Quand la vie d`hier renaît sous nos yeux

Transcription

Quand la vie d`hier renaît sous nos yeux
Regard d’ESPERANCE N°287 - Juin 2014
L'ENTRETIEN DU MOIS
Quand la vie d'hier
renaît sous nos yeux !
Ils font revivre les métiers d'antan
depuis plus de 35 ans...
G « Le touriste de Bretagne est un vrai touriste :
il vient découvrir... »
G
G
G
L'attraction la plus fréquentée du Parc d'Armorique...
« Enfants, parents et grands-parents
n'ont pas le même regard sur ce passé ! »
Souvenirs d'un "paotr saout" en culottes courtes...
G « Jadis, on prenait le temps de bien faire
les choses... »
G « La vie de patience et de ténacité de nos ancêtres
nous donne un sentiment d'humilité... »
G « Il faut revaloriser, en France,
le travail manuel ! »
G
Un entretien
avec M. Gabriel Le Bras
et M. Maurice Chiron
« A cette époque des « vieux métiers
éti », on ne comptait
t it nii ses
heures de travail, ni sa peine, ni ses jours de travail dans l’année !
Les gens se levaient tôt, pour des journées très longues, surtout
en été à la campagne. J’ai coupé les foins à la faux, à dix hommes
travaillant de front… L’hiver, les jours raccourcis obligeaient à
faire des journées moins longues, faute de lumière. On vivait au
rythme des saisons », nous a confié M. Gabriel Le Bras.
Gabriel Le Bras – co-fondateur et ancien président de la
« Maison des vieux métiers vivants » – et Maurice Chiron, qui lui
a récemment succédé à la présidence partagent, avec une évidente
complicité, une passion ancienne mais toujours vive pour ce lieu
singulier et attachant.
L’humour bienveillant et la sage lucidité avec lesquels ils en
parlent en toute franchise, ne tempèrent en rien l’amour renouvelé
qu’ils portent à ce musée qui n’en est pas vraiment un…
Le visiteur qui s’attend à franchir les portes d’un lieu de
mémoire à l’ambiance feutrée sera en effet surpris de prime
abord : si les collections d’outils et de machines d’antan y sont
impressionnantes, c’est dans un endroit bruissant d’activités qu’il
pénètre et chemine. De multiples ateliers résonnent de bruits
et de voix joyeuses : marteau du forgeron frappant l’enclume,
chuintement des scies et rabots du menuisier d’hier, bêlement
du mouton à la tonte…
Mais aussi, à l’abri des épais murs de la ferme rénovée, le bruit
doux du métier à tisser le lin, dont le bois d’origine accuse les
outrages de trois siècles d’usage, mais qui fonctionne sans faille…
Ici des dizaines de vieux métiers sont pratiqués devant le
public, par des dizaines de bénévoles qui connaissent leur art
et l’expliquent – avec pédagogie et convivialité, depuis près de
35 ans.
Réputé pour ses démonstrations lors de fêtes célèbres – comme
le festival de Cornouaille, à Quimper – le musée d’Argol offre une
immersion dans les labeurs de nos aïeux…
Et cet interview à deux voix est un sympathique parcours de
découverte et de réflexion dans l’histoire de ces métiers ruraux
d’hier, et dans celle d’un musée qui vaut le détour.
____________________
Voudriez-vous vous présenter l’un et l’autre
brièvement ?
I
M. Gabriel Le Bras : « J’habite sur la presqu’île de Crozon depuis 1955, mais suis natif du nord-Finistère, de la
commune de Bodilis très exactement.
J’ai été agriculteur dans ma jeunesse, puis j’ai mal tourné puisque j’ai fini dans la banque…
J’ai toujours aimé les vieux outils, les choses anciennes,
les vieux métiers, et me suis passionné pour cela en participant à la fondation de ce Musée des vieux métiers vivants
d’Argol. »
M. Maurice Chiron : « Je suis président de l’Association
depuis 2012, mais je suis un « travailleur immigré » : je suis
venu d’Ile-de-France, pour vivre ma retraite en Bretagne,
étant un amoureux de cette belle région, et y étant toujours
venu en vacances.
Les gens du musée ont vu que ma femme et moi venions
souvent le visiter… et nous ont « mis le grappin dessus », ce
que nous avons accepté avec plaisir ! Nous y avons trouvé
notre place, en apprenant, comme tout le monde…
J’ai travaillé auparavant dans la sûreté du nucléaire, en
tant qu’ingénieur. »
Le « Musée des Vieux Métiers » a ouvert ses portes pour
sa 28e saison cette année… Comment s’annonce-t-elle ?
I
G.L.B. : « Le Musée a été fondé en 1985, et a ouvert
ses portes au public pour la première fois en 1987. Nous
ouvrons chaque année au premier jour des vacances scolaires de printemps commun à toutes les zones... »
M.C. : « On ressent la crise depuis quelques années. L’on
a du mal à faire venir les vacanciers, même s’ils sont présents dans la région. On voit bien que les gens hésitent à
payer 5 v pour visiter un musée. Or, 5 v, vu la prestation
que nous offrons, ce n’est pas très cher, car ce n’est pas un
musée où l’on passe son temps à lire des panneaux. Il y a
ici des démonstrations variées, de l’animation conviviale…
C’est un « musée vivant ».
Mais nous observons un fléchissement des entrées depuis deux ans… »
Il fait partie du paysage touristique du Finistère, depuis
de nombreuses années… Quelle idée ou vision fut à
l’origine de sa création ?
I
G.L.B. : « Je dirais que c’est presque un fait divers ! En
1978, l’Association des Aides à Domicile en Milieu Rural
(ADMR) de la presqu’île de Crozon s’est aperçue, à l’occasion d’un changement de présidence, que ses comptes affichaient un déficit de 35 000 francs…
Le nouveau président, directeur de la Maison de Retraite
de Crozon, a alors dit à mon épouse, membre du Conseil
d’Administration de l’Association, qu’il ne voyait que moi
pour les aider à combler le déficit…
Nous étions cousins – à la mode de Bretagne – sans que
je le sache. Et je donnais un « coup de main » lors des fêtes
organisées par l’ADMR.
Il m’a donc demandé de présenter au Conseil d’Administration des propositions de fêtes susceptibles de renflouer
la caisse.
J’ai proposé six ou sept animations classiques : tombola,
kermesse, fest-noz… Mais j’ai surtout proposé une fête de
la moisson, projet qui a été adopté à l’unanimité.
Nous étions en début d’année, et avons donc travaillé
pour organiser cette fête de la moisson à l’ancienne l’été
suivant : trouver un champ de blé à couper, recruter 150 bénévoles, trouver les outils et les machines… Nous avons fait
des démonstrations de battage au fléau, grâce à cinq ou six
personnes de Morgat qui, dix ans avant, battaient encore au
fléau l’avoine et le seigle de leur petit lopin de terre.
Nous avons aussi fait du battage au manège, avec des
chevaux donc, et du battage « au grand travail » – c’est-àdire avec les premières machines à moteur – afin d’avoir un
minimum de rendement car notre tas de blé était énorme !
Cette fête d’août 1978 a réuni près de 10 000 spectateurs !
Le trou dans la caisse de l’ADMR a été comblé d’un
coup, et cette réussite a donné l’idée à certains de refaire
la même fête tous les ans. J’ai proposé plutôt une édition
bisannuelle, car une telle organisation vous mobilise tous
les jours sur toute une année. Nous avons donc fait une fête
des moissons à l’ancienne tous les deux ans entre 1978 et
2000, avec un succès jamais démenti…
En 2000 l’ADMR, ayant de solides finances, nous a proposé d’arrêter, mais entre-temps était née l’Association des
Vieux Métiers. »
Voudriez-vous retracer quelque peu l’histoire des
débuts de ce musée singulier ?
I
G.L.B. : « Dès 1980, le président du festival de Cornouaille, à Quimper, nous avait demandé de venir faire
des démonstrations nocturnes au festival. Nous y sommes
allés, et avons attiré 16 000 visiteurs, en nocturne dans le
vieux Quimper ! Et nous sommes au festival de Cornouaille
depuis 34 ans, sans interruption.
Nous avons alors commencé à faire d’autres déplacements, dès 1981-1982 : à Paris, au Havre…
En septembre 1985, le président des ADMR et moimême avons décidé de créer une association indépendante
de celles-ci. Puis en 1987, le musée a ouvert ses portes,
dans un ancien poulailler, au centre du bourg d’Argol… Nous
n’avions pas l’espace dont nous disposons aujourd’hui,
dans notre ancienne ferme attenante à la mairie d’Argol,
achetée et rénovée par la Communauté de Communes… ! »
I Y a-t-il eu des moments difficiles, voire «péril en la
demeure » par moments ?
« Non, mais il n’a pas été facile au départ de trouver un lieu et une commune d’accueil pour le musée, avec
un local pour entreposer notre matériel. Nous avions pensé
à Crozon : le maire nous a répondu que notre projet était
G.L.B. :
très intéressant, mais qu’il n’avait pas d’endroit à nous proposer… Et de même à Telgruc, à Lanvéoc, et dans presque
toutes les communes de la presqu’île !
Sauf ici à Argol, dont un des adjoints au maire m’a
contacté pour nous proposer ce vieux poulailler, entouré de
quelques centaines de mètres carrés de terrain.
En 1986, nous avons organisé une fête des vieux métiers
au centre d’Argol, où sont venus des milliers de spectateurs,
puis en 1987, nous avons ouvert le musée au public dans
l’ancien poulailler, qu’il avait fallu étayer car il avait abrité
des taureaux qui avaient malmené les parois en se frottant
contre elles…
Nous avons commencé par ouvrir deux jours par semaine en été.
Aujourd’hui, c’est ouvert tous les après-midi, en juilletaoût, et 3 après-midi par semaine d’avril à juin et en septembre. »
M.C. : « Nous avons accueilli jusqu’à 30 000 visiteurs par
an – c’est-à-dire à la belle saison. Il y en a donc un peu
moins actuellement. Nous avons un problème de publicité.
Les nouvelles lois qui interdisent les panneaux publicitaires
sur le bord des routes nous ont fait beaucoup de tort. Nous
nous rendons compte que notre publicité vient surtout du
« bouche à oreille »…
I
Quels « vieux métiers » faites-vous aujourd’hui revivre ?
« Nous n’en avons jamais fait le compte ! Il y a
le travail du lin et du chanvre : la préparation, le filage, le
tissage ; la broderie classique sur tissu, ou sur filet pour
l’ameublement et les coiffes bretonnes ; le filage de la laine,
depuis la tonte des moutons jusqu’au métier à filer ; le forgeron, le sabotier, le vannier, le tourneur sur bois, le meunier,
le potier, le bourrelier, le scieur de long… plusieurs métiers
de la mer également. Et des activités qui n’étaient pas à
proprement parler des métiers, mais des gestes, des pratiques : la récolte et la production du miel, la fabrication de
jouets, la fabrication de cordes, de paniers, de cuillers en
bois… L’on explique aussi l’usage et l’utilisation d’objets anciens qui sont exposés, les meubles de la maison d’antan,
comme le lit clos… sans oublier des activités saisonnières :
la fabrication du cidre, des crêpes à l’ancienne, le battage à
l’ancienne… »
M.C. :
I Vous-même, ainsi que les autres pionniers de cette
remarquable réalisation, avez-vous exercé un « ancien
métier » ?
G.L.B. : « Oui, j’ai connu les travaux agricoles dans ma
jeunesse. Je fais ici la fabrication des jouets d’antan, ceux
que j’ai vu mon père me fabriquer quand j’étais enfant.
A partir de 10 ans, on avait le droit d’avoir un couteau en
poche, avec lequel on se fabriquait toutes sortes de petits
jouets, avec des morceaux de bois, de la ficelle… Au début,
c’étaient des sifflets, des flûtes, puis des jouets plus élaborés… Des gestes oubliés qui me sont revenus quand je suis
arrivé ici, au musée !
Mon père me disait : « Maintenant que tu conduis les
chevaux, il faut que tu aies un couteau sur toi, afin de pouvoir couper les traits si un cheval s’emballe et renverse sa
charrette… »
Si vous aviez eu à choisir, vous retrouvant à l’adolescence, après le certificat d’études, comme cela se faisait
souvent, lequel de ces métiers auriez-vous aimé exercer ?
I
G.L.B. :
« Je pense que j’aurais choisi les métiers du bois,
la menuiserie. J’aime le contact avec le bois… »
Quels étaient les attraits et les difficultés, voire les
servitudes de ces métiers ? Y gagnait-on son pain ?
I
G.L.B. : « C’étaient des métiers très physiques, souvent
pénibles, comme celui du sabotier : il fallait abattre le bois,
le découper, le travailler, tout cela dans l’humidité des forêts
de hêtres…
Et l’on n’y gagnait pas souvent son pain ! Les gens des
campagnes étaient pauvres pour la plupart, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale.
Ils vivaient souvent de ce qu’ils produisaient eux-mêmes,
des cultures de subsistance. »
I Comment se déroulait la journée de travail à l’époque ?
Et l’année ?
« Cela a évolué très vite à partir du milieu du 20e
siècle. Mais si je prends l’époque de mon enfance : le jeudi
– où nous n’avions pas école – et pendant les vacances,
nous menions les vaches de notre petite ferme au pré, où il
fallait les garder, parce qu’elles avaient toujours envie d’aller paître dans le champ du voisin !
Nous nous ennuyions. Je me souviens qu’au cours de la
matinée j’allais souvent demander quelle heure il était, dans
une maison voisine…
J’espérais aussi voir une vache lever la queue et partir
soudainement au galop vers la ferme parce qu’un varon,
réveillé par le soleil, lui rongeait le cuir. Cela leur faisait si
mal, qu’elles fonçaient n’importe où !
Quand cela arrivait – trop rarement à notre goût – on
rentrait à la maison…
Même pendant les jours de classe, dès l’âge de 7 ou 8
ans, il fallait aider aux travaux de la ferme quand le papa
avait beaucoup de travail : sarcler les betteraves ou les
pommes de terre… Dans le Léon, cela se faisait à genoux,
un sac de toile sous les genoux pour les protéger de l’humidité de la terre. C’était un travail éreintant.
Après la classe, je n’ai jamais ouvert un livre à la maison ! Le soir, on travaillait, ou on jouait, dehors : dénicher les
oiseaux nuisibles, jouer au ballon sur la place du village…
A cette époque des « vieux métiers », on ne comptait ni
ses heures de travail, ni sa peine, ni ses jours de travail
dans l’année !
Les gens se levaient tôt, pour des journées très longues, surtout en été à la campagne. J’ai coupé les foins à
la faux, à dix hommes travaillant de front… L’hiver, les jours
raccourcis obligeaient à faire des journées moins longues,
faute de lumière. On vivait au rythme des saisons. »
G.L.B. :
Avait-on dans ce passé, plus qu’aujourd’hui, l’amour
du travail bien fait ? L’honneur de l’artisan, de l’ouvrier ?
I
M.C. : « Les notions de rentabilité et de temps n’existaient
pas comme aujourd’hui. Ce n’était pas le « vite fait mal fait »
que l’on voit – hélas – trop souvent de nos jours. On prenait
le temps de bien faire. »
G.L.B. : « Je me souviens avoir vu après-guerre, une
scène caractéristique de cet état d’esprit dans une ferme
que deux frères exploitaient ensemble : l’un avait fait les
sillons pour planter les pommes de terre dans un champ
de 2 ou 3 hectares. C’était le moins méticuleux des deux.
L’autre est venu voir le travail, et trouvant que les sillons
manquaient de rectitude, il a tout recommencé ! »
Comme les anciens combattants, les artisans des
métiers d’autrefois disparaissent peu à peu. Comment
I
faites-vous pour transmettre et pérenniser les savoirfaire anciens ?
G.L.B. : « Ceux qui ont pratiqué les métiers vraiment anciens ont presque tous disparu.
Autrement, ce sont de nouvelles recrues qui s’y mettent,
apprennent les gestes, se perfectionnent… et se débrouillent très bien !
Des plus jeunes apprennent aussi au contact des anciens, et parfois du public lui-même : des personnes âgées
qui ont pratiqué ou vu pratiquer les métiers anciens et qui
prodiguent des réflexions, des conseils… »
I
Trouvez-vous sans mal de la « relève » ?
M.C. : « L’Association a été fondée en 1985. Nous sommes
bientôt en 2015, et elle est toujours aussi vivante, malgré
tous les départs, nécessairement ! Mais il faut noter qu’elle
a aussi un aspect un peu social, un objectif de solidarité : les
bénévoles sont parfois des gens âgés – ou non – qui étaient
un peu seuls et risquaient de se replier sur eux-mêmes…
Plutôt que de rester toute la journée chez eux à broyer
du noir, ils viennent ici, et cela les soutient, les mobilise.
Nous recrutons donc des personnes qui sont intéressées
par l’ambiance et l’objectif du musée, et des personnes qui
ont besoin de conserver un lien social.
Mais parmi les bénévoles nous avons tout aussi bien des
étrangers qui cherchaient à s’intégrer vraiment dans la vie
locale. A la forge, par exemple, c’est un couple de Hollandais qui officie : le mari était forgeron de métier en Hollande.
Nous avons des bénévoles allemands, une Suédoise… »
G.L.B. : « Dès le début, les statuts de l’Association avaient
prévu cette dimension sociale : beaucoup de bénévoles
étaient des anciens agriculteurs aux revenus très faibles, et
nous avions prévu que l’activité du musée devrait aussi leur
venir en aide, y compris un peu financièrement, au travers
d’une petite obole pour leurs présences.
Sur les 80 adhérents de l’Association, environ, une quarantaine ou une cinquantaine participent activement aux
animations du musée. »
Quels sont les métiers pour lesquels il vous est le plus
difficile de trouver des animateurs ?
I
G.L.B. : « Les métiers de la mer ! Nous sommes, par
exemple, allés contacter récemment quelques vieux marins-pêcheurs… Mais les marins sont généralement des
gens taiseux – comme l’on dit – et qui n’aiment guère se
mettre en avant. »
N’y a-t-il pas un risque de voir les métiers anciens, ainsi
coupés de leur pratique réelle – se trouver artificialisés,
« folklorisés », réduits à quelques gestes typiques mais
hors contexte ?
I
M.C. : « Nous nous attachons vraiment à faire avec exactitude le geste ancien et à le replacer dans son contexte
d’époque. Le menuisier qui vient faire ici une démonstration
travaille réellement à l’ancienne, même si chez lui, dans son
propre atelier, il travaille sur des machines à bois.
Les gestes anciens sont conservés et transmis. »
Avez-vous des échanges ou collaborations avec
d’autres musées semblables ?
I
G.L.B. : « Nous prêtons du matériel à d’autres associations, pour des événements particuliers…
Mais il y a peu de musées semblables dans la région. Le
village breton de Plouigneau, qui fait deux ou trois fêtes de
vieux métiers dans l’année, s’est créé en prenant exemple
sur nous : je me souviens qu’une partie du Conseil municipal de Plouigneau nous avait rendu visite dans les années
1990, et nous avait dit qu’ils essaieraient de nous copier…
Observant beaucoup nos visiteurs, j’en remarque parfois
qui font plus que regarder. Ils étudient : ils vont et viennent,
discutent beaucoup entre eux en chuchotant, posent des
questions inhabituelles, précises…
Nous sommes pas mal copiés et imités, je pense… Tant
mieux ! »
I Et l’outillage d’antan ?... Parvenez-vous à vous le procurer ou se fait-il très rare ?
G.L.B. : « De mon temps » – comme l’on dit – je parcourais
les brocantes, à l’affût de vieux outils, et achetais ce qui me
paraissait intéressant. »
M.C. : « Notre collection est importante, et malgré nos
hangars neufs nous n’avons guère plus de place pour entreposer tout ce que nous avons. Nous sommes déjà à l’étroit !
Nous prenons encore de petits objets, mais plus de machines trop volumineuses, à moins que ce soit l’objet rare
qui manque à notre collection.
Et nous mettons l’accent sur les outils et machines de la
région, du « pays ».
Des greniers, caves ou hangars, recèlent-ils encore
des « trésors » ?
I
G.L.B. : « Très peu. Cela devient rare ! Mais il arrive que
des personnes nous donnent de vieux objets, qu’ils préfèrent voir servir ici plutôt que de disparaître ou de rester
oubliés dans un coin de grenier…
Nous possédons quelques « trésors » : par exemple, une
grande cuiller de laiton, qui servait à alimenter en poudre
le canon du « Tonnerre de Brest » que l’on faisait tirer pour
signaler l’évasion d’un bagnard… Le Musée de la Marine
nous le demande de temps en temps.
Un métier à tisser de 1750, dont il n’existe qu’un autre
exemplaire, en Bretagne.
Un pressoir à miel très rare, et très ancien, datant probablement de 1600, environ… Notre but n’est pas d’avoir
une collection très riche, mais des outils qui permettent de
montrer ce qu’étaient les vieux métiers. »
I Quels sont les « vieux métiers » du Musée d’Argol – et
les démonstrations – préférés des visiteurs ?
M.C. : « Cela dépend beaucoup des visiteurs eux-mêmes,
de leurs sources d’intérêt et de leurs motivations, de ce qui
les a poussés à venir ici.
Mais cela dépend aussi de l’animateur. Il en est qui
savent accrocher et captiver le public, qui « ont le contact »
facile avec lui.
Nous tournons à deux équipes d’animation, car le travail
est quand même prenant… »
I
Parents et enfants ont-ils le même regard ?
M.C. : « Non. Nous avons plusieurs publics ; je dirais trois
générations :
– les grands-parents viennent typiquement pour le souvenir : ils ont vu les outils, les gestes dans leur enfance et
replongent dans ce passé, avec émotion parfois. Ils nous
apportent aussi leur mémoire, qui nous enrichit.
– Les parents sont intéressés par le lien entre les générations : montrer à leurs enfants ce que leurs propres parents – ou eux-mêmes – ont connu, vécu… Nous aimons
cette démarche. Elle donne un autre sens, une utilité à notre
action…
– Mais on observe des différences dans l’intérêt porté
à tel ou tel domaine. Il y a, en particulier, les métiers de
femmes et les métiers d’hommes : la broderie intéresse
peu les hommes ; la menuiserie ou la forge attire peu les
femmes, il faut le reconnaître quoi qu’on en dise !...
– Chez les plus jeunes, nous avons beaucoup de mal
avec les adolescents… C’est l’âge ! Les enfants de 10-12
ans sont passionnés par tous les métiers manuels : forge,
menuiserie, cordages… ; et avec les plus petits, dont l’attention est plus difficile à maintenir, ce sont plus des activités qui s’apparentent au jeu : activités de filage suivies de
séance d’habillement avec des vêtements de lin, ou les faire
monter dans le lit clos… »
Quelles exclamations et réflexions entendez-vous le
plus souvent ?
I
M.C. : « Il est excessivement rare de trouver des gens
mécontents à l’issue de la visite. Ceux qui s’attendent à
trouver un musée classique sont étonnés dans un premier
temps, puis ils comprennent le principe du « musée vivant »,
se mettent peu à peu dans l’ambiance… et ressortent ravis
en général.
Le livre d’or contient beaucoup d’éloges :
« Bravo et merci pour votre accueil chaleureux. Le musée est formidable, continuez ! », ou « Surtout, continuez à
nous faire connaître tout cela ! » ; « Un musée formidable où
il fait bon rencontrer des personnes qui aiment partager leur
savoir en toute simplicité. A recommander. Merci de nous
aider à découvrir notre histoire »…
« Un musée remarquable par la qualité et la gentillesse
de ses bénévoles... » ; « Quel travail de mémoire et de recherche ! Merci. »…
Et parfois aussi des réflexions plus profondes :
« Un travail, une vie de patience et de ténacité qui fut celle
de nos « ancêtres », un savoir-faire à ne pas oublier, un endroit à montrer à nos enfants et surtout à nos petits-enfants,
et qui nous donne un sentiment d’humilité. J’aime cette idée
d’identité de votre Bretagne et de ses traditions… »
G.L.B. : « Et il y a parfois des dialogues amusants : un de
nos tondeurs de moutons – un ancien soldat allemand qui
s’était retrouvé pris dans la fameuse « poche de Lorient » en
1944-1945 et qui est resté vivre en France après la guerre
– dit un jour à son collègue, après avoir tondu à moitié un
mouton :
« Ecoute, Pierre, on est fatigué, on le finira la semaine
prochaine. »
Stupéfait d’entendre cela, le public se demandait si
c’était « du lard ou du cochon » !
Et c’est soudain un visiteur qui s’est exclamé :
« Ah, non ! Il faut le tondre ce mouton ! » Et il a mis sur la
table un billet de 50 v pour les tondeurs ! »
I
Qui voyez-vous venir visiter votre musée ?
G.L.B. : « On reconnaît facilement les origines rurales ou
citadines des visiteurs : les uns s’y connaissent généralement un peu. Les autres n’y connaissent souvent pas grandchose, n’ayant pas été au contact des métiers anciens, ou
des activités agricoles et rurales.
Nous recevons des visiteurs de toutes les régions de
France, et beaucoup de touristes étrangers. »
Vient-on ici par nostalgie, ou par curiosité d’un passé
inconnu ?
I
M.C. : « Cela dépend beaucoup, une fois encore, des personnes. Mais la première motivation reste la curiosité, je le
pense. »
Ne voit-on pas certains métiers anciens revenir – certes
à une échelle bien plus modeste – et redevenir économiquement viables, tel celui de maréchal-ferrant ? Auriezvous d’autres exemples à citer ? Ou anticipez-vous de
tels retours ?
I
M.C. : « Le métier de maréchal-ferrant se renouvelle grâce
aux chevaux de monte, de loisir. Quelques métiers ont perduré, à petite échelle, comme celui de vannier. Et le sabot
de bois revient un peu. Mais sa fabrication s’est mécanisée,
bien sûr… »
I Par comparaison avec d’autres grands pays, telle l’Allemagne, il semblerait que le travail manuel soit dévalorisé
en France… et la scolarité mal adaptée. Qu’en pensezvous ? Que faudrait-il changer ?
M.C. : « C’est évident. Même au niveau de l’Etat, cet état
d’esprit demeure !
J’ai enseigné les maths dans un lycée où se trouvaient
des classes de BTS. 80 % des jeunes qui étaient là n’avaient
rien à y faire.
Ils n’étaient pas motivés du tout pour ces études, ce
qui rendait d’ailleurs l’enseignement très difficile ! Mais ils
avaient été mis là – « en manuel », comme on le disait alors
– parce qu’ils ne travaillaient pas par ailleurs. C’était une
façon stupide d’orienter ces jeunes !
L’apprentissage, le travail par alternance, les stages professionnels, tout cela est terriblement mal fait en France. Ce
serait à transformer totalement, en revalorisant à tous points
de vue le travail manuel, le savoir-faire manuel. »
I Comment se dessine l’avenir du Musée d’Argol ? Quels
sont les projets à proche et lointaine échéances ?
M.C. : « Je dirais que les visiteurs nous encouragent à persévérer, à continuer à transmettre ces vieux métiers. C’est
notre objectif : parvenir à trouver la relève pour continuer
dans la vocation de ce musée, y compris dans cet aspect
social dont nous avons parlé.
Agrandir n’est pas nécessaire aujourd’hui. »
G.L.B. : « Fanch Roudaut, maire d’Argol à l’époque de
notre installation ici, en 1985, m’avait dit que ce musée serait probablement l’élément le plus important pour le bourg
d’Argol, un élément dynamisant… Il m’a étonné, mais ne
s’était pas trompé !
C’est le musée qui a la plus forte fréquentation sur la
presqu’île, qui en compte plusieurs autres, qui est aussi le
premier sur les 16 équipements du Parc d’Armorique ; et en
2011, nous étions le 4e en termes de fréquentation parmi les
musées de la région de Brest, après Océanopolis, le Musée
de la marine… »
Quel regard portez-vous – depuis cette presqu’île de
Crozon – sur le tourisme en Bretagne, ses développements et orientations ? Ses forces et faiblesses ?
I
G.L.B. :
« Il a la faiblesse de l’éloignement, de la périphé-
rie…
Et en Bretagne même, la mer capte trop l’attention. »
M.C. : « Il ne faut pas la présenter sous ce jour uniquement. La Bretagne est belle sous la pluie aussi !
Son tourisme n’est pas, ni ne sera jamais celui de la Côte
d’Azur. Le touriste de Bretagne est un vrai touriste, au sens
ancien du mot : quelqu’un qui vient visiter, faire le tour de ce
qui est intéressant à découvrir : la nature, les paysages, le
patrimoine, les monuments, la culture…
Et ce sont ces gens-là qu’il faut savoir attirer ici. »
I La Bretagne, avec la remise en évidence de sa culture
depuis plusieurs dizaines d’années, vous semble-t-elle
avoir établi de solides ponts entre son histoire, son passé
et son présent ?
M.C. : « Oui. Le renouveau de la culture historique, de
l’identité bretonne, et son développement depuis lors est
devenu un aspect essentiel de la vie de la région.
L’ouverture sur la vie d’antan, les vieux métiers par
exemple, a bénéficié de ce mouvement, qui dépasse le tourisme.
Les gens d’ici s’intéressent de plus en plus à l’histoire de
la Bretagne, qui fait partie de sa culture. »
G.L.B. : « Et le lien avec le présent et l’avenir peut être
très intéressant : regardez l’histoire de la culture du lin, et
des toiles de lin qui ont fait la richesse de la Bretagne à une
époque, avec des exportations partout en Europe, puis son
déclin et les causes de celui-ci…
Tirer les leçons de tout cela, c’est examiner ce que pourrait développer la Bretagne d’aujourd’hui en termes de commerce international, par exemple. »
(Entretien recueilli par Samuel Charles)

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