À Hambourg, des dirigeants s`immergent dans le

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À Hambourg, des dirigeants s`immergent dans le
TERRITOIRES / INTERNATIONAL
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VENDREDI 14 JUIN 2013 LA TRIBUNE
Jusqu’aux élections générales du 22 septembre, retrouvez dans La Tribune notre série pour mieux
NOUVEAU ET comprendre l’Allemagne d’aujourd’hui et de demain. Cette semaine, voyage à Hambourg, au cœur
INTÉRESSANT
d’un programme inédit de partage d’expérience entre des cadres d’entreprise et le monde associatif.
À Hambourg, des dirigeants
s’immergent dans le quart-monde
H
FRANÇOIS ROCHE
ambourg, son port, ses
villas patriciennes, ses
sociétés de commerce
aux façades imposantes, ses bourgeois
et sa Patriotische Gesellschaft von
1765, littéralement la « compagnie
des patriotes de 1765 ». L’idée de
ces « patriotes », une poignée de
bourgeois et commerçants de la
ville, était de s’inspirer de la philosophie des Lumières, de propager
la connaissance et l’amour des arts,
de réaliser des actions utiles à la
communauté, de faciliter l’entraide,
bref d’améliorer la vie des citoyens
de Hambourg. On lui doit la création d’une caisse d’épargne, devenue depuis florissante (la Hamburger Sparkasse), de la bibliothèque
municipale, d’écoles professionnelles et de plusieurs musées.
PENDANT UNE SEMAINE, LE
CADRE REDEVIENT STAGIAIRE
Cette société caritative privée
existe toujours, elle compte environ 400 membres, personnes physiques et entreprises, et poursuit sa
mission, notamment en favorisant
le dialogue interculturel et interreligieux, en finançant des programmes de soutien aux enfants de
familles démunies, souvent issues
de l’immigration. Et en mettant en
œuvre depuis quatorze ans à Hambourg, mais aussi dans d’autres
villes d’Allemagne, une initiative
née d’une société du même genre
à Zurich et baptisée SeitenWechsel, ou « changement de côté ».
De quoi s’agit-il"? D’envoyer un
cadre dirigeant d’entreprise travailler durant une semaine complète dans une association caritative non pas pour l’aider à
s’organiser ou à se financer, mais
pour œuvrer sur le terrain aux
côtés des travailleurs sociaux. Ces
associations impliquées dans des
« Nous avons réalisé 116 euros d’excédent l’année dernière », sourit
Doris Tito, directrice du programme « changement de côté ». [K. GERDES]
actions très diverses regroupent
aussi bien des centres d’hébergement pour sans-abri que des
centres d’accueil pour les plus
démunis, des prisons, des centres
de soins pour drogués ou alcooliques, des maisons de soins palliatifs, des hôpitaux psychiatriques ou
«
S’approcher de
sujets comme
la maladie, la mort,
la souffrance sociale
peut aider un cadre
à comprendre ses
collaborateurs. »
DORIS TITO, DIRECTRICE DU
PROGRAMME SEITENWECHSEL
des centres d’accueil de personnes
atteintes de démence sénile. Les
règles du jeu sont clairement établies : les cadres qui participent à
ces programmes coupent tout lien
avec l’entreprise durant une
semaine, agissent sur le terrain
comme des « stagiaires », prennent
en charge des malades ou des personnes démunies, sans abri, en
grande précarité sociale.
C’est une femme douée d’une
énergie et d’un enthousiasme peu
communs qui est en charge de ce
programme, Doris Tito, économiste, diplômée de l’école supérieure de commerce de Reims et
qui, après avoir fait ses premières
armes dans l’entreprise, a décidé
en 1993 de se consacrer au
domaine caritatif en prenant la
tête de Hinz&Kunzt, un magazine
vendu par les sans-abri à Hambourg, un projet lancé par la
Patriotische Gesellschaft et par
Diakonie, l’association caritative
de l’Église évangélique d’Allemagne. Ce magazine fête d’ailleurs
cette année son vingtième anniversaire et diffuse à 70"000 exemplaires. Dès qu’elle apprend que la
« compagnie des patriotes » a
décidé de lancer SeitenWechsel en
Allemagne, elle se porte volontaire
pour le diriger.
Inutile de préciser que l’accueil
des entreprises fut, dans un premier temps, plutôt réservé. Pourtant, l’argumentaire de Doris Tito
a de quoi convaincre les plus sceptiques. « Il s’agit de se mettre en
situation de comprendre les autres,
de se mettre à leur place, d’affronter
des problèmes que l’on a l’habitude
de cacher, dit-elle. S’approcher de
sujets aussi difficiles que la maladie,
la mort, la souffrance sociale, cela
peut aider quelqu’un qui dirige une
entreprise à mieux comprendre les
problèmes que rencontrent ses collaborateurs, car l’entreprise est un
microcosme de la société où se
côtoient aussi des personnes
malades, sous l’empire de la drogue
ou de l’alcool, confrontées à des
deuils ou à des accidents, et l’encadrement ne sait pas comment dialoguer avec ces personnes, qui, du
coup, se retrouvent isolées et courent
le risque de se retrouver exclues de
leur collectivité de travail. »
« NI DES CONSULTANTS
NI MÈRE TERESA »
Pour Doris Tito, ce programme
permet aussi à ceux qui le suivent
d’apprendre beaucoup sur euxmêmes et de mieux apprécier
l’équilibre entre la distance et
la proximité qui préside aux relations entre un cadre et ceux qu’il
supervise.
Comment les candidats choisissent-ils les associations dans
lesquelles ils vont travailler"? C’est
un processus délicat que Doris
Tito séquence en plusieurs étapes.
La première est une réunion, dans
le très bel immeuble XIXe de la compagnie, dans l’Altstadt de Hambourg, à deux pas du Rathaus. Une
dizaine de cadres sont mis en présence d’une dizaine d’associations
et les candidats stagiaires disposent de deux heures pour faire
le tour des associations. Puis,
pause de dix minutes pour réflé-
chir, avant que chacun des cadres
ne pose trois options. À la fin de la
réunion, après discussion générale,
la répartition des stagiaires est
entérinée, après un dernier message de Doris Tito : « Vous n’êtes ni
des consultants ni Mère Teresa,
vous êtes des stagiaires… » Les
cadres disposent alors d’un délai
de quatre mois pour accomplir leur
stage. Deux semaines avant la date
convenue, les stagiaires vont se
présenter aux équipes avec lesquelles ils vont travailler. Dernière
étape : les stagiaires se retrouvent
après leur mission pour une mise
en commun de ce qu’ils ont fait
et appris…
EXPORTER LE PROJET
EN FRANCE!?
Aujourd’hui, plus de 1"500 cadres
dirigeants de Hambourg, Brême,
Berlin ou Francfort ont participé à
SeitenWechsel dont plusieurs PDG
et directeurs financiers venant
d’entreprises comme BMW, Airbus, Beiersdorf, Siemens, HapagLloyd, Ergo ou Axel Springer. Il en
coûte 2"100 euros pour l’entreprise,
dont 650 euros vont à l’association
concernée et le reste à la couverture des frais du programme.
« Nous avons réalisé 116 euros d’excédent l’année dernière », sourit
Doris Tito. Près de 90"% des cadres
qui ont participé au programme ne
regrettent rien et sont prêts à
recommencer. « C’est la plus belle
semaine que j’ai passée depuis longtemps », ont même confié plusieurs
d’entre eux.
Pourquoi ne pas exporter
SeitenWechsel en France"? Doris
Tito y pense. Elle a « placé »
récemment deux stagiaires dans
des associations françaises, à la
demande d’une entreprise allemande. Quelques contacts ont déjà
été pris pour élargir l’expérience,
mais l’accueil est pour l’instant des
plus réservés. T
COMMENT VIT, TRAVAILLE, PENSE L’ALLEMAGNE D’AUJOURD’HUI
UN VOYAGE EN ALLEMAGNE par François Roche
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