l`adolescence aux marges du social

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l`adolescence aux marges du social
ISBN : 978-2-84922-157-0
Prix : 3,90 €
Diffusion / Distribution :
Volumen
yapaka.be /
Éditions Fabert
Tél. : 33 (0)1 47 05 32 68
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Coordination de l’aide
aux victimes de maltraitance
Secrétariat général
Ministère de la Communauté
française de Belgique
Bd Léopold II, 44 – 1080 Bruxelles
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49
LECTURES
L’ADOLESCENCE
AUX MARGES DU SOCIAL
TEMPS D’ARRÊT
Psychologue clinicien, Jean-Claude Quentel est professeur de
sciences du langage à l’Université européenne de Bretagne. Il
a notamment déjà publié : L’enfant. Problèmes de genèse et
d’histoire (De Boeck, 1997), Le parent. Responsabilité et culpabilité en question (De Boeck, 2001).
JEAN-CLAUDE QUENTEL
Cet ouvrage rappelle que l’adolescence constitue d’abord
une réalité sociale, correspondant à un montage opéré par les
sociétés occidentales. Elle n’est toutefois que la forme que
vient prendre dans ces sociétés une problématique d’ordre
général qui est la sortie de l’enfance. Dès lors, ce sont les
processus que celle-ci recouvre qui doivent être interrogés.
Leur mise en évidence permet d’être mieux armé pour faire
face aux questions que l’adolescence provoque de nos jours
dans nos sociétés.
L’ADOLESENCE AUX MARGES DU SOCIAL
L’adolescence semble être aujourd’hui une réalité évidente.
Les médias, les parents, mais aussi les professionnels ne
cessent pourtant d’en débattre. Et la littérature abonde sur les
difficultés de l’adolescent. Qu’en est-il donc de son statut ?
Quel rapport l’adolescence entretient-elle avec la puberté ?
S’agit-il d’une phase naturelle du développement, comme l’ont
soutenu les psychologues ?
Jean-Claude Quentel
L’adolescence
aux marges du social
Jean-Claude Quentel
Temps d’Arrêt / Lectures
Une collection de textes courts destinés aux
professionnels en lien direct avec les familles. Une
invitation à marquer une pause dans la course
du quotidien, à partager des lectures en équipe,
à prolonger la réflexion par d’autres textes.
– 8 parutions par an.
Directeur de collection : Vincent Magos assisté de Diane
Huppert ainsi que de Delphine Cordier, Nadège Depessemier,
Sandrine Hennebert, Philippe Jadin, Christine Lhermitte et
Claire-Anne Sevrin.
Le programme yapaka
Fruit de la collaboration entre plusieurs administrations de la
Communauté française de Belgique (Administration générale
de l’enseignement et de la recherche scientifique, Direction
générale de l’aide à la jeunesse, Direction générale de la santé
et ONE), la collection « Temps d’Arrêt / Lectures » est un élément
du programme de prévention de la maltraitance yapaka.be.
Comité de pilotage : Jacqueline Bourdouxhe, Deborah
Dewulf, Nathalie Ferrard, Ingrid Godeau, Louis Grippa, Françoise Guillaume, Gérard Hansen, Françoise Hoornaert, Perrine
Humblet, Céline Morel, Marie Thonon, Reine Vander Linden.
Une initiative de la Communauté française de Belgique.
Éditeur responsable : Frédéric Delcor – Ministère de la Communauté
française de Belgique – 44, boulevard Léopold II – 1080 Bruxelles.
Février 2011
Sommaire
L’adolescence, une réalité sociale . . . . . . . .
L’adolescence n’existe pas . . . . . . . . . . . . . . . .
Une construction sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un concept psychologique . . . . . . . . . . . . . . . .
9
9
11
15
Mourir à l’enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les enseignements de l’ethnologie . . . . . . . . . .
« On tue un enfant » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un conflit interne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
19
22
25
L’émergence à la personne . . . . . . . . . . . . . .
La contingence de l’être . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La recherche des origines . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’appropriation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
31
31
37
47
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
55
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
57
Le parent constate, étonné, que la porte de la
chambre est à présent fermée. Un morceau de papier
s’y trouve punaisé, demandant que dorénavant on
frappe avant d’entrer. Un étranger se serait donc installé dans la maison ? En fait, un adolescent est né et
le cercle de la famille ne s’est pas agrandi : il signe
en même temps l’acte de décès de l’enfant auquel
le parent croyait avoir toujours affaire. Lorsque l’adolescent paraît, le parent, loin d’applaudir, s’inquiète
et se demande, aujourd’hui bien plus qu’auparavant,
comment il va pouvoir à présent faire face à son éducation. La société, elle aussi, s’inquiète, qui voit naître
là un éventuel fauteur de troubles.
Les médias évoquent ainsi fréquemment, surtout
depuis quelque temps, les débordements inquiétants
de la jeunesse et les incivilités dont elle se rend trop
facilement responsable aux yeux de nos contemporains. Les professionnels de l’éducation s’interrogent tout autant à propos de l’adolescent et des
transformations que cette période de la vie connaît
aujourd’hui. Les ouvrages ne manquent pas sur cette
question de l’adolescence ; ils sont même de plus en
plus nombreux. Ils traitent surtout des difficultés qui
seraient propres à l’adolescent, mais également, dans
une visée pratique de prise en charge, des problèmes
particuliers qu’il soulève dans notre société. Peu de
travaux s’intéressent toutefois au statut de l’adolescent et à ce qu’il recouvre. Au demeurant, ce statut
se trouve souvent occulté puisqu’il n’est question,
dans le langage courant comme dans la terminologie
officielle, notamment juridique, que d’« enfant », de la
naissance jusqu’au moins l’âge de dix-huit ans. Ce
paradoxe doit être souligné d’emblée : comment une
société peut-elle en même temps s’intéresser à ce
point à une telle réalité et l’ignorer, dans le traitement
–5–
qu’elle en fait, jusqu’à la résorber dans une dénomination plus large qui efface toute trace de sa spécificité ?
La question du statut de l’adolescence est pourtant
particulièrement intéressante à travailler. Elle oblige à
revenir sur les processus qui règlent le fonctionnement
particulier de l’adolescent. Ces processus ont commencé à être étudiés par ceux qui ont été les pionniers
dans ce champ de recherche. Ils ont été travaillés par
la suite par quelques grands psychologues de l’enfant
du XXe siècle, mais ils paraissent aujourd’hui ne plus
faire l’objet de travaux approfondis. Seuls les cliniciens
apportent encore sur la question quelques éclairages.
Le présent travail se donne précisément pour but de
revenir sur ces processus et de les mettre à jour. Une
telle démarche doit permettre de mieux comprendre
les problèmes particuliers que cette période de la vie
pose, tout à la fois à celui qui les vit et à ceux qui
l’entourent. Ce n’est en effet qu’à la condition de faire
clairement ressortir les processus qui agissent en
l’adolescent qu’il sera possible de prendre du recul par
rapport aux problèmes qu’il pose actuellement à notre
société et d’intervenir auprès de lui. On s’accorde ainsi
souvent pour affirmer que l’adolescence soulève d’abord
le problème de la sortie de l’enfance. Mais qu’est-ce que
cela vient véritablement recouvrir ?
La réflexion qu’on va lire s’inscrit dans la suite d’un autre
travail sur l’enfant et sur son statut, travail mené dans le
cadre de la même collection1. Ce premier écrit touchait
déjà à la question de l’adolescence, puisqu’il supposait,
dans la délimitation même de son objet, que ces deux
réalités soient le plus clairement possible distinguées. Il
proposait donc un très rapide résumé de la problématique adolescente et des processus qu’elle suppose. Il
s’agit à présent de creuser ces processus et d’offrir une
réflexion de fond sur le statut qui est celui de l’adolescent
dans notre société. Le questionnement se veut donc, tout
comme cela a été antérieurement le cas pour l’enfant,
1. Jean-Claude Quentel, L’enfant n’est pas une « personne », coll.
« Temps d’Arrêt / Lectures », Yapaka, Bruxelles, 2008.
–6–
anthropologique, au sens où il vise à révéler des processus généraux qui déterminent de manière implicite les
enjeux spécifiques de cette période de la vie, au-delà de
la forme particulière de prise en charge qu’une société va
en effectuer à un moment donné de l’histoire.
L’adolescence,
une réalité sociale
L’adolescence n’existe pas
Au tout début des années 1990 paraissait un
ouvrage dont le titre, volontairement provocateur,
devait nécessairement retenir l’attention de tous
ceux qui s’intéressaient à l’adolescence. Sous-titré
« Histoire des tribulations d’un artifice », il affirmait
en effet que « L’adolescence n’existe pas2 ». En fait,
cette question n’avait pas été réellement travaillée
du point de vue de l’histoire, comme cela avait été le
cas, depuis 1960, pour l’enfant avec Philippe Ariès
et ceux qui se sont inscrits dans sa suite. La relativité historique de la représentation de l’enfance
avait pénétré les esprits, même s’il demeurait difficile, voire impossible, à la psychologie génétique,
c’est-à-dire à la discipline qui s’arrogeait jusque-là le
monopole de la réflexion scientifique sur l’enfant, de
tirer les conséquences d’une telle approche de l’enfance. Il découlait en effet de ces travaux historiques
que, contrairement à ce que présupposait l’approche
génétique, l’Enfant, avec un grand E, n’existait pas,
que l’on avait affaire uniquement à DES enfants,
différents selon les époques, et que le chercheur,
comme l’éducateur, ne se trouvait confronté qu’à
une forme sociale de l’enfance parmi d’autres.
La psychologie génétique avait en fin de compte
installé l’enfant occidental dans la position d’un universel. Un bref retour en arrière, sur quelques décennies, suffisait pour conclure que l’adolescence était,
comme l’enfance, une notion relative dans la mesure
où elle prenait des formes sociales très différentes.
Plus encore, il apparaissait que l’adolescence était
une réalité qui n’avait pas toujours existé, et donc
que, de ce point de vue, elle ne pouvait renvoyer,
2. P. Huerre, M. Pagan-Reymond, J.-M. Reymond (1990).
–9–
contrairement à l’enfance, à un principe général. De
l’enfance, il en est en effet dans toute société : à toute
époque et dans toutes les communautés, il est fait
état d’une période de la vie dans laquelle celui qui
en relève ne peut être considéré comme faisant partie,
par sa seule existence, du social. S’il en participe, c’est
nécessairement à travers ceux qui l’éduquent et qui
l’insèrent à partir d’eux dans la société en question.
De l’adolescence, en revanche, il n’en existe pas dans
toutes les sociétés. Et c’est de ce point de vue que certains pouvaient affirmer que l’adolescence n’existe pas ;
elle ne constitue pas un problème général.
L’adolescence a dès lors commencé à intéresser
les historiens. Du moins ceux qui réfléchissaient sur
l’adolescence ont-ils pris en compte le point de vue
de l’histoire. Pour s’apercevoir que la notion n’avait
effectivement pas toujours existé et que son apparition était même très récente. Elle datait tout juste
de la seconde moitié du XIXe siècle, et en Europe du
début du XXe siècle. Elle s’est même imposée bien plus
tardivement dans l’histoire de nos sociétés comme
dénomination socialement partagée. Certes, le terme
« adolescent » n’était pas nouveau. Il était utilisé déjà
chez les Grecs et, s’il n’est apparemment plus en usage
à la Renaissance par exemple, il est présent à d’autres
moments de l’histoire de nos sociétés. Ces emplois
réfèrent toutefois à un tout autre sens que celui qu’il
est venu prendre actuellement. « Adolescence » peut
s’entendre également, conformément à l’étymologie,
au sens d’un processus de croissance qui démarre dès
l’enfance (et qui est dès lors accompli chez « l’adulte »).
La notion moderne, consacrée par les dictionnaires dès
la seconde moitié du XIXe siècle, s’est en fait imposée
avec l’apparition de l’école obligatoire et, plus précisément, la prolongation progressive de la période de
scolarisation. Dans la première moitié du XXe siècle, en
Europe, il existait ainsi une jeunesse qui n’avait pas
connu l’adolescence parce qu’elle avait été mise au
travail de bonne heure. Pendant toute une période ont
socialement coexisté, d’une part, des adolescents dont
les études se prolongeaient au-delà de l’âge à partir
– 10 –
duquel il devenait possible de quitter l’école et, d’autre
part, des jeunes qui n’avaient pu connaître cette forme
particulière d’existence sociale.
La sociologie a également son mot à dire sur la relativité de l’adolescence et elle nous rappelle que
celle-ci n’a pas pénétré, si l’on peut dire, tous les milieux
sociaux en même temps. Elle fut longtemps réservée
aux familles aisées. Elle ne concerne, jusqu’à la première
guerre mondiale, qu’une minorité, en l’occurrence l’élite
masculine, les jeunes filles n’étant alors pas destinées à
faire des « études ». Les dates qui ont marqué l’évolution
progressive de l’obligation scolaire sont sans nul doute
importantes à rappeler pour comprendre la façon dont
s’est dessinée la problématique de l’adolescence jusqu’à
nos jours. L’obligation de scolarité a été initialement instaurée, en France, à treize ans en 1882, avec les lois Jules
Ferry, soit à peu près à l’âge à partir duquel il est possible
de parler d’adolescence. Qui plus est, dès l’âge de onze
ans, il était possible de se libérer de cette contrainte à
partir du moment où l’on possédait le certificat d’études
primaires. L’obligation est portée à quatorze ans en 1936
et à seize ans en 19593. Au début des années 1960,
encore, la moitié des garçons sont déjà au travail à seize
ans. Leur adolescence se révèle donc, de fait, brève,
même si la situation qui est faite à ces jeunes n’a rien
de comparable avec ce qu’il en était au début du siècle.
Lorsque l’objectif politique sera de conduire au bac plus
de 80 % d’une génération, la question de l’adolescence
prendra de toute évidence une toute autre portée4…
Une construction sociale
Une telle approche du phénomène de l’adolescence
oblige à comprendre à quel point il s’agit d’abord et
3. En Belgique, la première loi sur l’obligation scolaire de 1914 fixait
celle-ci jusque douze ans. Actuellement, l’obligation scolaire de six à
dix-huit ans est régie par la loi du 29 juin 1983.
4. Dans les faits, si le taux de réussite au bac approche aujourd’hui
en France les 90 %, c’est bien moins de 70 % d’une classe d’âge qui
obtient le fameux diplôme. Et la différence selon les milieux sociaux
demeure importante.
– 11 –
avant tout d’une réalité socialement construite. Encore
faut-il avoir clairement distingué, en un premier temps,
l’adolescence de la puberté et être ici rigoureux du point
de vue des termes qu’on emploie. La puberté est un phénomène physiologique général. Il est lui-même soumis
à des variations qui tiennent notamment à l’impact du
social sur le physiologique, puisque l’on sait que l’apparition des premières règles, par exemple, évolue au fil de
l’histoire et dépend en particulier des habitudes alimentaires. La puberté n’en demeure pas moins un processus
physiologique qu’il ne faut pas confondre avec l’adolescence. Sans nul doute, la puberté représente-t-elle un
phénomène déterminant, qui conditionne en quelque
sorte les processus qui fondent l’adolescence. Mais le
registre dans lequel la question de l’adolescence survient n’est pas celui dans lequel celle de la puberté se
pose. La puberté est un phénomène de nature, alors
que l’adolescence est un phénomène de culture, c’està-dire relevant d’un fonctionnement proprement humain.
La distinction suppose qu’on ait saisi que nous avons
affaire à deux registres de processus différents, renvoyant chacun à un ordre de réalité propre. Les lois qui
vont rendre compte de ce que recouvre le phénomène
de l’adolescence ne sont pas celles qui expliquent la
puberté et, réciproquement, les lois physiologiques qui
rendent compte de cette dernière sont inaptes à éclairer
ce qui se joue à travers l’adolescence.
En d’autres termes, la puberté constitue le substrat physiologique à partir duquel vont se déclencher des processus qui ne répondent plus aux lois de la physiologie et
qui donc, paradoxalement, leur échappent. Ainsi en est-il
de cette construction sociale que constitue l’adolescence.
Soutenir qu’il s’agit d’une construction sociale revient
à affirmer que l’on a affaire à une réalité élaborée dans
des conditions socio-historiques précises, répondant en
dernier lieu à des préoccupations de nature « politique ».
Cette réalité, totalement étrangère aux lois de la physiologie, vient s’imposer peu à peu comme une évidence.
Autrement dit, elle participe d’une opération, inconsciente
quant au principe, de « naturalisation » : l’adolescence, en
l’occurrence, paraît s’imposer d’elle-même à la société
qui l’a créée ; tout se passe comme si elle avait toujours
existé et la société procède du même coup à une sorte
d’effacement de l’opération socio-historique à partir de
laquelle elle l’a pourtant instituée. Politiquement, c’està-dire du point de vue de la gestion de la population
concernée dans le cadre de la cité, il aurait été possible
de procéder tout autrement et donc, notamment, de
ne pas « créer » d’adolescence. Nous reviendrons plus
loin sur les autres solutions envisageables et retenues
par d’autres sociétés. Dans l’histoire de l’adolescence,
on retiendra en tout cas la surprise qui a été celle de
l’Amérique du Nord dans les années 1930, lorsqu’a été
diffusé auprès du grand public le travail de l’ethnologue
Margaret Mead, réalisé en Océanie.
À cette époque, les États-Unis s’inquiétaient déjà des
façons de faire de sa jeune génération. Ils l’accusaient
d’instabilité et de dérèglement. Les psychologues
n’offrant pas d’autre explication que l’appel à des caractéristiques de l’âge, c’est-à-dire en fin de compte à une
nature humaine, l’ethnologue pouvait faire l’hypothèse
que le milieu social de l’adolescent était pour quelque
chose dans les difficultés qu’il présentait. Partie étudier en Océanie la société samoanne pour comparer
les civilisations et en tirer des enseignements d’ordre
éducatif pour les États-Unis, Margaret Mead en revenait
en insistant sur le fait que cette période n’apparaissait
pas nécessairement, dans cette autre société, comme
« tendue et tourmentée ». Elle montrait que dans cette
civilisation totalement différente de la sienne, les filles
comme les garçons n’avaient, jusque l’âge de quinze ou
seize ans, « aucune place reconnue » (les enfants étant
considérés comme « non-participants » à la société),
et que, notamment, rien ne permettait « de distinguer
clairement le groupe des adolescentes de celles qui le
seraient dans deux ans ou de celles qui l’étaient devenues deux ans plus tôt5 ». Autrement dit, cette société
ne connaissait pas, au sens strict, l’adolescence, même
si elle avait bien affaire, elle aussi, aux transformations
physiques de la puberté et les prenait en compte d’une
manière qui ne put que choquer l’Amérique.
5. Adolescence à Samoa, 1928, pp. 425, 520 et 550.
– 12 –
– 13 –
Rapportée par conséquent, dans les sociétés occidentales, à une certaine réalité sociale, liée à la généralisation de la scolarisation et au report de l’âge à partir
duquel il est possible de travailler, l’adolescence a été
logiquement assimilée à l’âge de « l’irresponsabilité ».
Cette irresponsabilité s’est trouvée corrélée pour certains à une forme d’insouciance, en opposition au
sérieux de la vie adulte. Or, cette irresponsabilité était,
et est toujours, imposée à l’adolescent par la société,
même s’il est censé en retirer des bénéfices, sociaux
tout d’abord, à travers une formation plus solide. On
comprend qu’on ait pu évoquer, à propos de l’adolescence, une forme de no man’s land : mi-enfant
– mi-adulte, l’adolescent n’est ni enfant – ni adulte. Il
demeure dans une « enfance de culture », c’est-à-dire dans
une enfance prolongée au-delà de la fin de l’enfance.
Aussi bien, la question vient rapidement se poser, surtout de nos jours, de la différence éventuelle de l’adolescence et de la jeunesse. La jeunesse se prolongerait
en effet de nos jours jusque bientôt l’âge de trente ans.
Peut-on parler d’adolescence jusqu’à cette période ? Si
ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui vient différencier l’adolescence de la jeunesse ? On peut déjà faire remarquer
que ces termes sont ordonnés à des appropriations disciplinaires différentes : le psychologue parle d’adolescence et le sociologue de jeunesse, même si les usages
ne sont pas toujours aussi stricts. Ce n’est toutefois pas
là une réponse suffisante à la question de leur éventuelle
différence.
l’occurrence l’âge où, statistiquement, les femmes ont
aujourd’hui leur premier enfant. C’est donc à un étalement, cette fois-ci des critères d’accès à l’âge adulte,
auquel on assisterait avec l’allongement de la jeunesse
(relatif, au demeurant, selon les sociétés occidentales).
Quoi qu’il en soit, la jeunesse, entendue de cette façon,
nous conduit bien au-delà de l’âge de l’obligation scolaire et des études, mais également au-delà de l’âge
légal à partir duquel nos sociétés accordent la pleine
citoyenneté à travers la majorité. De ce point de vue, il
existe une différence entre ces deux réalités, même si
elles répondent toutes deux à une construction sociale.
Un concept psychologique
Certains auteurs évoquent, à propos de cette tranche
d’âge débordant la majorité légale, une post-adolescence ou une adolescence prolongée. Les sociologues
nous apprennent en fait que la jeunesse, entendue
donc comme cette période allant aujourd’hui jusque
bientôt trente ans correspond au moment où les personnes concernées n’ont pas épousé l’intégralité des
rôles qui définissent, dans nos sociétés, l’état d’adulte.
On observe notamment une désynchronisation des
seuils de la vie professionnelle et de la vie familiale,
l’engagement dans une « vie de couple » se faisant à
présent de plus en plus tardivement. Trente ans est en
Si l’adolescence se révèle être foncièrement et avant
tout une réalité sociale, son étude ne se réduit pas, bien
évidemment, à ce que l’histoire et la sociologie peuvent
en dire. Elle relève, en tant que réalité concrète, d’autres
points de vue et notamment de celui de la psychologie.
La psychologie s’est même posée, durant des décennies, comme la seule discipline pouvant rendre compte
de ce phénomène. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle
la sociologie lui a laissé le terme, optant, quant à elle,
pour la « jeunesse ». Cette psychologie, qui ne pouvait
alors envisager ces questions qu’en termes de genèse,
c’est-à-dire de développement ou de croissance, nous a
fait croire pendant des décennies que l’adolescence était
une période naturelle de l’existence que tout individu
devait traverser. Se fondant sur ce seul processus qui lui
faisait rendre compte du développement de l’individu en
termes de stades, cette psychologie situait fort logiquement l’adolescence comme une étape parmi d’autres
d’un parcours naturel qui valait pour tout homme, sans
distinction d’époque et de société. Il s’agit donc bien là
d’une naturalisation des phénomènes, toute autre considération, notamment d’ordre social, étant saisie comme
accessoire. Un auteur comme Arnold Gesell, grand psychologue américain, auteur d’une trilogie qui a marqué
des générations de chercheurs, est particulièrement
représentatif d’une telle orientation. Revendiquant une
– 14 –
– 15 –
approche naturaliste et faisant explicitement du développement le concept-clé de son approche, il pense la
question de l’adolescence en termes de maturité et de
« gradients de croissance ».
Il est toutefois possible de retenir un point particulièrement intéressant de cette approche génétique, la seule
en vigueur en dehors de la psychanalyse et de la psychologie clinique, jusqu’aux trois quarts du XXe siècle.
Quels que soient les auteurs et leurs divergences théoriques, tous se sont accordés sur le fait qu’à partir de
douze ans, c’est-à-dire au moment de la clôture de
l’enfance et de l’entrée dans la période d’adolescence,
les tests n’apparaissent plus discriminatifs comme
tests de développement. Il faut en conclure que, pour
autant que la notion de développement soit réellement
explicative auparavant, elle ne l’est plus à partir de cet
âge ; d’autres dimensions, proprement humaines, sont
donc à prendre en compte. Par ailleurs, ces psychologues ont tout de même insisté sur des caractéristiques
de l’âge de l’adolescence sur lesquelles nous serons
amenés à revenir. Si leur approche est entachée d’un
naturalisme auquel il n’est plus possible de souscrire, il
n’en demeure pas moins qu’ils ont finement observé des
comportements qu’il faut être en mesure d’expliquer, à
partir d’autres modes de repérage théorique. Aussi bien
Stanley Hall, pionnier en la matière, que P. Mendousse
ou, ultérieurement, M. Debesse et H. Wallon, c’està-dire les grands psychologues de l’adolescence, ont
produit des réflexions qui gardent aujourd’hui encore
une certaine valeur.
insisteront sur deux éléments essentiels, à leurs yeux,
caractérisant l’adolescence : une redéfinition identitaire
et un bouleversement pulsionnel. Selon les auteurs et
les écoles à l’intérieur du mouvement psychanalytique,
l’accent sera mis plus sur l’un ou sur l’autre. Qu’on ait
affaire à un moment de construction identitaire fondamental, Freud le soulignait déjà en insistant sur le fait
que la condition première de cette transformation était le
détachement de la figure du père, et plus largement des
parents. L’Œdipe, moment fondamental dans la théorie
freudienne posant les bases de la subjectivation – pour
reprendre une terminologie moderne –, se trouve retravaillé avec ce que déclenche la puberté. Au point que
cette réactualisation peut conduire à évoquer un second
Œdipe. La puberté, souligne Freud, remet en question
l’équilibre sur lequel l’enfant s’était construit durant la
fameuse phase de latence (à partir de la résolution du
complexe d’Œdipe) et elle introduit une nouvelle forme
de stabilisation des instances psychiques, qui est celle-là
même avec laquelle l’adulte devra faire.
Il n’en demeure pas moins que la psychanalyse, et
plus largement la psychologie clinique, a apporté
encore plus d’éléments de compréhension des processus adolescents. Freud ne parle, quant à lui, que
de puberté. Il accorde à ce moment une grande importance, même s’il ne s’y est pas étendu dans un écrit
particulier ; il va jusqu’à affirmer que ce n’est qu’à partir
de ce phénomène que s’instaure une séparation nette
et définitive du contenu des deux systèmes, inconscient et conscient. À sa suite, les psychanalystes
On assiste à l’adolescence à une refondation des identifications. Freud avait insisté, de son côté, sur la notion
d’après-coup, laquelle introduisait un remaniement
d’expériences antérieures et leur conférait, à partir du
décalage pubertaire, un sens nouveau et une efficacité
psychique qu’elles n’avaient pas jusque-là. Par ailleurs,
celui qui était jusque-là un enfant vient se confronter
à la génitalisation de ses pulsions. Du même coup, il
découvre véritablement l’autre sexe et redéfinit l’ensemble de ses rapports à autrui. Il passe, diront ainsi les
lacaniens, d’un Autre parental à un Autre barré, c’est-àdire marqué du sceau de l’incomplétude, donc ici de la
différence et de l’absence. Toutefois, c’est avant tout sur
le bouleversement pulsionnel provoqué par la poussée
pubertaire que vont insister la majorité des psychanalystes. L’adolescent se trouve pris dans une forme de
tourmente. De telle sorte que plusieurs auteurs en viendront à évoquer, de manière paradoxale, une « psychopathologie normale » caractérisant l’adolescence. C’est
en fait l’ampleur que prennent ces manifestations de
l’adolescence qu’il s’agit là de souligner.
– 16 –
– 17 –
On soulignera cependant que nombre de psychanalystes demeurent méfiants par rapport à la notion
d’adolescence et que celle-ci a d’ailleurs tardé à se faire
une place spécifique dans le discours psychanalytique.
Cette méfiance peut se comprendre en lien avec le fait
qu’il ne peut s’agir d’une notion générale, et pas simplement en raison de la thèse selon laquelle « le sujet
de l’inconscient n’a pas d’âge ». Il n’en demeure pas
moins que la prise en charge de l’adolescent soulève
en même temps des problèmes spécifiques, aussi bien
par rapport à l’enfant que par rapport à un adulte jouissant des marques pleines et entières de la citoyenneté.
Il est temps, en définitive, de rapporter cette fameuse
adolescence à des processus plus larges, que nous
qualifierons dès lors d’anthropologiques.
Mourir à l’enfance
Les enseignements de l’ethnologie
Concernant la question qui nous préoccupe, l’ethnologie n’a pas pour seul intérêt de nous sensibiliser à
l’importance de la civilisation, au regard d’une approche
en termes de développement et de maturation, et de
nous faire remarquer qu’en fin de compte l’adolescence
n’existe pas dans toutes les sociétés. Depuis longtemps
déjà, elle avait attiré notre attention sur le fait que les
sociétés qu’elle s’attache à étudier distinguent clairement la puberté physiologique de la puberté sociale.
Évoquer la notion de « puberté sociale » se révèle
contradictoire dans les termes, si l’on suit notre précédent raisonnement (les premiers psychologues de
l’adolescence parleront, analogiquement, de « puberté
mentale »). Il n’en demeure pas moins que c’est déjà
là faire remarquer que la dimension physiologique n’est
pas la seule à prendre en compte dans une telle problématique et que toute société opère explicitement une
dissociation en ne faisant pas coïncider dans le temps
ce qui relève du registre du social et ce qui répond au
registre de la nature. La réalité pubertaire se trouve
bien prise en compte, mais ce n’est pas sur elle que
la société va se fonder dans les repères dont elle se
dote ; elle va se donner ses propres délimitations. Ces
civilisations ne vont pas surseoir à l’opération qu’elles
jugent socialement nécessaire et promouvoir une forme
d’étalement dans le temps des processus, à la manière
de notre adolescence ; elles vont faire état d’un seuil
qu’elles vont marquer de manière très formelle. Ce seuil
se traduira par des rites de natures différentes selon les
sociétés. Ces rites auront tous pour fonction de délimiter
clairement un moment, ou un espace, qui diffère de ce
qui valait auparavant. On parle alors de rites d’initiation.
Nous disposons d’une littérature nombreuse sur ces
rites et sur les diverses modalités qu’ils recouvrent
selon les sociétés. On se réfère toujours, pour les
décrire et les expliquer, aux travaux fondateurs d’Arnold
– 19 –
Van Gennep sur les rites de passage. Cet auteur avait,
dès le début du XXe siècle, souligné le fait, d’abord, que
de tels rites existaient toujours et qu’ils comportaient
tous, ensuite, trois moments : un moment préliminaire,
un autre liminaire et, enfin, un dernier post-liminaire.
Ces trois moments correspondent, du point de vue de
celui qui les vit, à la séparation, puis à la marge et, en
dernier lieu, à l’agrégation. Ces rites, qui accompagnent
donc tout changement de temps, de lieu et de statut
social, s’organisent par conséquent de la même façon
en ce qui concerne l’initiation. Celui qu’il s’agit d’initier à sa société va connaître d’abord un moment de
séparation qui va le voir quitter ses habitudes sociales
et rompre avec le type de relation qu’il entretenait
jusque-là avec son entourage. Il va être éloigné de la
communauté et va vivre un moment plus ou moins long
en marge, avant de pouvoir revenir dans sa société. Ce
n’est que dans ce dernier temps qu’il se verra véritablement agrégé à la société dont il devient membre à
part entière. En d’autres termes, on va lui faire endurer
certaines épreuves qui vont prendre des formes très différentes selon les sociétés et selon les époques. Ces
épreuves peuvent se révéler relativement insignifiantes
en apparence, comme elles peuvent prendre la forme
d’écueils que le jeune va devoir affronter, éventuellement
au péril de sa vie. Dans un cas comme dans l’autre, ces
épreuves vaudront symboliquement comme rites de
passage et le feront basculer socialement, une fois le
processus achevé, d’un monde à un autre.
contact. Il peut parfois jouir de manière surprenante de
droits aberrants, comme celui de voler. Par la suite, il
pourra être traité comme un véritable nouveau-né, qui
doit tout réapprendre. On lui enseigne éventuellement
un langage secret ; on lui fait apprendre des proverbes
ou partager un savoir nouveau. On peut lui conférer un
nouveau nom, mais aussi un nouveau visage, et tel est
le sens des balafres et scarifications qui vont marquer
sur le corps le changement de statut qui est le sien et le
déchirement qui s’est opéré en lui.
En Afrique noire, le futur initié est ainsi envoyé en
brousse, dans des lieux considérés comme sauvages,
habités par des puissances invisibles. Placé hors de la
condition humaine, il côtoie alors les défunts ancêtres
et le monde de l’au-delà. On le couvrira éventuellement
de poudre blanche, afin qu’il soit au plus près du monde
des fantômes et se confonde avec eux. On le confronte
à des hommes masqués, des anciens du village ; on
peut quelquefois lui faire porter un masque, symbole
d’une distance à soi-même et aux autres. Par ailleurs,
des interdits protègent le futur initié des relations avec
les autres et, inversement, préservent les autres de son
Ces pratiques ont tout d’abord pour intérêt de nous
faire saisir que s’il est autant d’enfants qu’il existe de
sociétés, toute société marque clairement la différence
entre une période d’enfance et une autre période durant
laquelle l’individu se trouve pleinement inscrit dans le
social, du moins potentiellement. Durant l’enfance, quel
que soit le mode de traitement dont l’enfant est l’objet,
celui-ci sera toujours considéré comme non participant
et comme non contribuant à la société qui est la sienne.
C’est de ce point de vue qu’il est, non seulement possible, mais nécessaire de faire appel à une conception
anthropologique de l’enfance, qui déborde le traitement social particulier, en l’occurrence politique, dont
l’enfant fait l’objet dans les diverses sociétés. Il existe
bien un état d’enfance, avec des caractéristiques sur
lesquelles il faut insister pour bien comprendre, par différence, ce qu’il en est de celles que présente, dans
nos sociétés occidentales, l’adolescent. L’existence
de cette généralité de l’état d’enfance (au-delà du fait
qu’on n’assiste qu’à des formes de prise en charge particulières, et donc aucunement universelles, de l’enfant
selon les sociétés dans lesquelles il vient s’inscrire) offre
un démenti radical aux considérations contemporaines
qui, au nom de l’application à tous des principes individualiste et démocratique, contestent la spécificité d’un
tel état d’enfance en le réduisant à une forme sociale
d’assujettissement et donc à une minorité opprimée.
Les pratiques initiatiques attirent toutefois notre attention sur un autre point, plus important encore en ce qui
concerne notre questionnement, qui va nous mettre sur
la voie des processus que supposent la participation et
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– 21 –
la contribution au social, quelle que soit la société prise
en exemple.
La justification de ces pratiques initiatiques, telle qu’elle
nous est rapportée par les ethnologues, se révèle être
toujours la même, quelle que soit la société concernée. Il
s’agit pour le postulant de « mourir à l’enfance ». Autrement dit, toutes ces manifestations ont pour objectif
de marquer de manière explicite la sortie de l’enfance.
Elles mettent en scène symboliquement, à travers les
épreuves que doit affronter le futur initié, la rupture
avec l’état d’enfance et la forme de rapport social qu’il
suppose. Ces épreuves ouvrent dans le même temps
le nouvel initié à sa société et l’argument invoqué est
alors celui de la « renaissance », en l’occurrence d’une
naissance véritable au social. Le nouvel initié compte
à présent comme citoyen à part entière et il va pouvoir
contribuer à sa mesure à la marche de la société dans
laquelle il vient s’inscrire avec un statut radicalement
différent. On aurait toutefois tort de s’imaginer que ces
pratiques initiatiques ne valent que dans des sociétés
très éloignées des nôtres, à la fois dans l’espace et
dans leur mode d’organisation. Nos sociétés ont eu les
leurs jusque l’invention de notre adolescence qui n’est
finalement qu’un état de marge prolongé à l’extrême.
Le jeune Grec s’arrachait déjà de la même façon à la
nature, à travers une série de rites et de procédures
symboliques que les historiens se sont attachés à nous
restituer dans leur diversité et leur complexité. Plus près
de nous, Rousseau, qui employait le terme d’adolescence (peu, toutefois), évoquait clairement à son propos
une « seconde naissance », à partir de laquelle l’homme
s’ouvrait « véritablement à la vie ».
« On tue un enfant »
donnée. Si l’on passe à présent du champ de l’ethnologie à celui de la psychanalyse, on observe une analogie frappante du point de vue des processus auxquels
il est fait appel. Freud, déjà, avait souligné l’importance
d’un meurtre symbolique qui était celui du père (à travers ce détachement nécessaire dont il a été question
plus haut – tâche qui s’impose à tous et à chacun, insistera Freud). « Il faut tuer le père », disait-on couramment
à sa suite, il y a encore peu de temps. Tuer le père revenait en l’occurrence à rompre avec le type de relation
non réciproque que suppose l’enfance. Celui qui n’avait
pas « tué le Père » était demeuré dans une forme de
dépendance à son égard, et donc à l’égard d’autrui
en général. Il s’agissait là d’un meurtre symbolique,
c’est-à-dire d’une opération effectuée dans un registre
qui n’a rien à voir avec la réalité matérielle, opération
à partir de laquelle il devient possible, pour tout un
chacun, de se poser dans sa singularité et dans son
identité propre vis-à-vis d’autrui. Ce meurtre du père,
Freud l’avait postulé, en raison de l’ancrage encore
évolutionniste de sa pensée, à l’orée des temps, à une
époque où les hommes étaient censés avoir vécu sous
la forme d’une horde sauvage, au même titre que les animaux et donc en dehors de toute humanité. Ils avaient
été en mesure d’accéder à cette humanité à partir précisément de ce meurtre qui les avait fait rompre avec un
père omnipotent, possédant en outre tous les titres de la
jouissance dont eux-mêmes étaient dès lors privés. Lacan
précisera qu’il n’est point besoin de remonter à l’orée des
temps pour comprendre ce qu’il en est de ce meurtre fondateur : l’opération doit se faire en chacun de nous. Nous
avons tous à installer, du point de vue de notre économie
psychique, la dimension du « Père mort » et ce indépendamment de toute forme d’héritage.
L’enjeu des rites d’initiation est donc bien la mort de
l’enfance, c’est-à-dire la rupture avec un mode d’être
qui suppose un certain type de relations dont on dira
qu’il est incompatible avec le fait d’être, au sens plein,
protagoniste d’un échange, dans le cadre d’une société
Ce meurtre du père constitue en définitive le pendant
du meurtre de l’enfant, puisque, s’il n’est pas réalisé,
c’est l’enfance qui perdure comme seul mode d’appréhension de la réalité sociale. Et il est de ce point de vue
possible d’envisager un lien beaucoup plus précis entre
l’enseignement de la psychanalyse et ce que l’ethnologie
nous a révélé à travers le phénomène de l’initiation. Car
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la psychanalyse évoque également de manière explicite le meurtre de l’enfant, au-delà de celui du père,
même si le second constitue en fin de compte une autre
façon d’envisager la nécessité du premier. Un auteur
résume notamment, de manière très précise, l’enjeu
pour celui qui ne peut demeurer dans l’état d’enfance.
Il s’agit de Serge Leclaire, psychanalyste auquel on
doit un remarquable petit ouvrage, déjà ancien, qu’il
a significativement intitulé On tue un enfant. Dans ce
travail, il commence par affirmer que dans le cadre de
la cure analytique, il s’agit sans cesse de faire disparaître un enfant. C’est à un travail de ce type, ajoute-t-il,
que doivent se livrer aussi bien le psychanalyste que
l’analysant. Voilà qui, de prime abord, n’est pas sans
surprendre, surtout à notre époque qui confère à la
protection de l’enfance une place souvent démesurée,
du moins sur le papier. La mort de l’enfant, souligne
Leclaire, fait immédiatement appel à une dimension
d’insupportable. On retrouve l’horreur sacrée et Dieu
lui-même arrête la main d’Abraham prêt à lui sacrifier,
à sa demande, son enfant. La pratique de la psychanalyse, explique notre auteur, met en évidence le travail
constant d’une force de mort qui vise donc l’enfant.
L’enfant que le psychanalyste prend ici en compte est
un enfant dont il insiste sur le caractère merveilleux.
Il est merveilleux dans la mesure où il est avant tout
traversé par ce qui émane du désir et de ses aléas.
En d’autres termes, il s’agit d’un enfant rêvé, d’un
enfant idéalisé, tel celui que les parents désirent pour
leur progéniture, mais tel également que nous pouvons souvent nous représenter notre propre enfance
à travers les souvenirs que nous en avons, même s’ils
ont été depuis refaçonnés (du fait d’abord qu’ils nous
ont la plupart du temps été rapportés par nos parents,
mais aussi du fait que nous avons conféré à ces événements une valeur qu’ils n’avaient pas nécessairement pour nous au moment où nous sommes censés
les avoir vécus). Merveilleux, il n’en demeure pas
moins un enfant et en tant que tel, il doit donc être
l’objet d’un meurtre nécessaire.
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L’argumentation n’a pas grand-chose à voir, à première
vue, avec celle produite par les ethnologues. Elle est
pourtant pertinente et fondamentale par rapport à notre
questionnement sur les enjeux que recouvre chez nous
l’adolescence. Aucun ordre social, rappelle le psychanalyste, ne saurait nous dispenser de procéder à
ce meurtre en nous. Cette contrainte n’est pas extérieure, due à des orientations politiques initiées par nos
sociétés ; elle n’est pas non plus le produit de l’héritage constamment perpétré du meurtre du père de la
horde primitive à l’orée des temps (scénario, soit dit
en passant, qui n’est pas sans analogie, chez Freud,
avec la problématique religieuse du péché originel – ce
qui a été souligné par beaucoup) : elle est consubstantielle, si l’on peut dire, au mode de fonctionnement de
l’homme en tant qu’il participe de l’humanité, saisie
ici sous l’angle de sa participation et de sa contribution au social. L’homme vit en fin de compte « entre
deux morts » : celle qu’il lui faut nécessairement traverser pour assumer son existence propre et celle qui,
inexorable, le conduit au cimetière, voire dans l’au-delà
pour ceux qui sont croyants. La première, symbolique,
bien que d’une efficacité certaine, n’est surtout pas à
confondre avec la seconde, sous peine d’en arriver à
une solution comme le suicide. Qu’il faille se tuer pour
vivre humainement ne doit pas conduire à se supprimer
réellement, c’est-à-dire physiologiquement ! Le meurtre
nécessaire de l’enfant en nous répond à l’exigence d’un
deuil d’une représentation de plénitude, celle-ci étant
précisément l’inverse de l’incomplétude évoquée plus
haut à propos de l’Autre barré des auteurs lacaniens.
Un conflit interne
Il s’agit donc pour la psychanalyse également d’insister
sur la nécessité de faire disparaître un enfant, c’est-àdire de mourir à une forme d’être qui ne permet pas
l’affirmation de sa singularité et qui n’autorise pas du
même coup un échange véritable avec ceux qui nous
entourent et la société en général. Cette nécessité, il
nous faut la qualifier d’anthropologique, dès lors qu’elle
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renvoie aux fondements mêmes de l’humain saisi dans
son fonctionnement spécifique. Ethnologie, d’un côté,
psychanalyse, de l’autre, la mettent en avant et la font
valoir au-delà de la diversité des configurations sociales
comme des singularités psychiques. Toutefois, la psychanalyse affirme par ailleurs quelque chose de plus
intrigant encore, du moins en apparence : cette mort
nécessaire se révèle en même temps impossible. Voilà
qui semble profondément contradictoire ! Alors même
qu’il faut procéder au meurtre de l’enfant en soi, il
faut pouvoir reconnaître que ce meurtre ne peut être
accompli une fois pour toutes. Il est donc sans cesse
à perpétrer. L’enfant survit, un peu comme l’hydre de
Lerne, à toutes les tentatives faites pour l’annihiler.
Nécessaire, le meurtre apparaît de ce point de vue
irréalisable. Le deuil de cet enfant en nous, nous dit le
psychanalyste, est à faire et refaire continûment. Il ne
peut donc être question d’y renoncer. Ce serait humainement disparaître en ne se donnant plus de raison de
vivre (on ne persévérerait alors dans nos rapports avec
autrui que sur le seul mode de l’enfance). En même
temps, il faut se résigner à devoir reconduire constamment l’opération…
sociétés ? Le sujet des psychanalystes lacaniens étant
un sujet de l’inconscient et n’ayant par conséquent pas
d’âge par définition, rien ne permet pour beaucoup
de l’affirmer. Certains n’hésiteront pas à soutenir que
l’opération commence dès la naissance et on comprend que ce soit ces mêmes auteurs qui en viennent à
récuser toute spécificité à la période de l’adolescence.
D’autres psychanalystes, travaillant auprès d’adolescents et soucieux de rendre compte des particularités
de prise en charge que cette population leur renvoie,
saisiront bien ce meurtre comme coextensif à l’entrée
dans l’adolescence, au même titre que Freud. L’enfant
reste un sujet en instance, soutiendront certains, le
moment de l’adolescence étant véritablement celui où
l’on naît au monde et où on ne s’autorise plus que de
soi-même.
Le psychanalyste d’obédience lacanienne, qui fait du
seul langage la spécificité de l’homme et qui étend
donc le sens de ce terme jusqu’à le faire équivaloir
à la totalité des activités humaines, voit évidemment
dans cette opération la condition d’une naissance et
d’une constante renaissance à la « parole », en même
temps qu’au désir. Le meurtre est à perpétrer à chaque
fois qu’on se met à parler vraiment, soutiendra-t-il. En
conférant à un tel propos le sens métaphorique qu’il
recouvre en réalité, on en étend très sensiblement la
portée puisqu’il s’agit alors, non seulement de prendre
la parole, mais d’affirmer de toutes les façons sa singularité et donc son existence propre, dans un rapport
constant à un autrui posé dans sa différence. Reste
également à régler la question de l’âge auquel une telle
opération se déroule pour le psychanalyste. Est-elle
vraiment contemporaine de l’entrée dans l’adolescence
dans nos sociétés ou des rites initiatiques dans d’autres
Ethnologie et psychanalyse se rejoignent donc sur
la nécessité de mourir à l’enfance pour s’ouvrir à un
autre type de rapport avec autrui et pour prendre véritablement part au social. La psychanalyse prolonge
toutefois l’analyse proposée par l’ethnologie. Celle-ci
nous éclaire sur l’importance pour la société de mettre
en scène et de résoudre un conflit entre deux phases
de la vie de l’homme, l’enfance et l’âge dit adulte. La
psychanalyse permet, quant à elle, de comprendre ce
qui se joue pour chaque homme à travers des rites qui
valent pour tous. Elle approfondit les processus qui
opèrent au niveau de chacun des acteurs, pourrait-on
dire en reprenant le vocabulaire qui s’impose actuellement dans le champ de la sociologie. Cet « acteur »,
posé comme un postulat, n’est au demeurant jamais
réellement défini du point de vue des processus qui
fondent son existence. Quoi qu’il en soit, la société
prend implicitement en compte ces processus dans la
mesure où ils ont des effets dans le social et où il s’agit
de marquer un seuil ou une rupture qui se répercute
sur les modalités de l’être ensemble. L’origine de ces
processus se trouve cependant en chaque homme ; la
société les révèle, elle en prend acte à sa façon, mais
elle ne les détermine pas. Il faut comprendre, à l’inverse,
que ce sont ces processus qui déterminent le social, en
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– 27 –
ce sens qu’ils déclenchent en chaque homme la possibilité même de s’y ouvrir.
Le conflit, montre la psychanalyse, est un conflit interne
à chacun d’entre nous. Du même coup se trouve
dépassée la contradiction entre ceux qui affirment
que l’adolescence n’entraîne pas nécessairement un
conflit et ceux qui, dans la suite de la psychanalyse,
soutiennent l’inverse. Le conflit existe toujours, mais il
est d’abord interne et il ne s’actualise pas nécessairement dans le social et dans l’entourage. Les psychologues cliniciens et les psychiatres connaissent bien
ce problème : un adolescent peut ainsi ne laisser voir
quasiment rien du difficile conflit qu’il éprouve et qui le
mènera éventuellement à des formes de dépression,
voire à des conduites suicidaires. Les sociologues ont
de leur côté raison de faire remarquer que, dans nos
sociétés, adolescence ne rime pas nécessairement avec
affrontement et provocation ouverte vis-à-vis de l’entourage ou de la société. Il est par exemple frappant de voir
que lorsqu’on interroge les adolescents sur le rapport
qu’ils entretiennent avec leurs parents, ils répondent très
majoritairement (à plus de 70 %) que ceux-ci tiennent
somme toute correctement leur rôle, alors que ces
mêmes parents s’imaginent, dans une proportion bien
supérieure à 30 %, qu’eux-mêmes sont en difficulté
avec leur adolescent.
Il n’en demeure pas moins que le conflit caractérise
cette période de la vie. Il est même inaugural, en ce sens
qu’il enclenche un processus dont il faut à présent comprendre qu’il durera toute la vie. Si, en effet, l’enfance
perdure par-delà le meurtre dont elle est incessamment
l’objet, le conflit que la sortie de l’enfance inaugure et
auquel chaque homme se trouve contraint ne cesse
jamais. Sans nul doute, les premières années, après
la sortie de l’enfance, seront-elles plus remarquables
dans la mesure où les repères qui vont permettre de
soutenir par soi-même son existence sont véritablement à installer. Encore faut-il insister sur le fait que les
manifestations de ce conflit seront fortement dépendantes de l’offre de la société, c’est-à-dire des appuis
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que le nouvel initié ou l’adolescent trouvera autour de
lui. L’analyse sociologique reprend ici ses droits. C’est
cependant son histoire qu’il commence à écrire, à partir
des rencontres qu’il va faire et des opportunités dont il
va s’emparer, et celle-ci se déploiera jusqu’à sa mort.
L’émergence
à la personne
La contingence de l’être
Il importe de préciser plus encore ce qu’il en est de ce
seuil auquel se trouvent donc confrontées toutes les
sociétés et de définir les caractéristiques de cette problématique dont il est dit qu’elle vaut de manière générale. À travers elle, il est en fin de compte fait appel à
un ordre de processus qui vaut indépendamment des
conditions historiques dans lesquelles il va se déployer
et qui peut donc être posé pour cette raison comme
« général ». Beaucoup récusent l’existence d’un tel
ordre général de processus. Ils arguent du fait que
l’hypothèse serait métaphysique, c’est-à-dire qu’elle
conduirait à renouer avec une tradition situant l’explication de l’homme en dehors de lui et évacuant notamment l’importance du social. Pourtant, c’est bien à un
principe général de cet ordre que nous renvoie la problématique sous-tendant la question de l’adolescence.
La nécessité d’opérer ce meurtre de l’enfant dont il a
été longuement question, ainsi que la renaissance qui
en découle, obligent à comprendre que l’on touche ici
au fondement même du social. C’est au social et aux
processus généraux qu’il requiert que le nouvel initié,
comme l’adolescent dans nos sociétés, s’ouvre, même
si c’est à une société précise, avec ses usages propres,
qu’il va s’agréger. Ce n’est nullement nier l’importance
du social que de rappeler que tout homme, contrairement aux autres êtres vivants (pour lesquels ni la question de l’initiation, ni celle de l’adolescence ne se pose),
met en œuvre, sans même s’en rendre compte, des lois
qui le rendent capable de vivre avec ses semblables
quelle que soit la société dans laquelle il va s’insérer. Il
s’agit, bien au contraire, de comprendre ce qui va permettre à un homme de faire avec la société dans laquelle
il a à s’insérer.
– 31 –
Ce principe du social, certains ont essayé de le saisir en
parlant de Loi, avec un grand L, tout homme étant alors
censé se confronter au principe de la Loi, par-delà les
lois, c’est-à-dire les usages, codifiés ou non, qui valent
dans une société donnée. D’autres, à la suite de Freud,
ont insisté sur la dimension du Père, lequel, en tant que
principe (d’où le P majuscule), n’a pas de sexe et n’est
pas non plus réductible à la figure qui va l’incarner. Il
s’agit toujours de remonter au fondement de la Loi,
c’est-à-dire à ce qui permet de s’ouvrir à des relations
plurielles et donc de nouer du lien social. Et Lacan de
rappeler que c’est sur le Nom-du-Père (ou la « métaphore paternelle ») qu’achoppe le psychotique : faute
de pouvoir faire avec ce principe, le monde dans lequel
il s’inscrit lui apparaît incohérent, sans possibilité d’un
quelconque ancrage. Jean Gagnepain choisira, quant à
lui, de parler de « Personne » pour désigner ce principe.
La personne répond dès lors à cette capacité générale,
présente en tout homme, qui permet, non seulement
de s’inscrire dans du social, quel qu’il soit, mais d’en
être au principe même. Tout homme se situe au principe du social dès lors qu’il est précisément sorti de la
période de l’enfance. Par conséquent, il est possible de
reformuler la problématique, non pas de l’adolescence
en elle-même, mais de ce qu’elle recouvre, en parlant
d’une « émergence à la Personne ». Il faut dès lors bien
comprendre que la Personne désigne ici un processus,
non réductible à une forme d’idéal humaniste et surtout
pas à une réalité immédiatement saisissable à travers
tel ou tel individu. Tel est l’enjeu qui s’exprime à travers
cette fameuse mort à l’enfance, immédiatement suivie
d’une renaissance, c’est-à-dire d’une naissance véritable au social.
Être revient en l’occurrence à n’être pas réductible à
celui que nous étions lorsque nous étions enfant et,
surtout, à ne pas en demeurer au type de relation avec
l’entourage que cette forme de présence au monde
supposait. Cette façon de définir la Personne pourra
paraître bien étrange. Or, c’est à cette forme de négativité que s’ouvre l’adolescent. Elle se traduit d’abord
chez lui sous la forme d’une opposition fréquente à son
entourage immédiat, à partir de laquelle il devient possible de soi-même se positionner. « Il conteste par principe, dit ce père. Il va prendre exactement la position
inverse de la nôtre. » Contester, c’est en même temps
faire appel à un témoin, donc à la dimension d’un autre,
d’un tiers, qui permet de se situer vis-à-vis de son interlocuteur dans l’échange. À propos des sorties, surtout
le soir, question qui fait régulièrement problème dans la
vie de famille, le jeune adolescent va faire valoir à ses
parents que son meilleur copain est depuis longtemps
autorisé à rentrer tard la nuit. Il ajoutera même qu’il n’y
a plus qu’eux, parmi tous les parents qu’il connaît, à
s’obstiner dans un tel refus ! « Les copains, eux, ont le
droit ! » et ce droit relève de l’ordre des choses, tel que
l’adolescent se le représente désormais.
On insistera sur le fait que la Personne se fonde sur une
forme de négation ou de négativité : il s’agit, en mourant
à l’enfance, de faire disparaître, sans y parvenir totalement, une partie de soi-même. Être (socialement), c’est
donc ne pas être (ce que l’on était lorsque nous étions
enfant) ; naître (au social), peut-on dire encore, c’est
n’être (pas). Où le « to be or not to be » d’Hamlet se
transforme en un surprenant « to be and not to be »…
Confronté à cette dimension de négativité en lui-même,
l’adolescent ne s’y retrouve plus, au sens strict : il n’est
dorénavant plus le même que ce qu’il était naguère,
lorsqu’il était enfant. Les psychologues ayant traité de
l’adolescence ont tous souligné le fait que l’adolescent
vit cette singulière expérience d’une sorte de dépersonnalisation, au sens courant du terme, au moment même
où il conquiert sa propre identité. Aussi va-t-il chercher
à définir ses propres limites ; il va en quelque sorte se
mettre à l’épreuve de lui-même, en même temps qu’il
s’éprouve en se confrontant à l’autre. On connaît sa
propension à se lancer dans des expériences comme
l’alcool ou la drogue. L’adolescent y trouvera sans
doute une forme de désinhibition et un moyen rapide
de développer ses fantasmes, mais elles constituent en
même temps pour lui des formes de rituels. La « piste »
associe ainsi en Bretagne une forte alcoolisation à une
sortie en groupe ; elle signe l’accès à une nouvelle
– 32 –
– 33 –
forme d’existence sociale. On comprend que le discours
hygiénique culpabilisant, à propos de la cigarette par
exemple, n’ait pas auprès des jeunes l’effet escompté.
Les rites de passage n’étant plus aujourd’hui mis en
place par nos sociétés, l’adolescent va s’en conférer à
lui-même. Il lui faut délimiter un seuil, y compris sur le
corps dans les formes de marquage que constituent les
tatouages, les piercings et les scarifications.
Pris dans le conflit sur lequel nous avons insisté, l’adolescent se trouve en fait divisé d’avec lui-même ; il ne
coïncide plus avec ce qu’il était, ni d’ailleurs avec ce
qu’il est à présent, au sens où, nous allons y revenir,
il ne se réduit jamais au rôle qu’il épouse dans telle ou
telle situation. On comprend que la question qui assaille
l’adolescent soit effectivement celle de son identité : qui
suis-je donc à présent (que je ne suis notamment plus
ce qu’enfant j’étais) ? Et ce n’est pas foncièrement pour
lui une affaire de conscience, mais d’éprouvé ou plus
exactement de vécu : il se vit autre, autre qu’il n’était et
en même temps autre par rapport à ceux avec lesquels il
entre en relation. C’est d’ailleurs par la même opération
qu’il se vit comme autre et qu’il s’ouvre à l’altérité de
l’autre. Pour le dire autrement, en se faisant autre qu’il
n’est, il éprouve sa propre différence et il saisit en même
temps celle de l’autre.
La personne, en tant que capacité ouvrant au principe
du social ou à ce qu’on peut dès lors appeler la « socialité », se fonde donc sur une abstraction, en l’occurrence
une absence. L’adolescent s’absente de lui-même, mais
il s’absente en même temps de la situation dans laquelle
il se trouve pris. Ce n’est en effet que dans la mesure où
son être n’est réductible à aucune des situations dans
lesquelles il se trouve engagé qu’il peut non seulement
répondre présent à toutes, mais encore entrer constamment dans de nouveaux rapports. Ainsi, échangeant
avec un enseignant sur un point particulier, il va pouvoir faire appel aux discussions qu’il a par ailleurs sur
le même thème avec ses parents ou avec ses amis et
prendre véritablement position dans le débat. Inversement, il tirera argument auprès de ses parents ou de
– 34 –
ses amis de la discussion qu’il a eue avec l’enseignant
pour asseoir son propre point de vue dans cet autre
débat. Autrement dit, sa présence dans une situation,
quelle qu’elle soit, suppose qu’il ait toujours la possibilité de s’en évader pour participer à d’autres situations.
En même temps qu’il est présent, il est donc absent,
une partie de lui-même étant prête à s’investir dans
d’autres relations dans lesquelles il se situera différemment de ce qu’il donne à voir dans celle-là. Cette
dimension d’absence, qui introduit une distance fondamentale à la situation et surtout une contradiction
avec la présence effective, d’autres l’ont depuis longtemps saisie en évoquant un « ailleurs » structurant, un
« tiers » fondateur, voire un « Autre » barré et vide. Le
tiers est ce non-présent, cette place autre, vide dans
le principe, à laquelle chacun des protagonistes peut
virtuellement en appeler pour que l’échange fonctionne réellement et ne se résume précisément pas à
leur simple présence dans la situation. L’adolescent ne
va pas se priver de faire fonctionner cette dimension
autre dans ses échanges avec son entourage ; elle va
lui permettre de tenir tête à ses interlocuteurs. Alors
que l’enfant ne peut, lui, faire avec cette absence : il est
dans une forme de constante présence à la situation ;
il y adhère et ne peut prendre de distance par rapport
à elle. Aussi bien reste-t-il anthropologiquement prisonnier d’une relation asymétrique et finalement tutélaire.
C’est de ce type de présence au monde que s’évade
l’adolescent en émergeant à la Personne.
Le monde de l’adolescent est dorénavant celui de la
relativité ; il lui faut faire avec la dimension de l’arbitrarité, non pas au sens de ce qui est abusif et injuste,
mais au sens de ce qui ne découle d’aucune raison
ancrée sur des faits intangibles, dont pourraient par
exemple rendre compte les lois des sciences de la
nature. Il se confronte ainsi à l’arbitrarité de la Loi et
au fait, très étrange à première vue, quelle ne se fonde
sur rien d’autre que sur elle-même. Toute loi est en effet
relative et donc discutable, puisqu’elle n’est jamais que
l’effet d’une convention qui peut être à tout moment
renégociée et donc remise en question. « Vérité en deçà
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des Pyrénées, erreur au-delà », résumait ainsi Pascal.
L’adolescent découvre cette arbitrarité et, bien qu’elle
le surprenne, il l’assume en ne se privant pas non plus
de la faire jouer : il fera remarquer, non sans raison, qu’il
est toujours possible de réviser la loi et donc de procéder autrement qu’on ne le fait à travers celle qu’on lui
oppose. Pourquoi à la maison opère-t-on de la sorte à
propos de telle règle de vie qui s’est imposée jusque-là
à l’ensemble de la famille ? Pourquoi le professeur au
collège ou au lycée exige-t-il un devoir toutes les deux
semaines, alors qu’il serait tout à fait envisageable de
n’en faire qu’un par mois ? Pourquoi encore cet arrêté de
la mairie limitant l’usage du terrain de skate-board ou de
vélo-cross ? À chaque fois, l’adolescent met le doigt sur
un réel problème en soulignant la relativité et la variabilité des usages. Il va pourtant lui falloir faire avec cette
arbitrarité, tout groupe social, à quelque niveau qu’on le
prenne et quelle que soit son étendue, ne pouvant faire
qu’avec des lois qui rendent possibles les échanges,
aussi relatives et critiquables soient-elles. C’est d’ailleurs ce que les adultes ont à rétorquer à l’adolescent :
il en est ainsi, pour le moment, même si cela peut être
éventuellement discuté et remis en cause.
On comprend dès lors que l’adolescence soit l’âge de
l’ouverture aux questions existentielles. Elles surgissent
dès lors qu’il vit en lui cette forme d’étrangeté qui
découle de cette absence à soi-même et aux autres et
de cette non-coïncidence avec lui-même. Où est-il vraiment ? Qui est-il dorénavant ? L’enfant ne connaît pas
ces interrogations existentielles, ce qui ne veut aucunement dire qu’il ne pose pas de questions. Ses questions
ne portent toutefois pas sur le « sens de la vie », même
si elles témoignent de réelles curiosités et parfois d’indéniables souffrances. L’enfant ne se prive pas de tester
l’adulte en essayant d’obtenir de lui ce qu’il veut, malgré
le refus qui lui est opposé ; il ne met cependant pas en
cause fondamentalement l’univers social dans lequel il
vit, alors que l’adolescent va l’interroger en remontant à
ses fondements mêmes. Là où l’enfant lance un « c’est
pas juste ! » (pourquoi tu ne me donnes pas le droit ?),
l’adolescent questionne la base même du droit et des
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usages en vigueur (ce n’est pas à toi de me dire ce à
quoi j’ai droit !). En empruntant aux philosophes, on peut
soutenir que la sortie de l’enfance expose à la fameuse
contingence de l’existence. L’adolescent est conduit à
se demander, même si ce n’est pas toujours de manière
explicite, de quoi ce monde dans lequel il baigne se
soutient en définitive. Quelle est l’assise même de cette
construction à laquelle il se confronte, si tout est relatif ?
Où sont donc les points d’ancrage dont il paraissait
pouvoir se satisfaire étant enfant et qui faisaient que
l’édifice tenait ? D’un seul coup, tout devient également
possible, dès lors que tout est relatif et contingent. Aussi
bien, notre adolescent est-il amené à se demander de
quoi lui-même se soutient… Et l’on comprend dès lors
ce que veut dire Marcel Gauchet lorsqu’il énonce que
« nous devenons véritablement des individus au sens
psychique en assumant la contingence qui préside à
notre existence6 ». On ne s’étonnera pas non plus du
fait que nombre d’auteurs aient pu soutenir que l’adolescence est l’âge de l’errance ; elle est également celui
où l’on s’ouvre au hasard, à la mise en abyme, à l’infini
comme à la finitude, toutes perspectives qui échappent
précisément à l’enfant.
La recherche des origines
On en arriverait ainsi à dessiner un portrait de l’adolescent parfait philosophe. Il est certain qu’il est mûr
pour l’interrogation philosophique, dès lors qu’il en vient
nécessairement à s’interroger sur lui-même et sur les
autres. Toutefois, la relativité avec laquelle il doit faire le
conduit tout autant à se questionner sur le monde physique ; ses interrogations ne sont pas qu’existentielles. Il
se situe dans un nouveau type de rapport au processus
de la connaissance, du fait de son ouverture à la relativisation, ainsi qu’à des notions comme le hasard, l’infini
ou encore les proportions ; il entre surtout dans une relation au savoir totalement différente, puisque celui-ci ne
vaut plus par lui-même, qu’il est affaire de capitalisation
6. Marcel Gauchet, L’impossible entrée dans la vie, coll. « Temps
d’Arrêt / Lectures », Yapaka, Bruxelles, 2008, p. 29.
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sociale, donc d’histoire et de négociation. L’adolescent
va jusqu’à interroger le savoir dans ses fondements, et
ce dans tous les registres. Il ne peut plus être à ses yeux
l’affaire d’une personne, qui le détiendrait tout entier,
tel le parent ou l’instituteur pour l’enfant ; à présent, il
devient discutable et discuté, il est spécialisé, scindé en
disciplines, en matières enseignées par des professeurs
différents. Il n’est plus simplement un objet éventuel
de curiosité, il donne lieu à débat, du moins lorsque la
forme de l’enseignement le permet. Les transformations
que l’enseignement secondaire introduit par rapport à
l’enseignement primaire s’appuient d’ailleurs sur les
nouvelles possibilités et sur les nouvelles attentes de
l’adolescent, même s’il est certain que tous ne quittent
pas l’enfance au même âge et n’arrivent donc pas au
collège avec les mêmes atouts. Le collégien doit se
prendre en charge, il a à gérer son cahier de texte ou
son agenda, il doit changer de lieu à chaque nouveau
cours, se confronter à chaque fois à un nouvel adulte…
Bref ! Il est mis à nouvelle épreuve, parce qu’il est dans
un nouveau rapport au savoir et aux relations sociales
en général.
lui-même ! Bien évidemment, l’adolescent ne raisonne
pas explicitement de la sorte ; il est loin de prendre une
conscience claire des processus qui l’agitent. Pourtant,
c’est ce qu’il va venir éprouver : il n’est plus pour lui
qu’un seul point de repère dans ce monde instable et ce
point de repère, c’est finalement lui. Il devient la source
du monde, au sens où ce n’est plus qu’à partir de lui que
les choses peuvent prendre une forme de consistance.
Confronté à un monde où tout est relativisable et où
lui-même se cherche, l’adolescent paraît véritablement éprouver cette « insoutenable légèreté de l’être »
qu’évoquait le romancier Milan Kundera. Que pèse-t-il,
en effet, dans cette sorte de tourmente dans laquelle il se
trouve pris ? Cette arbitrarité, cette absence sur laquelle
il fonde dorénavant son être lui ouvrent incontestablement des horizons nouveaux, mais elles sont en même
temps facteurs d’inquiétude. Ce qui lui permet de se
situer de manière tout à fait originale dans le monde qui
l’entoure et dans ses relations avec autrui est en même
temps, de manière paradoxale, ce qui peut le conduire à
ne plus du tout s’y retrouver. La relativité qu’il découvre
et avec laquelle il doit dorénavant faire lui ôte tout point
fixe auquel se raccrocher de manière certaine. S’il en
vient à se questionner sur ce qui soutient l’univers qui
l’environne, s’il ne peut plus se fonder pour lui-même sur
les repères qui lui assuraient jusque-là une assise, il ne
lui reste plus qu’une seule perspective : faire retour sur
Installé dans sa différence, travaillé par sa singularité,
rompant avec toute forme de tutelle sur le mode de
son expérience enfantine, l’adolescent se fait point
d’origine du monde. Naissant au social, par rupture,
il en devient du coup l’ordonnateur, en même temps
qu’il s’y ordonne ; il devient non seulement acteur du
social, mais auteur du social, même s’il ne peut se
revendiquer, nous y reviendrons, que comme coauteur.
Il descend d’abord ses parents du piédestal sur lequel,
enfant, il les avait installés. À présent, c’est lui qui sait ;
il ne va plus aller chercher chez eux la réponse à ses
questions. C’est presque un « Ni Dieu, ni maître » qu’il
lance désormais. Il s’essaie d’ailleurs dans la recherche
d’une signature. « Je n’ai pas choisi de naître », vient-il
à l’occasion opposer à ses parents. Parfois, il va même
jusqu’à risquer un « Je n’ai pas choisi mes parents ».
Il leur affirme, en somme, qu’il ne leur doit rien. L’adolescent marque en même temps sa singularité de toutes
les manières possibles, notamment celles qui vont le
faire se distinguer et qui concernent donc son apparence. Cela touchera particulièrement sa coiffure, sa
façon de s’habiller ; s’y ajoutent aujourd’hui les modifications et ornementations du corps. À cet égard, on
ne saurait trop insister sur la créativité d’une génération
par rapport à celles qui la précèdent : elle concerne évidemment la coiffure et le vêtement, toujours susceptibles de connaître de nouvelles transformations (tel le
port très bas du pantalon), mais elle s’empare aussi, de
nos jours, du corps sous des formes qu’on ne pouvait
même pas imaginer quelques décennies auparavant
(le piercing ou les scarifications paraissant réservés à
des populations « primitives »). On peut sans risque
parier que les générations à venir inventeront d’autres
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manières de se singulariser auxquelles nous sommes
même incapables de penser.
Bien évidemment, la société n’a pas attendu que l’adolescent arrive pour fonctionner ; elle est déjà là lorsqu’il
naît et elle le saisit même d’emblée, en tant qu’enfant
d’abord, à travers ceux qui l’éduquent, puis en tant
qu’adolescent et ensuite en tant qu’adulte, nanti des
titres qui y assurent, du moins dans le principe, une
pleine place. Il n’en demeure pas moins qu’au-delà de
la période de l’enfance durant laquelle il s’inscrit dans
la société par procuration, « porté » qu’il est par ses
parents et par ceux auxquels ils délèguent leur responsabilité d’éducateurs, ce n’est qu’à partir de lui que
le monde social va prendre forme et sens. C’est lui,
l’adolescent, qui va introduire de la cohérence dans le
monde en se faisant le point zéro à partir duquel tout
peut dorénavant se mesurer. Certes, toute société présente une forme nécessaire de cohérence et vise en
même temps une cohésion de ses membres, même
si elle n’y parvient jamais tout à fait, certains demeurant, durablement ou pas, à l’écart de ses lois et de ses
usages. Mais le social, nous l’avons suffisamment souligné, n’est pas simple affaire d’introjection de la loi et
de conformité à des usages ; il ne suffit pas à s’imposer
par lui-même dans son homogénéité. L’initiation, par
exemple, permet d’introniser de nouveaux membres à
une société donnée ; ce faisant, celle-ci leur offre une
forme de reconnaissance qui est importante et nécessaire. Toutefois, la société ne fait en l’occurrence que
prendre en compte un processus qui opère en chacun
de ceux qui sont initiés. Ce processus, nous l’avons
donc résumé en évoquant la sortie de l’enfance.
sont censées le lui permettre ou l’y contraindre. Encore
faut-il qu’il en ait par lui-même la capacité. Encore
faut-il qu’il ait émergé à la Personne. Nulle intervention
extérieure ne la lui conférera ; il faut qu’il en soit par
lui-même au principe. Autre chose est la reconnaissance que sa société lui apportera à cette occasion.
Cette reconnaissance est essentielle, nous l’avons dit,
mais elle n’est pas déterminante au sens où ce n’est pas
elle qui est au principe du processus qui s’enclenche
chez celui qui sort de l’état d’enfance. Aussi bien doiton conclure que c’est celui qui a émergé à la Personne
qui crée en lui la possibilité même d’un fonctionnement
social. Il devient capable de s’inscrire dans une société
donnée, parce qu’il dispose du principe du social.
Il ne peut donc suffire qu’une société décrète la fin de
l’enfance pour qu’elle soit effective. C’est là, précisément, le problème contemporain auquel se trouvent
confrontés ceux qui veulent faire de l’enfant un individu au même titre qu’un autre et qui donc nient toute
spécificité à l’enfance. L’enfant ne quittera pas son
enfance au seul motif qu’il est à présent sommé de le
faire et qu’il est mis dans de nouvelles conditions qui
Le fonctionnement social ne se réduit bien évidemment pas à cet aspect du problème. Il requiert cependant, comme condition première, qu’en chacun de ses
membres, la capacité de faire du lien social soit présente. La pathologie des psychoses nous le prouve, par
la négative, puisque c’est cette capacité qui fait problème chez ceux qui en sont affectés. Les psychoses
constituent en quelque sorte une pathologie de l’altérité :
loin d’être donc produit par la société, comme certains
ont pu le croire naïvement, le processus psychotique
répond à l’incapacité, jamais totale en l’occurrence, de
créer en soi les conditions d’une rencontre avec autrui
et d’un réel échange. Aussi bien, l’adolescent vient-il,
à sa façon, confirmer le propos du philosophe Protagoras : il est, en tant qu’homme anthropologiquement
complet, la mesure de toutes choses et plus précisément ici du monde social dans lequel il s’insère. Jean
Gagnepain proposait de comprendre l’enjeu de cette
ouverture au social chez tout homme, à partir donc,
chez nous, de l’adolescence, à travers la formule suivante, au premier abord fort surprenante : « Chacun
d’entre nous est le premier homme. » Il rejoignait ici
l’inspiration d’un Jacques Lacan qui, contestant avec
raison l’héritage évolutionniste qui a perduré chez
Freud, resituait en chacun de nous l’opération consistant à tuer le père et y faisait jouer en fin de compte un
principe d’origination. L’adolescent se place d’emblée à
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l’origine du monde et il est en même temps à l’origine de
lui-même, aussi surprenant que cela paraisse. De cette
origination du monde et de cette auto-fondation, sur
laquelle ont seuls insisté jusqu’ici les psychanalystes,
nous ne cessons de mesurer les effets dans le moindre
de ses comportements.
Les perspectives qui s’ouvrent à l’adolescent sont
à première vue sans limite : le monde s’offre à lui et il
est en mesure de le rebâtir. Tous les observateurs de
l’adolescence ont souligné cette ambition étrange
et démesurée qui envahit l’adolescent, même si elle
ne se manifeste pas nécessairement par de grands
éclats pour son entourage. Encore fallait-il l’expliquer
en la rapportant à des processus précis et ne pas se
contenter de la décrire. D’aucuns évoquent « l’exaltation
ombrageuse de son moi », ses « préoccupations égocentriques de nature plus ou moins métaphysique »,
sa « mentalité égotiste », etc. L’adolescent, concluait
joliment le psychologue Debesse, rêve « d’atteler son
char à une étoile ». Aussi bien, cet adolescent se présente-t-il d’abord comme foncièrement égocentrique,
ordonnant le monde à partir de lui-même. Le véritable
égocentrisme ne peut être le fait de l’enfant, dans la
mesure où il ne lui est pas possible de témoigner d’un
« ego ». En fait, l’adolescent affirme avant tout ici sa singularité, l’émergence à la Personne étant d’abord une
affaire de singularisation, bien que ne s’y réduisant pas.
Les parents ne cessent de se heurter aux manifestations
de cet égocentrisme. L’adolescent agit fréquemment
comme si les autres ne comptaient plus dans la famille.
Il rentre à l’heure qui lui convient, sans se soucier des
heures de repas, par exemple. Il se sert dès lors dans le
réfrigérateur quand bon lui semble, sans se demander
si ce dont il s’empare n’était pas nécessaire à la confection du repas suivant pour l’ensemble de la famille. « Ici,
c’est le self-service pour lui ! », « On est à son service »,
déplorent souvent les parents.
effet être saisi, pour l’essentiel, comme la revendication
d’une singularité qui doit être reconnue par la société.
Notre société puiserait en quelque sorte son idéal dans
cette phase essentielle du procès de socialisation que
met particulièrement en exergue l’adolescent qui, lui, la
découvre. Au risque, patent chez certains, d’oublier que
ce procès de socialisation ne peut se réduire à cette
singularisation. Comment serait-il possible, en effet,
de constituer encore une société si ne se manifestait
plus que du particularisme ? Ajoutons que si l’individualisme implique, ainsi qu’on l’affirme, un retour conscient
sur soi, donc une forme de « réflexivité », il ne peut se
faire jour que dans certaines conditions sociales : si la
société se révèle contraignante et fait prévaloir d’abord
et avant tout l’intérêt du collectif, cette affirmation de la
singularité de chacun ne pourra s’accomplir. Tel est le
cas des sociétés pratiquant l’initiation. Dans la nôtre,
qui fonctionne tout autrement, l’adolescence constitue
en revanche une période, voulue par la communauté,
particulièrement propice à une telle affirmation.
Du même coup, l’adolescent réalise l’idéal individualiste que nombre de chercheurs attribuent de nos jours
à l’homme contemporain. Cet individualisme peut en
Cette expression exacerbée de sa singularité n’est toutefois pas sans danger. Les auteurs travaillant la question de l’individualisme contemporain le rappellent : plus
l’individu se trouve libéré de toute contrainte extérieure
– et notamment de toute transcendance –, plus il est
renvoyé à lui-même et sommé de réussir socialement,
puisque, ayant la responsabilité pleine et entière de
ce qu’il est, il ne peut plus s’en prendre à quelqu’un
d’autre. Ainsi s’expliquerait, devant la difficulté à réaliser
un tel programme, l’abus de médicaments psychotropes
dans une société dont les membres déclarent massivement connaître des épisodes dépressifs. On comprend
en tout cas, en ce qui concerne l’adolescence, qu’on
ait pu abondamment parler de sa proximité avec les
phénomènes pathologiques, aussi bien sur le versant
névrotique que sur celui de la psychose ou de la perversion. Au demeurant, l’adolescence est la période à
partir de laquelle se déclenchent les psychoses, telles
qu’on les observe chez l’adulte. De là à affirmer qu’on
est nécessairement entré, durant cette période, dans la
pathologie, il n’y a qu’un pas qu’on ne saurait franchir
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aussi facilement. L’adolescent paraît la côtoyer, effectivement, d’autant plus qu’il ne s’est pas encore donné
les nouveaux repères qui lui permettront d’asseoir sa
personnalité. S’il s’en tenait à cette façon d’envisager
le monde qui l’entoure, il est certain qu’on serait proche
d’un fonctionnement pathologique. On comprend
par ailleurs que la question du suicide se pose d’une
manière particulièrement cruciale durant cette période :
d’une part, il n’est de sui-cide véritable que s’il y a
affirmation d’un « sui » et division possible d’avec soimême, ce qui se produit donc à la sortie de l’enfance ;
d’autre part, cette mort que l’adolescent institue en lui
doit pouvoir trouver sa contrepartie à travers la mise en
place de repères nouveaux qui confèrent un sens à cette
forme de vie nouvelle. De ce point de vue encore, le
rôle de l’entourage se révèle essentiel, notamment s’il
n’apporte pas à l’adolescent de quoi se situer. À travers
la tentative de suicide, l’adolescent montre, certes, qu’il
ne parvient pas à s’y retrouver dans la vie qui est dorénavant la sienne (« elle n’a plus de sens »), mais il essaie
de saisir également, de façon maladroite et peu lucide,
s’il compte vraiment pour quelqu’un.
mais également chez l’adolescent qui n’est pas dans
cette situation d’adoption légale, à un enracinement biologique et plus largement à la période de l’enfance. Car,
durant son enfance, celui-là était quelque chose pour
quelqu’un : il avait une identité positivable, en étant l’enfant de ses parents. C’est d’ailleurs de la même façon
que l’expérience de la psychanalyse conduit très rapidement l’analysant à en appeler, quel que soit son âge, à la
dimension de l’enfance en lui : alors que le dispositif de
la cure l’amène à mettre en question les identifications
sur lesquelles il s’est construit et à se demander qui il
est en définitive, il lui reste cette solution de se raccrocher à une enfance durant laquelle il était bien quelqu’un
pour ceux qui l’éduquaient.
Que l’adolescent se vive comme point d’origine du
monde n’est pas non plus sans l’ébranler. Il n’en est,
certes, pas conscient, mais il le vit ainsi. Il ne lui est
pas possible de définir son existence à partir d’une
seule négativité, d’une mort à l’enfance : comment lui
serait-il possible de se résoudre à être en n’étant pas ?
Aussi bien, va-t-il falloir que l’adolescent se donne des
modes de repérage et notamment, qu’il se confère
une origine supposant un ancrage relativement solide,
une provenance qui ne renvoie pas à la seule contingence de l’être. Si l’enfant n’est pas réellement travaillé
par la question des origines (alors qu’il peut, par ailleurs, élaborer un fantasme de substitution de parent
à la naissance ; Freud évoque ici un « roman familial »),
l’adolescent l’est de manière très forte. On sait que la
question va se révéler encore plus prégnante chez ceux
qui ont été adoptés : ils vont vouloir connaître, et éventuellement rencontrer, leurs « vrais » parents, en l’occurrence leurs géniteurs. Le recours se fait donc, chez eux,
Les difficultés sont aujourd’hui nettement plus fréquentes chez les adolescents qui ont été adoptés
et elles prennent souvent une forme inquiétante qui
nécessite l’appel à des services psychiatriques. Il
apparaît qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Aussi
doit-on chercher à nouveau du côté du contexte social
et des repères offerts à l’enfant et à l’adolescent adopté
pour tenter de comprendre cette situation. La réduction des phénomènes humains au champ du biologique
que connaissent nos sociétés conduit à s’imaginer qu’il
n’y a d’explication envisageable, et donc de repérage
possible pour l’homme, qu’à partir de ce registre de
réalité. On est ainsi parvenu à un rabattement intégral
du parent, qui constitue une réalité sociale, sur le géniteur, réalité physiologique. Le droit occidental conforte
totalement et de manière aberrante cette réduction,
de telle sorte que les demandes de recherches en
paternité, c’est-à-dire en fait en génitalité, deviennent
aujourd’hui extrêmement fréquentes. Celui qui a été
adopté est directement touché par cette nouvelle façon
d’envisager la question des origines. S’y ajoute le fait
que les parents se doivent dorénavant de ne rien cacher
à leurs enfants, contrairement à ce qu’il en était dans
les périodes antérieures, et qu’ils sont donc amenés à
livrer à leurs enfants une « vérité » qui peut se révéler
pour ces derniers source d’insécurité, du fait des questions qu’elle soulève en eux. En réalité, les adolescents
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adoptés cherchent une réponse, non pas à la question
biologique de leur naissance, mais à celle des circonstances historiques qui l’entourent. « Pourquoi ai-je été
abandonné ? », « Pour quelles raisons ma mère a-t-elle
dû renoncer à m’élever ? » Il y a donc malentendu sur
les raisons qui poussent le jeune adopté à rechercher
ses origines : seule lui importe son inscription dans une
histoire et non son origine biologique.
La recherche des origines constitue un besoin fondamental pour l’adolescent en général, dans la mesure où
elle constitue l’exacte contrepartie de la problématique
d’origination du monde et de soi-même à laquelle il
s’est ouvert en quittant le monde, somme toute rassurant, de l’enfance. Si elle se comprend, cette recherche
n’en est pas moins illusoire, car cette époque est à présent révolue ; il faudra que l’adolescent fasse avec la
contingence qui dorénavant le travaille et qu’il assume
sa singularité. Lui seul soutiendra en dernier lieu,
comme tout homme inscrit dans le social, les positions
qu’il prendra dans la vie ; il ne lui sera plus possible de
se reposer entièrement sur un autre, comme c’est le cas
de l’enfant. Il est anthropologiquement devenu auteur
et responsable de ses actes et de sa condition, même
s’il cherchera bien évidemment toujours des soutiens
qui le conforteront à l’occasion dans ses orientations
et s’il demeure, par ailleurs, d’un point de vue légal,
sous la responsabilité d’un adulte jusque ses dix-huit
ans. Il serait intéressant, dans le même ordre de raisonnement, de questionner la forme nouvelle que vient
recouvrir, dans notre société, cette problématique de
la recherche des origines ; on semble s’y accrocher,
comme si elle offrait la solution aux problèmes existentiels que l’on éprouve. Elle emprunte d’abord la voie
de la naturalisation – en l’occurrence de la biologisation – des phénomènes proprement humains évoquée
ci-dessus. Elle viserait ensuite à essayer de s’assurer,
à titre individuel (et non plus en référence à des mythes
élaborés par la société), de sa provenance, comme si
la singularisation, phénomène en fin de compte très
insolite, devait trouver un fondement tangible dans
les conditions singulières qui ont présidé à sa propre
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naissance. En somme, il ne serait possible d’être
quelqu’un de particulier qu’à la condition de s’être inscrit dans l’histoire, tout aussi particulière, d’un autre, et
d’avoir été désiré par lui.
L’appropriation
La recherche d’un point d’ancrage dans l’enfance ne
constitue pas la seule façon de ne pas en demeurer
à cette phase de singularisation qui a frappé tous les
observateurs au point de faire parler, non sans raison,
d’une « crise d’originalité juvénile » et de souligner la
recherche fréquente d’excentricité de l’adolescent.
C’est indéniablement l’aspect le plus important du
processus de sortie de l’enfance, non seulement parce
qu’on en saisit immédiatement les effets, en opposition
à ce qui se donnait à voir tant qu’on avait affaire à un
enfant, mais surtout parce qu’il s’agit là de ce qui véritablement enclenche l’ensemble du processus identitaire.
Sans cette phase d’affirmation de sa différence et de sa
singularité, rien ne peut faire entrer l’adolescent dans
un nouveau rapport au social. Cette phase ne se suffit
cependant pas à elle-même. Aussitôt que l’adolescent
en vient à éprouver cette singularité en lui, il est amené
à la remettre en question dans ses échanges avec
autrui. Car il lui faut tenir compte du fait que l’autre,
en face de lui, est finalement dans la même situation.
L’altérité sur laquelle l’adolescent fonde à présent sa
propre identité le conduit, avons-nous vu, à accorder
ipso facto son altérité à celui avec lequel il entre dorénavant dans un tout autre type de rapport. L’arbitrarité
dont il est au principe, il la rencontre également chez
l’autre, ne serait-ce que dans la résistance que celui-ci
lui oppose : si lui ne voit plus le monde comme celui
auquel il s’adresse, l’inverse est également vrai. L’un
ne va pas sans l’autre. Aussi notre adolescent est-il
conduit à relativiser sa propre place.
L’adolescent doit faire avec autrui et chercher malgré
tout à s’accorder avec lui. Certes, ce n’est pas ce qui
frappe d’abord dans ses relations avec ses parents
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et avec ceux qui, par délégation, ont pris leur suite. Il
semble bien plus, à première vue du moins, s’opposer
à eux que négocier avec eux. Cela se comprend : le
besoin qu’il ressent d’affirmer sa différence va d’abord
et avant tout se concrétiser par rapport à eux, dans la
mesure où il s’est trouvé jusqu’à présent inscrit dans
leur histoire. D’où l’impression, pour ceux qui vivent
avec l’adolescent, d’une période qui serait uniquement,
ou presque, faite d’opposition. Même avec ses proches,
toutefois, l’adolescent va devoir négocier ; au demeurant, ils vont également s’en apercevoir, puisqu’il les y
oblige littéralement. Il force ses parents à changer avec
lui ; il va même les conduire à faire retour, inconsciemment, sur leur propre adolescence et sur la façon qu’ils
ont eue de régler leurs problèmes avec leurs propres
parents. Avec ses pairs, c’est plutôt l’inverse que l’on
semble observer : l’adolescent va chercher essentiellement à conforter auprès d’eux sa nouvelle identité, jusqu’à sembler parfois se fondre dans le groupe
auquel il adhère dorénavant. Autant il peut faire preuve
de singularité auprès de ses parents et de la société
en général, autant il se montre en apparence d’une
conformité étonnante dans le rapport aux copains. Il
semble faire preuve là d’un suivisme, en totale opposition avec l’attitude qu’il peut avoir par ailleurs. Il s’agit
en effet pour lui de se classer socialement, vis-à-vis de
ceux qui ne sont pas de son groupe d’appartenance,
et avec ceux avec lesquels il entretient à présent des
rapports d’égal à égal. Il adopte les usages et les codes
en vigueur dans ce groupe de pairs dans la mesure où
il en participe, c’est-à-dire où il œuvre également à son
fonctionnement. Il s’habillera comme les copains, il aura
les mêmes goûts musicaux qu’eux, il jouera aux mêmes
jeux vidéo, etc. L’adolescent témoigne donc d’emblée
de ce fonctionnement paradoxal qui voit l’homme, dans
le moindre de ses échanges, à la fois se différencier et
tenter de s’accorder avec autrui, en effaçant précisément toute différence. Un tel processus doit par conséquent être saisi à travers un mouvement contradictoire,
ou « dialectique », entre une phase de singularisation et
une autre d’universalisation. Il s’agit bien de phases,
donc de moments synchrones et non successifs.
Ainsi, aussi excentrique qu’il se voudra dans ses attitudes et dans ses usages, l’adolescent en viendra
toujours à rejoindre d’autres que lui, qui adoptent ces
mêmes manières d’être et de se situer. S’il choisit de
se coiffer avec une crête à l’iroquoise et qu’il demeure
dans une petite commune, il est certain qu’il n’échappera pas aux regards et qu’il sera parvenu à marquer
les esprits. Dès lors, il ne pourra effectivement être
confondu avec personne d’autre. Il sera parvenu à
exprimer de la manière la plus voyante sa singularité,
puisqu’il est le seul dans sa commune à adopter cette
manière de se coiffer. Il en sera de même s’il devient
adepte de la culture gothique : son esthétique vestimentaire très particulière, portée très fortement sur le noir,
assortie d’un maquillage provocateur, ne peuvent laisser
indifférents ceux qu’il croise sur sa route. Toutefois,
notre adolescent trouvera toujours d’autres jeunes qui
adopteront les mêmes usages et, dans une ville de plus
grande importance, il ne pourra plus être seul dans son
cas. Lorsqu’il est avec ces autres jeunes, il se fond dans
le groupe et il renonce, du point de vue de la parure en
tout cas, à sa différence et donc à sa singularité. Il tend
en l’occurrence avec eux à une forme d’universalité,
c’est-à-dire d’effacement de toute différence au profit
d’une façon d’être-type. Et ce qui vaut dans le domaine
de l’apparence vestimentaire ou des divers ornements
vaut de la même façon dans tous les registres de la
condition de l’adolescent.
– 48 –
– 49 –
Ces phases de singularisation et d’universalisation
n’existent en fin de compte que dans leur opposition
dialectique, sauf pathologie : dans le cas de la psychose, on observe une sorte de figement de ce mouvement à travers une affirmation tellement exclusive de la
singularité que tout échange avec autrui devient impossible, ou, à l’inverse, à travers une incapacité à affirmer
la moindre singularité au point de se fondre totalement
dans le rapport à autrui. On évoque alors un processus
schizophrénique ou, à l’opposé, paranoïaque. Il n’est
ordinairement d’affirmation de soi qu’aussitôt remise
en question dans une rencontre avec autrui et, inversement, d’accord avec autrui que dans la mesure où
sa propre différence se trouve au préalable posée. La
recherche d’un consensus, toujours susceptible d’être
remis en cause, ne peut se faire que si les protagonistes
de l’échange ont en premier lieu affirmé leur différence.
L’adolescent est pleinement entré dans ce processus
dialectique qui caractérise le fonctionnement de la Personne. Cependant, étant en quelque sorte en phase de
rodage, il laisse plus facilement voir les difficultés que
soulève la mise en œuvre d’un tel processus. D’autant
que certains champs d’investissement de sa nouvelle
capacité de socialité lui sont interdits du fait même de
son statut d’adolescent. Il lui sera d’autant plus facile,
dès lors, de la mettre en œuvre avec ses pairs. Une
telle période de rodage, de mise au point non pas du
fonctionnement lui-même, mais de ce qu’il autorise,
caractérise pour le reste ce qu’on appelle précisément
la « jeunesse ». L’âge dit « mûr » présente par opposition
une forme de stabilisation, du moins en apparence. Elle
concerne les repères que l’adulte s’est donnés et non
le fonctionnement dialectique lui-même, lequel demeure
toujours identique en son principe.
On comprend dès lors que l’adolescent qui s’est ouvert
à cette dialectique se soit en même temps introduit à la
socialité. Aussi bien, se trouve-t-il aussitôt happé par
l’ensemble des rencontres qu’il va faire, pour autant
qu’elles aient par ailleurs une certaine importance
pour lui. Il va sans cesse emprunter à d’autres pour se
construire dans sa personnalité, aux copains d’abord,
mais également à tous les adultes qu’il va reconnaître et
qui vaudront donc comme modèles pour lui. Cela opère
dans tous les domaines de la vie sociale et psychique.
Comme n’importe quel homme sur la terre, l’adolescent
est fait de toutes ces rencontres et n’a, de ce point de
vue, plus rien d’un « individu » qui viendrait s’opposer
à un « collectif » qui le contiendrait de l’extérieur. Le
social est en lui, du fait même qu’il s’y ouvre à partir de
la Personne et il se révèle, si l’on peut, multiple, dans
la mesure où il est le produit d’une foule d’identifications, comme nous le rappellent les psychanalystes (ces
identifications ne valant par ailleurs pas que durant l’enfance). La Personne est « faisceau de relations », aimait
– 50 –
à rappeler Jean Gagnepain : l’adolescent ne cesse de
témoigner qu’il est habité par les relations dans lesquelles il entre, en même temps qu’il montre d’abord et
avant tout sa différence.
Pour le dire autrement encore, l’adolescent est entré
dans l’histoire ; plus exactement, il s’est engagé dans
un processus d’historicisation. Enfant, il était déjà dans
l’histoire ; il n’était pas qu’un petit d’homme, soumis à
un processus physiologique de croissance. Il demeurait
toutefois dans l’histoire de ceux qui, éducativement, le
portaient ; de cette histoire, il ne pouvait se dégager.
Émergeant à la Personne, il en sort et enclenche le
processus qui le voit assumer, de manière implicite,
sa propre histoire : tout en restant le même (ce que lui
permet dorénavant sa singularisation), il ne cesse de
changer et donc de devenir un autre (en empruntant
à tous ceux avec lesquels il entre en relation). L’historicité suppose ce jeu contradictoire entre, d’une part,
une forme de permanence qui permet de retrouver de
l’identique en soi et du même coup dans le monde,
quels que soient la période, le lieu et le milieu dans lesquels on s’insère et, d’autre part, une incessante modification de soi-même et de ses conditions d’existence.
L’adolescent acquiert, en sortant de l’état d’enfance,
un point de vue sur le monde, c’est-à-dire une perspective, à partir de laquelle les choses s’ordonnent,
prennent socio-historiquement sens et, par là,
deviennent cohérentes. Cette mise en perspective
permet, d’abord, de sortir de l’ici et maintenant auquel
l’enfant se trouve confiné, ensuite, d’analyser le temps,
mais également l’espace et le milieu social. Produire
une analyse du temps, de l’espace et du milieu, revient
à les faire se déployer par rapport à soi et non par rapport à un ordre naturel auquel il faudrait se soumettre.
L’adolescence est ainsi l’époque où l’on devient
capable de faire un récit de sa vie : le journal intime,
que l’enfance ne connaît pas, témoigne par exemple
d’un nouveau rapport à ces diverses coordonnées, en
même temps bien sûr qu’à soi-même. S’il a pu être
imposé aux jeunes filles par leurs mères à une certaine
– 51 –
époque et s’il est loin d’être utilisé par tous, il n’en
traduit pas moins une nécessité pour l’adolescent de
se raconter et de signer son ouverture au monde.
Par conséquent, si l’adolescent se trouve d’emblée
plongé dans le social, il ne s’y dissout pas non plus. Il
s’en abstrait, nous y avons suffisamment insisté, tout
en y étant présent, et il s’approprie ce qui s’offre à lui, y
compris en ce qui concerne ses façons d’être. Ce dont
il se pare, il s’en empare, pourrait-on dire. Du même
coup se trouve résolue ici une question qui donne régulièrement lieu à controverses, mais qui prend dans notre
société actuelle une portée particulière : l’adolescent
est nécessairement dans l’héritage de ce qui lui a été
transmis ; il vient effectivement de quelque part et a
connu une forme particulière d’éducation. Il y a bien là
transmission, mais précisément pas répétition, puisque
l’adolescent commence par transformer, en se l’appropriant, ce dont il hérite. Cela vaut pour son enfance :
les repères identificatoires qui lui ont été proposés
vont être soumis à analyse et ils vont nécessairement
prendre un sens nouveau, en fonction de ce qu’il va en
faire. Cette démarche d’appropriation des repères de
sa propre enfance vaudra au demeurant toute la vie.
Cette transformation opère également pour tout ce dont
il va dorénavant se saisir : il l’altère nécessairement en
le faisant sien. Il est vrai que tout ne sera pas approprié,
aussi bien de son enfance que de ce qu’il rencontre
dans sa nouvelle vie, mais il est inutile de craindre que
l’adolescent soit façonné par une « tradition » stricte,
qui le conduirait à simplement répéter servilement.
Certes, selon le type de société et l’époque, il sera plus
ou moins contraint d’adopter des modes d’être, mais
toute jeunesse rompt, à sa façon, avec ce dont elle
hérite de la génération précédente.
dit, tout lui vient de locuteurs avec lesquels il est entré
en relation ; rien ne surgit chez lui ex nihilo. En même
temps, il procède à une appropriation qui va nécessairement se remarquer et qui ne concerne pas que
les banlieues difficiles. L’adolescent « déforme » en
effet ce dont il s’empare et paraît s’engager dans une
démarche de transformation de sa langue maternelle
qui n’est pas sans inquiéter son entourage, mais également le corps social. Régulièrement, la génération
des adultes confirmés s’alarme des suites possibles,
pour l’avenir de la langue en vigueur, des mutilations
auxquelles l’adolescent la soumet. On trouve trace à
de nombreuses époques d’une telle crainte. La génération nouvelle vient à chaque fois pratiquer une forme de
verlan qui n’est pas sans surprendre. Quand, en plus,
usant des derniers moyens techniques de communication, la jeunesse en vient à opérer des réductions
et des déformations impressionnantes dans la façon
d’écrire et donc dans l’orthographe, l’inquiétude est à
son comble ! Pourtant, la langue s’en remet toujours et
à toute époque. Il est également frappant de voir comment les tournures qui valent à une époque ne sont
plus de mise à une autre et même à quel point un jeune
de vingt ans se trouve de ce point de vue rapidement
déphasé par rapport à l’adolescent de quinze ans.
Un des domaines dans lesquels se remarquent cette
appropriation et cette altération auxquelles se livre
l’adolescent en émergeant à la personne est celui du
langage, et plus particulièrement de la langue. Tous les
mots et les expressions qu’il utilise, il les tient d’autres
personnes auxquelles il les a empruntés. Autrement
Cette appropriation opère bien évidemment aussi au
niveau des pulsions qui agitent l’adolescent. Les psychanalystes ont incontestablement raison de souligner
l’importance de ce registre dans la problématique adolescente. L’apparition de la génitalité bouleverse l’économie libidinale et c’est à un véritable remaniement
pulsionnel que l’adolescent se trouve livré. La rencontre
de l’autre à laquelle ces nouvelles pulsions s’ordonnent
suscite de nouveaux désirs et de nouveaux fantasmes.
Ce n’est toutefois pas la problématique du désir en tant
que telle qui se trouve modifiée. L’adolescent doit faire
avec le refoulement, ou la restriction implicite de ses
pulsions, au même titre que l’enfant qu’il était, même
si la poussée est plus forte. Le problème auquel il se
confronte est d’abord et avant tout celui de sa subjectivation, pour reprendre le terme des psychanalystes :
– 52 –
– 53 –
l’entrée dans la période d’adolescence fait seuil et
oblige à une mise en perspective de ces pulsions dans
le cadre d’une nouvelle forme de relation à autrui. C’est
ici que certains évoquent la nécessité de faire appel à
une « anthropologie de l’incomplétude ». La fameuse
anorexie, que l’on évoque régulièrement à propos du
passage adolescent, est de ce point de vue exemplaire :
alors que la problématique spécifique qu’elle soulève
est la plupart du temps celle du désir, la période de
l’adolescence lui confère une toute autre portée que
celle qu’elle a par exemple chez le jeune enfant, dans la
mesure où elle vient s’articuler à la question de la singularisation et notamment de la nécessité de la séparation
d’avec l’univers parental. Elle prend une ampleur particulière dans la mesure où à travers elle se joue la mise
à l’épreuve de la relation au parent. On sait qu’elle met
aussi en jeu la dimension de la mort.
On ne s’étonnera pas du coup de l’absence de place
accordée dans ce travail à la problématique du corps
dans l’adolescence. Ordinairement, c’est à elle que l’on
pense immédiatement lorsqu’on évoque l’adolescence.
D’abord parce que les transformations physiques liées
à la puberté se voient, ensuite parce qu’il est bien plus
facile de penser l’adolescence à travers cette réduction aux phénomènes pubertaires que de tenter de
comprendre les enjeux profonds de l’adolescence.
Ce n’est pas le corps en tant que tel qui se trouve ici
concerné, mais l’assomption des transformations qui
le concernent, au même titre que de toutes les transformations qu’éprouve l’adolescent. On ne peut s’en
tenir à la notion triviale du corps dont on se contente
ordinairement. Elle le réduit à l’organisme physiologique
et méconnaît que le corps de l’homme est un corps
d’emblée « symbolique », marqué aussi bien par le
psychique que par le social. Ce corps, dont beaucoup
s’imaginent qu’il est totalement individuel, se trouve
soumis aux mêmes processus que ceux que nous
avons dégagés et il donne notamment lieu, constamment, à mise en scène et à négociation. Il oblige, en
d’autres termes, à faire constamment avec autrui et
avec la société.
Conclusion
Le phénomène de l’adolescence constitue incontestablement une réalité sociale, c’est-à-dire relative ; cette
affirmation se trouve aujourd’hui étayée par une argumentation solide et cohérente. Cependant, si l’adolescence ne s’observe pas dans toutes les sociétés
et ne peut donc être saisie comme universelle, la problématique à laquelle elle renvoie, et que nous avons
appréhendée à travers la nécessité anthropologique
d’une mort à l’enfance, se révèle, elle, générale. L’adolescence ne constitue jamais que la forme historique
qu’a empruntée cette problématique dans une société
donnée. Plus exactement, elle n’est qu’une des figures
à travers lesquelles les sociétés ont pris en compte et
résolu cette question d’un seuil qui les retient toutes.
Là où la plupart d’entre elles, jusqu’ici, ont choisi de
marquer ce seuil à travers des rites initiatiques, les
sociétés occidentales ont depuis peu pris le parti de
l’éclater dans le temps et donc de le dissoudre lentement, au prix d’une disparition apparente de tout mode
de repérage. Or, le marquage social est essentiel, sur
ce point comme en ce qui concerne toute autre réalité
sociale : il est le critère matérialisable du franchissement
d’une limite dont on dit alors communément qu’elle a
une valeur symbolique. Sans marquage social, il devient
difficile de se situer et de s’orienter. Tel est le risque que
prennent nos sociétés occidentales avec l’instauration
de l’adolescence : l’adolescent reste très longtemps aux
marges du social, la question étant ensuite de savoir
ce qu’il en est des critères qui signent, à l’issue de ce
moratoire, son agrégation à la société. Ces critères sont
sociaux et varient donc historiquement ; ils peuvent se
révéler plus ou moins précis et déchiffrables. On ne
s’étonnera dès lors pas de l’indétermination qui accompagne, à notre époque, la distinction de l’adolescence
et de la jeunesse.
– 55 –
L’adolescent, ayant émergé au social, est pourtant
devenu capable, dans le principe, d’autonomie et de
responsabilité, contrairement à l’enfant qui ne dispose
pas encore de ces capacités et qui doit donc être totalement pris en charge par l’adulte. Il lui est dès lors
possible de se classer socialement, par lui-même, dans
un monde de pairs, mais également de contribuer à la
marche de la société en entrant dans des relations de
services réciproques. Le statut qui est le sien, qui se
soutient d’une infantilisation de la part de sa société,
fait qu’il ne lui est guère possible de mettre en œuvre
ces capacités dont il peut pourtant, dorénavant, faire
preuve. Demeurant sous tutelle, il est simplement censé
accumuler les conditions à partir desquelles il lui sera
possible un jour de les faire fonctionner de manière
favorable. L’adolescent va néanmoins pouvoir exercer
ces capacités dans le groupe de pairs (les fameux
copains) qui échappe pour l’essentiel au contrôle
parental et aux injonctions de la société. Il lui sera plus
difficile, sauf à nouveau dans le groupe de copains, de
mettre en œuvre sa capacité de responsabilité. On le
voit cependant se mobiliser pour des causes plus ou
moins grandes et témoigner à cette occasion d’une
générosité qui prouve son ouverture à autrui. Encore
faut-il que la société ne vienne pas secréter en lui
plus d’inquiétude que d’espoir. Or, il semblerait que
la fameuse insouciance dont on accusait l’adolescent
ne soit plus guère de mise aujourd’hui. Notre société
paraît lui offrir de moins en moins de perspectives de
sortie de ce statut de dépendance. Elle semble même
le maintenir dans un retrait de plus en plus important
de la réalité sociale à laquelle il lui faudra pourtant un
jour s’agréger…
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auprès des enfants et adolescents.
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• Avatars et désarrois de l’enfant-roi.
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• Confidentialité et secret professionnel :
enjeux pour une société démocratique.
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• Prévenir les troubles de la relation
autour de la naissance.
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• Procès Dutroux ; Penser l’émotion.
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enjeux cliniques et sociétaux.
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