FAUT-IL ETRE OTAGE POUR ETRE LIBERE ?
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FAUT-IL ETRE OTAGE POUR ETRE LIBERE ?
FAUT-IL ETRE OTAGE POUR ETRE LIBERE ? Me Jonathan BOMSTAIN Concours de la Conférence – Décembre 2013 1 Messieurs les Bâtonniers, Madame, Messieurs les membres du conseil de l’Ordre, Mesdames, Messieurs les secrétaires et anciens secrétaires de la Conférence, Mes Chers Confrères, * * * 46664, c’est le numéro qu’ils lui ont donné quand il a posé le pied sur cette île. Ce n’est pas lui qu’ils ont essayé de museler pour qu’il taise sa soif de liberté. Ce n’est pas lui qu’ils ont enfermé, pour que son peuple sache ce qui l’attendait s’il se rebellait contre leurs règles. C’est l’humanité entière qu’ils ont prise en otage. Ce jour là, ils auraient mieux fait de le tuer. Le jour où ils l’ont mis au fond de ce cachot, en fait il n’a jamais été aussi libre. Est-ce qu’il faut réellement subir la pire des privations de liberté pour espérer se sentir un jour libéré ? Madiba pensait que « Pour être libre, il ne suffit pas de couper toutes les chaines qui vous retiennent, mais de vivre d’une façon qui respecte et élève la liberté des autres ». Alors, l’otage serait-il vraiment le seul à vivre avec des chaines ? A première vue, nous sommes censés être libres, si on compare notre situation à celle des otages de par le monde, ou encore de nos confrères dans certaines contrées, là où l’idée même des droits de la défense reste juste une idée. Oui, nous sommes censés être libres, nos institutions le proclament, quand pourtant la société nous entretient dans l’illusion d’un choix prolifique. Alors, Suis-je otage ? Suis-je libre ? Il est 19 heures, manteau sur les épaules, robe et dossier du lendemain dans la sacoche, je me faufile le long du mur vers la sortie du cabinet, En bref, j’ai décidé de prendre mon après-midi. Je passe devant le fax, une sonnerie familière, 2 La mort dans l’âme, je m’approche de l’ennemi en trainant les pattes, 1ère page, conclusions pour le lendemain… Et ce juge qui refusera de renvoyer… Otage d’une boite en plastique, j’ai compris que j’étais finalement dessaisi de mon existence. Il paraît que les institutions me garantissent la liberté de parler, de manger, de travailler, de dormir, de gagner de l’argent, de le claquer comme je veux, et même de rentrer chez moi. Pourtant, le spectacle de la servitude volontaire est omniprésent. Et la vraie différence avec celui qui foule le tarmac de VILLACOUBLAY, c’est que pour lui sa servitude est toujours bien visible. Que l’on s’appelle Hervé, Stéphane ou Florence, que l’on soit journaliste, ingénieur ou simple touriste, que l’on ait visité le Mali ou l’Amazonie les yeux bandés à l’arrière d’un camion ou coincé dans une hutte, enfermé dans sa solitude, on devient malgré soi un symbole pour tous. Alors, que peut-on bien dire dans ces moments là ? Comment leur faire comprendre l’incompréhensible ? Que même le silence a une fin. Quand le monde se résume à quatre murs, on n’a plus que ses rêves pour vivre. Et quand on a la chance de sortir de ces murs, le monde s’emballe. A peine libéré de l’emprise de ses geôliers, l’otage se soumet malgré lui à une emprise nouvelle, celle des médias et des politiques. L’ex otage est acclamé, adulé. Les médias décryptent chacun de ses mots et de ses attitudes. Il accède au rang envié de star de la télé réalité, le nouveau statut « in » de la société médiatique. Ce soir le 20 heures, demain Matignon, puis l’Elysée, On vous écoute, on vous invite, on vous entend. 3 Vous êtes libérés ! Et déjà, vous n’avez plus une minute à vous. A suivre, le 13 heures de PERNAUT, où coincé entre le musée des santons de Saint Rémi de Provence et le dernier sabotier du Gers, on lui demande ce que ça fait d’être libre… … Alors que déjà en coulisse, son attaché de presse, gracieusement fourni par les autorités, règle sa vie à sa place. Et pourquoi pas, invité au grand journal de Canal, pour entendre de la bouche d’une miss météo dénudée, avant les températures de Quimper, les 3 bonnes raisons d’être otage : WEIGHT WATCHERS, AQMI, - Raison n°3 : 30 kg en 2 ans 1/2, après votre partenaire minceur. - Raison n°2 : C’est l’occasion de s’immerger dans la culture locale en étant hébergé chez l’habitant, nourri, logé, blanchi, noyé. - Raison n°1 : Vous vivrez un ego-trip grisant ave c votre portrait en 15 par 9 sur le fronton de votre mairie de quartier, et pourquoi pas enfin la place en crèche ? Et quand le tourbillon médiatique s’arrête, on le presse toujours pour raconter ses mémoires, afin qu’en les lisant l’otage moyen se sente libre, bref que le quidam se sente libéré. Au fond de son trou, l’otage n’imaginait certainement pas qu’il pourrait être le nouveau symbole de la défense de la liberté. * * * Mon tyran se rappelle à moi, un voyant rouge s’allume, un bip insupportable, le chargeur du fax est vide… En rechargeant le papier, je songe à toutes les petites compromissions qui restreignent peu à peu ma liberté. 4 Je suis otage de mon agenda. Il faut penser à toutes les choses qu’il faut faire tenir dans une journée, une semaine, un mois. Mon attention est sans cesse captée. Quand je rédige, le téléphone sonne. Quand je suis au téléphone, le fax crépite. Quand je regarde le fax, mon boss m’appelle. Même quand je dors, je pense à l’URSSAF. Alors je renvoie. La procrastination est devenue le sport national. Puis, je pense aux autres. Otages de leur condition, Messieurs… Etre une femme libérée, vous savez, c’est pas si facile. Parfois obligée de rendre les grâces sur le portrait d’un président Ukrainien souriant et soumis. Otages de leur sextrémisme, les Antigones qui poussent le féminisme dans ses retranchements ne sont peut être pas si libérées. Et elles, encore, otages de la mode Alors ce rabat, en dentelle, plissé, contre plissé ? La doublure ? Rouge, bleue, anthracite ? (Et l’épitoge, synthétique ou lapin ?) Et cette cravate qui m’empêche de respirer… Otage de la technologie BlackBerry Management, compte tweeter, compte facebook, 3 adresses mails minimum, 5 Même quand j’attends, je n’ai plus le temps de penser, … Oui ! je suis Candy Crush Addict … Nous sommes des technovores, accrochés à nos ordinateurs, soumis à notre clé RPVA, tremblant au moindre mail d’information sur la coupure des services du greffe de la Chambre de la famille. Coupez internet et c’est l’émeute assurée. Et le pire, les petits arrangements avec ma conscience, otage de la pensée unique Être raisonnable, trop d’ailleurs, rechercher la soumission pour atteindre la protection de l’anonymat. Parfois, oser dire : « Non, Monsieur le Président, ce n’est pas parce que mon client est roumain qu’il vient piller la France ». Et d’en être condamné. A croire que l’émancipation ne peut venir que de la soumission à la vox populi, à l’opinion générale, exprimée par des sondages IPSOS, BVA, version « sujet-verbeCOD », il faut bien que tout le monde comprenne que penser, « Pour ou contre le racisme ? » « Pour ou contre le lancer de nain en discothèque ? ». A notre manière, nous avons développé notre syndrome de Stockholm. Pour être protégés, nous acceptons d’être des sado-masos du PAF et du bien pensant, des nymphomanes de la société qui n’atteignent jamais l’orgasme. Oh oui, otage moi à la télécommande, balance moi du Cyril Lignac et du Nabilla ! Séquestre-moi dans ce bureau et Attache-moi avec les câbles du fax. * * * En définitive, l’otage, celui qui est au fin fond du désert, a lui peut être une chance de s’en sortir. Il n’est plus son propre tyran et il peut s’émanciper de son ravisseur. La Liberté, c’est un élan, une lucidité, une décision intime. C’est peut être un chemin inattendu, mais c’est aussi sûrement l’expérience d’une inquiétante solitude. 6 Pour redécouvrir le goût et le sens de la liberté, il n’est peut être pas la peine d’entendre prononcer son nom 2188 fois à la fin des journaux télés, de s’appeler Francis et d’avoir réussi un remake de la Grande évasion ou encore Ingrid, et être élue miss Amazonie 2005. Pas la peine d’avoir un micro sur le tarmac de VILLACOUBLAY pour s’exclamer « que les nuits sont froides dans le Sahel ». Il faut peut être avoir envie d’hurler « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre » ! Il faut essayer d'être fou, d’être tourmenté, d’être déraisonnable. Pour être libéré, Il faut essayer d’être vraiment indépendant de tous et de tout, se détacher de nos contraintes, C’est là peut être la rançon de la gloire. Le jour où ils l’ont mis au fond de ce cachot, en fait il n’a jamais été aussi libre… 7