Une entreprise « modèle

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Une entreprise « modèle
Une entreprise « modèle » ?
Certaines clés du succès de Google sont-elles universelles ?
Alain Coulon
Un article de Sandrine Chicaud dans le n° 1910 de 01 Informatique du 23 juillet 2007 expose les conditions de
travail des collaborateurs de Google à Mountain View, au sud de la baie de San Francisco.
Les bénéfices de cette entreprise qui gère le célèbre moteur de recherche, ont dépassé, en 2006, le milliard de
dollars. Ce qui souligne - selon nos normes d’appréciation des entreprises - une remarquable réussite dont on
cherche à identifier les leviers.
Outre les particularités technologiques et commerciales qui distinguent Google de ses concurrents, le management très progressiste de son personnel apparaît comme l’un des atouts majeurs de son extraordinaire succès.
Nous énoncerons les dix règles de gestion des ressources humaines, telles qu’elles ont été recensées par
l’article de 01 Informatique, avant de nous interroger sur l’universalité de ces « bonnes pratiques ».
Une gestion de l’efficience des
ressources humaines
Il fait bon travailler chez Google. L’entreprise a pris la
première place du palmarès de Fortune qui apprécie
les conditions de travail dans les entreprises.
Pas moins de 400 cadres sont chargés de trier ces
candidats, à la recherche des meilleurs profils. Les
opérationnels participent également aux entretiens
d’embauche qui mobilisent simultanément plusieurs
examinateurs. Cette disposition est bien admise par
les candidats qui respectent une décision collégiale,
jugée plus démocratique qu’une décision individuelle.
1 – Le cadre de vie
5 – Les critères du filtre
L’environnement du siège de Google se veut attractif : c’est un grand parc doté d’installations sportives,
ludiques et conviviales ainsi que d’antennes de
services financiers et postaux. On s’y détend, on y
travaille, on y échange avec ses collègues, dans des
tenues décontractées : tee-shirts (souvent frappé du
sigle de l’entreprise) shorts et tongs. Les collaborateurs ont le choix entre une dizaine de restaurants
qui leur proposent des nourritures variées qui répondent aux critères prônés par les diététiciens.
Une navette gratuite équipée en Wi-Fi transporte les
collaborateurs entre leur résidence et leur lieu de
travail.
Le recrutement est un long parcours jalonné d’entretiens (actuellement au nombre de cinq) conduits par
des ingénieurs, des hiérarques et de futurs collègues.
On teste, évidemment, le niveau technique du candidat. Mais, on évalue également sa réaction lorsqu’il
rencontre une difficulté dans un exercice concret. On
sonde son ouverture d’esprit et on vérifie sa capacité
au travail collectif.
En fin de parcours, avant la proposition de contrat, on
dissèque les références universitaires et professionnelles du candidat.
6 – La stimulation de l’environnement intellectuel
Les locaux spacieux sont décorés par les collaborateurs qui personnalisent, selon leurs goûts, leur
espace de travail.
Cette politique de recrutement aboutit à l’embauche
d’un ensemble de personnalités très brillantes. Les
salariés sont séduits par la synergie de cet entourage
professionnel propice à des échanges enrichissants.
2 - Les prestations sociales
7 – La collégialité des décisions
Par rapport aux autres entreprises états-uniennes,
Google offre un très large éventail de prestations
sociales : soins médicaux et dentaires, congés de
maternité et de paternité, aide financière pour le
premier enfant, etc.
Google possède une direction collégiale pour les
décisions relatives aux produits, à l’innovation ou à la
recherche. Cette approche collégiale se retrouve à
tous les échelons de l’entreprise ; elle y engendre
une grande souplesse de management et accorde un
maximum d’autonomie aux employés.
3 - Les horaires à la carte
Certes, chez Google, on travaille autant, sinon plus
que dans les autres entreprises de la Silicon Valley,
mais on y organise son emploi du temps à sa
convenance, sans contrôle des heures de présence.
4 – Le recrutement sélectif
8 – L’espace de créativité
Les ingénieurs sont invités à consacrer 20 % de leur
temps (une journée par semaine) à des projets
personnels qui n’entrent pas directement dans le
cadre de leur mission initiale.
De telles conditions de travail attirent des flots continus de candidatures (1,3 million en 2006) ce qui
représente plusieurs milliers de curriculum vitae par
jour.
La Lettre d’ADELI n° 69 – Automne 2007
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9 – L’identité culturelle
Ce modèle repose sur des valeurs individuelles et
collectives dont on peut se demander si elles sont
universelles. Sont-elles applicables, telles quelles,
dans la diversité culturelle qui baigne encore actuellement notre planète ?
hiérarchie des valeurs morales quelque peu
différente.
L’article dépeint l’entreprise comme une abbaye de
Thélème. Mais comme pour le précurseur rabelaisien, n’entre pas qui veut chez Google ; les contrôles sont draconiens ; ne sont admis que les candidats
qui présentent un profil proche d’un modèle de référence défini en fonction des objectifs de l’entreprise.
Google ne retient que les candidats considérés,
selon ses critères, comme les meilleurs au détriment
des laissés pour compte. Il n’est pas question de
reconstituer dans cette entreprise la diversité de la
société humaine ; on ne saurait y accueillir les individus moins favorisés, sur le plan intellectuel, et sur le
plan physique, en envisageant de les aider à progresser.
Cette symbiose permanente entre la vie professionnelle et la vie privée n’est-elle pas susceptible de
rompre un équilibre nécessaire à l’harmonie de la vie
sociale ?
Certains salariés seraient-ils prêts à exhiber leur
allégeance à une entreprise dont ils savent qu’elle
n’hésitera pas à les sacrifier sur l’autel de la productivité en consentant à la flexibilité et à la délocalisation ?
Est-il si valorisant de divulguer son savoir et son
savoir-faire à des collègues qui de partenaires risquent de devenir concurrents lors des prochains
épisodes ?
Dans certaines sociétés, la promotion hiérarchique
constitue une motivation ; faut-il désarmer brutalement cette motivation au nom de la décision participative ?
Ce modèle repose sur certaines valeurs
individuelles et collectives
Conclusion
La culture de l’entreprise repose sur le travail, la
décontraction, la créativité ; elle s’applique, naturellement à une mosaïque de collaborateurs performants,
issus de parcours universitaires et professionnels
très variés et qui abordent les problèmes sous des
angles différents.
Des actions promotionnelles concrètes, bien orchestrées, telles que l’aide matérielle pour l’achat de
véhicules non polluants, renforcent l’image écologique et équitable de l’entreprise.
10 – Les manifestations ponctuelles d’un esprit
ludique
L’entreprise organise de fréquentes manifestations
conviviales : pique-niques familiaux, week-ends de
ski.
On y célèbre le « pyjama day », où tous les acteurs
de l’entreprise sont invités à venir travailler en
pyjama.
On se persuade qu’il n’est pas nécessaire de se
prendre au sérieux pour faire du bon travail.
Ce modèle d’entreprise est-il adaptable
à d’autres environnements culturels ?
L’entreprise met à la disposition de ses employés des
conditions de travail optimales :
ƒ locaux confortables et ergonomiques ;
ƒ espaces de détente, intégrés au cadre de vie professionnelle ;
ƒ souplesse de l’emploi du temps ;
ƒ encouragement à l’innovation.
L’entreprise cultive les critères d’appartenance à une
communauté :
ƒ travail en équipe ;
ƒ décisions participatives ;
ƒ renforcement de la communication entre les membres de l’entreprise ;
ƒ port de signes extérieurs (tee-shirt) ;
ƒ manifestations festives, voire facétieuses (l’inénarrable pyjama day).
Les freins inhérents à des disparités culturelles
On peut se demander si ce modèle de gestion des
ressources humaines, particulièrement efficace en
Californie, est susceptible, sous d’autres cieux, de
séduire une majorité de candidats élevés dans d’autres civilisations, lorsque leur culture détermine une
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Nous avons saisi cet exemple récent pour illustrer le
caractère subjectif d’un « modèle ».
Nous n’éprouvons, vis-à-vis de Google dont nous
utilisons les merveilleux outils, aucun sentiment
excessif, ni allégeance béate, ni animosité militante.
Pour plagier le célèbre aphorisme chinois, quand l’un
désigne un objectif avec son doigt, l’autre ne regarde,
trop souvent, que le doigt. Google nous a simplement
servi de doigt pour montrer ce qui suit.
Un même modèle peut apparaître :
ƒ très séduisant et absolument généralisable, selon
certains individus acquis à un ensemble cohérent
de valeurs culturelles ;
ƒ pernicieux et potentiellement dangereux pour d’autres individus encore attachés à d’autres références
culturelles ;
ƒ comme une cible offerte aux flèches acérées des
archers de la provocation. ▲
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La Lettre d’ADELI n° 69 – Automne 2007