Qualité sonore des trains TGV : influence des facteurs perceptifs
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Qualité sonore des trains TGV : influence des facteurs perceptifs
10ème Congrès Français d'Acoustique Lyon, 12-16 Avril 2010 Qualité sonore des trains TGV : influence des facteurs perceptifs – analyse multidimensionnelle et préférentielle. Jonathan Terroir1, Catherine Lavandier1 1 LMRTE, Université de Cergy Pontoise, 5 Mail Gay Lussac, Neuville, 95031 Cergy Pontoise Cedex, France, {jonathan.terroir,catherine.lavandier}@u-cergy.fr Ce travail traite de la qualité sonore de passages de trains TGV. Plus précisément, l'objectif consiste à caractériser perceptivement ceux-ci et, en particulier, à vérifier si les informations temporelles sont bien perçues et dans quelle mesure. Afin d'extraire les caractéristiques temporelles perceptives des passages et d'éviter que les variations de force sonore ne masquent les autres propriétés des stimuli, tous les signaux ont été préalablement égalisés en niveau. Lors de la mise en place des tests, une variation de niveau (+0dB / +2dB) a tout de même été introduite en tant que paramètre variable afin de comparer l'influence de ce facteur (généralement dominant) à celle des autres paramètres. Le second facteur variable est la distance par rapport aux voies ferrées (7.5m, 50m et 100m), ce qui va impliquer des différences temporelles et fréquentielles entre les stimuli. Le test perceptif proposé aux sujets est basé sur le principe de comparaison par paires: pour chaque paire du corpus, les sujets doivent estimer la dissimilarité entre les deux signaux, indiquer leur préférence et expliquer verbalement leur choix. Une analyse multidimensionnelle (INDSCAL) va alors permettre d'extraire les attributs perceptifs significatifs, la tache de verbalisation facilitant ou permettant d'interpréter les axes de cette analyse. En parallèle, l'analyse des préférences va permettre de focaliser sur les facteurs importants liés à la qualité sonore des passages. 1 Introduction Les nuisances sonores, et plus spécifiquement celles liées aux transports, apparaissent comme une préoccupation majeure des ménages français [1] et européens [2]. Considéré comme moins nuisible que les trafics routiers et aériens mais, dans le contexte d’un essor des politiques du développement durable, moyen de transport majeur du futur, le train fait par conséquent l'objet d'études diverses. On citera, par exemple, des travaux liés à la perturbation du sommeil [3] [4] ou la gêne [5] [6]. Afin de prévenir les désagréments et gênes provoqués par un plus grand nombre de passages et/ou la construction de nouvelles lignes, des études ont été planifiées dont le projet franco-allemand PREDIT/DEUFRAKO intitulé “Bruit des transports, influence de la structure temporelle sur la gêne, la performance cognitive et le sommeil”. Son objectif principal est d’améliorer l’état des connaissances concernant l’influence du bruit des transports sur le sommeil et l’activité journalière afin de les appliquer ultérieurement au développement de mesures de réduction du bruit. Dans le cadre de ce projet, un des objectifs du LMRTE consiste à caractériser, pour les trains, les phénomènes perceptibles et évaluer leur influence sur la qualité sonore. Cette étude est basée sur l’évaluation de signaux enregistrés sur site et nous étudierons l’influence du niveau et de la distance par rapport aux voies, ainsi que les interactions possibles. Notons que la modification de la distance est corrélée à des variations de spectre et d’enveloppe temporelle. Si l’étude a été menée pour quatre catégories de trains (Corail, Fret, TER, TGV), nous ne présentons dans cet article que les résultats dédiés aux trains TGV pour des raisons de clarté. En effet, si chaque catégorie présente des spécificités, les conclusions demeurent similaires. 2 Méthodologie 2.1 Stimuli Enregistrements : Les stimuli sont issus de deux séries d’enregistrements de TGV à 7.5m, 50m et 100m des voies. Nous avons retenu un enregistrement par distance. La longueur et la vitesse des trains sont identiques (2 machines + 10 wagons ; 160km/h). Tous les stimuli durent 38 secondes et ne contiennent qu’un unique passage de train centré temporellement. Sachant que le niveau est en grande partie responsable du désagrément [7] [8] [9], les signaux ont été normalisés en force sonore (cf. ci-après) afin de ne pas masquer d’autres effets potentiellement importants. Finalement, une variation de niveau faible et maitrisée a été introduite afin de pouvoir comparer son influence à celles d’autres effets perceptifs: de nouvelles versions des enregistrements normalisés ont été créées en augmentant le niveau moyen de 2dB et celles-ci ont été incluses au corpus. La différence de niveau est donc perceptible sans pour autant masquer les effets temporels ou spectraux. Normalisation : Des études antérieures [10] [11] [12] ont conduit à des résultats divers quant à la solution optimale pour l’égalisation des stimuli. Il semble que le choix d’une normalisation par rapport aux niveaux émergents puisse être judicieux mais que l’optimisation de ce choix dépende également de la nature des signaux. Dans notre cas, la normalisation par rapport au niveau LAeq est finalement apparue la plus adaptée, étant celle pour laquelle les différences de niveaux perçues nous ont semblé moindres (ce qui confirme les résultats de Fastl et Ugolotti [13] pour les bruits d’avion). De plus, ce choix s’avère être homogène avec les normes européennes définies en dB(A). La validation de la normalisation a été effectuée en interne. Propriétés : Afin de pouvoir ultérieurement corréler les réponses des sujets avec des grandeurs objectives, les valeurs de divers indicateurs ont été calculées. Celles-ci correspondent à la moyenne des valeurs obtenues pour les canaux gauche et droite [14]. La grandeur Fluctuations correspond à la force de fluctuation du signal et LASlopeUp à la pente de l’évolution temporelle du niveau durant l’approche du train. Elle est calculée entre un seuil préalablement fixé et le niveau maximum de la section du signal considérée [15]. Le seuil a été déterminé de façon à être en accord avec les descriptions des sujets. TLAmax-10 est le temps de passage où le niveau est 10dB en dessous du maximum [15]. LN est le niveau de sonie, LAmax le niveau maximum, LAeq le niveau équivalent, SCGMax et SCGMean les centres de gravité maximum et moyen. Signaux Fluctuations(vacils) LASlopeUp (dB(A)) TLAmax-10 (s) LN (phones) LAmax (dB(A)) SCGMax (Hz) SCGMean (Hz) Acuité (acum) LAeq (dB(A)) 7.5m 50m 100m 2.3 10 7.3 78.1 79.7 1274 419 1.5 60 0.1 6.6 7.3 76.5 75.9 1096 325 1.5 59.8 0.2 2.2 8.3 75.5 76 794 163 1.4 58.9 7.5m 50m 100m +2dB +2dB +2dB 2.3 0.1 0.3 10 6.6 2.2 7.3 7.3 8.3 80 78.8 77.6 81.7 77.9 78 1274 1096 794 419 325 163 1.5 1.5 1.4 62 61.8 60.9 avons choisis la méthode multifactorielle INDSCAL car elle a l’avantage de fixer les axes qui sous-tendent l’espace perceptif, ce qui facilite l’interprétation de ces axes qui ne sont portés a priori par aucun attribut. En, revanche, les coordonnées des objets sur les axes sont normalisées. Les distances entre les objets ne sont donc pas conservées visuellement sur les plans factoriels. Une autre particularité est que les axes ne sont pas nécessairement orthogonaux. Les distances d i jk entre les stimuli j et k évaluées par le sujet i sont calculées en précisant le poids wit que chacun des sujets accorde à la dimension t et xkt la composante du stimulus k sur la dimension t: d i jk [ r wit [ x jt xkt ]2 ]1/ 2 (1) t 1 L’analyse fournit alors une représentation dans l’espace des facteurs pilotant la perception, les poids des sujets et la variance expliquée par chacun de ces facteurs. Table 1 : Indicateurs calculés pour le corpus de stimuli. 2.2 Sujets Vingt sujets ont participé aux tests (moyenne d’âge = 20 ans; écart : de 18 à 23 ans). Ils étaient rémunérés pour leurs services, n’ont effectué le test qu’une seule fois et n’étaient impliqués dans aucune autre étude acoustique. 2.3 Procédure expérimentale Restitution : La restitution des signaux a été faite via un casque d’écoute de haute fidélité AKG K 501 © à un niveau LAeq de 59.5±0.6dB(A) ou 61.5±0.6dB(A). Même si une restitution au casque peut conduire à un effet d’intériorisation du son, nous l’avons préférée à une restitution sur enceintes afin d’éviter des effets de salle. Méthode : Ce test est basé sur la méthode classique de comparaisons par paires utilisée dans de nombreuses études perceptives [16] [17] [18]. Le corpus compte 15 paires de sons (on exclut la comparaison d’un stimulus avec luimême). L’ordre de présentation est aléatoire et l’écoute des signaux est renouvelable à volonté. Les sujets sont autonomes, le programme présentant les stimuli et enregistrant les réponses de manière automatisée. Pour chaque paire, le candidat doit estimer la dissimilarité existant entre les deux stimuli sur une échelle allant de 0 (totalement similaires) à 10 (totalement différents), indiquer sa préférence et justifier verbalement ses choix. Dissimilarités : Afin d’extraire les paramètres perceptifs de l’ensemble de stimuli, nous avons effectué une analyse multidimensionnelle INDSCAL [19]. Celle-ci a pour objectif la construction d’un espace perceptif euclidien dans lequel est représenté l’ensemble des stimuli. La distance entre les points constitue alors une similarité. Nous Figure 1 : Sonagrammes des stimuli enregistrés à 7.50m (haut), 50m (centre) et 100m (bas) après normalisation par rapport au niveau LAeq. Verbalisations : L’analyse linguistique permet d’extraire les caractéristiques perçues et influentes. Après avoir évalué préférence et dissimilarité, les sujets justifient leurs choix. Dans cette analyse, nous nous sommes focalisés sur les adjectifs “qualificatifs”. Préférences : La méthode de Thurstone-Mosteller [20] [21] permet de classer les sons à partir des choix effectués par l’ensemble des sujets. Cette méthode suppose qu’il existe une échelle subjective continue représentant la sensation mesurée et implique donc une relation de transitivité entre les stimuli. Consistance : Pour chaque sujet, il est possible d’évaluer la « consistance » des réponses [22]. Par là on entend qu’il existe une relation de transitivité entre cellesci. Une erreur circulaire apparait lorsque cette relation n’est pas respectée. Le nombre d’erreurs circulaires c effectuées par chaque sujet peut être calculé [23] : N s ( N s 1)(2 N s 1) 12 c Ns Sk2 (2) k 1 Avec Ns le nombre de stimuli et Sk le nombre de votes attribués par le sujet pour le son k. Le coefficient de consistance ξ du sujet vaut alors : ξ=1-c/D, avec D=( N s3 Ns)/24 si Ns est impair, D=( N s3 -4Ns)/24 si Ns est pair. Ainsi, plus le nombre d’erreurs circulaires est faible, plus le sujet est consistant dans ses réponses. Concordance : Le coefficient de concordance de Kendall W [22] permet d’évaluer le degré d’accord entre les sujets: 12 W n R 2 j j 1 n 2 N S ( N S2 1) 3( N S 1) NS 1 (3) Avec n le nombre de sujets et Rj la somme des rangs attribués au stimulus j [24]. Plus W est grand, plus les sujets sont concordants. Pour faciliter l’interprétation de W, on calcule le coefficient de Spearman rs sur la base de W sur les classements de tous les couples possibles de juges [24]: rs=(nW-1)/(n-1). Le nombre de stimuli Ns est alors pris en considération lors de l’interprétation de rs via la table de Spearman [25] qui relie valeurs critiques de rs et probabilités associées en fonction de Ns. 3 Résultats 3.1 Analyse des dissimilarités L’analyse des plans perceptifs et des propriétés des stimuli va permettre de déterminer quels aspects ont joué un rôle significatif dans les choix des sujets. Dans cette étude, une analyse INDSCAL (cf. paragraphe 2.3) à 3 dimensions est apparue comme étant la plus judicieuse, la considération de dimension(s) additionnelle(s) n’ayant pas permis de mettre en évidence un effet perceptif supplémentaire. La figure 2 présente la répartition des stimuli dans différents plans INDSCAL. La dissociation entre les passages à 7.5m et les passages à 50m et 100m est faite selon l’axe X (qui explique 58% de la variance). Si l’on se réfère aux propriétés des stimuli (cf. tableau 1), les passages enregistrés à 7.5m sont différenciables des passages à 50m et 100m par de nombreux aspects : rythme, soudaineté de l’arrivée, niveau maximum ou spectre. Les corrélations entre les axes des plans et les indicateurs ont été calculées (tableau 2) et l’axe X apparait en premier lieu lié aux Fluctuations (R=-0.98 ; p=0.0007) : le rythme apparait comme le premier aspect discriminant. Figure 2: Espaces des dissimilarités. Les pourcentages de variance expliquée pour chaque axe sont indiqués entre parenthèses. La distinction entre les signaux à 50m et 100m est faite selon l’axe Y (14% de la variance expliquée). La distribution le long de cet axe est corrélée à des aspects spectraux tels que le centre de gravité maximum (R=-0.90 ; p=0.0156), le centre de gravité moyen (R=-0.90 ; p=0.0152) ou l’acuité (R=-0.97 ; p=0.0017), ainsi qu’à des indicateurs temporels liés à la soudaineté LASlopeUp (R=-0.87 ; p= 0.0254) ou la durée du passage TLAmax-10 (R=0.97 ; p=0.0017). Or, ces caractéristiques sont elles-mêmes corrélées : avec la distance de mesure, le spectre et l’enveloppe sont indissociablement modifiés. L’axe Y est donc simultanément lié aux aspects temporels et spectraux. X Y Z Fluctuations -0.98** -0.43 0.57 LASlopeUp -0.72 -0.87* 0.33 TLAmax-10 0.36 0.97** -0.10 LN -0.49 -0.64 0.77 LAeq -0.12 -0.52 0.69 LAMax -0.80 -0.45 0.81 SCGMax -0.67 -0.90* 0.30 SCGMean -0.67 -0.90* 0.30 Acuité -0.36 -0.97** 0.10 Table 2 : Corrélations de Pearson existant entre les axes des plans INDSCAL et différents indicateurs. La valeur est suivie de ** si la probabilité testant la signification statistique de la corrélation est inférieure à 0.01 et de * si celle-ci est inférieure à 0.05. Le niveau apparait réparti selon l’axe Z, lui-même corrélé au niveau de sonie et au niveau maximum. L’absence de significativité statistique peut s’expliquer par le fait que, pour les signaux enregistrés à 7.5m des voies, le niveau n’a pas d’influence sur la position des stimuli dans l’espace perceptif : il semble que les fluctuations de niveau masquent l’effet du niveau global. temporel, un grand nombre d’adjectifs sont liés à l’aspect rythmique (“régulier”, “fluide”), mais la soudaineté de l’arrivée est également perçue (“brusque”, “soudain”). Les sujets préfèrent alors un son long et fluide à un son plus court mais plus rythmique (“[Ce son est] plus long mais plus calme”). Concernant les aspects spectraux, les verbalisations sont assez peu diversifiées et nous informent surtout quant à la perception “grave”/“aigu” des passages, les basses fréquences étant préférées de manière générale. Enfin, un troisième groupe est lié à l’intensité perçue et confirme le fait que, plus le niveau perçu est important, moins le son est apprécié. 3.2 Analyse linguistique Le tableau 3 regroupe les adjectifs utilisés par les sujets pour qualifier les passages. Les réponses sont, en premier lieu, massivement liées à la temporalité, suivie par le critère d’intensité, les adjectifs relatifs au timbre arrivant en troisième position. On peut ajouter une remarque concernant la « spatialité », les adjectifs “lointain”, “éloigné” et “loin” ayant respectivement 4, 3 et 5 occurrences : ce paramètre a donc été pris en compte lors de l’évaluation des sons mais demeure associé à une combinaison d’indicateurs que sont le niveau, le spectre, la soudaineté et la durée du passage. Concernant l’aspect Total Total global Temporalité Positif Négatif court (26) saccadé (13) continu (8) long (8) calme (5) irrégulier (3) régulier (7) brouillon (2) fluide (3) brusque (1) progressif (2) lent (1) bref (2) périodique (1) constant (2) répétitif (1) linéaire (1) soudain (1) monotone (1) variable (1) rapide (1) 59 32 90 occurrences Hauteur et timbre Positif Négatif grave (10) aigu (8) harmonieux (2) strident (4) sourd (2) métallique (1) 12 15 27 occurrences Intensité Positif Négatif doux (11) fort (25) discret (9) bruyant (6) léger (2) élevé (2) intense (2) sonore (1) strident (4) 22 39 61 occurrences Table 3 : Récapitulatif des adjectifs qualificatifs liés à la temporalité (italique : adjectifs liés aux fluctuations; souligné : adjectifs lies à la soudaineté de l’arrivée), le spectre et le niveau. Concernant les comparaisons entre passages à 7.5m et passages à 50m et 100m, l’analyse des verbalisations montre que le premier facteur de préférence est le rythme du son avec parfois l’apparition d’un aspect spectral concernant le côté “strident” du passage à 50m, un sifflement étant présent pour cet enregistrement et pouvant déranger. Nous rapportons ici deux réponses de sujets concernant la comparaison du passage à 7.5m et du passage à 50m : “Les 2 [passages] sont peu gênants et permettent par exemple de tenir une conversation avec quelqu’un, mais le premier est irrégulier et plus gênant”; “[Pour le passage à 50m, le] son [est] plus strident mais l’arrivée [est] moins brutale” (le passage à 50m est préféré dans les deux cas). Les verbalisations concernant les signaux à 50m et 100m sont basées d’abord sur le niveau perçu, ensuite sur certains aspects temporels couplés : durée et soudaineté. Ainsi, concernant le passage à 100m qu’il préfère à celui à 50m, un sujet répond : “un peu plus long, mais moins intense”. Enfin, la soudaineté de l’arrivée joue également un rôle dans la différenciation : le passage à 100m est préféré car son “arrivée [n’est] pas trop brutale (…):[le son est] progressif, avec un seul pic de bruit perçu”; de même le passage à 100m est préféré car “moins agressif (autre train trop rapide)”. L’influence du rythme ou de la soudaineté d’arrivée apparaissent donc primordiaux dans la perception des sujets. 3.3 Préférences Consistance : La consistance des sujets et le nombre d’erreurs circulaires ont été calculés comme décrit dans le paragraphe 2.3 : ξ 1.000 0.875 0.750 0.625 0.5 0.25 c 0 1 2 3 4 6 Nombre de sujets 7 1 1 4 2 5 Table 4: Coefficients de consistance ξ, nombre d’erreurs circulaires c et nombre de sujets. En fonction du nombre d’erreurs circulaires c (et donc de ξ) et du nombre de stimuli Ns, Kendall propose des valeurs limites permettant d’évaluer la cohérence des réponses du sujet. Ainsi, pour Ns=6, il existe une probabilité p associée au nombre d’erreurs circulaires c [26]. On a alors pour c=0, p=0.019825; c=1, p=0.047693; pour c=2, p=0.104864, etc. Or, seulement 8 sujets sur 20 ont effectué 0 ou 1 unique erreur circulaire (p<0.05). Cette faible consistance des réponses peut s’expliquer soit par un changement de stratégie d’évaluation durant le test (focalisation successive sur différentes caractéristiques du son), soit à cause de l’aléatoire des réponses (stimuli trop ressemblants, fatigue…). Concordance : Le coefficient de concordance de Kendall permet d’évaluer le degré d’accord entre les sujets. Les valeurs de Rj, puis celles du coefficient de Spearman rs ont été calculées (cf. paragraphe 2.3). En se référant à la table de Spearman [25], pour Ns=6 et si l’on désire une valeur significative à 95%, la valeur critique de rs est égale de 0.886 (si rs ≥ 0.886, cela équivaut à affirmer avec moins de 5% de chances de se tromper que la concordance entre les sujets n'est pas le fruit du hasard). Dans notre cas, rs=0.4659 si l’on considère l’ensemble des sujets et rs=0.6402 si l’on exclut les 5 sujets les plus inconsistants. D’après la table [25], nous avons, dans le meilleur des cas, un peu plus de 20% de chances de nous tromper si l’on affirme qu’il y a concordance des sujets (après exclusion des 5 sujets les plus inconsistants). Il semble donc que les sujets n’ont pas opté pour des stratégies d’évaluation similaires. de régressions. Afin d’éviter d’ignorer une grandeur qui pourrait avoir une influence significative, nous avons évalué la robustesse des régressions pour chacune des deux grandeurs liées à la longueur et à la soudaineté. Le résultat remarquable est que c’est lorsque l’on inclut uniquement le niveau de sonie et les fluctuations que la régression fournit le meilleur résultat, expliquant 93.80% de la variabilité (R2 ajusté) avec une relation statistiquement significative entre les variables au niveau de confiance de 95%. L’ajout d’une ou plusieurs grandeurs supplémentaires ne permet pas d’améliorer de façon significative le résultat : le niveau et le rythme sont les éléments majeurs corrélés aux préférences. Echelle des préférences : La partie gauche de la figure 3 présente l’échelle des préférences (cf. paragraphe 2.3) pour la totalité des sujets. Comme ce que suggéraient les plans de dissimilarité, les signaux à 7.5m sont différenciés et désignés comme étant les plus désagréables. Les préférences sont d’ailleurs corrélées à 83% avec l’axe X de la représentation INDSCAL (lui-même corrélé aux fluctuations). L’effet du niveau apparait également clairement. En revanche, le choix entre les signaux à 50m et 100m demeure indécis, les résultats étant proches pour les deux distances et ne respectant pas une hiérarchie donnée. Afin de vérifier si cette confusion est due au manque de consistance, on compare le corpus complet aux sujets consistants uniquement. On note alors un étirement de l’échelle utilisée et une inversion entre les passages à 50m et à 100m, l’absence de hiérarchie entre 50m et 100m étant toujours présente. Les variations de pente et/ou de timbre ne sont donc pas intervenues de manière consensuelle dans le choix des sujets vis-à-vis du désagrément sonore. Si l’on ne considère que les sujets consistants, les résultats sont similaires et il existe une corrélation de 99% (p=0.0215) entre la régression obtenue pour le corpus complet et celle obtenue pour les sujets consistants seuls. Figure 3: Classement des préférences pour la totalité des sujets (à gauche) et pour les sujets consistants uniquement (à droite). 3.4 Régressions Afin d’établir une relation entre les analyses précédentes et les indicateurs objectifs, nous avons relié les préférences des sujets aux quatre principaux aspects semblant avoir guidés leurs choix : le rythme, le niveau, le timbre et la soudaineté de l’arrivée ou la longueur du passage. Les Fluctuations, le niveau de sonie LN, le centre de gravité moyen SCGMean et la longueur (TLAMax-10) ou la soudaineté (LASlopeUp) du passage ont alors été inclus dans les calculs Préférences = 16.18 – 0.21* LN – 0.212*Fluctuations 4 (4) Discussion - Conclusions D’après les analyses précédentes, on sait que (1) le rythme est le premier facteur de discrimination; (2) si la différence de niveau est en général bien perçue, les fluctuations rendent cette différence moins évidente; (3) le niveau demeure plus influant que les autres attributs liés à l’enveloppe temporelle ou au spectre ; (4) à niveau équivalent, lorsqu’il y a comparaison entre les signaux à 50m et 100m, aucun consensus n’apparait. Il est donc difficile de déterminer la/les stratégie(s) employée(s) par les sujets. Existe-t-il différents groupes de sujets aux stratégies fixes ? Les sujets changent-ils de stratégies au cours du test ? Ces changements sont-ils les mêmes pour tous ? On a vu qu’au-delà d’un certain seuil (50m dans notre cas), les fluctuations étant moins importantes, la longueur et le spectre deviennent des paramètres discriminatoires. Or, même si ces aspects n’apparaissent pas dans les classements de préférences, cela ne signifie pas forcément que les sujets n’y ont pas été sensibles et l’on peut supposer que des changements de stratégies au cours du test ont conduit à un effet d’annulation sur les résultats moyennés. Si l’on se focalise sur les paires pour lesquelles les comportements des sujets sont les plus difficilement interprétables (50m/100m ; 50m+2dB/100m+2dB) et que l’on met en parallèle choix et explications, aucun consensus n’apparait et, pour un même sujet, les stratégies changent généralement au cours du test. De plus, on ne distingue pas de groupes distincts aux stratégies similaires : les propriétés des signaux sont proches et les sujets focalisent successivement sur différents aspects. De la même manière, seulement 9 sujets sur 20 conservent la même préférence pour les 2 niveaux différents mais sans que cela soit lié à la consistance de leurs réponses et généralement sans conserver une stratégie similaire pour ces 2 paires. D’une manière plus globale, la longueur du passage apparait comme l’aspect le plus cité (8 occurrences pour 40 évaluations), ce qui est confirmé par le fait que 3 des sujets cohérents citent systématiquement celle-ci comme paramètre discriminatoire. Généralement, les passages plus courts sont préférés. Enfin, aucun sujet n’argumente de manière cohérente par rapport au spectre. Les aspects temporels semblent donc majeurs dans l’évaluation de la qualité sonore de sources temporellement variables. Si le taux de fluctuation et le temps de passage semblent adaptés pour qualifier les passages de TGV, les résultats sont moins convaincants pour les autres catégories de trains (en ce qui concerne les fluctuations du moins). Il apparait donc indispensable de persévérer dans le développement d’outils psychoacoustiques permettant de mieux évaluer les variations temporelles, les outils actuels pouvant manquer de pertinence. Il est important de noter que les résultats de cette étude se situent dans un contexte d’évaluation de qualité sonore. Il faudra vérifier ultérieurement si ces conclusions peuvent être extrapolées dans des conditions plus proches du quotidien. Références [12] Meunier S., Marchioni A., “Loudness of sounds with temporal variable intensity”, Forum Acousticum, Sevilla (2002). [13] Fastl H., Ugolotti E., “Technical note: Subjective and physical evaluation of aircraft noise”, Noise Control Engineering Journal 3(35), 61–63 (1990). [14] Preis A., Satoh F., Ishibashi M., Tachibana H., “Binaural loudness perception of the time varying environmental stimuli”, Joint meeting Forum Acusticum & 137th ASA, Berlin (1999). 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