Ali Farka Touré

Transcription

Ali Farka Touré
Ali Farka Touré
"L'Afrique est ma source d'inspiration, mon repère, mon bonheur".
Contrairement à de nombreux artistes africains, Ali Farka Touré n'a jamais cédé
à la vague d'exil vers l'Occident lorsque, dans les années 70/80, l'expansion de
la world music a attiré nombre d'entre eux en Europe. Bien au contraire. Ce
musicien à la culture musicale impressionnante, respecté et révéré dans le
monde entier, est plus qu'aucun autre proche de sa terre, le Mali. A tel point
qu'aujourd'hui, après avoir séduit la scène musicale internationale avec son
blues sensible et inspiré, il consacre le plus clair de son temps à l'agriculture.
Ali Ibrahim Touré est né en 1939 dans le village de Kanau près du fleuve Niger au
Mali. Son surnom de Farka vient du fait qu'il est le 10e enfant de ses parents et
surtout le premier à avoir vécu au-delà de l'enfance. Farka signifie "âne", symbole
de la force et de la résistance physique. La famille d'Ali Farka Touré est noble et
issue de l'ethnie Arma, elle-même issue des Songhaï. Ali était encore un bébé
lorsque son père, militaire, perdit la vie en servant l'armée française pendant la
guerre 39-40. Après la guerre, la famille s'installe à Niafounké à 200 km au sud de
Tombouctou, village de quand même 20.000 habitants, où Ali Farka Touré vit
encore aujourd'hui.
Autodidacte
Ali ne va pas à l'école. Dans cette région essentiellement agricole, son éducation
se déroule aux champs. Mais la musique, très présente au sein de la vie culturelle
commune, ne laisse pas l'enfant indifférent. Cependant, dans cette famille, la
musique n'est pas une tradition. Bien au contraire. Lorsque Ali montre donc
quelque intérêt pour cet art, ses parents ne s'en réjouissent guère. Pourtant dès
son enfance, Ali se passionne pour les instruments : le gurkel, petite guitare
traditionnelle, le njarka, violon populaire, la flûte peul ou le luth ngoni à 4 cordes. Il
se forme à la guitare avec son maître, Mamby Touré. La vraie révélation a lieu
lorsqu'en 1956, le jeune Ali assiste au spectacle du Guinéen Fodeba Keita. Il sait
alors que sa voie est indéniablement dans la musique. Pourtant à cette époque,
Ali est chauffeur de taxi puis après un passage comme chauffeur en Guinée, c'est
chez lui à Niafounké que l'administration le recrute pour la même fonction. Il
travaille alors pour le dispensaire où un des infirmiers possède une guitare
achetée à un magazine français de vente par correspondance. Ali peut lui
emprunter contre quelques corvées. Mais que ne ferait-il pas pour jouer de son
instrument favori ?
Outre la pratique des instruments (guitare, accordéon, percussions), Ali
commence à composer sur des bases traditionnelles. De plus, sa rencontre avec
l'écrivain malien Amadou Hampaté Bâ aiguise son goût pour l'écriture. Les deux
hommes se lient d'amitié, et l'écrivain est séduit par la curiosité et la grande
culture du jeune autodidacte (Ali Farka Touré n'a jamais été à l'école). A la fin des
années 50, ce dernier suit Hampaté Bâ à travers le Mali un Nagra (magnétophone)
à la main afin de recueillir nombre sources musicales du pays.
Orchestres
En 1960, le Mali se proclame indépendant. La nouvelle politique du pays voit
l'essor des groupes officiels représentant chacun une région. C'est à cette époque
qu'Ali Farka Touré commence à faire de la musique sa profession. Il devient
même directeur de son groupe, la Troupe 117, avec laquelle il travaille sur un
bateau-ambulance. Ensemble, ils tournent à travers les festivals et les concours
du pays dans lesquels ils brillent assez souvent, en particulier au festival de Mopti
qu'ils remportent avec succès.
C'est en avril 68, qu'Ali Farka Touré achète sa toute première guitare à Sofia en
Bulgarie. Alors âgé de presque 30 ans, Ali effectue là son premier voyage hors
d'Afrique à l'occasion du festival international des Arts. Mais cette même année, les
troupes régionales sont dissoutes. Deux ans plus tard, le musicien intègre
l'orchestre de Radio Mali tout en occupant un poste d'ingénieur du son qui lui
permette de se familiariser avec les techniques de studio. Des années plus tard, il
rendra hommage à cette station de radio dans un album portant son nom. Il
restera à Radio Mali en tant qu'employé jusqu'en 1973, date à laquelle la formation
sera dissoute par le gouvernement.
En cette fin des années 60, il découvre aussi la musique noire américaine en
général et le blues en particulier. C'est une véritable révélation. Ali s'emballe tout
spécialement pour John Lee Hooker dont il compare la musique au peuple
Tamascheck du nord du Mali.
Solo
Après avoir exercé la musique en groupe pendant plus de dix ans, Ali Farka Touré
se lance enfin dans une carrière solo. Il donne de nombreux concerts dans toute
l'Afrique de l'Ouest et sa connaissance d'une dizaine de langues, lui permet
d'aborder de nombreux styles traditionnels.
Il faut attendre 1976 pour qu'il sorte son premier disque, "Farka". Enregistré et
produit dans les studios de Radio Mali, ce titre est un énorme succès pour cet
artiste de 37 ans. Toujours très lié à Amadou Hampaté Bâ, ce dernier l'entraîne
avec lui lors d'un voyage en France la même année. A cette époque, il vit un peu en
France et sort plusieurs disques sur le label Sonodisc. Mais, Ali Farka Touré n'est
guère tenté de s'installer en France et retourne au Mali où il est désormais une
vedette très sollicitée.
Les années 80 se déroulent au rythme des concerts et de quelques
enregistrements. Mais, sa carrière prend un tour différent lorsqu'en 1987, Ali Farka
Touré entame sa toute première tournée européenne. En Angleterre, il joue même
lors d'un festival au stade de Wembley devant un parterre de 18.000 personnes !
Dans la foulée, il s'envole pour le reste de l'Europe, pour les Etats-Unis et le
Japon. L'Occident est alors en pleine vogue de la world music et le talent d'Ali
Farka Touré trouve une énorme audience hors de l'Afrique, aussi bien auprès du
public que des professionnels.
Ce succès international lui vaut un contrat sur le label World Circuit dont la
première production se nomme "10 Songs From The Legendary (Songs from
Mali)", suivi de très près de l'album "Ali Farka Touré". Le label se jette sur le
répertoire incroyablement riche de l'artiste et à partir de cette époque, Sonodisc
ressort de son côté les anciens 33 tours sur CD.
De la rivière à la source
En dépit de cette réussite internationale, Ali Farka Touré passe plus de temps sur
ses terres maliennes qu'en Occident. Une des raisons en est sa passion pour
l'agriculture et son investissement personnel dans de larges projets agricoles en
matière d'irrigation. Père de nombreux enfants, Ali possède 350 hectares de
terres, essentiellement du riz, dans sa région d'origine, à Niafounke.
Cependant, il revient sur le devant de la scène world en 90 avec l'album "The River"
et dès l'année suivante avec "The Source". Sur ce dernier album, il partage un duo
avec le bluesman américain Taj Mahal.
Ali Farka Touré est désormais une des plus grandes vedettes de la musique
africaine autant sur son continent qu'en Occident. Celui qui affirme en parlant du
blues noir américain : "Moi, j'ai la racine et le tronc, eux ils n'ont que les feuilles et
les branches", a l'occasion de jouer avec John Lee Hooker au cours de l'été 91.
Leur duo, très symbolique, représente la longue route de la musique africaine au
cours des siècles. Mais son plus gros succès sur la scène internationale
correspond à la sortie de l'album "Talking Timbuktu" en 93, album qui tire son nom
de la ville de Tombouctou, lieu mythique en Afrique. Eminemment teinté de blues,
ce travail est le résultat d'un duo avec le guitariste américain Ry Cooder. Les
critiques sont dithyrambiques et l'album, enregistré à Los Angeles, décroche le
Grammy Award, suprême récompense de l'industrie musicale.
Outre quelques passages parisiens au New Morning en 91 ou au Passage du
Nord Ouest en 92, Ali Farka Touré est présent sur de nombreuses scènes dans le
monde comme à Dakar en avril 95 au théâtre de verdure Gilles Obringer (du nom
d'un animateur de RFI décédé en 94) ou à Nantes en juillet 95 où on le voit
défendre la culture malienne aux côtés de Salif Keïta.
(Agri) Culture
En 96, Ali Farka Touré se replonge dans les archives de Radio Mali et sort une
compilation de ses anciens enregistrements. Entièrement chantés en songhaï, en
peul ou en tamaschek, les 16 titres de l'album ne sont bercés que par la guitare
(presque) solo du musicien. Les passerelles entre le blues américain et les sons
du Sahel transparaissent très nettement dans cette production tout en finesse.
Mais dès 97, Ali déclare qu'il veut se retirer de la scène définitivement pour se
consacrer à l'agriculture dans son village, à 200km de Tombouctou. L'information
provient même du SYFIA (Système Francophone d'Information Agricole). Le projet
de celui qui annonce : "Sur mes papiers, c'est écrit artiste, mais en réalité, je suis
cultivateur", dépasse le cadre de l'agriculture puisque son but, est de donner du
travail aux jeunes de sa région afin de lutter contre l'exode rural.
De plus, il s'investit aussi dans la production de jeunes artistes et crée un studio à
Bamako du nom de Emi Cassette. On lui doit entre autres le "parrainage " de
Rokia Traoré, prix "Découverte Afrique RFI" en 97.
Le chant du terroir
Contrairement à ce qu'il avait annoncé, Ali Farka Touré réapparaît en juin 99 avec
un nouvel album "Niafunké". Mais d'une certaine façon, il ne sort pas pour autant
de ses terres qui sont au centre du disque. Toujours coloré de blues, le travail d'Ali
évoque le travail de la terre, mais aussi l'apartheid, l'éducation ou la justice.
Enregistré dans un studio mobile, cet album a pu être réalisé sur place. Ali Farka
Touré hésite toujours entre la musique et le travail que lui procure sa propriété au
Mali. Il donne quand même quelques concerts dont un au Festival d'Essaouira en
juin 2000 et un autre au Festival de Jazz de la Villette à Paris en juillet de la même
année. En août, il annonce à New York la fin de sa carrière musicale pour "laisser
la place aux nouvelles générations" et redevenir définitivement un paysan sur ses
terres de Niakunke.
En 2002, il apparaît coup sur coup dans deux longs métrages : "Ali Farka Touré Le Miel n'est jamais bon dans une seule bouche", puis dans "Et je chanterai pour
toi", dont le personnage principal est son compatriote guitariste Boubacar Traoré.
Le blues malien et ses musiciens inspirent le cinéma, car c'est ensuite le
réalisateur américain Martin Scorsese qui filme Ali Farka Touré dans "Du Mali au
Mississippi" diffusé sur les écrans en 2004.
L'agriculteur, devenu maire de sa commune de Niafunké, ne parvient pas
complètement à faire taire le musicien qui a toujours envie de s’exprimer. En 2003,
il se produit au Festival au désert, au nord de Tombouctou. L’année suivante, pour
la première fois en quinze années de collaboration avec Nick Gold, il fait parvenir
de nouveaux enregistrements au producteur américain qui comprend le message
et vient donc retrouver l’artiste au Mali. En trois séances de deux heures, "In The
Heart Of The Moon" est enregistré avec un studio mobile dans un hôtel de
Bamako.
Au départ, Ali Farka souhaitait enregistrer un seul duo avec son compatriote
Toumani Diabaté, joueur de kora réputé. Au final, c’est un album entier qu’ils
enregistrent ensemble, complété ensuite par des interventions du guitariste
américain Ry Cooder et du contrebassiste cubain Cachaito Lopez. Le disque sort
en juillet 2005 et le succès commercial est au rendez-vous. Le même mois, le
guitariste malien donne un concert au Nice Jazz Festival. Au début de l’année, il a
également accepté une invitation à venir jouer à Bruxelles pour accompagner la
sortie de "Red & Green", rééditions des deux albums "La Drogue" et "Sidi Gouro"
sortis en 33 tours en 1984 et 1988.
En février 2006, le blueman malien reçoit avec Toumani Diabaté, un Grammy
Award pour le meilleur album traditionnel de musique du monde de l'année.
A la suite d'une longue maladie, Ali Farka Touré s'éteint le 7 mars 2006 à l'âge de
67 ans.
Ali Farka Touré reste un des musiciens africains les plus appréciés à travers le
monde, jouissant d'une formidable notoriété.

Documents pareils