le sommet de riga - Revue militaire canadienne

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le sommet de riga - Revue militaire canadienne
COMMENTAIRE
par Martin Shadwick
LE SOMMET DE RIGA
L
e Sommet de l’Organisation du Traité de
l’Atlantique Nord (OTAN) tenu à Riga en
novembre 2006 n’a pas été un succès éclatant.
Loin s’en faut. Au moment où les forces
canadiennes,
britanniques,
américaines,
néerlandaises et d’autres forces de l’OTAN déployées
au sud de l’Afghanistan sont débordées et ont besoin de
renforts – notamment, mais non exclusivement, de troupes
sur le terrain –, les 26 États membres d’une alliance
militaire théoriquement puissante ont réussi cahin-caha à
grappiller quelques compagnies d’infanterie, un nombre
un peu plus généreux de ressources d’appui aérien rapproché
et des hélicoptères. Le Sommet a également entraîné
la levée de certaines restrictions nationales, minant
considérablement la crédibilité militaire et la souplesse
opérationnelle des forces alliées affectées à cette mission.
Les participants ont aussi abordé la question de la capacité
de redéployer les unités en place lors de situations d’urgence.
On ne devrait peut-être pas, cependant, s’intéresser de
trop près à la nature précise de ces arrangements.
La rencontre s’est conclue par les observations d’usage
sur l’unité et la cohésion de l’alliance, mais cette parcimonie
stupéfiante qui a coloré le Sommet est, au mieux, fort
troublante et potentiellement dangereuse à court et à
long terme. Peut-être que, comme on pouvait le lire le
29 novembre dernier dans l’éditorial du Globe and Mail,
trop de pays membres de l’OTAN ont oublié que « la mission
en Afghanistan n’est pas une simple équipée de renégats
dépêchés par le gouvernement Bush et quelques-uns de ses
loyaux alliés. »
Cela étant dit, l’incapacité d’obtenir, au Sommet de
Riga, un plan d’ensemble robuste visant l’augmentation
des ressources ne doit pas être considérée comme le
facteur décisif pour évaluer la stratégie globale de l’OTAN
en Afghanistan. L’envoi de nouveaux effectifs militaires,
même en nombre considérable, ne peut se substituer à
la constitution rigoureuse et intégrée des forces armées
et policières de l’Afghanistan, aux mesures accrues de lutte
contre une corruption généralisée et à l’intensification
marquée de l’aide à la reconstruction. De plus, comme l’a
noté Eric Lerhe, commodore à la retraite, le Canada est
mal placé pour étaler son mécontentement à l’égard de
certains membres de l’alliance : ses dépenses souvent
parcimonieuses au titre de la défense l’empêchent de
chapitrer ses alliés au sujet du partage du fardeau militaire, et
les opérations canadiennes outre-mer avaient, elles aussi,
été assujetties à des contraintes pendant l’après-guerre
froide. Par ailleurs, le déplacement des forces de l’OTAN
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Revue militaire canadienne
vers le sud mettrait en péril les progrès des troupes au nord
de l’Afghanistan. Selon le major-général à la retraite Lewis
MacKenzie, les forces des pays membres de l’OTAN
actuellement déployées au nord « devraient céder le contrôle
des opérations à des alliés de l’OTAN qui ont moins de
capacités opérationnelles et qui attendent, peinards chez eux,
de prendre part aux combats [au sud de l’Afghanistan] ».
Dans le même ordre d’idées, le Canada, qui soupçonne
que c’est en partie pour éviter d’envoyer de nouvelles troupes
en Afghanistan que l’on a décidé de déployer, en 2006,
d’importants effectifs européens au Liban sous l’égide de
l’Organisation des Nations Unies, doit mettre les choses en
perspective : Ottawa lui-même a confirmé son engagement
en Afghanistan pour esquiver les exhortations américaines
à une participation canadienne aux opérations en Irak.
Si les répercussions du Sommet de Riga sur l’opinion
publique canadienne restent incertaines, la rencontre n’a
assurément pas contribué à rehausser l’image de l’OTAN aux
yeux des Canadiens. Comment pourrait-il en être autrement
lorsque les actions de l’OTAN – ou, pour être plus précis,
les positions de certains chefs de file de l’OTAN – vont à
l’encontre du partage du fardeau, n’allègent en rien la lourde
charge confiée aux Forces canadiennes et, dans les faits, ne
réduisent aucunement les risques très réels auxquels sont
exposés les soldats canadiens? L’alliance demeure la pierre
angulaire du multilatéralisme canadien, mais la relation entre
le Canada et l’OTAN s’est dégradée – peut-être même
gravement si les choses en restent là. Dans une perspective
plus large, le Sommet de Riga n’a pas non plus accompli
grand-chose pour tempérer les craintes et les réserves des
Canadiens au sujet de l’engagement actuel en Afghanistan.
En fait, la perception d’un manque d’assistance concrète de
la part de certains alliés importants pourrait largement
suffire à justifier le retrait des troupes, la réduction ou le
redéploiement des effectifs ou toute autre modification de
la présence militaire canadienne en Afghanistan.
Par contre, devant les frustrations du public, des médias
et du milieu politique du Canada face au refus d’un appui
sérieux de certains alliés de l’OTAN, il se peut également
que les opérations onusiennes de « maintien de la paix »
enthousiasment encore davantage les Canadiens. D’autant
plus que ces frustrations sont exacerbées par les réticences
plus générales à appuyer la mission actuelle en Afghanistan
et par la méfiance que la population continue d’éprouver face
aux impératifs de la politique étrangère du gouvernement
Bush. C’est ce qu’observait Jack Granatstein, en novembre
2006, dans son commentaire adressé au Conseil pour la
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sécurité canadienne au XXI e siècle : « Les troupes [en
Afghanistan] jouissent, à titre individuel ou même collectif,
d’un appui considérable des citoyens, mais l’idée que les soldats
doivent parfois tuer suscite bien peu d’enthousiasme. Les
Canadiens privilégient pour leurs hommes et leurs femmes en
uniforme le rôle d’agent de développement social ou de
casque bleu, chargé du maintien de la paix. » Compte tenu
de la configuration actuelle de la Chambre des communes et
des prévisions de l’ONU, qui chiffre les besoins en effectifs
à quelque 140 000 militaires et civils chargés du maintien de
la paix en 2007, la tentation d’un retour du Canada aux
opérations des casques bleus pourrait bien se révéler irrésistible
dans certains milieux.
Combinées à l’enthousiasme que suscitent les politiques
des affaires étrangères, de la défense et de la sécurité
internationale inspirées des Nations Unies, les frustrations
des Canadiens à l’endroit de l’OTAN, de l’actuelle mission
en Afghanistan et de la politique étrangère du gouvernement
Bush pourraient, si on n’y prend garde, éroder l’appui
accordé à la perspective, plus pragmatique, d’une force apte
au combat. Rappelons que cette perspective a été mise de
l’avant en avril 2005 par Paul Martin dans l’Énoncé de
politique internationale et a été reprise, plus récemment, par
Stephen Harper dans ses propos électoraux et postélectoraux
par Martin Shadwick
sur la politique en matière de défense. Ironiquement, la
mission en Afghanistan serait passée largement inaperçue si
les troupes canadiennes avaient été déployées dans le nord
du pays, une région relativement plus sûre. Sur le plan
stratégique, un tel changement de cap géopolitique aurait très
certainement des conséquences à la fois énormes et très
risquées. Certains Canadiens profiteraient sans doute de
l’occasion pour réduire et réorienter le financement actuel
des Forces canadiennes, oubliant peut-être que le maintien
de la paix et les opérations connexes de l’après-guerre
froide exigent des capacités militaires de premier ordre. Le
maintien de la paix en 2007 n’a rien à voir avec ce qu’il était
en 1956. Même sans le déploiement de troupes canadiennes
en Afghanistan, on pourrait arguer que le maintien et le
soutien de la paix, les missions internationales de secours
humanitaire et une multitude d’opérations policières
intérieures, de défense intérieure et de sécurité nordaméricaine nécessitent, entre autres, une mobilité et des
installations de soutien logistique s’apparentant à celles qu’a
dévoilées le gouvernement Harper en juin 2006.
Martin Shadwick, ancien rédacteur en chef de la Revue canadienne
de défense, enseigne la politique canadienne en matière de défense
à l’Université York.
Les chefs d’État de l’OTAN lors de la conférence de Riga.
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