Parents déficients intellectuels et professionnels, DSTS 2008
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Parents déficients intellectuels et professionnels, DSTS 2008
UNIVERSITE DE PICARDIE JULES VERNE FACULTE DE PHILOSOPHIE SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES DIRECTION DE L’EDUCATION PERMANENTE EN COLLABORATION AVEC L’INSTITUT REGIONAL DE FORMATION AUX FONCTIONS EDUCATIVES (IRFFE) Parents déficients intellectuels et professionnels : des espaces à négocier DIPLOME SUPERIEUR EN TRAVAIL SOCIAL (D.S.T.S) SOUTENU EN DRASS PICARDIE Directeur de Mémoire Bénédicte KAIL Candidat Laetitia MATHYS 12 mars 2009 Je souhaite adresser mes remerciements, tout d’abord, aux familles et aux professionnels qui ont eu la gentillesse de m’accorder un peu de leur temps… Ensuite, à mon directeur de mémoire pour son accompagnement, sa disponibilité et la justesse de ses remarques… Aux enseignants et encadrants de cette formation, qui m’ont apportés de nombreuses richesses intellectuelles… A mes collègues de travail, qui ont pris le relais sur le terrain, et m’ont permis de me consacrer à la réflexion… Enfin, à mes proches, pour les relectures, les corrections orthographiques, la maintenance informatique, le soutien technique, et plus particulièrement, à mon compagnon, pour sa patience et son soutien sans limites… SOMMAIRE INTRODUCTION…………………………………………………………………-1PREMIERE PARTIE : CONTEXTE ET THEORIE 1°) LE TRAITEMENT DU HANDICAP COMME REVELATEUR D’UNE SOCIETE ……………………………………………………………………………….-72°) DEFINITION ET CATEGORISATION DU HANDICAP ……………………..-9- 3°) CONTEXTE ET EMERGENCE DE LA PARENTALITE CHEZ LES PARENTS DESIGNES « DEFICIENT INTELLECTUEL »……………………...-154°) LE CADRE LEGISLATIF………………………………………………………..-194.1. La loi de 1975 : …………………………………………………………….-19 4.2. La loi 2002-2 :………………………………………………………………-194.3.La loi 2005-102 : Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées………………………………...-205°) LES NOTIONS DE PARENTALITE ET D’ESPACE………………………….-22- DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE 1°) CHOIX METHODOLOGIQUES DE L’ENQUÊTE : VERS UNE SOCIOLOGIE COMPREHENSIVE………………………………………………..-292°) APPROCHE DU TERRAIN……………………………………………………..-313°) LA PROXIMITE AVEC LE TERRAIN DE RECHERCHE : ENTRE FACILITATIONS ET DESAGREMENTS…………………………………………-344°) UNE POPULATION « ENCADREE » ET DES PROFESSIONNELS « SATELLITES »…………………………………………………………………….-36- TROISIEME PARTIE : LA CONSTRUCTION DES ESPACES PARENTAUX 1°) LES RESEAUX D’INFLUENCE………………………………………………..-50- 2°) LA « CARRIERE » DU PARENT DEFICIENT INTELLECTUEL…………-533°) LA DISTINCTION ENTRE LES TRAVAILLEURS SOCIAUX……………-563.1.Les assistantes sociales, une perception d’emblée liée à leur arrivée dans la famille ……………………………………………………………..-563.2. La famille d’accueil, un entre deux………………………………………-613.3. La TISF, un professionnel de proximité…………………………………-623.4. Un habitus envers les travailleurs sociaux……………………………….-644°) LA VIE QUOTIDIENNE ET LA PLACE DES PARENTS……………….….-674.1. La stigmatisation des parents déficients intellectuels…………………….-674.2. L’achat des vêtements……………………………………………………-724.3. Les loisirs…………………………………………………………………-724.4. La santé…………………………………………………………………...-744.5. L’école……………………………………………………………………-754.6. L’argent de poche………………………………………………………...-765°) LES STRATEGIES, LUTTES ET RESISTANCES…………………………..-77- QUATRIEME PARTIE : LES ESPACES PROFESSIONNELS 1°) DES ESPACES DE PRATIQUE DIFFERENTS……………………………….-851.1. Les conditions de travail…………………………………………………...-851.2. Rôles et missions…………………………………………………………..-881.3. Le mode d’intervention et le public visé…………………………………..-912°) LA PERCEPTION DU PROFESSIONNEL : ENTRE ATTENTES NORMATIVES ET REPRESENTATIONS……………………………………….-94- 3°) LES OUTILS INSTITUTIONNELS COMME MARQUEURS D’ESPACE..-101- 4°) DESIR DES « USAGERS » ET ORGANISATION INSTITUTIONNELLE : DES ESPACES DE PLUS EN PLUS EN DECALAGE…………………………………-109- CONCLUSION………………………………………………………...-115BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………….-119ANNEXES……………………………………………………………...-121- INTRODUCTION Dans un contexte où de nouvelles formes de familles sont mises en évidence (familles recomposées, monoparentales, couples mixtes ou non, marié ou concubins), un grand silence est fait du côté des familles dont les parents sont atteints d’une déficience intellectuelle. Peu de chercheurs, sociologues ou autres, se sont intéressés à cet objet, et l’absence de bibliographie sur ce thème est frappante. Seules quelques recherches trouvées sur Internet, notamment sur le site de l’UNAPEI (union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales) qui représente un poids considérable dans le champ social, et sur celui de l’association PADI (parents avec une déficience intellectuel) abordent cette question. Néanmoins, il s’agit plus d’un questionnement de professionnels de terrain de ce secteur que de chercheurs. Les chiffres et statistiques sont également peu probants malgré de multiples recherches auprès de différentes associations (APF, UNAPEI…) énonçant l’inexistence d’un registre national sur le handicap car il serait source de discrimination. Mes recherches auprès de différents conseils généraux et sur des sites tels que l’INSEE (institut national de la statistique et des études économiques), le CTNERHI (centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et inadaptations), la DREES (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), l’INED (institut national d’études démographiques), ou les MDPH (maison départementale des personnes handicapées), nouvellement mise en place et n’ayant pas encore de statistiques, se sont toutes révélées infructueuses. Comment peut-on l’analyser ? L’absence de chiffres, entraîne une certaine méconnaissance du sujet, et traduit aussi le souci de ne pas stigmatiser cette population. Cela montre également le regard que porte notre société sur le handicap. Comme si la question de la parentalité en lien avec le handicap était inexistante voire incompatible. D’autre part, pourquoi certaines questions telles que la beau-parentalité ou encore l’homoparentalité arrivent au cœur des débats d’aujourd’hui, et que d’autres catégories telles que les parents désignés déficients intellectuels restent dans l’ombre ? Il semblerait d’une part, que certains soient en capacités de se constituer en associations et de se faire entendre, au contraire des autres, qui n’ont pas la possibilité de s’exprimer directement sur leur existence et leur condition, souvent représentés par des tiers (parents/ professionnels), qui parlent pour eux et ne défendent pas toujours les mêmes intérêts. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi pour ma recherche, d’aller interroger directement ce public, avec la volonté de leur donner la parole. D’autre part, la beau-parentalité et l’homo-parentalité viennent interroger les lois et renvoient directement à la question de la parenté, qui comprend les liens de filiation et d’alliance. Or, pour les parents déficients intellectuels, la question n’est pas là, car la loi les reconnaît en tant que parent. Il s’agit donc bien de la notion de parentalité, terme qui sera longuement analysé dans cette recherche. Educatrice spécialisée de formation, j’interviens en service d’accompagnement à la vie sociale. Je suis quotidiennement en contact avec des parents reconnus déficients intellectuels, d’où l’émergence de mon questionnement. Leur parentalité est sans cesse remise en question et met à contribution une multitude de travailleurs sociaux ayant pour mission de les aider dans cette pratique. J’ai même parfois le sentiment d’une demande de normalisation, toujours plus importante de la part des professionnels et de la société qui formulent des exigences de plus en plus complexes à satisfaire. De plus, le fait d’être parent avec une déficience intellectuelle semble être porteur de beaucoup de préjugés et de représentations sociales négatives, infantilisantes et incapacitaires. Notre « habitus » professionnel, en tant que travailleur social, nous entraîne à considérer ces parents comme des personnes inaptes. Or, une étude menée par l’UNAPEI et pilotée par un groupe de parents auprès de 500 familles (toutes déficiences intellectuelles confondues) vient à l’encontre de certains de nos a priori. Elle montre que 60% des enfants issus de couples dont l’un, ou les deux géniteurs, sont handicapés mentaux sont indemnes de tout handicap et que 40% ont un risque de devenir handicapés. Selon cette étude, il est donc faux de dire que d’un couple de personnes handicapées mentales naît fatalement un enfant handicapé. Cependant, au regard de notre société, les enfants de parents avec une déficience intellectuelle sont généralement considérés comme des « handicapés sociaux ». Toutefois, on peut se demander si cet a priori ne reflète pas davantage la difficulté d’intégration sociale des personnes handicapées que la conséquence directe de la situation de leurs parents. Quant au devenir de ces enfants, cette même enquête met en évidence trois situations : un tiers de ces enfants sont considérés comme relevant de cas sociaux dits « sérieux » (avec retrait de la garde aux parents), un tiers de cas sociaux dits « ordinaires » (avec assistance éducative) et un tiers de cas légers (sans assistance). Une autre enquête de l’UNAPEI consultable sur leur site Internet, réalisée auprès de 200 familles, laisse apparaître que 65% d’entre elles conservent le droit de garder leur enfant et d’organiser librement leur vie familiale. Cela implique la responsabilité de le surveiller, de le défendre, de veiller à son éducation, à sa santé, à sa sécurité, à sa moralité. En outre, 20% de ces familles bénéficient d’aides individuelles, familiales et de proximité et 80% disposent d’aides associatives dispensées par les services d’accompagnement. Mais il arrive également que les parents soient incapables d’assumer leurs devoirs parentaux. Différentes mesures peuvent alors être envisagées. Si la mère demande le placement de l’enfant, un retrait temporaire est mis en place avec son accord et elle conserve un droit de visite. Si la « mise en danger » de l’enfant est signalée, le juge des enfants peut être saisi et intervenir. La mesure judiciaire est alors, soit une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (mesure d’AEMO), pour laquelle le juge s’efforce de recueillir l’adhésion des parents. Soit un retrait de garde. L’enfant peut alors être confié à une famille d’accueil, ou placé dans un foyer social. Les parents ne sont toutefois pas déchus de leurs droits parentaux, c’est-à-dire que les parents conservent des prérogatives qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure, tels que le droit de visite et le droit de correspondance. Les autres mesures que le juge peut décider sont une délégation de l’autorité parentale, le retrait partiel de l’autorité parentale ou la déchéance de cette autorité. Dans ce dernier cas, l’adoption de l’enfant est possible sans l’accord des parents. Cela veut-il dire que la parentalité des adultes déficients intellectuels est synonyme de difficultés, problèmes, drames, accompagnement lourds, permanents ? Certes non, les publications et communications réalisées par l’association PADI montrent une réalité beaucoup plus complexe et nuancée. Toutefois, la présence d’un réseau de travailleurs sociaux semble quasi systématique, ce que vient également confirmer ma pratique professionnelle. Dans ces conditions, de quelle place disposent les parents ? Comment vivent-ils cette présence ? Comment s’organise leur quotidien avec leur enfant ? Et en cas de placement ? Quels sont leurs droits ? Quel espace de parentalité ont-ils ? Quel pouvoir réel de décision ont-ils ? Quelles relations ont-ils avec les différents travailleurs sociaux ? Quelles stratégies individuelles adoptent-ils ? Comment tout cela va-t-il influer sur leur place en tant que parent ? Autant de questions auxquelles cette recherche va tenter de répondre. Tout au long de la réflexion, l’analyse sera jalonnée par un fil conducteur qui sera la notion d’espace, à la fois du côté des parents (espace de parentalité), mais aussi du côté des professionnels (espace des pratiques), car j’ai fait le choix méthodologique de mener des entretiens auprès des deux parties. Deux hypothèses m’ont permis de construire ma recherche : 1°) L’espace de parentalité des parents désignés déficients intellectuels s’accroît au fur et à mesure que décroît le nombre de professionnels autour de la famille. 2°) L’espace de parentalité dépend de la nature des professionnels qui interviennent. Dans un premier temps, pour situer mon sujet de recherche, nous nous attarderons sur les différents traitements historiques dont a fait l’objet le handicap, mais également ses multiples définitions et catégorisations qui, nous le verrons, ne sont pas sans créer de polémiques. Nous verrons également l’évolution des prises en charge des personnes déficientes intellectuelles amenant aujourd’hui à leur statut de parent, ainsi que l’évolution du cadre législatif. Cette première partie se terminera par l’éclairage des notions de parentalité et d’espace. Dans un second temps, j’exposerai ma méthodologie. D’abord, le choix de ma technique d’enquête, puis l’approche avec mon terrain en mettant en évidence les avantages et les inconvénients. J’insisterai également sur la difficulté à prendre de la distance avec ma position de travailleur social. Cette deuxième partie aboutira sur la présentation des enquêtés. A la lumière des entretiens recueillis, nous poursuivrons par l’analyse de l’environnement des parents déficients intellectuels. Nous tenterons de comprendre comment se construit leur personnalité et l’intériorisation de leur statut d’« handicapé ». Confrontés à un réseaux de travailleurs sociaux important, nous analyserons les différentes perceptions des parents envers ces derniers, puis, leur place au quotidien, variable selon les situations, (enfants placés ou non). Enfin, toujours dans l’optique de comprendre l’espace dans lequel les parents évoluent, nous mettrons en évidence leurs stratégies et résistances. Pour appréhender l’espace de chacun, nous allons également explorer les entretiens des professionnels. Nous verrons qu’il existe aussi, des pratiques variables du côté des travailleurs sociaux. Ces derniers vont mettre en évidence des positions face à la parentalité et au handicap, différentes, influencées par plusieurs facteurs. En effet, leur espace de pratique va se confronter à la question des représentations face à un public, des normes attendues, mais aussi à leurs conditions de travail, leurs rôles et missions ainsi que leurs modes d’interventions. Les outils institutionnels vont également induire des espaces professionnels différents. C’est ce que nous analyserons pour terminer, au travers de leurs discours. PREMIERE PARTIE CONTEXTE ET THEORIE 1°) LE TRAITEMENT DU HANDICAP COMME REVELATEUR D’UNE SOCIETE Henri-Jacques Sticker, membre du laboratoire, histoire et civilisations des sociétés occidentales, a étudié les manières sociales et culturelles de considérer et de traiter le handicap. Pourquoi désigne t-on de tous ces noms divers ceux qui naissent ou deviennent différents ? Pourquoi tant de catégories ? Le fait de nommer marque déjà une différence. Lorsqu’il s’agit du handicap, Sticker montre qu’il s’agit de la différence que représente un être hors du commun. D’après lui, le handicap renvoie à une grande peur, déconcertante et isolée, et à un prodigieux geste négateur. Il fait l’objet de délimitation, d’enfermement. L’angoisse du handicap s’enracine dans la peur du différent, car nous désirons avant tout, la similitude. « La tare, somatique et mentale, nous éloigne trop de nos réactions de conformité, de notre amour du même » (Sticker, 1997, p.10). Le handicap remplit toutefois une fonction primordiale. Il est la preuve de l’insuffisance de ce que nous aimerions voir établir pour référence et pour norme. Il n’y a pas de « handicap », de personnes « handicapées » en dehors de structurations sociales et culturelles précises ; il n’y a pas d’attitudes vis-à-vis du handicap en dehors d’une série de références et de structures sociétaires. En effet, le handicap n’a pas toujours été vu de la même façon, et c’est à la manière dont une société traite certains phénomènes significatifs, tel que le handicap, que cette société se révèle. Pourquoi cherche t-on à intégrer la personne handicapée ? Qu’y a-t-il sous cette volonté? Pourquoi veut-on l’intégrer de la manière dont on l’intègre ? Pourquoi faut-il être ou paraître comme les autres ? Qui propose t-on d’imiter ? Quelle image se fait-on socialement de l’individu que l’on donne à imiter, quel est le modèle culturel que l’on impose ? Quel est le type d’homme reconnu normal pour chaque société ? Autant de question, que Sticker a tenté d’éclaircir en remontant l’histoire et en étudiant les conditions de traitements sociaux, dans un premier temps de l’infirmité, qu’on nommera ensuite le handicap. Au cours de l’histoire, l’infirmité fera l’objet de différentes mesures d’exclusions ou d’intégrations telle que la charité, elle subira aussi l’époque du grand renfermement étudié par Michel Foucault pendant la période du Moyen-âge. A l’époque de la première guerre mondiale, une nouvelle conception de l’infirmité apparaît, enjeu de notre ère contemporaine tout entière. Le 20ème siècle inaugure de nouveaux rapports entre l’infirme et la société. Ceux-ci seront marqués par la notion de réadaptation. Aujourd’hui, ce terme banalisé désigne l’ensemble des actions médicales, thérapeutiques, sociales, professionnelles en direction des personnes repérées comme handicapées. Le mot même de réadaptation signifie, revenir à une situation d’avant, situation ayant existé pour ceux qui furent bien portants, situation postulée pour les autres. Une norme de référence se met en place. L’infirmité devient une insuffisance à compenser, une défaillance à faire disparaître. C’est à ce moment qu’apparaît un discours législatif sur la réintégration et une multitude d’institutions, avec l’idée de responsabilité et de réparation. Du coup, sur un plan culturel, on gomme la différence, on efface. Cela renvoie au jeu de l’être et du paraître dans notre société : leur existence médicale, psychologique, voire sociologique est d’autant plus affirmée que leur annulation sociale est possible. La loi de 1975 replace la maladie mentale dans l’univers des autres incapacités. Celle-ci ne fait plus l’objet d’un enfermement systématique, mais elle est replacée dans un contexte courant sous la bride de médecins, magistrats, travailleurs sociaux, qui en assurent le contrôle. Il est à noter que dans le discours médical et social de 1975, le terme « handicapé » recouvre toutes les inadaptations sans distinctions. La place de chaque individu dépend ainsi des commissions de spécialistes et de travailleurs sociaux où se concentre le pouvoir. La norme devient le principe qui règne. La notion de réadaptation accepte ce principe puisque tout est polarisé autour du « comme les autres ». Notre siècle considère la personne handicapée comme un sujet ayant accès aux même droits et possibilités que les autres. La différence psychique, mentale et physique, n’est plus supportable. Toutefois, on aboutit à la négation du handicap. Ainsi, « la société se considère comme un ordre unique à établir; elle se considère donc comme ayant le devoir, la charge, la tâche, d’annuler les disparités dans sa norme. » (Sticker, 1997, p.140). Notre société ne supporte plus la non réponse, elle doit tout résoudre et fonctionne sur un ordre unidimensionnel. De plus, elle supporte mal la difformité et par conséquent, offre une image de la déficience qui doit être acceptable pour le spectateur. 2°) DEFINITION ET CATEGORISATION DU HANDICAP Bien que le besoin de classer soit inhérent à l’homme, l’observation, le repérage et l’identification procèdent d’une démarche naturelle de l’esprit visant à expliquer les choses, les phénomènes, les êtres, il n’en est pas moins que cette démarche de catégorisation entraîne plusieurs questionnements. En effet, comment ordonner le réel sans stigmatiser ? Parler en terme de catégorie, c’est reconnaître la place, mais c’est aussi rétrécir le champ des possibles, stigmatiser et accoler des étiquettes aux individus. Comment ne pas assigner l’individu catégorisé à cette place stigmatisée et laisser un espace au sujet, à sa créativité, à ses systèmes de débrouille ? Le mot handicap va remplacer celui d’infirmité au moment ou apparaît le développement de la notion de réadaptation, c’est à dire au début du 20ème siècle. Les mots ‘handicap’ et ‘handicaper’ signifient alors une défaveur, un obstacle. Le mot handicap est emprunté au domaine sportif et plus spécialement au turf. En sport, le handicap correspond à une mesure des performances inégales des concurrents engagés dans la compétition. Une fois que l’on peut comparer ces concurrents, le handicapeur détermine la manière dont on va égaliser les chances au départ de la compétition. Dans la course de chevaux, il s’agit soit d’un poids, soit d’une distance supplémentaire imposée aux chevaux les plus forts. Néanmoins, ce qui est pertinent pour comprendre le handicap en sport, ce n’est pas d’abord la notion d’avantage ou de désavantage, mais avant tout celle d’égalisation pour que la course ait lieu dans des conditions telles que l’on puisse voir l’effort strictement personnel, le mérite des concurrents. C’est bien l’idée d’induire l’égalisation des compétences, et le but poursuivit par la réadaptation. De cette définition tirée du domaine sportif, on peut retirer quatre éléments: la société est conçue comme une concurrence quasi naturelle ; un handicap intervient imposant une charge supplémentaire, cette charge est définie, elle se surmonte et les choses sont redonnées. Le mot handicapé comme adjectif, est en revanche relativement récent, et encore davantage comme substantif pour désigner une personne. C’est aux Etats-Unis, dés le début du siècle, que l’on trouve des témoignages de l’emploi du mot « handicapped » désignant diverses personnes atteintes de toutes sortes de déficiences et se trouvant en situation sociale et professionnelle difficile. L’utilisation du mot handicap est officialisée par la loi du 23 novembre 1957 qui doit permettre, sous la tutelle du ministère du travail, d’organiser le reclassement des travailleurs handicapés. Pour la première fois, la législation tente de regrouper en un ensemble cohérent diverses catégories de personnes : infirmes, invalides, mutilés… Peu à peu l’usage du terme va s’étendre et devenir de plus en plus fréquent dans le domaine réglementaire et parmi les associations. Il faudra attendre 1968, d’après le dictionnaire Le Robert, le Larousse Encyclopédique pour que le handicap acquière le sens proprement médical, social, somatique, et mental qu’on lui connaît de nos jours. Le changement de vocabulaire est très important car il véhicule des représentations différentes. On peut apercevoir l’étroite adéquation entre le langage du handicap et la pensée dominante de notre société, à savoir l’idée de performance. Dans le mot infirme, on a une autre signification qui implique une idée d’exclusion, de « hors course ». L’usage des termes handicap, handicaper, handicapé démontre un vouloir social fort différent, et un nouveau modèle de traitement de l’infirmité. Le handicap fait l’objet de nombreuses définitions. Il s’appréhende de point de vue différents, selon le champ dans lequel on se trouve, ce qui entraîne une certaine complexité à le définir : L’assemblée générale des Nations Unies définit le « handicapé » comme le terme « désignant toute personne dans l’incapacité d’assurer elle-même tout ou partie des nécessités d’une vie individuelle et sociale normale, du fait d’une déficience, congénitale ou non, de ses capacités physiques et mentales ». (Déclaration universelle des personnes handicapées votée le 9/12/1957). François Bloch-Lainé établit sur la vie sociale des personnes handicapées en 1967, à la demande de George Pompidou : « Sont inadaptés à la société dont il font partie ; les enfants, les adolescents, les adultes qui, pour des raisons diverses, plus ou moins graves, éprouvent des difficultés plus ou moins grandes, a être ou agir comme les autres. De ceux-là on dit qu’ils sont handicapés parce qu’ils subissent par suite de leur état physique, mental, caractériel ou, de leur situation sociale, des troubles qui constituent pour eux, des handicaps c’est-à-dire des faiblesses, des servitudes particulières par rapport à la normale, celle-ci étant définie comme étant la moyenne des capacités et des chances de la plupart des individus vivant dans la même société. » (Bloch-Lainé François, Etude du problème de l’inadaptation des personnes handicapées) La loi d’orientation de juin 1975 en faveur des personnes handicapées avait pour objectif fondamental d’organiser et de développer l’aide sociale, que l’État, dans cette conception, décide d’apporter aux personnes handicapées, dans le cadre de la solidarité nationale. Cette loi de 1975, organise pour l’essentiel le secteur médico-social Elle ne propose pas de définition du handicap, mais s’efforce par contre d’en intégrer une conception non limitative, prenant en compte la personne handicapée comme telle, ses capacités et ses difficultés d’insertion. Ainsi, le 3 avril 1975, lors des débats autour du vote de la loi, Simone Veil, ministre de la santé avait tranché : « sera désormais considérée comme une personne handicapée toute personne reconnue comme telle par les commissions départementales, c’est-à-dire la COTOREP (commission technique d’orientation et de reclassement professionnel), devenue aujourd’hui MDPH (maison départementale pour les personnes handicapée) (Liberman. R, 1988, p.36-38). L’organisation mondiale de la santé propose une autre définition : « Est appelé handicapé celui dont l’intégrité physique ou mentale est progressivement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, de sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouve compromise » (Liberman Romain, 2003, p.36). La nomenclature des handicaps, qui définit et organise l’ensemble des termes utilisés dans un secteur donné, reflète une certaine conception du handicap et sa place dans la société. La nomenclature des déficiences, incapacités et désavantages, quant à elle, est fixée par l’arrêté du 9 janvier 1989 et utilisée par les commissions de l’éducation spéciale. Son objectif est de permettre aux professionnels de classer les populations handicapées en grandes catégories en vue de faciliter et d’harmoniser les décisions d’orientations ou d’attributions des allocations. Elle permet de bien cibler ces populations, auxquelles la loi de 1975 confère un statut. Accessoirement, elle a également pour fonction de rendre possible un travail statistique, en proposant aux chercheurs un langage commun. Cette nomenclature reprend très explicitement la classification internationale des handicaps proposée par l’organisation mondiale de la santé. L’originalité et l’intérêt de la classification de l’OMS est de se démarquer d’une définition du handicap qui resterait trop exclusivement centrée sur la déficience, c’est-àdire sur l’aspect lésionnel du handicap. A cette vision trop réductrice, l’OMS oppose une autre façon d’appréhender le handicap, qui considère moins la déficience elle-même que les conséquences qu’elle entraîne pour la personne. La nomenclature officielle des handicaps de janvier 1989 reconnaît donc trois aspects dans le handicap : la déficience, l’incapacité engendrée par la déficience et le désavantage qui en résulte pour la personne. Au sens strict, le handicap est le désavantage qui correspond à l’aspect situationnel du handicap : situation de dépendance physique, de dépendance économique ou de non intégration sociale comme les relations perturbées ou l’isolement social. Cette nomenclature intègre la dimension sociale du handicap. Les membres des commissions de l’éducation spéciale sont conduits à considérer la personne handicapée dans son contexte de vie, et les professionnels appelés à l’utiliser sont invités à penser leurs actions à partir de la personne handicapée, de ses ressources et des difficultés qu’elle rencontre dans son environnement. La personne handicapée ne se réduit pas à son handicap. Cette nomenclature est particulièrement intéressante pour le handicap mental qui se confond fréquemment avec le retard mental. En fait, le handicap mental peut être engendré par des déficiences de différentes natures, qui se manifestent davantage au niveau de l’incapacité et du désavantage qu’au niveau de la déficience au sens strict. La dernière définition, celle de la loi de 2005, reprend cette notion de désavantage que représente le handicap: « Constitue un handicap, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » (Loi n°2005-102 du 11 février 2005, art. 2). D’après ces définitions, il ressort que le handicap se définit par un degré d’impossibilité, conséquences d’un trouble et donc de l’absence de certains apprentissages, de quelques origines qu’ils soient. Ce degré d’impossibilité s’évalue en rapport à un environnement, donc à une norme sociale, et permet de juger l’autonomie d’une personne. On distingue trois aspects dans l’impossibilité pour un sujet de s’intégrer dans la société où il est né : - La déficience qui désigne l’origine pathologique de cette impossibilité d’intégration. - L’incapacité qui définit les conséquences fonctionnelles quantifiables de la déficience. - Le handicap, qui représente les conséquences sociales de la conjonction des deux premiers plans : la déficience et l’incapacité. On parleras de situation de handicap. Le handicapé mental serait un sujet qui, en raison d’une déficience pathologique, présente une incapacité fonctionnelle d’insertion dans le circuit social ordinaire. Malgré les tentatives de définition autour du handicap, un flou persiste et des termes sont encore utilisés les uns pour les autres. L’usage social ignore les précisions apportées par les définitions que nous avons pu aborder. Ces évolutions des définitions et des termes employés traduisent des conceptions différentes de l’ensemble des incapacités et impliquent des modes de traitements spécifiques. Aujourd’hui, la tendance à l’intégration est presque dépassée puisque l’on parle désormais d’inclusion. Ce que nous retiendrons, en revanche, c’est que le concept de handicap mental regroupe à la fois la déficience intellectuelle ou mentale, et la maladie mentale. Toutefois, au vu de la complexité des troubles mentaux, une autre classification apporte un éclairage entre ces deux notions proches, c’est la classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé (CIH), dont la dernière version date de 1999. La CIH définit la première notion comme des « perturbations du degré de développement des fonctions cognitives telles que la perception, l’attention, la mémoire et la pensée ainsi que leur détérioration à la suite d’un processus pathologique ». La seconde sera tirée des recherches de Bérubé Louise sur la Terminologie de neuropsychologie et neurologie du comportement : « Maladie sur cerveau dont les symptômes prédominants sont comportementaux. Elle regroupe des maladies de la pensée ou de la personnalité. Trouble des comportements psychiatriques diverses » (Terminologie de neuropsychologie et neurologie du comportement, Bérubé, 1991, p. 176). Dans le cadre de ma recherche, je parle de parents déficients intellectuels. Pourquoi ce terme et pas celui de parents handicapés mentaux ? Pour deux raisons : d’une part, nous avons pu voir que, sous le terme de handicap mental, on retrouve la maladie mentale, ce qui ne caractérise pas de manière prédominante le public auquel je m’intéresse, même si parfois les frontières sont minces et que les problématiques rencontrées s’accompagnent parfois de troubles associés. D’autre part, l’utilisation de l’expression "parents handicapés mentaux" me semble encore plus stigmatisante, et renvoie à une image d’individus très arriérés. Même si le ‘handicap mental’ fait l’objet d’une reconnaissance en terme de droit, une authentique stigmatisation perdure. Or, l’individu ne se résume pas à son handicap et le parent déficient intellectuel ne se définit pas uniquement par sa déficience. Il ne faut pas non plus éluder la question de l’usage politique des catégories. En parallèle du processus de catégorisation, Robert Castel parlera plutôt de formes de discrimination positive qui consistent selon lui, à faire plus pour ceux qui ont moins. Il explique que « ce principe n’est pas en lui-même contestable dans la mesure où il s’agit de déployer des efforts supplémentaires en direction de populations qui manquent de ressources pour s’intégrer au régime commun… » (Castel, 2007, p.12 et 13). On peut tout à fait cibler des populations marquées par une différence, qui est pour eux un handicap, afin de réduire ou d’annuler cette différence. Or, ce qui pose un réel problème, c’est la discrimination négative qu’il évoque au travers de l’exemple des « jeunes de banlieues ». Celle-ci ne consiste pas à donner plus à ceux qui ont moins, mais « elle fait au contraire d’une différence un déficit marquant son porteur d’une tare quasi indélébile. Etre discriminé négativement, c’est être assigné à un destin sur la base d’une caractéristique que l’on n’a pas choisie, mais que les autres vous renvoient sous la forme d’un stigmate ». (Castel, 2007, p.12) Après avoir défini ce à quoi correspond le handicap mental, voyons comment l’évolution des prises en charge a pu conduire à l’émergence de la parentalité pour cette catégorie de personnes. 3°) CONTEXTE ET EMERGENCE DE LA PARENTALITE CHEZ LES PARENTS DESIGNES « DEFICIENTS INTELLECTUELS » Lors de mes recherches sur Internet sur la parentalité et la déficience, le point de vue de l’UNAPEI est mis en évidence. Elle a un poids considérable dans le champ du handicap en étant présente sur tous les fronts et à tous les niveaux de décision. L’UNAPEI rassemble 750 associations au niveau national et représente 60 000 familles, 2 700 établissements et services spécialisés accueillant 180 000 personnes handicapées, enfants et adultes et 75 000 professionnels. Organe de représentation et force de proposition, l’UNAPEI est un interlocuteur reconnu et écouté du parlement, du gouvernement et des instances européennes. Toujours d’après l’UNAPEI, la procréation des personnes handicapées mentales est encore aujourd’hui un sujet tabou, mais cela le devient de moins en moins pour d’autres associations et professionnels. En effet, on ne peut fermer les yeux sur le désir légitime d’être parent, exprimé par des femmes et des hommes déficients intellectuels, même si ce désir continue à générer de nombreuses inquiétudes. La procréation des personnes handicapées mentales n’est d’ailleurs pas un phénomène nouveau. Elle n’est peut être pas plus fréquente, ce qu’il faudrait pouvoir vérifier, et, est de moins en moins perçue comme « choquante ». Cela dépend du milieu dans lequel on se trouve, car toutes les opinions se côtoient à ce sujet. Il a d’abord fallu franchir un cap pour évoquer cette question de la parentalité : admettre que les relations affectives et sexuelles de ces personnes pouvaient représenter un réel facteur d’épanouissement. Les évolutions importantes, qui se sont produites dans le secteur de l’accompagnement des personnes ayant une déficience intellectuelle, ont conduit, peu à peu, à ce que ces idées soient plus communément admises. Depuis ces vingt dernières années, l’évolution des pratiques médico-sociales concernant les personnes handicapées mentales a consisté à mettre en place des dispositifs favorisant leur intégration sociale. Les services d’accompagnement à la vie sociale, structure dans laquelle je travaille, ont alors été largement développés par les associations. Ils ont pour but de faciliter l’autonomie des personnes, notamment par l’apprentissage des actes de la vie quotidienne. Ces services sont généralement mis en place pour les adultes handicapés qui travaillent au sein des centres d’aide par le travail (CAT) devenu depuis peu ESAT (établissement et service d’aide par le travail). Ces personnes vivent déjà de manière relativement indépendante, soit en foyer logement, soit en appartement individuel ou collectif. Très vite, s’exprime alors chez les personnes handicapées accompagnées par ces services, la volonté de vivre avec et comme les autres : prendre les transports en commun, travailler et gagner sa vie, avoir un chez soi, partir en vacances, recevoir des amis, partager sa vie avec quelqu’un, puis éventuellement se marier et avoir des enfants. Il est important de signaler que, même si ces personnes sont déjà engagées dans un processus de vie autonome, elles sont généralement peu, ou mal informées sur la sexualité, cette question ayant été abordée très tardivement par leur entourage, voire occultée. De même, si la vie sexuelle des personnes handicapées est une idée désormais admise par les familles et les professionnels, les témoignages montrent que, lorsque le sujet est évoqué, il est rarement question d’amour et de vie de couple, mais plutôt de prévention des risques (maladies sexuellement transmissibles, ou contraception obligatoire). La notion de sexualité apparaît alors comme un danger où il n’est nullement question de véritable acte d’amour ni même de plaisir. L’association PADI (parents avec une déficience intellectuelle) créée en janvier 1998 constate l’apparition progressive depuis quelques années, des situations de parentalité chez des personnes avec une déficience intellectuelle. En plus des difficultés inhérentes à leur déficience, se surajoutent, les représentations sociales négatives et incapacitaires qui pèsent sur elles. A partir d’une meilleure connaissance de ces familles et du devenir de leurs enfants, des perspectives de recherche et d’accompagnement social pourraient voir le jour et permettre de favoriser et de partir des compétences de ces familles. Une estimation de 1995 proposait le chiffre de 13 000 enfants nés de parents avec une déficience intellectuelle. Les professionnels de services d’accompagnement ou qui travaillent en relation avec ces personnes évoquent très souvent l’expression d’un désir de parentalité de ces adultes. Évidemment, tous ne s’engagent pas dans un projet de procréation, mais cette question de la projection familiale est un sujet de préoccupation. Il semble que, selon la position occupée par celui qui parle, les difficultés évoquées soient de nature différente. Les facteurs d’émergence de ces situations de parentalité sont de trois ordres: 1) sur le plan politique d’abord, nous sommes passés progressivement, en France, de la ségrégation des personnes handicapées à une volonté d’intégration. Ceci s’est traduit par une évolution dans la manière de penser et de mettre en œuvre les pratiques éducatives ou celles d’accompagnement de ces personnes. L’objectif était d’œuvrer à atténuer les incapacités résultant des déficiences avec, comme résultat, une atténuation des situations de handicap. La loi de 1975 inscrit, comme une obligation nationale, l’intégration des personnes handicapées (scolaire, sociale, professionnelle), la loi de 2002 renforce la notion d’acteur chez ces personnes et celle de 2005 insiste sur l’idée de citoyenneté. Même s’il existe un décalage important entre les volontés politiques énoncées depuis bientôt 30 ans et les résultats observables en la matière (en particulier pour l’intégration scolaire et professionnelle), on relève des effets importants sur le plan de l’insertion sociale. La pratique d’activité dans la cité s’est développée et a pour conséquence l’adoption pour la personne des normes dominantes de l’environnement (avoir une voiture, des loisirs, vivre en couple, avoir des enfants, etc.). 2) Ensuite sur le plan social, l’espérance et les conditions de vie ont beaucoup progressé en France depuis 30 ans, aussi de plus en plus de personnes atteintes de déficience intellectuelle sont-elles en situation de procréer. Elles ont souvent bénéficié d’une éducation dés leur enfance et expriment de plus en plus clairement leur désir d’avoir un enfant. Dans le même temps, le regard porté sur ces personnes s’est modifié dans le grand public, même si bien des cheminements seront encore nécessaires pour considérer l’autre comme un autre nous-même, comme un alter ego. En effet, les représentations "monstrueuses" de l’autre subsistent toujours même si elles sont inconscientes. Cependant, les situations d’intégration par le travail, l’habitat ou encore l’immersion dans la vie sociale ont contribué à faire évoluer le regard porté sur les personnes avec une déficience intellectuelle. Le fait que les citoyens ordinaires les côtoient de plus en plus les rendent progressivement moins étranges, moins menaçantes, à bien des égards. 3) Enfin, sur le plan éducatif, les projets institutionnels ainsi que les pratiques éducatives auprès d’enfants et d’adolescents en institution, mettent l’accent, depuis plus de 20 ans, sur des notions comme l’autonomie, l’épanouissement et la socialisation. Évidemment, ces pratiques quotidiennes sont, d’une certaine manière, l’opérationnalisation des intentions politiques. Ainsi, dans les établissements spécialisés, la pédagogie a-t-elle consisté à faire en sorte qu’enfants et adolescents exploitent mieux et davantage leurs compétences. Les professionnels les ont soutenus dans leurs capacités à s’organiser seuls, à gérer un budget, à confectionner un repas, à se déplacer seuls dans la vie quotidienne, à choisir leurs vêtements etc. La valorisation de ces savoirs faire a favorisé chez eux, l’émergence d’une revendication du droit et de la possibilité de jouir d’une vie plus autonome. Les établissements se sont ouverts sur la ville, en travaillant en partenariat avec les structures de la cité. Le mode de socialisation s’est effectué plus souvent hors des murs de l’institution donc davantage en lien avec le milieu ordinaire, ce qui a rendu possible les mêmes opportunités de socialisation que tout à chacun. L’adaptation à l’environnement social a été facilitée. Du même coup, ils ont découvert les bénéfices liés à cette intégration. Tout cela a contribué à l’émergence progressive de désirs de vivre comme tout le monde. Au fil des années, l’évolution de la législation a transformé le secteur social et médicosocial, et participé à la valorisation des droits des bénéficiaires ou usagers. Nous allons retracer cette progression au travers de trois lois majeures. 4°) LE CADRE LEGISLATIF 4.1. La loi de 1975 : La loi du 30 juin 1975 a pour principal objectif l’intégration des personnes handicapées que ce soit au niveau scolaire, social et/ou professionnel. Néanmoins, on peut mettre en évidence des insuffisances majeures. Bien que celle-ci constitue une étape décisive pour structurer le secteur social et médicosocial, et malgré le fait qu’elle soit modifiée à vingt et une reprises entre 1978 et 2001, le texte ne dit rien des droits des personnes et de leur entourage. Il est encore centré sur des prises en charge à temps complet et n’organise pas les partenariats nécessaires entre l’Etat et les départements d’une part, entre ces autorités et les établissements et services, d’autre part. En outre, cette législation ne comportait pas d’outils suffisamment efficaces pour adapter l’offre aux besoins, ce qui explique les importantes disparités dans les taux d’équipement observés, selon les départements et les catégories d’établissements. 4.2. La loi 2002-2 : Les cinq orientations principales de la loi 2002-2 sont : 1 / Affirmer et promouvoir les droits des bénéficiaires ; 2 / Elargir les missions de l’action sociale et diversifier la nomenclature des établissements, services et interventions ; 3 / Améliorer les procédures techniques de pilotage du dispositif (planifications, programmations, autorisations) ; 4 / Instaurer une réelle coordination entre les divers protagonistes ; 5 / Rénover le statut des établissements publics. Le travail social découvre depuis une quinzaine d’années la problématique des usagers, comme sujets de droits. La notion d’usager tend à supplanter celle de bénéficiaire (des prestations sociales, du RMI, de l’aide sociale à l’enfance…) ainsi que celle de client (du service social par exemple). C’est manifestement un enrichissement de l’action sociale qui insiste tout à la fois sur les droits positifs des personnes concernées, sur les vertus de la contractualisation entre les professionnels et les bénéficiaires de leurs prestations ainsi que sur les questions éthiques qui les transcendent. Mais le souci de l’usager, de son bien-être et de sa satisfaction, n’est pas gratuit. Il sous entend en contrepartie, que celui-ci réponde à la norme et participe à la citoyenneté. Les principes et missions de l’action sociale et médico-sociale, tels qu’ils sont définis par la loi de 2002 sont développés en Annexe 1, ainsi que les droits garantis à toute personne prise en charge et les outils garantissant l’exercice de ses droits. 4.3. La loi 2005-102 : Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées En 2002, Jacques Chirac, alors Président de la République, décide de faire de l’insertion des personnes handicapées l’un des trois « grands chantiers » de son quinquennat. Trois ans plus tard, le 11 février 2005, la loi handicap met en place des avancées notables pour une prise en charge personnalisée et globale des personnes handicapées. Même si cette loi ne résout pas tous les problèmes posés par l’élaboration et la mise en en œuvre d’une politique globale en faveur des personnes handicapées, pour autant elle présente un certain nombre d’innovations majeures qui représente un complet renversement de perspectives. Alors qu’il y a trente ans, la loi était toute entière centrée sur la définition d’un statut pour le « handicapé », population cible, celle de 2005 fait au contraire de la participation des personnes à la vie sociale, son point de départ. Fondatrice de la prise en charge du handicap, la loi du 30 juin 1975 affirme pour la première fois le devoir de la nation envers les personnes handicapées (revue ASH supplément, septembre 2006, p.7). Trente ans plus tard, le constat est unanime, cette loi n’est plus adaptée. La distance est devenue trop grande entre les principes et la réalité : les personnes handicapées ne veulent plus être considérées comme une population à part ; elles aspirent à être reconnues pour ce qu’elles sont, des citoyens comme les autres, vivant au milieu des autres avec des moyens décents. En résumé, c’est un souhait bien au delà de l’intégration, ce qu’elles veulent c’est que la question de leur intégration ne se pose même plus. Or cet objectif est loin d’avoir été atteint avec la loi de 1975, que ce soit à l’école, au travail ou en matière d’accessibilité. La loi n°2005-102 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a été votée le 11 février 2005 (Journal officiel du 12/02/2005). Elle se compose de 101 articles et donne lieu à la rédaction de plus de 80 textes d'application. Elle apporte de nombreux changements dont l'ampleur est conditionnée par le contenu des textes d'application et les précisions qu'ils apportent. La loi du 11 février 2005 est l'une des principales lois sur les droits des personnes handicapées, depuis la loi de 1975 (voir Annexe 2). Elle met également en avant le droit à la compensation des conséquences du handicap comme principe fondamental. Ces besoins sont évalués en fonction du projet de vie de la personne, et seront ensuite concrétisés par le versement de la prestation de compensation. Cette dernière vient compléter les prestations sociales, pour permettre de mieux couvrir les aides humaines et techniques (aménagement du logement, du véhicule, aides spécifiques ou exceptionnelles comme les aides animalières). La notion de droit des usagers apparaît donc à l’aube des années 1980 autour des services publics (de l’administré à l’usager). L’administration et l’action sociale étant liées de fait, la première encadrant la seconde, le secteur social et médico-social traverse des mutations identiques : droit à compensation des conséquences du handicap et de la perte d’autonomie des personnes âgées, droit de la protection de l’enfance, droit des personnes en situation d’exclusion. En faisant constamment référence à la notion de droit à la compensation, certes légitime, il apparaît cependant que l’usager reste davantage perçu comme un sujet fragile (discrimination positive au sens de Robert Castel) que comme un citoyen à part entière. Il semble donc que c’est cette logique qu’a souhaité renverser la loi du 2 janvier 2002, en définissant des droits et libertés individuels des usagers du secteur social et médico-social, et en fournissant des outils propres à les garantir. 5°) LES NOTIONS DE PARENTALITE ET D’ESPACE Selon Claire Neirinck, « il n’est pas très difficile de parler des parents quand on est juriste : la notion relève incontestablement du droit. Il en va différemment de la parentalité » (2001, p.15). Le mot parent désigne le plus communément les pères et les mères, dont Gérard Poussin donne la définition suivante: « Un père et une mère, c’est une personne qui présente un comportement qui correspond à ce que l’on attend de la fonction parentale à un époque donnée et dans une culture donnée, qui s’identifie à cette fonction et qui est reconnue par l’enfant dans cette identité là. » (2001, p.48). Comme le remarque C. Neirinck, ce sont les parents, mais ils ne sont pas les seuls à assurer cette fonction. Or, il est très important de parler de ces autres personnes, car ce sont eux qui sont à l’origine de l’évolution que l’on tente d’appréhender aujourd’hui sous l’expression de « parentalité ». Ce terme, employé de plus en plus couramment, est en fait, un néologisme dérivé du terme parenté, toutefois ces deux termes ne sont pas synonymes. Crée dans les années 1950 par les psychanalystes, le terme parentalité désigne dans un premier temps un processus de maturation psychique qui se développe aussi bien chez la mère (maternalité) que chez le père (paternalité). Pour le psychologue Gérard Poussin, la parentalité est à la fois un besoin quasi inscrit dans le développement du sujet (un désir d’enfant), une ligne de démarcation manifestant le passage de l’enfance à l’âge adulte, un mouvement pouvant advenir ou non et susceptible de modifications aux différents âges de la vie. Cet auteur montre notamment comment la parentalité évolue vers une « parentalité totale » lorsque l’enfant est jeune, à une parentalité « sans enfant » lorsque ce dernier gagne en autonomie et quitte le domicile familial. Cette idée de mouvement introduit l’idée que chaque nouvelle naissance peut ouvrir sur une parentalité tout à fait différente pour un même sujet. Pour d’autres auteurs, « la parentalité peut se définir comme l’ensemble des réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des adultes de devenir parents, c’est-à-dire de répondre aux besoins de leurs enfants a trois niveaux: le corps (les soins nourriciers), la vie affective, la vie psychique. C’est un processus maturatif » (Lamour et Barraco, 1998, p.26). Il s'agit là d'une définition plutôt psychologique. Malgré des divergences de point de vue entre les psychologues, il existe un consensus pour considérer que la parentalité repose à la fois sur la tendance adulte à nourrir et à protéger l’enfant et sur l’intériorisation des soins reçus dans l’enfance. Pour les psychologues, la parentalité est donc une épreuve psychique dont l’issue est incertaine, notamment lorsqu’elle émerge sur un terrain psychique déjà problématique, carencé, en raison d’une petite enfance mal métabolisée. De ce point de vue, on peut considérer que les parents reconnus déficients intellectuels peuvent être confrontés à ce cas de figure. La parentalité dans le travail social, désigne également la manière d’être parents comme moyen permettant l’évolution psycho affective de l’enfant. Dans son livre, Les enjeux de la parentalité (1999), le professeur Didier Houzel, pédopsychiatre et psychanalyste, décrit trois grande fonctions de la parentalité : # L’exercice de la parentalité, qui renvoie sur le plan juridique aux droits et aux devoirs des parents. C’est aussi ce qui structure au niveau symbolique les places parentales, et les impliquent dans une filiation et une généalogie. # L’expérience de la parentalité. Il s’agit de l’expérience consciente ou inconsciente du fait de devenir parent, c’est-à-dire le remaniement profond psychique et affectif lié au changement de position dans la chaîne générationnelle. C’est l’axe du ressenti. # La pratique de la parentalité implique des tâches objectivement observables, telles que les soins et les pratiques éducatives. Ces actes pouvant être délégués à d’autres personnes considérées non comme des substituts parentaux, mais comme des personnes exerçant des fonctions de « suppléance » parentale, selon le terme utilisé par Paul Durning, professeur en sciences de l’éducation. Cette « suppléance » sera fréquemment rencontrée dans les familles interrogées. L’extension du terme parentalité dans les années 1980, et son passage dans le langage commun marque une évolution notable, mais s’accompagne aussi d’une multiplication de sens. Le terme parentalité fait son entrée dans le vocabulaire commun du fait de l’évolution des formes familiales. Au départ par le biais de la « monoparentalité », pour éviter le terme de fille-mère. De même, l’accroissement des divorces conduira à l’introduction du terme de coparentalité (modèle parental qui survit à la disparition du couple, et assure à l’enfant la présence de ses deux parents). Enfin le terme de pluriparentalité est introduit face à l’augmentation des recompositions familiales, de nombreux enfants vivent avec un de leur parent et un beau-parent. Le terme parentalité rend ainsi compte de la diversité actuelle des formes familiales et l’ajout de préfixes (mono/pluri/homo/co) à ce qui devient dès lors le radical (parentalité) permet d’accompagner ses déclinaisons. Ces évolutions de structures familiales ont permis à la notion de parentalité d’être admise par les sciences sociales et d’être reconnue par l’INSEE. Au delà de cette énumération, il s'agit d'être attentif aux exigences normatives multiples et variées que chacune renferme. Dans la référence croissante à ce terme, on peut voir une réhabilitation de la place de la famille, la reconnaissance, la valorisation de leurs capacités. Pour certains, « l’accent n’est plus mis sur les manques, les failles, mais sur les compétences parentales (…) Les parents sont réintroduits comme partenaires premiers, responsables et compétents. » (Sellenet, 2007 p.6). Mais, on peut également voir le constat des défaillances parentales. Ainsi, pour d’autres, la famille et ses nouvelles formes sont synonymes de démission parentale, de perte d’autorité, de déclin du père. On parle même de « reparentaliser » des parents en mal de repères. Les parents sont installés au coeur de nouvelles stratégies : à la fois comme de possibles responsables à mieux contrôler, mais aussi comme des voies de solution, à associer à l'intervention. Le terme parentalité traduit alors une nouvelle volonté publique d’agir sur les pratiques parentales, son introduction et son développement sont aussi le signe d’un contrôle social. Michel Chauvière la présente comme une catégorie de l'action publique. Selon lui, "la politique de la parentalité implique une nouvelle pensée de la famille, qui intègre l'ordre généalogique et l'organisation courante, tout en étant aussi une pensée de la société, de sa reproduction, autant que de l'ordre public." (Chauvière, Informations sociales, 2008, p.17) Il explique comment la parentalité, institutionnalisée, est d'abord une norme morale considérée comme quasi naturelle. C’est aussi une norme collective utilisée par les pouvoirs publics comme moyens de contrôle : les autorités locales exerçant dans ce domaine un légitime pouvoir de surveiller, voire de punir. Face aux difficultés des parents dans la socialisation des enfants, le soutien à la parentalité fait l’objet de nombreuses initiatives. Tout un travail d’éducation parentale se développe pour répondre à l’image de la bonne famille diffusée partout. Pour certains, il y aurait des contextes familiaux producteurs d’inadaptation voire de délinquance. Il s’agit d’un discours d’ordre public qui n’est pas fondé objectivement pour le moment. Cette « vulgarisation » du soutien à la parentalité qui envahit le discours des professionnels de l'enfance et du social peut traduire, soit une nouvelle conception des relations entre parents et professionnels, soit une nouvelle "police des familles" comme l'évoque Jacques Donzelot. Au vu de ces différentes conceptions de la famille, de nouvelles politiques de soutien à la parentalité émergent, mais elles laissent souvent place à un discours sur le risque mobilisant des pratiques d'étayage face à des parents disqualifiés. Elles succombent également fréquemment à la tentation répressive (suspension des allocations familiales, engagement de la responsabilités pénales des parents face aux infractions de leur progéniture, stage de formation ou de rééducation parentale). On assiste plutôt à un renforcement du contrôle social des populations "dangereuses" plutôt qu'une perspective de réel soutien à la parentalité. En somme, la parentalité comme catégorie politique résonne doublement : d'une part, "elle nourrit la stratégie de réarmement moral des familles face aux difficultés sociales et éducatives du moment", d'autre part, "elle sert en grande partie à masquer la réalité des rapports sociaux et surtout les origines économiques et politiques des fragilités et des précarités contemporaines, dont les groupes familiaux cumulent évidemment les effets, sans toujours bien être capables par eux-mêmes de les amortir, et à fortiori de les réduire." (Chauvière, Informations sociales, 2008, pp. 26-27) Ainsi, le terme de parentalité est polysémique. Il peut être connoté aussi bien positivement que négativement, selon les idéologies qu'il porte. Au terme de ces réflexions, nous retiendrons la définition suivante de Catherine Sellenet: "la parentalité est l'ensemble culturellement défini des obligations à assumer, des interdictions à respecter, des conduites, des attitudes, des sentiments, des émotions, des actes de solidarité et des actes d'hostilité qui sont attendus ou exclus de la part d'individus qui se trouvent dans des rapports de parents à enfants." (2007, p.31). Ainsi, on peut voir que la question de la parentalité ne peut être dissociée des aspects environnementaux. En effet, certains aspects de la parentalité peuvent être modifiés selon le contexte économique, culturel, social et familial, mais aussi selon les réseaux de sociabilité, le contexte institutionnel, c’est-à-dire l’étude de l’ensemble des interventions proposées ou imposées à la famille, et le contexte juridique gérant les rapports entre individus. Après cette analyse de la parentalité, centrale pour ma recherche, une autre notion, primordiale elle aussi, celle d’espace doit être éclaircie. Il s’agit de comprendre comment s’organise l’espace des professionnels et celui des parents, et comment les deux sont en interaction. Selon Le petit Larousse illustré (2004), le mot « espace » comporte plusieurs définitions. Au sens psychologique, l’espace est la représentation d’une étendue ; ce que nos sens en connaissent. Pour les mathématiques, il s’agit d’un ensemble de points, de vecteurs, sur lequel on a défini une structure. Un « espace » correspond aussi à une surface, un milieu affecté à une activité, à un usage particulier. De la psychologie à l’anthropologie, en passant par la géographie et l’urbanisme, la notion d’espace est largement utilisée au sein des sciences humaines et sociales. Dans les sciences politiques de la ville et tout ce qui touche à l’urbanisme, on peut mettre en évidence le point de vue fonctionnaliste surtout développé par Le Corbusier en France dans les années 1970, avec la création des quartiers au sein de la ville. Mais ce concept ne prend pas en compte la dimension du lien social. C’est donc sur ce point que les anthropologues et psychosociologues vont réfléchir, à savoir sur les rapports entre l’espace en tant que support matériel, comme cadre, et en tant que volume d’activité humaines. Du point de vue interactionniste, l’espace est le lieu des actions réciproques des individus régis par des règles et des normes. Ainsi, certains pensent l’espace comme un support matériel, un contenant non déterminé par son contenu, mais de ce point de vue, l’espace est dépendant de son contenu. Il est un système de positions et de relations de positions. Cela montre en quoi l’espace a un lien avec les interactions des individus et les relations réciproques. Au travers des interactions individuelles, E. Goffman montre que les actions individuelles dans un espace donné ne sont qu’une métaphore théâtrale. Ainsi, chaque individu serait un comédien, jouant un rôle précis conforme à l’espace dans lequel il se trouve et conforme aux attentes des autres personnes en présence (La mise en scène de la vie quotidienne, 1973). Selon lui, l’individu peut jouer plusieurs rôles différents en fonction des personnes et des espaces fréquentés. A ce titre, l’espace est non seulement un cadre matériel mais également porteur de significations pour les individus qui y sont en interaction. D’un point de vue anthropologique, chaque espace favorise le contact tout en sachant limiter les distances entre les individus. Ainsi, dans chaque culture il existe quatre types de distance spatiale : la distance intime, la distance personnelle, la distance sociale et la distance publique. Chacune varie en fonction des personnes, des sociétés et des lieux dans lesquels nous nous trouvons. C’est en privilégiant l’approche interactionniste que nous allons essayer de comprendre comment les parents désignés déficients intellectuels et les travailleurs sociaux s’approprient un certain espace. Comment celui-ci les incite à s’organiser de telle ou telle manière, selon les représentations qu’ils peuvent avoir et selon les attentes de rôles en vigueur. Pour ce faire, voici la méthodologie que j’ai mise en place. DEUXIEME PARTIE METHODOLOGIE 1°) CHOIX METHODOLOGIQUES DE L’ENQUÊTE : VERS UNE SOCIOLOGIE COMPREHENSIVE J’ai interrogé des parents reconnus et catégorisés comme ayant un handicap mental et/ou une déficience intellectuelle, sur leur univers social, leur expérience en tant que parents, leurs aspirations, les relations qu’ils peuvent entretenir avec les différents intervenants sociaux et leurs ressentis vis à vis de ces suivis. Il s’agissait également de mesurer les effets de ce réseau professionnel sur la place occupée par ces parents, d’où le fil conducteur de ma réflexion en termes d’espace. J’ai choisi de travailler à partir d’entretiens (voir guide d’entretien en Annexe 3). En effet, j’ai écarté l’idée de travailler à l’aide de questionnaires parce que cette technique ne me semblait pas adaptée à ma recherche. C’est avant tout le ressenti des personnes, leurs représentations et leur vécu qui m’intéressent. Je souhaitais avoir accès à leur vision de la vie quotidienne et étudier leurs réactions face aux situations auxquelles ils sont confrontés. En outre, la technique du questionnaire n’est pas accessible à ces parents qui, pour la plupart, ont un assez faible niveau de lecture et d’écriture. Il aurait donc fallu que les parents soient aidés par une tierce personne pour remplir ce questionnaire, ce qui aurait pu influencer ou induire certaines de leurs réponses. J’ai aussi essayé de rédiger des questions ouvertes et de les simplifier le plus possible. En cela, la connaissance du public choisi, au travers de ma pratique professionnelle, a influé l’élaboration du guide d’entretien. J’ai pris des précautions qui auraient peut-être été différentes si je n’avais pas cette expérience autour de la déficience intellectuelle. Ainsi, ma préoccupation dans le choix des mots et la tournure des phrases vient déjà marquer ma représentation de ce que j’imagine être la déficience, le handicap. Le simple fait de se poser la question de savoir si le guide d’entretien et les questions posées seraient compréhensibles vient déjà marquer une différence de ces parents. J’ai fait également des entretiens auprès de divers professionnels du social susceptibles d’intervenir auprès des ces familles, afin de faire une analyse croisée des discours recueillis, et de comprendre ce qui se met en place. Mon objectif étant de saisir le discours et les logiques institutionnelles, les attentes face à ce public de parents déficients intellectuels, mais aussi d’observer le rôle et la place de chaque professionnel dans la famille, pour mieux comprendre l’espace réservé à chacun et plus particulièrement aux parents. Une autre raison pour laquelle j’ai choisi l’entretien, c’est parce qu’il permet d’accéder d’avantage aux représentations des deux parties, que le questionnaire. De plus, le fait d’aller rencontrer les personnes directement permet d’observer des éléments utiles pour l’analyse. Néanmoins, cela peut induire des difficultés et d’autres représentations face à ce que l’on voit. Il ne faut pas occulter le fait que l’on modifie la réalité rien que par notre présence. Autrement dit nous n’avons jamais accès directement à la réalité. Chacun possède ses propres filtres, en fonction de son éducation, de sa culture, etc. Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron parlent de l’enracinement du sociologue : « C’est en effet lorsqu’il s’ignore comme sujet cultivé d’une culture particulière et qu’il ne subordonne pas toute sa pratique à une mise en question continue de cet enracinement, que le sociologue est vulnérable à l’illusion de l’évidence immédiate ou à la tentation d’universaliser inconsciemment une expérience particulière » (2005, p.100). Je pense également que le métier que l’on exerce alimente nos représentations, oriente notre regard et conditionne notre façon d’aborder le monde qui nous entoure. Être éducateur spécialisé implique une certaine vision du handicap et de la déficience. A l’inverse, être face à un travailleur social peut avoir des effets en termes de réduction de la parole ou de présentation de soi. Cette influence a fait partie de l’analyse des entretiens. Olivier Schwartz expose la perturbation du comportement de l’enquêté face à l’enquêteur et pose la question de la validité des résultats obtenus. Pour lui, « on connaît l’aporie classique et incontournable de la position d’observateur : il n’a jamais accès en l’observé qu’à des comportements induits par sa propre présence. Les sujets qu’ils regardent sont des sujets modifiés par son observation non les sujets eux mêmes » (1990, p. 36). je me suis donc posée la question de savoir si je devais faire les entretiens avec les deux parents, ou un seul des parents à la fois. J’ai choisi d’interroger les deux parents en même temps quand cela se présentait, pour privilégier une dynamique dans l’entretien, même si parfois, je me suis exposée au risque que l’un des deux se taise face à l’autre. Les entretiens avec les parents se sont avérés plus directifs qu’avec les professionnels, en raison du handicap, du manque de spontanéité, mais aussi de leurs angoisses. Il faut bien avouer, qu’évoquer tout ce qui touche à la parentalité constitue une intrusion dans leur espace intime. 2°) APPROCHE DU TERRAIN Je ne pouvais pas aller interroger des familles que j’accompagne dans le cadre de mon travail quotidien. D’une part, parce que je ne pourrais pas être neutre, même si la neutralité pure n’existe pas. D’autre part, parce que les familles interviewées me connaissant en tant qu’éducatrice spécialisée, elles risquaient de ne pas me donner à voir les mêmes choses que si je leur étais inconnue. Tout comme la position crée le point de vue, le statut induit des réponses de la part de l’autre. J’ai donc contacté des services ou associations tutélaires connues par l’intermédiaire de mon travail. En effet, j’ai souhaité délimiter le public de ma recherche : des parents sous mesure de protection et /ou bénéficiant de l’allocation adulte handicapé (AAH). Ceci afin de rencontrer des parents reconnus déficients intellectuels (la protection juridique n’est prononcée que pour des personnes dont les capacités intellectuelles et mentales sont diminuées ou si la personne se met en danger), mais aussi reconnus comme étant en situation de handicap (l’AAH n’est délivrée que lorsque une incapacité a été reconnue par les maisons départementales pour les personnes handicapées -MDPH). La sélection des parents rencontrés s’est effectuée à partir du critère de l’allocation adulte handicapée (AAH). L’AAH est un minimum social destiné aux adultes handicapés âgés de 20 ans ou plus. Elle est attribuée sur décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et de l’organisme payeur (caisse d’allocation familiales ou mutualité agricole). Pour en bénéficier, le demandeur doit être atteint : - d’un taux d’incapacité permanente supérieur ou égal à 80% - d’un taux d’incapacité permanente compris entre 50 et 79% mais pour lesquelles elles ont reconnu l’impossibilité de se procurer un emploi du fait du handicap et ne pas avoir occupé d’emploi depuis un an à la date du dépôt de sa demande d’allocation. L’attribution de l’AAH est également soumise à des conditions d’âge, de résidence et de ressources. Le fait d’avoir une mesure de protection juridique est un critère supplémentaire, puisqu’il constitue ma mise en relation avec ce public, mais il n’est pas un critère systématique à toutes les familles interrogées. Il induit par conséquent un secteur géographique en fonction de l’association tutélaire et du professionnel choisi. En ce qui concerne ma recherche je l’ai limité au département de l’Oise et plus précisément sur le secteur de Compiègne, Noyon et Creil. Ainsi, pour les cinq familles qui ont fait l’objet d’une analyse complète, quatre ont une mesure de protection juridique de type curatelle renforcée. La curatelle est une mesure judiciaire permettant à une personne d’être conseillée ou contrôlée dans les actes de la vie civile par un curateur désigné par le juge des tutelles. Les personnes concernées sont celles dont les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l’âge ou dont l’altération des facultés corporelles empêchent l’expression de la volonté. L’altération doit être médicalement établie. Elle concerne également celles qui dilapident leur patrimoine en s’exposant à des conséquences mettant en cause leur moyen de subsistances ou qui compromettent l’exécution de leurs obligations familiales. Cette sélection a amené à quatre situations de couples vivant en concubinage, et une famille monoparentale. Sur ces cinq situations familiales, il y en a deux où les enfants vivent au domicile avec leurs parents, deux où ils sont placés par décision judiciaire et une situation intermédiaire que je vais expliciter plus en détails. Chaque famille fait l’objet d’un suivi important par de multiples services sociaux et médico-sociaux Je me suis ainsi adressée à une UDAF1 (union départementale des associations familiales), parce que ces associations, reconnues d’utilité publique, sont chargées par la justice d’accompagner la grande majorité des tutelles et curatelles. J’aurais aussi très bien pu passer par la MDPH, mais j’ai choisi les associations tutélaires pour une question d’accessibilité et de faisabilité. J’ai, de cette façon, été mise en relation avec huit familles, en essayant de diversifier les situations parentales, c’est à dire des foyers avec enfants placés ou pas, sur décision judiciaire ou pas, dans différents lieux d’accueil (maison d’enfants, famille d’accueil, 1 Juridiquement indépendante de l’UNAF. Association de loi 1901, reconnue d’utilité publique, elles ne regroupent que des personnes morales. foyers…). L’importance étant accordée au statut de parents avec une AAH. Deux autres situations familiales n’ont pu donner lieu à un entretien, en raison d’un refus. Les entretiens avec ces huit familles ont pu faire l’objet d’une analyse complète pour cinq d’entre eux, et d’une analyse partielle pour les trois autres (en raison d’un problème informatique qui a entraîné la perte de données pour deux, et compte tenu des propos très limités dus à la déficience de la personne interrogée pour le troisième). Une présentation schématique sera faite ultérieurement. Les premières rencontres avec celles-ci se sont faites en présence du tuteur, ce qui n’a pas été sans incidences, comme je le montrerai. Concernant le choix des informateurs, du côté des professionnels du social, j’ai dans un premier temps souhaité interroger directement ceux qui interviennent auprès des familles interrogées pour travailler à la manière « d’études de cas ». Cela n’a pu se faire ainsi pour deux raisons : d’une part, la difficulté de rencontrer les différents professionnels dans le temps imparti de ma recherche. En effet, j’ai été dans l’obligation de multiplier les demandes d’autorisation par courrier ou téléphone, et les rencontres avec des responsables de services (chef de service en MECS, chef de service au CATTP, Coordonnateur ASE pour la MSF, psychiatre pour le CMP…) afin d’avoir accès aux professionnels de terrain. Ce qui met en évidence une certaine organisation institutionnelle et hiérarchique à respecter, mais aussi un espace particulier pour le travailleur social. Le plus difficile a été l’accès aux professionnels relevant du soin et du secteur psychiatrique car la hiérarchisation y est très importante et la question du secret professionnel omniprésente. Par exemple je n’ai pas eu l’autorisation d’aller interroger des professionnels en CMP (enfant), j’ai simplement pu rencontrer l’équipe pluridisciplinaire (psychiatre, psychologues, éducatrices) pour échanger sur mon sujet de recherche et avoir leur point de vue. De plus, les délais d’attente de réponse ont été longs, ce qui a orienté mes choix concernant les professionnels interrogés, compte tenu du temps octroyé. Il a été également impossible d’avoir l’assentiment de tous les professionnels intervenant autour d’une seule et même famille. D’autre part, le problème informatique auquel j’ai été confronté m’a obligé a prospecter auprès de nouvelles familles qui n’étaient pas forcément en relation avec les professionnels que j’avais déjà interrogés. Là aussi, je présenterai le profil de ces professionnels ultérieurement. 3°) LA PROXIMITE AVEC LE TERRAIN DE RECHERCHE : ENTRE FACILITATIONS ET DESAGREMENTS Bien que je travaille régulièrement avec ces services ou associations, ce qui a facilité les contacts et la mise en relation avec les familles de PADI, des inconvénients sont apparus. En effet, cette proximité professionnelle induit des comportements de connivence implicite et cette absence de distance avec la pratique professionnelle rend le travail d’objectivité encore plus difficile. Il est également très délicat de se positionner différemment avec des partenaires professionnels qui ne comprennent pas forcément notre nouvelle attitude. C’est un peu comme si on ne parlait plus le même langage. Cela peut les mettre en difficulté, car ils se retrouvent un peu dans l’obligation de se remettre en question par rapport à leur propre fonctionnement et représentations. Le travail de collaboration professionnelle futur peut en être affecté. Le discours du tuteur peut également être déstabilisant pour la recherche, car il peut véhiculer beaucoup de préjugés sur la famille à rencontrer. En général, sans que j’en fasse la demande, le tuteur brosse spontanément un tableau descriptif de la famille en y mettant toute sa subjectivité, ses présupposés, et ses représentations. Ainsi, en plus de ses propres représentations le chercheur doit être vigilant et essayer de mettre de côté celles du tuteur. Le fait d’aller interroger des personnes handicapées, outre la démarche de leur donner la parole, peut induire un rapport de domination entre l’enquêteur et les enquêtés. En effet, cette population se classe généralement du côté des dominés dans notre société, et bien que mon choix ne se soit pas effectué en fonction de cette variable, je ne dois pas occulter ce risque. On peut imaginer qu’il est bien plus facile d’aller interroger des personnes d’une classe dominée, par rapport à la sienne. Mais est-ce la situation de l’entretien qui crée la domination ou est-ce une position « naturelle » chez eux ? La manière de se présenter et d’expliquer le sujet de ma recherche a également fait l’objet d’un questionnement. Du côté des parents, il a été clair que je ne me présente pas en tant que travailleur social mais comme étudiante en sociologie effectuant une recherche. Afin d’expliquer ce qu’est la sociologie, terme fort peu compréhensible pour mes informateurs, je me suis inspirée d’une définition toute simple : « Dans son sens le plus général, pour Yves Crozet, la sociologie est la science qui se propose d’étudier scientifiquement l’homme vivant en société, les relations entre les individus et les mécanismes de fonctionnement des sociétés humaines. » (Lexique de sociologie, Dalloz, 2005, p.243). Ce qui a retenu l’attention des familles est avant tout le statut d’étudiante. Ainsi un père me dit : « étudiante ! Vous êtes encore à l’école à votre âge ? Vous ne travaillez pas ? ». Je me suis alors interrogée sur la crédibilité de mes propos et plus encore lorsque cette même personne me dit en fin d’entretien : « Vous devriez faire un boulot dans le social ou psy parce que vous écouter bien les gens ». Fallait-il vraiment dissimuler le fait que je sois également éducatrice spécialisée ? De toute façon, il m’a fallu en faire fi puisque, suite à des problèmes informatiques, je me suis retrouvée à devoir effectuer de nouveaux entretiens très rapidement, au moment des vacances d’été, alors que la plupart des professionnels qui m’avaient mis en relation n’étaient pas disponibles. Je me suis donc adressée à des familles avec lesquelles j’avais travaillé quelques années plus tôt, et qui, par conséquent, avaient tout à fait connaissance de mon statut. Contrairement à ce que j’avais imaginé, cela n’a pas eu pour effet de réduire la parole ou donner lieu à des suspicions. J’ai senti ces parents bien plus à l’aise dans l’entretien. C’est peut-être du côté du chercheur que cela a été plus compliqué. La distance à prendre dans les propos recueillis, les connivences, les allusions à certains évènements ou certaines personnes dans leurs trajectoires n’ont pas forcément été réinterrogés. Le fait de connaître mon statut a également pu mettre en évidence une attitude des parents à laquelle je n’aurais peut-être pas eu accès dans d’autres circonstances : la revendication et la critique des travailleurs sociaux. Néanmoins, celles-ci correspondants à mes attentes, je me suis aussi demandé si je ne les avait pas induites. La présentation du thème de ma recherche n’a pas non plus été simple. Comment expliquer mon intérêt de travailler et de comprendre la façon d’être parent avec un handicap mental, sans heurter ni stigmatiser davantage les personnes ? Comment aller interroger sur une situation, souvent source de souffrance, à cause des liens discontinus des parents avec leurs enfants qui les caractérise pour la plupart ? Sans avoir axés directement sur la question du handicap, j’ai insisté sur la compréhension de leur quotidien en tant que parents et les relations avec les travailleurs sociaux. 4°) UNE POPULATION « ENCADREE » ET DES PROFESSIONNELS « SATELLITES » A l’aide de schémas, je vais présenter chaque famille et le réseau professionnel qui l’entoure. Situation n°1 : Lise Lise est une mère seule, de 36 ans, ne travaillant pas. Elle est locataire d’un appartement et a eu 3 enfants : une fille, décédée à l’âge de 10 ans, et un fils de 8 ans d’une même union, puis une fille de quatre ans d’une autre union. Les deux enfants sont placés en institution (maison d’enfants à caractère social) suite à une dépression et à une hospitalisation en psychiatrie de Lise. Elle a un droit de visite tous les quinze jours à son domicile, en présence d’une TISF, ainsi qu’un droit de visite par mois sur le lieu d’accueil des enfants. Lise est en contact avec sa famille proche : sa mère et une sœur. Centre hospitalier interdépartemental (CMP) Centre d’accueil Technicienne thérapeutique à temps d’intervention sociale et partiel familiale (TISF) (CATTP) Maison de la solidarité et des familles (MSF) (assistante sociale) Lise (La maman) Délégué à la tutelle Maison d’enfants à caractère social (éducateurs) les professionnels interrogés lors de l’enquête Situation n° 2 : Sam et Cécile Ils sont en couple depuis 5 ans. Ils se sont connus au CATTP. Sam est âgé de 49 ans et de 26 ans. Ils ne travaillent ni l’un ni l’autre, sont locataires d’un appartement et ont un garçon de 15 mois qui vit au domicile. Cécile est en contact avec sa mère et sa sœur et Sam avec sa sœur. Ils ont aussi un réseau amical. Centre hospitalier interdépartemental (CHI) et centre médico psychologique (CMP) Protection maternelle infantile (PMI) Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) Technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF) Sam et Cécile (les parents) Délégué à la tutelle pour Mr Maison de la solidarité et des familles (MSF) Assistante sociale Crèche de quartier Délégué à la tutelle pour Mme les professionnels interrogés lors de l’enquête Situation n°3 : Eric et Sylvia Ils vivent en concubinage depuis 11 ans et sont propriétaires de leur appartement. Eric a 45 ans et travaille en atelier protégé. Sylvia a 32 ans et travaille en ESAT. Ils ont un garçon de 8 ans, placé en pouponnière à l’âge de trois mois suite à des maltraitances de son père. L’enfant vit actuellement en famille d’accueil dans la même ville qu’eux. Ils ont un droit de visite à leur domicile deux fois par mois sur un temps donné avec une TISF. Sylvia a des contacts importants avec sa famille, ce qui n’est pas le cas d’Eric. Maison de la solidarité et des familles (MSF) Assistantes sociales et éducateurs Délégué à la tutelle pour Mme (son père) Atelier protégé pour Mr Eric et Sylvia (les parents) Etablissement et service d’aide par le travail (ESAT) pour Mme Psychiatre en libéral pour Mr Centre médico psychologique pour Mme Famille d’accueil Situation n°4 : Francis et Martine Ils vivent en concubinage depuis 14 ans. Ils se sont rencontrés à l’ESAT et sont locataires d’une maison. Françis, 38 ans, travaille toujours en ESAT ; Martine, 39 ans, a arrêté de travailler. Ils ont quatre enfants, une fille de 12 ans, deux garçons de 9 ans et 5 ans et une petite de 2 ans. Les enfants vivent tous au domicile de leurs parents et suivent une scolarité ‘classique’. Tous deux n’ont plus leurs parents et n’ont aucun contact avec leur famille. Ils ont néanmoins un réseau amical. Technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF) Maison de la solidarité et des familles (MSF) Assistante sociale et aide éducatrice Etablissement et service d’aide par le travail (ESAT) pour Mr Francis et Martine (les parents) Protection maternelle infantile (PMI) Centre médico psychologique (enfant) Centre médico psycho pédagogique (CMPP) les professionnels interrogés lors de l’enquête Situation n°5 : Hugues et Berthe Ils vivent en concubinage depuis 19 ans et ne travaillent pas ni l’un ni l’autre. Hugues a 54 ans et Berthe 53 ans. Tous deux sont issus de familles nombreuses (18 enfants du côté de Mr et 9 du côté de Mme). Ils sont propriétaires d’une maison, mais vivent dans des conditions d’habitat précaires. Ils ont trois enfants : un garçon de 16 ans, placé en maison d’enfant pendant un an, qui à présent est revenu vivre avec eux, et des jumeaux de 13 ans, dont l’un est au collège et l’autre en internat en IME avec retour en famille deux weekend par mois. Berthe a aussi un fils de 30 ans avec qui elle n’a plus aucune relation. Ils n’ont aucun contact avec leurs familles respectives et ont peu d’amis. Délégué à la tutelle Maison de la solidarité et des familles (MSF) Assistante sociale et éducateurs Hugues et Berthe (les parents) Juge pour enfants Centre médico psycho pédagogique (CMPP) Institut médico-éducatif (IME) De façon générale, on retrouve quasiment les mêmes suivis pour toutes les familles dont les parents sont reconnus avec un handicap mental. J’ai pu le vérifier au cours des différents entretiens, mais aussi dans ma pratique professionnelle en service d’accompagnement à la vie sociale. Ainsi, on retrouve très fréquemment le service de protection maternelle infantile (PMI) qui, lorsque la famille est déjà connue des services sociaux, intervient dès l’annonce d’une grossesse, ou lors de l’hospitalisation en maternité. En effet, la PMI est informée de chaque nouvelle grossesse puisqu’elle reçoit les déclarations, hormis celles des personnes relevant du régime militaire et de la MSA (mutualité sociale agricole). Elle peut, néanmoins, être informée par d’autres biais de difficultés ou risques potentiels, que ce soit par un gynécologue, une maternité ou une école, par information signalante. Le service de la PMI fait partie du dispositif enfance et famille du conseil général de l’Oise. Son personnel intervient à plusieurs niveaux. Les médecins, les infirmières et les puéricultrices sont à même de répondre à toutes les interrogations des jeunes parents avant et après la naissance et veillent sur la santé des enfants de moins de 6 ans (consultations, vaccinations et bilans en école maternelle sont organisés tout au long de l’année). Ce sont également eux qui assurent le contrôle et le suivi des crèches, halte garderie ou des lieux d’accueil parents-enfants. La PMI intervient auprès de tout public : « C’est tout public, alors bien souvent les gens pensent qu’on voit que des gens en difficultés… parce qu’il y en a beaucoup c’est vrai mais c’est pas que ça ! La PMI a une image de placeuse d’enfant alors que… » (infirmière puéricultrice à la PMI). Néanmoins, elle est très présente auprès des publics en difficulté, et je l’ai retrouvée dans chaque cas de grossesse avec des parents déficients intellectuels que j’ai été rencontrer. On trouve ensuite, auprès de ces familles, le service social du conseil général (MSF) avec des assistantes sociales, des éducateurs, éducateurs de jeunes enfants…2 Le plus souvent, ces travailleurs sociaux sont quasiment intégrés à la famille. Et il arrive que les parents ne se souviennent même plus de leur première rencontre ni du motif de celle-ci. Ils ont également du mal à différencier les rôles de chacun et les différentes missions. « …Ils vont voir X et Y… Ce sont des assistantes sociales ? assistantes sociales et puis euh…aide euh… éducatrice spécialisée oh ouais je sais plus… »(Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) « Et par rapport aux travailleurs sociaux tout à l’heure vous avez évoqué plein de monde, donc l’éducatrice de la MSF, vous avez aussi parlé des assistantes sociales de la MSF, c’est quoi la différence entre les deux ? Madame : oh la !!!(soupir), Monsieur : ba les assistantes sociales on a des rendez-vous. Madame : la différence ?(Eric et Sylvia) 2 Il est important de souligné que, dans l’exemple étudié, le service de PMI se trouve dans les mêmes locaux que les assistantes sociales et éducateurs de l’aide sociale à l’enfance, ce qui contribue peut-être à une transmission plus importante des informations. L’assistante sociale intervient en règle générale dans un domaine administratif, en cas de demandes d’aides financières diverses. Lors d’un placement des enfants, c’est elle qui organise les droits de visite et d’hébergement et qui fait lien avec le parent. L’éducateur spécialisé du service social intervient dans le cadre de la protection de l’enfance et en cas de problème éducatif avec les enfants. Il peut apporter aide et soutien aux familles en difficulté et peut aussi être à l’initiative de signalement ou être interpellé par le juge pour des enquêtes sociales. Les techniciennes d’intervention sociale et familiale (TISF) sont également très souvent présentes autour de ces familles. Leur but est d’apporter aux familles en difficulté (maladie, maternité, abandon…) une aide à domicile par l’intervention des travailleuses familiales. Certaines associations ont tenu à élargir et diversifier leur projet associatif en ciblant également les personnes adultes handicapées ou les personnes vieillissantes. Les TISF interviennent à la demande des services sociaux, souvent de l’assistante sociale, mais également par l’intermédiaire d’un délégué à la tutelle ou d’un éducateur ou encore directement par un juge qui mentionne une garde des enfants au domicile en présence d’une TISF. Il est très rare que la famille sollicite directement une intervention. Dans ce cas, il s’agit de personnes en difficulté ponctuelle dues à une maladie, un abandon du domicile, un décès ou encore des naissances multiples. Le délégué à la tutelle est lui aussi un professionnel très présent dans l’environnement de ces familles. Nous avons déjà pu expliquer auparavant ce qu’il en était de ses missions, essentiellement autour de la gestion administrative des biens et de la gestion des personnes au sens large. Les services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) sont régis par le décret n° 2005-223 du 11 mars 2005 (voir Annexe 4). Ils ont pour vocation de contribuer à la réalisation du projet de vie de personnes adultes handicapées par un accompagnement adapté pour favoriser le maintien ou la restauration de leurs liens familiaux, sociaux, universitaires ou professionnels et faciliter l’accès à l’ensemble des services offerts par la collectivité. Ils prennent en charge des personnes adultes, y compris celles ayant la qualité de travailleurs handicapés, dont les déficiences et incapacités rendent nécessaires, dans des proportions adaptées aux besoins de chaque usager : une assistance ou un accompagnement pour tout ou partie des actes essentiels de l’existence, ainsi qu’un accompagnement social en milieu ouvert et un apprentissage à l’autonomie. Il est à noter que tous les services d’accompagnement à la vie sociale n’interviennent pas forcément qu’en direction des parents déficients intellectuels : il s’agit bien souvent d’un choix ou d’un projet associatif. Dans le département de l’Oise, à ma connaissance, un seul SAVS travaille avec ce public, le service où je suis salariée. C’est pourquoi j’ai fait le choix de ne pas aller enquêter sur mon propre lieu de travail et que je n’ai pas d’autres entretiens sur ce type de structures. L’établissement et service d’aide par le travail (ESAT) peut également participer à l’accompagnement des parents déficients intellectuels. Anciennement centre d’aide par le travail (CAT), l’ESAT est un organisme médico-social chargé de la mise au travail, de l’accompagnement médical et social de personnes handicapées qui seraient dans l’impossibilité de travailler dans un autre cadre. Le travailleur handicapé, intégré à un ESAT, n’a pas le statut de salarié mais d’usager, et ne peut donc être licencié. Toutefois, certaines règles du code du travail lui sont applicables : hygiène et sécurité, médecine du travail et congés payés. Ensuite, on peut retrouver comme professionnels ‘satellites’ toutes les équipes éducatives des différentes institutions pouvant accueillir les enfants, en fonction de leurs difficultés repérées. Cela peut être des écoles ‘ordinaires’ avec une intervention des professionnels du RASED (réseau d’aide spécialisé aux élèves en difficultés)3; des maisons d’enfants à caractère social (MECS), des Instituts médicaux éducatifs (IME), des instituts médicaux professionnels (IMPRO), des pouponnières pour des jeunes enfants (moins de 6 ans), des foyers de l’enfance, des familles d’accueil… 3 qui ont pour mission de fournir des aides spécialisées à des élèves en difficulté dans les classes ordinaires des écoles primaires, à la demande des enseignants, dans ces classes ou hors de ces classes De la même manière, on retrouve les institutions qui relèvent plus particulièrement du soin, tels que les CMPP (centre médico-psycho-pédagogiques), et les CMP (centre médico-psychologique. Les CMPP sont des services médico-sociaux qui participent à la mise en place de la politique de santé mentale en direction des enfants et des adolescents. Ils sont placés sous l’autorité d’un médecin directeur, pédiatre ou pédopsychiatre. Ils comportent une équipe de médecins, auxiliaires médicaux (orthophonistes et psychomotriciens en particuliers), psychologues, assistantes sociales, pédagogues et rééducateurs. Les CMPP assurent le dépistage des troubles, le soutien éducatif, la rééducation ou la prise en charge thérapeutique du jeune, afin de favoriser sa réadaptation tout en le maintenant dans son milieu habituel. Ils reçoivent des enfants et des adolescents qui présentent des difficultés d’apprentissage, des troubles psychiques, psychomoteurs ou du comportement, de nature à compromettre la poursuite d’une scolarisation dans le circuit ordinaire, voire le maintien de l’enfant dans son milieu familial. Les CMP, auparavant dénommés dispensaire d’hygiène mentale, sont des établissements publics qui regroupent des médecins psychiatres, des psychologues cliniciens, des infirmières, des assistantes sociales, des psychomotriciens, des orthophonistes et des éducateurs spécialisés et proposent une offre de soins mentaux, pris en charge par la sécurité sociale. Ils assurent généralement des consultations, des visites à domicile ou encore des soins infirmiers. Contrairement aux praticiens libéraux, les consultations en CMP sont entièrement prises en charge par la sécurité sociale. Les CMP sont en charge d’un secteur géographique déterminé ; ils sont rattachés à un hôpital public. Il existe des CMP distincts pour adultes et enfants. Suite aux entretiens avec les parents et aux diverses demandes d’autorisation, j’ai pu accéder à six professionnels différents. Le but n’étant pas de comparer les discours autour d’une même profession, mais plutôt de comprendre les missions de chaque professionnel, toujours avec l’objectif d’appréhender l’espace réservé à chacun. Ainsi, je suis allée interroger une infirmière en centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), structure rattachée à un CMP adulte, dont les missions principales sont la réinsertion et la resocialisation des patients sortant ou suivis en psychiatrie, à partir de travail de groupe sur le lieu de soin, mais aussi à l’aide d’activités à l’extérieur. La fréquence des interventions varie selon la demande du patient, cela peut être quasi quotidien, 1 fois par semaine ou tous les 15 jours. Lise, mère célibataire dont les deux enfants sont placés en MECS, ainsi que Sam et Cécile, dont le fils âgé de 15 mois vit avec eux, sont accueillis dans ce centre et suivis par cette même infirmière que je vais nommer « infirmière CATTP » pour la suite. Celle-ci est âgée de 46 ans. Célibataire et sans enfant, elle est en poste au CATTP depuis 4 ans. De formation infirmière diplômée d’Etat, elle a travaillé dans un premier temps aux urgences, en cancérologie, puis en hôpital de jour, ensuite en psychiatrie, au CMP adulte et pour finir au CATTP. Il n’y a pas d’orientations obligatoires pour cette prise en charge, elle est juste conseillée par le service de psychiatrie et laissée au libre choix du patient. Cette infirmière a un discours positif sur la parentalité et le handicap mental. Une éducatrice spécialisée à la MSF (conseil général). Agée de 30 ans, célibataire et sans enfant, elle est en poste depuis un an dans ce service et a travaillé en foyer de l’enfance pendant cinq ans. Elle décrit ses missions dans le cadre de la protection de l’enfance : aide et soutien aux familles par rapport à l’éducation de leurs enfants mais aussi informations diverses, orientations et conseils. Ses interventions, pour la plupart au domicile des personnes ou sur rendez-vous au service, de fréquence très variables (en moyenne 1 fois par mois) s’effectuent à partir de sources diverses : juges, tuteurs, assistantes sociales, PMI, écoles, famille elle-même… Les parents avec une déficience intellectuelle représentent une part infime du public qui relève de la MSF. Selon elle, ils ne sont pas les plus réfractaires, bien au contraire ils sont plutôt coopérants. Une déléguée à la tutelle, âgée de 36 ans qui vit en concubinage, avec un enfant. Conseillère en économie sociale et familiale de formation, elle est déléguée à la tutelle depuis 3 ans et demi. Ses missions, très étendues selon elle (gestion des biens et des personnes), impliquent une responsabilité extrême. Elle parle d’utopie complète entre ce qui est demandé au délégué à la tutelle et les moyens fournis. Les interventions se déroulent pour la plupart au domicile des majeurs protégés ou dans les établissements où ils sont placés. En raison du manque d’effectif, elles sont de plus en plus espacées dans le temps (en moyenne tous les 2 mois), et sont le plus souvent, mis en place à l’initiative du service de psychiatrie. Le public concerné se composent de personnes suivies en psychiatrie ou handicapées mentales reconnues par la MDPH, mais aussi de personnes âgées ou isolées. Pour elle, la parentalité chez les parents déficients intellectuels implique de nombreuses difficultés et souvent des placements d’enfants. Etre parent leur permet d’acquérir un statut qu’ils n’ont pas autrement. Une infirmière de PMI, âgée de 50 ans, mariée mère de trois enfants. Infirmière puéricultrice de formation, elle est en poste au conseil général depuis 12 ans. Les missions de la PMI, déjà évoquées ultérieurement, regroupent le domaine de la prévention (conseils, consultations, vaccinations, suivis scolaires…) mais aussi de l’ASE (aide sociale à l’enfance) avec tout ce qui est de l’ordre du signalement et du placement. Il est difficile de déterminer la fréquence des suivis car elle dépend de situations très individualisées, mais également de la place de la PMI dans la famille (consultation volontaire ou suivi dans le cadre d’un placement ). Il s’agit également d’un service public gratuit. Les parents déficients intellectuels y sont très présents. Des difficultés spécifiques sont évoquées, en fonction du degré de déficience intellectuelle, mais aussi liée à l’ambiguïté de la démarche. La collaboration de ces parents est souvent obtenue sous la contrainte, par crainte d’un placement, mais pas réellement de façon spontanée. Cependant, elle ne note pas d’opposition particulière chez ces parents, s’ils ne font pas ce qui leur est demandé pense t-elle, c’est qu’ils ne savent pas le faire. Une technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF), âgée de 37 ans, célibataire, mère d’un enfant. Elle exerce cette profession depuis 15 ans. L’aide à domicile aux personnes en difficultés par les TISF peut être pris en charge par l’ASE, la CAF ou la MSA, dans le cas contraire une participation financière incombe aux familles. Les interventions sont très régulières. Cela peut aller de plusieurs visites dans la même semaine, à une par quinzaine, au minimum. Les TISF sont en contact direct avec les travailleurs sociaux du secteur. L’ASE est d’ailleurs l’un de leurs financeurs, ce qui induit une certaine ambiguïté dans les missions. D’un côté, il s’agit d’apporter une aide aux personnes, de créer une relation de confiance et de l’autre, il y a la notion de contrôle social. L’orientation vers une TISF se fait par les services sociaux, les tuteurs, éducateurs, juges ou encore la famille elle-même. Bien que ce service s’adresse à tout public, familles, personnes seules, personnes âgées, personnes handicapées, cette professionnelle met en évidence une prédominance de parents avec une déficience intellectuelle, et de familles monoparentales, toujours, connus des services sociaux. Elle tient un discours plutôt positif sur les personnes déficientes intellectuelles : « elles savent qu’elles ont des difficultés, et du coup elles admettent plus leurs problèmes et c’est beaucoup plus facile de travailler avec eux. » Une éducatrice spécialisée en MECS, âgée de 30 ans, mariée et mère de deux enfants, en poste depuis deux ans, sur le groupe des petits (entre 5 et 9 ans). La mission principale des MECS est centrée sur l’enfant, placé, souvent, par décision de justice. Il s’agit d’un accompagnement permanent de la vie quotidienne de l’enfant. Cette professionnelle peut être en contact avec des parents déficients intellectuels lors de droit de visite dans l’établissement auprès de leur enfant. Elle sert parfois de « tierce personne » lors des visites médiatisées. Pour elle, la déficience ou le handicap mental n’implique pas forcément plus de placement que dans d’autres familles et lorsqu’il survient, il est plus excusable dans le sens où le handicap n’est pas quelque chose de volontaire. Dans ces circonstances, elle envisage plus son travail du côté de l’enfant et de l’acceptation du handicap parental. Nous pouvons remarquer que la totalité des professionnels interrogés sont des femmes, ce qui illustre bien la forte proportion féminine dans le secteur du travail social. Au vu de la présentation des nombreux services qui gravitent autour des familles, nous avons pu mettre en évidence l’existence d’un maillage institutionnel et un croisement d’information tels, qu’aucune famille en difficulté, ne puisse pas être repérée, et ce de manière encore plus prononcée pour les familles dont les parents sont reconnus déficients intellectuels. En effet, parfois dès leur plus jeune âge, ces parents sont inscrits dans le champ du handicap et de la déficience, avec tout le suivi que cela implique, qui fait que leur espace de parentalité est d’emblée contrôlé. Comment le vivent-ils ? Quel espace et quelles libertés leur restent-ils ? Quelles sont leurs relations avec les différents travailleurs sociaux ? TROISIEME PARTIE LA CONSTRUCTION DES ESPACES PARENTAUX 1°) LES RESEAUX D’INFLUENCE Je constate à travers ma pratique, que les parents reconnus déficients intellectuels ont un faible réseau familial, et souffrent souvent de solitude et d’isolement. Beaucoup d’entre eux ont connu des trajectoires chaotiques, des séparations familiales qui les ont éloignées de leurs propres parents et de leur fratrie ou si tel n’est pas le cas, les parents sont souvent décédés. Les liens ainsi rompus, se sont rarement reconstruits. Ainsi, sur les cinq familles interrogées, trois seulement ont gardé des contacts avec des membres de leur famille. En outre, sur ces trois situations, l’une est particulière car le père est également le curateur de sa fille (maman que j’ai interrogé.) On peut donc se demander si cette relation est réellement choisie. Vincent De Gaulejac explique que, quelque soit le statut social et le niveau culturel des parents, certaines familles sont capables de transmettre des ressources, telles la fierté du nom et de la lignée, la mémoire, la certitude dans certaines valeurs, l’amour de l’enfant, qui structurent durablement l’identité de l’individu. Ces éléments qu’il appelle le ‘capital familial’ jouent un rôle important dans l’intégration des individus et dans leur espace de sociabilité. Par contre, les effets de l’absence de ressource familiale, par exemple en cas de séparation (situations fréquentes chez les parents déficients intellectuels), sont plus facilement mis en évidence. Les travailleurs sociaux parlent souvent des effets destructurants de la répétition trans-générationnelle. Le discours commun véhicule l’idée que, dans un grand nombre de cas, les parents qui abandonnent ou maltraitent leurs enfants ont été eux même des enfants abandonnés ou maltraités. Tout comme lorsque la violence est familière dès l’enfance, elle devient partie intégrante du fonctionnement de l’individu, que ce soit vis à vis des autres ou de lui-même. Bien qu’on puisse de temps à autre observer la véracité de ces dires, d’autres situations peuvent illustrer tout à fait l’inverse de ce phénomène. Ainsi, le capital familial peut influer, soit positivement soit négativement, sur les ressources que peuvent déployer les individus. Certains professionnels parlent parfois de la famille comme pouvant instituer un ‘handicap’ supplémentaire : « Il y a une petite dame là, elle a de la famille mais ça va pas…c’est pas aidant pour elle. On s’inquiète pour sa place de maman, elle est très influençable, ce sont ses beaux-parents, le mari c’est quelqu’un qui a une AAH aussi mais qui est pire qu’elle et malheureusement les grandsparents ont une forte place. Elle a l’influence des beaux-parents qui l’écartent et qui prennent une place…euh la le bébé c’est une sorte d’enjeu, venir en consultation, la grand-mère l’a toujours empêché, c’est elle qui emmène le petit chez son médecin donc l’éveil et tout ça tout ce qu‘elle avait voulu mettre en place, elle avait vu l’AS à l’ESAT, c’était vraiment niet ! Donc du coup la famille n’est pas forcément aidante du tout ? Dans ce cas là elle est pas aidante. En plus la maman elle est un peu à leur merci. Ça se retrouve assez régulièrement autour des parents déficients, soit une famille absente ou soit une famille qui n’est pas du tout aidante ? Qui n’est pas aidante complètement ! Mr A et Mme D c’est pareil ! elle en a ras le bol de la belle mère mais c’est pareil lui il peut pas s’opposer. Et c’est vrai que ça gâche les choses plus qu’autre chose » (infirmière PMI) Cet extrait illustre l’influence néfaste du réseau familial, situation récurrente chez les parents déficients intellectuels, du point de vue du professionnel. Le réseau amical est également assez limité et se constitue bien souvent auprès de pairs ayant les même problématiques. Ils n’apparaissent donc pas aux yeux des professionnels comme des personnes dites « ressources ». Les parents déficients intellectuels semblent également très sensibles à d’autres sources d’influence telles que les émissions de télévision. Sylvia par exemple, confie prendre exemple sur « Super nanny » (émission télévisée diffusée sur M6, ayant pour principe d’introduire dans les familles ayant des difficultés avec leurs enfants, une personne ‘experte’ afin de redresser le comportement à la fois des parents et des enfants.) « S : mais moi je le préviens avant que j’aille au magasin (elle rigole) Et qu’est ce que vous lui dites ? S : je lui dit ba non on va pas acheter de bonbons, ne me demande pas de bonbons. Je fais comme super nanny !je fais ce qu’elle dit C’est ce que vous regarder à la télé ? S : ouais (elle rit) E : ça aide aussi S : ah ouais ! Vous regardez et prenez des conseils? S :oh oui E : oui des conseils S :je fais pareil, non c’est non, mais il insiste pas. (Eric et Sylvia, un enfant de huit ans placé en famille d’accueil) Martine, en parlant de la TISF : « M elle va nous inscrire à une nounou d’enfer ! (Francis et Martine, 4 enfants de 12, 9, 5 et 2 ans, vivants au domicile) La référence aux émissions de télé peut venir témoigner de la pauvreté du réseau familial et amical. Les parents prennent des conseils à la télévision alors que dans la plupart des cas, ces même conseils surviennent lors d’échanges en famille ou entre amis. On peut donc se demander de quoi ou de qui se compose l’environnement des ces familles. D’après les témoignages et l’étude des situations familiales illustrées par les schémas précédents, on constate l’existence de nombreux travailleurs sociaux qui interviennent auprès de ces familles. Est-ce que l’absence de réseau amical et de solidarité familiale joue un rôle dans la place accordée aux travailleurs sociaux ? Comment les parents vivent-ils ces situations ? Quels types de relations s’établissent entre les parents et les travailleurs sociaux ? A l’aide du concept de carrière tel que l’entend Goffman, c’est à dire ce qui qualifie le contexte social dans lequel se déroule la vie de tout individu, nous allons voir comment se construit la personnalité des parents reconnus déficients intellectuels, la perception qu’ils peuvent avoir d’eux mêmes, la manière dont ils appréhendent les autres, toujours dans l’optique de rendre compte des répercussions que cela peut avoir en terme d’espace pour chacun. Comme le souligne Goffman : « L’intérêt du concept de carrière réside dans son ambiguïté. D’un côté, il s’applique à des significations intimes, que chacun entretient précieusement et secrètement, image de soi et sentiment de sa propre identité ; de l’autre, il se réfère à la situation officielle de l’individu, à ses relations de droit, à son genre de vie et entre ainsi dans le cadre des relations sociales. Le concept de carrière autorise donc un mouvement de va et vient du privé au public, du moi à son environnement social. » (1968, p.179). La ‘carrière’ d’une personne s’accompagne d’une série de modifications dans sa façon de concevoir l’autre et surtout sa propre personne. Les expériences intimes et les attitudes en public, (ruses et stratagèmes), montrent comment s’élabore la carrière du sujet que Goffman nomme aussi le « moi » de chacun. Il explique comment ce « moi » se construit dans les limites d’un système institutionnel : « Le moi semble ainsi résider dans les dispositions d’un système social donné, à l’usage des membres de ce système. En ce sens, le moi n’est pas la propriété de la personne à qui il est attribué mais relève plutôt du type de contrôle social exercé sur l’individu par luimême et ceux qui l’entourent. Ce type de disposition institutionnelle soutient moins le moi qu’elle ne le constitue. » (1968, p.224). Remarque : Le concept de « carrière » est également développé par d’autres auteurs, tel que Serge Paugam ou encore Howard Becker. Ils amènent des aspects supplémentaires. Le premier évoquera la carrière morale des assistés, le second parlera de carrières déviantes illustrer par deux catégories : les fumeurs de marijuana et les musiciens de jazz. 2°) LA « CARRIERE » DU PARENT DEFICIENT INTELLECTUEL Le discours sur les travailleurs sociaux que j’ai pu recueillir auprès des parents déficients intellectuels, est souvent positif à leur égard. Toutefois, il semblerait qu’il puisse varier en fonction du degré du handicap. En effet, pour Lise, qui apparaît comme une personne très démunie et fragile, on ressent une certaine soumission dans son discours : « Alors comment se passe les relations avec les infirmières ? ça va ça va ? silence… vous êtes jamais en conflit ? un petit peu (elle sourit) et alors quand vous n’êtes pas d’accord comment ça se passe ?( je le dis en souriant) (elle rit) je suis souvent d’accord vous êtes souvent d’accord ? sinon ça arrive que vous rouspétiez quand même ? oui mais que envers les amis mais pas les infirmières ah, et pourquoi que envers les amis et pas les infirmières ? (rire) j’ose pas rouspéter » (Lise, deux enfants de 8et 4 ans placés en MECS) Elle se montre très influençable dans ses réponses et n’ose pas exprimer son désaccord envers les professionnels alors qu’il lui est possible de le faire avec ses pairs. « Et alors les éducateurs de X quand vous vous rendez là bas, vous les rencontrer ? hum hum ouais, ils vous accueillent ? oui alors racontez moi quand vous arrivez là bas comment ça se passe ? ba je rentre pis je vais directement dans le bureau vous aviez déjà visité X avant que vos enfants arrivent là bas ? hum hum et ils sont sur le même groupe les enfants ? oui, sur le groupe des petits et vous avez un éducateurs précis à qui vous parler plus ou tous les éducateurs ? tout le monde tout le monde d’accord, … ok… vous voyez autre chose à ajouter à propos de comment ça se passe avec les éducateurs bien, je crois… bien vous croyez ? hum vous êtes toujours d’accord avec ce qu’ils vous disent ? oui oui ? ça dépend quoi ba oui c’est ce que je me disais. Et alors quand vous êtes pas d’accord ça se passe comment ? elle sourit… vous le dites quand vous n’êtes pas d’accord ? de temps en temps est ce que vous vous souvenez sur quoi c’est arrivé où vous n’étiez pas d’accord ? euh…aux vacances, quand ils partaient en vacances d’accord, expliquez moi alors ? ba ils partaient en Ardèche et les infirmières elles les ont pas mis ensemble, elles les ont fait séparément d’accord, et donc vous vous ne vouliez pas ? hum hum et vous l’avez dit aux éducateurs ? oui je l’avais dit (d’un air affirmé) et alors finalement comment ils sont partis ? séparément ! » (Lise, deux enfants de 8 et 4 ans placés en MECS) Même lorsque Lise évoque son désaccord au sujet des vacances de ses enfants, sa parole n’a pas été suivie d’effet. Pour Hugues et Berthe, on retrouve la même attitude vis à vis des travailleurs sociaux : « Alors vous les travailleurs sociaux qui vous aident dans l’éducation de vos enfants, vous trouvez ça bien alors ? Les deux : oh oui ! B : oh oui ils sont bien. On est bien aidés H : oui nous on a pas de problèmes avec eux B : nous on est bien aidés Même avec le juge des enfants, quand vous y aller comment ça se passe ? H : oh ouais ! ça se passe bien. C’est une jeune elle est même gentille. Je l’ai trouver gentille moi ! » (Hugues et Berthe, trois enfants, dont deux sont au domicile et un placé en IME) Cet exemple vient appuyer la démonstration de Pierre Bourdieu selon laquelle, les ‘dominés’ participent à leur propre domination. On peut obéir ou se soumettre par peur d’une sanction. Parfois ce n’est pas la contrainte qui pousse à obéir mais la légitimité qu’on accorde à ceux qui ont le pouvoir. Il semblerait que les parents déficients intellectuels trouvent légitime le ‘pouvoir’ des travailleurs sociaux. J’ai été confrontée à une autre posture qui reflète une certaine forme de soumission au moment de la rencontre avec Sam et Cécile. Au début de l’entretien, la télévision est allumée, avec un DVD de dessins animés pour leur fils de 15 mois. Lorsque je leur demande l’autorisation de pouvoir enregistrer l’entretien, Sam va d’emblée éteindre la télévision. J’ai moi même été très gênée de la façon dont il s’exécute, dans la mesure où c’est moi qui suis chez eux, et que lors des convenances habituelles, c’est plutôt moi qui aurait dû m’accommoder de la présence de la télévision. De plus, Sam ne transige pas, il éteint totalement la télévision plutôt que d’envisager de baisser le son, au risque de faire pleurer son enfant. Un autre exemple illustre le même fonctionnement avec Francis. Pendant l’entretien, sa femme me propose une boisson, j’accepte un verre d’eau, ce qu’elle propose également à son compagnon qui lui dit : « j’ai pas soif ! (il rigole gêné) M : ouais je sais ce que tu veux toi ! çà (elle lui montre une bouteille de bière, monsieur me regarde avec gêne) F : ouais Allez y hein ! vous êtes chez vous ! » (Francis et Martine, 4 enfants vivant au domicile) Je me suis sentie obligé de rappeler qu’il était libre de ses actes car il était chez lui. On retrouve la même soumission chez Martine qui évoque même une certaine crainte des travailleurs sociaux : « F : Martine, elle le dit jamais en face de la personne tu vois ! C’est toujours en sortant euh du SAS ou quoi que ce soit qu’elle va râler mais j’y dit c’est quand ils sont là qu’il faut dire les choses c’est pas quand ils ont repartis ! C’est difficile peut être de le dire aux éducateurs ? M : ouais Vous avez peur de quoi ? M : je sais pas Qu’ils se fâchent ? M : ba ouais ! » (Francis et Martine, 4 enfants vivants au domicile) Ainsi, les parents déficients intellectuels peuvent apparaîtrent peu revendicatifs et assez dociles envers les travailleurs sociaux, surtout si la déficience intellectuelle est assez marquée. Pour Lise, cette attitude est flagrante, ainsi que pour Hugues et Berthe dont les moyens intellectuels sont très limités. Toutefois, pour d’autres parents déficients intellectuels, il semble possible, à certains moments, d’être plus critique, de pouvoir s’affirmer un peu plus. Martine et Francis s’autorisent plus facilement à dire ce qu’ils pensent entre eux et parfois sur un fond d’agressivité : Quand vous êtes tombée enceinte d’Alicia vous l’avez annoncé à qui en premier ? M : ba à personne ! A personne ?!!!!! M : qu’à mon homme F : ouais il y a que moi qui le savais M : ba ouais qu’est ce j’en ai a foutre des autres, je vis pas avec les autres moi ! Non non mais je vous demande c’est tout F : si y’avait CH B aussi(éducatrice SAS) M : ouais mais bon CH B aussi euh… F : si on avait su j’aurais rien dit M : ouais parce que j’ai pas aimé les réflexions qu’elle a dit Ah bon ? M : ah non ! Quel genre ? F : ba parce qu’elle a des problèmes pour lire, bon elle sait pas lire du tout, et ba elle a fait tout une histoire, qu’elle était incapable M : ah ouais qu’ils allaient me retirer ma fille, tout ça parce que je savais pas lire et écrire ! Alors le SAS était contre le fait que vous tombiez enceinte ? Les deux : voilà ouais ! » Et ça vous a fait quoi qu’ils réagissent comme ça ? M : ba c’est n’importe quoi hein ! Vous étiez fâché ? M : ba ouais ! C’est pour ça que quelques années après vous avez décidé de vous débrouillez tout seul ? M : ouais (Francis et Martine, 4 enfants vivants au domicile) Dans cet exemple, Martine évoque les jugements auxquels elle a été confrontée et opère une distinction entre les différents travailleurs sociaux. En effet, ici le SAS est perçu de manière négative à l’inverse de la PMI qui est plutôt soutenante dans leur projet d’avoir un enfant. En plus du degré du handicap, le discours sur les travailleurs sociaux semble aussi se modifier en fonction de la nature du travailleur social. Nous allons voir comment sont appréciés chaque intervenant, quelles distinctions opèrent les parents, ce qui n’est pas sans incidences sur l’espace laissé à chacun, donc sur l’espace de parentalité que peuvent s’octroyer les parents ou sur celui que les travailleurs sociaux leur concèdent. 3°) LA DISTINCTION ENTRE LES TRAVAILLEURS SOCIAUX 3.1.Les assistantes sociales, une perception d’emblée liée à leur arrivée dans la famille Pour Eric et Sylvia, les assistantes sociales, aide-éducatrice et PMI ne sont pas réellement dissociées et forment un ensemble plutôt persécuteur pour les parents. Ils en parlent avec beaucoup d’animosité : « E : là j’étais en furie, j’étais en rogne, parce que c’est mon fils, j’ai mes droits parentals ils s’en sont pas rendus compte de ça et justement je vais revoir ça avec l’assistante sociale pour justement que ça revienne, pour qu’il sache ce qu’un droit parental ça signifie parce que ça… » (extrait d’entretien Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Les parents ont le sentiment que les assistantes sociales ne respectent pas leurs droits parentaux. Le vocabulaire employé à leur égard, parfois péjoratif, la désignation du travailleur social par sa fonction, et l’indifférence entre les fonctions, comme si tout ce monde était à ‘mettre dans le même panier’ traduit aussi cette animosité : « Et la puéricultrice comment vous l’avez connu ? S : euh…blanche neige moi je l’appelle Ah c’était mme A ? (il donne ce nom parce que c’est une femme de couleur noire) S : ba c’est moi qui a cherché E : non non c’est les assistantes sociales » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) « E : voilà, l’assistante sociale et la truc c’est ça qui font. C’est un peu…ils prennent la place des parents. » (Eric et Sylvia) Le ressenti des parents envers les assistantes sociales illustre cette perception négative. « E : les assistantes sociales quand elles mangent au restaurant bon elles ont des tickets elles se font rembourser, mais la dernière fois devant l’enfant je leur dit mais vous pouvez pas vous taire, je leur dit moi je m’en fout que vous vous fassiez rembourser mais c’est un peu vexant pour nous S : elles emmènent une stagiaire E : oui c’est pareil elles emmènent une stagiaire, c’est une affaire déjà délicate pour nous, on nous prévient au dernier moment Les stagiaires ? qui viennent chez vous ? E : oui oui qui sont avec eux et qui viennent comme ça, bon nous on peut rien dire, après ça va péter là haut, après là haut ils nous convoquent… » « Et ils ont appelé sans vous le dire ? E : et oui E : alors moi d’un seul coup je me dis je vais lui rendre une de ces targniole !elle va comprendre sa douleur. Je lui dis pardon mais vous êtes vraiment sans gêne S : c’est comme le coup où j’étais pas d’accord avec L (elle utilise le nom de famille directement, il s’agit de l’assistante sociale) oh oh oh !!!( elle rigole) Alors comment ça se passe quand vous êtes pas d’accord ? E : ba elle claque la patte, mais nous quand on est pas d’accord on baisse pas les bras S : on lui a dit maintenant vous venez, il faut prévenir ! elle venait sans prévenir et oh ! E : et maintenant il faut pas oublier que c’est un appartement privé ici Parce qu’on vous prévient pas quand elle faisait des visites à domicile ? S : ah non non ! elle est venue une fois, j’ai pas apprécié hein ! E : parce que il y avait mes beaux parents, on parlait et tout ça et puis d’un seul coup ça sonne… » « S : non ! les assistantes sociales ont foutus mes parents dehors ! ah ouais ! » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Ce qui est vécu comme un manque de respect de la part des assistantes sociales, est ici évoqué par les parents à partir de deux éléments. En premier lieu, lorsque est évoquée la présence des stagiaires sans information préalable. Les situations familiales regroupent déjà beaucoup de travailleurs sociaux et la présence des stagiaires vient se surajouter. En second lieu, lors des visites impromptues qui viennent alors poser la question du respect de la dignité et de l’intimité des parents, éléments rappelons le, très présents dans la loi de 2005. Le manque de reconnaissance, de la part des assistantes sociales caractérise également le ressenti des parents. L’utilisation de termes comme « se battre », « bataille », « souffrir » traduisent une certaine violence et l’idée d’un combat pour les parents qui auraient pour adversaire les assistantes sociales. Il y aurait donc une forme de lutte du point de vue des parents pour pouvoir garder leur place. « l’assistante sociale et l’éducatrice de la CISS qu’est ce que vous en pensez, est ce que vous pensez que c’est utile pour vous ? S: on les aime pas ! E : non franchement, franchement pour dire la vérité je suis pas trop pour les assistantes sociales. Parce que les assistantes sociales j’en ai vu assez dans mon enfance comme ça Vous en avez connu étant petit ? E : ah j’ai connu des assistantes sociales, le problème c’est qu’ils se mettent en contact et que déjà ils poussent les parents, admettons qu’il y a un papier que tu veux pas signer, ils vont te l’envoyer et te l’envoyer ton papier Jusqu’à temps que vous cédiez ? E : mais c’est déjà la décision voilà c’est ça du JUGE (il insiste sur ce mot) et c’est ça que je reproche, c’est notre enfant. Si on veut pas, on ne veut pas ! E : si je voulais le mettre ailleurs et ba je pouvais pas parce que c’était déjà décidé ! C’est eux qui prennent les devants Donc en fait on vous demande de signer mais les décisions sont déjà prises avant ? E : voilà, l’assistante sociale et la truc c’est ça qui font. C’est un peu… ils prennent la place des parents. moi je leur reproche beaucoup ça. Ils sont pas assez attentifs. Ils devraient changer leur métier et être plus attentifs. » ( Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Il ne s’agit pas d’un choix mais d’une mesure imposée. Les assistantes sociales ont pour fonction de faire appliquer ce que le juge a décidé, et dans cet exemple, il s’agit d’un placement de l’enfant pour maltraitance. Par conséquent, la relation qui s’instaure entre les parents et les assistantes sociales est d’emblée conditionnée. D’un côté, les assistantes sociales qui ont le « pouvoir » de faire des rapports positifs au juge dans le but de récupérer la garde de l’enfant, de l’autre les parents qui subissent une certaine pression et qui doivent apporter la preuve de leur capacité, ce qui passe par l’acceptation des mesures telles que les TISF par exemple. « Alors la travailleuse familiale, comment ça s’est passé ? Qui a choisit ? Ça vous a été imposé, c’est vous qui l’avez choisi ? E : ah non ça a été imposé par les assistantes sociales C’était une condition pour que vous puissiez accueillir votre fils ici ? E : oui » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Les modalités et le contenu des interventions modifient également les relations entre les parents et les travailleurs sociaux. « D’accord et l’éducatrice de la CISS et l’assistante sociale vous les voyez tous les combien ? E : oh pff (il soupire) eux quand ils nous appellent S : voilà ! quand ils nous appellent C’est eux qui vous convoquent en fait ? E : oui, on y va très peu maintenant Et quand vous y aller c’est pour quoi ? S : pour signer des papiers E : soit pour signer des papiers ou alors faire le point pour Julien D’accord, quand vous demandez des hébergements en plus ou des choses comme ça, vous êtes convoqués là bas pour en parler ? S : voilà » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) La fréquence des rencontres avec les assistantes sociales est faible et elles s’effectuent parfois suite à une convocation. Dans ce cas, cette convocation se fait par courrier, de manière très formelle. Le contenu est très administratif et induit un certain contrôle. Ces sentiments à l’égard des assistantes sociales influent sur la relation qui s’instaure avec les parents. L’antipathie qui la caractérise va conditionner l’espace de chacun. A la fois du côté des parents, qui vont être plutôt réticents sous la contrainte, et du coté du professionnel, dans sa manière d’aborder la situation, ce qui peut constituer un cercle vicieux. « Et au niveau de votre place de parent vous vous auriez tendance à dire que… E : disons que mon rôle de parent, moi je me sens rejeté Ouais ? et vous disiez tout à l’heure nous on prend un peu notre place aussi ? Les deux :ouais C’est votre sentiment ça ? E : c’est mon sentiment. Tout de suite ils savent que se servir d’un truc c’est le juge pour les enfants, c’est plus facile de l’enlever, de faire souffrir les parents ça !! c’est plus facile que nous aider. D’enlever c’est facile, on vient avec les… » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Ainsi Eric et Sylvia ont le sentiment d’être dépossédés dans leur rôle de parents. Une situation imposée tel un placement d’enfant sur décision du juge induit une configuration particulière, et des comportements spécifiques : « Est- ce que vous avez des travailleurs sociaux qui se rangent plus de votre côté ? qui défendent vos droits ? E : ah non, tout le monde marche avec eux Tout le monde marche ensemble ? E : ah ouais, ils se passent des contacts. Les écoles ils marchent avec les assistantes sociales, et puis quand ça va pas après ils nous appellent. C’est toujours ils sont prévenus avant et c’est après ils nous appellent une fois que c’est fait. » « A chaque fois que vous avez une aide c’était imposé ? E : oui Vous n’avez pas de liberté alors en fait? E : ba à part notre intimité Oui à part votre vie de couple, mais concernant votre enfant, vous n’avez pas de liberté ? Les deux : non » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Ces parents se sentent encerclés par les travailleurs sociaux, privés de liberté en ce qui concerne leur enfant. Ils ont également le sentiment que les travailleurs sociaux constituent un réseau et sont ligués contre eux, à l’image d’un certain complot. « Et qu’est ce qui se passerait selon vous si vous refusiez les aides…? S : ah ba alors là… E : et ba au revoir Julien, c’est tout simple je pourrais plus avoir mon fils à domicile. Ah ouais ça, ça serait direct ! tout de suite une lettre au juge et puis ça y est. Il dirait Mr il refait des dépressions et la forte tête » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Dans ce contexte d’obligation et de contrainte, les aides proposées sont vécues par les parents comme un chantage. En outre, ils ont l’impression d’être constamment surveillés, épiés et jugés sur leurs actes. L’idée du contrôle social est très forte : « Vous vous sentez surveillés ? E : ah on est surveillés ! là ils ont fait euh.. là S elle a fait des petites bêtises, là dernière fois c’est pareil ça a été cité Tout ce qui se passe dans votre vie vous avez l’impression que les services sociaux sont au courant ? E : sont au courant ! (il le dit en même temps que moi) c’est bizarre quand même euh… on croirait qu’on est surveillé, c’est ça moi que je ressens » ( Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Pour Francis et Martine la distinction envers les travailleurs sociaux ne s’opère pas de la même manière. Comme nous l’avons vu précédemment, la PMI est vécue de manière plutôt positive. C’ est un choix de suivi des parents. Martine explique d’ailleurs comment elle a décidé d’arrêter ce suivi pour s’adresser à un médecin traitant ainsi qu’un gynécologue lors de ses grossesses. La relation avec l’assistante sociale est également autre, parce que le contexte d’intervention est différent. En effet, celle-ci est apparue dans la famille au moment du troisième enfant, dans un contexte de prévention. L’accent n’a pas été mis sur le handicap des parents, mais sur le fait qu’il s’agit d’une mesure valable pour toutes les troisièmes grossesses, donc pour n’importe quelle famille. Autre exemple avec Francis : « comment vous êtes arrivés au CAT alors ? F : par l’assistante sociale Il y avait donc une assistante sociale qui vous suivait vous chez vos parents ? F : euh non c’est après ça. C’est parce que comme mon père il est tombé malade, on a eu l’assistante sociale D’accord F : et elle m’aidait, elle était sympa en plus F : et c’est elle qui m’a géré vers le CAT » « Et qui vous avez indiqué la travailleuse familiale ? M : euh…je crois que c’était la PMI et… M : non, euh…l’assistante sociale, parce qu’elle dit on te voit entre deux, parce que comme c’est le premier (enfant) si vous avez besoin d’un coup de main, il y a des gens qui pourraient vous aider et du coup ba la PMI ils m’ont demandé et moi j’ai dit oui que j’en voulais une. » (Francis et Martine, 4 enfants vivants au domicile) L’assistante sociale est appréhendée uniquement dans son rôle de personne aidante et apportant des conseils. L’intervention n’est pas imposée, nous ne sommes pas dans un contexte de placement des enfants, les parents se sentent libres de pouvoir décider, ce qui influence les sentiments à son égard. 3.2. La famille d’accueil, un entre deux… La position d’Eric et Sylvia, vis à vis de la famille d’accueil, est plus ambivalente qu’envers les assistantes sociales : « Et donc avec la famille d’accueil où est Julien , vous avez des contacts ? Les deux : oui Ouais ?Comment ça se passe les contacts ? S : nous on s’entend, mais des fois on n’est pas d’accord E : on n’est pas d’accord, il y a des trucs euh… on discute pas avec eux parce qu’ils se confient tout de suite à mme euh…. quand il y a un petit problème. Je suis quand même son père à Julien, j’ai des droits parentals tout de suite ils vont voir mme X ou mme Y (assistantes sociales) » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Les parents évoquent dans un premier temps des réticences et des désaccords avec la famille d’accueil. Ce qui peut-être une façon de revendiquer leur place de parent. En effet, comment pourrait-ils adhérer complètement à l’idée d’un lieu d’accueil pour leur enfant ? Ce serait reconnaître leurs incapacités. Néanmoins, malgré ces formes de résistances, on entrevoit une autre attitude : «Est-ce que Julien a des loisirs, des activités à l’extérieur S : il avait le football il a arrêté ? Qui avait choisi ? Les deux : Julien ! Et donc qui est ce qui s’est occupé des démarches tout ça ? Les deux : la famille d’accueil S : et après nous on allait au terrain de football, j’allais le chercher et puis je le ramenais Alors est ce qu’on vous en parle des activités qu’il va faire, est ce que vous donner votre autorisation, comment ça se passe ? E : oh non c’est nous S : c’est la famille d’accueil et puis nous l’autorisation » « les contacts avec la famille d’accueil, vous avez le droit de téléphoner quand vous voulez ? E : ah ça oui ! S : ouais Oui ? S : on fait chacun son tour. Moi je téléphone... on téléphone par exemple le mercredi quand on le voit pas, et quand on le voit on téléphone le vendredi, mais c’est chacun son tour » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Que ce soit autour des loisirs de leur enfant ou des contacts téléphoniques réguliers, on ressent une certaine collaboration entre les parents et la famille d’accueil. Chacun semble trouver plus aisément sa place, que ce soit du côté de la famille, dans la manière dont ils laissent une place aux parents, ou, du côté des parents, qui supportent plus facilement la famille d’accueil. Même si ce lieu est une mesure imposée par le juge, il s’avère que les parents sont plus tolérants envers ces professionnels. Peut-être aussi parce que le contenu et la fréquence des interventions sont de nature différente de celles des assistantes sociales. Il s’agit, par exemple, de discuter des rencontres scolaires et de l’argent de poche : « Qui est ce qui vous prévient alors pour les réunions d’école ? S : la famille d’accueil E : la famille d’accueil et puis après c’est... C’est pas l’école qui vous envoie une convocation ou... ? E : non non c’est la famille d’accueil qui l’a dans le cahier de julien, nous on signe et puis hop on y va » (Eric et Sylvia, unenfant placé en famille d’accueil) « il a de l’argent de poche D’accord et qui a décidé de ça ? E : il y a nous et… S : la famille d’accueil E : la famille d’accueil et les assistantes sociales comment que c’est euh… madame X » ( Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Les exemples cités autour des loisirs, de l’école, de l’argent sont des objets concrets du quotidien que les parents partagent avec la famille d’accueil. Cela a pour fonction de les rassembler autour de l’intérêt de l’enfant. C’est une forme de pluriparentalité. La fréquence des contacts n’est pas réellement pré-établie, il y a une certaine souplesse. Le fait qu’il s’agisse d’un lieu d’accueil pour leur enfant vient prêter d’emblée des intentions louables envers la famille. Et puis, la longévité de l’intervention (dans cet exemple, plus de quatre ans) contribue également à tisser des liens, à faire plus ample connaissance avec chacun et permet peut être une certaine tolérance. 3.3. La TISF, un professionnel de proximité Avec les TISF, on semble gravir un échelon supplémentaire dans l’appréciation positive portée aux professionnels. « Et la travailleuse familiale alors par rapport à l’assistante sociale ? E : c’est différent, ils nous comprennent mieux… ils nous aident mieux, ils nous comprennent mieux C’est ce que vous pensez aussi S ? S : hum hum E : on sent plus d’aide par eux que par les assistantes » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) « Et comment vous appréciez les travailleuses familiales, quelles relations vous avez avec elles ? F : ouais de bonnes relations, on s’entend bien » (Francis et Martine, 4 enfants vivants au domicile)) Les parents reconnaissent à la TISF une utilité dans ses interventions. Le partage du quotidien et la fréquence d’intervention est encore plus importante. La TISF est là à chaque fois que les parents sont en présence de leur enfant à leur domicile. En outre, des outils sont mis en place, comme un cahier qui permet de garder trace du contenu des rencontres parent/enfant et de montrer l’évolution des parents, leur façon d’être avec leur enfant, ce qu’ils semblent apprécier. Les parents finissent aussi par avoir connaissance de certains éléments de la vie privée de la TISF, ce qui vient humaniser la relation. L’utilisation des prénoms pour les TISF illustre pareillement cette proximité qu’on ne retrouve pas avec les autres professionnels : « Quand Valérie (travailleuse familiale) elle le dit ils le donnent, mais quand c’est moi pfffff F : oui quand Valérie est là ils donnent mais moi par exemple quand Valérie elle n’est pas là d’accord elle dit à Alicia ba tu va aider à essuyer la vaisselle… » Et les chambres tout ça , ranger leurs jouets ? M :ba c’est eux, Valérie, elle m’a dit j’étais pas leur bonne hein ! c’est à eux de ranger leur chambre, ils ont l’âge euh… » (Francis et Martine, 4 enfants vivants au domicile) Cette pratique s’observe également chez Hugues et Berthe : « A la naissance il y a eu des personnes qui vous ont aidé ? Mme : oui oui, il y eu une travailleuse familiale qui m’a aidé jusqu’à l’âge de trois ans, j’avais plus personne après. Mr : il y a eu Lydia, Jeanine…Christelle aussi et Sophie » (Hugues et Berthe, 3 enfants, dont deux au domicile et un placé en IME) Ainsi, chaque travailleur social est perçu de manière différente par les parents. Cette distinction, nous l’avons vu s’opère en fonction de la nature du travailleur social et de ses missions, du contexte, du contenu et de la fréquence des interventions. Le fait que les enfants ne soient pas placés influent sur la manière d’appréhender les services. On le conçoit plus comme une aide que comme du contrôle ou de la surveillance. Du coup, la place de chacun s’aménage différemment. Même si certains parents adoptent des attitudes plus revendicatives et critiques envers les institutions, lorsque celles-ci viennent répondre à leurs attentes, ils réagissent parfois de façon surprenante. C’est le cas d’Eric et Sylvia à propos de l’institution scolaire : « S : ba une fois ils se sont trompés de numéro, ils m’avaient appelé parce qu’il avait fait pipi culotte et puis en fin de compte ils m’ont appelé mais je dis non, alors j’avais reçu un coup de téléphone de St.... (nom de l’école), je me dis bon qu’est ce qui se passe, ils me disent excuse nous on s’est trompé, je dis ba oui c’est pas Mme H (famille d’accueil), c’est la maman biologique, ah bon excusez moi ! Alors ils ont retéléphoné à la famille d’accueil, après elle est venue, mais là ils se sont trouvés la honte » ( Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Eric et Sylvia insistent sur leur droits parentaux, mais en même temps, lorsqu’ils sont interpellés en tant que parents, ils renvoient l’interlocuteur vers la famille d’accueil. On peut penser qu’ils se dévalorisent et se discréditent eux-même, mais au-delà de ça, on peut y voir un réel manque de confiance en soi. En effet, les parents déficients intellectuels ne semblent pas habitués à être conviés à cette place de parent, ni préparés, ce qui expliquerait le fait qu’il s’en réfère systématiquement à la famille d’accueil, bien que celle-ci soit critiquée. 3.4 Un habitus envers les travailleurs sociaux L’intériorisation de leur place se reflète également dans leur discours à travers certaines expressions qu’utilisent ces parents. Par exemple, lorsque Hugues et Berthe parlent d’une « école spéciale » pour leurs fils, ou encore lorsque Francis et Martine parlent de la scolarité de leur fille en disant : « elle y arrive quand même », ou dans leur expression « on deviendrait encore plus fous ! ». L’intériorisation est le processus par lequel les normes sociales, les sanctions, les règles, les croyances et les valeurs transmises au cours de la socialisation sont adoptées et incorporées par le sujet qui les fait siennes. Toutes ces composantes deviennent partie intégrante des consciences individuelles, alors même qu’elles sont une résultante de la vie en collectivité. L’intériorisation d’un certain statut, puisque les parents déficients intellectuels sont catégorisés du côté du « handicap », peut aussi s’expliquer par le vécu institutionnel très important de la part de ces parents. La plupart ont été mis en contact dès leur plus jeune âge avec des travailleurs sociaux, que ce soit dans le cadre familial ou en ayant été placés eux-mêmes en institutions, pendant leur enfance. On peut évoquer une certaine ‘acculturation’ au monde du travail social pour ces parents, dans le sens où celle-ci désigne les processus et changements entraînés par les contacts et interactions réciproques entre groupes différents. Au-delà de cette notion d’acculturation, on peut aussi parler d’un certain ‘habitus’ envers les travailleurs sociaux. Le concept d’habitus Ce concept « habitus » apparaît pour la première fois chez Durkheim. Pour lui, cette notion renvoie à l’ensemble des apprentissages réalisés par l’enfant pendant l’éducation. Marcel Mauss l’appliquera aux techniques corporelles socialement acquises et exercées de façon plus ou moins automatique. Norbert Elias mobilisera ensuite la notion « d’habitus » pour illustrer le type de personnalité psychique formé par la dynamique civilisationnelle de l’Occident. Il posera la question du ‘type d’homme’ que façonnent les structures sociales. Il mettra donc en évidence une interdépendance entre structures sociales et processus d’intériorisation des normes (Encyclopédie Universalis, 2007). Mais ce sera Pierre Bourdieu qui fera de « l’habitus », le concept central de son œuvre. « L’habitus » est au cœur même de l’analyse de la reproduction sociale et de la socialisation pour cet auteur. Pour lui, « l’habitus » peut se définir comme « un système de dispositions durables et transposables, structures structurées disposées à fonctionner comme structures structurantes, c’est à dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre. » (Bourdieu, Le sens pratique, p.88-89) La définition de l’Encyclopédie Universalis met en évidence deux cadres explicatifs. Du côté de ses conditions de production, l’habitus se définit par trois caractères : d’abord, les apprentissages par lesquels des perceptions, des jugements ou des comportements sont véhiculés et inculqués pendant la socialisation. Ensuite, l’impact de ces apprentissages sur l’agent, à la façon dont ils sont intériorisés et reconduits dans un inconscient individuel et collectif. Enfin, il renvoie à la capacité de ses dispositions à faire naître des pratiques sociales. Du côté de ses conditions de reproduction, « l’habitus » se définit autour de trois principes. Le principe de durabilité : « l’habitus » est une formation intériorisée durable dans la mesure où elle est capable de se perpétuer, et de perpétuer ainsi les pratiques qu’il est supposé engendrer. Le principe de transposabilité : « l’habitus » est capable de s’étendre au-delà du champ social où il s’origine, et d’engendrer des pratiques analogues dans des champs différents. Enfin, le principe d’exhaustivité : il est susceptible de se reproduire plus adéquatement dans les pratiques qu’il génère. « L’habitus » tend à produire les conditions sociales de sa reproduction, en même temps qu’il tend à reproduire les conditions sociales de production. Pour le dire simplement, l’individu est structuré par sa classe sociale d’appartenance, par un ensemble de règles, de conduites, de croyances, de valeurs propres à son groupe et relayés par la socialisation. De plus, ces dispositions acquises vont influencer sur sa manière de voir, de se représenter et d’agir sur le monde. L’individu va intérioriser des conduites, des comportements, tout un ensemble de choses sans en avoir conscience. Il va donc agir en fonction de tout cela mais sans en être conscient. Ces structures vont en retour le structurer davantage ( par exemple, en se conférant une certaine vision du monde, certaines préférences…) et le limiter dans ses choix. « L’habitus » est un ensemble de manière d’être, d’agir et de penser propre à un individu, fruit d’un apprentissage particulier lié à son groupe d’appartenance, qui diffère selon sa classe sociale, sa disposition en capital, et sa place occupée dans l’espace social. « L’habitus » structure les comportements et les actions de l’individu, et à la fois, il structure les positions dans l’espace social. Bourdieu distingue deux types « d’habitus » correspondant à deux étapes successives de la socialisation de l’individu. « L’habitus primaire » qui débute avec la vie et qui correspond à la période pendant laquelle l’enfant va intérioriser et apprendre les normes, codes, règles de son groupe d’appartenance. Il s’agit de la résultante de son éducation familiale et scolaire. « L’habitus secondaire » quant à lui, correspond à l’ensemble des apprentissages que l’individu rencontrera par la suite, tout au long de sa vie et notamment dans le cadre professionnel. Pour Bourdieu, même si ces deux « habitus » sont complémentaires, il n’en reste pas moins que « l’habitus primaire » prédomine sur le second. Ainsi, les parents déficients intellectuels ont acquis un « habitus » singulier envers les travailleurs sociaux pour y avoir été confronté dès leur plus jeune âge, ce qui reste plus particulièrement encré ou, plus tard dans leur vie d’adulte. Ce qui a pour effet d’induire une certaine façon d’être, de se représenter et d’agir envers ces professionnels. Cet ‘habitus’ envers les travailleurs sociaux est aussi à relier au fait que la déficience intellectuelle constitue un ‘handicap’ pour ces parents. C’est aussi parce que le fait de se situer dans le champ du handicap constitue un « stigmate » pour la personne, qu’ils ont été amenés à avoir un ‘habitus’ envers les travailleurs sociaux. L’intériorisation d’une certaine place est également en lien avec cette notion. Ainsi, après avoir vu ce qui caractérise et comment se construit la ‘carrière’ des parents déficients intellectuels, voyons maintenant comment se déroule leur quotidien avec toujours en perspective l’idée de se rendre compte de l’espace qui leur est réservé ou bien celui qu’ils peuvent s’octroyer. Pour cela nous allons différencier deux catégories distinctes : la parentalité de proximité, qui qualifie les parents vivant avec leurs enfants au même domicile, et la parentalité à distance, qui caractérise les parents dont les enfants sont placés en institution. Nous analyserons respectivement ces deux catégories en fonction de plusieurs exemples de la vie quotidienne tels que l’achat des vêtements, les loisirs, l’argent de poche, l’école et enfin la santé. Mais au préalable, nous verrons d’abord le cadre dans lequel cette place de parent peut se construire pour les parents déficients intellectuels, en abordant aussi leur stigmatisation. 4°) LA VIE QUOTIDIENNE ET LA PLACE DES PARENTS 4-1 La stigmatisation des parents déficients intellectuels Le concept de stigmate Erving Goffman, dans son étude sur la condition sociale des malades mentaux explique que très souvent « l’admission à l’institution signifie l’accession à ce que l’on pourrait appeler un statut prédéterminant. Ce n’est pas seulement sa situation intra-muros qui diffère radicalement de ce qu’elle était à l’extérieur mais, comme il le découvrira, c’est sa position sociale elle-même qui est affecté de manière indélébile et ne pourra jamais redevenir après sa sortie ce qu’elle était auparavant. »(1968, p.117) Lorsque ce statut est dépréciant, il parle de stigmate et indique que la position du reclus sera de s’efforcer de cacher son passé pour se faire admettre. Goffman explique également comment nous ne cessons de poser des hypothèses quant à ce que devrait être l’individu qui nous fait face. Il explique deux notions : l’identité sociale virtuelle et l’identité sociale réelle qu’il définit ainsi : « Les exigences que nous formulons le sont « en puissance », et que, le caractère attribué à l’individu, nous le lui imputons de façon potentiellement rétrospective, c’est à dire par une catégorisation « en puissance », qui compose une identité sociale virtuelle. Quant à la catégorie et aux attributs dont on pourrait prouver qu’il les possède en fait, ils forment son identité sociale réelle. »(1975, p.12) Un tel attribut qui jette un discrédit profond sur l’individu constitue un stigmate au sens de Goffman. A ce titre, le handicap constitue un réel stigmate. Cet auteur met en avant deux points de vue sur le stigmate, celui de l’individu « discrédité » et celui de l’individu « discréditable ». Pour le premier, l’individu stigmatisé suppose que sa différence est déjà connue ou visible sur place, pour le second, elle n’est ni connue ni immédiatement perceptible par les personnes présentes (1975, p.14). Dans ce dernier cas, lorsque l’individu n’est pas « discrédité » mais « discréditable », « Le problème n’est plus tant de savoir manier la tension qu’engendrent les rapports sociaux que de savoir manipuler de l’information concernant une déficience : l’exposer ou ne pas l’exposer ; la dire ou ne pas la dire ; feindre ou ne pas feindre ; mentir ou ne pas mentir ; et dans chaque cas, à qui, comment, où et quand. »(1975, p.57) La plupart des parents dont j’ai recueilli les témoignages relèvent de l’individu « discrédité », comme Lise, dont l’apparence physique et vestimentaire contraste avec une certaine « normalité ». Son comportement, sa façon d’être dans la relation à l’autre, le niveau de langage et de compréhension viennent confirmer le doute que l’on peut avoir vis à vis d’un certain handicap ou d’une déficience intellectuelle. Le lieu de l’entretien vient également marquer l’individu d’un certain stigmate, puisque pour Lise il s’agit d’un lieu de soin rattaché à la psychiatrie, le CATTP. Pour d’autres parents, comme Sam et Cécile ou encore Martine et Francis, on pourrait parler davantage d’individus « discréditables » car leur différence n’est pas frappante à première vue. Physiquement et dans leur façon de se vêtir, ils ont intégré les normes sociales. Pourtant très vite, au travers de nos échanges, le stigmate apparaît, lorsqu’on évoque les revenus, constitués pour la plupart de l’allocation adulte handicapée, le lieu de travail (ESAT), la présence des travailleurs sociaux, ou encore le fait de ne pas savoir lire et écrire, d’ailleurs souvent utilisé par les parents, pour justifier l’aide des intervenants sociaux. Dans ces différentes situations, l’individu a souvent tendance à masquer ces informations pour ne pas être discrédité, comme nous avons pu le voir avec Goffman. C’est ainsi que lors de rencontres scolaires, où je suis amenée dans le cadre de ma pratique professionnelle à accompagner des parents déficients intellectuels, ils tentent de dissimuler leurs difficultés au niveau de la lecture et de l’écriture. Cela amène parfois à des incompréhensions de la part de l’équipe éducative qui estime que les parents se désintéressent du suivi scolaire de leur enfant, alors qu’il s’agit uniquement d’un problème de communication qui pour l’école passe avant tout par l’écrit, au travers des cahiers de liaisons ou différents affichages dont l’accessibilité est impossible à ces parents. Le lieu de travail peut aussi être stigmatisant. « M : non mais moi je sais pas si c’est le fait que tu travailles au CAT mais je dis moi il y a un truc qui joue dessus Comment ils savent que vous travaillez au CAT ? M : ba parce que t’es obligé de remplir des papiers donc ils voient bien où tu travailles ! F : c’est comme ici j’aurais pas dû marquer ça j’aurais du dire que je travaillais à PROXI (nom d’une entreprise) M : avec le CAT t’es afficher ! F : moi maintenant si on va quelque part pour remplir des dossiers quoi que ce soit, si on me demande où je travaille, je dis PROXI ou chez PHARMATIS Ouvrier en usines ? F : voilà et puis comme on y travaille de toute façon entre deux » (Francis et Martine, 4 enfants vivants au domicile) Au même titre que certains jeunes de banlieues dissimulent leur adresse lorsqu’ils sont à la recherche d’un emploi, certains travailleurs en ESAT tentent de dissimuler leur lieu de travail. L’existence et la présence des travailleurs sociaux autour de ces familles sont également stigmatisantes. Par exemple, un curateur contribue très fortement à ce processus de stigmatisation, puisqu’il vient marquer une incapacité à gérer un budget et à assurer certaines démarches administratives. Il vient donc marquer un manque, un certain handicap. De nombreuses fois au cours de ma pratique professionnelle, je me suis trouvée en difficulté pour me présenter et justifier ma présence lorsque j’accompagnais des parents. D’ailleurs, certains d’entre eux nous demandent parfois de ne pas nous présenter en tant que travailleur social, pour ne pas avoir « la honte ». Le regard des autres est quelque chose qui compte beaucoup. Comme le montre l’exemple de Francis et Martine « M : après je me dis, mais nous on va passer pour quoi ?! Et au centre pourtant il déjeune il mange tout ça, Alicia elle me dit tu verrais comment il mange au centre ! Il arrête pas de se resservir des goûters qui font ! Vous avez peur qu’on croit que vous ne donniez pas à manger ? M : ba ouais ! Attend après ils vont nous dire qu’on lui donne pas à manger ou quoi ! » (Francis et Martine, 4 enfants au domicile) La peur du regard des autres est très présente chez ces parents. Le fait de subir un contrôle social quasi permanent les rend suspicieux vis à vis du monde extérieur et de ce que les autres pourraient bien penser d’eux. La recherche d’une certaine approbation de l’autre qualifie leurs relations ainsi que la nécessité de prouver leurs capacités, et par conséquent, leur utilité au même titre que tout le monde. Vincent De Gaulejac évoque la notion d’utilité sociale. Il explique que la revalorisation de l’identité ne peut survenir que dans une situation de contrat de réciprocité, c’est à dire que l’assisté doit trouver dans la contrepartie de ce qui lui est demandé, la confirmation qu’il a une place dans la société et une utilité sociale. Cette notion de contrat est par ailleurs très présente dans le cadre de la loi 2005, comme nous avons pu l’évoquer précédemment. L’aspiration à être comme tout le monde et le besoin de se sentir utile montre également la conscience d’avoir un statut à part. Malgré cela, les parents déficients intellectuels utilisent un discours très normé. Par exemple, pour Eric et Sylvia lorsqu’on aborde les règles à respecter pour l’enfant, ils évoquent la politesse, ne pas faire de comédie dans les magasins, pour Martine et Francis c’est le fait de bien se tenir et de se taire à table, pour Sam et Cécile c’est le respect des parents, pour Lise ce qui est important c’est de ne pas dire de gros mots, de respecter les gens. Pour Hugues et Berthe, l’éducation d’un enfant c’est de savoir s’en occuper c’est à dire « d’en venir à bout », et surtout Hugues précise de ne pas taper : «je crie moi mais je tape pas, oui on tape pas. Je sais pas ce que sais de taper moi. On fait des gosses ça sert à rien de les taper. » Ainsi, on voit bien que le fait d’avoir une place à part dans la société n’induit pas forcément un système différent de normes auxquels on peut se référer. Vincent De Gaulejac explique que la cohésion sociale ne peut être entièrement coercitive. Elle s’appuie sur l’adhésion volontaire des individus. Deux dimensions peuvent être distinguées : le système de normes et les représentations collectives. Les conduites sociales sont toutes orientées normativement, elles obéissent à des normes, des codes qui leur attribuent une valeur sociale. Cela conduit à évaluer positivement ou négativement les individus en fonction de leur conformité à ces normes. Par conséquent, certains modes de vie ou de consommation apparaissent comme des formes idéales auxquelles chacun doit aspirer. Il en est de même lorsqu’il s’agit du statut de parent. Chacun conçoit dans son esprit une ‘bonne’ façon d’être parent. Les représentations collectives sont d’ailleurs directement issues de ce système normatif. Au travers de ma recherche, on voit comment les parents déficients intellectuels cherchent à répondre aux injonctions des institutions. L’incorporation des rôles sociaux et la convocation de la « bonne » parentalité dans leurs discours sont le reflet de cette intégration des normes sociales. Voyons à présent comment cela se traduit au niveau de la vie quotidienne. Sur les cinq familles interrogées, rappelons que dans deux situations, les enfants vivent au domicile avec leurs parents (pour Sam et Cécile ainsi que pour Francis et Martine), que dans deux autres, les enfants sont placés en institution (pour Eric et Sylvia ainsi que pour Lise). La cinquième situation, celle de Hugues et Berthe, est un peu plus complexe. A un moment donné de leur histoire, un de leur fils a été placé en maison d’enfant pendant un an sur décision judiciaire, puis la mesure a été levée et le juge a prononcé un retour en famille. Toutefois, cet évènement vient inscrire la famille dans le circuit de la protection de l’enfance, et vient donc marquer un suivi particulier avec un juge des enfants. Ainsi, même si la mesure de placement a été levée, la famille reste inscrite dans la catégorie ‘familles à risque’ et fait l’objet d’un suivi analogue aux parents dont les enfants sont placés. De plus, même s’il ne s’agit pas d’une décision judiciaire, un de leur autre fils vit en internat dans un institut spécialisé (IME). A ce titre, nous allons inclure la situation de Hugues et Berthe dans la catégorie de la parentalité à distance, c’est à dire celle des parents dont les enfants sont placés. Nous allons voir comment s’organise le quotidien dans ces deux catégories et si le mode de garde des enfants ou le contexte d’un placement a des effets sur les relations envers les travailleurs sociaux. Lorsque les parents vivent avec leurs enfants, ce que l’on pourrait qualifier de situations « ordinaires », les cinq éléments de la fonction parentale (concevoir et mettre au monde, donner une identité à la naissance, nourrir, élever et garantir l’accès au statut d’adulte), peuvent s’exercer de manière tout à fait naturelle. La socialisation, l’éducation et la scolarisation relèvent des parents. Même si François De Singly fait remarquer que le rôle de la famille dans la socialisation enfantine est en constante diminution, laissant place à d’autres institutions, l’édification de la personnalité des enfants et la stabilisation de celles des adultes demeurent les fonctions principales de la famille (De Singly, 2004, p.16). Pour établir une comparaison entre les deux catégories énoncées, voyons comment se déroule le premier élément que j’ai choisi d’analyser : l’achat des vêtements. 4.2 L’achat des vêtements Du point de vue de la parentalité de proximité, illustrée par la situation de Francis et Martine, l’achat des vêtements se fait directement avec leurs enfants. Francis et Martine maîtrisent seuls leur budget, même s’ils ont pu bénéficier à un moment donner de conseils et d’aides de la part de certains travailleurs sociaux. Pour Sam et Cécile (même catégorie), les vêtements sont souvent l’œuvre de dons de la part de leur entourage. S’ils souhaitent acheter leurs propres vêtements, ils doivent demander et attendre l’autorisation de leur curateur, ce qui d’une certaine manière restreint leur espace de choix et de liberté d’un point de vue financier. Néanmoins, ils restent libres dans leurs démarches. Du point de vue de la parentalité à distance, l’achat des vêtements appartenant habituellement aux parents relèvent de l’intervention d’autres acteurs. Ainsi cette tâche peut être accomplie par une famille d’accueil, comme pour Eric et Sylvia : « Et comment se passe par exemple l’achat des vêtements, ça se passe comment , c’est vous qui achetez toujours les vêtements de Julien ? E : nous on en y achète mais aussi la famille d’accueil S : ouais la famille d’accueil E : c’est un peu euh...elle a un budget pour acheter les vêtements Et les vêtements qui sont achetez par la famille d’accueil du coup c’est pas vous qui choisissez ? E : non » ( Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Ou encore par des éducateurs de l’établissement spécialisé où sont confiés les enfants, comme c’est le cas pour Lise. 4.3. Les loisirs Lorsque les enfants vivent avec leurs parents (parentalité de proximité), leurs loisirs ou activités extérieures relèvent d’une décision et d’un choix parental, bien que la suggestion provienne souvent d’un travailleur social. Martine explique comment elle s’est décidée à mettre ses enfants au centre aéré après en avoir discuté avec une éducatrice et une assistante maternelle (ancienne nourrice de sa fille). Sam et Cécile comment ils ont décidé d’emmener leur fils à la halte-garderie, peutêtre après recommandations de la TISF ou du CATTP et en accord avec le curateur. Lors d’une parentalité à distance, les loisirs des enfants ne sont plus à l’initiative des parents. Ces derniers sont néanmoins consultés pour donner leur accord, mais ce n’est pas systématique, notamment s’il y va de l’intérêt de l’enfant ou lorsque ce dernier fait l’objet d’une prise en charge institutionnelle globale, comme c’est le cas pour les enfants de Lise : « Est-ce que vos enfants ont des activités, des loisirs à l’extérieur ? mon fils il fait du foot Et est ce que quand il fait du foot, vous avez la possibilité d’aller le voir ? Non » (Lise, deux enfants placés en MECS) Eric et Sylvia évoquent le même loisirs pour leur fils, mais en parle en termes différents : « Alors est ce que Julien a des loisirs, des activités à l’extérieur S : il avait le football il a arrêté Qui avait choisi ? Les deux : Julien ! Et donc qui est ce qui s’est occupé des démarches tout ça ? Les deux : la famille d’accueil S : et après nous on allait au terrain de football, j’allais le chercher et puis je le ramenais E : ah si il a encore de la course à pieds S : ah oui la course ! il m’avait montré ses médailles (d’un ton fier) E : il fait de la course à pieds Alors est ce qu’on vous en parle des activités qu’il va faire, est-ce que vous donnez votre autorisation, comment ça se passe ? E : oh non c’est nous S : c’est la famille d’accueil et puis nous l’autorisation E : hum parce qu’avant il voulait faire du judo Julien D’accord E : et puis le judo ils ont refusé parce que Julien il est beaucoup dans les trucs de violence S : ah ouais la bagarre » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) La phrase « ils ont refusés » montre bien que, même si les parents sont consultés, la décision finale ne leur appartient pas. Ainsi, au travers de ces deux exemples, on peut voir une certaine différence dans la manière dont les parents s’approprient les décisions quant aux loisirs, mais également une différence dans la façon dont on va consulter et associer les parents. Cette différence semble varier en fonction de la structure d’accueil ou de l’institution concernée. L’espace de parentalité dépendrait donc du type de structure institutionnelle et de la nature des professionnels qui interviennent auprès de l’enfant. Ainsi une famille d’accueil va permettre un certain espace que ne permettra pas une maison d’enfants ou un IME. 4.4. La santé La santé et le suivi médical des enfants sont également un domaine qui appartient aux parents lorsqu’il n’y a pas de placement des enfants. Le choix du médecin traitant et des soins à apporter, l’accompagnement au cabinet médical et la prise des médicaments sont décidés par les parents. Ils expliquent comment parfois, ils se construisent un réseau (conseils auprès du pharmacien et du médecin généraliste) en cas de difficultés, mais cela reste quelque chose de choisi, non pas d’imposé. Il n’en est pas de même dans les familles où les enfants sont placés par décision judiciaire ou confiés avec l’accord des parents à des institutions spécialisées, ce que j’appelle «la parentalité à distance ». En effet, les parents dont les enfants ont été placés en famille d’accueil ou en institution sont mis à l’écart de la prise en charge médicale de leurs enfants. Là encore on constate certaines variations, comme pour les autres domaines, selon le lieu d’accueil de l’enfant. Ainsi, Eric et Sylvia sont dépendants des informations délivrées par la famille d’accueil « Alors quand julien est malade ça se passe comment ? vous êtes au courant ? E : julien il a une mutuelle à part S : ah s’il est malade je le sais par la famille d’accueil E : ouais on le sait par la famille d’accueil S : quand il vient le mercredi il faut lui donner ça et ça, oui d’accord, il a eu quoi comme température, je la reprend et puis… Mais vous le savez que le mercredi ? par exemple s’il est malade le lundi on vous téléphone pas pour vous le dire ? E : non S : non E : ça on la sait pas, on le sait que quand il vient. Par contre quand il y a une hospitalisation, ils sont obligés de nous prévenir parce qu’ils sont obligés d ‘avoir notre signature, mais une fois il a été à l’hôpital c’était pour se faire recoudre je crois hein ? je l’ai su qu’après, la lèvre, l’arcade, là j’étais en furie, j’étais en rogne ». (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Pour Lise, on constate une certaine méconnaissance sur le sujet. Bien qu’il faille relativiser ses propos et avoir toujours à l’esprit la déficience intellectuelle, les problèmes de compréhension ou tout simplement les pertes de mémoire. Toutefois, cela met en évidence un certain fonctionnement institutionnel, une façon d’appréhender le travail avec les familles, de concevoir le rôle et la place de ces parents. « Quand vos enfants sont malades comment ça se passe ? silence… Est ce que vous êtes prévenu déjà ? oui les éducateurs vous appelle pour vous dire qu’ils sont malades ? oui d’accord, et alors comment ils sont soigner ? Est-ce que vous savez ? non vous ne savez pas ? vous savez pas s’il y a un médecin ou… ? si je crois y’a un médecin qui vient un médecin qui vient à la Clairière ? hum alors c’est les éducateurs vous pensez qui les emmènent chez le médecin ? hum et quand ils sont malades, qu’ils ont un rhume…vous pensez que c’est qui , qui va chercher les médicaments ? c’est… la Clairière vous avez été consulter pour le choix du médecin ? Est-ce qu’on vous a demandé votre avis ? non non ? pour choisir le médecin ?vous ne connaissez pas le nom du médecin ? non » (Lise, deux enfants placés en MECS) 4.5. L’école En position de parentalité de proximité, la scolarisation et les relations avec les professeurs relèvent également de la compétence des parents. Francis et Martine sont en lien direct avec les professeurs. Ils les interpellent directement en cas de besoin ou même en cas de désaccord. Les rapports avec l’école sont de nature différente selon le lieu de placement de l’enfant. Pour Eric et Sylvia, même si les premières rencontres avec les professeurs ont eu lieu en présence de la famille d’accueil, petit à petit ils ont revendiqué leur place, sont consultés dans les décisions à prendre pour leur enfant et accèdent à une reconnaissance : « Et donc on disait Julien va à l’école il est en CE1 sur Noyon, il mange à la cantine ? Et ça qui l’a choisi ? E : ba c’est pareil il y avait Julien, nous. Julien nous en a parlé, la famille d’accueil nous en a parlé donc on a été obligé de donner notre décision, si on voulait ou pas, puis comme c’était bien on a dit oui. Et par rapport au choix de l’école, vous vous souvenez comment ça c’est passé aussi ? E : euh le choix de l’école… c’était suivant le placement où était Julien. D’accord ça dépend de où se trouve la famille d’accueil ? E : de où se trouve la famille d’accueil et du secteur Et le jour de la rentrée scolaire ? S : on l’emmène E : c’est nous qui l’emmène à l’ouverture de la rentrée. Sans la famille d’accueil ? vous y aller seuls ? S : non ! avec la famille E : avec la famille d’accueil encore » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Cela montre que la reconnaissance des parents passe aussi par leurs revendications, leurs capacités à interpeller et se mobiliser. Pour Lise, c’est plus compliqué. Peut-être aussi parce qu’elle présente une fragilité personnelle plus importante, il semblerait que son avis soit peu sollicité quant à la scolarité de ses enfants. Elle dit même n’avoir pas visité leur école ni même rencontré les professeurs. 4.6. L’argent de poche La question de l’argent de poche est également significative pour se rendre compte de la méconnaissance des parents sur le fonctionnement institutionnel et vient donc illustrer une certaine dépossession de leurs responsabilités parentales. Pour Lise : « Vos enfants aujourd’hui est ce qu’ils ont de l’argent de poche ? oui, ils ont de l’argent de poche (la voix diminue) par la Clairière C’est par la Clairière d’accord, c’est pas vous qui donnez euh… c’est pas vous qui donnez de temps en temps ? si si je leur donne de temps en temps de… de la monnaie De temps en temps de la monnaie d’accord et sinon c’est la Clairière qui gère l’argent de poche hum Qui décide du montant de l’argent de poche ? je sais pas Vous savez pas ? Non » (Lise, deux enfants placés en MECS) Pour Eric et Sylvia : « E :non il a de l’argent de poche D’accord et qui a décidé de ça ? E : il y a nous et… S : la famille d’accueil E : la famille d’accueil et les assistantes sociales comment que c’est euh… madame X, donc il a dix euros par semaine Alors comment ça se passe ? c’est vous qui les donnez ? E : ah non non! Julien il a son argent sur un petit livret qu’ils y prennent et puis hop C’est l’ASE qui lui paye ? E : non enfin je sais pas, c’est sur son livret C’est pas vous qui donnez dix euros à chaque fois ? E : ah non non ! même si de temps en temps on lui donne la pièce mais autrement non c’est… ça on a jamais su d’où ça venait ! » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) Pour Hugues et Berthe, cette question de l’argent de poche se négocie avec le curateur. « A propos de la question de l’argent de poche, vous faites comment avec vos fils ? Mr : on en a discuté avec Mr M… Le curateur ? Mme : oui on leur donne 1 euros, 2 euros ça dépend… » (Hugues et Berthe, trois enfants, deux au domicile et un placé en IME) Ces exemples montrent le glissement des rôles parentaux vers des travailleurs sociaux. A travers différents domaines qui constituent une vie familiale ‘ordinaire’, nous avons pu mettre en évidence une certaine dépossession des actes de la vie quotidienne des parents soumis à une « parentalité à distance ». En effet, nous avons pu voir que l’achat des vêtements, les loisirs, la santé, l’école ou encore la question de l’argent de poche n’allaient pas de soi dans les familles où les enfants sont placés, soit par décision judiciaire ou même confiés avec l’accord des parents à des institutions spécialisées. L’espace qui leur réservé, ou plutôt accordé, varie en fonction du lieu où est pris en charge leur enfant. Une famille d’accueil implique un fonctionnement institutionnel moins ‘lourd’ et un suivi individualisé de l’enfant, alors qu’un établissement spécialisé nécessite une équipe pluridisciplinaire nombreuse, une prise en charge collective des enfants, des procédures à respecter et une lourdeur administrative plus importante. Ce contexte va influencer l’espace de parentalité réservé aux parents. Néanmoins, cet espace varie également en fonction des aptitudes des parents. Leurs capacités à revendiquer, à interpeller les professionnels vont également jouer un rôle dans leur reconnaissance, même si le contexte de la déficience intellectuelle ne permet pas toujours cette revendication. Toutefois, quel que soit le lieu d’accueil de l’enfant, la « parentalité à distance » met en évidence la rareté des moments partagés d’un parent seul avec son ou ses enfants. Leur relation est sans cesse soumise à l’approbation d’un travailleur social et sous contrôle quasi permanent. Comment ces parents supportent-ils ces conditions ? Quelles stratégies ou résistances mettent-ils en œuvre ? Cela va t-il influer sur leur espace de parentalité ? 5°) LES STRATEGIES, LUTTES ET RESISTANCES On peut retrouver certaines ressemblances et régularités dans les stratégies mises en en œuvre. Toutefois, dans des conditions semblables, les réactions des individus pour faire face aux problèmes qu’ils rencontrent seront différentes. Il est important de mettre à jour les logiques personnelles qui influencent la mise en acte de comportements qui apparaissent bien souvent inadaptés à la situation (agressivité, évitements…) et qui provoquent chez l’interlocuteur, ici en l’occurrence le travailleur social, des contre-réponses tout aussi inadaptées par rapport à l’objectif d’aide. Vincent De Gaulejac a étudié les causes du processus de désinsertion sociale tel qu’il peut être interprété à travers des histoires individuelles singulières et les contradictions des réponses institutionnelles. Il montre comment le désir de l’individu de s’en sortir et le projet de réinsertion dépend : « de la nature de l’image qu’il a de lui-même et de ses possibilités d’actions. » ( 1994, p.182). Il souligne comment le pouvoir de la société de définir les critères d’évaluation est grand : « Lorsqu’elle porte un regard dévalorisant sur un individu, celui-ci ne peut se contenter de l’ignorer, il ne peut qu’y faire face, soit pour contester sa nouvelle image, soit pour l’accepter, soit pour la négocier. » (1994, p.183). Selon lui, le type de stratégie adopté traduit le niveau d’intériorisation de l’image négative et la manière dont les individus réagissent face à l’invalidation dont ils sont l’objet. Néanmoins, lorsque la part de détermination sociale est si grande et les règles de la reproduction sociale si accablantes, on peut s’étonner de l’utilisation du terme de stratégie. En effet, de quelles marges de liberté ou de quelles possibilités de choix disposent encore les parents déficients intellectuels ? Vincent De Gaulejac estime que les stratégies de réponse à une situation difficile (par exemple, le placement d’un enfant), décrivent simplement les comportement individuels ou collectifs, conscients ou inconscients, adaptés ou inadaptés, mis en œuvre pour atteindre certaines finalités. Ces finalités sont définies par les individus en fonction de leur évaluation de la situation d’interaction, c’est à dire de l’importance des contraintes extérieures et de leurs propres capacités d’action. « La notion de stratégie se situe à l’articulation du système social et de l’individu, du social et du psychologique ; elle permet de lire dans les comportements, individuels ou collectifs, les diverses manières dont les acteurs ‘font avec’ les déterminants sociaux, et en fonction de quels paramètres sociaux, familiaux ou psychologiques. » (1994, p.184). Les différents témoignages des parents déficients intellectuels recueillis mettent en évidences plusieurs stratégies. Lorsque le sujet ne peut agir sur la situation elle-même ou sur le sens de sa situation, il peut difficilement résister à l’intériorisation de l’image négative de lui-même. Il lui reste donc comme possibilité d’action de chercher les moyens de supporter, de masquer ou d’oublier sa souffrance par l’évitement de la situation génératrice de souffrance ou par le déni. L’humour et la dérision constituent une première stratégie. Tourner en ridicule sa propre situation permet de prendre une certaine distance avec soi-même et récupérer une certaine maîtrise des faits. Mais surtout, cela permet de réinterroger la légitimité du regard de l’autre et le caractère sacré et intangible des valeurs dominantes. Francis utilise parfois cet humour : « Alors au niveau de la santé des enfants, quand ils sont malades comment ça se passe ? F : ba je les pique ! (tous les deux rit fort) » (Francis et martine, 4 enfants vivants au domicile) Le fait de mettre en évidence son attachement à un système de normes, à un groupe qui valorise ce que l’on est, constitue une seconde stratégie. Il s’agit d’une sorte de participation à une autre forme de vie sociale. Lorsque Sam évoque son appartenance à une association d’artiste peintre, il met en évidence son attachement à un autre groupe que celui dans lequel il se trouve rattaché habituellement qui relève du handicap mental. Il en est de même lorsque Francis apprécie d’être sollicité par un groupe de pères, en allant chercher sa fille à l’école, afin d’apporter son aide pour différents travaux. Il devient alors un père ‘ordinaire’, au même titre que les autres, n’est plus un père travaillant en ESAT, reconnu déficient intellectuel. La référence à d’autres systèmes de valeurs permet surtout de se sortir de la stigmatisation, de la contourner en posant que le sujet ne se sent pas concerné par celle-ci. C’est un peu comme si le sujet se disait : « le jugement porté sur moi n’est pas légitime, c’est l’autre qui est coupable de porter sur autrui mépris et discrimination, qui est méprisable à mes yeux ». Dans ce système c’est plutôt le sentiment d’injustice qui prévaut et les attitudes revendicatives. C’est la position qu’adopte Eric à certains moments de l’entretien lorsqu’il évoque l’idée d’un combat, d’une lutte permanente : « S : c’est encore une bataille. Tant qu’il est en famille d’accueil il faut se battre pour l’avoir définitivement ! Pour l’avoir définitivement avec vous ? E : ouais parce que sa chambre elle est vide, moi ça fait un vide immense dans la maison, mais t’as beau te battre ils sont toujours plus fort que toi S : ouais ils sont plus fort que nous, ils trouveront toujours un truc » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) L’agressivité peut s’envisager comme une autre stratégie. Elle permet d’externaliser la souffrance lorsque l’on se trouve infériorisé. Dans une situation de face à face, elle permet d’inverser le statut de dominant qui revalorise temporairement l’estime de soi. Cependant il s’agit d’une revanche fragile, de très courte durée. Dans les entretiens d’Eric et Sylvia, de Martine et Francis, le ton employé à certains moments était élevé, les expressions parfois familières, voir vulgaires. On remarque aussi certains soupirs signes d’agacement. « mais même si tu dis qu’est ce que tu penses, derrière ils s’en branle (tout bas) » (Eric et Sylvia, un enfant placé en famille d’accueil) « M : oh c’était une connasse ! » (Francis et Martine, 4 enfants vivants au domicile) Comme nous avons pu le voir, les parents déficients intellectuels sont entourés, cernés, par un grand nombre de professionnels ; certains prennent le parti d’établir des liens de confiance avec certains travailleurs sociaux et même de tisser des liens d’attachement envers quelques professionnels, ce qui, en soit peut se définir comme une forme de stratégie. C’est le cas de Francis et Martine envers la TISF , de Lise envers le CATTP ou de Hugues et Berthe : « Alors les travailleurs sociaux qui vous aident dans l’éducation de vos enfants, vous trouvez ça bien alors ? Les deux : oh oui ! Mme : oh oui ils sont bien, on est bien aidés Mr : oui nous on a pas de problèmes avec eux Mme : nous on est bien aidés Vous vous entendez bien avec tout le monde ? Les deux : oh oui avec tout le monde » (Hugues et Berthe, trois enfants dont deux au domicile et un placé en IME) La revalorisation de l’image de l’individu peut passer aussi par celle du groupe où il s’identifie ; notamment dans le cas des groupes stigmatisés pour lesquels il reste peu de sortie individuelle. Vincent De Gaulejac prend l’exemple des chômeurs, des RMIstes ou des personnes handicapées physiques. Il explique qu’à travers les olympiades pour handicapés il y a une double démarche : « contester la négativité attachée aux handicaps physiques et valoriser l’image collective, et contester le système de valeurs qui exclut les handicapés de la vie sociale normale en faisant reconnaître l’existence d’un groupe social qui a sa place et son rôle dans la société globale. » (1994, p. 205) Cependant, la culpabilisation et la dévalorisation constituent des entraves à l’action collective, non seulement parce que les acteurs n’ont pas confiance en leur capacité d’action, mais parce qu’ils répugnent à se reconnaître dans une identité collective négative, à se faire connaître à travers elle. « C’est la honte de se voir semblable à ceux qui sont méprisés, et que l’on méprise soi-même, qui empêche de s’unir pour agir ensemble » (1994, p.206). Nous en avons l’exemple avec Martine, qui affiche un certain mépris envers les travailleurs de l’ESAT, lieu qu’elle a elle-même quitté pour ne plus être « affichée » comme elle dit. Il s’agit de se différencier de ses semblables exclus, de se désolidariser du groupe dont on partage la situation. Les parents déficients intellectuels ne s’unissent dans aucune démarche collective. Ils ne sont pas représentés ou alors par des professionnels ou des associations de parents. Ne pouvant modifier la situation a son avantage, l’individu peut tenter d’éviter les situations dans lesquelles il est confronté à l’image de soi stigmatisé. Lorsque Martine quitte son lieu de travail (ESAT) et décide de ne plus avoir affaire au service d’accompagnement, son attitude peut être interprétée comme de l’évitement. En effet, la présence de certains services sociaux ou médico-sociaux stigmatise davantage l’individu. Donc une des possibilités qui s’offre, est de rompre les liens, de refuser l’aide institutionnelle. Mais parfois, les parents n’ont pas la possibilité d’éviter les situations dans lesquelles ils sont stigmatisés. Certaines rencontres avec les travailleurs sociaux ne relèvent pas d’un choix volontaire. Elles ont un caractère obligatoire, notamment dans les situations de placement de l’enfant. D’autre part, au travers de la situation d’entretien, émane d’autres stratégies que l’on peut voir comme de l’évitement. C’est le cas, par exemple, des réponses lapidaires, sous forme de oui/non. La brièveté des réponses peut venir traduire une certaine méfiance vis à vis de l’interlocuteur. En effet, les parents déficients intellectuels sont souvent amenés à répéter leur histoire familiale aux différents travailleurs sociaux qu’ils rencontrent. Le fait de répondre brièvement peut alors traduire une forme de lassitude qui entraîne une sorte d’économie de leur part. Il en est de même des « je sais pas », des pertes de mémoires (réelles ou non) ou des réponses qui ne répondent pas à la question. Toutes ces formes de « non-réponses » peuvent venir signifier une gêne, un embarras, une certaine souffrance même, face à la question posée. Elles permettent d’éviter ou de contourner la question, dans l’espoir que l’interlocuteur abandonne la question première. Le contexte de la déficience intellectuelle peut aussi être invoqué. Le jeu de rôle et l’instrumentalisation de la situation constituent une autre stratégie. Elle suppose une capacité de dédoublement dans laquelle le sujet intériorise en apparence l’identité négative, mais en même temps joue à être celui qu’on attend qu’il soit. Eric et Sylvia, par exemple, savent bien que, s’ils ne se plient pas aux injonctions des institutions, ils ne pourront plus voir ou recevoir leur fils à leur domicile. Par conséquent, ils « jouent le jeu » en adoptant l’attitude attendue par les services sociaux, en reprenant un discours formaté ou, le « jargon institutionnel » dont parle Goffman. Toutes ces stratégies évoquées mettent en évidence les effets destructurants de l’intériorisation d’une certaine place. Elles ont pour fonction de composer avec cette « identité », de se défendre, d’élaborer des rationalisations ou des mécanismes d’évitement pour préserver une certaine intégrité du sujet. Ces différentes attitudes peuvent conduire à un appauvrissement du tissu social voir à l’isolement, caractéristiques récurrentes chez les parents déficients intellectuels. De surcroît, ces diverses stratégies vont influencer, chacune à leurs manières, l’attitude de l’autre, c’est à dire du professionnel pris dans la relation. L’agressivité, par exemple, va déclencher certaines réactions et dispositions fluctuantes du côté du professionnel. De la même façon, la confiance et l’attachement des parents envers certains professionnels, comme pour la TISF, vont déterminer un certain espace de parentalité. Au travers de cette première partie d’analyse des entretiens recueillis auprès des parents déficients intellectuels, nous avons pu voir comment pouvait se construire leur personnalité en s’appuyant sur le concept de carrière. L’intériorisation d’une certaine place, des normes sociales, la mise en évidence d’un certain ‘habitus’ envers les travailleurs sociaux, et la question du stigmate sont les différents éléments que nous avons étudiés. Ils ne sont pas exhaustifs, mais sont ceux qui ressortent du contenu des entretiens recueillis. Ils permettent de comprendre comment se construit la manière d’être parent pour celui qui possède une déficience intellectuelle. L’organisation du quotidien, à travers différents domaines tels que l’école, les loisirs et la santé, viennent également illustrer un certain contexte de l’espace de parentalité des parents déficients intellectuels. Celui-ci peut varier en fonction du degré du handicap qui va permettre une résistance, des revendications ou au contraire une soumission presque passive, mais aussi en fonction de la nature des professionnels ou des structures d’accueil de l’enfant suite à un placement, qui donneront une place différente dans les décisions quotidiennes et inviteront à une collaboration plus ou moins étroite avec les parents. Cet espace de parentalité semble également bouger en fonction de l’âge de l’enfant. En effet, plus l’enfant est jeune et plus le nombre de travailleurs sociaux est minime. Le sentiment de liberté des parents dans les décisions à prendre semble plus fort lorsque l’enfant est jeune. Ainsi le nombre de travailleurs sociaux autour d’une famille serait un indicateur de l’espace laissé aux parents. Les stratégies ou résistances des parents face au contexte, vont également jouer un rôle dans leur espace de parentalité, au travers des réactions qu’elles vont susciter chez les professionnels. Après avoir recueillis la parole des parents, nous allons désormais tenter d’analyser le traitement institutionnel et les représentations face à ce ‘public’ au travers des entretiens recueillis auprès des professionnels. QUATRIEME PARTIE LES ESPACES PROFESSIONNELS Le nombre d’entretiens auprès de professionnels est de six. Je suis allée interroger une infirmière en centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), structure rattachée à un centre médico-psychologique (CMP) ; une éducatrice spécialisée à la maison de la solidarité et des familles (MSF), structure du conseil général ; une déléguée à la tutelle ; d’une infirmière à la protection maternelle infantile (PMI) ; une technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF) ; et pour finir une éducatrice spécialisée en maison d’enfant à caractère social (MECS). Le discours des professionnels met en évidence leur ressenti vis à vis de leurs pratiques. Les avis sont partagés. Soit leurs remarques montrent qu’ils partagent le même point de vue, quelque soit leur domaine d’intervention, soit, à l’inverse, elles sont opposées. Nous allons analyser leurs différentes perceptions face à leurs conditions de travail, leurs pratiques et leurs représentations des parents déficients intellectuels afin de voir si cela crée une incidence sur leur manière de travailler et d’appréhender ce public. Autrement dit, est-ce que l’espace des pratiques professionnelles est identique pour tous, est ce qu’il va influencer un espace de parentalité spécifique du côté des parents ? 1°) DES ESPACES DE PRATIQUE DIFFERENTS 1.1. Les conditions de travail L’appréciation des conditions de travail du secteur social en général, est un sujet largement évoqué dans tous les entretiens avec les professionnels. Il peut varier en fonction de l’institution dans laquelle le professionnel exerce. Nous allons essayer de comprendre ces différentes variations. L’infirmière en CATTP, l’éducatrice à la MSF, la déléguée à la tutelle ainsi que l’éducatrice en MECS tiennent un discours plutôt négatif. La première évoque un fort décalage entre le discours et la pratique. Le patient apparaît comme un ‘pion’ dans une administration toute puissante. Les lois de 2002 et de 2005 sont des paravents qui n’ont en aucun cas influencé sa pratique. L’infirmière en CATTP a l’impression d’un mouvement régressif, par rapport à la prise en charge de son public, d’un retour de préjugés très forts autour de la psychiatrie. La problématique du lien social et de l’isolement s’intensifie, selon elle. C’est une vision plutôt pessimiste. Pour l’éducatrice spécialisée à la MSF, dont nous avons évoqué les différentes missions auparavant, l’accent est mis sur les mauvaises conditions de travail : le nombre de suivis trop important, les restructurations permanentes, la baisse de moyens continuelle, le travail dans l’urgence, le manque de supervision et d’échanges. La déléguée à la tutelle aborde les mêmes revendications sur les conditions de travail : trop de suivis, l’inexistence de réunions professionnelles, de supervision, pas de psychologue, le sentiment d’être seule face aux décisions à prendre, la responsabilité extrême, la mauvaise rémunération, pas de droit à la formation. Elle parle d’une utopie complète entre les tâches demandées et les moyens mis à disposition ce qui entraîne un renoncement professionnelle. Pour l’éducatrice en MECS, la transmission des informations, par écrit, tient une place primordiale. Elle vient combler le manque de transmission orale lors d’un temps commun avec les collègues, quasi inexistant. Le quotidien, au rythme très soutenu, ne laisse pas beaucoup d’espace au temps de parole ou de réflexion. Le discours négatif sur les conditions de travail dénote une insatisfaction quant à la manière dont la pratique s’organise. Pour certains, ce peut être la charge de travail trop importante, des moyens insuffisants voir en diminution, ou encore le manque de communication, d’échange en équipe. Pour d’autres, les restructurations, les injonctions institutionnelles dont on a du mal à saisir l’intérêt des personnes que l’on accompagne. Tout cela contribue à la construction et à la délimitation d’un certain espace du côté du professionnel. D’autres se positionnent différemment. L’infirmière en PMI et la TISF peuvent évoquer un manque de moyens sans que cela n’entame leur enthousiasme face à leurs obligations. Les conditions de travail, même si elles sont parfois difficiles, passent en second plan et sont compensées par d’autres éléments. « Alors qu’est ce que vous pouvez dire de vos conditions de travail ? satisfaisante, à améliorer… Oh…pff (souffle) moi ça me va (elle rit). Ça me va, moi la seule chose pour travailler, j’ai besoin qu’il y ai une bonne entente, j’ai besoin d’une entente avec les collègues, des choses comme ça, euh… sur un plan technique tout ça bon bein… ça va, jusqu'à maintenant quand il y a une situation qui est difficile, bon je me suis jamais vraiment sentie toute seule devant quoi » (infirmière PMI) Pour l’infirmière en PMI, il n’y a pas de sentiment d’échec et l’importance est mise sur les relations entre les membres de l’équipe. « Et que dirais–tu de tes conditions de travail ? Tu les qualifierais comment ? Tout à l’heure au niveau de la rémunération, tu évoquais un manque de reconnaissance… Euh ba disons que je me plaindrais pas trop si ce n’est que moi j’ai un problème perso parce que mes kilomètres ne me sont pas remboursés en intégralité donc là ça devrait se régler, sinon les conditions de travail ça va, on estime avoir une bonne direction, quelqu’un qui est très ouvert à nos demandes C’est ce que tu disais c’est important, ça comble le manque de réunions… ? Ah ouais je trouve que notre responsable est super, bon voilà elle fait aussi avec ses moyens, pourtant il y a beaucoup de mes collègues qui comprennent pas mais on est une association et on dépend des financeurs donc ça sert à rien de revendiquer tiens on veut une voiture de fonction ça sert à rien on l’auras jamais donc voilà (TISF) Pour la TISF, le temps professionnel et le temps personnel sont parfois entremêlés, la rémunération n’est pas satisfaisante, mais la personnalité du cadre hiérarchique vient relativiser ces éléments. Ainsi, ces deux professionnels compensent les aspects négatifs (quantitatifs), de leur fonction, par des éléments positifs (qualitatifs) tels que le travail en équipe ou la relation avec leur cadre hiérarchique. Ce mode de fonctionnement démontre la possibilité de s’aménager, ou pas, un espace de travail, mais conditionne également leurs actions et la façon d’appréhender les personnes qu’ils accompagnent. Cela laisse à penser que lorsque le professionnel est en accord avec ce qu’il fait et avec la manière dont il le fait, cela se répercute positivement sur son public. Le travailleur social a d’ailleurs conscience que son désir dans la relation éducative est très important, souvent moteur dans l’élaboration et la mise en place du « projet de vie » des usagers, clients ou bénéficiaires (nous reviendrons sur ce thème un plus loin dans l’analyse). Comme nous avons pu le voir avec la TISF, le cadre ou le référent hiérarchique tient une place capitale dans la pratique quotidienne du professionnel. Au-delà de son rôle d’écoute, il est garant du projet institutionnel et assure une certaine cohésion dans l’équipe. Il est porteur des mêmes valeurs qui ont fondé les principes du travail social, c’est à dire la redistribution des richesses, le principe de solidarité. Or, on voit apparaître aujourd’hui au niveau des postes de cadre, des profils tout à fait différents. La logique de la montée en grade, en interne, n’est plus la source privilégiée des postes à responsabilité du secteur social. Par conséquent, on peut rencontrer plus souvent des personnes qui viennent d’autres domaines professionnels, où la logique gestionnaire prédomine. Michel Chauvière explique comment « durant le dernier quart du XXe siècle, le néolibéralisme est parvenu à briser le compromis social-démocrate qui fondait la possibilité d’un Etat providence pérenne pour tenter de limiter les dégâts sociaux d’origine économique et d’établir une société d’intégration plus égalitaire. » ( 2007, p.8). Dans ce cas, des tensions et des incompréhensions peuvent apparaîtrent qui entraîne le doute chez les professionnels de terrain. Au travers du discours de la TISF, le cadre est un membre de l’équipe à part entière : « …notre responsable nous connaît tous très bien, sait comment nous fonctionnons et elle essaie toujours de faire les doublures en fonction de celles qui ont les même approches, les même euh… Selon vos personnalités ? Voilà donc en général ça se passe assez bien ».(…) « …notre responsable qui est vraiment disponible et on peut échanger aussi beaucoup avec elle. » (TISF) Le cadre est une personne ressource à l’écoute des professionnels. « De plus en plus et puis on est aussi valoriser par les services sociaux et ça aide Vous êtes de plus en plus reconnus c’est ça ? Reconnu dans la qualité de notre travail et ça c’est hyper agréable, reconnu au niveau de l’inspectrice aussi parce que c’est une ancienne assistante sociale donc qui connaît parfaitement nos missions et la façon dont on travaille et ça aide ! je parle sur mon secteur, après mes collègues elle ont des difficultés hein ! »(TISF) La reconnaissance des professionnels ne semble possible que si le cadre est une personne de « terrain ». Il s’agit donc d’un élément essentiel dans la pratique des intervenants. C’est également lui qui va impulser une dynamique et un certain espace de travail. Pour aller plus loin dans la compréhension de cet espace, tentons d’approfondir la question du rôle et des missions de chacun. 1.2. Rôles et missions Le rôle peut se définir comme un ensemble d’obligations normées et liées à un statut. L’attente de rôle, largement étudié par Erving Goffman, correspond au fait que, dans un contexte donné, l’acteur doit agir conformément à ce que l’on attend de lui, et agir conformément à la norme définit par sa position. Bien qu’il existe une fiche de poste pour la plupart des professionnels, des missions prédéfinies liées à un statut ou à une profession, mais encore, de façon plus générales, à un projet institutionnel, chacun définit son propre rôle dans les entretiens : L’infirmière au CATTP parle d’aider les patients qui relèvent d’un suivi en psychiatrie, à se réinsérer, à se resocialiser, dans un premier temps par le biais d’un travail de groupe pour ensuite participer à des activités extérieures afin de retrouver « une vie sociale, et éventuellement une vie professionnelle ». Pour l’éducatrice à la MSF, sa mission première est la protection de l’enfance. Elle apporte également aide et soutien à l’éducation des enfants dans les familles en difficultés. Pour la déléguée à la tutelle, il s’agit de gérer des personnes et des biens administratifs. Mission très vague qui engage une responsabilité individuelle extrême et induit un domaine d’intervention quasi illimité. L’accueil des enfants en état de détresse, placés par décision de justice et la prise en charge au quotidien constitue le travail de l’éducatrice en MECS. La façon de concevoir son rôle contribue à la constitution de son espace de pratiques professionnelles. Or, le manque de moyens et de structures adaptées, poussent parfois les intervenants à prendre certains risques. Le glissement des rôles, le fait d’accomplir des tâches qui ne sont pas programmées dans le projet institutionnel en sont des exemples. L’éducatrice spécialisée à la MSF, montre comment l’éducateur contraint d’empiéter sur un territoire qui n’est pas le sien, celui du psychologue : « T’as des gens tu les reçois, ils pleurent, ba oui t’as touché peut être un truc sensible ouais et après tu fais quoi ! Tu fais quoi avec ça ! Le psy, on a qu’un psychologue par MSF donc faire appel au psy c’est bien sauf que bein il est tout seul donc euh… Il faut faire quoi. Alors t’envoie sur les CMP. Les CMP il faut trois mois d’attente pour un rendez-vous, si le gamin il vient de lui même c’est bien, si il vient à reculons ba ça vaut pas le coup, bon ba tu fais quoi ? C’est tout. Il y a ça aussi, il y a une réalité qui fait que… ba ça déborde de partout. Moi j’estime qu’on est pas assez nombreux sur le terrain et au niveau éduc, parce que trois éducs pour une ville euh… » (éducatrice à la MSF) L’infirmière au CATTP explique comment elle est parfois amenées à transgresser le cadre du projet pour pouvoir répondre à une demande : « … il y a eu un accompagnement du couple par nous, alors que ce n’est pas notre fonction. D’accord. Ça ne fait pas partie de vos fonctions ? L’individuel, non. L’accompagnement au domicile, l’aide matériel au domicile pour les rassurer, non, normalement non. Normalement non ? donc vous êtes obligés aussi de vous adapter aux problématiques que vous rencontrez ? Voilà. Mais bon on le fait je veux dire... discrètement, parce que ça fait pas partie de nos attributions et que quelque part je suis pas certaine que l’on soit couvert par notre hiérarchie à un moment donné (dit tout bas). Ça fait pas partie de nos missions mais à un moment donné si on fait ça c’est que... on sait qu’on est obligé d’aller au-delà pour pouvoir répondre à une demande. » (infirmière au CATTP) A partir de cet exemple, on voit comment cette infirmière est obligée de franchir une frontière, de rentrer dans un espace où en théorie, elle n’a pas sa place. L’infirmière en PMI a, d’une part, un rôle de prévention et de dépistage au travers des consultations ouvertes à tout public y compris celui du milieu scolaire. Elle effectue un suivi du développement de l’enfant, promulgue des conseils, bien souvent aux mamans, et est à leur écoute. D’autre part, elle peut être sollicitée par l’ASE pour les familles en difficulté et participer aux prises de décisions concernant la prise en charge des enfants dans ces familles. Il y a donc deux contextes d’interventions possibles pour l’infirmière en PMI (libre ou imposée) qui vont conditionner l’espace des deux parties (professionnel et parents) comme nous l’avons vu précédemment. C’est également le cas pour la TISF qui peut être interpellée directement par la famille, par les services sociaux, ou mandatée par un juge. « Qui vous envoie les familles ? Les services sociaux principalement, donc l’assistante sociale, mais ça peut être aussi les tuteurs, délégué à la tutelle qui nous interpelle, ça peut être un éducateur, ça peut être un juge directement aussi qui mentionne une garde des enfants à domicile mais sous présence d’une TISF. » L’infirmière en PMI ne se voit pas comme ayant la possibilité de contribuer à la décision d’un placement d’enfant, bien que cela puisse faire partie de ses missions et bien qu’elle soit souvent perçue de cette manière par les parents. Elle envisage plutôt sa mission première, comme une aide apportée aux parents sous forme de conseils, de démonstration dans les gestes, dans les soins à prodiguer à l’enfant, que ce soit à domicile ou durant des consultations. Dans l’esprit et par dénomination, une infirmière est une personne qui soigne, qui soulage, qui guide, mais pas seulement. L’intervention d’une infirmière en PMI traduit aussi une forme de contrôle social par une prescription de « bonnes pratiques » auprès de ces parents, ce que semble souvent occulter le professionnel. L’objectif plus ou moins dissimulé derrière l’accompagnement aidant est bien une certaine forme de normalisation de ces parents. D’ailleurs, au vu de l’encadrement mis en place (voir schémas en première partie), on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une hyper-normalisation. Le fait d’être très entouré, observer dans tous ses faits et gestes accroît la détection des dysfonctionnements, qui à leur tour, entraîne la mise en place de nouveaux dispositifs provoquant une augmentation des exigences, de plus en plus difficiles à satisfaire. La TISF, quant à elle, décrit sa mission de manière très globale, comme une aide aux personnes en difficulté. Cette globalité s’accompagne d’une souplesse dans l’organisation de sa pratique. La TISF explique comment ses horaires de travail s’aménagent en fonction des besoins des familles. Le cadre horaire n’est donc pas rigide. Nous l’avons vu dans les entretiens avec les familles, l’accompagnement de la TISF relève du quotidien et crée un lien de proximité. La relation se construit dans le concret de part et d’autre. Ainsi, le rôle et les missions, normalement définis, sont censés délimiter un espace de travail pour chacun, mais parfois la réalité du terrain vient bouleverser les pratiques. On peut penser que plus les missions et les rôles sont précis et plus l’espace des pratiques est bien définis. Toutefois, cet autre point de vue peut entraîner une forme de rigidité des pratiques. Est-ce que cette rigidité dans les rôles et les missions se répercute ou influence la relation, l’attitude auprès des parents déficients intellectuels ? Nous le verrons lorsque nous analyserons les différentes perceptions des professionnels envers la parentalité et le handicap mental. Le mode et le contexte d’intervention détermine la délimitation d’un espace pour le professionnel. 1.3.Le mode d’intervention et le public visé De la même manière que nous l’avons constaté auprès des parents, on peut distinguer l’intervention qui est contrainte ou imposée de l’intervention plus « libre »4. D’ailleurs, L’intervention « libre » ou participation plus spontanée, ne s’inscrit pas forcément dans des instances de décisions. Elles n’entraînent donc pas de sanctions auprès des parents qui les refuseraient. En voici l’exemple avec le CATTP : « nous ici l’avantage c’est qu’il n’y aucune obligation ce qui fait que du coup ici ils sont en général partie prenante. Oui, parce que s’ils viennent c’est déjà un choix de leur part alors du coup… Voilà ! donc c’est qu’ils ont envie quelque part de travailler quelque chose. Contrairement à un service social qui peut être parfois imposé et du coup est dans une difficulté et une dynamique plus compliqué. Nous on a la chance c’est que, si ils ont pas envie de venir ils viennent pas, on est pas un lieu d’obligation de soins. »(infirmière au CATTP) 4 J’utilise l’expression « plus libre » car je pense que la liberté réelle n’existe pas, il y a toujours une part de suggestion qui invite la personne à participer ou à s’inscrire dans un dispositif. D’autant plus, en ce qui concerne le public auquel je me suis intéressée. Pour ce qui est de l’éducatrice à la MSF, de la déléguée à la tutelle et de l’éducatrice en MECS, leur intervention est quasi systématiquement imposée. La première intervient avant tout au nom de la protection de l’enfance, après un repérage de certaines difficultés, et évoque un public déjà connu des services sociaux. « Est ce qu’il y a des publics spécifiques ou est ce que vous intervenez auprès de n’importe quelle personne ? Ba là déjà c’est dans ce qu’on peut appeler les quartiers « chaud » (elle insiste sur ce terme et paraît gêné de l’utilisé) de C., on intervient rarement en centre ville, euh oui c’est des familles euh… moi je sais pas, oui en grande carence sociale, enfin sociale dans le sens problèmes financiers… Oui comme tu disais en précarité ? Voilà, une histoire euh voilà les parents qui ont une histoire pff…(soupir) complètement, leur propre histoire à eux est complètement faite de… bein oui, de violences, de carences, la majorité des personnes c’est quand même ça. Donc ça veut dire que cela peut être des enfants suivis par l’ASE qui sont adultes aujourd’hui ? Voilà ! Complètement, ouais ouais. Des parents qui ont été, qui ont eux un parcours au niveau de l’ASE, déjà. Pas tous hein ! Même s’il y en a qui sont pas passés par l’ASE en tout cas qui ont eu des difficultés sociales en tant qu’enfants ça c’est sûr, et puis on a aussi des familles étrangères où on se rend compte que l’intégration c’est pas évident quoi. Les enfants ont du mal à trouver leur place, parce que les parents n’ont pas leur place non plus quoi. Voilà. Et puis pas mal de problèmes d’alcool et de maladies, enfin des choses un peu…(silence) ouais » Et pour la plupart les familles sont déjà connues… ? Oh ouais ! Même quand on a des signalements, enfin ce qu’on appelle des informations préoccupantes, on a toujours un nom, un prénom, une date de naissance donc on fait toujours, on vérifie toujours si la famille est connue et j’allais dire dans… 98% des signalements qui nous arrivent euh (hésitations) c’est déjà des familles connues. Si ce n’est déjà suivi quoi… »( Educatrice à la MSF) Cette connaissance préalable des individus ou des familles induit des idées préconçues sur les difficultés qui peuvent être rencontrées. Au travers de cet exemple, on sent très fort l’impact du stigmate (« quartiers chauds », « parents avec un parcours ASE »…). La rencontre entre le travailleur social et la famille n’est pas « vierge », en tout cas du côté du travailleur social, qui bien souvent est en possession d’informations sur elle, bien avant de la rencontrer. L’intervention de la déléguée à la tutelle s’inscrit par décision judiciaire et dans un contexte de défaillance du côté de la personne, c’est également le cas pour l’éducatrice en MECS. Ainsi, le contexte d’obligation ou non, vient délimiter le domaine d’intervention et l’espace. Le professionnel qui intervient sous mandat d’un juge ne le fait pas de la même manière que s’il était sollicité directement à la demande des parents. Cela induit une conception de la personne du côté du manque, d’une incompétence, voire un jugement, comme pour l’éducatrice en MECS, c’est à l’enfant de faire le deuil d’un parent « normal », de s’adapter et se construire avec ses défaillances. Le public visé et l’orientation nous éclairent également. Chaque professionnel utilise un vocabulaire différent pour nommer les personnes qu’ils doivent accompagner. Le contexte est variable et l’orientation des individus dans les différentes structures se fait également par des personnes différentes. Ceci n’est pas sans incidence dans la construction d’un espace professionnel. En CATTP, on parle de patients. Il s’agit d’une conception médicale de la personne, dont on entend une possible évolution, qu’elle soit positive ou négative. La primauté est mise du côté du patient et non pas du parent, au contraire de l’ASE (l’éducatrice à la MSF). Il s’agit là, de dimensions plurielles de l’individu, qui sont mises en évidence et prises comme références, selon les différents champs professionnels. Or, l’individu est un tout, il n’est pas seulement patient mais aussi parent, et vice et versa. L’éducatrice à la MSF parle de « familles en difficultés », « avec des carences sociales » ou de « familles étrangères ». L’utilisation de ce vocabulaire traduit déjà une certaine conception de l’individu d’où va découler une certaine pratique. L’orientation ou plutôt l’interpellation de l’éducatrice à la MSF se fait souvent par l’intermédiaire du milieu scolaire, parfois à la demande d’un juge. J’utilise le mot interpellation car, dans ma pratique professionnelle, je suis rarement confrontée au fait que les parents sollicitent directement la MSF. Il y a toujours un intermédiaire qui vient « signaler » un dysfonctionnement ou une carence de leur point de vue, et qui interpelle le service social. On est là encore dans une logique du côté de manque, de défaillances parentales, que le service social doit venir contrôler et corriger. Nous remarquerons que dans cette conception, on ne s’interroge pas sur le processus ou les conditions environnementales qui font que les parents aboutissent à des situations extrêmes, tel un placement de leur enfant, mais on fixe les parents dans un état d’incapacité, d’inadaptabilité dont ils sont seuls responsables. Ainsi, nous avons pu voir comment se construisent les différents espaces de pratique pour les professionnels. Pour certains, la contrainte est plus forte donc l’espace plus réduit, pour d’autres, un aménagement reste possible qui laisse entrevoir plus de souplesse. Quelle incidence cela peut-il avoir sur la perception et l’attitude adoptée envers les parents déficients intellectuels, par ricochet sur leur espace de parentalité ? 2°) LA PERCEPTION DU PROFESSIONNEL : ENTRE ATTENTES NORMATIVES ET REPRESENTATIONS « Moi je dirais, je trouve hein les personnes déficientes euh, celles qui sont reconnus, elle savent (en insistant sur ce mot) qu’elles ont des difficultés et du coup elles admettent beaucoup plus leur problèmes et du coup c’est beaucoup plus facile de travailler avec eux, par rapport à une personnes qui n’a pas forcément conscience de ses difficultés. Euh moi je les trouve plus dans l’ouverture à dire bon, moi il y a des choses que je sais pas faire mais entre guillemets c’est pas de ma faute parce que c’est la déficience, enfin il y en a qui joue avec ça, qui manipule, mais dans un sens je trouve que c’est plus facile de travailler avec eux. Ils reconnaissent plus facilement leurs difficultés. » (TISF) Pour la TISF, la collaboration des parents déficients intellectuels est meilleure car ils auraient une conscience de leur handicap. Le fait de se positionner dans le rôle de « l’apprenti » côté parent, face à « l’expert » côté professionnel, permet à celui-ci d’envisager une évolution possible. De plus, il y a également la notion de « faute » ou plutôt de responsabilité. La déficience intellectuelle déresponsabiliserait le parent, dans le sens où celui-ci n’a pas choisi son handicap. Ce n’est donc pas sa faute s’il est dans l’incapacité de faire certaines choses, sous-entendu, contrairement à d’autres parents qui ont leurs pleines facultés et qui ne cherchent pas à s’en sortir, idée souvent véhiculée dans le discours commun. Cela m’évoque l’idée selon laquelle Serge Paugam parle d’assistance justifiée, pour le handicap physique, mental ou l’invalidité, dans son étude, où il met en évidence trois catégories d’individus : les fragiles, les assistés et les marginaux. (2004, p.83) Cet extrait d’entretien montre aussi comment les parents désignés « déficients intellectuels » sont considérés par la TISF, par rapport à un autre public. Ces propos ne sont pas anodins, ils contribuent à la construction d’un espace dans la pratique du professionnel. On peut noter que les parents reconnus « déficients intellectuels » par la TISF ne l’en apprécient que davantage. La position de l’infirmière en PMI est plus tempérée : « …alors là aussi ça dépend, des personnes plus ou moins déficientes je vais dire, parce que celles qui sont peu déficientes, enfin peu à mon goût hein ! comme cette dame dont je parlais, donc c’est une dame qui a juste une tutelle, qui n’est pas suivi autrement, elle a son mari, elle vient ici, elle nous demande de l’aide quand ça va pas, on l’aide comme on peut c’est une dame qui comprend, elle essai de faire, elle fait vraiment ce qu’elle peut pour faire ce qu’on lui dit, avec un petit peu derrière l’idée bon je fais ce que vous me dites pour que derrière on me le place pas hein ! mais voilà elle vient volontiers, elle participe à plein de choses bon et après il y a les personnes plus déficientes qui ont du mal, alors il y en a qui comprennent bien ce qu’on leur dit, qui essaient de faire mais qui ont du mal à le faire, à cause de leur problématique), Bon mme D, ses enfants elle, on sent vraiment que ce sont ses tripes, ça on le sent vraiment mais sa problématique fait qu’elle a du mal à… il y a certaines choses qu’elle va faire, qu’elle met vraiment en place… » (…) « Elle planifie les trucs alors justement peut être qu’elle planifie trop les choses. » (…) « ça suscite de l’angoisse et du coup elle n’arrive pas à adapter les choses. Quand ils étaient petits à un moment elle ne les forçaient pas à boire, moi je lui disais là c’est bon il a plus faim bon d’accord mais du coup sur la journée il manquait un biberon, un biberon et demi par jour parce qu’elle a pas forcé ba je dis oui mais là ça va pas, donc on a essayé de rétablir de lui donner la fin mais après du coup elle en donnait trop ! (elle rit) je dis bon c’est pas comme ça qu’il faut faire C’est vraiment de l’ordre de l’adaptation ? Oui voilà il faut adapter, essayer de lui faire comprendre, mais de trouver la manière de lui faire faire pour que ça aille bien. A chaque changement il faut un accompagnement ? Voilà c’est ça il faut un soutien, il faut montrer et puis il faut pas leur faire faire des choses de but en blanc, il faut prévenir, leur dire qu’on va faire comme ça, leur en parler » (infirmière PMI) Le problème de la catégorisation du handicap, que nous avons déjà évoqué, est mis en avant (déficience légère, moyenne, profonde…) car il induit des difficultés particulières, selon l’infirmière en PMI, mais aussi des préjugés. L’idée d’un contrôle social est tout de même évoquée dans la peur du placement de l’enfant, ce qui explique pourquoi les parents se plient aux exigences institutionnelles. Même si le sentiment d’amour des parents déficients intellectuels envers leurs enfants n’est pas remis en question par le professionnel, on sent que l’objectif premier de l’infirmière en PMI est de « faire comprendre », « montrer », « faire faire le parent de la bonne manière », ce qui illustre la perception du professionnel envers ce public. Indépendamment du sentiment plutôt négatif évoqué par les professionnelles sur leurs conditions de travail, la parentalité et le handicap mental sont abordés de manières plutôt positives par l’infirmière en CATTP et l’éducatrice à la MSF, mais plutôt négativement par la déléguée à la tutelle et l’éducatrice en MECS. L’infimière en CATTP prend l’exemple de Sam et Cécile : « Ba...disons que c’est des patients avec une pathologie psychiatrique à un moment donné, mais qui par exemple pour Mr S, la naissance de son enfant lui a permis d’évoluer, de retrouver une capacité d’élaboration que lui même ne croyait pas possible, tu vois... Cela lui a permis de se reconstruire, d’accepter aussi sa maladie alors qu’il l’acceptait pas forcément avant, du coup d’en avoir un autre regard, d’être capable d’interpeller les gens en tant et en heure quand il y a besoin, euh je dirais que pour le coup lui, a vraiment évolué par rapport à sa maladie et pour le coup, par rapport à sa vie sociale, sa vie de père... Donc du coup la naissance ça a été pour lui quelque chose de positif ? Très positif pour Mr S, très très positif ! ouais ! ah oui oui, lui ça l’a vraiment changé dans le bon sens » ( infirmière au CATTP) Selon elle, le fait d’être parent a eu un impact très positif sur la maladie. Le fait de devenir parents peut modifier le rapport du patient à sa maladie et lui permettre de mieux la gérer et, pourquoi pas, d’en amoindrir les symptômes. L’éducatrice à la MSF partage cette attitude vis à vis des parents déficients et relativise leur handicap, peut être parce qu’ils ne représentent qu’une faible proportion dans l’ensemble de ses suivis (3 sur 70) : « Est-ce qu’ils ont une place particulière, des difficultés particulières avec eux ? Ba j’allais dire que ça dépend, parce que c’est pas tant le fait qu’ils soient déficients qui diffère, c’est… moi j’ai une famille là, à celle où j’ai deux parents qui sont déficients ça se passe très bien même si ils ont des enfants qui ont déjà été placés, ils ont sur je crois six enfants… Ce sont les parents que j’ai été rencontré ? Voilà c’est ça. Eux c’est des gens avec qui on travaille très bien. Parce que… (silence) je sais pas comment expliquer… on sent qu’il y a quelque chose, on sent qu’il y a un travail possible. La preuve en est c’est que les deux derniers sont encore au domicile donc c’est des parents qui ont évolués, enfin qui voilà… qui ont dus certainement… écouter des conseils, c’est des gens qui sont sous tutelle, qui le vivent plutôt bien quoi, ils ont l’air… Est-ce que tu penses que ce serait dû à leur déficience, du fait qu’ils seraient plus soumis, plus… ? Peut être. Peut être parce que ça reste quand même des gens… ce couple là je pense qu’on peut leur demander ce qu’on a envie quoi. Je pense que c’est des gens très influençables. On va leur dire blanc, ils vont penser blanc, nous on va arriver on va leur dire attendez ils vous ont dit blanc mais ça serait mieux si c’était noir ou l’inverse, effectivement ils vont dire ah oui oui, voilà, c’est des gens qui, à mon avis faut pas qu’ils soient entourés de mauvaises personnes après nous, c’est vrai que ça donne un certain pouvoir, effectivement de se dire… puisque c’est des gens dont on a besoin d’avoir des courriers par exemple, et bein le courrier limite c’est nous qui l’écrivons et c’est eux qui le recopient donc… pour ça oui, on peut faire ce qu’on veut. » (éducatrice à la MSF) A l’inverse, la déléguée à la tutelle adopte une position plus mitigée face à la parentalité et la déficience intellectuelle. « Etes vous amenée à rencontrer des parents déficients intellectuels ? Oui (en souriant) Est-ce que au niveau de la proportion dans les majeurs protégés… Oh c’est 10, 15 %. Pas énormément. Beaucoup de gens, justement beaucoup de gens isolés, seuls en fait, limite marginalisés quand même, beaucoup Et euh… concernant les parents déficients intellectuels, qu’est ce que vous pouvez dire de leur place de parent ? Qu’est ce que ça vous évoque ? Ba beaucoup d’enfants confiés à l’aide sociale quand même aussi, et puis leur place de parent ba je pense que même eux ils ont du mal à se positionner comme tel, justement là c’est les partenaires qui doivent aussi aider, parce que bon nous on ne doit pas intervenir dans le cadre de la protection de l’enfance, on peut être présent pour un signalement, pour en effet voir s’il y a un souci mais c’est tout. » (…) « Je pense qu’ils sont tout content hein quand ils nous annoncent cette grossesse (en riant), c’est nous souvent qui sommes un peu triste ! » (…) Alors est ce qu’on peut parler d’un espace de parentalité pour ces parents ? (soupir et silence) non, c’est difficile. Euh après est ce que c’est possible ?Je pense qu’avec ce public c’est quand même difficile. » (déléguée à la tutelle) Le statut de parent apparaît comme un moyen d’exister et d’être reconnu. La déficience intellectuelle apparaît comme un obstacle au rôle de parent. La réticence du professionnel face à cette parentalité, car elle est bien différenciée, est également mise en avant. Pour l’éducatrice en MECS, la déficience intellectuelle est peu différenciée de la maladie mentale et du handicap psychique, nous avons vu précédemment comment les limites pouvaient être floues. De plus, elle l’envisage comme un état avec peu de perspectives d’évolution. Ainsi, il s’agirait, selon elle, que ce soit plutôt du côté de l’enfant que soit travaillée l’acceptation du handicap du parent, sans espérer d’amélioration. « C’est difficile parce que voilà c’est dû à une maladie ou à quelque chose qui les dépasse. Je pense à la responsabilité du parent entre guillemets dans ce qu’il lui arrive et du fait que les enfants soient placés, euh voilà l’enfant on peut toujours lui dire voilà ta maman elle est malade, elle peut pas et tout. Ça peut être quelque part un avantage enfin je sais pas si c’est le bon mot. Mais par rapport à un parent maltraitant C’est dans le sens où c’est involontaire ? Oui voilà c’est ça. Après c’est vrai que pour la prise en charge, dans l’évolution pour le futur, quand un enfant est placé pour des raisons socio-économique, maltraitance ou des choses comme ça, il y a un travail et l’enfant ils se dit un jour je vais retourner chez moi. Par contre, quand un enfant sait à la base que son parent est déficient, qu’il est en très très grande difficultés et que ça ne risque pas de s’arranger malheureusement, c’est vrai qu’à très très long terme, la vision du future c’est placement reconduit d’année en année et voilà. » (éducatrice en MECS) En effet, pour l’éducatrice en MECS et la déléguée à la tutelle, la perception négative des conditions de travail va de pair avec une perception plutôt négative envers les parents déficients intellectuels. Il semblerait que ce soit moins clair pour l’infirmière en CATTP. Comme nous l’avons vu précédemment, le CATTP est un service rattaché à un CMP, lieu de soins avant tout. Cela induit des conceptions différentes de l’individu. On ne parle plus « d’usagers » mais de « patients ». Le fait de devenir parent à un moment donné de la maladie, car la déficience intellectuelle se situe plus sur ce versant dans le secteur du soin, peut se concevoir de façon positive. La déficience intellectuelle est rattachée, en tout cas pour l’infirmière en CATTP, à une population prise en charge en institution. La déficience intellectuelle est considérée comme une catégorie trop restrictive qui ne prend pas en compte les capacités d’élaboration et de changements possibles. Le handicap ne s’accompagne pas toujours d’une vision déficitaire du côté du soin, ce qui ne semble pas toujours le cas dans le champ du social, où le handicap est souvent caractérisé par une insuffisance, par un manque de quelque chose. A l’image du SDF qui se caractérise par son état de privation (de toit) comme l’a analysé Némmi Dominique, la personne handicapée se caractérise presque toujours par son état de privation d’autonomie. La manière d’appréhender le public des parents déficients intellectuels va se traduire également en fonction des représentations face à leurs difficultés mais aussi au travers des normes attendues. Les différents professionnels énoncent des difficultés spécifiques aux parents désignés déficients intellectuels, comme s’il existait une parentalité à part. Ils laissent également apparaîtrent des attentes très normatives. Pour la plupart, les difficultés se situent au niveau relationnel. « Ils ne peuvent pas transmettre en fait. Ils sont démunis vraiment dans ce lien affectif en fait, qui nous paraît nous une évidence et qui n’est pas pour eux, qu’ils doivent apprendre. Moi je pense qu’il y a vraiment ce travail dans le sens d’apprivoiser la vie mais dans le sens relationnel. » (infirmière au CATTP). Leur vécu entraîne des problèmes de transmission, ce qui sera également évoqué par la TISF et l’infirmière en PMI. « Par contre la difficultés que je trouve qui se rejoint c’est beaucoup de « on laisse faire », il y a plus d’enfants roi je trouve chez les parents déficients parce qu’ils ne savent pas, je pense qu’ils ont peur de où jusqu ils peuvent aller. Eux même n’ont pas de points de repères, de limites pour pouvoir leur imposer. Après quand c’est acquis, ils arrivent à retransmettre mais eux même n’ont pas forcément ces notions là donc euh…Ils ne peuvent pas vraiment donner parce qu’ils ne l’ont pas forcément connu ?Voilà c’est comme l’affection, les jeux, les câlins. Moi il y a énormément de parents qui me disent mais moi j’en ai jamais eu de bisous alors pourquoi veux-tu que j’en fasse ! » (TISF) Pour la TISF, la verbalisation des parents déficients intellectuels est très limitée. La mise en mots de leurs actes, de leurs sentiments sont très rares. L’infirmière PMI ajoute d’autres points tels que l’existence d’une angoisse très importante pour les parents déficients intellectuels et le manque de confiance en soi. Elle évoque également leurs pratiques très ritualisées, qui ne laissent pas de place à l’imprévu. La peur du changement, le manque de souplesse et le problème d’adaptation caractérisent également ces parents. L’éducatrice en MECS parle plus d’une inversion des places, c’est à dire que dans les cas où les parents sont déficients intellectuels, ce serait l’enfant qui prendrait la place de parent. Ce qui, du point de vue de l’intérêt de l’enfant, n’est pas admissible. Enfin, la déléguée à la tutelle évoque des difficultés intellectuelles ‘pures’ comme la maîtrise de la lecture et de l’écriture, autant d’obstacles selon elle, pour être de bons parents. Mais aussi, des problèmes d’anticipation et de projection dans le temps. Ainsi, une naissance peut ne pas avoir été préparée d’un point de vue matériel (pas de chambre, d’habits, de biberons…). Ces difficultés spécifiques exprimées par les professionnels enferment les parents déficients intellectuels dans une catégorie précise. Ces représentations sur fond déficitaire vont entraîner des pratiques conditionnées, qui influeront l’espace de parentalité. Si d’emblée un professionnel estime que le parent en face de lui est incapable d’effectuer certaine tâche, il aura tendance à les faire à sa place, et empiètera ainsi sur le domaine qui lui est habituellement dévolu. Certaines normes et attitudes attendues de la part des professionnels sont mises en évidence dans leurs discours. Pour qualifier le « bon parent » on retrouve fréquemment la notion d’autorité, de savoir poser des limites aux enfants, de faire preuve de sang froid, d’être dans le dialogue avec eux, de savoir prendre en charge son enfant (l’alimenter, le sécuriser, le laver, être capable de voir quand il est malade, l’emmener consulter si besoin, être capable d’estimer le danger…). Un ‘bon parent’ doit aussi accepter le placement de son enfant, comprendre que cette démarche peut être nécessaire et reconnaître ses responsabilités. Il doit avoir envie de passer à autre chose et ne pas être dans le déni. Un ‘bon parent’ c’est aussi quelqu’un qui travaille, qui se prend en charge, qui est autonome. Le parent doit être dans l’échange avec le professionnel, demander des conseils. La relation entre le professionnel et le parent doit être une relation de confiance. Le parent doit comprendre que le professionnel est là pour l’aider et non pas pour le juger. Le ‘bon parent’ doit accepter les visites à domicile, les entretiens avec les professionnels dans lesquels il faut qu’il parle, mais aussi qu’il écoute, signes d’une bonne collaboration. « Une collaboration voilà c’est ça, si on voit qu’il y a quelque chose à mettre en place, quand on arrive à mettre quelque chose en place, quand on arrive à leur faire comprendre l’utilité de la chose, parce que tout ça c’est pour les aider… » (infirmière PMI) Celle-ci implique aussi qu’il n’y ait pas de mensonges, pas d’agressivité, pas de manipulations. Le parent doit tenir ses engagements, apporter la preuve de sa bonne foi et de ses capacités. On peut le voir comme un travail en partenariat, mais aussi comme une obligation d’écouter, de se conformer. Toutefois, le professionnel n’est pas un ami et des limites doivent être posées dans cette relation. « Et alors pour vous qu’est ce qu’une bonne relation avec les parents ? Ba une relation de confiance…(soupir)… une relation où on peut se dire ba des choses pas toujours agréables et que les limites soit aussi posées avec le professionnel parce que quand on se retrouve parfois le seul intervenant dans une famille et bien, on voit les enfants grandir, on voit les parents évoluer, c’est vrai qu’on partage leur vie. Quand ils se marient, ils sont obligés de nous demander une autorisation, le baptême des enfants on participe à tout ça, et bien il faut aussi poser les limites. On est pas leur ami, on n’est pas… » (déléguée à la tutelle) Au vu de cette liste d’exigences, il s’avère difficile de pouvoir y répondre en totalité. Il semblerait que ces différentes attentes énoncées soient valables pour n’importe quel parent. En quoi le contexte de la déficience intellectuelle est-il ici pris en compte ? D’une part, les attentes des professionnelles paraissent en décalage avec le public concerné, et d’autre part, le fait que les parents ne se plient pas à ces exigences peut aussi entraîner des attitudes professionnelles spécifiques donc, induire, par ricochet, un espace de parentalité particulier. Il y a là une interdépendance entre les attentes des professionnelles, l’attitude des parents et en retour les réponses des travailleurs sociaux. Les uns conditionnent les autres. En conséquence, après avoir explorer les différentes impressions des professionnels sur leurs conditions générales de travail, et leurs représentations face au public des parents déficients intellectuels, on peut remarquer une certaine corrélation. En effet, si pour l’éducatrice en MECS et la déléguée à la tutelle, leur ressenti sur leurs conditions de travail allait de pair avec une perception plutôt négative envers les parents déficients intellectuels. De même manière, pour la TISF, les conditions de travail vécues de manière plus satisfaisantes, ou mieux négociées, vont avec un discours assez positif envers les parents déficients intellectuels. Toutefois, il s’agit bien plus du positionnement du professionnel, qui va fortement contribuer à un échange positif, et à une meilleure appréciation en retour, du côté des parents. Les différentes représentations induisent des pratiques professionnelles, propices ou non à une reconnaissance et à une action parentale, autrement dit, à un espace de parentalité. Ce qui vient confirmer ma deuxième hypothèse de recherche. Si le professionnel subit de fortes contraintes au niveau de sa pratique, il éprouve un sentiment négatif vis à vis de ses conditions de travail. Il est fort probable que cette rigidité et ce mal être se répercutent sur l’accompagnement des parents. Le professionnel peut alors empiéter sur un espace qui n’est pas le sien, faire à la place du parent, en préjugeant qu’il n’aura pas les capacités requises, ou parce que les modalités de son travail ne lui permettent plus de prendre le temps nécessaire à l’accompagnement des parents. Ainsi, il est beaucoup plus économique et rapide de faire « à la place de » que d’amener la personne à faire par elle-même. De ce point de vue, il s’agit d’une contrainte institutionnelle qui passe par l’exigence de nouveaux critères. C’est ce que nous allons voir au travers des outils institutionnels. 3°) LES OUTILS INSTITUTIONNELS COMME MARQUEURS D’ESPACE Pendant les entretiens, les professionnels évoquent de nouveaux outils, parfois utiles, mais le plus souvent contraignants. En effet, le cadre des lois de 2002 et de 2005 est venu bouleverser et réactualiser les pratiques professionnelles du social. Pour certains, cela a été plus flagrant que pour d’autres. Ainsi pour l’infirmière en CATTP, les lois n’ont pas eu d’impact réel : « Depuis longtemps, ça a toujours été notre philosophie c’est à dire qu’on est là pour la personne, à sa disposition, pour essayer de l’aider dans ses difficultés donc je veux dire pour nous la loi n’a rien changé, ça l’a officialisé mais pour nous dans notre pratique de tous les jours ça n’a rien changé. Cela a mis des procédures en place aussi cette nouvelle loi, il y a des écrits qui sont devenus obligatoire ? Oui mais on les avait déjà. Disons que ça a officialisé ce qui ne l’était pas et je pense que, comment dire, ça a donner une égalité des services qui n’existait peut être pas au sein du CHI, parce qu’on était un service relativement pilote par rapport à tout ça. » (infirmière en CATTP) Les lois ont permis une homogénéisation entre les services, une certaine vigilance par rapport aux affichages, à la diffusion des informations. L’outil principal est le dossier de soin, puisque qu’il s’agit du milieu hospitalier. Il est accessible, mais à condition de suivre toute une procédure, qui s’avère peu utilisée par les patients. Ce dossier permet, du point de vue du professionnel, d’évaluer et de suivre l’évolution du patient. Son accessibilité entérinée par la loi, a induit une attention particulière dans la façon de rédiger des professionnels. Ils prennent garde aux jugements et aux interprétations, préoccupations partagées par l’éducatrice à la MSF : « C’est pas que t’écris pas la même chose (elle rit), c’est que tu l’écris euh…(hésitations) tu l’écris autrement. A la limite, des fois tu es gêné devant les parents alors t’essaies de leur faire partager l’écrit, tu leur dit est ce que vous êtes d’accord avec ce que l’on écrit ? limite, s’ils étaient pas d’accord et il faudrait qu’on l’écrive quand même et ça c’est vrai que par moment c’est pas évident. » (éducatrice à la MSF) On peut noter une certaine ambivalence dans le fait de prendre en compte l’avis des familles, mais en même temps la primauté du discours professionnel est mis en avant. L’éducatrice à la MSF montre une certaine méconnaissance de la loi 2005. Hormis le caractère obligatoire de lire les rapports aux familles, elle évoque plus les difficultés de procédures internes (dates d’envoi, d’échéances à respecter, la relecture par les encadrants techniques…) et les multiples restructurations, déménagements, changements de personnels et de dénominations comme autant de freins à un bon fonctionnement : « On est en plein dedans au niveau du service, on est même un peu en retard parce que si tu veux ça aurait du se faire en fin d’année 2007 sauf qu’il y a eu un problème au niveau du poste de l’encadrante technique, il y eu des déménagements au niveau des maisons, avant c’étaient des circonscriptions maintenant c’est devenu des maisons tout a déménagé parce que…enfin voilà c’est un peu compliqué C’est la restructuration non ? Restructuration voilà ! donc tout ça fait que ça a mis un peu de temps » (éducatrice à la MSF) L’entretien avec la TISF met en évidence un nouveau langage et de nouveaux outils propres aux lois 2002 et 2005 : « Vous travaillez sous forme de contrat avec les familles ? Alors oui, maintenant parce que c’est tout récent Toujours par rapport à la loi ? Oui qui nous a imposé… , donc ils signent un contrat comme quoi ils s’engagent à accepter les modalités de l’intervention avec toutes les procédures qu’on peut avoir au niveau du transport, de la sécurité avec nous nos procédures internes c’est à dire quand il y a un chien au domicile il doit être enfermé, il y a plein de choses donc on explique tout ça aux familles, le coût puisque chaque famille participe euh… Comment ce sera financé, si il y a une partie ASE ou autre ? Euh en général c’est l’ASE qui prend en charge, à la charge de la famille pour la majorité c’est 30 centimes de l’heure. On leur explique les objectifs et que à partir de ces objectifs là il y en a d’autre qui peuvent se greffer selon la demande de la famille, il y en a qui peuvent être atteint très rapidement… » (TISF) La notion de contrat est centrale aujourd’hui. Elle s’accompagne d’avenants et bien sûr d’objectifs à atteindre, tant du côté professionnel, que du côté des familles. « On sélectionne entre guillemets les difficultés prioritaires et en fonction de ça on fixe des objectifs bien précis. » (TISF) Le travailleur social apparaît, sous cet angle, comme un gestionnaire qui doit avoir pour objectif une meilleure rentabilité. Michel Chauvière dit du contrat, qu’il devient la clé universelle des relations sociales. Il pourrait s’agir d’un outil précieux dans une relation personnalisée avec les bénéficiaires, mais la façon dont il s’institutionnalise provoque plutôt un appauvrissement de l’accompagnement social. Nous en avons l’exemple avec le RMI ou encore le contrat de responsabilité parentale, inclus dans la loi sur l’égalité des chances de 2006 (voir annexe 5). Ce dernier se présente sous la forme d’une aide contrainte, imposée à certaines familles, avec obligations de résultats et menace de sanction, telles la suspension des allocations familiales ou le renvoi au judiciaire. Evidemment il ne s’agit pas de n’importe quelles familles, mais celles où l’on trouve des situations de carence d’autorité parentale, d’absentéisme scolaire ou de troubles. Ces faits sont uniquement interprétés comme relevant de la responsabilité des familles. Les parents déficients intellectuels sont également touchés par ces différentes mesures. Ils sont à la fois ciblés comme une population à aider, mais en même temps ils font également l’objet de démarches répressives à leur encontre. Il s’agit bien là d’une forme de contrôle social envers ces familles. Ce type de contrat cache en réalité une nouvelle police des comportements, une sorte de « patrouille de chasse aux familles défaillantes » comme l’exprime Michel Chauvière. Voilà comment s’opère le glissement vers une société répressive mais contractuelle. La signification du contrat doit être réinterrogée car : « si le contrat a des vertus pédagogiques et s’il donne un peu plus d’assises juridiques aux droits des usagers, il est aussi le signe d’un changement de culture sociétale. Quand tout se contractualise, bien au-delà de ce que permet la seule technique juridique, bien des fondements de l’action collective sont en jeu : la conception du lien social dans son caractère irréductible à l’enchaînement des contrats, les fondements de l’autorité au-delà de la recherche de l’accord des parties, ainsi que la légitimité et la forme des sanctions s’agissant à des manquements des contrats de ce type. » (Chauvière, 2007, p.55). Les écrits sont plus nombreux, ce qui implique une certaine traçabilité, et les échéances entraînent une certaine planification. Les professionnels de « terrain » doivent désormais se former à l’outil informatique, ce qui n’était guère dans leurs prérogatives. « Notre association a mis en place un comité de pilotage pour régler justement tout ce problème de la loi 2002 car il y a une évaluation externe et une évaluation interne, donc là moi je fais parti du comité de pilotage et on est en train de revoir toutes les modalités interne de l’association pour voir où sont les lacunes ! On fait l’évaluation à blanc cette année pour faire l’évaluation définitive l’année prochaine »( TISF) La question de l’évaluation est aussi omniprésente avec tout ce qui l’accompagne : les comités de pilotage, l’évaluation interne, l’évaluation externe, les nouvelles procédures… Le sentiment de la TISF vis-à-vis de ces lois est positif. Cela a permis une meilleure organisation de l’association, une centralisation des écrits et des formulaires destinés aux familles. Elle explique qu’avec ces outils, les professionnels sont moins dans la parole et plus dans les actes, et qu’ils ont gagné une véritable légitimité de service, à la hauteur d’une authentique « structure sociale ». Le contenu des écrits et l’information aux familles est aussi ce qui ressort de la loi. La TISF évoque la mise en place d’un cahier de suivi dans chaque famille, où apparaissent la date, l’heure et l’activité du moment avec le détail du déroulement et des évènements. « on a mis en place au domicile des familles un cahier de suivi qu’on reprend pour faire les rapports, comme ça il y a la date, le jour, comme ça on peut marquer ba tel jour telle heure, si on parle des activités que madame fait avec les enfants, on peut reprendre très précisément à chaque intervention ce que madame elle a fait. » (TISF) Pour elle, il s’agit de gagner en objectivité afin de ne pas être dans le jugement. Ainsi, chaque rapport se base sur des faits concrets, et bien souvent le rapport de la TISF sert de référence pour les assistantes sociales qui voient moins fréquemment les familles. La position de la TISF est par conséquent très ambiguë car il s’agit pour elle de créer une relation de confiance avec les familles, mais, en même temps, elle est dans l’évaluation, dans l’aide à la personne et dans le contrôle social. De plus, les écrits semblent eux aussi suivre des règles bien précises : « Vous avez des formations pour les écrits professionnels ? On en a eu oui oui et on en a encore, il y a des collègues qui ont encore un peu de mal, on a une trame à respecter, bien détaillées, objectifs précis mesurables et réalisables (elle rit) que des faits jamais de jugements ! » (TISF) On peut se demander si les directives énoncées dans la forme des écrits ne contribuent pas à un formatage du professionnel, dans sa vision et sa manière d’appréhender les situations. Le professionnel peut penser qu’en utilisant des faits réels et en associant les parents à la lecture d’un rapport, on peut permettre d’atténuer la douleur d’un placement d’enfant, qu’en suivant cette méthode on peut mieux comprendre ses erreurs et essayer de les corriger. D’un autre point de vue, on peut aussi s’interroger pour savoir si cette tentative d’objectivité basée sur des faits concrets ne dissimule pas une autre forme de contrôle social. L’espace de parentalité est scruté dans les moindres détails et peut, à l’inverse, inhiber le parent. Cela vient contribuer à la création des limites de cet espace. La liberté d’action, la spontanéité ne semblent plus possibles. D’autre part, avec la naissance de tous ces outils institutionnels, le professionnel pense avoir mis tout en œuvre pour le bien de la personne. Par conséquent, si l’accompagnement échoue ou s’il y a placement d’enfant, la responsabilité ne peut être que du côté des familles. Avec l’entretien de la TISF, on se rend compte à quel point le professionnel peut adhérer à un type de discours, tout en pensant qu’il agit pour le bien de la personne prise en charge. L’entretien avec l’infirmière en PMI introduit les notions de territoire, de secteur, de délégation… « …dans la PMI là maintenant il y a trois médecins, un médecin de délégation et deux médecins de maison. Alors la délégation regroupe le canton de R…, de N…, T…et R… donc sur ce territoire euh avant j’aurais peut être dû dire que le département est divisé en 9 territoires, avant, il y avait 14 circonscriptions. Maintenant il y a 9 territoires C’est tout récent ? Oui c’est 2007. Voilà à la tête de chaque territoire il y a un délégué territorial, donc ici c’est V. dans les bureaux de la délégation il y a le médecin de délégation, l’auxiliaire de puériculture, l’éducatrice de jeunes enfants, il y a l’animateur, la psychologue euh… Et ça c’est l’équipe de la PMI ? Non. Ça c’est un peu tout le monde, ce sont les personnes uniques sur le territoire leur bureau est là bas et en plus il y a le service aide aux personnes âgées et handicapées, euh il y a l’insertion, les personnes pour le RMI, euh… qu’est ce qu’il y a d’autres ? Ah et puis les personnes administratives et toujours à la délégation mais dans un autre bâtiment il y a un service de l’aide sociale à l’enfance, service enfance/famille. Avec mme M qui est maintenant équivalente inspectrice ASE D’accord qui n’est plus médecin de PMI ? Non elle est adjointe enfance/famille et mme C qui est coordonnatrice et puis avec une éducatrice, je crois qu’il y a une AS, et des agents administratifs. Ça c’est pour le bureau enfance/famille D’accord donc vraiment dans la PMI il y a le médecin de délégation qui est là bas. Oui. Un médecin par MSF, maison de solidarité et de la famille, donc un pour R…, T… et R…et un autre pour N… et G… Et donc son bureau se trouve ici à la MSF ? Voilà, alors après au niveau du personnel PMI nous sommes 7 infirmières et infirmières puéricultrice et on a la même fonction, on fait exactement la même chose Et j’imagine partagé aussi en secteur ? Oui sectorisé. Donc 4 ici à la MSF de Noyon, 2 à T et 1 à R… » (infirmière PMI) Cela met en évidence la complexité des institutions et de leur organisation. Le professionnel lui-même semble avoir du mal à se repérer, alors imaginons les difficultés dans lesquelles peuvent se retrouver les publics concernés. Au-delà de cette difficulté de repérage, la territorialisation des modes d’intervention témoigne d’un repli sur des valeurs ou des normes d’action limitées au territoire et en même temps un déclin des approches plus globales et collectives. Ce processus peut conduire à des risques de plus fortes inégalités sociales de traitement selon le lieu où l’on se trouve. C’est d’ailleurs ce que dénoncent de plus en plus de citoyens, d’élus mais aussi de professionnels. Comme nous le fait remarquer Michel Chauvière, « pariant sur le local contre l’Etat, les concepteurs en attendaient une plus-value de solidarité et de démocratie ; un quart de siècle plus tard, force est de constater que les résultats ne sont pas tout à fait ceux-là » (2007, p.141). Là encore, les lois de 2002 et de 2005 évoquent peu de choses au professionnel hormis une traçabilité plus importante et un sentiment de devoir se justifier et rendre des comptes. « Alors est ce que la loi de 2002 et 2005 a changé quelque chose dans vos pratiques ? c’était quoi déjà ça ?! Est ce que pour vous depuis 2005 ça a changé quelque chose dans votre travail ? Ba j’ai pas l’impression… peut être au niveau des infos signalantes on doit faire plus des ripostes écrites, renvoyer des réponses, c’est plus sous formes de demandes d’enquêtes, il y a peut être plus de passage en commission pour dire on a vu ça, on a vu ci Des nouvelles procédures, des traces écrites ? Ouais ouais il faut maintenant beaucoup de traces écrites c’est vrai. Il faut noter tel jour on a rencontré mme machin, on a fait telle visite, même si on note pas tout… c’est vrai qu’il y a plus ça, c’est vrai. Bon avant il y avait toujours les rapports et tout ça mais peut être que là il faut être plus pointilleux. (infirmière PMI) En MECS, l’éducatrice énonce la difficulté de concilier l’esprit des lois avec l’organisation quotidienne de l’institution. Notamment, en ce qui concerne l’association des parents aux différentes démarches et projet concernant leur enfant, telles que des rencontres scolaires, médicales. Pour elle, les moyens institutionnels ne permettent pas un réel ‘partenariat’ avec les parents, terme très employé aussi depuis la parution de ces deux lois. A défaut de pouvoir les associer directement aux diverses rencontres, les informations sont reléguées par téléphone ou par courrier mais créant une distance avec les parents et la restriction de leur espace de parentalité. Ils ne participent pas toujours réellement aux prises de décision concernant leur enfant mais sont plutôt relégués en bout de chaîne. Ils ne sont pas présents aux réflexions avec les professionnels. Ils sont conviés à donner un avis en bout de course, une autorisation parentale qui fait leurre. Pour la déléguée à la Tutelle, les procédures exigées viennent brouiller l’intérêt du majeur protégé : « On est de plus en plus pour les délégués à la tutelle dans le productif et aussi dans du quantitatif, donc euh… depuis le 1er janvier on note au quotidien quart d’heure par quart d’heure ce qu’on fait donc euh… on est la dedans. Il y a une traçabilité extrême. Et comment vous le vivez ça ? Super bien !! (en riant ) et bien bête et discipliné on tente de le faire, bon après qu’il y ai du contrôle de la direction, ça c’est normal, après qu’est ce qu’il en font, ouais j’aimerais bien savoir. Si c’est uniquement un contrôle de notre travail, je pense que ça pouvait se faire différemment, après la DASS, notre financeur sont très… toujours sur le majeur protégé est au centre de tout ce qu’on doit faire, je pense que le majeur protégé quand on note qu’on est resté 15 minutes au téléphone avec lui ba il en a pas un grand intérêt. Et que ba sur l’année on a passé tant d’heure en démarches administratives ou en véhicule, je pense que son intérêt, j’ai un peu de mal à le saisir » (déléguée à la tutelle) Le professionnel se retrouve pris dans des injonctions paradoxales. On lui demande d’accomplir des tâches dans lesquelles il ne trouve pas de sens et, plus encore, qui viennent parfois à l’encontre de ce qu’énonce les lois. Ainsi, pour cette déléguée à la tutelle, le fait de comptabiliser les communications téléphoniques ou de noter chaque tâche accomplie prend peu de sens dans l’accompagnement des majeurs protégés. Du reste, on peut se demander ce que dissimulent ces outils quantitatifs hormis une certaine perspective de rationalisation des coûts. Michel Chauvière développe cette idée d’ambiguïté lorsqu’il parle des différents systèmes en compétition qui cohabitent encore, et non sans contradictions, que les acteurs de terrain doivent supporter et gérer au quotidien : « d’un côté, les règles de base du secteur public - ces règles que le secteur privé associatif avait finalement incorporées en valeurs et procédures - sont en difficultés, mais elles survivent et souvent se durcissent, comme c’est le cas dans la partie administrative de la loi 2002-2 dite de rénovation de l’action sociale et médico-sociale. De l’autre, les raisonnements et les techniques de type marchand, désormais incorporés au management public, viennent télescoper les savoirs-faire qualitatifs caractéristiques du secteur privé associatif et des professions du social, autrefois protégés par une administration certes, contrôleuse, mais également bienveillante par intérêt et parfois même par conviction… » ( 2007, p.26). L’augmentation du nombre de suivis pour le tuteur, et les procédures mises en place, ne permettent plus d’avoir un contact régulier avec les majeurs protégés. Les visites sont de plus en plus espacées et pourtant la responsabilité du tuteur est quotidienne. De plus, dans certaines situations le tuteur demeure le seul lien social restant, qui finalement s’effrite lui aussi petit à petit. Il y a plein de contradictions à tous les niveaux, et le professionnel il fait comment dans tout ça ? Pour l’instant il tente de se battre pour éviter ce genre de trucs. Mais… (silence) c’est à peine entendable parce que malgré tout on est là pour protéger les biens et les personnes et… en effet, les gens qui vont mal chez eux, s’ils leur arrivent quelque chose et bien si le délégué à la tutelle n’est pas au courant c’est pas entendable ! Et la responsabilité en cas de problème justement tout à l’heure vous disiez que c’est déjà arrivé à certains collègue qu’il y ait des gens qui soient déjà décédés, la responsabilité ? Bah elle est énorme ! Elle est énorme. Si les familles avaient porté plainte, je pense que... toute manière on a rendu des comptes avant qu’il y ait quoi que ce soit de fait, mais elle est énorme ! Le problème nous c’est ça, c’est que, étant du coup gestion des biens et des personnes, il faudrait savoir, je dirais tous les jours ce que chacun fait donc c’est pas possible mais tout le monde va se renvoyer la balle vers nous, et ouais on devrais… on devrait tout savoir ! (déléguée à la tutelle) La recherche du risque zéro est toujours latente, bien que ce soit un objectif irréalisable. La notion de « droit des usagers » et « droit à la compensation », idées fortes des lois de 2002 et de 2005, viennent également poser question. Nouvellement créé le « droit à la compensation » a été revendiqué, puis adopté, pour combler les surcoûts liés au handicap, selon le « projet de vie de la personne ». Formule qui peut paraître humaniste, mais qui n’en est pas moins surprenante, comme nous le montre Michel Chauvière : « de quel droit considérer que tout humain se définit par son projet de vie, a fortiori les personnes handicapées ? En réalité, ce que recouvre cette norme, c’est un renvoi. Ladite personne est en grande partie renvoyée à devoir faire elle-même le travail de normalisation ou d’adaptation, à tout le moins de se comporter en demandeur de prestations et en consommateurs de services, au risque de perdre les avantages dus à sa situation. Contrepartie équitable à l’effort collectif consenti pour les « pauvres » ? En tout cas, le droit n’est plus un droit, il devient une ressource, un possible à condition de l’attraper et, pour cela, de s’y employer soi-même au besoin en étant accompagné. Finie donc, l’exigence d’universalité ! » (2007, p.112). Ainsi on impose à chacun une norme de participation sociale et économique plus lourde encore, et pour tous, une obligation de responsabilité personnelle avec un renforcement des contrôles. La nouvelle catégorie de « l’usager » renferme aussi quelques ambiguïtés. Elle garantie une simplification des systèmes catégoriels, raison d’être de la bureaucratie administrative. Elle uniformise par delà les classes d’âge, les symptômes, les ressources, les situations sociales et même les différences individuelles. En fait, « l’usager » déshumanise. Il permet également de déplacer certains risques de revendication et de limiter les effets d’entraînement grâce à une technique d’individualisation. Politiquement, l’usager sert également de base à de nouvelles justifications et normes à faire valoir pour plus de performances des dispositifs, et l’action elle-même se voit partout imposer de nouvelles procédures. « Autrement dit, l’usager permet le déport de la responsabilité du côté des opérateurs et des professionnels, en aval, en neutralisant les responsabilités économiques, en amont. C’est particulièrement net dans le domaine des politiques sociales » (Chauvière, 2007, p.124). Que vaut cette affirmation solennelle de tel droits portée par une administration de plus en plus contrainte pas des impératifs budgétaires couplés à une harmonisation européenne des services ? Que pourront réellement gagner les usagers et à quelles conditions ? Vu sous ces angles, ces droits généreusement octroyés ne semblent être qu’un leurre, en même temps qu’un instrument de contrôle indirect des professionnels. Ainsi, les différents outils et procédures induits par les lois confrontent le professionnel à des positions ambiguës et l’obligent à aménager l’espace de sa pratique. Celui-ci est, lui aussi, de plus en plus réduit, contrôlé, formaté. Certains secteurs résistent à leur façon et parviennent à protéger un minimum d’espace de liberté d’action, mais c’est une tendance en diminution. Ce qui se modifie du côté du professionnel n’est certes pas sans incidence sur la prise en charge des publics, et à fortiori des parents déficients intellectuels. Autrement dit, si l’espace des pratiques diminue ou se modifie du côté des professionnels, il n’est pas sans modifier ou diminuer l’espace de parentalité des parents déficients intellectuels qu’ils accompagnent. On le voit bien, ce n’est pas uniquement l’attitude du personnel qui doit être remise en cause, mais aussi les logiques bureaucratiques qui engendrent l’indifférence et l’instrumentalisation des différents vécus individuels. Ainsi, le rapport aux institutions est de plus en plus critiqué par les usagers. On observe un réel décalage, qui va croissant, entre les attentes des usagers et les réponses institutionnelles. 4°) DESIR DES « USAGERS » ET ORGANISATION INSTITUTIONNELLE : DES ESPACES DE PLUS EN PLUS EN DECALAGE Trop souvent, les logiques institutionnelles s’opposent aux logiques individuelles. Comme nous avons pu le voir, la notion de parentalité est définie à partir de critères normatifs. Pour être un bon parent, il faut travailler, être autonome, capable de prendre en charge ses enfants, avoir de l’autorité, communiquer et transmettre des savoirs. De plus, les « usagers » des institutions, ou parfois bénéficiaires dans certains services, font l’objet de politiques, de mesures diverses, de traitements spécialisés confiés à des professionnels chargés d’apporter des réponses qui sont de plus en plus décalées face à la demande. Les individus ont de plus en plus le sentiment d’être traités comme des objets. Des contradictions sont sans cesse mises en évidence : on parle de suivi individualisé, chaque cas est singulier et pourtant on applique des procédures collectives. On rencontre des disparités de traitement selon les secteurs et en fonction des professionnels. Les parcours des parents déficients intellectuels sont jalonnés par les mêmes épreuves, mais dans des configurations particulières qui déterminent des attentes spécifiques, ce qui explique la polysémie des demandes et des rejets, des déceptions et des succès, des espoirs et des frustrations vécues dans les rapports aux institutions. Pour commencer, on peut repérer une opposition entre le projet institutionnel et le projet de vie de la personne. En effet, il s’agit parfois de deux mondes qui s’opposent. Ainsi, pour réduire l’écart et obtenir satisfaction, l’individu peut parfois se retrouver dans l’obligation de jouer un personnage pour s’adapter au fonctionnement des institutions. Quelquefois, il doit rabaisser son ambition pour être plus conforme à ce que l’on attend de lui, ce qui peut engendrer une certaine souffrance d’être traité comme les autres, et un sentiment d’humiliation. Les outils utilisés tel le contrat, comprenant les objectifs et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, ne semblent pas toujours adaptés. On demande aux parents de réfléchir à plus ou moins long terme, alors que bien souvent ils n’ont pas la capacité de se projeter dans l’avenir, mais vivent plutôt dans l’immédiateté. Les outils sont pensés du côté du professionnel et de l’administration, mais pas du côté des usagers. La déficience et le handicap ne semblent pas réellement pris en compte dans les procédures de plus en plus complexes. Ensuite, on peut voir une opposition dans les systèmes de valeurs. Ce que met en avant l’individu comme qualités, de son point de vue, peut lui être renvoyé comme des défauts par les institutions. Par exemple, un parent qui va couvrir son enfant de cadeaux pour exprimer son amour, mais aussi réparer quelque chose de son enfance, sera perçu comme immature, comme manquant d’autorité du point de vue des professionnels. Tout comme un parent qui va être dans la « débrouille » ou « travailler au noir » pour ne pas avoir à faire appel aux travailleurs sociaux sera accusé d’illégalité. Ce peut-être aussi, comme dans l’exemple de Francis et Martine, une mère inquiète de laisser ses enfants en centre aéré au vu du jeune âge des moniteurs, ce qui est plutôt mature comme réflexion, mais qui peut aussi être interprété comme une trop grande possessivité, un manque d’ouverture vers l’extérieur, très important du point de vue des professionnels pour la socialisation des enfants. Aussi, bien souvent, l’institution insiste sur les difficultés à devoir affronter pour se sortir d’une situation plutôt que de prodiguer des encouragements, ce qu’énoncent à plusieurs reprises Eric et Sylvia. On renvoie l’individu à une identité négative. L’institution appréhende les parents déficients intellectuels du côté du handicap et du manque et ne travaille pas à partir des compétences de ces familles. On peut noter également une certaine instrumentalisation à travers un traitement institutionnel procédurier et bureaucratique. Les relations qui s’établissent ainsi sont de type impersonnelles et l’individu n’est pas appréhendé en tant que sujet. Ce qui prime n’est pas la demande, mais plutôt la vérification et la conformité du déroulement du traitement. Pourtant, une institution qui s’incarne dans des individus (professionnels) devient plus humaine. Nous avons vu comment chez certains parents une relation plus personnelle peut s’instaurer avec la TISF. Ainsi, la personnalisation des rapports produit un lien social qui situe l’individu dans une relation plus égalitaire. Mais surtout, le fait de pouvoir apporter une sorte de contrepartie à l’aide que l’on reçoit modifie le rapport aux professionnels, car quelqu’un qui s’investit pousse le professionnel à s’investir lui aussi. Enfin, il faut également prendre en compte la peur d’être jugé dans le rapport aux institutions, de se faire réprimander et d’être assimilé à tous les assistés qui ne font rien par eux-même. Vincent Degaulejac énumère les multiples contradictions qui traversent le rapport aux institutions. En voici quelques-unes, que l’on peut mettre en relation avec le ressenti des parents déficients intellectuels : En fait, les attentes sont exprimées en termes de relation personnelle, de solidarité concrète, de considération et de dignité, alors que les réponses sont perçues comme impersonnelles, abstraites, instrumentales et disqualifiantes ; La fréquentation des institutions sociales est souvent vécue comme profondément invalidante et stigmatisante (entretien Francis et Martine) ce qui renforce la peur d’être jugé, d’être traité comme un objet, un numéro. C’est lorsqu’on a le plus de besoin de reconnaissance et de considération, comme c’est le cas des parents déficients intellectuels, qu’on se retrouve face à la violence symbolique des appareils assistantiels ; L’adaptation aux normes institutionnelles conduit à dissimuler ce que l’on est vraiment, à réduire ses ambitions, à élaborer des projets jugés réalistes ; Plus on se sent vulnérable, fragile, isolé et démuni, plus on a besoin d’aide et de soutien, et moins on ose le demander. En résumé, selon Vincent Degaulejac, on se retrouve face à une double contradiction : - Une contradiction institutionnelle qui consiste à affirmer la nécessité pour les usagers d’être acteur, citoyen, autonome, sujet, tout en ayant des modalités concrètes de fonctionnement objectivantes, instrumentalisantes, normalisantes, bureaucratiques qui favorisent la désinsertion, au moins sur les plans relationnels et symboliques. - Une contradiction existentielle qui consiste pour les usagers à préférer prendre de la distance plutôt que de connaître la dépendance, la stigmatisation et l’humiliation qu’ils craignent de rencontrer s’ils font appel aux institutions, même si, en ce qui concerne les parents déficients intellectuels, il y a rarement un choix véritable (1994, p.242). Le rapport aux institutions varie en fonction de l’histoire familiale, de l’appartenance ou non à des réseaux sociaux, de la façon dont on vit la relation d’aide, du degré du handicap et de la qualité de la relation qui s’instaure avec les professionnels. Ce sont également ces éléments qui peuvent conditionner l’espace de parentalité possible. Mais cela dépend également de la nature du professionnel, de la façon dont il aménage sa pratique, dont il vit son rôle et de la perception qu’il a du public qu’il a pour mission d’accompagner. Pour les parents déficients intellectuels, nous avons vu que leur histoire familiale était jalonnée, pour bon nombre d’entre eux, d’une certaine proximité et familiarisation avec les travailleurs sociaux. En effet, pour ceux qui ont été placés ou ont été en contact avec les travailleurs sociaux pendant leur enfance, le rapport peut être banalisé. Ceux-ci font partie de leur environnement et leur contact n’est pas toujours vécu comme une faiblesse, une dépendance insupportable ou une tare. Le rapport aux institutions fait partie d’une certaine « culture » propre aux parents déficients intellectuels et à leur histoire familiale. Les parents parlent entre eux des aides qu’ils reçoivent, des procédures à suivre, se donnent des conseils, indiquent les interlocuteurs à privilégier et ceux à éviter… La médiation du collectif permet d’éviter ainsi, le repli sur soi et de combattre le sentiment de honte. Le fait de voir qu’autour de soi, d’autres parents rencontrent les mêmes difficultés, conduit à penser qu’elles ne sont pas forcément dues à soi-même, mais également à des causes externes. Le vécu de la relation d’aide a une incidence importante sur la façon d’aborder les institutions. En ce qui concerne les parents déficients intellectuels, nous avons deux cas de figures : ceux pour qui la relation d’aide est plus ou moins choisie, et ceux à qui elle est imposée, c’est à dire les parents dont les enfants sont placés. Le vécu va bien entendu être différent selon la configuration dans laquelle ils se trouvent, mais ce qui semble réellement jouer, c’est le degré du handicap. Pour « l’aide choisie », les parents vont avoir tendance à être plus exigeants et revendicatifs vis-à-vis des institutions, et par extension vis-à-vis des professionnels. Par exemple, Francis et Martine (4 enfants au domicile) expriment un mécontentement face aux résultats des interventions de la TISF sur le comportement de leurs enfants. Ils vont être plus critiques sur le fonctionnement des établissements. Mais c’est également une attitude que l’on retrouve chez Eric et Sylvia, dont leur fils de 8 ans est placé en famille d’accueil. Il s’agit pourtant, d’une « aide imposée ». Pour Lise (2 enfants placés en MECS), et Hugues et Berthe (3 enfants dont l’un est placé en IME) qui connaissent le même cas de figure, les attitudes vont être plus soumises et conciliantes. Ils acceptent les institutions telles qu’elles sont et trouvent « déjà pas mal » d’obtenir une aide. Ce qui les différencie, on l’a vu précédemment, c’est leur degré de déficience, leur position plus démunie. L’aide obtenue est plus considérée comme un cadeau de la part des professionnels. On peut distinguer deux différences essentielles : soit, on revendique un droit, soit, on sollicite une aide. Or, un droit ne se demande pas, à la différence d’une aide, il s’applique. « Il ne dépend pas, en principe, du bon vouloir d’une institution, d’un employé, il dépend de la loi. Il ne se quémande pas, il est légitime. » (De Gaulejac, 1994, p.248). La qualité de la relation prime aussi dans le rapport aux institutions. En effet, celles-ci n’ont d’existence qu’en fonction des personnes qui l’incarnent. Nous avons vu comment cette qualité peut varier en fonction des différents services et de ce qu’ils représentent, mais aussi selon leur fonctionnement. Les parents déficients intellectuels cherchent avant tout une reconnaissance, de la considération et une écoute. Ils attendent parfois d’être guidés mais surtout que leur dignité soit sauvegardée. Le fait de pouvoir entrer en conflit, exprimer un désaccord avec l’institution, sans pour autant rompre la relation est réellement aidant. Il s’agit de sortir « d’un rapport de tout ou rien pour établir une relation dynamique dans laquelle on peut accepter des zones de dépendances et, en même temps, affirmer son autonomie, sa capacité à se positionner comme sujet. » (De Gaulejac, 1994, p.250). Pourtant, l’institution n’aime pas le conflit. Dans les cas de revendications, elles cherchent avant tout à neutraliser l’individu. Pour cela, elle met les usagers en situation d’invalidation au travers de plusieurs éléments, mis en évidence par Vincent De Gaulejac : - L’individualisation : l’usager se retrouve seul pour remplir ses papiers, effectuer les multiples démarches, pour connaître ses droits. C’est d’autant plus fort pour les personnes en situation de handicap comme les parents déficients intellectuels. - L’objectivation : la personne est transformée en dossier, en allocation, en assujetti. Son existence dépend de multiples papiers administratifs. - Les tracasseries administratives : pour remplir toutes ces formalités la personne doit rassembler des pièces justificatives et effectuer de multiples déplacements, qui d’ailleurs constituent un obstacle supplémentaire pour les parents déficients intellectuels souvent démunis au niveau du transport… - L’ère du soupçon : le parent peut avoir le sentiment qu’il lui faut en permanence faire la preuve de sa bonne foi, de ses capacités, justifier ses demandes, se battre pour obtenir le respect de ses droits. Nous l’avons vu avec Eric et Sylvia. - La complexité des procédures : conçus par des administrateurs, les règlements sont libellés en langage juridique et financier peu accessible à des non-initiés, et encore moins aux parents déficients intellectuels, et véhiculent toute une série d’exigences dont la nécessité n’est pas évidente. Ils se retrouvent par conséquent dans une situation de dépendance vis à vis du travailleur social pour comprendre de quoi il en retourne. - Le primat de la logique bureaucratique : rien n’est fait pour permettre aux individus de s’affirmer comme des « ayants-droit », ou aux parents de se positionner réellement comme parents. Les procédures, les règlements, les interrogatoires, les multiples démarches, les attentes, les dossiers à remplir, les délais pas toujours expliqués, l’absence d’informations claires sur les décisions prises… sont vécus comme un « parcours de combattant » qui conduisent parfois certains à renoncer. Les milieux politiques et institutionnels considèrent les parents déficients intellectuels comme des individus qu’il faut aider à être parent en leur fournissant les moyens minimums pour avoir une vie normale, « autonome », et pouvoir prendre leurs enfants en charge. Ils projettent leur propre vision du monde sur ceux qui ne vivent pas comme eux, et décident de la façon dont ces derniers doivent procéder pour être de bons parents, pour devenir des acteurs à part entière, des citoyens reconnus, des véritables « sujets », ce que viennent d’ailleurs rappeler les lois. On présuppose ainsi qu’ils ne le sont pas. Et c’est justement ce présupposé qui les stigmatise. CONCLUSION L’idée forte et centrale de la loi de 1975 reposait sur le principe de l’intégration des personnes handicapées en milieu ordinaire, soit dans l’appareil scolaire, soit dans le monde du travail. Elle a entraîné l’émergence de besoins et d’une demande sociale de même nature que ceux de la communauté dans laquelle ils ont été intégrés. L’évolution des institutions médico-sociales et des prises en charge a également favorisé cette demande. Ainsi, l’accès à la sexualité et à la parentalité en découle. Le sentiment de non reconnaissance sociale chez les parents désignés déficients intellectuels semble donner encore plus de force au projet de procréation, afin d’être reconnu en tant que parents au même titre que les autres, d’accéder à un statut dit « normal ». Néanmoins, notre société, en raison de représentations sociales négatives et incapacitaires, y compris chez les travailleurs sociaux, nous entraîne à considérer ces parents comme des personnes inaptes. L’accompagnement particulier et le réseau de travailleurs sociaux qui les entourent vient conforter cette idée. A partir d’un questionnement venant de ma pratique professionnelle, j’ai choisi d’approfondir cette question de la parentalité chez les parents désignés déficients intellectuels. Ma pensée première était de comprendre comment, dans un contexte où leur parentalité est fortement contrôlée, ces parents arrivent à conserver un espace possible, comment ils le négocient et quelles sont les relations entretenues avec les différents travailleurs sociaux. Tout d’abord, j’ai mis en évidence les ambivalences de la catégorisation d’un public. En effet, on désigne ces parents « déficients intellectuels » pour pouvoir mettre en place des dispositifs adaptés, « soi-disant » à leurs propres difficultés, mais c’est également une manière de les stigmatiser, voir de les discriminer, et un frein à une réelle intégration qui pourtant est énoncée comme le but recherché. La création et la mise en place des lois 2002-2 et 2005 vient également souligner l’échec de ce projet d’intégration. En effet, si on ressent le besoin de décréter un droit des usagers, un droit à la compensation, si on parle de citoyenneté, d’égalité des chances pour les personnes handicapées, c’est bien que tout cela n’est pas encore acquis, et traduit encore une conception d’« être » ou de « sujet » fragile. Ensuite, derrière la notion de parentalité, nous avons pu nous rendre compte qu’il y avait l’idée d’un fort contrôle social. En effet, l’une des missions du travailleur social, d’ailleurs difficilement reconnu par lui-même, est bel et bien de faire respecter un certain ordre public et de procéder à une normalisation, en « éduquant » certains parents, en leurs montrant les « bonnes pratiques » à observer, à l’image des « entrepreneurs de morale » dont parle Howard.S Becker. Le travailleur social est en fait, au service des normes sociales, et son espace professionnel sert de reproduction aux idéologies dominantes. Ce qui peut créer un conflit avec le paradigme des années 1970, particulièrement pour les éducateurs spécialisés, où il était question de profondes valeurs humanistes, voire altruistes, et d’approches très individualisées de la problématique par le soin ; mais cela pourrait faire l’objet d’une autre étude que je n’ai pas menée dans ma présente recherche. Dans un tel contexte et plus encore en cas de placement des enfants, quel espace reste-il aux parents déficients intellectuels ? L’analyse montre que cet espace peut varier en fonction de l’intériorisation de la place de parents, des normes sociales, du degré du handicap, mais également d’un certain « habitus » envers les travailleurs sociaux. Le placement des enfants, va également engendrer un espace de parentalité différent dans le quotidien. Ceci d’autant plus que celui-ci sera soumis à la nature des professionnels ou des structures d’accueil de l’enfant, qui n’offrent pas toutes les mêmes possibilités de participation ou de collaboration. Le nombre de travailleurs sociaux autour d’une même famille aura également tendance à multiplier les exigences, donc à fragiliser ou à réduire l’espace parental. Les stratégies ou résistances des parents vont de la même manière intervenir dans la défense de leur espace de parentalité, ce qu’ils exprimeront à travers des revendications, de l’agressivité, de la rétention d’information, ou au contraire une certaine soumission. Mais ces résistances vont aussi induire et déclencher des réactions du côté du professionnel, des réactions favorables, infantilisantes ou parfois hostiles. L’exemple de la TISF est de ce point de vue particulièrement parlant. Les parents témoignent une certaine reconnaissance et sympathie envers ce professionnel, et celle-ci énonce une perception assez positive envers les parents déficients intellectuels. La proximité dans l’accompagnement est aussi un vecteur qui permet ce type de relation. Ainsi, une corrélation est mise en évidence, entre l’espace de parentalité des parents et l’espace des pratiques professionnelles. Ce dernier est différent selon chaque professionnel. Il varie selon la façon dont le professionnel perçoit ses conditions de travail, son rôle, ses missions et selon s’il parvient à négocier un espace ou s’il le subit sous la contrainte. Le contexte et le mode d’intervention (imposée, par décision judiciaire, ou à la demande de la famille) sont également déterminants dans la création d’un espace. Les représentations du professionnel envers le public ainsi que les normes attendues pour être ce qu’ils considèrent un « bon parent » entrent également en jeu. De cette manière, si des parents avec un degré de handicap élevé rencontrent des professionnels dont l’espace est contraint, rigide et qui ont, en outre, des représentations négatives de la parentalité des personnes en situation de handicap, leur espace de parentalité sera très limité et ils seront dans la soumission. Il en va de même pour des parents qui présentent un degré de handicap modéré ou léger. Toutefois, ils ne seront pas dans la soumission et viendront alors s’ajouter des relations conflictuelles et un sentiment de dépossession parentale. A l’inverse, des parents avec une déficience légère, au contact de professionnels avenants et disposant d’une souplesse dans leur travail, bénéficieront d’un espace de parentalité plus important. En outre, les parents pourront réellement s’appuyer et s’identifier au professionnel. Néanmoins, ceci dépend aussi du contexte et du mode d’intervention dans lequel se fait l’accompagnement et il faut savoir que ce dernier est de plus en plus malmené. Les nouveaux outils institutionnels instaurés par les lois montrent un bouleversement dans l’aménagement de la pratique du professionnel, mais aussi dans la conception du social. Celui-ci s’inscrit désormais dans des logiques de contrats, de projets et est soumis à des évaluations. Ainsi, les professionnels se retrouvent de plus en plus en situation de devoir gérer des injonctions paradoxales, ou des objectifs contradictoires avec leur propre éthique. Il ne semble pas si évident aux professionnels de terrain, de s’adapter aux logiques gestionnaires qui régissent aujourd’hui ce secteur, parfois même de manière insidieuse. A ce titre, l’analyse de Michel Chauvière sur les nouveaux termes employés et utilisés par les lois (usagers, contrat, projet de vie, évaluation…) est particulièrement éclairante sur le processus actuel de « marchandisation du social », qui lui aussi, produit ses effets dans la construction des différents espaces professionnels, et par conséquent, sur les différents espace des personnes prises en charge. Ce qui illustre une détermination. L’espace professionnel conduit en grande partie à un certain espace de parentalité. Ainsi, cette étude a pu mettre en évidence la complexité des systèmes dans lesquels évoluent les travailleurs sociaux, mais aussi toutes les autres personnes dites en difficulté, et à fortiori les parents déficients intellectuels. Cette tendance s’accentue avec la multiplication des procédures et entraîne une lourdeur administrative de plus en plus importante. En conséquence, un décalage de plus en plus net se crée entre les demandes des usagers et les réponses institutionnelles, bien que les lois prônent le contraire. Quelle signification doit-on y voir ?Car c’est bien au travers des réponses mises en place, par exemple pour le handicap, que la société se révèle. S’agit-il d’une régression ou d’une évolution non aboutie ? et vers quelles autres perspectives ? BIBLIOGRAPHIE BECKER (H.S),1985, Outsiders : études de sociologie de la déviance, Paris, A-M Métailié BLOCH-LAINE (F), 1968, Etude du problème de l’inadaptation des personnes handicapées, documentation Française, Paris, BOURDIEU (P), CHAMBOREDON (JC) et PASSERON (JC), le métier de sociologue, 5ème édition, Paris, Mouton de Gruyter BOURDIEU (P), 1980, Le sens pratique, Paris, éditions de minuit CASTEL (R), 2007, La discrimination négative : citoyens et indigènes, Paris, Seuil CHAUVIERE (M), 2007, Trop de gestion tue le social, essai sur une discrète chalandisation, Paris, La découverte CHAUVIERE (M), 2008, « la parentalité comme catégorie de l’action publique », Informations Sociales, n°149,septembre-octobre DE GAULEJAC (V), 2007, La lutte des places : insertion et désinsertion, Paris, Desclée de Brouwer DE SINGLY (F), 2004, Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Armand Colin DONZELOT (J), La police des familles, 1977, Paris, Les éditions de minuit, coll. « critique ». 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Les missions de l’action sociale et médico-sociale (article 2 de la loi): - l’autonomie et la protection des personnes - la cohésion sociale - l’exercice de la citoyenneté - la prévention des exclusions et la correction de ses effets. Les deux grands principes devant guider le secteur dans son ensemble (article 3) : - le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains - une réponse adaptée aux besoins de chacun d’entre eux, et la garantie d’un accès équitable sur l’ensemble du territoire. L’article 7 de la loi 2002-02 définit sept droits garantis à toute personne prise en charge. Ces garanties sont larges et diverses : certaines reprennent des droits généraux (dignité, vie privée, …), d’autres relèvent plus spécifiquement du secteur social et médico-social (libre choix, participation, …). -le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité. Il s’agit de droits fondamentaux, c’est-à-dire de droits protégés par des normes constitutionnelles, européennes et internationales. - Le libre choix des prestations (à domicile ou en établissement, ...). - un accompagnement individualisé et de qualité, respectant un consentement éclairé. L’usager doit être en mesure, grâce à une information claire, de donner son accord concernant sa prise en charge, accord qu’il peut retirer à tout moment. D’ailleurs, bien plus qu’une « prise en charge », il s’agit d’un « projet d’accueil et d’accompagnement » ou couramment « projet de vie » auquel il participe directement. -la confidentialité des données concernant l’usager : Il s’agit d’instaurer une relation de confiance, de protéger l’usager vis-à-vis de tiers... et surtout de concilier ce droit à la notion de « secret partagé » dépourvue de véritable définition juridique, mais indispensable à la prise en charge. Garantir ce droit c’est être vigilant sur le recueil et la transmission des informations, c’est aussi associer l’usager à ces échanges écrits ou oraux, internes ou externes à l’établissement. -l’accès à toute information le concernant. L’usager est propriétaire des informations le concernant ; les professionnels en sont les dépositaires. L’usager peut donc accéder directement à son dossier médical, social, éducatif... les données informatisées et les parties du cahier de liaison le concernant. -une information sur ses droits fondamentaux, sur les protections légales et contractuelles dont il bénéficie et les voies de recours à sa disposition. « Nul n’est censé ignorer la loi » : l’établissement social ou médico-social informe le citoyen en situation de fragilité pour l’aider à connaître et faire valoir ses droits. -sa participation directe au projet d’accueil et d’accompagnement. Pour participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de son projet, l’usager doit être informé des modalités d’accueil et d’accompagnement, être consulté et associé aux décisions le concernant (par exemple, à la réunion de synthèse). Il s’agit aussi d’y associer, autant que possible et dans son intérêt, ses représentants légaux (parents, tuteur) et toute personne de son choix. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale vise notamment la reconnaissance des droits des personnes en difficulté... une reconnaissance au sein de notre société dans son ensemble, mais plus particulièrement au sein des établissements et services dédiés à ces populations. Il s’agit non seulement de prévenir les maltraitances, mais surtout de faire du rapport aux usagers l’axe central de l’évaluation des activités et de la qualité des prestations. Il s’agit de « passer de la protection du sujet fragile à la reconnaissance de l’usager citoyen », à travers : 1. la rénovation des missions et principes du social et médico-social. 2. la définition de 7 droits de l’usager. 3. la traduction de ces droits en 7 outils, pour en faciliter l’exercice. Les outils garantissant l’exercice de ces droits Sept instruments propres à favoriser le respect des droits des usagers sont établis par la loi du 2 janvier 2002 (article 8 à 12) : 1. Livret d’accueil 2. Règlement de fonctionnement 3. Charte des droits et liberté 4. Contrat de séjour ou Document individuel 5. Conseil de la vie sociale ou autre instance 6. Projet d’établissement ou de service 7. Personne qualifiée Les documents d’accueil : 1 /Le livret d’accueil est à la fois un outil de pédagogie pour l’usager, et un élément de communication vers l’extérieur. La loi de 2002 n’impose pas de contenu particulier, mais fait cependant obligation d’y annexer la charte des droits et libertés et le règlement de fonctionnement. L’essentiel est que ce document soit le plus adapté possible aux spécificités du public accueilli, tant dans sa forme, que dans son contenu et son mode de diffusion. 2 /Le règlement de fonctionnement (à ne pas confondre avec le règlement intérieur prévu dans le Code du travail pour les salariés) définit autant les droits de la personne accueillie que ses obligations au sein de l’établissement : organisation de l’établissement, affectation des locaux, sûreté des personnes et des biens... Son contenu est précisé par un décret de 2003 qui indique également les modalités de son élaboration et de sa révision : concertation des instances représentatives du personnel et des usagers, révision tous les 5 ans au moins. 3 /La charte des droits et libertés de la personne accueillie a été élaborée dans un cadre interministériel (arrêté du 8 septembre 2003). Parmi les douze droits définis, certains sont énoncés par la loi de 2002 (le droit à la vie privée et à l’intimité notamment), d’autres en sont la déclinaison (par exemple, l’individualisation de la prise en charge se traduit par le droit à la pratique religieuse). Dans l’idée de reconnaître davantage l’usager comme acteur de son propre projet, un contrat de séjour doit être signé avec l’établissement. Cet outil vise à expliciter et actualiser : - les objectifs de la prise en charge ; - les prestations les plus adaptées qui peuvent être mises en œuvre ; - les mesures et décisions administratives, judiciaires, médicales, thérapeutiques ou d’orientation prises par les instances compétentes ; - en annexe, les tarifs et les conditions de facturation des prestations. 4 / Le contrat de séjour prend la forme d’un document individuel de prise en charge : - lorsque les prestations fournies ne nécessitent aucun séjour ou un séjour d’une durée prévisionnelle inférieure à 2 mois ; - dans certains champ du social et médico-social : action médico-sociale précoce, mesures éducatives relatives à l’enfance délinquante, centres de ressources, d’information et de coordination, services de proximité ; - lorsque que l’usager ou son représentant légal refuse de signer le contrat. Ces deux outils doivent être élaborés en 3 temps : - conception du document initial (dans les 15 jours qui suivent l’admission) ; - avenant individualisant les objectifs et les prestations adaptées à la personne (dans un délai maximum de 6 mois) ; - réactualisation annuelle des objectifs et des prestations. Si le contrat doit être co-signé par l’usager (ou son représentant légal), cela n’est pas précisé pour le document individuel, introduisant un doute sur sa nature juridique. 5/Afin d’associer les usagers au fonctionnement et à l’organisation d’un établissement, doit être mis en place un conseil de la vie sociale, un groupe d’expression, une enquête de satisfaction ou toute autre instance de consultation des usagers. Bien plus qu’un enjeu de pouvoir, il s’agit d’un enjeu de changement, d’une autre façon d’être ensemble dans une logique de négociation profitable à chacun et dans l’intérêt de tous. Selon l’ordre du jour, des personnes extérieures à l’établissement, son directeur ou son représentant peuvent se joindre à la consultation. Par ailleurs, cette instance doit être obligatoirement consultée sur l’élaboration et la modification du règlement de fonctionnement et du projet d’établissement. En principe, le CVS est obligatoire dans tout établissement ou service assurant l’hébergement ou l’accueil de jour continu ou une activité d’aide par le travail. 6 / Le projet d’établissement, document aux multiples facettes, doit notamment constituer un outil d’implication des usagers à la vie de l’établissement. Il est d’ailleurs intégré dans la section de la loi de 2002 consacrée aux doits des usagers. Témoignage d’aujourd’hui et de demain, alliant analyse de l’existant et définition d’objectifs de progrès, le projet d’établissement a une périodicité de 5 ans maximum. Les représentants des usagers doivent être consultés lors de son élaboration et de son actualisation. Le but est que la réflexion autour du projet définisse des espaces de débat permettant l’interpellation des pratiques et la constante mise en adéquation de la mission au public accueilli. Un soutien dans la réalisation des conflits : 7 / Pour l’aider à résoudre un conflit individuel ou collectif et à faire valoir ses droits en tant qu’usager d’un établissement, toute personne prise en charge, ou son représentant légal, peut faire appel à une personne qualifiée5. L’usager choisit ce médiateur (magistrat à la retraite, élu à la retraite, agent des DDASS à la retraite, …) sur une liste établie conjointement par le préfet et le président du Conseil général. 5 Cf. Décret n°2000-1094 du 14 novembre 2003 relatif à la personne qualifiée mentionnée à l’article L.311-5 du CASF. Ces sept outils sont donc porteurs du respect des droits des usagers, mais ils ne garantissent pas à eux seuls l’effectivité de ces droits... L’enjeu est bien celui d’un apprentissage pour chacun et pour le collectif de ces droits, d’une mobilisation globale de l’institution pour s’approprier ces outils, leur donner du sens en fonction des spécificités du public et de l’établissement, et permettre ainsi leur intégration dans le quotidien, dans les pratiques de chacun. Pour résumer, cette loi comporte quatre objectifs principaux : développer les droits des usagers, diversifier la palette des établissements, services et interventions, améliorer les procédures techniques de pilotage du secteur, instaurer enfin une meilleure coordination entre les divers protagonistes. Les deux grands principes de la réforme C’est tout d’abord une loi de liberté favorisant les capacités d’innovation des institutions sociales et médico-sociales : elle diversifie en effet les missions, les prises en charge et les équipements et services. Elle favorise le développement des expérimentations, elle crée de nouveaux organes de concertation garantissant une plus grande démocratisation de la gestion de ce secteur. Mais cette législation est aussi une loi de responsabilisation de tous les acteurs grâce à une rénovation profonde du chaînage entre la planification des équipements - les autorisations et les programmations qui en découlent- les modalités d’allocation des ressources l’évaluation de la qualité des prestations fournies- le contrôle - la coordination des acteurs. ANNEXE 2 : La loi 2005 Les toutes premières lignes de la loi du 11 février 2005, rappellent les droits fondamentaux des personnes handicapées et donnent une définition du handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » Axes principaux de cette loi ; • Accueil des personnes handicapées • Le droit à compensation • Les ressources • La scolarité • L'emploi • L'accessibilité • Citoyenneté et participation à la vie sociale • Divers Accueil des personnes handicapées : La loi crée une Maison départementale des personnes handicapées dans chaque département sous la direction du Conseil général. Elle a une mission d'accueil, d'information, d'accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap. Chaque MDPH met en place une équipe pluridisciplinaire qui évalue les besoins de la personne handicapée, et une Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui prend les décisions relatives à l'ensemble des droits de la personne. Les COTOREP et CDES sont donc remplacées par la CDAPH. Droit à la compensation : Ce droit constitue l'un des principes fondamentaux de la loi. Ainsi, la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quelles que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. Désormais c'est le projet de vie de la personne qui est mis en avant. En fonction de celui-ci, un plan de compensation est élaboré et concrétisé par la prestation de compensation (qui remplace petit à petit l'ACTP et l'ACFP). Elle permet de couvrir les besoins en aides humaines et techniques, l'aménagement du logement, du véhicule, les aides spécifiques ou exceptionnelles, et les aides animalières. Ressources : La loi a aussi instauré deux nouveaux compléments à l'Allocation Adulte Handicapé : le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome. Les bénéficiaires de l'allocation supplémentaire du Fonds spécial invalidité peuvent aussi bénéficier de ces compléments sous certaines conditions. De même, la loi améliore le cumul de l'AAH avec un revenu d'activité en milieu ordinaire, ainsi que la participation aux frais d'hébergement pour les personnes accueillies en établissement. L'Allocation d'Education Spéciale (AES) est renommée : « Allocation d'éducation de l'enfant handicapé » Scolarité : La principale innovation de la loi est d'affirmer que tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l'école de son quartier. Il pourra ensuite être accueilli dans un autre établissement, en fonction du projet personnalisé de scolarisation. Les parents sont pleinement associés aux décisions concernant leur enfant. Sont mis en place les équipes de suivi de la scolarisation et les enseignants référents. La loi réaffirme la possibilité de prévoir des aménagements afin que les étudiants handicapés puissent poursuivre leurs études, passer des concours, etc. Emploi : L'obligation d'emploi est toujours de 6 % (sont apportées quelques modifications dans le calcul des bénéficiaires). Elle impose une sanction plus sévère pour les entreprises qui ne respectent pas cette obligation en augmentant le montant de la contribution à l'Agefiph. Elle modifie le code du travail sur le plan des aménagements d'horaires. Le classement des travailleurs handicapés dans les catégories A, B et C est supprimé. Les entreprises qui emploient des personnes lourdement handicapées pourront bénéficier d'une aide à l'emploi ou d'une modulation de leur contribution. Dans la fonction publique, elle crée le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées qui a une mission similaire à l'Agefiph. Les employeurs publics ne respectant pas l'obligation d'emploi devront payer une contribution au Fiph. La loi réforme aussi le travail en milieu protégé : • Les ateliers protégés sont renommés Entreprises adaptées et sortent du milieu protégé. Ce sont désormais des entreprises du milieu ordinaire ayant pour vocation d'employer en priorité des personnes handicapées. La rémunération minimum est basée sur le SMIC. • Les CAT sont renommés Etablissement ou service d'aide par le travail. Les travailleurs ont droit à une rémunération garantie comprise entre 55 % et 110 % du Smic, cumulable avec l'AAH. La loi améliore les droits aux congés et à la validation des acquis de l'expérience. En matière de retraite, dans le secteur privé est créée une majoration de pension pour les travailleurs handicapés bénéficiant d'un abaissement de l'âge de la retraite. Dans la fonction publique, les fonctionnaires handicapés répondant à certains critères peuvent partir en retraite anticipée. Accessibilité : Le principe d’accessibilité pour tous, quel que soit le handicap, est réaffirmé. Les critères d’accessibilité et les délais de mise en conformité sont redéfinis. Ainsi les établissements existants recevant du public et les transports collectifs ont dix ans pour se mettre en conformité avec la loi. Celle-ci prévoit aussi la mise en accessibilité des communes et des services de communication publique. Citoyenneté : La loi aborde aussi la question du droit de vote des majeurs placés sous tutelle (qui peuvent être autorisés à voter par le juge des tutelles) ainsi que l'accessibilité des bureaux de vote. La question du handicap sera aussi abordée pendant les cours d'éducation civique à l'école primaire et au collège. La loi apporte des précisions en matière de communication devant les juridictions administratives, civiles et pénales, et lors du passage du permis de conduire pour les personnes sourdes. NOM : MATHYS PRENOM : Laetitia Date du jury : 12 mars 2009 FORMATION : Diplôme Supérieur en Travail Social TITRE : Parents déficients intellectuels et professionnels : des espaces à négocier MOTS-CLEFS : déficience intellectuelle- parentalité- professionnels- espacescontrôle social- stigmatisation- normalisationRÉSUMÉ : Le principe d’intégration des personnes handicapées en milieu ordinaire, a entraîné des besoins, et une demande sociale de même nature, que tout à chacun. La sexualité et la parentalité en font parties. Pourtant, cette dernière fait souvent l’objet de remise en question, et suscite un important réseau de travailleurs sociaux. Dans ces conditions, comment les parents parviennent à conserver un espace ? De quelles manières le négocie t-il ? Quelles sont les relations entretenues avec les différents travailleurs sociaux ? C’est à ces interrogations que tente de répondre cette étude, à l’échelle microsociologique. L’analyse intègre des entretiens menés auprès de parents en situation de handicap, et de professionnels « satellites ». Au delà de la catégorisation, de la stigmatisation et de la normalisation de ces parents, il s’agit de comprendre comment se construit, se négocie l’espace, à la fois du côté du professionnel (espace de pratique) et du côté des parents (espace de parentalité). Quels sont les éléments qui le conditionne ? Y-a-t-il un lien possible entre les deux ? Cette recherche met également en évidence, les bouleversements actuels dans la conception du social, notamment au travers des nouvelles logiques institutionnelles, inspiré du modèle gestionnaire. NOMBRE DE PAGES : 121 VOLUME ANNEXES : 5 CENTRE DE FORMATION : Université de Picardie Jules Verne, Direction de l’Education Permanente En collaboration avec l’Institut Régional de Formation aux Fonctions Educatives