Boudou Badabou, allégorie du tirailleur sénégalais

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Boudou Badabou, allégorie du tirailleur sénégalais
Collège Léonard de Vinci/ Bois-Guillaume/Histoire des Arts 2015/Histoire/Arts, Etats, Pouvoirs/ Arts du visuel.
Boudou Badabou, allégorie du tirailleur sénégalais
Présenter
L’élève est capable de définir la nature du document, donner sa date de création, le nom de l’auteur, son lieu d’exposition.
Nature, commanditaire, destinataire + contexte
La nature, le commanditaire et le destinataire
Il s'agit d'une carte postale française éditée
pendant la Première Guerre mondiale. Elle montre
un tirailleur sénégalais tenant dans sa main une
tête d'un soldat allemand, tête qui vient d'être
tranchée. Cette carte postale a pour titre « La
moisson de Boudou-Badabou ».
Le contexte
Cette carte postale a été diffusée dès le début du
conflit, à partir de 1914-1915. La guerre qui, en
er
France, a débuté le 1 août 1914 avec la mobilisation générale, prend une tournure inattendue à partir de
décembre 1914. Les armées, faute de pouvoir progresser, s'enterrent dans des tranchées qui se font
face.
Pour faire face à l'hécatombe des premiers mois de la guerre, La France se tourne vers ses colonies. En
1910, déjà, dans un ouvrage intitulé La force Noire, le général Mangin avait préconisé l'utilisation des
ressources humaines issues de l'Empire en cas de conflit. Et, dès le début de la guerre, dès septembre
1914, des tirailleurs ont été envoyés au combat, sur tous les fronts. On les retrouve ainsi sur le front
ouest, en Belgique, à Ypres, à l'automne 1914. On estime qu'au moins 600 000 soldats indigènes ont
combattu pour la France au cours de la Grande Guerre. Les plus populaires d'entre eux, les tirailleurs
sénégalais, étaient au moins 180 000. Ces soldats provenaient en réalité de l'Afrique Occidentale
Française et de l'Afrique Equatoriale Française. L'origine de leur nom tient au fait que les premiers
tirailleurs sénégalais ont été recrutés au Sénégal, au milieu du XIXe siècle 1.
Décrire
L’élève est capable de décrire le contenu de l’œuvre, de citer les techniques utilisées et de donner le domaine artistique auquel elle
appartient
La tenue du tirailleur
Il porte la tenue d'apparat des tirailleurs sénégalais, modèle 1857, qui ressemble beaucoup à celui des
zouaves. Il est coiffé d'une chéchia rouge garance orné d'un gland bleu. Son uniforme est composé d'une
veste courte ( boléro ou bédaïa) de couleur bleu clair ornée de tresses de couleur jonquille et d'un
pantalon bouffant et qui pourrait être un sarouel maintenu par un large tissu rouge qui fait usage de
ceinture. En bandoulière, ce tirailleur porte un fusil, sans doute un Lebel, dont la baïonnette apparaît
très nettement. A sa taille, une corde ou fine ceinture d'où pendent deux cartouchières, sans doute de
cuir. Ce tirailleur chaussé de brodequins porte des guêtres de toile blanche tenues par de nombreux
boutons.
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Attitude du tirailleur
Ce tirailleur semble venir de la droite : il a le pied droit en avant et fait un grand pas. Il tient des
rosalies dans sa main droite (au moins 5) et une musette sur laquelle est inscrit « balles dum-dum ». Dans
sa main gauche, on aperçoit la tête tranchée, dont tombent quelques gouttes de sang, d'un soldat
allemand. Encore coiffée d'un casque à pointe, cette tête aux traits vaguement porcins affiche une moue
qui pourrait être de dégoût.
Entre les dents du tirailleur, tout plein de sang, un long couteau dessine en quelque sorte un long sourire.
Tout laisse croire qu'il revient du champs de bataille ou d'une tranchée ennemie. Est-il un nettoyeur des
tranchées , autrement dit, a-t-il effectué un coup de main en s'en prenant à la position ennemie ? On
pourrait le croire car il tient les armes pris à l'ennemi et semble revenir de combattre 2.
Composition de la carte postale
Le tirailleur sénégalais est placé au centre de la carte postale. Sa silhouette se détache nettement grâce
au fond jaune utilisé par le dessinateur. Une légende en haut de la carte postale indique qu'il s'agit ici de
La moisson de Boudou-Badabou.
Analyser
L’élève est capable de donner la signification de cette œuvre dans la champ thématique choisi.
Mais qui est Boudou-Badabou ?
1er couplet de la chanson Bou-dou-ba-da-bouh
Il s'appelait Bou-dou-ba-da-bouh
Il jouait d' la flûte en acajou
Je n'exagère pas
C'était l' plus beau gars
De toute la nouba, ah
Quand son régiment défilait
Au son joyeux des flageolets
Le Tout-Tombouctou
Admirait surtout
Celui d' Bou-dou-ba-da-bouh
Boudou Badabou est ici une allégorie, un personnage inventé pour
désigner le tirailleur sénégalais présent sur tous les fronts dès
septembre 1914.
Ce nom de Boudou Badabou présente une consonance qui semble
africaine : le son « ou » pourrait rappeler des noms de lieux conquis
par la France tels que Ouagadougou ou bien Tombouctou ou des
prénoms donnés en Afrique comme celui de Mamadou. Ce pourrait
être aussi une sorte d'onomatopée. Il semble qu'un effet comique
soit recherché avec cette allitération du son « ou ».
Doudou-Badabou est le personnage d'une chanson coloniale, un peu
graveleuse, très à la mode en 1913. Composée par Lucien Boyer en
1913 et interprétée par Charles Mayol, cette chanson intitulé BouDou-Ba-Da-Bouh raconte le destin tragique d'un tirailleur
sénégalais aimé d'une Blanche. Pendant la guerre, Mayol repris
cette chanson lors de ses tournées aux armées, devant des
tirailleurs sénégalais.
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L'intention du dessinateur
L'uniforme réglementaire du tirailleur sénégalais
Le tirailleur en tenue kaki, RFI, 06-05-2010 (consulté le 9 avril 2015,
http://www.rfi.fr/contenu/20100310-le-tirailleur-tenue-kaki/
On voit qu'un coupe-coupe, accroché ici à son ceinturon, faisait partie de
son équipement réglementaire.
La civilisation européenne, caricature
d'Arthur Johnson tirée du journal
allemand « Kladderadatsch », n° 30, paru
le 23 juillet 1916.
GAILLARD Emmanuelle, La civilisation
européenne, L'Histoire par l'image (consulté le
9 avril 2015), disponible sur
http://www.histoireimage.org/site/oeuvre/analyse.php?
i=929&d=1&m=tirailleur%20s%C3%A9n
%C3%A9galais
Le message du dessinateur se veut rassurant : les troupes coloniales sont efficaces, l'ennemi sera
repoussé grâce à l'intervention des troupes coloniales. Et, elle laisse à penser que la guerre est une sorte
de jeu pour ces soldats qui, en quelque sorte, se constituent ainsi des trophées comme ici la tête d'un
soldat allemand. Le dessinateur a choisi de représenter ce tirailleur dans sa tenue d'apparat bien plus
exotique et identifiable que le réglementaire uniforme bleu-horizon ou kaki utilisé dès 1914-1915. Il a
repris avec ce tirailleur un thème qui plait beaucoup à cette époque comme le montre la publicité célèbre
réalisée pour Banania en 1915. Les tirailleurs représentent ainsi, pendant la guerre, près de 70 % de
l’iconographie représentant les forces coloniales3.. Il faut rappeler que la présence de ces tirailleurs sur
le territoire est une nouveauté pour la population métropolitaine. La plupart des Français n'ont jamais eu
l'occasion de voir, de visu, un Noir et encore moins d'en côtoyer.Tous n'ont pas visité une exposition
coloniale comme celle qui s'est tenue à Rouen en 1896. Pour les Allemands, le tirailleur sénégalais est
l'illustration de la barbarie des Français. Et, l'iconographie allemande n'hésite pas à le représenter
comme un cannibale, un sauvage assoiffé de sang. Cette imagerie nourrit un imaginaire et contribue à la «
Honte noire » , propagande intense à l'encontre des troupes coloniales françaises occupant l'Allemagne
(La Sarre et Ruhr) après la guerre.
L'image véhiculée
L'image véhicule un gros cliché très répandu à cette époque : la sauvagerie des Noirs est au service de la
bonne cause et contribue à la victoire. Elle justifie ainsi la colonisation en montrant que la métropole peut
canaliser cette force.
Autre idée fausse reprise ici, les Noirs sont en quelque sorte contents d'être à la guerre. Il n'en est est
rien, évidemment. Depuis 1912, un décret contraint les coloniaux à une obligation militaire 4. Et, dès le
début de la guerre, des opérations de recrutement sont organisées. Mais, elles rencontrent peu de
succès : les jeunes hommes et leurs familles font tout pour éviter le départ vers la métropole. On note
même ici et là des émeutes liées aux méthodes de recrutement qui s'apparentent parfois au rapt5. Le
gouvernement confie alors à Blaise Diagne, l'un des premiers députés noirs de la IIIe république, le soin
d'organiser une campagne de recrutement auprès des colonisés. Il voit là pour les colonisés l'espoir d'une
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reconnaissance et une étape vers l'égalité avec les Blancs. Dans les colonies, à cette époque, régne
encore le système de l'indigénat (travail forcé), les colonisés sont considérés comme des sujets et non
comme des citoyens, sauf exceptions.
Le tirailleur : de la chair à canon ?
Il semble que la France soit la seule métropole européenne à avoir engagé des troupes coloniales sur le
front ouest et à les avoir mener au combat. Pour le général Mangin ou pour Blaise Diagne, le tirailleur doit
combattre. En cela, il est à égalité avec les Blancs. Mais, moins entraînés et peu habitué aux rigueurs du
climat, les tirailleurs sont très éprouvés. On estime que la moitié d'entre eux seraient morts de maladie
ou à cause du choc climatique. En pourcentage, les pertes pour les tirailleurs seraient de 22 % donc
équivalentes à celles des soldats métropolitains (23 %).
Mettre en relation
L’élève est capable de relier l’œuvre à d'autres formes d'expression artistique et d’exprimer un avis personnel face à cette œuvre,
de façon raisonnée
Quelques vers de Léopold Sédar Senghor tiré de son « Poème liminaire », extrait du recueil Hosties noires
(1948).
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas — non ! — les louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.
Senghor rend ici hommage aux tirailleurs. Après la guerre, peu d'honneur leur ont été rendus. Et, petit pied de nez à
l'Histoire, le dernier tirailleur de la Grande Guerre, Abdoulaye N'Daye, est mort le 10 novembre 1998, à la veille de
recevoir la légion d'honneur7.
Le monument à l'Armée noire de Reims
Edifié en 1924 pour honorer la mémoire des tirailleurs qui ont sauvé la ville des Allemands en 1918, ce monument avait
sa réplique à Bamako (au Mali). Il a été démonté en 1940 par les Allemands qui en voulaient à la France d'avoir utilisé
ses troupes coloniales une première fois pendant la guerre et une seconde, pendant l'occupation de la Ruhr entre
1923 et 1925. Les Allemands voyaient dans l'utilisation de ces troupes coloniales une preuve de la barbarie de la
France . D'ailleurs, pour les nazis, c'était une des preuves de la dégénérescence de la France.
Et puis, une chanson très populaire en Australie : And The Band Played Waltzing Matilda (écoutez-la si possible
interprétée par les Pogues).
1- L'engagement des troupes noires dans les deux guerres mondiales (consulté le 9 avril 2015), disponible sur
http://www.cndp.fr/crdp-reims/index.php?id=1954
2- CHAVAROCHE Dimitri, Compte-rendu de recherches. Les coups de main et le nettoyage des tranchées français pendant la
Première Guerre mondiale, 2010, Consulté le 9 avril 2015, disponible sur
http://www.crid1418.org/doc/textes/chavaroche_coupsdemain.pdf
3- « Y’a bon », la « force noire » dans la guerre des toubabs, Enseignement et Centenaire de la Première Guerre mondiale consulté le
9 avril 2015, http://www.cndp.fr/crdp rouen/images/pdf/centenaire/laforcenoire.pdf
4- LIAUZU Claude, Les Tirailleurs sénégalais, Dictionnaire de la colonisation française, Ed. Larousse, 2007 cité dans La France et
ses tirailleurs sénégalais, LDH Toulon , 20 novembre 2014 (consulté le 9 avril 2015), disponible sur http://ldh-toulon.net/la-Franceet-ses-tirailleurs.html
5- La Force Noire 1857-1965, Musée du sous-officier (consulté le 9 avril 2015), disponible sur
http://www.museedusousofficier.fr/musee/expositions/archives/expositions.html
6-L'engagement des troupes noires dans les deux guerres mondiales (consulté le 9 avril 2015), disponible sur
http://www.cndp.fr/crdp-reims/index.php?id=1954
7-Mourre Martin , Le vieux tirailleur, le village et la médaille (1914-1998), 17 décembre 2014 (consulté le 9 avril 2015), disponible
sur http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=12638#sthash.ADFl4OrP.dpuf

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