Les structures de gestion des opérations électorales

Transcription

Les structures de gestion des opérations électorales
Les structures de gestion
des opérations électorales*
JEAN DU BOIS DE GAUDUSSON
Professeur de droit public et de science politique
Président de l’Université Montesquieu – Bordeaux IV
Vice-président de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)
Dans un régime démocratique, une des réglementations parmi les plus délicates et névralgiques concerne le
déroulement des opérations électorales. De ses modalités d’organisation dépendent la sincérité des votes et l’effectivité d’un suffrage universel, sans lesquels il ne saurait y avoir de démocratie, étant entendu que comme l’enseignent depuis longtemps les théoriciens du politique, les élections même disputées ne sauraient à elles seules
être un gage de démocratie. Mais elles en sont une condition nécessaire.
Or, depuis quelques années, après une période d’euphorie, les élections font dans les États d’Afrique, comme
dans ceux des pays de l’Est européen, l’objet de critiques, parfois très vives ou même virulentes ; la contestation
porte non pas tant sur le principe de leur existence – encore que certains expliquent par exemple que la démocratie est un nouvel instrument de domination inventé par les impérialistes pour retarder l’Afrique (Atstute Agbobli)
cité par K.J Koffigoh, Le processus démocratique en Afrique et l’observation internationale des élections, Libreville
1998, AIPLF) que dans sa mise en œuvre. Malgré des résultats de consultations électorales pouvant entraîner alternances politiques et défaites de chefs d’État, des commentateurs considèrent que les élections telles qu’elles sont
organisées sont de véritables « impostures » ; elles n’auraient pour effet que de légitimer un pouvoir dont la nature
autoritaire se perpétue. Le propos peut paraître excessif, mais il est tenu. Les critiques formulées sont de diverses
natures qu’il convient de distinguer : certaines auraient pour origine les difficultés de réception, ou de compréhension, du mécanisme électoral lui-même par les populations. Ne s’est-on pas interrogé, par exemple, sur les
effets pervers que ne manquait pas d’engendrer la règle du secret du vote dans un contexte où « les populations de
l’Afrique profonde ont désigné et continuent de désigner leurs leaders publiquement sous l’arbre à palabre et sur
la place publique » (cf Maître Sadebou Ajo Alao, Urnes et gouvernabilité en Afrique, GERDDES, 1998, p. 25).
D’autres tiendraient aux acteurs de la vie politique et au système de partis politiques bénéficiant d’un monopole,
mais insuffisamment structuré pour donner substance à la compétition démocratique. Ces analyses et d’autres peuvent être discutées. En revanche, l’accord se fait pour souligner les insuffisances, nombreuses et graves, de la mise
en œuvre du procédé électif, plus particulièrement de la gestion des opérations électorales.
Il est inutile de s’attarder sur l’importance pour l’expérience démocratique d’une réglementation et d’une organisation des élections capables d’assurer la sincérité des votes. Les règles et les mécanismes pour y parvenir sont
forts divers ; le droit électoral, comme les autres normes, reflète les valeurs de la société dont il encadre les manifestations de souveraineté. Mais, dans le cadre des démocraties pluralistes, l’objectif est le même et participe d’une
conception commune de la démocratie et de l’État de droit : il s’agit, concrètement, d’assurer la liberté de candidature et de vote, de soustraire l’élection aux pressions du pouvoir, de réaliser l’égalité entre les candidats et entre
les électeurs… Toute l’histoire des démocraties est un effort jamais achevé pour faire face aux fraudes toujours
renouvelées visant à altérer la sincérité du suffrage. En témoignent les récents développements relatifs au financement de la vie politique qui, pendant des années, n’ont pas fait l’objet d’une véritable réglementation dans les
démocraties libérales ; ce qui n’est plus le cas.(1)
I.– L’APPARITION DE NOUVELLES STRUCTURES DE GESTION DES OPÉRATIONS ÉLECTORALES
Les pays nouvellement entrés en démocratie se trouvent confrontés au même défi. Et l’une des priorités, dont
tout dépend, est de mettre sur pied les structures voulues pour assurer un fonctionnement démocratique des élections.
* Étude réalisée à la demande de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie.
1. H. Faupin, Le contrôle du financement de la vie politique, partis et campagnes, LGDJ, Paris, 1998.
Les structures de gestion des opérations électorales
215
Cette recherche s’inscrit dans le mouvement général de lutte contre les régimes autoritaires en place ; les élections n’y étaient pas inconnues mais, organisées sur un mode unanimiste, elles revêtaient une autre signification,
même si l’on ne doit pas sous-estimer l’existence dans certains États à parti unique d’éléments de compétition entre
individus, plus qu’entre formations (cf les exemples de la Côte d’Ivoire et du Cameroun).
Cette question a été évoquée lors de certaines conférences nationales, mais elle a été posée, et de façon plus
aiguë, quelques années plus tard, après qu’aient été installés par élection les nouveaux hommes politiques, au
moment de leur renouvellement. Au Bénin, au Mali, ailleurs, à la veille de la dernière vague d’élections de la
période de transition démocratique, ont été développées, notamment de la part des milieux d’opposition, des critiques du système électoral existant dont on doute qu’il soit apte à assurer des élections libres et compétitives. Alors
même que, c’est sous l’empire de ce système de gestion directe par l’administration de l’État que se sont déroulées les premières élections pluralistes de la transition dont plusieurs ont conduit au changement des responsables
politiques, y compris des chefs d’État sortant ; on attribue ce mérite aux circonstances quelque peu exceptionnelles
et à la nature consensuelle de l’administration territoriale de transition.
Il reste que c’est dans un contexte de crise politique que sont réclamées(2), créées et réformées de nouvelles institutions séparées de l’administration d’État et investies de la responsabilité des opérations électorales. Elles se
présentent comme une solution de sortie de crise.
La justification principale de l’émergence de ces institutions réside dans la suspicion qui affecte le mode d’organisation des élections jusque là en vigueur. Dans la plupart des États africains francophones, les élections relèvent de la compétence de l’administration d’État et plus spécialement du ministère de l’Intérieur et de ses agents
territoriaux. L’argumentaire est connu : le passé aidant, cette modalité de gestion des opérations électorales est
jugée inapte à garantir la transparence et la sincérité du scrutin, la raison en étant la trop grande proximité des structures électorales avec le pouvoir et l’inféodation de l’administration avec le parti unique.
Sous l’effet conjugué de la disqualification d’un type de structure qui fut longtemps instrumentalisé par le parti
unique et les régimes autoritaires, et de l’influence d’autres modèles, certains diront anglo-saxon, de nouvelles
formes de gestion des élections sont ainsi élaborées : quel que soit leur qualificatif (indépendantes autonomes ou
encore mixtes), ces commissions électorales nationales se sont propagées dans la quasi-totalité des États africains
francophones. Elles trouvent désormais leur place dans les Constitutions elles-mêmes (voir par exemple article 4
de la constitution de la Vème République du Niger adoptée le 18 juillet 1999). Ces commissions sont proposées
comme un modèle original dont la Cour constitutionnelle du Bénin a magistralement défini les contours dans sa
décision du 23 décembre 1994. Elle l’a fait dans les termes suivants :
« la création de la C.E.N.A., en tant qu’autorité administrative indépendante, est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler, dans l’Administration de l’État, un organe disposant d’une réelle autonomie par rapport au Gouvernement, aux départements
ministériels et au Parlement, pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des libertés publiques, en particulier des
élections honnêtes, régulières, libres et transparentes »
… et de poursuivre :
« la création d’une Commission Électorale Indépendante est une étape importante de renforcement et de garantie des libertés publiques
et des droits de la personne ; qu’elle permet, d’une part, d’instaurer une tradition d’indépendance et d’impartialité en vue d’assurer
la liberté et la transparence des élections, et d’autre part, de gagner la confiance des électeurs et des partis et mouvements politiques ».
On voit dans ces institutions une manifestation de l’imagination africaine en matière d’ingénierie juridique.
Plus encore, de recettes politiques inventées pour résoudre une crise, elles deviennent un dogme démocratique ;
on les a considérées comme le passage obligé de la consolidation démocratique (AIPLF, XXI° session ordinaire,
Québec, 10-12/07/1995, P. Favre et M. Sawadogo). Selon un processus que l’on a observé pour les conférences
nationales, la C.E.N devient un thème mobilisateur des discours politiques, les spécialistes de science politique
diront un mythe. Il est un enjeu entre forces politiques, nationales mais pas uniquement : il est de notoriété publique
que la détermination des modes de gestion des élections dans les pays francophones a fait l’objet de compétition
entre les États pourvoyeurs d’aide électorale et l’on peut distinguer les influences canadiennes et québécoises et
françaises …
2. Voir l’exemple parmi d’autres émanant des partis d’opposition, la résolution de l’Union des Forces Démocratiques du Cameroun (UFDC)
lors du 2ème congrès de 1997 qui « approuve sans réserves les efforts de la direction du parti dans la bataille pour la mise en place d’une
Commission électorale Nationale Autonome (CENA) ».
216
Symposium international de Bamako
Ces nouvelles modalités de gestion électorale nécessitent une analyse approfondie(3) ; parce qu’elles représentent dans la théorie démocratique un enjeu majeur : sont-elles capables d’atteindre l’objectif qui leur est assigné,
le déroulement libre et égal des élections ? Parce qu’aussi le discours sur leur efficacité est moins assuré, du moins
pour certaines d’entre elles, après plusieurs années d’expérience ; parce qu’enfin contrairement à une vision rapide
souvent répandue, elles ne forment pas une catégorie institutionnelle homogène : ces organismes et ces nouveaux
modes de gestion sont marqués par le sceau de la diversité. Celle-ci existe à l’intérieur des États, les pouvoirs
publics modifiant l’architecture des commissions pour tirer les leçons de leur application comme celles de l’expérience des autres.
Le moment est venu, dans ce domaine comme dans d’autres, de se livrer à une réévaluation des institutions,
des techniques des mécanismes nouveaux en lesquels avaient été placés des espoirs, qui n’ont pas toujours été
honorés, mais qui correspondaient à une situation donnée et répondaient à une attente historiquement datée.
II. – TYPOLOGIES DES STRUCTURES DE GESTION DES OPÉRATIONS ÉLECTORALES
La gestion des opérations électorales et la combinaison des compétences de l’administration de l’État et des
commissions électorales sont très variées. Il est nécessaire d’opérer une série de distinctions, aux frontières imprécises, tant la réalité est multiple, évolutive (exemples du Bénin, du Togo, du Mali, …), rebelle à toute typologie
rigide.
Plusieurs situations peuvent malgré tout être identifiées :
1) La gestion des élections est assurée par l’administration d’État ; ce fut le cas général en Afrique francophone jusqu’aux années 1990. Dans ce système, hérité de l’ancien modèle français, l’administration joue le rôle
principal ; elle le fait sous le contrôle des juges qui, par ailleurs, peuvent, selon les cas, participer directement à
certaines opérations électorales (proclamation des résultats).
Actuellement appliqué dans certains pays (cf rapport JP Kingsley), ce mode de gestion l’est rarement à l’état
pur ; l’administration de l’État tend à voir son rôle partagé avec d’autres organismes collégiaux chargés de telle
ou telle étape ou activité du processus électoral. La Vème République française fait ainsi coexister plusieurs séries
de commissions et de conseils pour l’élection présidentielle (Commission nationale de contrôle de la campagne
électorale ; commission des sondages, commission nationale de la communication de contrôle remplacée par le
Conseil Supérieur de l’audiovisuel). Les membres de ces organismes sont le plus souvent nommés par acte administratif, mais dans le respect des dispositions législatives qui, en réalité, confient à d’autres organismes (tribunaux
par exemple) le soin de procéder à la désignation et lient la compétence du gouvernement.
2) Selon un autre cas de figure, la responsabilité des opérations électorales est transférée à un organisme distinct de l’appareil administratif ; on retrouve cette situation au Québec avec le Directeur Général des Élections,
désigné par le Parlement, ou aux Seychelles avec le directeur des élections, nommé par le Président de la République,
ou en Afrique avec les Commissions électorales nationales, en prenant soin de préciser, celles des commissions
qui présentent la caractéristique d’être responsables de l’ensemble des opérations électorales.
A.– Attributions
Ces commissions se voient reconnaître compétence pour prendre la quasi totalité des actes en matière électorale, y compris ce que les Professeurs Joseph-Barthélémy et Paul Duez appellent dans leur classique Traité de droit
constitutionnel de 1933 « les actes de préparation lointaine » (par exemple la confection des listes électorales), et
jusque parfois même le règlement du contentieux et la proclamation définitive des résultats (cf. notamment, la
Guinée-Bissau où la C.N.E. procède à la « vérification et proclamation officielle des résultats des élections et des
référendums », art. 16 de la loi du 23 avril 1998 ; ou encore, la C.E.N.I. du Togo crée en avril 2000 chargé « du
règlement amiable des plaintes électorales » confié à une « sous-commission du contentieux », loi du 5 avril 2000).
3. Parmi les rares études qui leur ont été consacrées, on citera les travaux conduits dans le cadre de l’ACCT/AIF (Délégation générale à la
coopération juridique et judiciaire, puis Délégation aux droits de l’Homme et à la démocratie) et notamment : « Consultations électorales
en Afrique 1990-1997 ; bilan, implication de la Francophonie et perspectives d’avenir » ainsi que les rapports des missions d’observation des élections. Voir aussi, le séminaire d’échanges et de concertation à propos de la réforme du code électoral du Togo, organisé par
Madame Christine Desouches et présidé par M. Moustapha Niasse (1998).
Les structures de gestion des opérations électorales
217
C’est là la nouveauté principale du droit électoral des dix dernières années en Afrique.
Les formules employées par les textes, très proches les unes des autres, sont de ce point de vue sans ambiguïté.
Ainsi au Bénin, la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) est chargée de la préparation, de l’organisation, du déroulement, de la supervision des opérations de vote et de la centralisation des résultats.
Elle a tout pouvoir d’investigation pour assurer la sincérité du vote. Elle proclame les résultats définitifs des
élections locales. Après centralisation des résultats des élections législatives et présidentielles, elle transmet à la
Cour constitutionnelle pour vérification de la régularité, examen des réclamations et proclamation des résultats
définitifs. Un mois au plus après la proclamation des résultats définitifs de l’élection, elle dépose son rapport général d’activités à toutes les institutions concernées par les élections et cesse ses fonctions (article 46 de la loi du 15
janvier 1999).
Au Niger, il est créée une Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) chargée de l’organisation,
du déroulement et de la supervision des opérations électorales et référendaires (article 9 de l’ordonnance n° 96057 du 8 octobre 1996, modifié par l’ordonnance 99-37 du 4 septembre 1999). Elle est une autorité indépendante
de tout pouvoir politique et jouit de l’autonomie financière, d’organisation et de fonctionnement.
Au Burkina Faso, « la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) se réunit sur convocation de
son président. Ses attributions sont les suivantes :
– la supervision de l’établissement des listes et des cartes électorales
– le recensement et l’estimation des coûts du matériel et de tous les frais inhérents à la réalisation des opérations électorales
– l’acquisition et la ventilation du matériel et des fournitures divers nécessaires aux opérations de vote
– la remise dans les délais de spécimens de bulletins de vote et d’affiches publicitaires aux candidats et partis
politiques prenant part aux scrutins en vue des campagnes électorales
– la gestion des moyens financiers et matériels mis à la disposition de la Commission Électorale Nationale
Indépendante
– la formation du personnel chargé des scrutins
– l’accueil et l’accréditation d’observateurs et la prise de toutes mesures pour faciliter leur mission sur le terrain lors des scrutins
– le transport et le transfert des résultats des scrutins en vue de leur centralisation
– la proclamation des résultats à titre provisoire
– la facilitation du contrôle des scrutins par la Cour Suprême et les partis politiques
– la sécurité des scrutins
– le transport et le transfert directs des résultats à la Cour Suprême
– la prise de toute initiative et disposition concourant au bon déroulement des opérations électorales » (article
14 de la loi du 7 mai 1998).
En République Centrafricaine : « il est créé une Commission Électorale Mixte Indépendante (CEMI). Elle est
chargée de la préparation, de l’organisation, de la supervision et du contrôle des élections présidentielles, législatives, régionales, municipales et des consultations référendaires, et à ce titre de
– superviser les travaux de révision et d’édition des listes électorales, en veillant à leur fiabilité et à la radiation d’office en cas de multiples inscriptions. L’établissement et la publication de nouvelles listes électorales
rendent caduques les anciennes ;
– superviser l’édition et assurer une distribution correcte des cartes d’électeur ;
– veiller à l’édition des bulletins de vote, soit localement, soit hors de la République centrafricaine, comportant des numéros de série ;
– veiller à ce que les bulletins des candidats à l’élection présidentielle et des candidats aux élections législatives, régionales et municipales, de chaque formation politique, portent la même couleur ou le même signe ;
218
Symposium international de Bamako
– veiller à la différenciation des couleurs et des signes entre les formations politiques et les candidats indépendants ;
– veiller à la fourniture, en quantité suffisante, de tout le matériel électoral et à l’alimentation adéquate de
chaque bureau de vote ;
– proposer la liste des présidents des bureaux de vote et des présidents de centres de dépouillement, ainsi que
faire assurer leur formation ;
– réviser la carte d’implantation des bureaux de vote ;
– faire prendre des mesures de sécurité pour tous les bureaux de vote et les centres de dépouillement et assurer le choix des électeurs durant les scrutins ;
– veiller au bon déroulement des scrutins et opérations de dépouillement, sans influence des membres des
bureaux de vote ou d’autres électeurs ou des candidats ou de leurs représentants ;
– veiller à la stricte application du Code électoral dans le cadre du scrutin ;
– transmettre par la voie la plus rapide et la plus sûre, les résultats à la Cour constitutionnelle » (décret du 17
juin 1998).
Au Mali, « il est crée une Commission dénommée Commission Électorale Nationale Indépendante dont le sigle
est C.E.N.I, à laquelle sont conférées l’organisation et la gestion des opérations référendaires et électorales » (article
3). Elle a pour attributions :
– la préparation technique et matérielle des opérations référendaires et électorales ;
– l’organisation matérielle des élections ;
– l’élaboration des procédures et actes pouvant assurer la régularité des opérations électorales ;
– la formation des agents électoraux ;
– la supervision et le contrôle des opérations de vote à l’occasion des élections législatives et communales ;
– la préservation de la sécurité des opérations électorales ;
– la centralisation et la proclamation des résultats provisoires ;
– l’acheminement des procès-verbaux des consultations référendaires, législatives et présidentielles à la Cour
constitutionnelle ;
– la gestion des observateurs nationaux et internationaux » (article 10 de la loi du 14 janvier 1997).
B.– Composition
La composition des commissions électorales nationales est une des pierres angulaires du système de gestion
puisqu’en dépend largement leur indépendance, et partant l’honnêteté des élections.
Les membres de ces organismes sont très divers et l’analyse des textes fondateurs ne permet pas de dégager
un modèle unique. On recense dans ces commissions des magistrats, des avocats, des représentants des autorités
coutumières, des syndicats, des mouvements de défense des droits de l’Homme, des communautés religieuses, des
ministères et administrations, des partis politiques… Les proportions entre les différentes catégories sont très
variables comme leurs modalités de désignation.
On donnera une mesure de cette diversité avec les quelques exemples suivants :
Au Bénin, (loi du 15 janvier 1999) « la Commission électorale nationale autonome (CENA) est composée de
23 personnalités reconnues pour leur compétence, leur probité, leur impartialité, leur moralité, leur sens patriotique, et choisies à raison de :
– 3 par le gouvernement
– 15 élus par l’Assemblée nationale
– 4 magistrats du siège ayant au moins 10 ans d’expérience professionnelle, élus en assemblée générale des
magistrats
– 1 représentant élu par la Commission béninoise des droits de l’Homme.
Ne sont pas éligibles les magistrats de la Cour suprême ou de la Cour constitutionnelle. Chaque institution
choisit ou élit un titulaire et un suppléant jusqu’à concurrence du quota qui lui est affecté par la loi. Les fonctions
Les structures de gestion des opérations électorales
219
de membre de la Commission électorale nationale autonome (CENA) sont incompatibles avec celles de membre
du gouvernement, de membre de l’Assemblée nationale ou membre de conseil communal ou municipal. 60 jours
au minimum avant la date du scrutin, les membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA) doivent être installés dans leur fonction. Les membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA) sont
désignés et installés pour chaque élection ».
Au Burkina Faso (loi du 17 mai 1998), « la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est composée ainsi qu’il suit :
– 6 représentants des partis politiques de la majorité
– 6 représentants des partis politiques de l’opposition
– 3 représentants des communautés religieuses
– 3 représentants des communautés coutumières
– 6 représentants des centrales syndicales
– 3 représentants des associations de défense des droits de l’Homme et des libertés
Les membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sont désignés par leurs structures
d’origine pour leur sens patriotique. Ils doivent être de bonne moralité et jouir de leurs droits civiques. Les membres
de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et de ses démembrements ne sont pas éligibles pendant leur mandat » (article 5).
Au Mali (loi électorale du 14 janvier 1997) « la Commission électorale nationale indépendante est composée
de 30 membres reconnus pour leur probité, leur bonne moralité, leur impartialité et répartis comme suit :
– 8 membres représentant l’administration et désignés par le gouvernement
– 7 membres désignés par les partis politiques de la majorité parlementaire
– 7 membres désignés par les partis politiques de l’opposition parlementaire
– 1 membre par le bureau de l’AMUPI
– 1 membre par l’Église catholique
– 1 membre par l’Association des Groupements d’Églises et Missions Protestantes Évangéliques au Mali
(AGEMPEM)
– 1 membre par le bureau du Conseil de l’Ordre des Avocats
– 1 membre par le bureau de l’Association Malienne des droits de l’Homme
– 1 membre par le bureau de la Section malienne de la Ligue Africaine des droits de l’Homme
– 1 membre par le bureau du Syndicat Autonome de la Magistrature
– 1 membre par le bureau de la Coordination des Associations et Organisations Féminines (CAFO).
Au Niger (ordonnance modifiée du 16 avril 1996), « la Commission électorale nationale indépendante est composée ainsi qu’il suit :
– Président : un magistrat du siège désigné par le Président de la République
– Premier Vice-président : un représentant de l’Ordre des avocats du Niger
– Deuxième Vice-président : un représentant des associations de la défense des droits de l’Homme et de promotion de la démocratie
– Premier rapporteur : le directeur des affaires politiques et juridiques du Ministère de l’Intérieur et de
l’Aménagement du territoire, représentant l’État ou son représentant
– Deuxième rapporteur : un représentant des associations de défense des droits de l’Homme et de promotion
de la démocratie.
Les membres :
– 1 représentant par parti politique légalement reconnu
– 1 représentant de l’ensemble des candidats indépendants
– 5 représentants des associations de défense des droits de l’Homme et de la promotion de la démocratie
220
Symposium international de Bamako
– le directeur de l’État civil au Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire ou son représentant
– le directeur de la Protection Civile au Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire ou son représentant
– le directeur général du budget au Ministère des Finances, des Réformes Économiques et de la Privatisation
ou son représentant
– 1 représentant de la Délégation générale à l’Informatique
– 1 conseiller du Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire ou son représentant
– 1 représentant du Ministère de la Justice et des droits de l’Homme
– 1 représentant du Ministère des Affaires Étrangères et de l’Intégration africaine
– 1 représentant du Ministère des Finances, des Réformes Économiques et de la Privatisation
– 2 représentants du Ministère de la Défense nationale
– 1 représentant du Ministère de la Communication et de la Culture
– 1 représentant des Forces Nationales d’intervention et de sécurité
– 1 représentant de la Direction générale de la Police Nationale
– 6 personnes ressources » (article 10).
En République Centrafricaine, la CENI comporte 73 membres dont 34 représentants tous les partis politiques,
auxquels sont associés à titre « d’observateurs » des représentants d’associations et d’ONG diverses (loi électorale
du 27 mars 1998).
Quant à la « junta nacional » de Guinée – Équatoriale, elle comprend 25 membres et un secrétaire, parmi lesquels 6 magistrats proposés par le Président de la Cour suprême, 6 représentants désignés par le gouvernement et
l’administration et un représentant par parti. Tous les membres sont nommés par décret présidentiel. Le Président
est élu sous l’autorité du Président du Tribunal constitutionnel.
Les mêmes solutions prévalent ailleurs, au Tchad, au Gabon (lois du 12 mars 1996, du 10 juillet 1998) mais
elles ne s’appliquent pas partout : à cet égard il es important (cf infra) de les distinguer de celles adoptées par
quelques États, encore rares, qui excluent des CEN les partis politiques.
C’est le cas de Madagascar où le Conseil national électoral est composé de :
– 1 médiateur ou l’un de ses adjoints
– 1 membre désigné par le Président de la République
– 2 membres désignés par le Premier Ministre
– 1 membre désigné par le Président de l’Assemblée nationale
– 1 membre désigné par le Président du Sénat
– 1 membre désigné par l’Ordre des Avocats
– 1 membre désigné par l’Ordre des journalistes.
Toutefois, les fonctions de membre du Conseil national électoral sont incompatibles avec celles de Chefs d’institution de la République, de membre de la Cour constitutionnelle et de parlementaire » (article 3 du décret du 2
octobre 1992).
Ou encore de l’ONEL du Sénégal dont il est indiqué expressément, non pas ceux qui peuvent être nommés
mais ceux qui ne peuvent pas l’être. « Ne peuvent être nommés membres de l’ONEL :
– Les membres du gouvernement
– Les magistrats en activité
– Les membres d’un cabinet ministériel
– Les personnes exerçant un mandat électif
– Les Gouverneurs et leurs adjoints, les Préfets et leurs adjoints, et les Sous-Préfets et leurs adjoints, en activité ou à la retraite depuis moins de cinq ans
– Les personnes inéligibles en vertu de l’article LO 152 du Code électoral
– Les candidats aux élections contrôlées par l’ONEL
Les structures de gestion des opérations électorales
221
– Les parents jusqu’au deuxième degré des candidats à la Présidence de la République
– Les membres d’un groupe de soutien à un parti, à une liste de candidats ou à un candidat (article L.5 du Code
électoral modifié par les lois du 22 mars 1996 et 8 septembre 1997).
3) Enfin, une dernière solution possible, intermédiaire, qualifiée de mixte, consiste à instituer des commissions
qui n’ont d’autres attributions, que celles de consultation, contrôle ou supervision. L’administration d’État, quant
à elle, conserve sa fonction d’opérateur direct des élections.
Ainsi, Madagascar qui fut l’un des premiers États à avoir créé une commission électorale, ne lui attribue qu’un
rôle consultatif. Selon le Code électoral résultant de l’ordonnance du 23 octobre 1992 :
« Un Conseil National Électoral (CNE), garant moral de l’authenticité du scrutin et de la sincérité du vote, est chargé de superviser
toutes les opérations relatives au bon déroulement des consultations populaires.
À ce titre, il conseille et assiste les autorités chargées d’organiser les élections et contrôle la bonne exécution des travaux relatifs aux
opérations électorales.
À cet effet, il dispose du concours des services de l’Administration et peut saisir en tant que de besoin, les Autorités Administratives
pour toutes mesures nécessitant l’intervention des Forces de l’ordre.
Le Conseil National Électoral est responsable devant le Premier Ministre, Chef du gouvernement » (article 108).
Une situation comparable a été adoptée au Togo en 1997 avec la Commission Électorale Nationale chargée de
superviser les consultations référendaires et électorales, organisées par le Ministère chargé de l’Administration territoriale. Dans ce cadre, elle :
– « veille à la régularité des opérations référendaires et électorales et au respect de l’égalité d’accès à tous les
médias d’État pendant la campagne électorale
– contrôle la régularité des procédures et moyens mis en place pour le déroulement régulier des consultations
– supervise le déroulement des opérations référendaires et électorales dans tous les bureaux de vote et y contrôle
le dépouillement des bulletins
– coordonne la mission et les activités des observateurs nationaux et étrangers invités par le Gouvernement
– adresse un rapport écrit sur le déroulement des opérations référendaires et électorales au Président de la Cour
Constitutionnelle dans les 48 heures qui suivent la clôture des opérations » (Loi du 9 septembre 1997).
Cette formule a pu apparaître dans certains pays comme une première étape aboutissant à la création d’organismes indépendants (ex : République Centrafricaine en 1993, Togo). Toutefois, elle connaît de la part des pouvoirs publics et de la classe politique, instruits par les difficultés rencontrées par les CEN de type CENI-CENA (cf
infra) une faveur renouvelée : la création au Sénégal de l’ONEL s’inscrit dans cette perspective.
III.– BILAN ET PERSPECTIVES
Les nouveaux modes d’organisation et de gestion des opérations électorales ont-ils atteint les buts pour lesquels ils avaient été crées : assurer la sincérité effective des scrutins et rétablir la confiance des électeurs et de la
classe politique ? Telle est la question posée après plusieurs années d’expérience.
L’établissement d’un bilan est toujours délicat. L’appréciation portée sur ces organismes et mécanismes et sur
leur fonctionnement doit en effet prendre en considération le contexte historique propre à chaque pays, l’ensemble
institutionnel fait d’administrations et de juridictions dans lequel ils s’insèrent, et bien entendu les particularités
d’aménagement de chacun d’entre eux, variables d’un pays à l’autre.
L’examen des avantages et des coûts des CEN ne saurait, à ce stade de l’étude et de la réflexion, déboucher
sur la proposition de solutions ; celles-ci relèvent aussi d’une expertise endogène et dépendent de la façon dont les
acteurs politiques les utilisent. Notre analyse se bornera à faire état des questions qui se sont posées lors de l’application des textes et du fonctionnement des institutions – l’heure n’est plus aux débats théoriques et académiques,
ni à l’affrontement de modèles -, ce qui, il faut en convenir, est une façon de tracer des perspectives d’évolution…
et de réformes…
Les interrogations ont porté et portent surtout – mais pas exclusivement – sur les CEN investies de la responsabilité directe des élections. Les interrogations sont souvent formulées par les acteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les
responsables des commissions. On en retiendra trois qui concernent :
222
Symposium international de Bamako
A.– L’intégration des C.E.N. dans le système juridique politique et électoral
Dès leur création, s’est posée la question de l’insertion dans l’ordre constitutionnel d’organismes inédits non prévus par les lois fondamentales. Ainsi au Bénin, la Cour constitutionnelle a dû statuer sur la constitutionnalité d’une
CENA non prévue par la constitution et restreignant les compétences des autorités exécutives. Elle s’est prononcée
favorablement par un jugement, audacieux, qui a fait l’objet de commentaires partagés, dans les termes suivants :
« Considérant que le régime électoral, qui se définit comme l’ensemble des règles juridiques qui déterminent la manière dont il est possible de se porter candidat à une élection et d’être élu, repose sur des séries d’opérations à savoir des mesures préparatoires (date du
scrutin et convocation des électeurs, présentation des candidats), la campagne électorale (organisation et contrôle), le scrutin (mode,
déroulement, dépouillement, proclamation, réclamation ou contentieux) ; qu’ainsi, selon la Constitution, le régime électoral est une
matière remise dans sa totalité au législateur ; que dès lors, l’Assemblée nationale peut, à volonté, en fixant les règles électorales, descendre, aussi loin qu’il lui plaît, dans le détail de l’organisation du processus électoral, ou laisser au gouvernement le soin d’en arrêter les mesures d’application ;
Considérant que rien dans la Constitution ne s’oppose à la création, par l’Assemblée nationale, d’une Commission électorale nationale autonome ; qu’en procédant comme elle l’a fait, l’Assemblée nationale n’a fait qu’exercer l’une de ses prérogatives constitutionnelles et n’a donc pu violer le principe de la séparation des pouvoirs contenu notamment dans les articles 54, 98 et 100 de la
Constitution ;
Considérant que l’organisation, le fonctionnement et les attributions de la CENA, tels qu’ils apparaissent dans la loi n°94-013, ne ressortissent pas au domaine du pouvoir réglementaire ; qu’il s’ensuit qu’il n’y a pas eu non plus violation du principe de la séparation
des pouvoirs » (décision n°34-94, 23 décembre 1994, recueil, p 159).
Un autre élément d’incertitude est relatif à la nature juridique de ces institutions. Le législateur en fait tantôt des
« autorités », tantôt des « autorités administratives », indépendantes ou autonomes, vis-à-vis du pouvoir politique
(« de tout pouvoir politique », CENI, Niger, article 9 de l’ordonnance du 8 octobre 1996) du pouvoir législatif et du
pouvoir exécutif. Le débat n’est pas seulement politique ou sémantique ; il commande, en partie, les réponses à
apporter à une autre question, celle du contrôle susceptible d’être assuré sur les actes des CENI-CENA(4), lorsqu’il
n’est pas prévu par les textes. Dans l’ensemble, les CEN sont soumises au contrôle du juge constitutionnel, non parfois sans difficultés.
Une difficulté, qui n’est toujours pas réglée après plusieurs années de fonctionnement est relative à l’articulation des C.E.N. avec les autres institutions ayant des compétences en matière électorale. À cet égard, ne sont pas
toujours précisées, ni même indiquées, les modalités selon lesquelles s’établissent les relations des CEN avec l’administration d’État, qui conserve en toute hypothèse un minimum d’attributions, ne serait-ce que matérielles et logistiques. Dans certains cas, il est prévu que la Commission agisse « en collaboration » avec l’exécutif (Bénin en 1995)
ou que soit mis à sa disposition un comité d’appui technique (Burkina Faso, article 2 du Code électoral du 7 mai
1998). Il en va de même avec les nombreux autres organismes intervenant dans le processus électoral (hautes autorités audiovisuelles, d’égal accès aux médias, de la communication) ou encore, ainsi qu’on l’a évoqué avec les juridictions. Cette multiplicité d’acteurs aux relations souvent insuffisamment déterminées est à l’origine de redondances,
de chevauchements, de vide juridique ou de conflits et de contentieux : cf. par exemple Cour constitutionnelle du
Bénin, EL 96.005 du 20 janvier 1996, EL-P 96006 du 27 février 1996 ; Cour constitutionnelle du Mali, CCEL,
11 avril 1997, et surtout l’arrêt du 27 avril 1997 qui annulera les élections législatives du 13 avril 1997, reproduit
dans « Aspects du contentieux électoral en Afrique », actes du séminaire de Cotonou, novembre 1998, OIF, p 297).
B.– La définition du contenu et de l’étendue des compétences des commissions
Cette détermination n’est pas, elle aussi, sans soulever des interrogations formulées par les acteurs eux-mêmes,
ainsi qu’en témoignent les rapports des C.E.N. (cf. par exemple celui du Mali), mais aussi les débats animés par
les politiques et les experts. Les travaux entrepris dans le cadre de la Francophonie depuis plusieurs années et ceux
plus spécialement consacrés à la préparation du symposium de Bamako montrent amplement les difficultés et l’importance de la recherche d’institutions adaptées pour parvenir à une gestion honnête et efficiente des élections.
4. Voir dans ce sens, Cour constitutionnelle du Bénin, DLL 96 002 des 4 et 5 janvier 1996. Voir, plus généralement Abdoulaye Diarra, « Les
autorités administratives indépendantes dans les États francophones d’Afrique Noire », Afrilex-Droits d’Afrique, n° 0 (http\\www.africa.ubordeaux.fr/afrilex/).
Les structures de gestion des opérations électorales
223
Plusieurs remarques peuvent être faites.
Pour la plupart, les textes Législatifs et réglementaires définissent les attributions des commissions en des termes
juridiquement imprécis, dont la traduction concrète est incertaine ; l’observation vaut pour l’ensemble des commissions électorales. La législation ne détermine que rarement la portée de ces compétences dans la réalité ni les
modalités d’application et d’exécution des décisions des commissions. Quels pouvoirs peuvent-ils ainsi être exercés concrètement par les C.E.N., lorsqu’elles sont chargées de « superviser » le déroulement des élections ou de
les contrôler ? Ces incertitudes ne facilitent pas la maîtrise des opérations par les commissions.
Une question plus fondamentale, et à laquelle se trouvent confrontés les pouvoirs publics et le monde politique de
façon récurrente, porte sur l’étendue des compétences des C.E.N. Leur revient-il bien d’être, comme beaucoup le sont,
investies de la responsabilité première et directe en matière électorale et des compétences les plus étendues depuis le
stade des opérations préliminaires jusqu’au contentieux ? Dans ce domaine, comme dans d’autres, aucune réponse ne
s’impose avec la force de l’évidence et beaucoup dépend des expériences et de l’histoire de chacun des États.
L’on peut quand même se demander si les organismes non juridictionnels que sont les C.E.N., sont bien fondées à recevoir des attributions contentieuses ? Comme certains l’ont souhaité, ne conviendrait-il pas que les
« C.E.N. s’arrêtent aux portes du contentieux » ?
Mais l’essentiel n’est pas là : il apparaît à l’usage que les C.E.N. éprouvent des difficultés sérieuses à exercer
l’ensemble de leurs attributions ne serait-ce que par absence de moyens ; et l’on peut émettre des doutes sur l’effectivité du rôle très large, reconnu aux C.E.N.I./C.E.N.A. Le plus souvent en effet démunies tant en crédits en personnels, qu’en moyens matériels, les Commissions Électorales Nationales ne disposent pas d’administration propre
permettant de couvrir réellement tout un territoire, aux dimensions parfois très étendues. Elles se heurtent à des
difficultés logistiques considérables, pour mettre en place leurs démembrements locaux, pour faire face à l’immensité des tâches (cf l’établissement des listes électorales), dans des circonstances souvent exceptionnelles et
marquées par l’urgence ; difficultés qui, pour reprendre la formule du rapport final de la CENI du Mali de 1998,
sont à l’origine de « ratés ». La situation est aggravée par le fait que les Commissions ne sont pas toujours pérennes
: créées, par exemple au Bénin, au Mali, pour chaque élection ou période électorale lorsqu’il y a une « série » d’élections à organiser, elles sont dissoutes à l’issue des scrutins. L’absence de permanence est à l’origine d’un certain
nombre d’inconvénients : elle ne permet pas à la structure de gestion électorale d’accumuler l’expertise résultant
de l’expérience ni d’être opérationnelle immédiatement lors de leur création. Afin d’éviter la « perte de mémoire
» dommageable pour l’efficacité des supervisions et contrôles, et de « gérer le patrimoine de l’institution jusqu’aux
élections suivantes » (M. Saïdou Agbantou, in « Au revoir Commission Électorale nationale autonome » La Croix
du Bénin, 21 juillet 1995), certains États instituent des secrétariats permanents (Bénin, en 1998) ; allant plus loin,
le Togo a fait de sa dernière C.E.N.I. une « institution permanente » (Loi 2000-007 du 5 avril 2000).
Certains pays, tirant les conséquences des expériences des uns et des autres, et de leur propre sous-équipement
électoral ont opté pour une autre répartition des compétences ; d’un côté on reconnaît, nolens volens, la capacité
technique et la logistique de l’administration d’État en consacrant son rôle d’opérateur et de l’autre on confie aux
C.E.N., qui sont maintenues, un rôle de contrôle et de supervision. Ce fut le cas de Madagascar. C’est la voie adoptée par le Sénégal avec la mise sur pied de l’Observatoire National des Élections, (ONEL) aux termes de la loi du
7 février 1992, modifiée par la loi du 8 septembre 1999. Il est créé « une structure indépendante chargée de la supervision et du contrôle des opérations électorales et référendaires, dénommée Observatoire National des Élections
(ONEL) » (article L 1), « dont la mission est de contribuer à faire respecter la loi électorale de manière à assurer la
régularité, la transparence et la sincérité des scrutins, en garantissant aux électeurs, ainsi qu’aux candidats en présence, le libre exercice de leurs droits » (article L 2) ; ses attributions consistent à :
– « superviser et contrôler la gestion du fichier électoral
– superviser et contrôler l’établissement et la révision des listes électorales
– superviser et contrôler l’impression et la distribution des cartes d’électeur
– veiller à ce que la publication de la liste des bureaux de vote soit faite à temps, ainsi que sa notification aux candidats et listes de
candidats
– veiller à ce que la liste des membres des bureaux de vote soit publiée et notifiée à temps à tous ceux qui, selon le Code électoral, doivent la recevoir, notamment les représentants des candidats et listes de candidats
– veiller au bon déroulement de la campagne électorale
– superviser et contrôler, avec les partis politiques, la mise en place du matériel et des documents électoraux
– veiller à la régularité de la composition des bureaux de vote, ainsi que celle des opérations de vote, de dépouillement des bulletins
de vote, de recensement des suffrages
– superviser le ramassage et la transmission des procès verbaux des bureaux de vote aux lieux de recensement et la centralisation des
résultats. » (article L6).
Symposium international de Bamako
224
Il est expressément prévu que
« l’ONEL veille à ce que la loi électorale soit appliquée aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les
candidats et les électeurs. En cas de non-respect des dispositions législatives et réglementaires relatives aux élections par une autorité administrative, l’ONEL l’invite à prendre les mesures de correction appropriées. Si l’autorité administrative ne s’exécute pas,
l’ONEL propose, à l’autorité compétente, des sanctions administratives contre le fonctionnaire ou l’agent public responsable. Celleci statue sans délai. Le cas échéant, l’ONEL saisit les juridictions compétentes qui statuent, elles aussi, sans délai.
Les manquements commis par les partis politiques, les candidats ou les électeurs, peuvent également être portés par l’ONEL devant
les autorités judiciaires.
Lorsqu’il s’agit d’infractions à la loi pénale relatives aux élections, l’ONEL est habilité à saisir le Procureur de la République et à
soutenir les poursuites. » (article L 12).
C’est dans ce sens que s’est prononcé le forum politique national du Mali qui s’est tenu à Bamako en janvier
1999.
En définitive et quelles que soient les orientations retenues, les pouvoirs publics ne pourront pas ne pas procéder à une clarification des textes et à une meilleure définition des compétences de l’ensemble des institutions
concourant aux élections, à commencer par celles des commissions électorales et laisser ce soin aux seules juridictions(5). Il apparaît en outre que l’amélioration des systèmes de gestion électorale passe par une simplification
du dispositif institutionnel : bien de ses pièces, aménagements et mécanismes n’ont d’autre justification que celle
de l’histoire, celle du pays ou d’autres … (cf. par exemple, le nombre des juridictions en matière électorale).
C.– La composition des CENI – CENA
La composition des CEN a suscité de multiples commentaires et critiques, et pour beaucoup les objectifs recherchés d’impartialité et d’établissement de la confiance avec la population, à l’origine de leur création, n’ont pas été
pleinement atteints. Les reproches sont de diverses natures et n’ont pas exactement la même portée selon les modalités de l’administration du suffrage universel mises en place. Certains concernent la mise en place de ces institutions ; les désignations ont souvent été laborieuses, retardées… la neutralité n’étant pas nécessairement synonyme
d’apolitisme ainsi que le propos en était tenu lors du scrutin présidentiel béninois de mars 1996. D’autres sont relatifs à la composition elle-même des commissions, le principal point d’achoppement étant la place à y réserver aux
partis politiques. Considérée à l’origine comme une condition du contrôle du processus électoral par les forces
politiques en compétition, la participation des formations politiques est apparue au vu d’un certain nombre d’expériences vécues comme contre – performantes. Ont été ainsi soulignées les difficultés d’organisation liées au
nombre élevé des partis, à la faible formation de leurs représentants. La question est en outre posée de savoir s’il
n’est pas contestable au regard des principes de reconnaître aux formations politiques un rôle qui revient à leur
conférer la double qualité de juge et partie… avec la possibilité, le cas échéant, d’en jouer, ce risque étant particulièrement aigu lorsque les commissions sont opérateur direct et principal des opérations électorales. On a pu
ainsi se demander si la présence des partis politiques dans les commissions n’était pas de nature à rendre plus délicat le contrôle du juge et si l’implication des partis politiques est nécessaire pour la transparence et l’équité du processus électoral ; celle-ci ne peut-elle se réaliser – comme c’est déjà le cas – dans les instances et organes chargés
du scrutin au plan national ou localement ? De surcroît, les partis politiques ne disposent-ils pas de moyens juridiques pour obtenir gain de cause en cas d’irrégularité et de contentieux ?
Autant de questions liées à celles des attributions des commissions, auxquelles on –l’expert moins qu’un autre
– ne saurait apporter de réponses définitives. L’option effectuée par le Togo en avril 2000 dans le sens de la présence forte des partis politiques dans la C.E.N.I. en est une bonne illustration.
Institutions transitoires liées à une période elle-même transitoire ? Ou institutions destinées à intégrer, tel quel
ou après modifications, les structures de gestion des opérations électorales ? On ne saurait se prononcer sur l’avenir des Commissions électorales nationales. Elles existent… et elles sont devenues un acteur des opérations électorales, un sujet de discussion et un objet d’études… On y voit à la fois un acquis et un facteur de la consolidation
démocratique répondant à des attentes données. Elles n’échappent pas non plus à la critique. Il est même un courant doctrinal et politique récent qui considère que ces commissions sont devenues un obstacle à la poursuite de la
5. Voir, en ce sens, J.B. Monsi, Secrétaire général de la Cour constitutionnelle du Bénin in La Cour constitutionnelle et les élections présidentielles de mars 1996 : quelles leçons pour l’avenir ?
Les structures de gestion des opérations électorales
225
démocratisation, compte tenu notamment de leur vulnérabilité et de leur fragilité ; et de proposer d’en revenir à un
système investissant l’administration d’État de la responsabilité directe des élections moyennant un accroissement
de leurs moyens ainsi que le renouvellement et le renforcement des différents types de contrôle (cf. Maître Alao).
En toute hypothèse, ces commissions ne sauraient, quelle que soit leur configuration, être à elles seules un gage
de la sincérité des élections. Les expériences malheureuses des élections présidentielles du Togo du 21 juin 1998
ou du Niger des 7 et 8 juillet 1996, pour ne prendre que ces exemples, sont là pour le rappeler ; pas plus, et en sens
inverse, on ne peut attribuer la façon dont se sont déroulées les élections présidentielles du Sénégal d’avril 2000
au seul ONEL et à l’originalité de sa nature, même si celui-ci y a joué un rôle important …
On ne peut que redire que les institutions ne peuvent apporter à la démocratie plus que ce pour quoi elles sont
faites. Leur réussite dépend de la volonté des acteurs du jeu politique d’en respecter les règles. Ce point étant acquis,
il faut souligner que l’efficacité des structures d’organisation des opérations électorales nécessite des mises à plat,
des perfectionnements techniques et juridiques et l’allocation de moyens. Elle dépend aussi du processus d’élaboration et de mise en place des institutions et des mécanismes électoraux. Quels qu’ils soient, leurs performances
résident pour une large part dans l’existence d’une approche, d’une démarche que l’on veut consensuelle permettant aux forces politiques et à l’opposition de se les approprier.