait, je suis arrivée. Je vais me reposer pendant que tu surpasses ce problème mineur.
Ils avaient débouché dans un long corridor, dallé avec des lettres majuscules et
minuscules mélangées. Quand Eustache voulut poser le pied sur une des dalles, il fut tiré en
arrière, en se faisant sermonner : il était donc aveugle pour ne pas avoir vu les traces qui
montraient que c'était un dallage piégé qui se retournait quand on marchait sur le mauvais
carreau ? S’il voulait mourir, c'était son affaire, mais qu'il ne la tue pas par la même occasion.
Et qu'il venait de gâcher sa sieste. Surtout qu'il venait de gâcher sa sieste.
Un peu vexé par les propos d'Angela, le jeune garçon chercha le chemin qui ne
déclencherait pas le piège mortel. Il regarda autour de lui, et il finit remarquer une inscription
qui avait l’air très ancienne : Nosce te ipsum Γνῶθι σεαυτόν Ces mots intrigants couvraient les
murs du corridor, la courte phrase étant répétée encore et encore, toujours la même.
Heureusement, Eustache était un garçon cultivé, et il reconnut cette phrase comme une citation
du philosophe Platon qui signifie : Connais-toi toi-même. C’était sûrement la clé de l’énigme !
Et s’il fallait marcher sur les lettres de la citation seulement, cela traçait bien un passage
jusqu’au bout du couloir. Il ne restait plus qu’à essayer.
- Angela ?
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- Tu as enfin fini. ? Ce n’est pas trop tôt. C’est quoi le code ?
- Connais-toi toi-même, c’est une phrase de Platon.
- Exaltant, je commence.
Avec une agilité sidérante, Angela traversa le fameux dallage, et invita ensuite Eustache
à la suivre, en criant que malgré son manque inacceptable de rapidité, il avait fait du bon
travail, qu’il allait être content car la pierre était juste là, mais qu’il allait devoir encore
travailler, et que malheureusement, elle n’allait pas pouvoir continuer sa sieste. Et qu’il se
dépêche un peu.
Quand Eustache arriva à sa hauteur, il découvrit un labyrinthe de miroirs, et partout des
reflets de la pierre portée par un homme encapuchonné de telle sorte que l’on ne voyait aucune
partie de son corps. La pierre brillait d’une pâle lumière verte, qui, grâce aux miroirs, éclairait
toute la salle à la même intensité, ce qui créait une atmosphère inquiétante. Quand il se
retourna, il vit qu’Angela était déjà en train de pénétrer dans le dédale, souriant comme si elle
venait de se faire offrir un monumental cadeau d’anniversaire. En songeant qu’il serait
extrêmement difficile de se diriger dans ce monde de miroirs, il la suivit.
Les miroirs rendaient tout repère inutilisable, car ce qu’on y voyait pouvait se trouver à
n’importe quel endroit du labyrinthe. Le jeune Dollillan avait bien vite abandonné l’idée de
retrouver Angela, qui bizarrement semblait savoir parfaitement où elle allait. Il comprit
comment elle s’orientait quand il trébucha, et se retrouva étendu sur le dos. Il se rendit alors
compte que le plafond était lui aussi recouvert de miroirs, inclinés de telle sorte que, aux
carrefours, on pouvait clairement distinguer le plan du labyrinthe, ainsi que les personnages à
l’intérieur. Malheureusement, l’homme qui avait volé la pierre semblait avoir lui aussi
découvert cette astuce, et il se dirigeait tout droit vers le centre de l’immense dédale. Eustache
se rendit compte seulement alors que le labyrinthe devait mesurer au moins un kilomètre carré.
Le reflet d’Angela leva les yeux, et elle sourit en le voyant contempler le toit de la salle
souterraine. Soudain, il eut une idée. Il allait utiliser les reflets pour faire peur au voleur, le
forcer à prendre des détours, pour finalement le rattraper. Par signes, il communiqua son plan à
Angela, en lui montrant du doigt le chemin exact qu’elle devait emprunter.
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Le plan fonctionna à merveille, et le brigand se retrouva bientôt dans une impasse, devant
les deux adolescents. Glissant la pierre dans sa poche, ce qui diminuait grandement son éclat,
déjà faible, il se mit en garde. Angela remit prestement ses lunettes infra-rouge à Eustache, et
recula pour ne pas gêner les hommes dans leur combat, tout en coupant la sortie pour le voleur.
Au terme de ce rude combat, le voleur se retrouva par terre, mais hors de l’impasse.
Terrassant Angela d’un coup de poing, il bondit et se retrouva vite hors d’atteinte.
Blanche de rage, Angela sortit de sa poche un pistolet à billes et demanda à Eustache où
elle devait tirer pour que les billes, par rebond, touchent l’homme masqué qui avait osé porter
la main sur elle. Après un instant de réflexion, Eustache lui indiqua l’endroit. Immédiatement,
Angela vida son chargeur de toutes ses billes de plastique. Il y eut un cri, et l’homme trébucha,
s’affalant par terre, les miroirs relayant toute la scène. Une des billes l’avait atteint à la tempe,
et le pistolet d’Angela étant de trois joules, cela avait dû faire mal. Tout en remplissant son
pistolet de plus de projectiles, Angela sprinta vers le bandit, mais pour une fois, fut dépassée
par Eustache. Il s’en suivit une deuxième bagarre, mais cette fois l’homme, étourdi par le coup
de pistolet, fut incapable de placer un seul coup. Soudain, alors qu’il s’étalait une fois de plus
sur le sol, il y eut un bruit de de verre brisé et les morceaux de la pierre, ancien réceptacle de
l’esprit de la ville, culbutèrent hors de la poche du brigand.
Il y eut un éclat de lumière verte, une sensation d’apesanteur, et puis ce fut le
noir.
Eustache ouvrit les yeux et vit qu’il se trouvait sur la place Bendern, allongé dans les
fleurs. Que s’était-il passé ? Angela était-elle là ? Oui, il pouvait l’apercevoir, elle aussi
plongée dans un massif de fleurs. Le brigand, par contre n’était nulle part. La pierre était brisée.
La ville allait surement se détruire, comme si la pierre avait été sortie de la commune. Fallait-il
prévenir les habitants ? Ils ne les croiraient jamais. Y avait-il un moyen de tout de même sauver
la ville ? Cela semblait improbable. Le cœur lourd, Eustache se leva, pour retomber
immédiatement, mais de stupeur cette fois. L’esprit de la ville lui parlait ! Pourtant, la pierre
était brisée !
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- Mon ancien réceptacle a été brisé. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’en choisir un
nouveau. Je t’ai choisi toi, mais je ne peux pas continuer à te garder comme lien à l’existence
terrestre sans ton accord. Acceptes-tu d’être mon réceptacle, ainsi que ta descendance après
toi ?
- Mais alors, je ne pourrai plus jamais sortir de La Celle Saint-Cloud ?
- Si, il reste assez de moi-même dans le dédale de glaces pour que tu puisses partir, tant
que tu reviens de temps en temps.
- Et si je refuse, tu choisiras un autre receptacle ? Et si je n’ai pas d’enfants ?
- Si tu refuses, je dépérirai, et la ville se détruira avec moi. Tu es le seul qui puisses me
sauver. Pour les enfants, ne t’inquiète pas. Je sais que tu en auras et que ta descendance ne
s’éteindra pas. Tant qu’à chaque génération une personne accepte de venir régulièrement ici,
ma protection sera assurée.
Eustache, décontenancé par ces révélations, demanda qui était le voleur, et il apprit que
c’était un savant voulant étudier la pierre pour découvrir le secret de la vie éternelle, mais que
la destruction de la pierre avait envoyé une formidable décharge d’énergie qui avait
complétement annihilé tous ses souvenirs de sa quête pour l’immortalité.
Eustache décida soudain d’accepter la proposition de l’esprit de la ville. Pour le meilleur
ou pour le pire, il allait maintenant vivre avec un compagnon toujours présent. Un sacré atout
dans les contrôles ! Maintenant, il ne restait plus qu’à tout expliquer à Angela.
Des passants virent deux adolescents s’éloigner de la porte Bendern, discutant avec
animation et bonne humeur, et les entendirent éclater de rire tandis qu’ils disparaissaient dans
l’angle d’une rue.
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